Encyclopédie méthodique/Beaux-Arts/Tome 2/Lettre R

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(p. 246-272).
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RACCORDER (v. a.) On sent aisément sans doute que ce verbe vient du mot accord, & qu'il a rapport aux mots retouche & retoucher. Un tableau que finit un peintre, ne lui paroît-il pas parfaitement harmonieux, soit lorsqu'il le regarde à vue fraîche, c'est-à-dire, après l'avoir quitté quelque tems, soit lorsqu'à l'aide d'un miroir, dans lequel il l'observe, il l'embrasse, le voit plus entier, comme s'il en étoit plus éloigné : on peut même ajouter que cet intermédiaire lui sait croire que l'ouvrage qu'il examine n'est pas le sien ? Il reprend la palette, les pinceaux : il éteint quelques lumières trop brillantes, adoucit quelques tons tranchans, rompt quelques couleurs trop crues, bouche quelques trous, & ces soins qu'il prend s'expriment par le mot dont il s'agit dans cet article.

Hélas ! un raccommodeur de tableaux, & le moindre brocanteur en fait autant aujourd'hui sur le tableau le plus précieux qu'il n'a pas peint, mais qu'il repeint, qu'il retouche, qu'il raccorde à son gré, sans témoin, sans connoissance, & sans redouter aucun juge qui punisse cet attentat.

Cet abus, pour parler moins figurément, est un mal moderne qui menace la plupart des beaux ouvrages de peinture d'une destruction plus prochaine que celle à laquelle ils étoient destinés ; car en supposant celui qui raccorde du nombre infiniment borné de ceux qui ont de l'intelligence, quelque habitude de peindre & (le dirois-je) de la pureté & de la délicatesse d'intention, il raccorde en effet les tons desaccordés ; mais plus il les rend justes pour le moment, plus il est certain qu'en pela de tems ils le seront peut-être moins qu'ils ne l'étoient, avant qu'il y eût touché. La nature physique des couleurs occasionne immanquablement un changement qui, dans un tableau qu'on peint, est à peu-près commun à toutes les teintes, qui prennent ensemble plus de ton ; mais le raccord fait sur un ouvrage ancien éprouve le sort inévitable de devenir plus coloré, tandis que tout le reste du tableau qui, depuis longtems, a éprouvé cet effet, garde le son qu'il a acquis. Qu'arrive-t-il ? On a recours à un autre médecin qui, à son tour, promettant de guérir mieux, applique un nouveau topique aussi peu certain que le premier ; mais altére de nouveau l'ouvrage, soit en ôtant le repeint, soit en faisant place, aux dépens de


la couleur originale, à celle qu'il veut employer. Supposons, pour dernier ma heur & pour suivre ma comparaison, qu'au lieu de s'adresser à un médecin, on remette le malade à un charlatan : il excorie sans pitié, repeint sans connoissance, gâte sans remord, & répand au hazard des couches de vernis sur le malheureux tableau, qu'en le frottant & le tourmentant, il a conduit à la décrépitude.

Laissons le peintre raccorder le tableau qu'il termine, comme nous laissons le poëte & l'orateur retoucher & repolir leurs ouvrages ; mais plaignons les tableaux & les ouvrages qui sont livrés, à la discrétion, ou plutôt à l'indiscrétion des raccordeurs de profession, c'est-à-dire, aux artisans de ce métier. (W.)

RACCOMMODER (v. a.) Raccommoder ou réparer les tableaux endommagés, soit par le tems, soit par les accidens, est devenu de nos jour, un art dans lequel on a inventé ou perfectionné des procédés industrieux, & bientôt après malheureusement il est devenu un métier.

Les marchands & raccommodeurs de tableaux se sont multipliés en proportion des amateurs. Cela est naturel. S'il étoit permis d'employer une comparaison qui n'est pas aussi noble que le sujet qui l'amène, je hazarderois de dire que c'est par la même raison qui, dans une. ville, rend le nombre dei barbiers proportionné à celui des barbes ; mais ce qui pourvoit faire tolérer cette comparaison, c'est qu'elle a une suite vraiment remarquable ; car de même qu'il a paru, sur un sondement bien léger, de l'honneur de tous les fraters, de faire la chirurgie, & même la médecine, il a paru également de l'honneur des marchands de tableaux de les raccommoder & de les repeindre. (Article de M. Watelet.)

RACCOURCI (subst. masc) Le raccourci est formé par un objet qui se présente à l'œil de face & longitudinalement, en sorte qu'il y trace une image plus courte que celle qu'il y porteroit, s'il se présentoit transversalement. La plupart des personnes étrangères à l'art du dessin, croyent que les raccourcis sont de fausses conventions faites par les peintres, & elles ajoutent qu'elles ne voyent pas de raccourcis dans la nature. Il est aisé de leur démontrer leur erreur, & de leur prouver qu'elles ne se sont pas rendu compte à elles-mêmes de la manière dont elles voyent les objets.

Qu'elles posent une règle de dix-huit pouces sur leur table ; qu'elles élèvent perpendiculairement sur cette règle un pied de roi : quelles s'inclinent ensuite, de manière à ne voir que le bout de cette règle ; qu'elles se relèvent ensuite doucement ; elles verront cette règle dans l'étendue d'un demi-pouce, d'un pouce & demi, de deux pouces, &c. à mesure qu'elles se releveront. Elles auront donc, de cette manière, apperçu la règle dans différens raccourcis gradués.

Elles peuvent encore prier quelqu'un de tendre le bras devant elles, en le plaçant de côté, à peu-pès comme lorsque l'on fait des armes, ensorte que le poignet soit le plus voisin de leur œil. Ce bras ne leur cachera qu'une partie des côtes de celui qui le tiendra étendu, au lieu que s'il étoit baissé, & vu par cons?quent dans toute sa longueur, il doscendroit juslqu'à la moitié de la cuisse ; elles voyent donc ce bras en raccourci, c'est-à-dire, dans un espace beaucoup plus court que sa longueur réelle.

Un homme couché, si on ne le regarde pas de côté, mais de manière que ce soit la plante des pieds qui le présente la première à l'œil, est vu en raccourci. Ce n'est donc pas par convention, mais pour exprimer la vérité. que le peintre représente des objets en raccourci.

Il lui est même impossible de les éviter entiérement. Dans une tête vue de face, la largeur des oreilles s'apperçoit en raccourci. Dans une figure de bout, le pied qui se présente par la pointe au spectateur, est vu en raccourci. La perspective donne à l'artiste les moyens de bien rendre cette partie, qui porte entiérement sur cette science.

Les formes étant plus belles dans leurs développemens que dans leurs raccourcis, les peintres ne doivent se permettre que des raccourcis modérés dans les figures principales qu'ils veulent montrer dans toute leur beauté : ils n'admettront alors que ceux qui sont inévitables. Ils pourront être moins reservés à cet égard dans les figures subordonnées. Le genre austère est moins ennemi des raccourcis que le genre agréable. Mais dans aucun genre, il ne faut imiter les artistes qui cherchent à prodiguer les raccourcis, pour montrer leur science. Les efforts de la science ne sont appréciés que par les savans ; les ouvrages de l'art doivent satisfaire les savans & plaire à tout le monde.

On remarque que généralement les peintures de plafond procurent peu de plaisir aux personnes qui ne sont pas initiées dans la science de l'art, parce que ce genre exige les plus savans raccourcis. Les figures qui plaisent le


plus, dans ces sortes d'ouvrages, sont celles qui voient transversalement, parce qu'elles sont plus développées. Il n'est point au-dessous de l'artiste de consulter les sensations des personnes qui n'ont que le goût naturel ; elles forment le grand nombre de ses juges. (L.)

RAGOUT (subst. masc.) Il est, comme je l'ai dit à l'article Croquis, des mots dans le langage de la peinture, qui, nés dans les atteliers, sont adoptés par les artistes, & par ceux qui parlent de l'art, & qui lui deviennent plus ou moins généralement consacrés. Plusieurs de ces mots ont été créés par une sorte d'inspiration qui a dû tenir du caractère, de l'éducation, des manières de parler propres à ceux qui les ont mis en vogue. Ces expressions, par conséquent, doivent être plus ou moins choisies, plus ou moins communes, quelquefois même familières ou basses.

Le mot ragoût peut être regardé comme de cette dernière classe. Il signifie quelque chose de piquant. On voit par-là que le sens figuré a un rapport très juste avec le sens propre.

On dit donc, mais plus particuliérement dans les atteliers, il y a du ragoût dans ce tableau, dans ce dessin, dans la couleur de ce peintre, & l'on veut faire entendre par-là qu'on y trouve un agrément qui pique, qui réveille l'attention & plaît à la vue.

On dit aussi, & cette manière de parler semble blesser moins la délicatesse, cette tête est ragoutante, ce petit tableau est ragoutant, & dans le langage commun, le peuple dit encore, un minois rajoutant, expression du style familier, mais qui, à l'aide d'un souris de plaisanterie ou d'un air de gaîté, trouve quelquefois grace auprès de ceux qui parlent un langage plus soutenu. (Article de M, Watelet.)

RAGOUTANT (adj.) Ce mot s'applique toujours à l'exécution : c'est une qualité de la main. On dit un pinceau, un crayon ragoutant, une pointe ragoutante. On peut aussi modeler avec ragoût. Le ragoût est une sorte de badinage ; il témoigne la facilité de l'artiste qui est capable de se jouer avec l'outil, de badiner avec les plus grandes difficultés du métier. Il a toujours une sorte de mollette qui peut être heureuse dans certains genres, mais qui est sort déplacée dans tous ceux qui supposent de la grandeur, & qui ont besoin de fermeté. Ce qui a, dans la nature, une apparence de mollesse, peut se prêter au ragoût. Cette partie de la manœuvre ne doit pas être méprisée, mais il ne faut l'estimer que ce qu'elle vaut. Rapha?l ne se doutoit pas que l'on peindroit un jour avec ragoût, & il n'en est pas moins estimable : les Carraches ont peint quelquefois avec ragoût, & ils en sont plus aimables. La ragoût est du nombre des moyens de plaire, mais il ne doit être rangé qu’entre les ressources inférieures de l’art. (L.)

RAPPEL, RAPPELLER (subst. masc.), (v act.) Lorsque dans un tableau, on s’occupe des effets de la lumière & des ombres, il est bon de ne pas se borner à y faire voir une seule masse lumineuse, opposée à une seule masse ombrée. On sent qu’une telle pratique rendroit une composition froide & de petit intérêt. Il faut user du principe indiqué par la nature, en observant 1°. une grande masse lumineuse principale, sous laquelle se placent aussi les figures principales ; & 2°. en rappellant la lumière comme par échos, sur des figures ou objets épisodiques ou accessoires, mais d’une manière moins vive, moins large que sur la principale masse. Dans une vaste composition ces rappels doivent être multipliés & toujours placés sur les grouppes intéressans.

Les exemples du principe du rappel de la lumière sont écrits dans les compositions des peintres qui ont connu le pittoresque, & les effets du clair-obscur. Ainsi les Bassano, le Tintoret, Paul Véronèse, Solimeni, Lucas Giordano, Pierre de Cortone & son école, Rubens, Rembrandt, la Hire, Jouvenet, de Troyes fils, sont des artistes dont les ouvrages donnent autant de leçons des bons effets du rappel de la lumière : là on verra toujours cette subordination à la masse principale ; on verra que ces rappels ne sont jamais placés vis à-vis des autres lumières, soit en ligne horizontale, soit dans le sens perpendiculaire ; on y observera que ces rappels sont quelquefois placés sur les parties essentielles du fonds, quelquefois sur les terreins, ou planchers, suivant que les peintres auront voulu rappeller les divers ([1]) plans de leurs compositions. Ces échos ou rappels servent encore à détacher certaines figures du devant de la scène : mais, quelqu’en soit l’emploi, ils donnent de l’espace & de l’enfoncement à la scène, & égayent l’œil du spectateur, qu’une lumière unique fixeroit d’une manière déterminée.

On ne doit jamais rappeller la lumière qu’avec l’intention d’ajouter à l’expression de la scène. Ainsi dans les sujets de nuit, ou dans œux qui seront susceptibles de mystère, les rappels seront rares, de petite valeur, & fort éloignés de la principale lumière.

Le Corrège dans son fameux tableau qu’on nomme la nuit, répand une grande expression sur ce sujet mystérieux, en ne mettant point de rappels de lumière : la lumière est toute


entière sur la Vierge & l’enfant Jésus, & par-là le spectateur est forcé de s’y attacher sans distraction. Mais ces objets sont rendus avec tant de charmes, & présentent tant de beautés, qu’on seroit fâché d’être détourné un instant d’un spectacle si respectable, & que l’art a rendu si précieux : ajoutons qu’un effet de ce genre est fort rare dans la nature, & que celui du Corrège, produit par la lumière émanée du corps de l’enfant Jésus, est la suite d’une pensée poëtique & produit un effet divin & surnaturel. En général les effets d’une lumière sans rappel, ne peuvent avoir lieu que dans des scènes fort circonscrites & propres à de petits tableaux.

On remarquera que nous citons rarement les ouvrages des premiers maîtres des écoles Romaine & Florentine, pour les effets du clair-obscur, dans lesquels ils ne paroissent pas avoir eu de grandes connoissances : cependant le Saint-Pierre délivré de la prison, par Raphaël, au Vatican, n’est pas dénué de ce mérite, & montre que ce grand homme a été au moins entraîné par son sujet à y rappeller la lumière dans les masses ombrées.

(Article de M. ROBIN).

RAPPORT mutuel des clairs, des demi-teintes & des ombres. L’art de donner du brillant aux couleurs de toutes les masses, consiste à associer au premier ton de chaque objet, une nuance de demi-teinte plus cansidérable, c’est-à dire plus étendue que ce premier ton ne l’est lui-même, & à celle-ci une masse de teintes inférieures en beauté & superieures en volume. Plus les masses subordonnées seront larges, plus les effets seront piquans. Il faut que ces variétés de tons dans les masses ne soient sensiblement prononcées que dans les parties lumineuses de la machine pittoresque ; dans les autres endroits, elles seront menagées relativement au ton & à la nature des masses, ensorte qu’elles ne les altèrent point par des contrastes trop expliqués.

Quel doit être le rapport mutuel de ces trois principales nuances ? Quelles doivent être leurs proportions relatives ?

Pour réduire cette idée à la valeur d’une maxime précise, dont néanmoins l’observation ne doit pas être faite dans une exactitude arithmétique, parce que les opérations du génie ne sont point des affaires de calcul, divisons en trois degrés les trois tons ; clair, demi-teinte & obscur.

Dans l’essai de ce systême, dont l’objet est de rechercher s’il n’y auroit point de règle invariable pour tirer d’un tableau des effets brillans, nous estimons que si l’on donne, par exemple, six portions de lumière & de couleur à la asse principale, il faut l’ environner de neuf portions de demi-teintes qui font une moitié en sus de celles qu'on a données à la lumière & leur associer douze portions d'obscur ; c'est à-dire, le double de ce que comporte la matte dominante. Les couleurs conduites & ménagées dans ces proportions, plus ou moins exactes, suivant la nature des circonstances, suivant la suggestion du génie, & les conseils de l'intelligence, ne manqueront pas de produire du piquant dans les effets, & de donner à chaque nuance toute la :orgie, tout le brillant dont elle peut être susceptible.

Les Tableaux de Rubens, & ceux de plusieurs grands maîtres qui lit sont distingués dans la partie du coloris, renferment ce précepte. Ils l'ont sans doute pris eux-mêmes dans la nature, ils ne l'auroient pas constamment pratiqué, si les succès & une expérience con. sommée ne les y avoient confirmés.

On peut suivre une autre marche dans les tableaux représentant des sujets qui lit passent en plaine campagne, si l'on veut produire des effets vrais. La partie du clair & des couleurs les plus brillantes doit être fort étendue ; celle des tons obscurs & des tons sourds, mais vigoureux, peut n'êtr qu'égalen volume, pourvu que lamasse des demi-teintes & des nuances rompues soit aussi large & aussi étendue que la totalité du clair & du brun pris dans leur ensemble. Dans le grand jour, où le soleil répand partout ses rayons, les ombres sont la plupart réflétées, & ne prennent que la valeur des demi-teintes. Elles sont conséquemment d'un volume très-considérable, puisqu'elles l'e confondent avec les demi-teintes réelles, qui sont les lumières secondes. Il ne reste donc, pour recevoir les plus grands bruns, que les endroits privés de lumière par des accidens factices, & ceux où les reflets ne sauroient parvenir ni être apperçus.

