Esprit des lois (1777)/L12/C27

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CHAPITRE XXVII.

Des mœurs du monarque.


Les mœurs du prince contribuent autant à la liberté que les lois ; il peut, comme elles, faire des hommes des bêtes, & des bêtes faire des hommes. S’il aime les ames libres, il aura des sujets ; s’il aime les ames basses, il aura des esclaves. Veut-il savoir le grand art de régner ? qu’il approche de lui l’honneur & la vertu, qu’il appelle le mérite personnel. Il peut même jeter quelquefois les yeux sur les talens. Qu’il ne craigne point ces rivaux qu’on appelle les hommes de mérite ; il est leur égal, dès qu’il les aime. Qu’il gagne le cœur, mais qu’il ne captive point l’esprit. Qu’il se rende populaire. Il doit être flatté de l’amour du moindre de ses sujets ; ce sont toujours des hommes. Le peuple demande si peu d’égards, qu’il est juste de les lui accorder : l’infinie distance qui est entre le souverain & lui, empêche bien qu’il ne le gêne. Qu’exorable à la priere, il soit ferme contre les demandes ; & qu’il sache que son peuple jouit de ses refus, & ses courtisans de ses graces.