Erreurs et brutalités coloniales/II/IV

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Éditions Montaigne (p. 115-129).


CHAPITRE IV

La fin de la révolte


Le lieutenant-colonel Berdoulat. — Vue générale sur la répression et les opérations militaires et politiques. — Ce que devinrent les principaux révoltés.


Le capitaine Quinque (14-3-05) n’acceptait la soumission des dissidents, des gens ayant pris la brousse, (alors même que rien ne prouvait leur complicité dans les assassinats commis sur des Européens au début de l’insurrection, ou leur participation aux combats livrés par les rebelles) qu’aux conditions suivantes :

Reddition des fusils à pierre et des sagaies, paiement de 5 francs d’amende par groupement et reconstruction des villages en dehors des cactus, journées de travail à la disposition du chef de district.

Aux tribus ayant pris, avec certitude, part à des actes insurrectionnels, il imposait la restitution des fusils modèle 86. Moyennant cette restitution tous auraient la vie sauve.

« Plus tard, ajoutait le capitaine Quinque, nous repincerons les coupables à la première faute. Pour le moment il faut en finir et surtout rattraper les fusils. »

Postérieurement (24-5-05) il confirme ces conditions : Reddition des armes et sagaies, amende de 5 francs par bourjane rebelle ou ayant quitté son village pendant la rébellion. « Je me réserve plus tard, dit-il, la destruction des cactus entourant les villages, mesure impolitique en ce moment de rébellion, mais qu’il y aura lieu de reprendre pour des raisons d’hygiène ».

Le lieutenant-colonel Berdoulat, alors chef d’état-major des troupes d’occupation, avait pris le 1er août la direction des opérations militaires dans toute la région insurgée. Nous avons vu quel résultat heureux cette unité de commandement avait déterminé au point de vue militaire. Le lieutenant-colonel Berdoulat ne fut pas moins heureux dans sa conception politique que dans ses directions tactiques. Le 5 août il adressait à ses subordonnés une circulaire disant :

« L’important pour assurer la pacification rapide et définitive sera : 1° De faciliter par tous les moyens la reconstruction des villages et les cultures. 2° De maintenir la plus stricte discipline dans les reconnaissances toujours commandées par un Européen, un officier de préférence (pas d’abus dans les villages). 3° De veiller avec soin aux manœuvres des partisans et les tenir rigoureusement en laisse (ceux de Befotaka viennent de faire une opération de guerre contre les bourjanes d’Andetra qui amenaient des soumissionnaires et en ont tué deux). — Enfin montrez-vous très large pour les conditions de soumission. La leçon a été dure et servira pour longtemps, je l’espère. »

Le même jour, il prescrivait spécialement au capitaine Quinque, au sujet des redditions d’armes :

« Mais surtout pas de précipitation, attendez qu’ils aient réintégré leurs villages et recommencé leurs cultures.

Le mieux serait d’obtenir le résultat visé par la persuasion (on y est arrivé ailleurs).

Je reçois des plaintes — elles sont nombreuses — remontant à un an et demi, au sujet d’abus d’autorité, de mauvais traitements, d’extorsion de fonds ou de bœufs et imputées, les unes au soldat Babou d’Esira, les autres à des partisans et des tirailleurs… J’aime à croire que les faits ont été à dessin dénaturés par les indigènes, car s’ils étaient fondés, on s’expliquerait la violence exceptionnelle de cette rébellion. »

Et le lendemain, le lieutenant-colonel Berdoulat adressait au capitaine Quinque des instructions se terminant ainsi :

« Pas de politique à coups de trique surtout. Prenons notre temps, les Baras ne sont jamais pressés. Une politique menée militairement n’a aucun effet, pas plus qu’une action militaire menée mollement ».

Et un peu plus tard, le lieutenant-colonel Berdoulat envoyait à Tananarive, au gouverneur général, un télégramme demandant le rappel du capitaine.

Les indigènes qu’avait terrorisés la rigueur apportée par le capitaine Quinque dans la répression, comme dans les agissements ayant déterminé la révolte, revinrent dans leurs villages, et à la fin d’août 1905, il ne restait que bien peu de dissidents tenant la brousse.