Les principes changent à l'égard des sujets qui se parient la nuit, & qui sont éclairés d'une lumière artificielle ; ces principes sont plus bornés & en même temps moins connus. La difficulté d'étudier les divers accidens que produit une lumière artificielle, quand il s'agit du tout-ensemble d'une scène nocturne, est un obstacle à la bien rendre. Il est vrai qu'on a la ressource de modèler le sujet en entier avant que de le peindre. Ce moyen, que plusieurs grands maîtres ont employé, facilite la découverte des accidens de lumière, & met l'artiste à portée d'en rendre la vérité : mais il doit être dirigé par l'imagination, le jugement, la connoissance parfaite des principes du coloris, & de la magie des tons. Sans ces secours, il ne sauroit representer un trait d'histoire arrivé pendant la nuit avec cette illusion qui plaît d'autant plus qu'elle étonne & que le spectateur ne s'y attend point.


Comme la lumière artificielle est ordinairement plus voisine des objets que la lumière du jour, les éclats doivent en être plus vifs, & les ombres qu'elle produit plus tranchées & plus uniformes. Le ton général d'un tableau ainsi éclairé doit être sourd, ténébreux, & Il doit tenir de l'obscurité matte de la nuit. Il ne sauroit y avoir des transparens & de la couleur, là où le jour ne réfléchit que peu de rayons ; mais aux endroits où la lumiere frappe, elle doit communiquer le ton rougeâtre qui lui est propre, & produire des ombres dont la vivacité soit analogue aux différentes couleurs de tous les objets & à leur proximité avec le principe qui les éclaire.

Les parties lumineuses auront le plus vifélat ; les travaux, les détails y seront prononces ; mais ils seront à peine sensibles dans les parties de demi-teinte, & ne seront point du tout apperçus dans les masses d'obscur.

Nous avons déja remarqué que, dans les sujets éclairés du jour qui brille en pleine campagne, la partie des reflets éclairant, en quelque sorte, les ombres, les malles de demi-teintes devoient être d'un plus gros volume que celles des ombres & de la lumière réunies : par la raison du contraire, dans la représentation des sujets de nuit, les ombres ne doivent pas seulement être plus étendues que les lumières & les demi-teintes comprises ensemble ; mais encore elles doivent réunir dans leur volume celui qu'occuperoient les demi-teintes, si elles pouvoient être sensiblement apeerçues. De sorte que si, dans les sujets éclairés du jour naturel, on oppos'e ordinairement à six degrés de lumière neuf degrés de demi-teinte, & douze degrés d'ombre ; dans les sujets de nuit, éclairés d'une lumière artificielle, on doit joindre aux douze degrés de l'obscur les neuf dégrés de demiteintes, & conséquemment opposer vingt-un degrés d'ombre aux six degrés de lumière. Plus on se rapprochera de ces proportions, plus l'effet qui en résultera sera vif & séduisant.

Au reste, il n'importe que ces diverses proportions soient ménagées par la combinaison du clair-obscur, ou par la valeur des couleurs propres & locales : il suffit qu'elles soient dans des rapports qui n'ayent rien d'outré. L'ex tréma vivacité de la lumière & l'étendue considérable des ombres, répandues dans les peintures qui retracent des événemens que l'on éclaire au flambeau, feroient paroître les clairs trop aigus, & les obscurs trop tristes, si les premiers n'étoient rappellés par des chos qui les soutiennent, & si les seconds n'étoient détachés par des lueurs qui s'échappent entre les objets. Celles-ci servent à réveiller les grouppes ; les échos contribuent à former des plans, & à fixer chaque objet dans le sien. Il est important de ne pas l'oublier : ces échos & ces réveillons, qui servent aussi à donner de l’étendue à la composition, & à faire paroître le tableau plus grand que la toile, doivent être distribués diagonalement & à distances inégales.

Pour concourir avec succès à la parfaite imitation de l’obscurité que la nuit doit produire, empruntons la magie des étoffes les plus brunes, des tons de chairs les plus colorés & les plus sourds. Toutes les lumières céderont en vivacité au principe qui les produit ; eiles ne l’emporteront en éclat que par leur étendue, & par l’opposition des objets qui leur seront associés. Ce volume & ce contraste seront relatifs au local, & à l’importance du rôle des figures qui les recevront.

Enfin tous les corps seront peints d’une manière moins arrondie ; les formes en seront prononcées plus quarrément ; les masses plus uniformes t : c ton, y seront traitées d’un pinceau moins recherché ; les diverses modifications, les finesses de la nature, les variétés des travaux, les richesses de détail seront perdues dans la masse : au lieu que, dans les sujets où la lumière du jour dévoile les plus précieuses beautés des objets, on doit les retracer. & les rendre dans l’exactitude la plus complette. (Article extrait du traité de peinture de Dandré Bardon.


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RECHERCHER, RECHERCHÉ v. act.) Rechercher a plusieurs sens dans notre langue.

On dit, un homme recherché, & ce mot alors exprime la desapprobation d’un trop grand soin, soit dans le maintien, soit dans la démarche, la parure & même la manière de parler & de a’énoncer. Un ouvrage recherché se dit aussi dans le même sens d’un ouvrage dans lequel il y a quelque affectation.

S’agit-il du style ? on diroit presqu’aussi volontiers manieré, que recherché.

Dans le langage de la peinture, recherché & sur tout rechercher, a un sens qui lui est propre. Le maître dit à son élève : « jeune homme incorrect, recherchez mieux votre trait » c’est-à-dire, rendez-le plus fin, plus pur.

On trouveroit, je crois, les raisons de toutes les différences d’acceptions de termes de la langue, même dans l’emploi qu’en font les differens arts, si l’on s’intruisoit de leur théorie & de leur pratique. Ce n’est pas au hazard que ces differences s’établissent quelquefois jusqu’à des contrariétés apparentes.

On dit aussi, les tableaux de ce maître, de cet artiste, sont recherchès, sont fort recherchés, pour faire entendre que les curieux mettent leurs soins à se les procurer ; mais


alors ce n’est plus le langage de l’art qu’ors parle ; c’est la langue générale.

(Article de M. Watelet).

RECHERCHER. C’est un devoir de l’artiste de rechercher tout ce qui peut le conduire à la perfection dans toutes les parties de l’art ; de rechercher les beaux exemples des artistes de la Grece & des plus grands maîtres modernes, de rechercher de beaux modèles, de beaux effets, des expressions justes, de beaux tons &c.

Mais le participe recherché se prend ordinairement en mauvaise part : ainsi quand on dit qu’un artiste a des attitudes, des graces, une couleur, des tons recherchés, on entend qu’il s’est donné beaucoup de peine à trouver de belles attitudes, de la grace, une bonne couleur, de beaux tons, & qu’il n’a que médiocrement réussi. Tour ce qui dans les arts n’approche du bien qu’en laissant appercevoir la peine & la recherche, fait peu de plaisir. Il faut que le bien semble n’avoir pas été cherché mais trouvé. (L)


RÉDUIRE (v. act.) Réduire un tableau, un dessin, une estampe, c’est, quand on en fait une copie, les transporter de leur proportion, dans une autre proportion plus forte ou plus foible. Les moyens qu’on employe pour réduire un ouvrage appartiennent à la pratique des arts, & il en lira traité dans le dictionnaire destiné à cette partie.


REFLET (subst. masc.) La lumière qui tombe sur un corps rejaillit sur le corps voisin privé par lui-même de lumière, & lui prête une clarté ; plus sourde que celle qu’il recevroit de la lumière directe ; c’est ce réjaillissement qui le nomme reflet.

La lumière qui vient de frapper un corps ne rejaillit qu’après. s’être chargée de la couleur de ce corps, & elle porte, en rejaillissant, des parties de carte couleur sur le corps voisin. Il se fuit alors sur ce dernier corps un mêlange de sa couleur propre, avec la couleur de celui dire il reçoit une lumière refletée. Ainsi une draperie jaune ou rouge porte quelques tons de sa couleur sur les chairs qu’elles avoisinent. Les femmes, sans avoir aucune connaissance de la théorie des reflets, n’ignorent pas les avantages qu’elles en peuvent tirer, & elles ont soin de choisir pour leurs parures, les couleurs qui peuvent le mieux s’associer à leur teint. Le peintre doit avoir la même attention qu’elles, & ne pas donner aux draperies des couleurs capables de nuire aux carnations.

Ce que nous venons de dire sur les reflets des couleurs se rapporte à la partie du coloris. On doit aussi, abstraction faite des, couleurs, considérés les reflets par rapport au clair-obscur. C’est par eux que les parties ombrées ne sont pas entierement obscures. On peut aisement, comme nous l’avons dit ailleurs, remarquer sur un globe ou sur une colonne, la lumière, la demi-teinte, l’ombre & le reflet, c’est-à dire la partie du globe ou de la colonne qui étant plongée dans l’ombre reçoit une lumière qui jaillit des objets voisins, lumière toujours plus foible que la plus forte demi-teinte, mais qui paroît cependant quelquefois assez brillante, quandon la considère par comparaison avec la partie la plus fortement ombrée.

Un objet, dit Dandré Bardon, « ne peut être arrondi sans le secours des reflets ; c’est par leur entremise qu’il prend le plus parfait relief. Ils ne contribuent pas moins à la légèreté, à la vaguesse, à l’harmonie du tout-ensemble, qu’à l’effet, au saillant de tous les détails. »

« En rendant les parties qui tournent plus fuyantes & plus douces, les reflets en favorisent la rondeur ; ils forment l’accord général en communiquant aux corps les réjaillissemens réciproques & des lumières qu’il reçoivent, & des tons dont ils sont colorés. Ces réjaillissemens qui portent une nuance empruntée du sujet qui renvoye, suivent la même marche qu’une balle qui, en rebondissant, ouvre plus ou moins son angle, suivant la force du bras qui la jette & la nature du corps qui la repousse. Les reflets, conséquemment, doivent être differens en force & en couleur, en proportion de la lumière qui les produit, & relativement à la nature de l’objet qui les renvoye. »

« De deux corps voisins, le plus brillant & le plus lumineux prête ses nuances à l’autre, sans en rien emprunter ; telle la clarté d’un flambeau communique sa lueur rougeâtre au corps qu’elle éclaire, sans participer du ton du corps éclairé. »

« Sans le secours des reflets, dit encore le même artiste, on ne sauroit produire la rondeur des corps ni éviter de répandre de le dureté dans un tableau : les objets auroiont alors quelque chose de mat & de terne qui déplaît même quand on le trouve dans la nature, parce qu’alors, dénuée de’graces, elle paroît triste & lourde. L’art des reflets n’étant autre chose que celui d’employer avec succès les réverbérations & les couleurs rompues que les autres corps empruntent les uns des autres, il en naît ie lumineux & l’harmonie du tableau. Soit que les objets se mirent’réciproquement sur leurs surfaces, soit qu’il se fasse entr’eux une communication mutuelle des rayons du jour qu’ils se


réfléchissent, il en résulte l’accord & l’éclat sans lesquels l’art ne sauroit parvenir à l’illusion. »

M. Cochin remarque qu’il a été un temps où l’on ne faisoit pas assez d’attention au jeu des lumières de reflet : « mais peut-être depuis, ajoute-t-il, les a-t-on trop observées, ce a qui peut produire des tableaux foibles. C’est même un des défauts à la mode ; & nous appercevons souvent, chez les jeunes gens surtout, des reflets aussi brillans & aussi beaux de couleur que les demi-teintes ; c’est une manière qu’ils prennent les uns des autres, & qu’ils appellent beauté de coloris : mais cela ne se voit pas dans la nature, & particulièrement lorsqu’elle est vue de la distance qu’on suppose toujours à son tableau. Toute lumière renvoyée par un objet a perdu la plus grande partie de son éclat ; aussi elle ne peut produire des tons ni aussi beaux, ni aussi lumineux que la lumière directe. »

Cette théorie est vraie, & n’est pas contrariée par les ouvrages de Rubens, quoiqu’il ait donné aux reflets la plus grande clarté dont ils soient susceptibles. Il a porté au plus haut dégré la magie des ombres reflétées, largemement étendues, & contrastées avec les bruns les plus vigoureux.


Reflet des objets qui se mirent dans l’eau. Ce sujet sera traité dans le dictionnaire de pratique.


REFRACTION (sust. fem.) Rupture apparente que semble éprouver un objet en passant d’un milieu plus rare dans un autre plus dense, comme de l’air dans l’eau ; car il n’y a que cette sorte de réfraction qui intéresse les peintres. Tout le monde a apperçu qu’un bâton parfaitement droit, que l’on plonge en partie dans l’eau, paroît se briser, & que si la partie qui reste hors de l’eau est perpendiculaire, celle qui est dans l’eau semble prendre une direction oblique.

« Lorsque nous regardons un bâton, une pierre, ou quelqu’autre chose qui est effectivement dans l’eau, dit Félibien, tons ces corps paroissent à la vue autrement qu’ils ne sont en effet. C’est ainsi que nous voyons au fond d’un vase rempli d’eau, une pièce de monnoie que nous ne pouvions voir auparavant ; que la jambe d’un homme qui n’est qu’à moitie dans l’eau, nous paroît rompue & plus grosse qu’elle ne l’est, & que ce qui est au fond de l’eau nous parois plus proche. Mais si les corps paroissent plus gros dans l’eau, les couleurs en même temps s’affoiblissent & diminuent à la vue. Cependant il faut avoir égard à la nature des eaux & à leur quantité ou profondeur : car si l’eau est fort claire, comme celle des fontaines, & qu’elle ne soit pas profonde, alors il est certain que la grosseur dans les apparences des corps qui sont dans l’eau, ne sera presque pas plus forte que si l’on voyoit ces mêmes corps hors de l’eau, parce que la densité ou épaisseur d’une eau très-claire, quand il n’y a pas de profondeur, ne fait guère plus de changement aux corps qui en sont environneés, que la densité de l’air : au moins cette différence n’est pas sensible à la vue. »

REHAUSSER (v. act.) C’est frapper, sur des parties lumineuses, des touches plus lumineuses encore.

REHAUT (subst masc.) Quoique la lumière s’étende largement sur un objet, il y a cependant quelques parties de cet objet sur lesquelles elle frappe avec encore plus de vivacité : ce sont les touches claires, par lesquelles le peintre relève ces parries & les rend plus brillantes, qu’en appelle des rehauts. C’est par la nécessite d’ajouter au piquant des clairs, que de grands coloristes, & entr’autrres Rubens, ont chargé de couleur les lumières de leurs tableaux, tandis qu’ils ne saisoient, pour ainsi dire, que laver les ombres, & que, dans les bruns, ils tiroient même parti de l’impression.

RELEVER (v. act.) Comme ce sont les parties lumineuses, qui donnent surtout du relief aux objets, on ne se rem du mot relever qu’en parlant des parties claires d’un dessin ou d’un tableau. On peut dire : « ces jours, ces lumières ont besoin d’être relevés : il faut relever ces masses, de lumière. On dit aussi, un dessin relevé de blanc. » En parlant des masses obscures, on dit au contraire, éteindre, assourdir, rendre sourdes.


RENDRE (v. act.) La signification qu’a ce mot dans le langage de la peinture, ne laisse pas apercevoir au premier moment sa liaison avec le sens le plus ordinaire ; mais elle : est sensible, dés qu’on y réfléchit. Rendre dans la langue générale, vent dire restituer : rendre lorsqu’il s’agit de dessiner, ou de peindre, signifie représenter exactement. On pourroit penser que ce qu’il y a de figuré dans ce terme applique aux arts, est emprunté de l’effet du miroir, auquel il semble qu’on confie ou qu’on donne les objets qu’on lui présente, dans l’intention qu’il les rende par la représentation.

Au reste, on doit penser que le sens figuré de ce mot à toujours rapport à une sorte de restitution.


En effet si l’on dit d’un homme qu’il rend bien un fait donc il a été témoin, un entend qu’il restitue exactement ce qui lui a été confié par l’organe de la vue. Cet acteur rend bien son rôle, veut dire qu’il restitue comme il le doit, ce qui a été confié à sa mémoire & à son intelligence. Enfin on dit d’une cloche ou d’un instrument de musique qu’il rend un beau son, c’est-à-dire, le son dont l’art des dimensions & l’habileté de l’ouvrier l’a rendu dépositaire, ou si l’on parle de celui qui en fait usage, on entend qu’il rend le beau son qu’on exige de son habileté.

Par un sens plus particulièrement adapté à la peinture, on dit aussi, cet objet est rendu ; on veut dire qu’il est rendu par l’habileté de l’artiste aussi parfaitement qu’on l’exige : & cette acception rentre dans celle dont j’ai parlé.

Lors donc qu’un article peint, lorsqu’il imite, il le charge en quelque façon d’une dette ; il contracte l’obligation de satisfaire les yeux, l’esprit & la raison de ceux à qui il destine ses ouvrages. Que de débiteurs peu exacts à rendre ce qu’on exige d’eux !

(Article de M. Watelet.)


