Essai sur le Canada

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ESSAI
HISTORIQUE, STATISTIQUE ET POLITIQUE
SUR LE CANADA[1].

Le Canada est, après l’Inde, la possession extra-européenne la plus importante de l’empire britannique. Placé dans la partie septentrionale du continent américain, il est borné au nord par les baies d’Hudson et de James et le Labrador, à l’est et au sud-est par le golfe Saint-Laurent, le Nouveau-Brunswick, les États-Unis, dont il est séparé par une ligne de convention, et par le fleuve Saint-Laurent ; au sud, par ces mêmes États et par les grands lacs Ontario, Érié, Huron et Supérieur, et par une multitude d’autres de moindre étendue ; à l’ouest, le pays n’a, à proprement parler, d’autres limites que les océans Pacifique et Septentrional.

Cette immense contrée, aussi vaste peut-être que le continent d’Europe, a été divisée, par un acte du parlement de la Grande-Bretagne, en deux provinces ou gouvernemens distincts, dont nous allons donner ici un court aperçu statistique et politique.

Le Haut-Canada[2] est un pays plat et fort peu varié. On y trouve cependant quelques chaînes de montagnes qui sont en général peu élevées. De Kingston à l’extrémité occidentale de la province règne une forêt continuelle, qui empêche la vue de s’étendre sur aucun point à plus d’un mille de distance. Le sol en est extrêmement fertile ; mais jusqu’ici les habitans se sont contentés d’en tirer le simple nécessaire, et n’ont nullement songé à l’amélioration ou à l’embellissement de leurs propriétés. La nature semble avoir plus fait pour le Haut-Canada que pour toute autre contrée du globe. Elle l’a doté d’un terroir d’une grande richesse et d’un climat rigoureux, il est vrai, mais aussi favorable à la constitution humaine qu’à la production de toute espèce de céréales et de fruits. Les Européens commencent enfin à se défaire de leurs préjugés contre ce beau pays, qu’ils comparaient, sans le connaître, aux déserts de la Sibérie ; et ses avantages sont actuellement si bien appréciés des habitans de la Grande-Bretagne et de l’Irlande, qu’on peut sans exagérer porter à huit ou dix mille le nombre de ceux qui viennent s’y établir tous les ans. L’émigration des États-Unis y est aussi fort considérable. Cette partie du Canada ne renferme rien d’intéressant pour le voyageur, si l’on en excepte la cataracte de Niagara, et un petit nombre d’autres curiosités naturelles. Il n’y rencontre qu’une forêt sans fin, repaire des bêtes fauves, quelques huttes en bois, éparses çà et là et de l’aspect le plus lugubre, des champs mal cultivés, et des routes construites avec des troncs d’arbres de neuf pouces à deux pieds de diamètre, jetés en travers, et si irrégulièrement disposés, qu’elles sont impraticables pour les voitures voire même pour les chevaux et les bestiaux.

Le Haut-Canada toutefois s’accroît rapidement en richesses et en importance. Désert il y a environ trente ans, il renferme aujourd’hui près de deux cent mille habitans, qui possèdent des propriétés imposables pour une valeur de 2,000.000 liv. sterling[3]. Quoique la population soit un mélange de naturels de la plupart des contrées de l’Europe et de tous les états de l’Union américaine, il y existe néanmoins une grande conformité de mœurs, de coutumes et de caractères. Français, Irlandais, Anglais, Écossais, Allemands, Hollandais renoncent, au bout de quelques années de résidence, à leurs habitudes nationales pour adopter celles des Américains. La majorité des habitans se compose d’émigrans des États-Unis et de descendans des réfugiés royalistes qui s’y fixèrent après la guerre de la révolution.

La province se divise en onze districts[4], subdivisés en vingt-trois comtés, lesquels, avec les villes d’York, Kingston et Niagara, envoient quarante membres au parlement provincial. Tous les habitans mâles de seize à quarante-cinq ans, en état de porter les armes, étant appelés à faire partie de la milice, l’on compte actuellement dans le Haut-Canada une soixantaine de régimens de milice, supérieurement organisés, et dont l’effectif peut monter à 30,000 hommes.

Le Bas-Canada[5] est non-seulement plus pittoresque que la province haute, mais ayant été colonisé long-temps auparavant, il est beaucoup plus riche et plus peuplé. Sa population s’élève à 450,000 habitans. Les fermes sont si rapprochées les unes des autres, qu’on avait au Canada des villages de cinquante milles d’étendue. Les principaux établissemens longent la gauche du Saint-Laurent. Le gouvernement français partagea autrefois les terres qui bordent ce fleuve, depuis son embouchure jusqu’à trente milles au-dessus de Montréal, en un certain nombre de seigneuries, que le roi accorda à de nobles aventuriers. Ceux-ci, décorés du titre de seigneurs, subdivisèrent leurs propriétés en lots de deux cents arpens, qu’ils concédèrent à des cultivateurs porteurs de certificats de probité et de bonnes mœurs, lesquels prenaient l’engagement de s’y fixer, de défricher, dans un temps donné, une certaine étendue de terres, d’entretenir les routes, etc. Les premiers lots avaient un front de trente-huit perches anglaises le long du fleuve, et s’étendaient l’espace de mille dix-huit dans l’intérieur. Aussitôt que ces lots furent peuplés, les seigneurs en formèrent d’autres sur les derrières, qui furent habités à leur tour. Toutefois, comme il est d’usage au Canada de ne défricher que le devant de chaque lot, et de laisser quarante à cinquante acres de bois dans le fond pour les usages domestiques, l’étranger arrivant dans le pays, s’imagine qu’il n’existe point d’établissement au-delà de la contrée cultivée, c’est-à-dire à un mille environ du rivage du Saint-Laurent, où le pays présente le même aspect boisé qu’il avait à l’arrivée des premiers Européens. L’on rencontre aussi des établissemens le long des tributaires de ce fleuve, et depuis peu on a colonisé plusieurs cantons de l’intérieur.

La chaleur en été est excessive au Canada, le thermomètre y marquant souvent de 96° à 102° de Fahrenheit : mais l’air y est si pur, qu’on n’en est guère incommodé. Quand il tombe de la pluie, ce qui est fort rare, elle est le plus souvent accompagnée d’orages. La transition du chaud au froid est tellement subite, qu’on a vu le mercure baisser de 30° dans l’espace de quelques heures. En hiver, il descend une ou deux fois à 36° au-dessous de zéro, mais seulement pendant quarante-huit heures, et se tient ordinairement entre 20 et 25°. Le froid commence au mois d’octobre, lorsque le pays se couvre peu à peu de neige. On y éprouve des ouragans terribles jusqu’en décembre. Toutefois, à partir de cette époque, le ciel devient plus pur, et il règne un vent glacial. Les rivières offrent alors un nouveau moyen de communication. Des traîneaux, chargés de passagers et de marchandises, les sillonnent en tous sens et avec une rapidité étonnante. Le vent de N.-O., qui domine durant une partie de cette saison, accroît et entretient l’intensité de la gelée. En passant sur les montagnes couvertes de neiges éternelles qui parcourent les affreuses solitudes situées entre le Saint-Laurent et le pôle, ce vent acquiert un degré de froid qu’il conserve encore malgré la différence de latitude. Vers la fin d’avril, la neige commence à fondre, et le sol étant une fois à découvert, la végétation succède bientôt aux frimas.

L’agriculture est encore fort arriérée dans le Bas-Canada. Le climat en est extrêmement favorable à la production du blé d’automne, parce que la neige, recouvrant le sol fort avant dans la saison, le garantit des rayons brûlans du soleil pendant le jour, des gelées pendant la nuit et des vents secs et froids du mois de mars. La culture de l’orge y a été récemment introduite pour pouvoir être générale : on n’en recueille guère qu’aux environs de Québec. Le lin réussit presque partout. Malheureusement on ignore la manière de l’apprêter, et c’est ce qui fait que la qualité n’en est pas aussi bonne qu’elle pourrait l’être. Il en est de même du chanvre, qui se cultive presque exclusivement dans le Haut-Canada. En général, aucun changement important n’a eu lieu dans le misérable système de culture qui était en usage dans le pays à l’époque de sa conquête, et si l’on remarque un accroissement dans les exportations des produits agricoles c’est à l’extension donnée à la culture, et non au perfectionnement du système, qu’il faut l’attribuer.