Fusils baras et sagaies étaient en réalité des armes de parade. À l’ambulance de Midongy du sud, où furent soignés les blessés, un seul avait été atteint par un projectile de fusil bara. Tous les autres avaient été frappés par des balles de 86, ou de 74. Les rebelles n’avaient été armés efficacement que par les prises effectuées dans les postes enlevés.

L’autorité qui, nous le verrons, avait semé l’esprit de révolte parmi les indigènes, par une politique inintelligente, n’avait pas, au point de vue militaire, fait preuve d’une plus grande prévoyance qu’au point de vue administratif.

Les troupes étaient en nombre largement suffisant pour maintenir l’ordre et réprimer des soulèvements forcément localisés, à cause de la multiplicité de tribus sans lien entre elles, le plus souvent ennemies. Mais ces troupes avaient été dispersées dans des postes, aux garnisons d’autant plus faibles que les postes étaient plus nombreux. Ces garnisons, réduites à quatre ou sept tirailleurs comme à Manantenina et à Ranomafana, ces détachements comptant dix ou douze fusils comme celui commandé par le sergent Casalonga, devaient être submergés au milieu des insurgés : leur armement passait aux mains des fahavalos. Cette situation paradoxale s’établit, que, s’il n’y avait pas eu de troupes, les rebelles n’auraient pas pu s’armer. Dès le début de l’insurrection, les opérations militaires furent mal dirigées (affaire Baguet, promenades du capitaine Quinque, tergiversations du commandant Leblanc, échec de Iabomary, etc.) Ainsi, ce fut l’insuffisance même du commandement qui arma et développa l’insurrection. La situation en arriva à cet état quelque peu humiliant : deux mille hommes de troupes régulières, à la poursuite de quelques indigènes, armés de fusils français, modèle 86. La lutte ne se termina que par la fatigue des insurgés au bout de neuf mois.

Les opérations militaires, dans chacune des provinces insurgées, avaient été dirigées sans plan d’ensemble. Là où il aurait fallu un commandement unique, il y avait autant de chefs, non pas seulement que de provinces, mais de districts. Chacun cherchait à jouer son rôle, ne voyant que le succès de son bataillon ou de sa compagnie, s’efforçant de conserver ses effectifs les plus élevées possible, alors qu’une partie de ces effectifs eût été plus utilement employée par le voisin. Chacun avait sa méthode, chacun voulait s’emparer de Kotavy ou de Befanhoa. Des rivalités entre chefs d’unité se manifestaient. Midongy voyait d’un œil défiant ce qui se faisait à Vangaindrano ou à Betroka.

L’unité de commandement, réalisée par la mise à la tête de toutes les troupes du lieutenant-colonel Berdoulat, chef d’état-major, mit une fin rapide à l’insurrection ; tout fut terminé en trois mois. Le lieutenant-colonel Berdoulat se montra, non seulement un chef militaire capable, mais un administrateur avisé. Il fit relever de son commandement le capitaine Quinque et par des mesures intelligentes de clémence amena des soumissions que la force seule n’eût pu déterminer.

Sous la pression des forces militaires considérables mises dès lors en mouvement, l’effort de la résistance s’épuisa. Les fahavalos pourchassés, menant dans la forêt une vie de misère, se rendirent successivement. Les mesures de clémence intelligemment prises par le lieutenant-colonel Berdoulat, avaient eu plus d’influence que l’emploi de la force. Néanmoins, le chiffre des troupes belligérantes étonne quelque peu par sa disproportion avec le nombre des insurgés tenant la campagne.

En avril, opéraient dans la province de Farafangana : six compagnies malgaches, une compagnie et demie de Sénégalais, une compagnie comorienne, avec de la légion étrangère. Dans la province de Fort-Dauphin, la campagne était tenue par quatre compagnies sénégalaises et quatre compagnies malgaches.