REPENTIR (subst. masc.) Ce terme est un de ceux qui, appliquables à l’art, ne sont employés cependant que par les peintres. Son usage est d’exprimer quelque changement visible qu’un auteur a fait dans son tableau. Il arrive quelquefois que le premier objet qu’il a peint, & qu’il s’est repenti d’avoir fait, n’étant recouvert que d’une couleur légère, pousse au bout d’un certain temps, ou, pour parler en d’autres termes, que la première couleur qui exprimoit cet objet, venant à percer au travers de la seconde couleur dont elle a été couverte, se laisse appercevoir par les yeux exercés : en ce cas là on dit, c’est un repentir, voici un repentir, &c.

Pour indiquer à nos lecteurs des exemples très connus de ce qu’on appelle un repentir, nous citerons deux ouvrages très-distingués de Restout, père de l’artiste qui existe aujourd’hui. L’un dans le tableau de l’église de Saint-Martin-des-Champs à Paris, représentant la Piscine miraculeuse ; l’autre, dans la mort de Saint-François placé à Rouen chez les Capucins, & l’un des meilleurs ouvrages de ce maître. Ces repentirs consistent en des bras d’anges qui se trouvent dans le haut de ces tableaux, & qui s’appercoivent encore sous les nuages dont cependant ils l’ont recouverts.

(Article de M. Robin.)


REPETITION (subst. fem.) On recommande aux, artistes d’éviter la répetition, des mêmes attitudes, des même gestes, des mêmes mouvements. C’est leur recommander d’imiter la nature ; elle est si variée que, dans un grand nombre de personnes, elle en montrera rarement deux qui, dans un même instant, soient dans une position semblable d’aucune de leurs parties. Elle porte à cet égard, comme à tous les autres, la diversité au point de faire le désespoir de l’art.

« Il est cependant quelquefois, dit Dandré Bardon, d’élégantes répétitions de gestes, de mouvemens, de regards, qui produisent des effets merveilleux, quand elles sont adapetées à des personnages qui ont une même intention, un même intérêt, & qui sont agités de la même passion. C’est ainsi que Raphaël a représenté, dans son Héliodore, un grouppe de plusieurs femmes qui, par des démonstrations uniformes, tendent à l’expression d’un même sentiment. C’est dans la même vue que le Poussin a retracé deux Israëlites dans une même attitude, cueillant l’un & l’autre la manne avec la même avidité. »

REPOS. (subst. masc.) Repos, lorsqu’on parle de peinture, désigne certaines parties de la composition d’un tableau qui semblent tranquilliser la vue.

Cette expression figurée, est tirée de l’opposition du repos physique avec le mouvement.

Le bruit de plusieurs objets fatigue l’oreille ; quelques momens de silence la reposent. Il en est de même de la vue, & dans les tableaux qui offrent l’image du mouvement, & rapellent quelquefois l’idée même du bruit, il est nécessaire de rappeler aussi ou de procurer effectivement du repos à la vue & à l’esprit.

Il faut donc que le peintre dispose dans ses compositions des repos, c’est-à-dire, des parties sur lesquelles les regards & l’attention se trouvent moins occupés Un appelle cela ménager des repos.

Ce principe, tiré de la nature, & qui appartient à son systême comme besoin, est par là, tout aussi nécessaire dans les arts qui ont pour but de l’imiter.

On peut dire figurément que i’esprit & les sens, tantôt te fatiguent & tantôt se reposent. Le succès des arts qui se chargent, en captivant l’esprit & les sens, les conduire à leur gré, veut donc que l’exercice qu’ils leurs donnent, leur soit agréable & que, s’ils les fatiguent quelques momens, ils les reposent ensuite autant qu’il est nécessaire pour qu’ils ne soient ni excédés ni rebutés.

De là naît, par développement, la nécessité d’une proportion entre les repos & les occupations.

Un poëme qui seroit continuellement animé, pathétique, touchant, fatigueroit le lecteur ; une composition théatrale, ou les personnages deroit le spectateur. Une musique sans cesse travaillée ou bruyante, charge & penible à l’oreille ; fin tableau qu’une action compliquée occuperoit tout entier & où les acteurs seroient accumulés, ne seroit pas du goût de ceux qui auroient compté sur un plaisir moins fatiguant, en venant le considérer. La raison établit donc la loi des repos dans les arts, & la raison occupée de leurs succés, veut que les repos soient ménagés & gradués, s’il est possible.

Aussi, dans les poëmes & les drames qui représentent une succession d’instans, les repos doivent être moins prolongés en approchant du terme, surtout lorsqu’on a fait naître un désir vif d’y arriver,

Dans la peinture où il ne peut être question que d’un instant & où l’unité doit être rendue physiquement visible, le repos doivent être ménages de manière à designer aux regards leur route & à les arrêter ; car les regards ont la mobilité dont manque la peinture. Dans les tableaux, l’intérêt ne peut qu’attendre & appeller ; dans les ouvrages de quelque autres arts, il marche & entraine avec lui.

Je ne suivrai pas plus loin ces rapprochemens qui m’entraîneroient à mon tour plus loin peut-être que je ne dois aller. Je me contenterai d’ajouter que dans la peinture, les repos ont lieu par les masses ou par les fonds. J’entends par masses, principalement celles de clair-obscur, c’est-à-dire, des lumières harmonieuses étendues ou des ombres élargies. Par fonds, j’entends une union ou assemblage de couleurs douces, aëriennes, si bien mariées & si bien fondues que le regard s’y complaît, s’y repose, & que les objets qui doivent leur faire opposition, en deviennent plus brillans.

C’est donc par le raisonnement qu’on apperçoit la nécessité des repos. C’est du raisonnement qu’on apprend à les placer, & c’est l’étude du clair-obscur & de l’harmonie qui en fournit les moyens. Le repos est une partie de l’art qui appartient à l’effet. On donne du repos à un ouvrage en étendant les masses, en eteignant des lumières trop pétillantes, en salissant des couleurs qui ont trop d’éclat. Quand un tableau est bien d’accord, quand il est harmonieux, il a le repos nécessaire.

(Article de M. Watelet.)

Repos. Deux principes rendent le repos nécessaire dans les ouvrages de l’art : l’un est l’unité d’intérêt, l’autre est l’harmonie.

Pour que la vue & l’attention du spectateur, que la partie capitale de la composition doit seule intéresser, ne soient pas distraites par les parties subordonnées, il faut que celles-ci soient & le laissent dans un état de repos, & que la première ait seule le droit de l’appeller & de le fixer.

Pour que l’ouvrage soit harmonieux, il ne faut pas que des parties brillantes, dispersées çà & là, se disputent entr’elles & détruilent l’accord qui constitue un tout-ensemble.

« La vue trouve de la tranquillité & du repos dans un tableau, dit Mengs, quand il n’y règne point de confusion, & lorsqu’il y a une bonne entente & une juste dégradation de couleurs locales & de clair-obscur ; de manière que l’œil & l’esprit puissent saisir avec facilité l’idée de l’article. Un tableau dont le peintre aura épuisé tout le sujet, & qu’il aura chargé de trop d’objets, ou bien dont il aura mal disposé les couleurs locales, pour lui donner de la variété, fera un effet contraire au repos dont nous parlons, »

Mengs fait ici un seul vice de la confusion & du manque de repos : mais quoiqu’une ordonnance confuse puisse & doive même nuire au repos, on applique spécialement ce mot à l’effet. Ainsi dans la langue ordinaire de l’art, le repos consiste dans l’accord des tons & des couleurs, & dans la distribution intelligente des lumières & des ombres. Il pourroit donc y avoir du repos dans un ouvrage avec de la confusion dans l’ordonnance.

C’est dans le sens que nous donnons au mot repos, qu’il a été employé par le poëte législateur de la peinture :

Sintque ita discreti inter se ratione colorum,
Luminis, umbraumque anteorsum, ut corpora clara
Obscura umbrarum requies, spectanda relinquat.

Du Fresnoy, de art graph. v. 282.

« Après de grands clairs, dit de Piles en commentant ces vers, il faut de grandes ombres qu’on appelle des repos, parce que la vue seroit effectivement fatiguée, si elle étoit continuellement attirée par une continuité d’objets pétillans. Ces repos se font de deux manières, dont l’une est naturelle, & l’autre artificielle. La naturelle se fait par une étendue de clairs ou d’ombres qui suivent naturellement & nécessairement les corps solides, ou les masses de plusieurs figures grouppées, lorsque le jour vient à frapper : l’artificielle consiste dans les corps des couleurs que le peintre donne à de certaines choses telles qu’il lui plaît, les composant de telle sorte qu’elles ne fassent point de tort aux objets qui sont auprès d’elles. Une drapperie, par exemple, que l’on aura


fait jaune ou rouge en certain endroit, pourra, être dans un autre de couleur brune, & y conviendra mieux pour produire l’effet que l’on demande. On doit prendre occasion, autant qu’il est possible, de se servir de la première manière, & de trouver les repos dont nous parlons par le clair ou par l’ombre qui accompagnent naturellement les corps solides : mais comme les sujets que l’on traite ne sont pas toujours favorables pour disposer des figures ainsi qu’on le voudroit bien, on peut, en ce cas, prendre son avantage par le corps des couleurs, & mettre, dans les endroits qui doivent être obscurs, des drapperies ou d’autres objets que l’on peut supposer être naturellement bruns ou salis, lesquels vous feront le même effet, & vous donneront les mêmes repos que les ombres qui n’ont pu être causées par la disposition des objets. »

Ce seroit un grand vice, tant contre le repos que contre la vérité, d’employer deux jours égaux : c’en seroit un encore d’employer deux couleurs égales, soit qu’elles fussent tendres ou fiéres. Il doit toujours y avoir une couleur principale qui domine sensiblement toutes les autres. (L)


REPOUSSOIR (subst. masc.) On a vu longtemps les peintres affecter de placer sur le premier plan, & sur les bords de leurs tableaux, des masses d’ombres obscures qu’on appelloit des repoussoirs, comme si l’on eût voulu faire sentir, dit Dandré Bardon, qu’elles n’étoient que des ressources manièrées démenties par la nature. On leur avoit donné ce nom, qui commençoit à faire partie de la langue de l’art, parce qu’on les croyoit nécessaires pour repousser les objets des aunes plans. Sans doute la peinture a ses illusions ; mais elles ne doivent pas aller jusqu’à contrarier la nature, & elles ne sont permises que pour rendre le mensonge de l’art plus ressemblant à la vérité. Dans le temps de cette mode, les connoisseurs, c’est-à-dire, les hommes qui tâchent d’écouter ce que disent les artistes, pour se faire un jargon qui annonce des connoissances, ne manquoient pas d’approuver les repoussoirs, & se moquaient des bonnes gens qui demandoient pourquoi les peintres mettoient des figures de Nègres dans les coins de leurs tableaux. C’étoit cependant ces bonnes gens qui avaient raison, les artistes étoient égarés par une fausse pratique, & les connoisseurs égarés par les artistes, ne savoient ce qu’ils disoient ; ce qui n’est pas rare aux connoisseurs dans tous les genres.

Tout homme peut s’assurer par ses propres yeux que les ombres ne sont pas tout à fait obscures : elles sont éclairées par des particules de lumière dont l'air est chargé ; elles le sont par des lumières de reflet, & ne paroissent sombres que par comparaison avec des parties plus lumineuses. Elles deviennent même claires, si l'on cache ces parties. Plus on est près des objets ombrés, & moins ils sont obscurs, parce que les rayons qui apportent dans l'oeil l'image de ces objets ont eu moins de chemin à parcourir, & parce qu'il se trouve entre l'oeil & ces objets une moindre quantité de lumière dont l'oeil soit ébloui. Pour que le tableau soit une représentation de la nature il faut qu'on y distingue nettement, même dans l'ombre, les objets des premiers plans, & que le peintre ne prête pas à la lumière du jour un effet qui ne peut convenir qu'à celle de la lune. Un homme qui se trouve dans la rue du côté éclairé par le soleil, voit très-distinctement tous les objets qui sont de l'autre côté dans l'ombre.

Comme les modes passées peuvent renaître, quelqu'absurdes qu'elles soient, il est bon de s'opposer au retour de celle des repoussoirs. Nous croyons donc qu'il n'est pas inutile de rapporter ici, du moins en substance, ce que M. Cochin a écrit contre cette convention ridicule. Il n'a fait, comme il l'avoue lui-même, que répéter ce qu'il avoit appris de l'Argillière, savant élève d'une école coloriste.

Il pose pour principe que, les ombres les plus fortes en obscurité ne doivent pas être sur les devants du tableau ; qu'au contraire les ombres des objets qui sont sut ce premier plan doivent être tendres & reflétées, & que les ombres les plus fortes & les plus obscures doivent être aux objets qui sont sur le second plan.

Il avertit que, dans cette règle, il fait abstraction des couleurs particulières de chaque objet, & qu'en disant qu'une ombre est plus forte qu'une autre, il n'entend pas qu'elle soit plus forte de couleur, mais seulement plus forte d'obscurité.

Il donne, pour démonstration de son principe, l'exemple d'une muraille fuyante, ombrée dans toute sa longueur, & portant aussi, dans toute sa longueur, une ombre sur le terein : il affirme, ce qui s'accorde avec la vérité dont chacun peut juger par soi-même, que ces ombres, en s'éloignant jusqu'à une assez grande distance, augmentent sensiblement d'obscurité. On peut faire la même démonstration dans une allée d'arbres, ou dans une galerie ornée de statues qu'il faut alors regarder en se plaçant de manière que la première se détache sur la seconde & ainsi de suite. Des rangs de colonnes successives offrent le même phénomene : l'ombre de la première se détache en clair sur l'ombre de la seconde ; celle-ci est plus tendre que celle de


la troisième, & ainsi de toutes les autres, jusqu'à une distance assez grande ; alors à cette gradation succède une dégradation semblable, c'est à-dire que les ombres s'affoiblissent en s'éloignant.

Il faut observer que des personnes prévenues du principe contraire pourroient ne pas appercevoir bien sensiblement cet effet & en nier l'existence, si on vouloit le leur démontrer sur des objets qui eussent peu de distance entr'eux. On doit donc choisir, pour cette démonstration, des vues d'une assez grande étendue.

Ajoutez que des personnes qui auroient la vue trop courte ne seroient pas propres à recevoir cette démonstration. L'ombre la plus forte pour eux seroit à une distance si voisine, qu'elles n'appercevroient pas sensiblement la dégradation qui se trouveroit entre cette ombre & celle d'un objet plus prochain. M. Cochin, pour les convaincre, entre dans des détails sur le mécanisme de la lumière.

« 1° Nous ne voyons, dit-il, la couleur & la forme des objets de la nature, que par la reflexion de la lumière qui les frappe, qui se refléchit, & qui vient en peindre une image au fond de nos yeux. Ainsi, dans la privation de toute lumière, quoique les objets existent autour de nous, nous ne les voyons point ; & ce ne peut être que parce qu'ils ne nous renvoyent point de rayons de lumière qui nous les peignent. »

« 2° C'est la plus ou moins grande quantité de ces rayons, & la force plus ou moins grande avec laquelle ils frappent nos yeux, qui produit en nous la sensation de lumière plus ou moins vive. Ainsi la diminution de la lumière détruit la netteté & l'éclat dus images qu'elle peint à nos yeux. »

« 3° L'action des rayons de la lumiere s'affoiblit par la distance qu'elle a à parcourir. Un flambeau, à une distance très-éloignée, ne nous paroît pas aussi brillant que lorsqu'il est proche. »

« 4° La lumière perd considérablement de sa force, à chaque fois qu'elle se refléchit, ce qui fait que, quoique nous voyons très-distinctement une lumière très-éloignée de nous, nous ne voyons pas néantmoins les objets qu'elle éclaire autour d'elle, parce que les rayons de lumière que ces objets refléchissent ne peuvent point arriver jusqu'à nous, ou ils y arrivent si foibles, qu'ils ne peuvent affecter nos yeux d'une manière qui nous soit sensible. Or ce qui est vrai d'une lumière telle que celle d'un flambeau, est égaiement vrai de celle du soleil, quoique dans une proportion différente. »

« On peut, continue M. Cochin, comparer l'action de la lumière, au mouvement d'une balle de billard qui, étant pousse, va frapper une bande, qui la renvoye contre une autre, d'où elle est encore renvoyée contre une troisième. Chaque fois qu'elle est renvoyée par quelque bande, elle perd de sa force, tant qu'enfin elle s'arrête d'elle-même quoiqu'elle n'ait pas parcouru, à beaucoup près, un chemin aussi long qu'elle auroit fait, si elle n'avoit rencontre aucun obstacle. La réflexion de la lumière a cependant cette différence, qu'un feul rayon de lumière, quelque délié qu'on le suppose, doit être regardé comme une gerbe de rayons qui, en se réfléchissant, sont renvoyés à la ronde. »

Ici M. Cochin reprend l'exemple de la muraille qu'il a déjà employé. Le terrein sur lequel elle s'élève réflechit, en tous sens, des rayons dont une partie vient le peindre à nos yeux sous une image vive & brillante, parce qu'ils n'ont souffert qu'une première réflexion. Une autre partie de ces rayons frappe la muraille & l'éclaire de ce qu'on appelle lumière de reflet. Ces rayons réflechi une fois contre la muraille, en rejaillissent, & viennent la peindre à nos yeux, sans quoi nous la verrions parfaitement obscure. Comme ces rayons ont subi deux réflexions, la première du terrein sur la muraille, la seconde de la muraille à nos yeux, ils se sont affoiblis : d'où il arrive que nous voyons la muraille pli ; obscure que le terrein, dont l'image est parvenue à nos yeux par une seule réflexion.

