Erreurs et brutalités coloniales/II/III

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Éditions Montaigne (p. 106-114).


CHAPITRE III


Le commandant Vache prend le commandement de la province de Farafangana. — Nossi-Bé et les assassins de Ratovo. — Défaite de Befanhoa par les troupes du commandant Vache et du capitaine Maritz. — Attaque du repaire d’Iabomary occupé par Kotavy. — Kotavy au repaire de Papanga. — Prise de Kotavy. — Sa mort mystérieuse.


L’émoi causé à Tananarive par la situation de Port-Dauphin, émoi dont les dépêches notées au chapitre précédent étaient l’expression, eut pour conséquence que le chef de bataillon Vache dut, au début de son commandement, s’occuper de secourir Fort-Dauphin, tout en opérant dans la province de Farafangana.

Le 12 décembre, laissant comme réserve à Vondrozo et Farafangana une compagnie de la Légion, le commandant Vache divisa à Vangaindrano sa troupe en deux détachements.

Une compagnie sénégalaise (capitaine Bourgeron) descendrait au sud en suivant la côte ; une autre (capitaine Fleuriot de l’Angle) se dirigerait par Midongy sur Manantenina et Ranomafana, au secours du cercle de Fort-Dauphin. Le commandant Vache, à la tête du groupe Bourgeron, se dirigea sur le groupement de rebelles que nous avons vu assassiner l’instituteur Ratovo puis se fortifier dane l’île de Nossi-Vé et le village de Nosamby.

Le groupe rebelle cantonné à Nossi-Vé, se composait des assassins de Choppy, de ceux de Ratovo, et de quelques-uns des miliciens déserteurs d’Amparihy, peut-être guidés par Kotavy.

Des émissaires, chargés de proposer la soumission aux rebelles, ayant été reçus à coups de fusils, il fallut employer la force. Le 13 décembre, le village de Nosomby, fortifié, fut enlevé par le capitaine Bourgeron et ses défenseurs dispersés. Pendant ce temps, une fraction de la compagnie sénégalaise descendait la rive droite de la Masianaka, afin d’atteindre les fahavalos campés dans l’île de Nossi-Vé.

Le 14, dans la matinée, les villages de l’île se hérissèrent de drapeaux blancs, demandant à parlementer. Le commandant Vache entama la conversation ; les rebelles la traînèrent en longueur ; puis armés d’une trentaine de fusils 1886, sous les ordres, pense-t-on, de Kotavy, ils ouvrirent un feu violent sur le détachement campé de l’autre côté de la rivière.

Au cours de cet engagement un sergent européen (Juillet) fut blessé, un caporal sénégalais tué, quatre tirailleurs blessés. Les rebelles, ayant perdu plusieurs des leurs, évacuèrent l’île, où les Français pénétrèrent le 15 au matin.

Après avoir enlevé Nossi-Vé, la colonne Bourgeron se porta sur Vatanata, puis sur Isahara où étaient signalés des rassemblements hostiles ; elle ne trouva aucune résistance et le capitaine Bourgeron s’établit à Vangaindrano, chef-lieu du district dont le commandement lui avait été confié.

Le 29 janvier au matin, une colonne commandée par le commandant Vache en personne, suivi d’une pièce d’artillerie, accompagné des Sénégalais du capitaine Bourgeron et de miliciens sous les ordres du garde de milice Huet, de la compagnie malgache du capitaine Quinque, des miliciens du lieutenant Lacourière, bombardait et enlevait le réduit de Béfanhoa, après un assaut donné par les miliciens de Huet.

Le lendemain la colonne se portait sur le pic Jomondahi, où s’étaient réfugiés les rebelles ; elle y mettait les occupants en fuite et récoltait un millier de bœufs abandonnés.

Les pertes des vainqueurs étaient légères : un milicien tué, deux sénégalais et un partisan blessés.

Béfanhoa se retira par le sud, dans la forêt, où l’attendait la compagnie sénégalaise du capitaine Maritz. C’est ce dernier qui, le 20 février et jusqu’au milieu de mars, culbuta les hommes de Béfanhoa et les poursuivit sans répit.

Kotavy prit-il part à l’affaire de Nossi-Vé ? On ne sait, et pendant la fin de décembre 1904 et janvier 1905, ses traces furent perdues ; à cette époque l’activité de la répression fut dirigée contre Béfanhoa et se porta au nord de la province de Farafangana.