Les immenses profits que les Canadiens ont retirés jusqu’ici de l’exploitation des forêts, dont leur pays est couvert, sont une des causes principales du peu de progrès qu’ils ont faits dans l’agriculture. Le Canada produit des bois de toute espèce. Le chêne, qui abonde sur le bord de quelques-uns des grands lacs et le long des rivières, atteint une grosseur moyenne de dix-huit pouces carrés et cinquante pieds de hauteur. Le pin, qu’on rencontre partout, a environ vingt pouces carrés et soixante pieds d’élévation. On y trouve aussi le bouleau, le hêtre, l’orme et l’érable, dont il se fait pareillement un commerce considérable. Les forêts, surtout celles qui sont les plus éloignées des établissemens, fournissent aussi ces fourrures et ces pelleteries qui constituent, à proprement parler, la véritable richesse des deux Canada. Depuis peu néanmoins, cette branche de commerce commence à déchoir par suite de la rareté toujours croissante des animaux à fourrures, dont les plus estimées sont celles du renard, du castor, de la loutre, du rat musqué, du chat sauvage, du daim, de l’ours et du bison. On a remarqué que les bêtes fauves qui habitent les forêts du Canada sont naturellement peu féroces. Le loup, quoique plus grand que celui d’Europe, s’enfuit à l’approche de l’homme ; l’ours sort clandestinement du creux de son arbre pour poursuivre sa proie ; les serpens ne sont pas aussi venimeux que ceux du midi, et le voyageur n’a véritablement à craindre que les moustiques, qui, en été, sont extrêmement incommodes.

Les animaux domestiques du Canada ne sont pas d’une belle espèce, mais on a tort d’en inférer que ceux importés d’Europe dégénèrent en Amérique. C’est le peu de soin qu’on en prend qui est cause de leur détérioration. Le cheval de la province basse est d’origine normande. Quoique petit et grossièrement taillé, il est vigoureux, léger, et ne bronche jamais. Il s’en exporte annuellement un nombre considérable aux Antilles, où il supporte mieux la chaleur du climat que le cheval de race anglaise ou américaine. Les bêtes à cornes et les moutons sont d’un tiers moins grands qu’en Angleterre, et leur chair est aussi d’une qualité fort inférieure. Le cochon seul peut soutenir la comparaison avec celui d’Europe.

Les exportations du Canada consistent principalement en bois de charpente et autres, en potasse et perlasse, fourrures et pelleteries ; en froment, farine, biscuit, légumes secs, orge, avoine, maïs ; en porc, beurre, peaux de bœuf, jambons, langues et bœuf salés, fromages, chevaux, bestiaux et volaille, houblon, bierre, cidre, plumes, cire, laine, chandelles, etc. Québec est l’entrepôt général du commerce des deux provinces.

La population du Bas-Canada se compose des descendans des premiers colons français et d’émigrans de la métropole et des États-Unis. Les premiers, qui forment peut-être les trois quarts ou les quatre cinquièmes des habitans, se font remarquer par d’excellentes qualités ; ils sont probes, hospitaliers, polis, économes, spirituels et industrieux : qualités qui se trouvent rarement dans une société où le manque d’instruction est absolu. Les Canadiens français en sont encore, pour la civilisation, au temps de Louis xv. Mêmes lois, mêmes coutumes, mêmes habitudes, mêmes idées ; le régime féodal et ecclésiastique d’alors subsiste encore chez eux dans son intégrité, et, chose étrange ! ils ne témoignent pas le moindre désir d’améliorer leur condition. Seuls sur le continent américain, ils sont restés impassibles et comme engourdis au milieu des révolutions qui ont affranchi le Nouveau-Monde ; on les a même vus repousser avec un acharnement qui tenait du fanatisme le don que les États-Unis voulaient leur faire de l’indépendance. Ils sont fiers de leur qualité de Français ; ils ont pour les Anglais une haine insurmontable, et cependant ils supportent leur joug sans se plaindre, et jamais la pensée de le secouer ne leur est venue à l’esprit. Cet événement, qui ne peut manquer d’arriver tôt ou tard, sera l’ouvrage des Canadiens originaires de la Grande-Bretagne, qui auront alors à triompher de l’opposition des armes anglaises et probablement de la résistance non moins vive des Canadiens français

C’est là du moins ce qu’a affirmé devant le parlement M. Parker, négociant anglais, qui a résidé long-temps dans le Canada. On lui demandait s’il convenait d’encourager les émigrans de la Grande-Bretagne à s’établir dans le Bas-Canada, ou de mettre les terres vagues qui s’y trouvent à la disposition des Canadiens français. Il répondit : « J’encouragerais ces derniers, ce sont les seuls habitans sur lesquels vous puissiez compter. La population des autres provinces est mêlée, bien que renfermant beaucoup de bons et dévoués serviteurs ; les Canadiens français au contraire sont unis par une origine commune dont ils sont justement fiers, par leur religion, leurs mœurs et leurs vertus, et sont intéressés à soutenir une réputation qu’ils ont conservée jusqu’ici sans tache. » Lorsqu’ils dépendaient de la France, c’étaient les sujets les plus braves de cette puissance, et quoiqu’ils ne fussent alors que le sixième de ce qu’ils sont aujourd’hui, ils opposèrent aux troupes anglaises une résistance des plus opiniâtres. S’ils eussent été à cette époque aussi nombreux qu’ils le sont maintenant, jamais l’Angleterre ne serait parvenue à enlever cette colonie à la France. « On reproche aux Canadiens français, continue M. Parker, leur aversion à devenir Anglais. Les habitans de Jersey et de Guernsey en sont-ils des sujets moins fidèles pour avoir conservé leur langage, leurs mœurs et leurs lois normandes ? A-t-on jamais songé à leur adresser ce reproche ? Le Bas-Canada et les autres colonies de l’Amérique du Nord sont, à mon avis, le bras droit de l’empire britannique. Je suis convaincu que quand les Canadiens seront le double de ce qu’ils sont actuellement, ils défieront toute l’union américaine. Ce sont les meilleurs colons de l’Angleterre. La seule chance qui reste à celle-ci de conserver ses possessions américaines, c’est de laisser les Canadiens français s’étendre dans toute la province basse, et s’y régir par leurs institutions actuelles ; autrement cette colonie sera perdue à jamais pour la métropole. »

Le Canada proprement dit ne renferme qu’un petit nombre d’indigènes. À l’arrivée des Français, il était occupé par trois peuples, parlant chacun un langage différent, les Sioux, les Algonquins, les Iroquois ou Hurons. Les premiers habitaient la contrée de l’ouest entre le lac Supérieur et les sources du Mississipi. Les Français ne les connurent guère que par les récits des chasseurs et des missionnaires. Les Sioux menaient une vie plus primitive que les Hurons et Les Algonquins. Ils parcouraient le pays à la manière des Tartares, vivant sous des tentes de peaux, qu’ils dressaient dans de fertiles prairies, où ils allaient chasser le bison. C’était un peuple simple et paisible ; mais quand il était attaqué par un ennemi, il ne se montrait inférieur ni en courage ni en férocité aux autres hommes rouges.

Les Algonquins étaient subdivisés en un plus grand nombre de tribus que les deux autres. Ils peuplaient les deux rives des lacs de l’intérieur et du fleuve Saint-Laurent. Comme les Sioux, ils menaient une vie errante, et subsistaient principalement de la chasse et de la pêche.

La langue iroquoise n’était pas aussi répandue que l’algonquine, ce qu’il faut attribuer au genre de vie plus sédentaire de ces indigènes. Ils résidaient le long de la rive méridionale du Saint-Laurent et des lacs, depuis la rivière de Sorel jusqu’au lac Michigan, et possédaient les vastes et fertiles plaines situées entre l’Hudson et l’Ohio. Les Iroquois étaient supérieurs aux Algonquins et aux Sioux sous bien des rapports. Ils cultivaient les arts de la paix et excellaient aussi dans ceux de la guerre. Vainqueurs dans presque tous leurs combats avec leurs voisins, ils soutinrent une lutte longue et opiniâtre contre les envahisseurs européens.