Une partie des rayons qui sont réflechis par la muraille, tombe sur le terrein ombré, & n'apporte à nos yeux l'image de ce terrein que par une troisième réflexion : ainsi ce terrein nous paroît plus obscur que la muraille dont l'image nous est venue par une seconde réflexion. Tel est le principe physique de cette règle du clair-obscur que l'ombre portée est toujours plus forte que l'ombre du corps qui la porte.

L'ombre de la muraille, & celle qu'elle porte sur le terrein, ne recevant qu'une lumière réflechie deux ou trois fois, parviendroit à nos yeux encore plus obscure s'il ne s'y joignoit pas une lumière qui nage dans toute la masse de l'air, & qui nous arrive par une première réflexion.

Mais puisque la lumière s'affaiblit par la distance qu'elle parcourt, les rayons qui viennent des parties de la muraille les moins éloignées de l'oeil, ont plus de force que ceux qui viennent des parties plus distantes ; car les rayons qui apportent dans nos yeux l'image de ces parties, tant ceux qui ont été reflechis par le terrein, que ceux dont l'air est impregné, ont subi un plus grand affoiblissement dans la route plus longue qu'ils ont parcourue. Ainsi


les objets ombrés qui sont loin de nos yeux ; y sont peints très-obscurs, par masses, & sans aucun reflet, & par conséquent plus noirs que les objets moins éloignés.

Il semble qu'on devroit inférer de ce principe, que les ombres augmentant de force en proportion de leur éloignement ; celles qui sont les plus voisines de l'horizon sont en même temps les plus obscures. Il arrive cependant, au contraire, que les objets très-éloignés n'ont que des ombres très-foibles, parce qu'elles sont exténuées par la masse épaisse de toutes les vapeurs qui sont entre ces objets & nos yeux.

Il est donc certain qu'il est un point jusqu'où les ombres vont toujours croissant d'obscurité, & après lequel elles diminuent toujours de force. On ne peut fixer de point qui varie suivant la quantité de vapeurs dont l'air est chargé. Il est fort éloigné, lorsque l'air est très-pur, comme dans les beaux jours d'été ; il se rapproche considérablement quand l'air est plus vaporeux, comme il arrive même dans de fort beaux jours d'autonne.

On ne peut contester au peintre le droit de choisir, pour éclairer son tableau, un air très-pur ou un air nébuleux : mais il est rigoureusement obligé de rendre la forte de jour dont il a fait choix avec toutes les circonstances qui l'accompagnent. S'il suppose l'air chargé de vapeurs, il doit représenter les objets du fond, même peu éloignés, comme au travers d'une espèce de brouillard ; s'il les peint distincts & formés, qu'il se soumette à la loi inviolable que suit la lumière dans les jours sereins. D'ailleurs comment imaginer d'épaisses vapeurs entre des grouppes qu'on ne suppose le plus souvent éloignés les uns des autres que de cinq à six pieds ?

Il se présente des circonstances dans les quelles les effets de la nature ne s'accordent pas avec les principes que l'on vient d'établir. « si par exemple, on considère un berceau d'arbres, ou l'intérieur d'un bâtiment voisin & ombré, dans lequel la lumière qui vient de tout le ciel ne puisse entrer, & qu'après cette partie ombrée & prochaine, il se trouve un plan vuide qui reçoit une grande lumière, alors ces ombres voisines paroîtront les plus fortes, & sembleront même plus obscures qu'elles ne le sont en effet, & les ombres des objets qui sont au de là du plan lumineux se montreront plus foibles, quoi qu'elles ne soient pas éloignées. » C'est que la quantité de rayons renvoyés par le plan vivement éclairé nous éblouit, & qu'une impulsion violente en détruit une plus foible.

M. Cochin suppose encore le spectateur placé dans une chambre à l'endroit le plus éloigné de la fenêtre. « S'il considère de sa, dit-il, les ombres reflétées qui sont plus près de la fenêtre, il arrive que ces ombres, qui sont plus éloignées de lui, sont plus reflétées que les autres ; mais c’est parce que la lumière ne parvient pas également jusqu’au fond de la chambre ; elle est plus forte près de la fenêtre, & les reflets qu’elle envoye sont plus clairs aux endroits où elle a plus de force. » Mais si. l’on se place de manière qu’on ait la fenêtre de côté, on verra reparaître l’esset des devans plus refletés que les fonds.

Il se trouve quelquefois, mais rarement, dans les objets du premier plan, des ombres, ou plutôt des touches, qui ont plus de force que les ombres éloignées. Ce sont des effets qu’on peut se procurer quand ils semblent nécessaires ; mais it faut observer que ces touches ne se trouvent que dans des enfoncemens qui ne peuvent recevoir ni la lumiere immédiate du ciel, ni celle que refletent les objets environnans.

« Dans tout ce que j’ai dit, ajoute M. Cochin, j’ai fait abstraction de toutes les couleurs locales, & j’ai considéré tous les objets de la nature comme s’ils n’en avoient qu’une seule, parce qu’il y a quantité de cas particuliers qui résultent de la différence des couleurs, quoiqu’ils soient cependant toujours soumis à la loi générale ; seulement elle est moins sensible alors. Les couleurs les plus claires réfléchissent plus de rayons, & les couleurs brunes en réfléchissent d’autant moins qu’ell’s sont plus foncées. Si les couleurs brunes se trouvent sur le second plan du tableau, leurs ombres seront encore plus obscures qu’elles ne le seroient ; ainsi l’effet dont je parle des ombres éloignées plus fortes en deviendra encore plus sensible. Si au contraire les couleurs les plus brunes sont sur le devant du tableau, & que les objets qui sont sur le second plan soient de couleurs claires, alors il arrivera que les ombres les plus fortes du tableau seront sur to devant, par cette raison de la diversité des couleurs : mais le principe subsiste également. Les couleurs locales claires, qui sont sur le second plan, auront toujours des ombres plus obscures qu’elles n’en auroient eu, si elles se fussent trouvées sur le devant, & les couleurs brunes, qui sont sur-le devant, auront des ombres plus refletées qu’elles n’en auroient eu, si elles se fussent trouvées sur un plan plus éloigné. »

M. Cochin n’auroit pas besoin de cherche dans les ouvrages de l’art des exemples qui autorisent une théorie démontrée dans la nature : il l’appuye cependant sur la partique constante de l’aul Véronèse. « Dans tous les tableaux dit-il, que j’ai vus de ce maître a Venise


j’ai toujours remarqué quo les grouppes du devant du tableau sont traites de reflet. Les touches même qui s’y trouvent sont plus foibles que les ombres des grouppes qui sont sur le second plan. Le Guide a suivi cette règle dans plusieurs de ses tableaux ; je ne dirai pis dans tous, car je ne les ai pas tous examinés dans cette idée. »

Notre artiste entre dans le détail des avantages que doit procurer à l’art l’observation de principe. La plus grande force les ombres étant rejettée sur un plan plus reculé, donnera plus d’étendue à la perspective aërienne, puisque l’on comptera plusieurs plans avant d’arriver à l’ombre la plus forte, & qu’ensuite il estera un grand nombre de plans de dégradation, au lieu que dans la pratique contraire, passe à la dégradation en partant du premier plan. D’ailleurs l’œil n’aura pas l’embarras de tous, ces trous de noir, de toutes ces touches qui troublent le repos, parce que le ombres les plus fortes étant éloignées, offriront des bruns en grandes masses & sans touches, & que les reflets rendront celles du devant médiocrement sensibles. Enfin on évitera de faire des tableaux noirs, & cependant on pourra les faire vigoureux.

Et il ne faut pas craindre que les premiers plans du tableau ne se tirent pas assez en avant : car it n’est pas ici question des couleurs particulières de chaque objet. Quoique les ombres soient tendres, ces couleurs peuvent n’être point foibles : elles auront au contraire d’autant plus de vivacité qu’elles seront plus voisines de l’œil.

Il n’en est pas de même quand on est réduit au noir & au blanc, comme dans la gravure : on est quelquefois obligé de tirer les premiers plans de dessus leurs fonds par quelques touches on quelqucs contours. Mais cet inconvénient de la gravure, & du monochrome en général, ne peut empêcher la peinture de mettre à profit tous ses avantages.

(Article extrait de M. Cochin).

RÉSOLU, RÉSOLUTION (adj.), (subst fem.) La résolution dans l’art est, comme dans tout, une qualité contraire à l’indécision. Elle s’applique le plus ordinairement aux effets du clair-obscur, à l’expression des formes au choix des attitudes, & enfin au méchanisme de l’art.

Par rapport au choix des lumières & des ombres dans on tableau, dans une estampe, & dans on dessin, ce qui est résolu répond au partito des Italiens. Nous rendons aussi, ce mot en françois par parti ; un ouvrage d’un grand, d’un beau parti, ont une signification à peu-prés égale avec le mot résolu.

Un ouvrage d’un effet résolu est celui donc les masses fièrement exprimées accusent d’une manière bien décidée, celles qui sont brunes & celles qui sont claires. Le Caravage, le Titien, surtout dans sont beau tableau de l’Eglise Saint-Jean à Venise, Lahire dans celui où Saint-Paul est renversé, le Tintoret, Jouvenet dans presque tous leurs ouvrages offrent des exemples remarquables de la résolution dans les effets.

Les grands dessinateurs ont presque tous été résolus dans le choix des attitudes, & dans la manière de rendre les contours. Mais les modèles les plus frappans de la résolution des formes, sont les ouvrages distingués des sculpteurs antiques. Parmi la multitude de leurs chefs-d’œuvre, il faut citer l’Hercule Farnese, l’Hercule Commode, le jeune Faune, l’Antinoüs & surtout les Lutteurs & le Gladiateur dont la vue seule inspire le goût de la résolution.

Quant à ce qui caractérise un pinceau résolu, c’est celui qui, partant d’une main decidée, d’un jugement prompt, d’un caractère ardent, exprime avec fermeté tout ce qu’un homme savant aura conçu. Mais ce qu’on appelle ici un pinceau résolu n’est jamais la suite de la recherche d’un auteur : la touche part involontairement de son pinceau comme de son esprit.

Nous avons démontré dans le mot pinceau que si la fermeté ou la resolution de la touche étoit l’effet d’une convention d’école, ou de la seule adresse de la main, plutôt que le résultat du savoir, cette sorte de mérite dégénéroit alors en manière affectée, & n’étoit pas digne de l’estime de l’homme instruit.

Les peintres qu’on peut citer pour la résolution de pinceau sont en grand nombre, parce que, si l’on en excepte les manières très-fondues, le savoir a ordinairement une expression vive & résolue. Les plus, remarquables dans les-différentes écoles & dans les différens genres, sont le Giorgion, Tempesta, le Caravage, Ribera, Velasquez, Carle du Jardin, Jean Méel, Lahyre & Jouvenet. Nous ferons remarquer que les artistes résolus dans leur exécution, le sont aussi dans les autres parties de l’art, parce que ce talent part de la même trempe d’esprit & de goût qui produit des succès de même sorte dans l’effet & dans le dessin. (Article de M. Robin).

RESSEMBLANCE (subst. fem) Plusieurs figures dans un même ouvrage, ne doivent pas se ressembler. Il ne suffit pas que les traits du visage ne soient pas ressemblans ; il faut marquer une diversité sensible dans toutes les parties, sans quoi l’art témoigneroit son impuissance de lutter contre la richesse & la variété de la nature. Il seroit aussi difficile de ouver dans la sature deux personnes qui


eussent la même conformation, les mêmes habitudes corporelles, le même geste, le même maintien, que d’en trouver deux qui eussent le même visage. Les artistes ne pécheroient jamais contre cette diversité, s’ils étoient précis, & s’ils changoient de modèle à chaque figure. Un maître peut leur servir d’exemple à cet égard, & c’est encore ce même Raphaël qu’on peut leur offrir pour exemple dans tant d’autres parties.

Quand, dans une suite de tableaux du même maître, le même personnage doit le reproduire, il est de la convenance qu’il se ressemble toujours à lui-même, & qu’on observe seulement dans les différentes représentations de ce personnage, les changemens que l’âge doit apporter. Dans une galerie qui représenteroit les aventures d’Ulysse, Ulysse devroit toujours être reconnu, excepté quand ses traits ont été changés par Minerve.

Il y a des peintres qui répetent toujours la même tête, ou du moins des têtes toujours ressemblantes entr’elles dans tous leur tableaux : il semble qu’ils ne peignent que l’histoire d’une seule famille. C’est publier leur négligence à varier leurs modèles, ou, plus souvent encore, c’est apprendre au public qu’ils n’en consultant aucun. (L)

RESSENTI, (adject.) On dit, ce modèle a des formes ressenties ; le dessin d’Annibal Carrache est ressenti, &c.

La signification de cet adjectif est fort circonscrite, & n’est guere applicable que dans les exemples que nous venons de donner. Nous n’avons donc qu’à expliquer quel est le vrai caractère des ouvrages de’l’art, ou des corps naturels auxquels on peut donner l’épithète ressenti.

Les entrelacemens & les liaisons qui existent entre les organes du mouvement, & la peau qui les recouvre, sont les causes de l’erreur des yeux peu exercés à les considérer.

Ainsi quand un jeune élève commence à copier le corps humaine il n’apperçoit pas les impressions musculaires. Les contours extérieurs qu’il voudroit imiter lui paroissent dénués, de formes, & le trait de son dessin est conforme à cette première manière de voir la nature. A peine les plus gros muscles y sont-ils indiqués.

Cependant à mesure qu’il s’exerce soit d’après nature, soit d’après les statues antiques, il prend l’habitude de comparer les formes entr’elles & il les fait sentir dans son ouvrage.

Si ensuite devenu homme, il a un efprit ardent, il s’échauffe aifement dans l’étude de ses modèles, & s’il a bien étudié les proportions, les mouvemens & les places des muscles, il les rend avec sentiment, il prononce toutes les formes avec énergie, & produit ce qu’on appelle un dessin ressenti.

On reconnoît ce genre de mérite dans les traits de Michel-Ange, de Tibaldi, des Carraches, du Galabrese, de Jouvenet & de beaucoup d’autres.

La nature montre partout des formes, mais elles ne sont pas toujours ressenties. Les femmes, les enfans, les hommes d’une éducation ménagée & d’une profession délicate, n’offrent que des muscles doux, & des transitions fines ; mais les hommes exercés à des travaux pénibles, ou qui sont nés robustes, montrent un contour ressenti ; on remarque même que les membres les plus spécialement chargés du genre de travail auxquels les hommes s’occupent, ont les formes musculaires les plus ressenties.

Les observateurs judicieux de la nature, ceux qui ont cru devoir la représenter avec les variétés dont elle est susceptible, nous ont montré que l’on ne devoir pas exclusivement affecter les formes ressenties ; & c’est avec raison qu’un dessinateur universellement ressenti doit être regardé comme un article maniéré.

Les chefs-d’œuvres de l’antique sont des exemples fort sensibles de la diversité que l’art peut employer pour exprimer les natures diverses. C’est ainsi que l’Hercule Farnese, les Lutteurs ont des formes ressenties ; qu’elles sont au contraire douces & fines dans l’Antinoüs, & l’Apollon du Belvédère ; enfin qu’elles ont des transitions presqu’imperceptibles dans la Vénus & dans l’Hermaphrodite.

Raphaël est peut-être le seul peintre a citer pour la précision & la variété des formes à adopter dans les différentes figures : il s’est presque toujours montré le maître de subordonner la nature aux sujets, & il la dessinoit tantôt fine tantôt ressentie, selon l’espèce d’objets qu’il avoit à présenter aux yeux.

(Article de M. Robin.)