De son côté, Kotavy avait vu, vers le mois de mars, sa troupe se grossir de quelques unités. Des rebelles, chassés de Fort-Dauphin par la progression des troupes, s’étaient infiltrés dans les provinces voisines. Nous avons vu Begaki pénétrer dans la région de Betroky, par l’Isoanala. D’autres, de même origine, soulevaient, dans le sud du district de Midongy, la tribu Talalafitsy et provoquaient l’assassinat de deux partisans envoyés pour les ramener à la soumission. En fait, la tribu, ou plutôt les auteurs de l’assassinat, qui en faisaient partie, se joignirent à Kotavy, récemment installé dans les anfractuosités rocheuses, appelées repaire d’Iabomary.

Le 11 mars un détachement venu de Betroka les attaqua sans succès ; le caporal Wirth fut tué dans cette action. Le repaire d’Iabomary devint, par la renommée, une nouvelle Ilion. Sur lui se dirigèrent toutes les forces du commandant Vache. Avec Kotavy se trouvait Rabehary qui, à Amparihy, avait été un des plus ardents promoteurs de la révolte des indigènes et de la défection des miliciens.

Le 14 avril, dans la soirée, le commandant Vache arriva à proximité du repaire d’Iabomary, occupé par la bande des fidèles de Kotavy. Le repaire était établi dans un amas de rochers, qui formaient une falaise abrupte perpendiculaire à la rive gauche de l’Ionaivo.

En face de la falaise, une assez grande étendue de terrain découvert permettait aux défenseurs du repaire un tir efficace. Sur la rive droite de l’Ionaivo s’érigeait une ligne de mamelons, de même altitude que la falaise, mais d’une direction parallèle au fleuve.

Le commandant Vache, le 15 au matin, prit ses dispositions d’attaque : son artillerie, composée d’une pièce de 85 de montagne, tirant de la rive droite de la rivière, fut chargée de démolir les rochers au milieu desquels se tenait la troupe de Kotavy. Une section d’infanterie s’établit sur le sommet de la falaise de la rive gauche. Sa mission consistait à arrêter la retraite des insurgés, quand délogés de leurs grottes, ils tenteraient de fuir par le haut des rochers. Enfin une section de Sénégalais, commandée par le lieutenant Janvier de Lamotte, prenait position sur la rive gauche de l’Ionaivo, face au repaire, prête à lui donner l’assaut au moment propice.

L’action commença par un feu d’artillerie, dont d’emblée d’inefficacité, à prévoir, se manifesta complète. Le 85 de montagne, aux projectiles sans puissance, ne pouvait produire que quelques éclats de pierre, mais il était absolument incapable de tailler dans la falaise un vide de quelque importance, d’autant que la trajectoire était parallèle et non perpendiculaire ou fortement oblique au but. Après quelques coups dont l’inutilité était patente, l’artillerie se tut.

Pendant ce temps, la compagnie chargée de la rive gauche de l’Ionaivo, s’était avancée sur le sommet de la falaise. Le repaire naturel abritant la troupe de Kotavy était creusé sous elle. Il apparut alors que le sommet de la falaise était en surplomb, que l’ennemi se tenait en retrait, et que de ce côté il échappait totalement au feu des tirailleurs.

Aussi le commandant Vache donna-t-il l’ordre au peloton sénégalais de Janvier de la Motte, d’attaquer de front. Les Sénégalais s’avancèrent bravement, le lieutenant en tête. Une décharge les arrêta net. Kotavy avait visé et tué d’une balle en plein front le lieutenant Janvier de la Motte. Six Sénégalais tombaient à ses côtés. Ce ne fut pas sans peine que les cadavres des morts et notamment celui du lieutenant, purent être relevés et emportés.

Le combat fut rompu. Le commandant Vache ne sachant quelle mesure prendre, demeura avec sa troupe toute la journée suivante 16 avril sur les lieux du combat, puis le 17 se retira simplement.

Kotavy et ses quelques partisans ayant, sans difficulté, abandonné Iabomary, défilèrent parallèlement à la falaise, sans qu’aucun obstacle leur ait été opposé.

Depuis le début de leurs opérations et notamment à Iabomary (quatre mille coups de feu), Kotavy et sa troupe avaient consommé une quantité de munitions bien supérieure à celle représentée par les cartouches enlevées à Amparihy, ou aux tirailleurs de la reconnaissance Baguet. Il est certain que les insurgés avaient trouvé, pour se ravitailler en munitions, des complicités, dont l’existence n’était pas douteuse, mais qu’il fut impossible d’établir nettement. Les précautions minutieuses qu’avaient prises Kotavy empêchèrent de découvrir la provenance des munitions. À Iabomary, Kotavy distribuait les cartouches lui-même à chaque tireur, et chacun devait lui rendre les étuis de celles qu’il avait brûlées. Ces étuis avaient été soigneusement recueillis et replacés dans des caisses que Kotavy emporta en quittant Iabomary. « Il faut, dit-il, emporter les étuis, car le jour où les vazahas connaîtraient leur provenance, nous ne pourrions plus en avoir ».