Au total, dans la région révoltée, l’autorité disposait de dix-sept compagnies et demie, valeur numérique de l’infanterie d’une division. Avec les cadres de sous-officiers européens, c’était près de trois mille fusils à tir rapide, sans compter au moins deux cents miliciens armés de fusils modèle 1874.

De leur côté, les indigènes ne disposèrent jamais de fusils 86, autres que ceux enlevés à Amparihy (un fusil de Vinay), à Begogo (cinq fusils), à Esira (dix), au détachement de Casalonga (sept), à la troupe de Baguet et Janiaud (quatre). Au total, vingt-six fusils. En fusils 1874, ils s’étaient ravitaillés à Amparihy (douze fusils de miliciens). Ils possédaient en outre de nombreux fusils baras, — à pierre, sans précision, sans portée, ne faisant que du bruit —, des sagaies et des bâtons pointus.

La prise de Kotavy, considéré comme chef et âme de la révolte, devait, dans l’esprit de l’autorité, amener la fin des troubles. Errant, fugitif, dans une région dont les habitants étaient tous ses complices plus ou moins déclarés, Kotavy échappait aisément aux recherches dont il était l’objet.

Le capitaine Bourgeron, chef du district de Vangaindrano, mit une activité infatigable à la découverte du rebelle. Dès le 27 avril, les émissaires du capitaine arrêtaient et faisaient transporter à Vangaindrano deux femmes, l’une Itzika, épouse divorcée de Kotavy, avant le drame d’Amparihy, l’autre Masovelo, sa femme légitime. Cette dernière, enceinte, fut découverte à Vohimalaza. Ni l’une ni l’autre de ces femmes ne donna de renseignements sur le lieu où, en évacuant Papanga, Kotavy s’était réfugié. Il semblait avoir marché vers le nord, du côté du col d’Idsandela. Certains désaccords s’étaient produits, semblait-il, entre ses partisans, lesquels se seraient divisés en deux ou plusieurs bandes.

Le 7 mai, le grand-père de Kotavy, Iabanitsemitabo, était arrêté à Vangaindrano. Deux jours après, Rahamatonga, le chef de Sandravinany, faisait évader de Sandravinany, où elle s’était réfugiée, la famille de Kotavy, composée de son père, sa mère et son frère. Rahamatonga arrêté, dirigé de Sandravinany sur Vangaindrano, essayait de fuir et était tué par son escorte.

Avec Kotavy se trouvaient encore : Lebehany, chef de Saharoanga, avec ses deux fils Besiefo et Tsivolia, et d’autres chefs tels que Timarefo et Tomeko. Mais la famille du proscrit demeurait aussi introuvable que lui-même.

Le 3 juin le capitaine Bourgeron, sur des renseignements paraissant sérieux, envoyait des émissaires chargés d’arrêter Kotavy, dans les environs de Manambondro. Les émissaires ne purent s’en emparer, mais amenèrent à Vangaindrano la tante et mère nourrice de Kotavy, ainsi qu’un de ses cousins. Isery, chef du district de Vohimalaza, avait prévenu les intéressés, bien qu’il affirmât ne pas les connaître.

Igindy et Ramahatano, évadés de la prison de Manambondrono, avaient rejoint Kotavy errant dans la brousse. Le chef de faritany, Isery, fut incarcéré. Il devait demeurer en prison jusqu’à ce qu’il ait : 1° Fait livrer Kotavy ; 2° Fait arrêter Igindy et Ramahatano ; 3° Fait trouver les bœufs de Mahafiry, assassin de Vinay, tué à Iabomary. D’autre part, on faisait savoir au grand-père de Kotavy détenu depuis le 7 mai, qu’il serait rendu libre dès que son petit-fils serait arrêté. Le 28 juillet le service de renseignements mandait que Kotavy avait quitté le district de Midongy pour se diriger vers Manambondro. On supposait qu’ayant connu la proclamation du lieutenant-colonel Berdoulat, sur les conditions de soumission, il avait le dessein de se livrer à Vangaindrano. Il était signalé comme ayant quitté les bords de l’Itomanpy, et s’étant établi dans un village situé sur la rive gauche de l’Isandra, entre Sandravinany et Amparihy.