RESSORT, (subst. masc.) Ce mot, qui appartient à la physique & à la mécanique, est quelquefois ; employé métaphoriquement pour exprimer l’action, le mouvement d’une composition pittoresque. On dit qu’une composition a du ressort pour signifier qu’elle a de l’action : si elle est froide & sans vie, on dit qu’elle manque de ressort. On soupçonne que les peintres de l’antiquité n’ont pas connu le ressort, de la grande machine pittoresque, & je le crois : mais je crois aussi qu’ils ont connu au plus haut dégré des parties de l’art encore supérieures, telles que la beauté, le caractère & l’expression. Comme il est vraisemblable qu’ils ont traité rarement des sujets pro-


pres à la grande machine, & qui exigeassent un grand ressort, on ne peut guère leur reprocher d’avoir peu connu une partie de l’art qui ne convenoit point aux sujets qu’ils se plaisoient à choisir.

Ces idées de grand mouvement, de ressort, de grande machine, qui sont entrées dans la tête des modernes, ont fait à l’art plus de tort qu’on ne pense : de là sont venus les mouvemens exagérés, les imaginations folles, les expressions outrées, les compositions tourmentées. Tous les artisles ont voulu se distinguer par la chaleur, & ceux que la nature avoit destinés à la sagesse, se piquant de répandre à froid beaucoup de mouvement dans leurs ouvrages, n’ont fait qu’augmenter le troupeau servile des imitations. Imitatores servum pecus. Il y auroit bien peu d’hommes qui cultivassent les arts sans succès, si chacun savoit connoître & choisir le genre qui lui convient.

La plus froide sagesse peut mériter & obtenir des applaudissemens, & la folie elle-même ne manque pas d’agrémens quand elle n’est pas déplacée. Dulce est insanire in loco. Je ne crois pas que Michel-Ange, Raphaël, le Dominiquin, aient connu les mots de ressort & de grande machine, comme termes de leur art ; quoique le premier eût dans l’ame un terrible ressort, & que tous aient traité ce qu’on appelle des sujets de grande machine. Ces expressions sont nées avec les machinisti, les pittori di machine, les Cortone, les Solimene, les Corrado &c.

Il semble que, dès le quinzième siècle, Léon Alberti ait prévu le règne des peintres machinistes. « Je blâme assurément, dit-il, les peintres qui, pour paroître fertiles, & pour ne pas laisser d’espace vuide dans leurs ouvrages, ne suivent aucune règle dans leurs compositions, & placent tout au hasard & sans ordre, de sorte que leurs productions ne présentent aucun sujet déterminé & ne sont qu’un tumulte confus ; tandis que celui qui veut mettre de la dignité dans l’histoire, doit chercher surtout la simplicité. En effet, comme un prince montre de la majesté en exprimant ses volontés en peu de paroles, mais avec assez d’autorité pour que ses ordres soient remplis, de même un tableau d’histoire augmente en dignité quand il n’offre que le nombre requis de figures, & cette variété limitée lui donne de la grace. Je hais la solitude dans les sujets d’histoire ; mais je suis loin aussi d’approuver cette abondance qui nuit à la dignité ; & j’aime beaucoup mieux trouver dans ces fortes de tableaux ce que je vois observé par les poëtes tragiques & comiques, qui, pour représenter leur sujet, n’employent que le moins de personnages qu’il leur est possible. (L) »

RETOUCHER, RETOUCHE, (v. act.), (subst. fem.) J’expliquerai bientôt ce que signifie dans la peinture le mot touche. Les mots dont il est question dans cet article, ne sembleroient en être qu’une réduplication ; mais ils ont une signification plus générale & différente à quelques égards. La touche, comme je le dirai, est un signe d’expression. La retouche & retoucher expriment le soin que se donne un peintre en retravaillant à son ouvrage. Ges mots signifient encore le soin que prend un professeur ou un maître à corriger les ouvrages ou les études de ses élèves ; enfin on dit d’un homme habile ou ignorant, qui fait profession de réparer les tableaux endommagés, qu’il les retouche, c’est-à-dire, qu’il place de la couleur où il n’en manque & quelquefois même où il n’en manque pas.

Lorsqu’un artiste modeste & convaincu de la nécessité d’atteindre à la perfection, dit : « je veux retoucher mon ouvrage, j’y vois des négligences ; » il se sert de ce mot dans le sens dans lequel Boileau employoit le mot repolir en disant :

Vingt sois sur le métier remettez votre ouvrage ;
Polissez-le cent fois & le repolissez.

Jobserverai, à l’occasion de ce précepte si juste en général, qu’il a cependant quelques inconvéniens lorsqu’on l’applique à la peinture. Car si quelquefois le style poli & repoli d’un écrivain fait sentir la peine qu’un ya prisé, si l’on s’apperçoit même de cette peine en quelques endroits de l’auteur immortel que j’ai cité, la peinture d’un tableau trop retouché rend un témoignage physique, & par là bien plus sensible, du soin laborieux de l’attiste ; la couleur, délicate par sa nature, se montre alors visiblement fatiguée & altérée par les peines qu’on s’est données.

Il y a donc plus d’inconvénient par la différence du méchanisme des deux arts, à retoucher trop un tableau qu’a repolir cent fois un poëme.

Je ne m’arêterai pas ici sur ce qu’on appelle particulièrement retouche, dans les restaurations des ouvrages de peinture, en ayant déjà parlé à l’article Raccommodage ou réparation des tableaux, en expliquant les procédés connus qu’on y employe de nos jours.

Quant à la partie de l’instruction des maîtres, qui consiste en ce qu’on appelle, en terme d’école de peinture, retoucher les élèves, elle est sans doute infiniment essentielle ; mais elle ne comporte cependant que des observations & point de règles fixes.

Les maîtres (je l’ai dit au mot artiste) peuvent influer beaucoup sur les progrès de leurs élèves, par les modèles qu’ils leur font


imiter & par les preuves démonstratives qu’ils doivent leur donner, en retouchant leurs ouvrages, des défauts dans lesquels ils sont tombés.

Il est quelques arts qui rendent ce moyen d’instruction plus convainquant, tels que sont la musique, le dessin, la gravure, la sculpture, la peinture, l’architecture. La retouche n’est pas aussi visiblement démonstrative dans l’art des vers, & même dans celui de l’éloquence ; mais pour m’en tenir à celui dont je dois parler, lorsque le maître, en passant un nouveau trait à côté ou sur le trait que lui presente l’élève, lui fait : observer incontestablement combien cette retouche rend l’imitation plus conforme au modese qui se trouve prêsent pour affirmer la vérité, que ce lui qu’avoir tracé le jeune disciple ; lorsqu’il accompagne cette comparaison démonstrative d’une instruction claire, courte & appropriée au dégré d’avancement, aisi qu’à l’intelligence du dessinateur, il est certain que l’évidence se joint au raisonnement, & que cette leçon, qui parle à la fois dans l’esprit par les yeux & par les oreilles, doit être très-efficace.

La retouche du maître, doit donc être toujours accompagnée d’une explication, ou d’une instruction, dont elle doit être regardée comme la démonsration.

Il en est de même de la composition & de la couleur ; & je pense que j’en dis assez sur ce sujet pour donner lieu à toutes les applications qu’en peuvent & en doivent faire les maîtres de l’art, a qui il ne m’appartient pas d’enseigner. (Article de M. Watelet).

RETOUCHÉ. (part. pass.) Quoique l’on dise qu’un maître retouche son tableau, pour faire entendre qu’il y donne des forces, des finesses, qu’il y met la dernière main, on entend toujours par tableau retouché, un tableau raccommodé.

En gravure, on appelle épreuve retouchée, une épreuve d’une planche non-terminée, & qu’au moyen du crayon ou du lavis, on a conduit à l’effet que doit produire la planche finie. Mais on entend toujours par planche retouchée, une planche usée dont on a réveillé les travaux. (L.)

REVEILLON (subst. masc.) Être réveillé indique un mouvement suggéré, qui fait sortir du sommeil ou du repos.

Ceux qui regardent des ouvrages de peinture ne sont, au moins la plupart, que trop enclins à une sorte d’indifférence qui ressemble assez á l’assoupissement. La pratique de la peinture fournit quelques moyens, pour ainsi dire méchaniques, de réveiller les assoupis ; mais ces moyens ne doivent étre employés qu’à l’appui de ceux qui appartiennent plus à la partie de l’esprit. Les. moyens que donne la patrie du métier, sont ce qu’on appelle reveillons de lumière, reveillons de couleur, réveillons de touche.

Le réveillons de lumière sont autorisés par certains offers ou accidens, sur lesquels je me fuis étendu à l’article accident. Il y faut joindre cependant un effet plus ordinaire que produit l’éclat qui rejaillit des corps qui ont une certaine dureté & qui sont polis, comme les métaux. Ces éclats ou brillans n’ont lieu que dans un seul point d’un plan, parce qu’en chaque plan, il n’y a qu’un seul point en effet qui reçoive la lumière la plus vive. Le peintre est souvent assez embarrassé pour représenter cet éclat, parce que le blanc pur qui est la dernière ressourcc de l’artiste, est bien loin d’approcher de l’éclat réfléchi de la lumière. À cet égard, l’impossibilité est excusée, & l’intention artistement exprimée rappelle au moins l’idée de ce que l’art ne sauroit imiter.

Les reveillons de couleur sont des effets de couleurs brillantes, piquantes, qu’autorisent des dispositions bien ménagées dans le clairobscur. Ces dispositions s’opèrent principalement par les accidens dont les nuages sont susceptibles, par des corps interpoles ou dont l’interposition supposée laure échapper la lumière, qui semble alors éclairer plus vivement la couleur des objets sur lesquels elle tombe & se répand. On sent aisément que le choix de la couleur des objets qui est le plus souvent à la disposition de l’article, surtout relativement aux draperies & à certains accessoires, entre dans les moyens de placer les réveillons de couleur.

Enfin les réveillons de touche sont de légères exagérations qu’on excuse par l’effet qu’elles produisent, en attachant ou excitant l’attention sur des objets intéressans. C’est ainsi que, dans le récit d’un fait, une expression hardie qui passe les limites de la plus extrême justesse, non-seulement trouve grace, mais plaît en réveillant l’attention de ceux qui écoutent. Les réveillons, de quelque nature qu’ils soient, servent donc à appeller le regard & à le ramener s’il s’égare dans l’endroit du tableau où l’intérêt de l’article demande qu’il se fixe davantage,

La peinture, physiquement muette & immobile, employe les moyens qu’elle a, pour suppléer à ceux qui lui manquent, comme le muet qui, ne pouvant appeller, fait des mouvemens & des espèces de cris pour qu’on vienne à lui.

Il faut cependant observer que les moyens de réveiller doivent être ménagés par le peintre avec art & employés avec discrétion. Un homme assoupi ne sait pas mauvais gré à celui qui l’éveille, mais il ne veut pas qu’on le tourmente. D’ailleurs les réveillons en peinture montrent une sorte d’artifice, ou tout au moins un art médité, & l’art le plus parfait est celui de cacher l’art. (Article de M. Watelet.)

Les Réveillons sont souvent formés par des traits de lumière artistement jettés sur des masses qui en sont privées ; ils leur rendent le piquant eue risquoit de leur ôter cette privation. On peut les comparer aux dissonances dans la musique qui doivent toujours : être. sauvées : il faut de même que les réveillons semblent près de rompre l’accord du tableau, & que cependant ils ne le rampent jamais. Ils détruisent la monotonie, & doivent toujours respecter l’harmonie.


RÉUNION, (subst. fem.) Le beau de reunion est le beau compose des plus belles parties qui se trouvent dans différens modèles choisis La nature ne rassemble jamais routes ses perfections dans un seul individu ; il faut donc que l’artiste les cherche dans plusieurs, & c’est par un tel choix que les Grecs se sont élevés à ce haut dégré de beauté qu’on admire dans leurs ouvrages & qui fait le désespoir des modernes. Zeuxis, pour faire une Hélene, choisit les plus belles filles de Cortone, & un entretien de Socrate avec le sculpteur Parrhasius, qui nous a été conservé par Xénophon, prouve que c’étoit la pratique générale des anciens.

De la réunion ou du choix doit résulter le beau, non-seulement dans chaque figure, mais dans toute la composition. L’article peut l’enrichir d’objets qu’il n’a pas vus ensemble, mais qu’il réunit pour décorer sa scêne.

Ce qu’on appelle une vue est la copie fidèle d’un paysage tel que le peintre l’a vu dans la nature : le paysage composé admet la beauté de ré mion ; l’auteur y rassemble des objets qu’il a vus séparément & dont il compose un tout.

Le beau de réunion n’oit pas encore le beau idéal. Pour s’élever à celui-ci il fauz ajouter aux belles parties choisies dans la nature un caractére plus grand encore ; il faut aggrandir les grandes formes en supprimant les petits détails qu’offrent les plus beaux modéles. C’est ce que Mengs entendoit, quand il a dit que « l’artifice de ce style consiste à favoir former une unité, en joignant dans un même objet les idées du possible & de l’impossible. »

Il faut que l’on trouve dans une figure idéale toutes les formes qui sont nécessaires au mouvement & à l’expression, afin que cette figure paroisse possible, c’est à dire capable de remplir remplir les fonctions auxquelles elle est destinée : mais il faut er. même temps qu’on n’y trouve pas les petites formes qu’on nomme les pauvretès de la nature, & dans ce sens, elle est impossible, puisqu’on ne peut en trouver de modèle. Si l’idéal s’éleve jusqu’à l’expression de la nature divine, privée des vaisseaux sanguins, la figure devient plus impossible encore ; mais elle doit toujours conserver les grandes parties nécessaires, ensorte qu’elle semble possible quoiqu’elle ne le soit pas en effet. (L)

RICHESSE, (subst fem.) Il est difficile de déterminer ce qui fait la richesse d’un tableau puisqu’elle peut consister dans ce qui fait le principal objet de la composition, dans les accessoires, dans la couleur, dans les effets. Toute richesse qui ne tient pas au fond du sujet doit être épargnée ; elle nuit à l’objet principal, & l’offusque plus qu’elle ne l’embellit. Les maîtres les plus renommés par leur sagesse ont donné l’exemple de cette heureuse économie, & l’on risquera peu de s’égarer en prenant pour modèle Raphaël, les Carraches, le Poussin. Lebrun lui-même quoi-qu’il n’ait pas été fâché de montrer ses richeses, ne les a jamais étalées avec profusion.

Mais laissons parler Félibien. Son autorité est grande ; car on ne peut guère douter que ses principes, à cet égard, ne fussent ceux qu’il avoit reçus du Poussin, son ami, & que ce grand peintre avoit consacrés par sa pratique.