Ces détails furent donnés par deux indigènes qui se trouvaient dans le repaire de Iabomary, lors de l’attaque infructueuse du commandant Vache, et que le lieutenant Deville, d’Imandabé, arrêta au cours d’une reconnaissance.

Sur la provenance des cartouches, les prisonniers racontaient : « Qu’un Anglais venait en bateau à Manambondro apporter les cartouches et les remettait à un indigène de ce village. Un délégué de Kotavy, suivi de quatre bourjanes, allait les chercher et les apportait par le chemin de Vatanata. » Le lendemain de l’affaire du 15-16 avril, Befotsy, le transporteur habituel, retourna à Manambondro, mais le bateau n’était pas arrivé ; il y retourna le 20. L’identité de l’Anglais, pourvoyeur des rebelles, ne fut pas établie. On soupçonna un Mauricien, fixé à Farafangana, et qui se trouvait en correspondance avec certains hôtes du repaire de Labomary.

Papanga était situé au nord-ouest de Ranotsara au col d’Isandaly, dans la forêt, à cheval sur la route de Midongy à Vangaindrano. C’était un point d’où il était possible de surveiller les mouvements de ces deux postes. En s’établissant à Papanga, Kotavy, après avoir quitté Iabomary, demeurait dans la région d’Amparihy, d’où il était parti et dont il ne s’était jamais beaucoup éloigné. Dans ce pays dont il connaissait tous les sentiers, au milieu d’indigènes de sa race, il se sentait dans une sécurité relative. Son expérience de la forêt le mettait aisément à l’abri des poursuivants ; la connivence de la population lui fournissait des renseignements sur les préparatifs, les marches de ses adversaires. Il était arrivé à Papanga après avoir été vivement attaqué du 5 au 8 mai par le capitaine Doré au nord-ouest du poste de Ranotsara, commandé par cet officier. D’un autre côté, le lieutenant Thibon, sorti de Befotaka, avait, pendant le même temps, poussé une reconnaissance pour lui barrer le chemin.

Avec Kotavy, dont la troupe s’était bien réduite, se trouvaient Mahafiry, assassin de Vinay, l’ombiasy Ireinigakoky, Lebehany, autre assassin de Vinay et ses fils : Berief et Tsivalia, Tsimafero, Toneho, Imantara, tous très compromis.

Le capitaine Doré investit le repaire de Papanga. Instruit par l’expérience de Iabomary, il entreprit cete opération de façon à éviter à sa troupe des pertes inutiles.

La tactique de Kotavy et des Fahavalos établis dans un repaire, consistait à construire des retranchements : parapets, abatis, etc., derrière lesquels ils étaient à l’abri des balles, et à aménager, aboutissant à ces défenses, des voies d’accès que commandait leur tir. À Iabomary, le lieutenant Janvier de Lamotte et ses Sénégalais avaient payé de leur vie, l’imprudence d’un commandement qui les avait lancés sur des sentiers exposés au feu d’un ennemi invisible.

Le capitaine Doré se garda bien de s’engager dans une de ces souricières, et se dirigea sur le réduit de Papanga, en dehors des sentiers frayés, en progressant directement à travers la forêt, traçant au coupe-coupe des voies d’accès.

La méthode entraînait des fatigues énormes ; la troupe avançait péniblement à travers l’impénétrable forêt aux troncs réunis par des lianes. Le 28 mai, après trois semaines d’efforts, le cordon d’investissement arrivait à huit cents mètres du réduit.

Kotavy déconcerté par cette avance sans combat (un seul homme, un partisan des troupes du capitaine Doré, avait été tué) abandonna Papanga le 31 mai, s’infiltrant par des passages de lui seul connus, à travers les assiégeants.

De ce moment Kotavy disparut, perdu de vue. Il fut signalé le 7 juin dans la vallée de l’Irina, entre Betroky et Tsivory, mais cette indication, non confirmée, demeura incertaine.

Après sa fuite de Papanga, Kotavy vit se fondre la troupe de ses partisans. Isolé, il erra de village en village, dans un pays dont il connaissait tous les détours, jusqu’au jour, nous le verrons plus loin, où il tomba aux mains des troupes françaises.