Essai anagogique dans la recherche des causes

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Essai anagogique dans la recherche des causes
Die philosophischen Schriften, Texte établi par Karl Immanuel Gerhardt, Band 7 (p. 270-279).

V.

Tentamen Anagogicum.
Essay Anagogique dans la recherche des causes.

Ce qui mene à la supreme cause est appellé Anagogique chez les Philosophes aussi bien que chez les Theologiens. On commence donc à monstrer icy, qu’on ne sçauroit rendre raison des lois de la nature qu’en supposant une cause intelligente. Ou l’on monstre aussi que dans la recherche des finales il y a des cas où il faut avoir egard au plus simple ou plus determiné, sans distinguer si c’est le plus grand ou le plus petit. Que la même chose s’observe aussi dans le calcul des differences, que la loix generale de la direction du rayon tirée des finales en donne un bel exemple, sans distinguer si c’est reflexion ou refraction, et si la surface est courbe ou si c’est un plan. On en tire quelques nouveaux theoremes generaux qui conviennent egalement à la refraction et à la reflexion. Que l’Analyse des Loix de la nature, et la recherche des causes nous mene à Dieu, ou l’on monstre comment dans la voye des finales comme dans le calcul differences on ne regarde pas seulement au plus grand ou au plus petit, mais generalement au plus determiné ou au plus simple. J’ay marqué en plusieurs occasions que la derniere resolution des Loix de la Nature nous mene à des principes plus sublimes de l’ordre et de la perfection, qui marquent que l’univers est l’effect d’une puissance intelligente universelle. Cette connoissance est le fruit principal de nos recherches, comme les anciens ont déja jugé, et sans parler de Pythagore et de Platon, qui s’y attachoient principalement, Aristote meme tendoit par ses ouvrages, et particulierement dans ses Metaphysiques à demonstrer un premier moteur. Il est vray que ces anciens n’estant pas instruits comme nous des loix de la nature, manquoient de beaucoup de moyens que nous avons, et dont nous devons profiter.

La connaissance de la nature fait naistre l’art, elle nous donne beaucoup de moyens de conserver la vie et même elle en fournit les commodités, mais outre que la satisfaction de l’esprit, qui vient de la sagesse et de la vertu, est le plus grand agrément de la vie, elle nous eleve à ce qui est eternel, au lieu que cette vie est tres courte. Et par consequent ce qui sert à établir des maximes, qui mettent la felicité dans la vertu, et qui font tout venir du principe de la perfection, est infiniment plus utile à l’homme et même à l’estat que tout ce qui sert aux arts. Aussi les découvertes utiles à la vie ne sont-elles bien souvent que des corolaires des lumieres plus importantes, et il est encor vrai icy que ceux qui cherchent le Royaume de Dieu, trouvent le reste en leur chemin.

La recherche des causes finales dans la Physique est justement la practique de ce que je crois qu’on doit faire, et ceux qui les ont voulu bannir de leur philosophie, n’en ont assez considéré l’importante utilité. Car je ne veux point leur faire ce tort que de croire, qu’ils ont eu en cela des mauvais desseins. Cependant d’autres sont venus, qui en ont abusé et qui non contents d’exclure les causes finales de la Physique, au lieu de les renvoyer ailleurs, ont fait effort de les detruire tout à fait, et de monstrer, que l’auteur des choses estout tout puissant à la verité, mais sans aucune intelligence. Il y en a eu encore d’autres, qui n’ont admis aucune cause universelle, comme ces anciens qui ne reconnoissent dans l’univers que le concours des corpuscules, ce qui paroist plausible aux esprits où la faculté imaginative predomine, parce qu’ils croyent de n’avoir à employer que des principes de mathematique, sans avoir besoin ny de ceux de metaphysique qu’ils traitent de chimeres, ny de ceux du bien qu’ils renvoyent à la morale des hommes, comme si la perfection et le bien n’estoient qu’un effect particulier de nos pensées, sans se trouver dans la nature universelle.