Ces Indiens ont toujours traîné une existence misérable. Leur caractère est un mélange bizarre de férocité et de douceur. Doués d’une éloquence forte, simple et persuasive, ils ont la mémoire excellente, le jugement sain, et ne manquent pas d’un certain esprit naturel. On se rappelle la repartie d’un Outaouis au comte de Frontenac, qui lui demandait s’il savait avec quoi se faisait l’eau-de-vie : « Cette liqueur, répondit le sauvage, doit être extraite de langues et de cœurs ; quand j’en ai bu, je ne connais plus la crainte, et je parle divinement. » Ces Indiens n’ont adopté aucune des habitudes d’industrie des blancs. Ils ont des habitations mal bâties et sales, et vont à demi nus. En été, ils se nourrissent de poissons qu’ils pêchent dans les rivières, et, en hiver, ils ont recours aux bienfaits du gouvernement. Quelquefois ils font des incursions sur les terres des fermiers canadiens, sous prétexte d’y poursuivre leur proie, en enlèvent tout ce qui se trouve sous leurs mains. Ils aiment mieux s’exposer à toute sorte de privations que de cultiver la terre. Ils sont d’ailleurs fort inoffensifs et complaisans pour les étrangers, mais extrêmement adonnés aux liqueurs spiritueuses. La plupart professent la religion catholique, c’est-à-dire qu’ils observent les formes extérieures de ce culte. Dévoués aux Canadiens français, ils se mêlent à leurs jeux, parlent leur langue et refusent d’en apprendre une autre. Ils commencent à mieux traiter leurs femmes, auxquelles ils paraissent fort attachés, bien qu’ils leur imposent les soins les plus pénibles du ménage. Celles-ci sont fidèles et affectionnées ; elles ont un physique assez agréable, et aiment beaucoup la parure.

Le navigateur Cabot fut le premier qui montra à l’Europe la route du Canada. Parti d’Angleterre avec une escadre de six navires, au printemps de 1497, il découvrit les îles de Terre-Neuve et de Saint-Jean, et, longeant le continent, monta jusqu’au 67 1/2 de latitude. Cabot ne forma point d’établissement dans le pays ; et ce qu’il y a de surprenant, c’est que l’Angleterre, après avoir équipé à grands frais une expédition aussi considérable, ne songea à poursuivre les découvertes de Cabot qu’un demi-siècle après. Ce fut un français qui découvrit le Canada proprement dit. Denis, ayant mis à la voile de Honfleur pour Terre-Neuve en 1506, entra dans le golfe Saint-Laurent, dont il leva la carte, explora les côtes adjacentes, prit du poisson sur le Grand-Blanc, et retourna en Normandie. Deux ans après, Thomas Aubert, de Dieppe, pénétra dans le Saint-Laurent, et enleva sur ses bords plusieurs naturels qu’il emmena en France. En 1535, Jacques Cartier, de Saint-Malo, remonta ce fleuve (auquel il donna le nom qu’il porte) sur une distance de neuf cents milles, et s’arrêta à une immense cataracte, qui était probablement celle de Niagara. Cartier prit possession du territoire au nom du roi de France, forma des alliances avec les indigènes, bâtit un fort, et hiverna dans le pays, qu’il appela Nouvelle-France. Ses découvertes toutefois ne reçurent point la récompense qu’elles méritaient, car cinq ans après, ce navigateur se trouvait dans un tel état de dénuement, qu’il se vit réduit à accepter l’emploi de pilote à bord du navire qui conduisit le vice-roi Roberval au Canada. Ce dernier fit plusieurs voyages de France en Amérique, où il amena chaque fois de nouveaux colons ; mais, en 1551, il périt dans un naufrage. Cet événement fâcheux, joint à l’exaspération des naturels contre les Français, qui avaient enlevé de vive force leur chef Donnaconna pour le conduire en France, fut cause qu’ils cessèrent, pendant près de cinquante ans, toutes relations avec le Canada. En 1581, cependant, les indigènes, commençant à oublier leur injure, renouèrent amitié avec les Français. Dix ans après, les marins de Saint-Malo se livrèrent avec succès, dans le Saint-Laurent, à la pêche du cheval de mer (walrus), dont les dents étaient plus estimées que l’ivoire. L’importance de cette pêche et du commerce des fourrures décida le gouvernement français à entreprendre la conquête du Canada. Il y envoya à cet effet le marquis de La Roche, qui se contenta de croiser sur la côte de la Nouvelle-Écosse, et retourna en France. Le roi lui ôta sa patente pour la donner à Chauvin, officier de marine ; mais celui-ci étant mort peu après, elle fut transférée à de Chatte, gouverneur de Dieppe, qui ne lui survécut que peu de temps. Pierre de Gast, sieur de Monts, lui succéda en 1603, et obtint la patente de la vaste contrée comprise entre les 40 et 46° de latitude septentrionale, avec le titre de lieutenant-général, et l’autorisation de coloniser le pays et d’en convertir les habitans au christianisme. À cette époque, le commerce du Canada avait acquis tant d’importance que de Monts résolut de l’exploiter à lui seul, au moyen d’une compagnie, et équipa dans cette intention quatre navires, avec lesquels il partit du Havre en 1604. Samuel Champlain, du Brouage, et un gentilhomme nommé de Potrincourt, accompagnaient l’expédition. De Monts toutefois perdit bientôt sa patente, mais n’en discontinua pas pour cela le commerce de fourrures qu’il entretenait à Tadousac.

Cependant Champlain, après avoir exploré toute la côte d’Acadie, se décida à fonder un établissement permanent sur le bord du Saint-Laurent. Il choisit l’emplacement actuel de Québec, et le 3 juillet 1608, il y bâtit quelques huttes pour ses gens, et entreprit le défrichement du territoire voisin. La colonie prospéra sous ses auspices ; et, en 1611, Champlain, étant retourné en France, fut nommé par Henri iv lieutenant gouverneur de la Nouvelle-France. De retour dans son gouvernement, Champlain commit l’imprudence de prendre parti en faveur des Algonquins dans leurs guerres contre les Iroquois. Blessé dans deux rencontres, il faillit perdre, en 1621, le fruit de treize années de travaux, dans une irruption des Iroquois.

C’est seulement en 1626 que Québec commença à prendre l’apparence d’une ville régulière. Les discordes religieuses qui y éclatèrent vers cette époque nuisirent beaucoup à sa prospérité. En 1627, le cardinal de Richelieu retira l’autorité aux huguenots, qui l’avaient jusqu’alors exercée, pour la confier à cent catholiques, qui constituèrent ce qu’on appela la Compagnie des Cent Associés, dont ce prélat et le marquis d’Effiat étaient chefs.

En 1629, Charles Ier, roi d’Angleterre, chargea David Cherk de réduire les possessions françaises de l’Amérique. Cherk s’empara de tous les établissemens situés au-dessous de Québec ; et, s’étant présenté devant cette ville, la somma de se rendre. Champlain, qui y commandait, répondit qu’il la défendrait jusqu’à la dernière extrémité. Sur ces entrefaites, l’amiral Cherk ayant appris qu’une escadre française, aux ordres de Roquemont, qui portait des secours à Québec, était à l’embouchure du Saint-Laurent, alla à sa rencontre, la détruisit, et revint devant Québec, qui capitula à des conditions honorables.

Le Canada fut rendu à la France par le traité de Saint-Germain de 1632. L’année suivante, on y rétablit la compagnie de la Nouvelle-France ; et Champlain, ayant repris les rênes du gouvernement, termina sa carrière à Québec en 1635. Sous M. de Montmagny, son successeur, la colonie, sans cesse inquiétée par les indigènes, ne se peupla que lentement, et en 1685 on n’y comptait que 17,000 blancs.