Le 19 août le garde de milice Peron arrêtait Imanisaky d’Amparihy, un partisan ayant servi Kotavy depuis le début de l’insurrection. Imanisaky raconta que Kotavy s’était réfugié dans la forêt de Farahigelahy, au nord d’Amparihy. Il était sans armes, accompagné de quelques hommes, disposés à se laisser prendre plutôt qu’à se rendre. Le 22 août les renseignements se précisaient. Kotavy était dans la forêt de Farahigelahy. Il avait avec lui sept hommes : Ibenda, Ibanara, Ringoaka, Itsimandro, Iretany, Leybana, Ibetsiefa fils du précédent, et un atanosy inconnu. La petite troupe possédait cinq fusils modèle 74 et trois modèle 86.

Le 30 août, probablement trahi par un de ses hôtes d’une nuit, Kotavy fut arrêté dans les environs de Sandravinany, et incarcéré.

Le lendemain 1er septembre arrivait à Sandravinany le secrétaire général de Madagascar, gouverneur général par intérim, durant l’absence du général Galliéni.

Depuis dix jours, M. Lepreux parcourait les provinces récemment insurgées, accompagné d’un nombreux état-major, haranguant les populations dans des kabarys solennels, dont l’effet, d’après ses comptes-rendus au ministère, lui semblait considérable. Dès la veille, en entrant dans la province de Farafangana, il avait appris l’arrestation de Kotavy.

De Fort-Dauphin, afin de hâter leur soumission, il avait, par des émissaires, fait savoir à Befanhoa et à Kotavy, que, s’ils se rendaient, ils auraient la vie sauve. On a dit — et de ce dire je n’ai pu découvrir ni l’origine ni encore moins l’authenticité — que Kotavy avait déclaré n’avait point eu communication de cette promesse du gouverneur général. Kotavy, se rendant spontanément, eût évité le châtiment ; arrêté, il demeurait exposé à toutes les rigueurs ; il eût donc été de la plus haute importance de fixer exactement dans quelles conditions avait été incarcéré le prisonnier de Sandravinany. En effet, M. Lepreux écrivait au Ministre : « L’interrogatoire de Kotavy qui suivit le kabary ne m’apprit rien de particulier. L’ancien caporal de milice déserteur avait eu de brillants états de service et ne pouvait guère arguer pour sa défense que la crainte de représailles de la part de ses compatriotes, s’il refusait de se joindre à eux. Originaire d’Amparihy, etc. etc. »

Ces phrases semblent être le résumé des réponses de Kotavy à l’interrogatoire de M. Lepreux ; il n’en est rien. Ce sont des interprétations de la conduite de Kotavy, lequel ne fut pas interrogé par le gouverneur-général intérimaire.

J’ai sous les yeux un procès-verbal de la comparution de Kotavy, rédigé le jour même par un des assistants, appartenant à la suite de M. Lepreux.

Kotavy fut extrait de la prison de Sandravinany, enchaîné aux bras et aux jambes et porteur d’une lourde cangue, sous la surveillance de deux Sénégalais. Il fut interrogé, non pas par M. Lepreux, mais par M. Benevent, administrateur chef, commandant la province de Farafangana. Cet interrogatoire ne fut pas rigoureux ; il se transforma en une conversation presque à bâtons rompus ; une seule phrase de Kotavy est à retenir : « Il s’était révolté parce que lui et ses frères étaient persécutés ».

La forme prise par cet interrogatoire s’explique aisément. M. Benevent, parlant la langue du pays, inconnue du gouverneur-général intérimaire, était tout désigné comme interrogateur. Ceux qui ont connu M. Lepreux, personnage infatué de son importance, soucieux avant tout de prestige, ne le pouvaient voir se commettre avec un simple caporal de milice.