« Ce n’est pas, dit-il, un témoignage de. peu de doctrine à un peintre, quand il retranche plusieurs parties, quoique selles, de crainte que cette beauté ne fasse tort à son principal sujet ; comme lorsqu’il affecte a doter les couleurs vives Banc les draperies, & toutes, fortes de broderies dans les vêtemens, de peur que ces petits avantages ne nuisent à ceux d’une belle carnation ; ou bien encore lorsqu’il ne veut pas donner de la gainé à un paysage, afin que la vue ne s’y arrête pas, mais qu’elle se porte aux figures qui sont faites pour être le principal objet du tableau. Car il est vrai qu’il y a des ouvrages qui, pour être trop riches, en sont moins beaux, comme il arriva à la statue que Néron fit doter, qui ne put augmenter de prix s’ans perdre beaucoup de sa s grace. Ce peintre pensoit avoir bien réussi, qui, montrant à Apelles un tableau où il avoit peint Hélene richement vêtue, lui en demandoit son avis, ou plutòt son approbation. Mais Apelles lui répondit avec sa sincérité ordinaire, qu’il avoir fait une figure fort riche, mais non pas belle. La


beauté ne consiste point dans les parures & dans les ornemens : un peintre ne doit pas s’arrêter aux petits ajustemens, surtout dans les sujets d’histoire, où il prétend représenter quelque chose de grand & d’héroïque. Il y doit faire paroître de la grandeur, de la force, de la noblesse ; mais rien de petit, de délicat, ni de trop recherché. Il en est des ouvrages de peinture comme de ceux de poësie : il ne faut pas qu’il paroisse qua l’ouvrier ait pris plus de plaisir à se satisfaire lui-même & à faire connoître le jeu de son esprit ou la délicatesse de son pinceau, qu’à considérer le mérite de son sujet. »

« Les peintres, à l’Imitation des poëtes, doivent, il est vrai, répandre dans leurs tableaux quelque chose d’agréable : mais cet agréable doit naître toujours du sujet que l’on traite, non pas de choses écrangères. Car on ne prétend pas retrancher les choses belles, quand elles sont propres aux lieux où on les met ; mais on condamne ceux qui gâtent un sujet qui, de soi, est noble & grand, parce qu’ils s’arrêtent trop à la recherche des ornemens de certaines petites parties. »

Félibien confirme ces principes par l’exemple même du Titien, qui cependant n’est pas du nombre des peintres austères. « Il gardoit parfaitement, dit-il, la maxime, de ne pas remplir les tableaux de quantité de petites choses ; mais d’éviter le défaut où tombent plusieurs peintres, qui, par la quantité excessive de parties dont ils composent leurs ouvrages, les rendent petits & pleins de ce que les Italiens appellent triterie. Aussi faisoit-il paroître les siens admirables par une noblesse & une grandeur qui s’y remarque. Par exemple, lorsque, dans la représentation. de quelqu’hisloire, il y a un paysage dans le fond de son tableau, ce paysage est grand : on n’y remarque point une infinité de petites choses ; les couleurs en sont éteintes, quand elles doivent souten’r ses figures & leur servir de fond, parce que celles ci paroîtroient beaucoup moins, si les couleurs dit paysage étoient trop vives. Les ciels, les nuées, les arbres, toute l’étendue de la campagne, & généralement tout ce qu’il représente, est grand ; les draperies des figures sont amples, évitant les vêtemens pauvres, les plis trop petits, & mille autres choses que quelques peintres affectent, qui cependant ne font que rendre leurs tableaux plus confus. »

ll n’hésiste point à blâmer la richesse que Paul Véronèse a répandu dans un de ses tableaux représentant le repas chez le Pharisien. La beauté des habits, la somptuosité des vases & tous les accessoires y sont de la plus grande magnificence. « Je sais bien, dit notre auteur, que les anciens étoient très-somptueux dans leurs banquets, que le luxe paroissoit non seulement dans le service de leurs tables, mais encore dans tous leurs autres meubles. Cependant un peintre doit toujours garder la convenance dans les tableaux, & n’y rien introduire qui ne soit conforme au sujet qu’il traite, & l’on peut douter que Paul Véronese, dans les siens, ait observé les choses comme vraisemblablement elles devoient être, puisqu’il y a mis une magnificence qui égale celle des plus grands princes, ce qui ne peut convenir à des particuliers, tels qu’étoient Simon, & Lévi, ni à ceux qui invitèrent à leurs noces Jésus-Christ & la Vierge. (Félibien entend ici les noces de Cana, du même peintre.) « Je l’estimerois s’il avoit réprésenté de ces banquets fameux, tels que celui où Cléopâtre traita Marc-Antoine : car, en ce cas, il auroit pu faire voir des salles remplies de toutes sortes de riches meubles, & des tables servies avec une somptuosité extraordinaire, parce que cela auroit été de la dignité de cette grande reine, & conforme au luxe de ce temps là. »

On pourroit ajouter que quand Véronese auroit representé des festins donnés par les Romains les plus fastueux, ou par les princes leurs alliés, au lieu de peindre les banquets de particuliers dont il est parlé dans la nouveau testament, on auroit encore à lui reprocher toutes les fautes de costume qu’il se plaisoit à commettre.

Rubens a quelquefois mérité de semblables reproches. Je me contenterai de citer ici le tableau représentant Tomiris, reine des Scythes, qui fait plonger dans le sang la tête de Cyrus. Peut-on reconnoître une souveraine des Scythes dans la magnificence de ses vêtemens ? Sont-ce des guerriers Scythes, ou ne sont-ce pas plutôt des Satrapes de Perse qui l’accompagnent ? L’histoire raconte qu’elle fit plonger la tête de Cyrus dans une outre pleine de sang : pourquoi donc, au lieu d’une outre, Rubens a-t-il représenté un grand & superbe vans d’or ? devoit-il donner un tel vase à une nation pauvre, vagabonde & guerrière, qui se vantoit de ne posseder que du fer ? Il semble avoir transporté à la cour de Suze ou de Babylone une scène qui se passa entre les rochers de la Scythie. Des pelleteries, un costume sauvage, des armes barbares, n’auroient pas procuré moins de richesses pittoresques à son tableau, que l’or & les riches étoffes qu’il y a prodiguées.

La richesse en peinture n’est pas toujours celle des nations opulentes : des vêtemens simples, des toits rustiques, un site sauvage, peuvent être aussi riches, & sont bien plus piquants, que des brocards, des édifices somptueux & un site altéré par la magnificence des habitans.

Tout ce qui est beau, est toujours riche dans les ouvrages de l’art : & le beau doit être toujours uni au convenable & au naturel. Une composition riche, n’a souvent rien de ce qu’on appelle richesse dans le langage ordinaire. C est une composition dans laquelle on remarque une sage abondance, exempte de profusion. (L)


RITES RELIGIEUX. On trouve des prêtres dès les temps les plus reculés. Orphée étoit le prêtre de l’expédition des Argonautes. Chrysès, prêtre d’Apollon, est le premier personnage qui paroisse dans l’Iliade. Dans quelques endroits, comme à Syracuse, le sacerdoce s’obtenoit par élection, & ne duroit qu’une année.

Chez les Athéniens, & sans doute ailleurs, il y avoit, sous les prêtres, des ministres subalternes qu’on appelloit parasites, parcequ’ils participaient aux viandes des sacrifices. Les Ceryces, ou Héraults étoient aussi des officiers inférieurs de la religion : ils ordonnaient aux assistans de ne prononcer aucune parole qui pût troubler les prieres ou le sacrifice. De jeunes gens, sous le nem de Nèocores, avaient soin de veiller au bon ordre, à la propreté, à la sureté des temples, & des ustensiles qui y étoient renfermés. On ne peut assurer que les prêtres, & les autres ministres des autels se distinguassent, dans la vie privée, par un habit particulier. Les monumens qui représentent des cérémonies religieuses, ne sont pas antérieurs aux temps où la Grèce fut soumise aux Romains, & l’on ne voit pas que ceux qui offraient le sacrifice eussent un habit qu’on puisse appeller sacerdotal. Un pelage du faux Orphée nous apprend que ce prêtre se revêtit d’une longue robe noire pour célebrer une cérémonie magique. On voit sur un monument romain, la figure affile d’un souverain prêtre, Archiereus, vêtu d’une ès-longue robe & coëffée d’une sorte de capuchon. Une figure de femme, qu’un soupçonne être celle d’une Pythie, parce qu’elle est debout I côté d’un trépied, est vêtue d’une longue robe, attachée d’une ceinture : elle a sur la tête un diadème, & son voile est rejetté en arrière.

Les Romains, suivant l’institution de Numa, avoient deux prêtres de chacune des trente curies. Ils étoient chotts par élection, & le sacerdoce appartint exclusivement aux patriciens, jusqu’à ce que le peuple eut obtenu le droit de participer à toutes les dignités. On élisoit aussi les augures, ce qui prouve que la faculté de prédire l’avenir par le vol des oiseaux a ou par d’autres lignes convenus, étoit une science qu’on pouvoir acquérir & non pas une inspiration. Quant aux Aruspices, qui consultoient sur l’avenir les entrailles des victimes, on les envoyoit étudier leur art en Etrurie.

Les sacrificateurs, au moment de la cérémonie, se voiloient la tête pour i’être point troublés par les distractions que peuvent causer les objets extérieurs. A Rome, ils se couvroient la tête d’un pan de leur toge, & en Grèce, d’un pan de leur manteau. Souvent ils avoient une couronne de fleurs ou de feuilles : ils avoient en main une patere, sorte de soucoupe dont ils se servoient pour faire des libations sur la victime. On voit sur plusieurs bas-reliefs, & entre autres sur la colonne Trajanne, des sacrificateurs qui ont la tête nue & sans couronne.

Les Temples étoient le plus souvent des édifices quarrés-longs ; il y en avoir cependant de ronds : on y déposoit quelquefois les armes prises sur les ennemis, on les ornait les jours de fêtes de festons & de guirlandes ; la statue de la divinité à laquelle le temple étoit consacré, étoit placée à l’Orient, du côté oppose à la porte.

Il n’est pas inutile aux articles de (avoir qu’ordinairement les temples de Jupiter, de Renon, de Minerve étoient bâties sur des lieux élevés : ceux de Mercure, dans le marché ; ceux d’Apollon, ou de Bacchus, près du théâtre ; ceux de Mars, hors de la ville ; ceux de Vénus, aussi hors de la ville, mais près de la porte. Cet usage n’étoit cependant pas généralement observé. On ne doit pas donner de bases aux colonnes des temples antiques.

Les autels des anciens éroient toujours isolés, & formoient plutôt un meuble qu’une partie du temple. Ils n’avoient pas, comme ceux de nos eglises, la forme d’une longue table ; mais ils étoient ronds, triangulaires, ou quarrés : des bas-reliefs les décoroient : ils étoient creusés dans leur partie supérieure, parcequ’ils devoient contenir du feu. En un mot, un autel étoit une pierre, d’une forme indéterminée, mais dont la hauteur surpassoit le diametre, & dont la partie supérieure était creusée dans la forme d’un bassin rond. Le reste dépend du goût de l’artiste, pourvu que ce goût ne soit pas trop contraire à celui de l’antiquité.

Le trépied étoit aussi un bassin, mais en métal, & comme son nom le témoigne, il était porté sur trois pieds. Ces pieds n’étoient quelquefois que des montans de fer, & quelquefois ils étoient très-riches & très-ornés. Le trépied était ordinairement destiné à contenir l’eau dont on lavoit les entrailles des victimes, ou les liqueurs des libations. Celui qui servoit de siège à la Pythie de Delphes avoit


comme on sait, un autre usage ; le fond de bassin devoir être percé pour recevoir la vapeur souterraine qui donnait à la prêtresse des convulsions prophétiques.

Quelquefois on offroit des trépieds à Apollon. Les Grecs, vainqueurs des Perses, reservèrent la dixme du butin pour un trépied d’or qu’ils consacrèrent à ce Dieu dans le temple de Delphes.

Dans les temps de la très-haute antiquité, les sacrifices n’etoient point sanglans ; on faisoit bruiler des parrums sur les autels. Dans les temps postérieurs, il y eut des sacrifices sanglans dans lesquels on égorgeoit les victimes, & des sacrifices ron-sanglans dans lesquels on se contentoit de faire aux Dieux des offrandes. Chez les Grecs, de jeunes filles de différens âges assistaient à ces cérémonies, & y remplissoient différentes fonctions ; telle étoit celle de Canefore, ou porteuse de corbeilles, & elle était remplie par une fille déja nubile. Chez les Romains, ces ministères inférieurs étoient exercés par de jeunes garçons qu’on nommoit Camilles, Le Roi présidoit sur les prêtres, dans les temples des Dieux, & son épouse, avec le titre de reine des sacrifices, dans ceux des Déesses. Dans le tableau de la noce Aldobrandine, on la voit ceinte d’une couronne radiale.

Les cérémonies sacrées étoient accompagnées de chants soutenus du son des instrumens. C’étoit ordinairement des femmes qui jouaient de la double flotte chez les Grecs, & des hommes chez les Romains. Ces femmes Grecques, employées dans des actes religieux, étoient cependant des courtisannes. Ces hommes & ces femmes étoient sujets à acquérir un excessif embonpoint, parce qu’appellés journellement à des sacrifices, ils s’y gorgeoient des chairs des victimes. Cet embonpoint se remarque darfs quelques monumens antiques.

Il ne faut pas composer indifféremment de toutes sores de plantes les couronnes des sacrificateurs. Le hètre, & le chêne étaient consacrés à Jupiter & à Diane, le laurier à Apollon, le peuplier à Hercule, les pampres à Bacchus, le cyprès à Pluton, le pin à Cibèle, l’olivier à. Minerve, les roseaux à Pan, le myrrhe à Vénus, le narcisse à Proserpine, le frêne a Mars, le pourpier à Mercure ; te pavot à Cérès, l’ail aux Dieux Pénates, l’aune & le cèdre aux Euménides, le palmier & le laurier aux Muses.

Les Néocores préparoient les autels, apportoient les vases, tenoient l’encens, portoient des torches de bois résineux, rangeoient la bois des bûchers, étoient chargés enfin de toutes les fonctions du ministère inférieur. Les victimaires ou Popes, etoient des valets de sacrifices : seulement vêtus d’une espèce de courte jupe, ils amenoient, ils tenoient la victime, ils portoient la hache dont elle devoit être frappée, &c.

Indépendamment des sacrifices solemnls, les anciens offroient des sacrifices privés. Le chef de la famille faisoit alors les fonctions de pontife ; ses enfans, ses esclaves étaient les Néocores, les victimaires. Quelquefois on immoloit un animal : ce sacrifice étoit suivi d’un repas auquel on servoit la victime, & on en envoyait des morceaux à ses amis. On peut dire en général que tout grand repas étoit précédé d’un sacrifice dans lequel on immoloit les animaux destinés au festin, & de méme que tout sacrifice étoit suivi d’un repas dans lequel on consommoit les chairs des victimes. Quelquefois dans un acte de dévotion privée, on se contentoit de faire aux Dieux des offrandes de fruits, de fleurs, de gâteaux. Comme en général les bas-reliefs antiques représentent des sacrifices privés, offerts par les Empereurs Romains ; on ne doit pas être surpris de ce que les monumens nous donnent peu d’instructions sur les habits particuliers aux Prêtres. C’étoit alors les Empereurs qui faisoient les fonctions sacerdotales.

Cependant des bas-reliefs de la Villa Nédicis, nous ont conservé le costume des Flamines. Leurs têtes couronnées de feuilles de chêne, sont voilées. Ils sont vêtus d’un habit long que recouvre un très-long manteau. L’un d’eux tient en main une branche de chêne. Les prêtres de Mars étoient coëffé d’une sorte de casque qu’on nommoit galerus, & qui étoit surmonté d’un cimier long qu’on nommoit apex. Les prêtres Saliens, consacrés à Jupiter, avaient une coëffure à-peu-près semblable ; un plastion d’airain leur couvroit l’estomac ; ils tenoient de la main gauche un de ces petits boucliers qu’on nommait ancilia & de la droite une courte pique ou une épée. Leur casque était revêtu de la peau d’une victime blanche, & portoit l’image de la foudre ; celui des prêtres de Mars était orné de têtes de taureaux ou de béliers.

On représente ordinairement les Luperques nuds, & n’ayant qu’une peau de chèvre autour des reins. Suivant Denys d’Halycarnasse, ils étaient couverts depuis les reins jusqu’en bas, de peaux de victimes récemment immolées. Il se découpoient les chairs avec des couteaux, ils faisoient des incisions au front des jeunes gens, qui vouloient s’associer à leurs superstitions, & essuyoient le sang avec des étoupes trempées dans du lait. Ils couroient les rues & les chemins comme des forcenés, armés de fouëts de peau de chèvre dont ils frappoient tous ceux qu’ils pouvaient atteindre. Les femmes venaient d’elles-mêmes s’offrir à leurs coups, & leur croyoient la vertu de les


rendre fécondes. Leurs fonctions ne duroient qu’autant que les fêtes nommées Lupercales.

Le temps a respecté quelques monumens antiques représentant des vestales. Elles sont vêtues de longues robes dont les manches, qui ne descendent que jusqu’au coude, sont ouvertes en dessus, & attachées avec des boutons. Sur cette longue robe, contenue ; par une ceinture, elles ont une tunique fort courte, leur voile ne leur couvre point le front ; il est attaché sur le sommet de la tête, & flotte sur le dos. Elles n’étoient point assujetties à le porter toujours, puisqu’on connoît une figure antique de vestale qui n’en a point, & dont les cheveux sont liés par une bandelette. Comme on leur voit aussi constamment les cheveux également séparés des deux côtés, on peut croire que ce costume étoit une obligation de leur ordre. Si une figure des jardins Médicis représente en effet une vestale, elle nous apprend que ces prêtresses portoient quelquefois par dessus leur longue robe, un très ample manteau. Elles jouissoient d’une fort grande liberté, & l’on peut croire qu’il ne leur était pas interdit de varier leur parure.

Nous avons parlé des autels & des trépiés : nous devons faire connaître les autres instrumens des sacrifices.

Une sorte de coffret nommé acerra servoit à dépoter l’encens & les autres parfums. La forme n’en était point déterminée, mais il paroît qu’ils étaient toujours portés sur des pieds. On en connaît de bronze, ce qui n’excluait pas des métaux plus précieux. Il paroît d’ailleurs que souvent le travail l’emportait sur la matière. Ces coffrets étoient portés par les Officiers subalternes, les Néocores, les Camilles, & peut-être, dans la Grece, par les Vierges.

C’étaient elles qui, dans les fêtes de Cérès, portoient toujours la corbeille dans laquelle étoient renfermés les mystères. Cette corbeille étoit couverte, puisque ce qu’elle contenoit devoit être caché aux yeux des assistans. La Canéfore la portait sur la tête.