Les Anglais, qui convoitaient le Canada depuis long-temps, tentèrent de l’enlever aux Français en 1709 et 1710 ; mais ce fut seulement en 1759 que le général Wolfe opéra la réduction de Québec, qui fut suivie l’année d’après de celle de tout le pays. Le Canada renfermait alors environ 60,000 âmes.

En 1775, le congrès américain, déterminé à prendre l’offensive contre les Anglais, ordonna aux généraux Montgomery et Schuyler de marcher avec 3,000  hommes contre le Canada. Le premier trouva la mort sous les murs de Québec le 31 décembre, et le colonel Arnold, qui dirigeait l’attaque contre la ville basse, fut blessé et obligé de se retirer avec perte. Pendant la guerre de 1812 à 1815, le Canada fut aussi très-souvent le théâtre des hostilités entre les deux peuples.

Avant l’année 1660, le Canada ne connaissait d’autre loi que celle du bon plaisir du gouverneur et de son lieutenant. On y institua cette année un tribunal pour le jugement des causes civiles, et la coutume de Paris y fut mise en vigueur. Ce tribunal existait encore en 1759. Les Anglais y promulguèrent à cette époque leur code de procédure civile et criminelle ; mais le peuple, ne pouvant s’accoutumer à être régi par des lois qui lui étaient inconnues, en témoigna hautement son mécontentement. Ces lois étaient d’ailleurs administrées par des individus aussi étrangers à la jurisprudence anglaise que les Canadiens eux-mêmes. À Québec et aux Trois-Rivières, par exemple, c’étaient des militaires qui prononçaient dans les matières civiles et criminelles. À Montréal, dit le général Murray[6], on avait choisi pour juges « des hommes sans éducation, qui, ayant leur fortune à faire, étaient peu scrupuleux sur les moyens d’y parvenir. C’est, ajoute cet officier, la classe de gens la plus immorale que j’aie jamais vue. »

La noblesse française, qui était toute-puissante, protesta contre de pareils interprètes des lois ; elle cria à l’injustice et à l’oppression, et pendant long-temps l’anarchie la plus complète régna dans la province. Enfin, en 1774, le parlement britannique, reconnaissant la justice des plaintes des Canadiens, et effrayé peut-être aussi de l’orage qui se formait dans les colonies voisines, prit leurs griefs en considération, rapporta tous les actes antérieurs qui avaient trait au pays et décréta que les affaires civiles seraient désormais décidées conformément aux anciennes lois françaises, et que la législation anglaise resterait en vigueur pour les matières criminelles seulement. Les abus dont se plaignaient les Canadiens devaient être bien crians, puisqu’ils reçurent comme un bienfait le rétablissement de la coutume de Paris, des dîmes et du régime féodal.

L’immense territoire qui compose aujourd’hui le haut et bas Canada porta, jusqu’en 1791, le nom de province de Québec. Cette année le parlement annula son bill de 1774, et en promulgua un autre, aux termes duquel la colonie fut divisée en deux gouvernemens qui devaient avoir des législatures distinctes, instituées conformément aux principes de la constitution anglaise.

L’administration des deux Canada est confiée à un gouverneur, un lieutenant-gouverneur, à deux conseils, dont un législatif et l’autre exécutif, et à une chambre d’assemblée, pour chaque province.

Les membres du conseil législatif sont nommés en vertu d’un mandat royal, et doivent être sujets nés ou naturalisés de la colonie. Ils exercent leurs fonctions leur vie durant, à moins qu’ils ne s’absentent du pays pendant un terme de quatre années, sans l’autorisation du roi. Ils portent le titre d’honorables, et sont au nombre de vingt-six pour la Bas-Canada et de dix-sept pour la province haute.

Les membres du conseil exécutif sont aussi nommés par le roi, et remplissent dans la colonie les mêmes fonctions que les membres du conseil privé en Angleterre. Il y en a treize pour le Bas-Canada, et six pour le haut.

La maison d’assemblée se compose de députés choisis tous les quatre ans par des électeurs qui justifient d’un revenu net annuel de 40 shellings. Les électeurs des villes doivent posséder un terrain du rapport de cinq livres sterling par an, ou y avoir résidé pendant douze mois antérieurement à la convocation du parlement. Le Bas-Canada nomme cinquante députés, et le haut quarante.

Les Canadiens de tous les rangs, de toutes les classes et de toutes les professions, ont accès à la maison d’assemblée ; aussi il n’est pas rare d’y voir les graves et importantes questions du gouvernement débattues par des hommes qui souvent ne savent ni lire ni écrire. Un voyageur irlandais publie une description assez burlesque de la manière dont se font les élections dans le Haut-Canada : « Il arrive ordinairement, dit-il, que quatre ou cinq candidats briguent à la fois l’honneur de représenter le même comté. Ce sont le plus souvent des boutiquiers de campagne, des avocats de village ou d’impudens aubergistes. Si le boutiquier est dans l’habitude de prendre en paiement de ses marchandises des billets à longue échéance, il est sûr de réunir tous les suffrages ; autrement les électeurs donnent leurs voix au plus inepte des candidats, parce que, disent-ils, s’il est incapable de faire du bien, il l’est aussi de faire du mal. — J’ai assisté, continue ce voyageur, à plusieurs de ces élections, et j’ai été fort diverti de la variété des sujets que traitaient les candidats, dans les discours qu’ils étaient obligés de prononcer avant l’ouverture du scrutin, pour offrir aux électeurs un échantillon de leur éloquence. Le premier qui se présente sur les hustings passe en revue les principales actions de la vie de ses adversaires, et si leurs pères ou leurs mères ont été peu scrupuleux sur l’article de l’honneur, il ne manque pas d’en informer l’assemblée ; mais cela, avec toute la bonhomie imaginable, et dans les termes les moins équivoques et les plus révoltans. Son antagoniste use, à son tour, de représailles, et accable de ses diatribes scandaleuses, et le candidat qui a eu le premier l’audace de jeter le gant, et tous les individus, présens ou absens, qui ont le malheur de tenir à l’imprudent orateur par les liens de la parenté, même la plus éloignée. Le soir, toutefois, ils se réunissent pour dîner et boire du whiskey, comme si de rien n’était, et sont les meilleurs amis du monde. » On sent bien que des législateurs de cette espèce n’abandonneraient pas leur commerce pour vaquer aux affaires publiques, si on ne leur en fournissait les moyens : aussi leur alloue-t-on 2 dollars par jour durant la session, et 10 shellings par chaque vingt milles qu’ils ont à parcourir pour se rendre à leur poste ou s’en retourner chez eux.

Le code criminel d’Angleterre est en vigueur dans les deux provinces, et les cours de justice y sont organisées de la même manière que celles du royaume-uni.

Dans le Bas-Canada, les lois sont appliquées, en première instance, par deux chefs de justice, six juges, un procureur et un avocat général ; par deux juges provinciaux nommés, l’un pour le district des Trois-Rivières, et l’autre pour celui du Gaspé inférieur, et enfin par un juge de la vice-amirauté résidant à Québec. Il y a en outre un tribunal d’appel, sous la présidence du gouverneur, lequel se compose du lieutenant-gouverneur, de cinq membres au moins du conseil exécutif et d’officiers judiciaires, étrangers au jugement de première instance. Il y a recours des décisions de ce tribunal au roi en son conseil.

La législation de cette province, prêtant à une infinité d’interprétations différentes, est une source de contentions continuelles. Les juges, avec les meilleures intentions du monde, sont trop peu versés dans la connaissance des lois pour pouvoir remédier à cet état de choses ; et les avocats, étant pour la plupart des naturels du pays ou de jeunes aventuriers d’Angleterre ou d’Irlande, qui ont embrassé la profession du barreau sans avoir fait d’études préalables, il en résulte que leur ignorance donne lieu à une foule de procès. L’étude du droit, au Canada, est hérissée de difficultés presque insurmontables. Le besoin d’une université ou d’un collége, où la jeunesse puisse acquérir de bonne heure des connaissance solides en jurisprudence, se fait sentir de jour en jour davantage : alors seulement il sera possible d’opérer quelque amélioration.