Quant au fond de l’interrogatoire, aux raisons ayant amené Kotavy à se rebeller, M. Benevent, qui avait défendu Vinay et toujours soutenu que les causes de la révolte n’avaient pas été des fautes, des exactions commises par le personnel sous ses ordres, était peu disposé à recevoir de Kotavy des déclarations jugées dangereuses.

Entre les assistants s’engagea une conversation : qu’allait-on faire de Kotavy ? Les militaires demandaient qu’il fut immédiatement fusillé avec éclat, devant la population de Sandravinany. Ils jugeaient cette exécution indispensable comme exemple donné aux indigènes, qui hier encore, suivaient Kotavy dans sa révolte. M. Lepreux, plus modéré, décida que Kotavy serait déféré à une cour criminelle siégeant à Farafangana. Un télégramme fut expédié à ce sujet au procureur général à Tananarive.

Quelqu’un opina que Kotavy devrait suivre le gouverneur à Farafangana. L’administrateur Benevent et le capitaine Bourgeron combattirent cette proposition : Kotavy était un homme dangereux ; en route il pourrait faire chavirer la pirogue et s’évader. Kotavy fut laissé à Sandravinany, emprisonné, sous la garde des Sénégalais.

Le lendemain à 6 heures, le gouverneur Lepreux partait pour Farafangana. À 12 heures, à Manambondrono, l’administrateur Benevent et le capitaine Bourgeron recevaient du lieutenant Bars, demeurant à Sandravinany, une lettre qui annonçait, sans donner de détails, une tentative d’évasion de Kotavy. M. Lepreux arriva à Farafangana le 9 septembre ; il y trouva cette lettre du capitaine Bourgeron :


Vangaindrano, 8 septembre 1905


« J’ai l’honneur de vous adresser ci-joint la copie d’une lettre de Monsieur le Lieutenant Bars, chef du poste de Sandravinany, par laquelle il me rend compte de la mort inattendue de l’ancien brigadier de milice rebelle Kotavy, détenu à la prison du poste en attendant son transfert à la prison de Farafangana. Il ressort d’après la date d’envoi de la dite lettre que le lieutenant Bars n’avait pas encore été touché par l’ordre que je lui ai adressé le 5 septembre d’avoir à mettre en route le dit Kotavy sur Vangaindrano, d’où je devais le diriger ensuite sur Farafangana ».

Bourgeron.


Voici le texte de la lettre du lieutenant Bars, qu’avec sa propre missive, transmettait le capitaine Bourgeron :


« J’ai l’honneur de vous rendre compte que ce matin 5 septembre, au réveil, Kotavy a été trouvé mort dans la prison du poste. Il y a trois jours, j’avais dû, comme je vous l’ai écrit, séparer Kotavy de deux autres prisonniers. Il se trouva donc seul dans l’un des deux compartiments de la prison.

« Je n’ai relevé sur son cadavre aucun indice permettant d’établir la cause de la mort.

« Je me demande si les habitants de Sandravinany qui lui apportaient à manger, ne l’auraient pas empoisonné pour le soustraire aux imaginaires supplices qui l’attendaient. »

Bars.


Dans son rapport au ministre, M. Lepreux relate cet événement en ces termes : « Après mon départ de Sandravinany, les habitants du pays apprirent avec une satisfaction mêlée de surprise que le déserteur n’avait pas été passé par les armes. Cette exécution leur aurait paru si naturelle, si conforme à leurs usages qu’après réflexion, ils se convainquirent que Kotavy allait être amené à Farafangana, non pour être jugé régulièrement, mais pour se voir livré aux tirailleurs sénégalais qu’il avait combattus et qui lui infligeraient les pires tortures. Pour le soustraire à ce châtiment, ils l’empoisonnèrent avec les aliments que, par tolérance, les familles apportaient aux détenus dans les postes où il n’existe pas de véritable prison, ce qui est le cas de Sandravinany ».

Or M. Lepreux n’avait rien fait, bien au contraire, afin de s’éclairer sur les circonstances dans lesquelles avait succombé Kotavy.