Le Thymiaterion des Grecs, le Thuribulum des Latins faisoit à peu-près l’office de nos encensoirs, & servoit de même à btûler de l’encens. Celui que la Chausse a publié, mais qu’il ne garantit pas qui ait servi dans les cerémonies religieuses des anciens, est une sorte de boëte ronde, à peu-près semblable, pour la forme, aux bassins de nos bassinoires, mais portant sur quatre pieds ; le couvercle est percé de plusieurs trous, pour conserver au feu son activité & pour donner issue à la vapeur de l’encens. Une chaîne attachée aux deux côtés de cette boëte par des anneaux ne pouvoit servir à balancer l’encensoir comme on le fait aujoud’hui : & l’on peut croire que le Thuribulum n’étoit qu’une cassolette.

On prenait l’encens avec des petites cuillers à peu-près semblables à nos cueillers à café : mais le cuilleron en étoit plus, large, & le manche se terminoit en pointe, ou par une boule, ou quelquefois par une tête. Quelques, unes de ces cuillers étoient en forme de pêle comme nos cuillers à sel.

Le Præfericulum, que des ministres inférieurs portoient dans les cérémonies, étoit une sorte d’aiguière, avec une anse opposée au côté du goulet. D’ailleurs cette aiguiere, plus ou moins riche, avoit différentes formes & était différemment ornée. Un bas-relief prouve qu’on s’en servoit, au moins quelquefois, pour verser le vin dans la patère.

On appelloit disque, (discus) un plat dans lequel on mettoit les chairs de la victime dépecée.

Les aspersions d’eau lustrale étoient en usage chez les anciens comme celles d’eau benite parmi nous. Pour donner à l’eau lustrale une sorte de consecration, on y trempoit un tison du foyer qui avoit servi à brûler la victime. On se servoit pour asperger les assistans, d’une sorte de goupillon fait de crins de chevaux, lié a un manche. On n’est pas sûr de connoître la forme du vase qui contenoit l’eau lustrale. On a cru que certains vases antiques en forme de têtes d’hommes ou de femmes étoient destinés à cet usage : mais leur ouverture étroite ne paraît pas s’accorder avec cette opinion. D’ailleurs ces vases sont surmontés d’une anse mobile, comme les bénitiers portatifs dont on se sers dans nos processions & aux enterremens. Il y avoit aussi, à l’entrée des temples, des vases pleins d’eau lustrale, dont le peuple s’aspergeoit lui-même, comme les fidèles prennent de l’eau bénite en entrant dans nos églises. Ils s’élevoient à hauteur d’appui, & se terminoient par un bassin dans equel l’eau étoit contenue.

Les pateres étoient de différentes formes, de differentes capacités, & servoient à différens usages. C’étoit avec une patère qu’on faisoit des libations sur la tête des victimes qu’on se préparoit à immoler, c’étoit dans des patères qu’on en recevoit le sang. Toutes étoient rondes, on du moins arrondies, & plus ou moins creuses. Quelques unes avoient un manche. On en connoît qui ont la forme de coquilles. Si l’on n’en trouve que de bronze ou de terre cuite, on peut croire que celles qui étoient d’une matière plus précieuse ont changé de forme dans les mains de gens qui aimoient mieux l’or ou l’argent que l’antiquité.

Les cages où les Romains renfermoient les poulets sacrés étoient quarrées & portoient sur


quatre pieds : la partie antérieure s’ouvroir par deux portes garnies d’un treillage.

Le linius ou bâton des augures se recourboit comme les crosses de nos évêques. Cétoit originairement le bâton des pâtres : il est probable qu’on lui a donné cette forme parce que Faustulus, qui prédit les destins de la ville de Rome, étoit en même temps augure & berger.

Le maillet dont on ah assommoit les victimes étoit un lourd morceau de métal de forme ovale ; il s’adaptoit par son plus petit diametre au manche qui servoit à le manier. On égorgeoit aussi les animaux avec des couteaux, renfermés dans un étui fait dans la forme d’un U. Il paroît que plus souvent, on frappoit les victimes avec une hache. Mais on se servoit du côté opposé au tranchant, & il étoit assez massif pour tenir lieu de maillet. Quelquefois on les perçoit avec des poignards. Toutes ces armes doivent étre d’airain quand il s’agit des siècles fort reculés, & surtout des temps héroïques, parce qu’on n’avoit pas encore l’usage du fer.

Les candélabres ou chandeliers ne pouvoient différer essentiellement de la forme des nôtres ; on en voit qui sont très-ornés : au lieu de se terminer comme chez nous par une bobeche qui reçoit une bougie, ou par une pointe qui entre dans la bale d’un cierge, ils se termi noient par un vase en forme d’urne que l’on remplissoit d’huile, ou de suif, & au haut duquel on adaptoit des mêches : c’étoient plutôt des lampes, ou lampions, que de véritables chandéliers.

Il faut connoître quelles victimes étoient offertes le plus ordinairement aux différentes divinités, quoique les anciens nous offrent bien des variétés dans ces usages.

On offroit à Cybele, mère des Dieux, une truie pleine ; on lui faisoit aussi des offrandes de pommes de pin qu’on portoit en procession. On immola aussi sur ses autels des taureaux & des beliers. Cette Déesse étoit la même que Tellus, la Terre.

Il étoit contraire aux loix sacrées, dans les temps anciens, d’immoler des taureaux à Jupiter : cependant on lui en sacrifia dans la suite ; ou lui offroit aussi des béliers.

Junon étoit honorée par des sacrifices de vaches, de génisses, d’agneaux femelles.

Le taureau étoit consacré à Neptune ; c’etoit la victime qui lui étoit la plus agréable. On lui sacrifia aussi des agneaux.

On offroit à Pluton des taureaux noirs, parés de bandelettes noires. En général, on choisissoit des victimes noires pour les Dieux infernaux. C’étoit des vaches noires qu’on immoloit à Proserpine. Dans les sacrifices magiques, on immoloit des chiens à Hécate.

Le porc étoit sacrifie en l’honneur de Cérès.

Le principale victime offerte à Apollon étoit un jeune taureau, dont les cornes étoient dorées. On lui sacrifioit cependant aussi des chêvres, des boucs & des brebis.

Les taureaux, les chevaux étoient des victimes agréables au Dieu Mars.

Minerve recevoit des sacrifices de taureaux & d’agneaux : mais on ne lui offroit pas de chêvres.

La chasseresse Diane étoit honorée par des sacrifices de cerfs & de vaches.

A Bacchus, on sacrifioit des boucs, des brebis, & même des porcs, parce que ces derniers animaux gâtent les vignes.

Le porc étoit aussi offert à Hercule : & le bouc, au Dieu Pan.

Vénus recevoit des sacrifices de toutes sortes d’animaux, excepté des porcs.

Les riches sacrifioient aux Dieux Lares un jeune taureau, & les gens peu aisés un agneau femelle.

Le coq étoit consacré aux sacrifices d’Eseulape.

On voit par un bas-relief publié dans l’Admiranda, que le taureau conduit au sacrifice a sur la tête une sorte de diadême. Dans la colonne trajane, les taureaux ont sur le dos une pièces d’étoffe longue & étroite, à peu-près comme nos étoles. En général les victimes étoient parées de fleurs, de feston, de bandelettes.

Quoique nous n’ayons parlé que de quadrupedes entre les victimes, on offroit aussi en sacrifice toutes sortes d’oiseaux. On voit dans l’Admiranda un sacrifice de fruits qu’une prêtresse ou un galle offre à Cybele. Une femme joue de la flute double, une autre frappe le tympanon, instrument consacré à cette Déesse.

Les plus somptueux sacrifices que l’on offrît au Dieu Mars se nommoient Suovetaurilia : parce qu’on immolait à la fois un porc, un bélier & un taureau. C’est probablement à tort qu’on les a confondus avec les Solitaurilia, dont parlent Caton & Festus, & qui, suivant le dernier, consistorent dans le sacrifice d’un seul taureau. Les Suovetaurilia étoient destinés à la lustration ou purification des champs, des villes, des armées, des camps militaires. On faisoit faire processionnellement aux victimes le tour de ce qu’on vouloit purifier. Le porc marchait la premier, le bélier suivoit, & lui-même précédoit le taureau. Chaque victime étoit conduite par un victimaire.

On voit sur la colonne trajane deux représentations de Suovetaurilia. Dans l’une le verrat


& le taureau ont sur le dos une espèce d’étole terminée par des franges. Dans l’autre le taureau seul a cette étole, & le verrat a sur le dos une guirlande de feuilles, mais dans toutes doux le bélier n’a ni étole ni guirlande. Le sacrificateur, qui est l’empereur Trajan lui-même, est vêtu de la toge & a la tête voilée, tandis que, dans d’autres sacrifices, il a la tête découverte, & n’est vêtu que d’une tunique, recouverte d’une chlamyde.

On voit sur l’un des bas-reliefs de Constantin, le même empereur offrir à Mars un sacrifice non-sanglant. Il a la tête voilée, mais au lieu de toge, il n’a par dessus sa tunique qu’une chlamyde : d’un main il tient une pique, & de l’autre une patere de laquelle il verse du vin sur un autel enflammé.’Trois guerriers l’accompagnent, tous en tunique & en chlamyde, & tous armés d’une pique. L’un d’eux touche l’autel. (Extrait de l’antiquité expliquée de Bernard de Montfaucon.)


Fêtes des Grecs.


Il peut être utile aux artistes de connoître les principales fêtes des Grecs, celles qui peuvent fournir des sujets à leur art. Nous les disposerons par ordre alphabetidue.


ADONIA, ou fêtes d’Adonis. Elles étoient lugubres & rappelloient la douleur que Vénus avoir éprouvée lorsque ce pasteur qu’elle aimoit fut tué par un sanglier. Les femmes, à l’imitation de la Déesse, pleuraient & poussoient des gémissemens. Elles portoient des figures avec les mêmes cérémonies qui étoient employées dans les funérailles des morts, & chantoient des airs qui répondoient à la tristesse dont elles feignoient d’être affectées Ces chants étoient accompagnés de petites fluttes qui rendoient un son plaintif. Les femmes de Biblos se frappoient le visage & la poitrine & se faisoient râser les cheveux. On honoroit Adonis par des offrandes de tous les fruits de la terre. Après l’avoir pleuré pendant un jour, on se réjouissoit le lendemain de sa résurrection. Cette fête se eélébroit dans le temps des semailles.


Amphidromia. Ce n’étoient point des fêtes publiques, mais des réjouissances privées que les citoyens célèbroient dans leurs maisons, ou plutôt c’étoient des cérémonies d’usage qui se faisoient dix jours après la naissance d’un enfant. On le portoit en courant autour du foyer, on lui donnoit le nom qu’il devoir conserver toute sa vie, on recevoit de ses amis des félicitations & des présens, & la fête se terminoit par un sacrifice aux Dieux & par un repas. On le célèbroit pendant la nuit.

Apaturia les Apaturies se célèbroient à Athènes pendant trois jours. On a prétendu que leur nom venait d'un mot qui signifioit tromperie, & rappelloit la maniere dont Melanthus, roi d'Athènes, trompa Xanthus roi de Béotie : niais doit-on croire qu'un peuple ait institué une fête pour perpétuer le souvenir honteux de la fourberie d'un ses rois : surtout lorsque les détails de cette fête n'y ont aucun rapport. Il est bien plus probable que le mot apaturie signifioit l'assemblée des pères. Cette fête duroit pendant trois jours. Le premier jour, les membres d'une même tribu se rassembloient sur le soir, & célèbroient leur réunion par un festin : ce jour se nommott Dorpia da mot grec qui signifie souper. Le second se nommoit anarrhysis, & ce nom marquoit assez qu'il étoit consacré à des sacrifices ; ces sacrifices s'adressoient à Jupiter Fratrius, c'est-à-dire protecteur de l'union des tribus, & à Minerve. Le troisième nommé coureôtis étoit celui où les pères saisoient inscrire dans les tribus ceux de leurs enfans qui entroient en âge de puberté. La consécration de ces enfans dans l'ordre des citoyens se saisoit en leur coupant les cheveux qu'ils avoient laissé croître jusqu'à cet instant. On consacroit ces dépouilles à quelque divinité, le plus souvent à Apollon. Les pères, en cette solemnité, se plaisoient à faire briller l'éducation de leurs enfans ; & leur faisoient chanter & expliquer les plus beaux vers de différents poëtes.


Ascolia, fête Athènienne en l'honneur de Bacchus. Cette fête, ou plutôt ce jeu se célèbroit à la ville, sur le théâtre, & à la campagne dans la prairie. On enfloit une outre faite de peau de bouc, animal qu'on sacrifioit à Bacchus ; on frottoit cette outre d'huile ou de graisse pour la rendre plus glissante ; les jeunes gens sautoient dessus d'un seul pied, & leur chûtes fréquentes saisoient rire les spectateurs.


Brauronia ; fête ainsi nommée d'un bourg de l'Attique nommé Brauron, dans lequel Iphigénie, ayant pris la fuite de la Tauride, déposa la statue en bois de Diane à laquelle elle avoit été si longtemps contrainte d'immoler les etrangers. Les Rhapsodes, vêtus d'une longue robe, ayant en tête une couronne d'or & une verge à la main, chantoient à cette fête l'Iliade d'Homère. On y sacrifioit une chêvre à Diane. Mais ce qui rendoit cette solemnité plus piquante, c'étoit que les jeunes filles, âgées de cinq ans au moins & de dix au plus, y étoient initiées au culte de Diane. Il falloit avoir été admise à cette initiation avant de contracter les nœuds du mariage. On ra-


contoit qu'une ourse apprivoîsée avoit vécu longtemps paisible dans cette tribu, mais qu'elle déchira enfin une jeune fille qui l'avoit irritée, & fut tuée par les frères de celle à qui elle avoit donne la mort. Les Athéniens furent alors attaqués de la peste, & appritent de l'oracle qu'ils ne verroient la fin de leurs maux qu'après avoir consacré quelques unes de leurs filles à Diane. On appelloit ces jeunes filles des ourses ; elles étoient vêtues d'un manteau flottant de couleur jaune.


Caneforia, fête en l'honneur de Diane, pendant laquelle les filles qui se préparoient à se marier offroient à Diane, dans des corbeilles, les plus beaux ouvrages de leurs mains. Cette offrande avait deux motifs ; l'un d'appaiser Diane, déesse protectrice de la virginité : l'autre de se la rendre favorable, parce qu'elle procuroit aux femmes de doux accouchemens, & que c'était elle qui les frappoit de morts subites. Je n'oserai décider si c'étoit à cette fête que l'on portoit une quenouille sur un char en l'honneur de Diane.


Daphneforia, fête célèbrée tous les neuf ans en Béotie, en l'honneur d'Apollon & dont voici la principale cérémonie. Un jeune homme, ayant encore père & mère, remplissoit les fonctions de prêtre. Un autre jeune homme le suivoit & portoit une branche d'olivier. Au haut de cette branche étoit une boule d'airain d'où pendoient d'autres boules plus petites, & au milieu de la branche étoit une autre boule d'une moindre circonférence que celle d'en haut, à laquelle étoient attachées des bandelettes couleur de pourpre. La branche étoit ornée de toutes sortes de fleurs, & entourée par le bas d'un morceau d'étosse jaune. La sphère supérieure désignoit le soleil, celle de dessous la lune, les petites sphères représentoient les planetes & les étoiles fixes, les bandelettes au nombre de trois cent soixante & cinq, les jours de l'année ; la pièce d'étoffe jaune désignoit la lumière dorée du soleil. Le jeune homme qui portoit la branche avoit les cheveux épars, la tête ceinte d'une couronne d'or, & étoit vêtu d'une robe brillante qui lui flottoit sur les talons. Une sorte de procession suivoit ; elle étoit formée par de jeunes vierges qui portoient des branches d'olivier.


Délia, fêtes de Délos instituées par Thésée en l'honneur d'Apollon : elles attiroient de toute la Grece un concours extraordinaire. Thésée revenant de Crete, où il avoit délivré les jeunes gens donnés en tribut pour être dévorés par le Minotaure, s'arrêta à Délos, & y consacra une statue de Vénus, que l' oracle de Delphes lui avoir ordonné ter avec lui comme protectrice de son entreprise. Lui-même, à la tête de la jeunesse qui l’accompagnoit, conduisit la danse religieuse qui faísoit partie de cette. institution sacrée. Les Grecs continuerent de célébrer l’anniversaire de cette fête, & ils, s’y croyóient obligés par un vœu de Thésée. Les députés qu’ils envoyoient à Délos pour remplir ce vœu, se nommaient Déliastes. Ils montaient le même navire qui avoit porté Thésée, & qui sut conservé pendant quatre siècles, jusqu’au temps de Démétrius de Phalère. L’autel d’Apollon Délien étoit compté entre les sept merveilles du monde ; il étoit construit de cornes de chêvres si bien entrélassées ensemble, que sans aucun lien, sans aucun ciment, il étoit de la plus grande solidité. On prétendoit que c’étoit Apollon lui même qui l’avoit construit, à l’âge de quatre ans, des cornes des chêvres que sa sœur Diane avoit tuées à la chasse. Le poëte Callimaque ajoute que le Dieu avoit aussi employé des cornes pour les fondemens & les murailles du temple.