Les lois en usage sont : la coutume de Paris, telle qu’elle existait en France en 1666 ; le droit civil romain, pour les cas non prévus par la coutume ; les édits, déclarations et ordonnances des anciens gouverneurs français ; les actes du parlement britannique, concernant le Canada, et le code de procédure criminelle anglais.

Toutes les concessions de terres étant émanées des rois de France, sont encore des tenures féodales. Lors de l’établissement de la colonie, le roi, ainsi que nous l’avons déjà fait observer, accorda de vastes étendues de territoire, appelées seigneuries, à des officiers de ses armées, ou à des personnes qui possédaient assez d’influence à la cour pour les obtenir. Ces seigneurs étaient, pour la plupart, des nobles sans fortune, et versés dans l’agriculture, qui, ne se souciant guère de l’embarras d’exploiter leurs possessions canadiennes, les cédèrent volontiers à des soldats ou à des émigrans qui voulaient bien s’y fixer, à la condition que ceux-ci leur paieraient une redevance perpétuelle, une rente de 3 à 6 livres par an, et leur fourniraient certains articles de consommation, tels qu’une couple de volailles, une oie, un boisseau de blé, etc. Les fermiers étaient également tenus de faire moudre leur grain au moulin banal, où l’on en prélevait un quatorzième pour le compte du seigneur. La majeure partie des terres du Bas-Canada, sont encore assujéties à ces conditions ; il en est de même des fermes à bail emphytéotique, de vingt, trente, quarante ans, et au-delà, qui sont aussi astreintes à une petite rente. Mais la charge la plus onéreuse qui pèse sur les Canadiens, est celle des lods et ventes, ou droit qu’ils sont obligés de payer aux seigneurs toutes les fois qu’ils achètent un bien possédé en roture. Ce droit, qui est d’un douzième du prix d’achat, se paie en sus de celui-ci, et est à la charge de l’acquéreur ; l’éluder est chose impossible, car si le seigneur croit que la propriété se vend au-dessous de sa valeur, il peut en devenir lui-même acquéreur, moyennant le prix stipulé entre les parties. Les héritiers et acquéreurs de fiefs sont encore tenus à foi et hommage, et à acquitter les droits de quint et de relief[7].

Dans le Haut-Canada, la justice civile est rendue : 1o par une cour du banc du roi, composée d’un chef de justice, de deux juges, d’un procureur et d’un avocat général ; 2o par une cour de justice avec un juge pour chaque district ; 3o par une cour des requêtes formée de juges de paix. Les cours de districts se tiennent tous les trois mois, dans le chef-lieu de chaque district, et les cours de requêtes dans chaque arrondissement, une fois tous les quinze jours. Les juges des premières sont nommés par le gouverneur de la province, qui les choisit ordinairement parmi les membres des cours de requêtes. Ils connaissent de toutes les affaires contentieuses, où la somme en litige est de 40 shellings à 15 livres sterling, et de toutes les atteintes aux propriétés où les dommages à recouvrer n’excèdent pas 50 livres sterling, et où il n’est pas question de la validité des titres desdites propriétés.

Les cours des requêtes connaissent des affaires de 5 livres et au-dessous et leur décision est sans appel. Il faut la présence de deux magistrats au moins pour délibérer ; ils prononcent dans toutes les actions de 40 shellings et au-dessous, sur le témoignage du plaignant seul ; si la somme dépasse ce montant, et qu’il n’y ait aucune pièce probante, il est nécessaire qu’un témoin au moins atteste la dette. Les magistrats ont droit à des honoraires pour tous les actes qu’ils exécutent dans l’exercice de leurs fonctions, lesquelles ne laissent pas d’être fort lucratives dans certains districts. Les neuf dixièmes des mariages sont célébrés par eux, et bien que la somme qu’ils peuvent légalement demander pour cette cérémonie soit fixée à 5 shelligns, ils font généralement en sorte d’extorquer 5 dollars. Toutefois, si un ministre de l’église établie réside à dix-huit milles du domicile de l’une ou de l’autre des parties, un magistrat ne peut les unir sans contrevenir aux lois.

Le mari ne peut disposer de son bien sans le consentement de sa femme, qui a droit à la moitié de tout ce qu’il possède, et à la même part de ses héritages en ligne directe. C’est là ce qu’on appelle le douaire coutumier, pour le distinguer du douaire stipulé, qui est une somme d’argent affectée au soutien de la femme, au lieu du douaire coutumier. Si elle survit à son mari, elle ne peut léguer son douaire, ni en disposer autrement, attendu qu’il échoit aux enfans de son premier lit ; si c’est la femme, au contraire, qui meurt, ses enfans ont le droit de réclamer du père le partage du douaire de leur mère. Il en résulte qu’il est dangereux d’acquérir des propriétés au Canada, à moins cependant que la vente n’en soit effectuée par l’entremise du schérif, qui, s’il en donne publiquement avis, met l’acquéreur à l’abri de tout danger.

Depuis long-temps les Canadiens des deux provinces avaient à se plaindre de l’administration de leurs gouverneurs ; en vain ils avaient exposé leurs griefs à leurs législatures respectives, la maison d’assemblée seule témoignait de la disposition à y faire droit, et les gouverneurs parvenaient, à l’aide de leurs créatures dans le conseil législatif, à étouffer ces plaintes. Désespérant enfin d’obtenir justice des autorités locales, les habitans résolurent de s’adresser directement au parlement britannique. En conséquence ils rédigèrent plusieurs pétitions, conçues dans les termes les plus respectueux et les plus soumis, qui furent présentées au parlement dans la session de 1828. Ces pétitions, où se trouvaient articulées des accusations de la nature la plus grave, étaient revêtues d’un si grand nombre de signatures respectables, que le gouvernement anglais ne pouvait se dispenser d’en faire l’objet d’une enquête particulière ; et sur la motion de M. Huskisson, il fut nommé à cet effet (2 mai 1828) un comité spécial, composé de vingt membres. Ce comité s’acquitta de sa mission avec zèle et impartialité ; il examina d’abord les pétitions, et interrogea ensuite des témoins versés dans les affaires du Canada, et entre autres, M. Stephen, avocat consultant du département colonial, et M. Wilmot Horton, membre du comité, qui avait été long-temps chargé de l’administration des colonies. Le 22 juillet, le comité termina son rapport, et le présenta à la chambre des communes, qui en ordonna l’impression. Cependant un recès tout entier du parlement, et la majeure partie d’une session s’écoulèrent, depuis que le gouvernement et les communes étaient saisis du rapport, sans qu’on eût jugé à propos de prendre connaissance de son contenu, de profiter des conseils du comité, ni de mettre un terme à l’agitation qui se manifestait dans les deux Canada. Il est même à présumer que les officiers du département colonial ne s’en seraient jamais occupés, si M. Labouchère n’eût interpellé sir Georges Murray, dans la session de 1829, pour lui demander communication de la dernière correspondance qui avait eu lieu entre le bureau des colonies et le gouvernement des Canada, « afin de savoir, disait-il, si on avait fait quelque chose pour ce pays, ou si les affaires en étaient toujours au même point. » Le secrétaire, sir Georges Murray, forcé de répondre, jeta tout le blâme sur le comité, qu’il complimenta néanmoins sur le zèle et le talent qu’il avait déployés dans son enquête. Il prétendit que son rapport était rédigé en termes tellement vagues, qu’il était difficile de le comprendre ; qu’il avait signalé certains griefs des habitans du Canada, et indiqué les moyens d’y remédier d’une manière si peu précise, que le gouvernement avait cru devoir suspendre son intervention, et enfin, qu’il avait conseillé des réformes, salutaires, il est vrai, mais dont l’exécution éprouvait de puissans obstacles. M. Murray pensait que le gouvernement devait s’immiscer le moins possible dans les affaires législatives du Canada, et, après d’autres observations générales, il déclara que le gouvernement anglais était disposé à écouter les plaintes fondées des colons, et à faire tout ce qui dépendrait de lui pour leur bien-être.

