Esprit des lois (1777)/L4/C3

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CHAPITRE III.
De l’éducation dans le gouvernement despotique


Comme l’éducation dans les monarchies ne travaille qu’à élever le cœur, elle ne cherche qu’à l’abaisser dans les états despotiques. Il faut qu’elle y soit servile. Ce sera un bien, même dans le commandement, de l’avoir eue telle ; personne n’y étant tyran, sans être en même temps esclave.

L’extrême obéissance suppose de l’ignorance dans celui qui obéit ; elle en suppose même dans celui qui commande : il n’a point à délibérer, à douter, ni à raisonner ; il n’a qu’à vouloir.

Dans les états despotiques, chaque maison est un empire séparé. L’éducation qui consiste principalement à vivre avec les autres, y est donc très-bornée : elle se réduit à mettre la crainte dans le cœur, & à donner à l’esprit la connoissance de quelques principes de religion fort simples. Le savoir y sera dangereux, l’émulation funeste ; & pour les vertus, Aristote ne peut croire qu’il y en ait quelqu’une de propre aux esclaves[1] ; ce qui borneroit bien l’éducation dans ce gouvernement.

L’éducation y est donc en quelque façon nulle. Il faut ôter tout, afin de donner quelque chose ; & commencer par faire un mauvais sujet, pour faire un bon esclave.

Eh ! pourquoi l’éducation s’attacherait-elle à y former un bon citoyen qui prît part au malheur public ? S’il aimoit l’état, il seroit tenté de relâcher les ressorts du gouvernement : s’il ne réussisoit pas, il se perdroit ; s’il réussissoit, il courroit risque de se perdre, lui, le prince & l’empire.


  1. Politiq. liv. I.