Pendant la fête, les assistans en formant des danses autour de l’autel, se frappoient avec des fouets, & mordaient une branche d’olivier en se tenant les mains derrière le dos. Ils se partageoient en trois chœurs, l’un d’hommes faits, l’autre de femmes & le dernier de jeunes gens ; tous, dans leur danse, imitoient les détours sinueux du labyrinthe. Les musiciens se rendoient à cette solemnité pour y faire assaut de leur art, & les Athéniens ajourèrent dans la suite aux autres jeux des courses de chars.


Dionysia, fêtes de Bacchus, qu’on appelloit aussi bacchanales. Elles se célébroient dans un bourg nommé Limnœ. Le pontife de ce culte portoit le titre de roi ; c’étoit lui qui faisoit les sacrifices : sa femme, avec le titre de reine, avoit soin des mystères, qu’il étoit interdit aux hommes de voir, dont ils ne pouvoient même entendre parler. Quatorze femmes, choisies par le roi, faisoient les fonctions de prétresses. Malgré la mauvaise réputation de ce culte, le roi ne pouvoit épouser qu’une vierge, & il auroit été dépouillé de sa dignité, si la chasteté de sa femme fût devenue suspecte. Lui-même étoit élu par le peuple entre les citoyens de la meilleure réputation. On célébroit les grandes bacchanales au commencement du printemps.

Les petites bacchanales le célébroient à la campagne, dans l’hiver, pendant le mois de Janvier. Les Lénéiennes, ou fêtes du pressoir se célébroient en autonne.

On sait que dans les grandes bacchanales on porcit des thyrses, c’est-à-dire des lances


enveloppées de lierre, dont l’armée du dieu avoit fait usage dans l’Inde pour tromper les habitans. Les cymbales, les fluttes, les clochettes, les tympanons semblables à nos tambours de basque, étoient des in strumens d’usage dans ces solemnités. Elles se célèbroient pendant Ila nuit ; les bacchants & les bacchantes, tenant des flambeaux allumés, couroient dans la ville comme des gens furieux d’ivresse. Les mystères étojent renfermés dans des corbeilles. Plusieurs bacchants, pour imiter Bacchus lui-même dans son expédition de l’Inde, se couvraient de peaux de tygres & se ceignoient la tête de bandelettes. Ces fêtes se nommoient Orgies par excellence, quoique ce nom appartînt en général toutes les solemnités religenses. Les initiés, le corps entouré de serpens, mordoient les entrailles des victimes pour imiter l’action de gens furieux. Ces fêtes se célébroient dans les temps anciens avec simplicité : la gaieté, quelques amphores de vin, des branches de lierre, un bouc qu’on promenoir en cérémonie, quelques figures que l’on portoit dans des corbeilles, en faisoient les frais. Mais dans la sitire on y porta des vases d’or & d’argent, on s’y montta vêtu des plus riches habits, masqué & trainé sur des chars magnifiques : ce qui n’empêchoit pas qu’on ne vit toujours des hommes déguisés en satyres ou en silences, & montés sur des ânes, traînant des boucs qu’ils destinoient au sacrifice. Tous se permetoient les mouvemens les plus lascifs, jettoient la tête en arrière, & remplissoient l’air de leurs cris : à la suite de cette procession tumultueuse venoient les provisions. On voyoit d’abord des vases remplis d’eau. De jeunes filles, des familles les plus distinguées, portoient, dans des corbeilles, les prémices des fruits. Mais d’autres corbeilles renfermoient les choses sacrées & secrettes, dont la vue n’étoit permise qu’aux initiés. Après les jeunes vierges porteuses de corbeilles, venoit un spectacle affensant pour la pudeur : c’étoient les phallus, imitations des parties viriles, que des hommes portoient avec solemnité suspendus à de longues perches ; un chœur de chantres les suivoit. On voyoit ensuite les Ityphalles, ayant des masques qui représentoient l’ivresse, des couronnes sur la tête, des robes de femmes.


Eleusinia, fêtes ou mistères d’Eleusis, bourg de l’Attique, dans lequel on prétendoit que Cèrès avoit enfin trouvé sa sille, & avoit institué elle-même les mystères & les initiations. Les Athéniens y firent construire un temple magnifique. Les secrets de ces fêtes, cachés avec soin par les initiés, sont devenus impénétrables. On en connoît seulement quelques cérémonies extérieures. L’hierophante, pontife de cette solemnité, & celui qui communiquoit aux initiés les mystères, représentoit le créatéur de tout ce qui existe ; le porteflambeau, le soleil ; le ministre de l’autel, la lune, & le héraut, Mercure. Chacun d’eux portoit l’image de ces divinités dans la marche qui se faisoit d’Athênes à Eleusis. Cette marche etoit interrompue par des repos, pendant lesquels on chantoit des hymmes, on faisoit des sacrifices. Le principal repos étoit sur le pont du Céphise. Les femmes, montées sur des chars, disoient des injures aux passans, comme on se plaît encore à en dire & à en recevoir dans les voitures d’eau.


Ephesta, fête célébrée à Ephese en l’honneur de Diane : elle étoit annuelle. Les jeunes garçons & les jeunes filles, dans leur plus grande parure, alloient en procession de la ville au temple de la Déesse. C’étoit un jeune homme qui remplissoit les premières fonctions du sacerdoce. On portoit des flambeaux, des parfums dans des cassolettes, les mystères renfermés dans des corbeilles ; d’autres corbeilles qui contenaient les offrandes ; on voyoit des chevaux, des chiens, des équipages de chasse. Une foule d’Ephésiens & d’étrangers accouroient à cette solemnité. C’étoit sur-tout à cette fête que l’on choisissoit des époux aux jeunes filles, des épouses aux jeunes hommes. La statue de la déesse étoit vêtue d’une robe retroussée à la manière des chasseresses, & avoit un grand nombre de mamelies.


Gamélia, cérémonie dont s’acquittoient les futures épouses avant la célébration du mariage. Elles faisoient un sacrifice auquel assistoient les personnes qui étoient de la même tribu. Ce sacrifice s’adressoit à Junon, à Vénus & aux Graces.

Hecatesia, fête en l’honneur d’Hécate. Les Athéniens avoient coutume d’ériger devant leurs portes, à cette déesse, des statues à trois têtes, & tous les mois, le jour de la nouvelle lune, l’es riches lui faisoient servir dans les carrefours un repas que les pauvres man geoient, & l’on disoit qu’il avoit été mangé par la déesse. On lui sacrifioit des chiens.


Lampadophories, cérémonie en l’honneur de Minerve, de Prométhée & de Vulcain qui avoient en commun un temple hors d’Athênes, dans l’endroit nommé académie. A l’entrée de ce temple, on voyoit sur une même base les figures de Prométhée & de Vulcain : le premier plus âgé portant un sceptre ou bâton. Cette fête étoit fort gaie ; un prix étoit proposé à ceux qui arriveroient à certain but en courant, sans éteindre leurs lampes. Plusieurs


rallentissoient leur course pour les conserver allumées : mais les assistans, pour les hâter, les frappoient en riant sur le ventre, sur les flancs, sur les fesses. Ceux dont la lampe s’éteignoit, étoient obligés de se retirer du concours.


Oschophoria, fête instituée par Thésée en l’honneur de Bacchus, & en mémoire de ce qu’après avoir délivré ses citoyens du tribut de jeunes garçons & de jeunes filles qu’ils s’étoient obliges de livrer aux Crétois, il rentra dans sa patrie au temps de la vendange. On choisissoit deux jeunes gens des familles les plus distinguées par ! a naissance & par la fortune : vêtus de robes de femmes, ils portoient des branches chargées de grappes de raisins, & ouvroient la fête. C’étoit une commémoration de la ruse employée par Thésée qui, pour tromper les Crétois, habilla en filles de jeunes hommes courageux. Ils étoient suivis d’un chœur de jeunes gens qui chantoient des vers relatifs à la solemnité ; tous devoient être de bonnes familles & avoir encore père & mere. La procession partoit du temple de Bacchus pour se rendre à celui de Minerve surnommée Sciras. On choisissoit ensuite dans chaque tribu des jeunes gens qui se disputoient le prix de la course. Le vainqueur recevoit un vase dans lequel il y avoit du vin, du miel, du fromage, de la farine & un peu d’huile. La fête se terminoit par un repas. Les mêts étoient apportés par des femmes pour rappeller le souvenir des mères qui, obligées d’envoyer il Créte leurs enfans en tribut, leur donnoient, en les quittant, quelques provisions pour le voyage.


Panatilénées, fêtes en l’honneur de Pallas. Les grandes Panathénées se célébroient tous les cinq ans, & les petites tous les trois ans. Chaque ville, chaque bourgade de l’Attique étoit obligée, de fournir des bœufs pour cette fête qui se terminoit par un abondant repas. Les jeunes filles brodoient une pièce d’étoffe qui étoit offerte à la déesse & qui représentoit la victoire qu’elle remporta sur les géans, lorsqu’ils se soulevèrent contre Jupiter. Les noms des citoyens qui s’étoient distingués par des services rendus à la patrie étoient brodés sur cette étoffe, & ils regardoient cet honneur comme une récompense de leurs vertus. C’étoient des vieillards choisis & remarquables par leur beauté qui jouoient le grand rolle à cette solemnité ; ils portoient des branches d’olivier. Tous les habitans de l’Attique qui cultivoient des oliviers, étoient obligés, en ce jour de fête, d’en présenter des fruits à la déesse. Cette solemnité avoit un double objet ; de célébrer Pallas comme in inventrice de l’ olivier, & de rappeller le souvenir de l’union de différentes bourgades de l’Attique en une seule cité.

Thalysia, fêtes en l’honneur de Cérès, dans lesquelles on lui offroit les prémices dus moissons.

Thesmophories, Ces fêtes se célébroient pendant trois jours en l’honneur de Cérès, qui, en appellant les hommes à la culture de la terre & à l’état social, leur avoit donné des loix Les Thesmophories étoient célébrées, par les femmes, & le plus profond mystère étoit observe sur ce qui s’y passoit. L’homme téméraire qui se seroit introduit parmi elles, auroit été puni de mort. On ne peut donc rien dire sur ces fêtes. On sait seulement que des femmes choisies entre les plus respectables par leur réputation de vertu, se rendoient à Eléusis portant sur leurs têtes les livres des loix & les choses sacré|)}}es qu’un voile cachoit aux yeux des profanes. (L)

ROIDE, (adj) Les formes roides sont contraires à la nature qui, dans les objets animés, a plus ou moins prodigué la souplesse, & dans les choses inanimées, la variété : l’art doit s’efforcer de ne se pas lalisser vaincre par la nature. Toutes les fois que, dans les formes de l’homme ou des animaux, elle semble près d’affecter la ligne droite qui auroit de la roideur, elle l’abandonne aussitôt pour tracer une ligne ondoyante. Dans les campagnes cultivées, on peut rencontrer des formes roides ; on n’en trouve point dans la campagne sauvage & abandonnée à elle-même. Le terrein est différemment sillonné par le passage ou le séjour des eaux, par l’impétuosité des vents ou des tempêtes. Si dans une vieille forêt, quelques arbres élèvent directement leurs tiges vers le ciel, la roideur de ces tiges est interrompue par des plantes parasites, & d’autres arbres diversement tortueux contrarient par leurs formes bizarres ces formes trop régulières : les rochers, brisés par les efforts des siècles, offrent l’image d’antiques ruines. Tout s’écarte de la roideur & d’une froide régularité.

L’homme qui s’abandonne à lui-même n’a jamais de roideur dans ses attitudes : s’il en affecte quelquefois, c’est par effort ; c’est qu’il pense que ce maintien annonce une meilleure éducation que celui qu’il prendroit naturellement. Si cette roideur, longtemps étudiée, lui est devenue familiére, c’est qu’en lui l’habitude a vaincu la nature.

L’objet de l’art est la nature libre & non la nature contrariée : l’artiste doit l’étudier & l’imiter dans toute la variété de les formes & dans toute la souplesse de ses mouvemens. Dès


qu’elle prend de la roideur à ses yeux, il doit croire que ce n’est plus tale ; & dés qu’il en remarque dans son propre ouvrage, il doit tre persuadé qu’il n’a fait qu’une fausse imitation. (L)


ROMANESQUE, ROMANTIQUE (adj) Ces deux mots ne sont pas synonymes. Le romanesque est ce qui appartient au roman, le romantique est ce qui lui convient ou qui a l’air de lui appartenir. Le sujet d’un tableau peut être tiré d’un roman, & par conséquent être romanesque, sans être traité d’une manière qui ait rien de romantique. D’agréables bizarreries dans les ajustemens, des parures fantasques, d’ingénieuses singularités dans le site, dans la disposition de la scène, ont quelque chose de romantique. Le spectateur sent que ces fantaisies n’appartiennent ni à l’histoire, ni à la vie commune, & il les attribue au roman. Le Bénédette, Santerre, Grimons & surtout Watteau ont des singularités piquantes qui rendent leurs tableaux romantiques. Plusieurs peintres, tels que Rembrant, Salvator Rose, le Feti &c, ont porté, dans le genre de l’histoire, le style romantique. C’est un grand défaut, que les agrémens qui l’accompagnent ont fait quelquefois pardonner ; car on pardonne tout à ce qui plaît.

Le mot romantique appartient à la langue Angloise : plusieurs écrivains français en ont fait usage, & comme il n’a point d’équivalent dans notre langue, il mérite d’y être adopté. (L)


ROMPRE, (verbe actif) Rompre les couleurs ne doit s’entendre que de l’action de varier des couleurs sur le tableau. Ainsi les couleurs rompues pourroient aussi s’appeller teintes rompues, perce que c’est un changement de teintes sur un même objet.

Pour bien sentir la force de cette manière de parler qui n’a lieu que dans la partie qu’on appelle coloris, il faut être instruit de quelques principes élémentaires bien simples.

Les couleurs naturelles sont celles dont le peintre charge sa palette ; elles sont dans l’état où on les achete dans les boutiques, & la main de l’artiste ne les a pas encore mélangées. Or, les cas où ces couleurs doivent être employées en nature sont très-rares : pourquoi ? C’est qu’il est très-rare que les couleurs locales de la nature à imiter par l’artiste, soient précisément les mêmes que celles dont sa palette est chargée, & il est encore plus rare que la couleur réelle ou locale de l’objet ne soit pas altérée, modifiée ou relevée, soit par le plan qu’occupe cet objet, soit par l’effet de la lumière & de ses déclinaisons. Ainsi, il est nécessaire que les couleurs dont le peintre use pour son art soient rompues sur son tableau.

On n'admet guères le précepte de la rupture des teintes que dans le même objet, comme tous l'avons dit. Ainsi que l'artiste ait à peindre un mur, on exige qu'il ne soit pas de la même teinte & qu'il ime la variété des couleurs que la nature offre, & on lui dit : il faut user de couleurs rompues, il faut rompre vos couleurs.

Usons d'un exemple dans un cas un peu plus recherché. Le peintre veut donner pour fond un rideau rouge au portrait d'un homme vêtu de noir ; ce rideau doit être de couleurs rompues, 1°. parce que la distance du rideau au devant du tableau lui fait perdre de la puissance de sa couleur propre, 2°. parce que le pavé, les meubles, la figure du portrait elle-même peuvent répandre des teintes étrangères sur ce rideau qui changent la nature de sa couleur. 3°. Enfin ce rideau forme des plis qui produisent différens plans, & offrent dos surfaces diverses soit à la lumière, soit à l'ombre. Les masses ombrées de leur côté prennent des teintes des objets voisins qui réfléchissent des rayons lumineux. Par toutes ces rairons, la couleur locale du rideau rouge doit être rompue, celles de ses diffèrentes masses doivent l'être aussi, & il ne reste aucune de ses parties qui conserve la nature de sa couleur réelle.

Le tableau que nous avons eu en vue, en proposant cet exemple pour la rupture des teintes, est celui de Rubens où il a représenté François de Médicis grand duc de Toscane, dans la galerie du Luxembourg ; ouvette autrefois à l'instruction & à la curiosité publique. (Article de M. Robin.)


RUPTURE, (subst fem.) La rupture des couleurs est le mélange que l'artiste fait de différentes couleurs qui se rompent entr'elles par ce mêlange, & cessent d'avoir le ton qu'elles oftroient quand le peintre les a mises sur sa palette.



  1. (1) Voyez le mot fond, plan, &c.