La nature des réclamations des Canadiens, l’importance politique et commerciale de leur pays pour la Grande-Bretagne, l’agitation qui y régnait par suite de l’impopularité des gouverneurs, agitation qui y pouvait dégénérer en révolte, et mener peut-être à une séparation, et l’influence toujours croissante qu’y exercent les États-Unis, dont le voisinage et la prospérité comparative ne doivent pas laisser d’inquiéter la métropole ; toutes ces considérations néanmoins devaient décider le gouvernement à prêter une attention plus sérieuse aux remontrances des habitans de cette colonie. Nous allons en tracer un court exposé, et pour cela nous commencerons par la pétition des habitans des districts du Bas-Canada[8].

Ces pétitionnaires exposent qu’ils sont au nombre de quarante mille, tous de naissance ou d’origine britannique ; qu’ils parlent la langue de leurs pères, et n’en connaissent point d’autre ; qu’ils occupent un territoire à eux cédé, conformément aux lois anglaises, franc de tous devoirs féodaux, et que cependant ils sont justiciables dans toutes les matières civiles de la législation française, dont ils n’ont aucune connaissance, et qui est écrite dans une langue qui leur est complètement étrangère. Ils se plaignent de ce qu’il n’existe point de cour de justice à une distance convenable de leurs établissemens, et réclament le privilége de nommer des représentans à la maison d’assemblée. Le plus grand obstacle à la prospérité de la colonie, c’est, suivant les pétitionnaires, que les privations et les autres inconvéniens qu’ils éprouvent, détournent les émigrans anglais de s’établir dans la province basse, qui est préférable à l’autre sous tous les rapports, et ils conseillent, comme une mesure salutaire, de réunir les deux provinces sous un même gouvernement. « Leur situation géographique, continuent-ils, et les rapports que la nature a établis entre elles, commandent impérieusement leur réunion sous une seule et même législature. Elles n’ont qu’un débouché commun dans l’océan, et un seul canal de communication avec la métropole ; l’unique clef de cette communication et son seul port se trouvent dans la province basse, et par conséquent le seul endroit où, dans un pays nouveau comme le Canada, l’on puisse de long-temps percevoir un revenu pour les besoins du gouvernement. Laisser la seule clef de communication, la seule source de revenus dans la possession exclusive d’un peuple aussi anti-commercial et aussi opposé à fraterniser avec ses concitoyens britanniques que le sont les Canadiens français, c’est, suivant les pétitionnaires, le comble de la mauvaise politique. »

La seconde pétition était celle des habitans des seigneuries françaises du Bas-Canada : elle avait été rédigée dans une assemblée publique, tenue à Québec le 13 décembre 1827, et était revêtue de quatre-vingt-sept mille quatre-vingt-dix signatures. Cette pétition, remplie de protestations de respect et de dévoûment pour le roi et la constitution d’Angleterre, renfermait des plaintes et des accusations d’une nature bien autrement sérieuse que celles des habitans des districts. Le tableau de l’administration du gouverneur et les griefs du peuple y étaient tracés avec une force et un degré d’aigreur qui contrastent singulièrement avec l’expression de la soumission des pétitionnaires ; ils déclaraient que le gouverneur Dalhousie avait exercé arbitrairement l’autorité qui lui était confiée, qu’il avait appliqué les deniers publics à divers objets sans l’autorisation de la législature[9] ; qu’il avait prorogé et dissous le parlement sans motif suffisant, et d’une manière contraire à l’esprit de la constitution, et qu’en raison de l’influence qu’il exerçait dans le conseil législatif, dont la plupart des membres occupaient des places dans l’administration, et étaient révocables à plaisir, il était parvenu à faire rejeter certains bills, votés par la maison d’asemblée, qui les avait jugés essentiels au bien-être et à la bonne administration de la colonie[10].

Les pétitionnaires accusaient le gouverneur, d’abord d’avoir admis M. Caldwell à exercer les fonctions de receveur-général, sans exiger de lui des garanties suffisantes, et ensuite, après que ce fonctionnaire eût annoncé en 1823 un déficit de deux millions et demi de francs dans sa caisse, et que son insolvabilité fût reconnue du gouverneur, de l’avoir continué plusieurs années dans l’exercice de sa charge. Ils se plaignaient aussi de ce que leurs droits étaient compromis par des actes du parlement impérial, principalement par celui appelé Acte concernant le commerce du Canada, promulgué en 1826, qui remit en vigueur des lois provisoires rendues par la législature provinciale, lesquelles créaient des droits dans l’intérieur de la colonie ; et par un autre acte de la sixième année du règne de Georges iv, qui affectait les propriétés territoriales, « ces deux actes ayant été passés, disaient-ils, sans que les habitans en eussent connaissance, et sans la participation ou le consentement des propriétaires que ces actes intéressaient le plus immédiatement. »

La pétition du Haut-Canada avait principalement pour objet de demander que les terres affectées à l’entretien du clergé de l’église établie fussent appliquées à celui du clergé protestant en général, et à la diffusion de l’instruction parmi les habitans.

Telle est en peu de mots la substance des pétitions des Canadiens. Le comité, pénétré de l’importance de ses devoirs, poursuivit son enquête avec un zèle digne d’éloges. Non content d’avoir interrogé MM. Stephen et Wilmot Horton, il appela devant lui M. Gale, président des sessions trimestrielles de la ville et du district de Montréal ; M. Ellice, riche propriétaire du Canada, M. Neilson, membre de la maison d’assemblée du Bas-Canada, où il avait résidé trente-sept ans ; M. Viger, avocat de Montréal ; M. Cuvillier, négociant, membre de l’assemblée[11] ; M. Mac Gillivray, négociant intéressé dans la compagnie du Nord-Ouest ; M. Parker, négociant de Londres, qui avait long-temps habité le Canada, et plusieurs ecclésiastiques attachés à la colonie, qui donnèrent au comité des explications relativement aux terres du clergé et aux moyens de pourvoir aux besoins des ministres du culte et à la dotation des écoles, etc.

Ces particuliers fournirent au comité toutes les informations qu’il pouvait désirer sur la situation du pays, et le mirent à même de rédiger son rapport en connaissance de cause. Il s’occupa d’abord de la pétition des habitans des districts du Bas-Canada. Il jugea leur condition susceptible d’amélioration, et digne de la sollicitude du gouvernement. Il recommanda de conserver les dispositions de l’acte qui régit les propriétés accordées à titre de franc-alleu, d’y introduire le système de transmission des propriétés foncières en usage dans le Haut-Canada, et d’y ouvrir un bureau public des hypothèques. Le comité voulait aussi qu’on accordât à ceux qui le désireraient la faculté de convertir les terres qu’ils possédaient à titre de fiefs ou seigneuries en franc-alleu, et que la couronne renonçât à ses droits seigneuriaux pour donner plein effet aux dispositions du tenure-act concernant ces mutations. Le comité pensa qu’il était urgent d’instituer des tribunaux anglais dans les districts, mais il fut aussi d’avis que les colons d’origine française, qui étaient accoutumés et attachés à leur système de jurisprudence, ne fussent point troublés dans la jouissance de leur religion, de leurs lois et de leurs priviléges ; puis il ajouta qu’il fallait bien se garder d’avoir recours à des mesures de violence pour contraindre ceux-ci à renoncer à des usages qui, sans considérer s’ils étaient ou non préférables aux coutumes anglaises, étaient regardés par eux comme les plus propres à assurer leur bien-être.

Abordant ensuite la question du système représentatif du Bas-Canada, que la circonscription territoriale de la province, établie par sir Alured Clarke en 1791, rendait illusoire dans les districts, le comité, reconnaissant à tous les Canadiens le droit de nommer des représentants à la maison d’assemblée, conseillait d’y introduire un système représentatif, semblable à celui du Haut-Canada, et qui fût basé sur le territoire et la population.