À l’hypothèse empoisonnement, s’en opposait une autre : Kotavy aurait été tué par les tirailleurs sénégalais, préposés à sa garde, jaloux de venger leurs frères tombés devant le repaire de Iabomary. L’examen du cadavre de Kotavy, une autopsie, pouvaient permettre de vérifier la valeur de chacune de ces hypothèses. Le Dr Jourdran, médecin-major de 1re classe, de l’armée coloniale, praticien de valeur, accompagnait dans sa tournée administrative le gouverneur ; il lui demanda l’autorisation de pratiquer l’autopsie de Kotavy. M. Lepreux la lui refusa.

La façon dont mourut Kotavy est restée mystérieuse. Certaines observations rendent douteuse l’explication du décès présentée par le lieutenant Bars, acceptée et rendue officielle par le rapport de M. Lepreux au gouvernement.

Kotavy aurait été empoisonné par ses parents ? Quels parents ? Aucun ne s’est fait connaître à Sandravinany, aucun n’a, après sa mort, réclamé son cadavre, n’a demandé à l’ensevelir et à l’inhumer, pratique toujours religieusement respectée pourtant dans la famille malgache. Comment les officiers et soldats chargés de garder un prisonnier aussi important que Kotavy, le chef principal, des révoltés, l’auraient-ils laissé en communication avec ses amis, ses parents, ses complices d’hier ?

Comment admettre, — le gouverneur-général ayant le 1er septembre, à Sandravinany même, après la comparution de Kotavy enchaîné, ordonné son transfert immédiat à Farafangana —, que le capitaine Bourgeron ait attendu jusqu’au 5 septembre, avant de notifier l’ordre de transfert au lieutenant Bars, alors que ces deux officiers avaient été présents ensemble à Sandravinany et entendu l’un et l’autre la décision de M. Lepreux ? Dans cette conférence, le capitaine Bourgeron et M. Benevent avaient opiné d’abord pour l’exécution sommaire et immédiate du révolté, puis opposé des objections à son transport immédiat vers Farafangana.

Toutes ces circonstances montrent combien M. Lepreux fut mal inspiré en refusant de laisser pratiquer l’autopsie de Kotavy.

Kotavy et Befanhoa avaient eu des compagnons de lutte ; de quelques-uns nous connaissons le sort.

Befanhoa fut interné à l’île Sainte-Marie.

Aux côtés de Kotavy et Befanhoa, Mahavelo de Masianaka avait joué un rôle important dans l’insurrection. C’était lui qui avait attaqué et enlevé Ranomafana, à la nouvelle de la mort de M. Hartmann. C’était lui qui avait provoqué l’assassinat de Pietri et le sac d’Esira, lui qui avait, avec ses gens, harcelé puis assiégé Casalonga dans Ampasimano et massacré le détachement acculé dans la vallée de Vatarangano. Il avait aussi attaqué le capitaine Grammont le 4 janvier 1905 à Ranomafana, puis le lieutenant Lefranc à Tsifahora. Il se soumit à Esira, puis fut déporté à Sainte-Marie.

Dans la révolte de la province de Fort-Dauphin un autre chef, Resohiry, avait, lui aussi, joué un rôle de premier plan. Chef intérimaire de Manheva, il avait été, dès avant l’explosion révolutionnaire, signalé pour son attitude hostile envers les Européens.

Ayant reçu de Mahavelo un émissaire qui l’avait mis au fait des événements survenus à Ranomafana, Resohiry entraîna les gens de Fihiela à l’assassinat de Pietri. Ce fut lui-même qui prit le sergent à bras le corps et l’immobilisa pendant qu’Ismahofata et Befify le frappaient de leurs haches.

Ce fut Resohiry qui répartit les fusils enlevés à Esira, contribua à la mort de Casalonga, aux attaques de la colonne Grammont et de Ranomafana.

En mars, il s’était rendu à Esira, mais bientôt disparaissait, ne répondant plus aux convocations. Il fut arrêté au village d’Ampamatoba, non sans résistance ; il tenta de frapper d’un coup de hache l’interprète Léon et les partisans chargés de son arrestation.

Il fut également déporté à Sainte-Marie.