L’examen de la pétition des seigneuries était une tâche plus pénible, parce qu’elle signalait des abus d’une nature beaucoup plus grave, et qu’elle nécessitait par conséquent une enquête plus approfondie. Le comité déclara que l’état de confusion et d’embarras dans lequel se trouvaient les finances de la colonie provenait des conflits survenus entre le gouvernement et la maison d’assemblée, au sujet de l’emploi des deniers publics ; qu’il désapprouvait la doctrine des conseillers de la couronne, « que le gouvernement a le droit de disposer des revenus de l’état, » doctrine qui avait servi de règle de conduite au gouverneur ; et qu’il serait convenable qu’à l’avenir les recettes et les dépenses fussent soumises au contrôle et laissées à la discrétion des membres de l’assemblée.

Le comité reconnut la justice de l’accusation dirigée contre le gouvernement dans l’affaire de M. Caldwell, dont l’insolvabilité était constatée long-temps avant son remplacement, et il recommanda d’exiger à l’avenir des receveurs des finances des garanties suffisantes, et de les forcer à rendre des comptes réguliers.

Le comité regrettait de n’avoir pu obtenir de données satisfaisantes sur les propriétés des jésuites, échues à la couronne par suite de l’expulsion de ces religieux ; mais il pensait qu’on ferait bien d’en appliquer le montant, quel qu’il fût, à fonder des écoles et d’autres établissemens d’instruction dans le pays.

Les pétitionnaires des seigneuries se plaignaient aussi de ce que les membres du conseil législatif, étant pour la plupart des agens salariés de l’administration, étaient parvenus plusieurs fois à faire rejeter des propositions, votées par la maison d’assemblée, parce qu’elles déplaisaient au gouverneur. Le comité, s’abstenant de prononcer sur la validité de cette accusation, déclara qu’il était indispensable de donner un caractère plus indépendant à ces assemblées. « Il ne convient pas, ajouta-t-il, que la majorité de leurs membres soient des fonctionnaires révocables et toute mesure tendant à resserrer les liens qui doivent exister entre cette branche de la constitution et le peuple produirait les plus heureux effets. Quant aux magistrats, si on en excepte le juge suprême, dont la présence peut être nécessaire dans certaines occasions, ils doivent rester étrangers aux discussions politiques, et sont par conséquent déplacés dans le conseil exécutif. »

La question de l’union des deux Canada présente des difficultés insurmontables. Il règne à cet égard, dans la colonie, une grande diversité d’opinions que l’esprit de parti exploite quelquefois à son profit. Les uns y voient un remède assuré contre tous les maux dont les colons ont à se plaindre, et les autres prétendent que la mesure serait injuste et ruineuse pour la puissance anglaise en Amérique. Le comité se contenta d’observer à cet égard qu’il était incompétent pour prononcer sur l’efficacité de cette mesure.

Dans un pays où il existe une dissidence si grande d’opinions en matière religieuse, la question de l’entretien des ministres de l’Évangile a besoin d’être traitée avec beaucoup de ménagement. La religion catholique étant celle des colons français, l’Angleterre, plus tolérante à l’égard du Canada qu’envers l’Irlande, avait toujours pensé qu’il serait injuste et même inutile de les troubler dans l’exercice de leur culte, et leur avait permis de l’exercer avec une entière liberté[12]. L’on compte aussi au Canada un bon nombre de membres de l’église établie ; mais la majorité des protestans est de la communion d’Écosse, ou appartient à quelque autre secte de dissidens. L’acte de 1791 enjoignait au gouverneur de réserver, dans la division des comtés, une certaine portion de terres qui devait servir à l’entretien du clergé protestant. Cette répartition fut faite ; mais depuis des obstacles s’étant opposés au défrichement et à la culture de ces lots, non-seulement ils restèrent pour la plupart improductifs ; mais, placés au centre des établissemens, ils en obstruaient l’accès et nuisaient considérablement aux propriétés voisines. Le comité conseilla de vendre ou d’affermer ces terres, à la condition de les cultiver, et de laisser chaque communion pourvoir aux besoins de ses ministres. Les mêmes raisons décidèrent le comité à recommander la réorganisation de l’université du collége du roi, à York. Les réglemens actuels de cette institution exigent que le chancelier, le président et les agrégés souscrivent les trente-neuf articles de foi de la religion protestante avant d’être admis. Le comité proposa de nommer deux professeurs de théologie, l’un de l’église d’Angleterre et l’autre de celle d’Écosse, et qu’à ces deux exceptions près, le mérite seul déterminât le choix des autres professeurs, pourvu toutefois qu’ils reconnussent la vérité de la révélation chrétienne.

Le comité, après avoir fait des observations sur plusieurs autres objets de plus ou moins d’importance, se résuma en ces termes :

« Nous avons reconnu que le système de jurisprudence et de gouvernement en vigueur au Canada était entaché de défauts graves, et nous avons franchement indiqué les changemens à y apporter, qui nous ont paru convenables et même nécessaires. L’administration de la colonie et de la province basse en particulier ne saurait être une tâche facile. Néanmoins nous n’hésitons point à affirmer que ses embarras, et les mécontentemens qu’elle a soulevés, sont dus en grande partie à la conduite du gouvernement. Le comité est intimement convaincu que ni les changemens qu’il a conseillés, ni aucune autre amélioration aux lois et à la constitution des Canada, n’obtiendront le résultat désiré tant qu’une administration impartiale, conciliatrice et constitutionnelle ne présidera point aux destinées de ces fidèles et importantes colonies. »

Le comité avait à peine terminé son rapport, qu’une nouvelle pétition du Canada fut présentée au parlement. Elle avait été rédigée dans une réunion tenue le 17 avril 1828, à Montréal, et renfermait des accusations contre lord Dalhousie. On lui reprochait d’avoir ouvertement manifesté l’intention de détruire la liberté de la presse, et de mettre un terme aux discussions publiques ; d’avoir, sous prétexte de faire exécuter les réglemens de la milice, insulté des particuliers respectables qui en faisaient partie, et d’avoir privé plusieurs officiers de leurs grades, parce qu’ils avaient assisté à des assemblées convoquées dans leurs comtés respectifs, pour blâmer son administration et aviser au moyen de faire parvenir leurs plaintes au roi et au parlement d’Angleterre. Ces destitutions donnèrent lieu à deux réunions des principaux habitans, dans lesquelles il fut déclaré que les individus que le gouverneur avait dégradés et voulu flétrir possédaient toujours l’estime de leurs concitoyens. Ces résolutions ayant été publiées par la gazette de Québec, l’avocat-général, qui était un des agens administratifs dont les pétitionnaires se plaignaient, dirigea des poursuites contre l’éditeur de cette feuille et contre M. Mondelet, signataire des résolutions. Ce dernier fut enlevé à ses affaires, et conduit à Montréal, au lieu d’être jugé aux Trois-Rivières, où le prétendu délit avait été commis. Les pétitionnaires alléguèrent aussi que le jury avait été illégalement formé. Après avoir rapporté plusieurs autres actes arbitraires du gouverneur, de l’avocat et du procureur-général, ils déclarèrent « que la tranquillité et la confiance ne renaîtraient dans le pays que lorsque le comte Dalhousie serait rappelé de son gouvernement, et son administration changée ; que lorsque les fonctions de l’avocat-général James Stuart et du procureur-général Charles-Richard Ogden seraient remplies par d’autres personnes, et que l’assemblée législative serait convoquée et remise en possession de ses priviléges et du pouvoir qui lui appartient. »

Le comité, pressé de terminer son rapport et de le présenter au parlement, se borna à remarquer, au sujet de la conduite du gouverneur, « qu’il était urgent d’instituer une enquête prompte et rigoureuse, relativement à ces nouvelles plaintes des Canadiens, pour y apporter sans délai le remède que réclamaient la justice et la saine politique. »

Sur ces entrefaites on apprit aussi que la législature du Haut-Canada avait été brusquement dissoute, à la suite de démêlés survenus entre le gouvernement local et la maison d’assemblée.

Ce rapport, qualifié de vague par sir Georges Murray, dessilla les yeux du ministère anglais, et le décida à changer toute l’administration du Canada. Les deux gouverneurs, lord Dalhousie et sir P. Maitland, furent remplacés, le premier par sir James Kempt, alors gouverneur de la Nouvelle-Écosse, et l’autre par sir John Colborne.

Cette justice tardive rendue au Canada a déjà produit d’heureux fruits. Sir James Kempt, dont l’administration est bénie à la Nouvelle-Écosse, a accédé aux vœux des Canadiens : les procès de la presse et autres, intentés par l’esprit de parti, ont cessé. Lord Dalhousie ne nommait que ses créatures aux emplois publics ; le nouveau gouverneur y appelle des hommes capables, sans égard à leurs principes politiques. Il vient de choisir, pour juge de la cour du banc du roi, M. Vallière, un des chefs du parti populaire ; il a reconnu le principe constitutionnel, invoqué par l’assemblée, que tous les revenus publics doivent être soumis au contrôle de la législature provinciale. Il traite avec une prédilection marquée les membres de l’ancienne opposition ; lors de sa visite à Montréal, il accueillit avec une bienveillance toute particulière M. Papineau, président de l’assemblée, qui avait été en butte aux calomnies et à la persécution de l’administration de lord Dalhousie. Sa conduite, en un mot, est telle que le prescrit le comité : impartiale, conciliatrice et constitutionnelle.

Barker.
  1. On dit que les Espagnols visitèrent le Canada avant les Français, et que, le jugeant aride et dépourvu de métaux précieux, ils s’écrièrent en présence des Indiens : Aca nada (il n’y a rien ici). Plus tard, lorsque les Français y abordèrent, ces mêmes Indiens, voulant les dissuader de s’établir dans le pays, ne cessèrent de leur répéter aca nada. Les Français, ne les comprenant pas, crurent que c’était le nom de la contrée, et continuèrent de l’appeler ainsi.
  2. Le Haut-Canada est situé entre les 42° et 52° de latitude N., et entre les 76° et 97° de longitude O. Il confine au N. au territoire de la compagnie de la baie d’Hudson ; au N.-E., à la rivière Grande ou des Ottawas ; à l’E., au Bas-Canada ; au S. et au S.-E., aux États-Unis, dont il est séparé par une ligne de convention qui commence à Saint-Régis, sous le 45e parallèle, suit le milieu du Saint-Laurent, du lac Ontario, de la rivière de Niagara et du lac Érié, traverse les lacs Huron, Supérieur et Long, parcourt ensuite le centre d’une autre chaîne de petits lacs jusqu’à l’angle N.-O. de celui des Bois, et va de là au Mississipi ; l’O. et au N.-O., les limites de la province sont indéfinies.

    Le canal de Welland traverse la presqu’île du Haut-Canada dans une direction presque parallèle à la rivière de Niagara, et réunit les deux lacs Ontario et Érié. L’élévation de la contrée qu’il parcourt est d’environ trois cent trente pieds, et à l’aide de trente-sept écluses qu’on a été obligé de construire, des bâtimens du port de cent-vingt tonneaux se rendent facilement d’un lac à l’autre.

  3. On y comptait, en 1829, 1,000,000 d’acres de terres cultivées, 8,067 habitations d’un ordre supérieur aux cabanes en bois, qui, n’étant point assujéties à la taxe, n’ont pas été comprises dans le recensement ; 396 boutiques de marchands, 304 moulins, 30,774 chevaux propres au service, 27,614 bœufs servant aux travaux de l’agriculture, 67,644 vaches laitières, 34,975 bêtes à cornes de l’âge de deux à quatre ans, et 469 voitures d’agrément. Le montant total des propriétés taxées s’élevait à 1,969,074 livres sterling.
  4. Population du Haut-Canada en 1829.

    Districts.
    Habitans.
    Oriental 
    19,259
    Ottawa 
    3,732
    Bathurst 
    14,516
    Johnstown 
    17,800
    Midland 
    30,960
    Newcastle 
    13,337
    Home 
    22,927
    Gore 
    17,705
    Niagara 
    20,177
    Londres 
    19,813
    Occidental 
    8,332
    Total 
    188,558
  5. Cette province est située entre les 45° et 52° de latitude N. et entre les 66° et 85° de longitude O. de Paris. Elle est bornée au N. par la baie de James et le Labrador, à l’E. par le golfe Saint-Laurent, au S.-E. par le Nouveau-Brunswick, et les États de Maine et de New-Hampshire ; au S. par ceux de Vermont et de New-York et le Haut-Canada, et au S.-O. et au S. par cette même province. On estime à trois cents lieues la longueur du Bas-Canada, de l’E. à l’O. ; de cinquante à cent cinquante sa largeur, du N. au S., et sa superficie à près de 32,000 lieues carrées. La partie du Bas-Canada qui avoisine le Saint-Laurent est généralement unie, mais le centre en est traversé du S.-O. au N.-E. par une chaîne de l’Alleghany, dont la hauteur varie de cent cinquante à trois cents toises. Le pays est arrosé par une multitude de lacs et de cours d’eau et traversé dans toute sa longueur par le grand fleuve Saint-Laurent.
  6. Rapport aux lords du bureau du commerce et des plantations.
  7. Le quint est le cinquième du prix d’achat, et se perçoit à chaque mutation. Le relief est le revenu d’une année auquel le seigneur a droit dans certaines mutations, dans les successions collatérales, par exemple. La succession aux fiefs est soumise à d’autres règles que la succession aux propriétés possédées en roture. Le fils aîné, s’il y en a plus de deux, a droit au château ou habitation principale, à un arpent de jardin y attenant, à la moitié des immeubles et à tous moulins, pressoirs et fours construits sur la propriété. Le reste de la succession est partagé entre les autres héritiers. S’il n’y en a que deux, les deux tiers du fief et l’habitation sont le partage de l’aîné, et le cadet a le reste. Dans le cas où l’aîné viendrait à mourir sans enfans, ce n’est pas le suivant qui lui succède, sa propriété est partagée également entre tous les héritiers.
  8. Cette province se divise en seigneuries et en districts. Les premières sont habitées par des Canadiens français, et les autres par des colons anglais. Les districts sont placés sur les derrières des seigneuries, lesquelles s’étendent des deux côtés du Saint-Laurent, sur une largeur de dix à douze milles.
  9. Le gouvernement local disposa de son autorité privée, durant plusieurs années, d’une somme de 140,000 livres sterling (3,500,000 fr.) sans l’autorisation des représentans du peuple auxquels la constitution attribue la répartition des deniers publics.
  10. Ces bills avaient pour but de restreindre et de régler les dépenses du gouvernement civil, de fixer les droits de certains offices et la perception des impôts dans les districts, de déterminer la formation et les droits des juges, de construire des prisons, de définir les attributions des justices de paix, de mettre la milice sur un pied convenable, d’accroître le nombre des représentans de la maison d’assemblée et d’y admettre des délégués des districts nouvellement colonisés, de pourvoir à la sûreté des fonds publics, de rendre les juges inamovibles, de régulariser la procédure dans les cas de prévarication des agens du gouvernement, de nommer un agent accrédité pour la province, qui resterait en Angleterre, et y surveillerait ses intérêts, etc.
  11. MM. Neilson, Viger et Cuvillier avaient été députés pour appuyer la pétition des seigneuries.
  12. La population du Canada peut s’élever, comme on l’a dit plus haut, à 480,000 habitans, dont 440,000 catholiques et 40,000 protestans. La tolérance religieuse y a toujours été à l’ordre du jour ; aussi dans la province basse, catholiques et protestans vivent ensemble en parfaite intelligence. Chaque communion pourvoit elle-même à l’entretien de son clergé. Celui de l’église catholique perçoit une espèce de dîme du vingt-sixième environ du produit du sol. Le gouvernement paie celui de l’église anglaise, et les ministres des autres croyances sont maintenus par leurs troupeaux respectifs. Le Haut-Canada est presque entièrement desservi par des missionnaires de l’église méthodiste épiscopale des États-Unis. Ennemis des institutions et des principes anglais, leurs efforts paraissent plutôt tendre à faire des prosélytes au républicanisme qu’au culte de Wesley. Ils se sont tellement emparés de l’esprit de leurs congrégations, qu’ils exercent une espèce de monopole religieux dans la province, et en ont complètement exclu les missionnaires méthodistes qu’on y avait envoyés d’Angleterre en 1818.