Je reconnois qu’il est assez aisé de tomber dans cette erreur, et par tout quand on s’arreste en meditant à ce que l’imagination seule peut fournir, c’est à dire aux grandeurs et figures, et à leur modifications. Mais quand on pousse la recherche des raisons, il se trouve que les loix du mouvement ne sauroient être expliquées par des principes purement geometriques, ou de la seule imagination. C’est aussi ce qui a fait que des philosophes tres habiles de nostre temps ont crû que les loix du mouvement sont purement arbitraires. En quoy ils ont raison s’ils prennent arbitraire pour ce qui vient du choix, et qui n’est pas d’une nécessité Geometrique, mais il ne faut pas étendre cette notion jusqu’à croire que ces loix sont tout à fait indifferentes, puisqu’on peut monstrer, qu’elles ont leur origine dans la sagesse de l’auteur, ou dans le principe de la plus grande perfection, qui les a fait choisir.

Cette consideration nous fournit le veritable milieu, dont on a besoin pour satisfaire à la verité aussi bien qu’à la pieté. L’on sait que s’il y a eu des Philosophes habiles qui n’ont reconnu dans l’univers que ce qui est materiel, il y a en echange des Theologiens sçavans et zelés, qui choqués de la philosophie corpusculaire et non contents d’en reprimer les abus, ont cru estre obligés à soûtenir, qu’il y a des phenomenes dans la nature, qu’on ne sçauroit expliquer par les principes de mecanique, comme par exemple la lumiere, la pesanteur, la force Elastique ; mais comme ils ne raisonnent pas en cela avec exactitude, et qu’il est aisé aux philosophes corpusculaires de leur répondre, ils font du tort à la religion en pensant luy rendre service ; car ils confirment dans leur erreur ceux qui ne reconnoissent que des principes materiels. Ce veritable milieu qui doit satisfaire les uns et les autres est, que tous les phenomenes naturels se pourroient expliquer mecaniquement, si nous les entendions assez ; mais que les principes mêmes de la Mecanique ne sçauroient estre expliqués Geometriquement, puisqu’ils dependent des principes plus sublimes, qui marquent la sagesse de l’auteur dans l’ordre et dans la perfection de l’ouvrage.

Ce qui me paroist le plus beau dans cette consideration est que ce principe de la perfection au lieu de se borner seulement au general, descend aussi dans le particulier des choses et des phenomenes, et qu’il en est à peu pres comme dans la Methode de Formis Optimis, c’est à dire maximum aut minimum praestantibus, que nous avons introduite dans la Geometrie au delà de l’ancienne methode de maximis et minimis quantitatibus. Car ce meilleur de ces formes ou figures ne s’y trouve pas seulement dans le tout, mais encore dans chaque partie, et même il ne seroit pas d’assez dans le tout sans cela. Par exemple si dans la ligne de la plus courte descente entre deux points donnés, nous prenons deux autres points à discretion, la portion de cette ligne interceptée entre eux est encore necessairement la ligne de la plus courte descente à leur egard. C’est ainsi que les moindres parties de l’univers sont reglées suivant l’ordre de la plus grande perfection ; autrement le tout ne le seroit pas.

C’est pour cela que j’ay coustume de dire qu’il y a, pour parier ainsi, deux Regnes dans la nature corporelle même qui se penetrent sans se confondre et sans s’empecher : le regne de la puissance, suivant lequel tout se peut expliquer mecaniquement par les causes efficientes, lorsque nous en penetrons assez l’interieur ; et aussi le Regne de la sagesse, suivant lequel tout se peut expliquer architectoniquement, pour ainsi dire, par les causes finales, lorsque nous en connoissons assez les usages. Et c’est ainsi qu’on peut non seulement dire avec Lucrece, que les animaux voyent parce qu’ils ont des yeux ; mais aussi que les yeux leur ont esté donnés pour voir, quoyque je sçache que plusieurs n’admettent que le Premier pour mieux faire les esprits forts. Cependant ceux qui entrent dans le detail des machines naturelles, ont besoin d’une grande prevention pour resister aux attraits de leur beauté, et Galien même ayant connu quelque chose de l’usage des parties des animaux, en fut tellement ravi d’admiration, qu’il crût que de les expliquer, estoit autant que de chanter des hymnes à l’honneur de la divinite. Et j’ay souvent souhaite, qu’un habile Medecin entreprist de faire un ouvrage expres, dont le titre ou du moins le but pourroit estre Hymnus Galeni.

De plus nos meditations nous fournissent quelques fois des considerations, qui font voir l’usage des Finales, non seulement pour augmenter l’admiration de l’Auteur supreme, mais encor pour faire des decouvertes dans son ouvrage. Et je le monstray un jour par un echantillon, lorsque je proposay le principe general d’optique, que le rayon se conduit d’un point à l’autre par la voye qui se trouve la plus aisee, à l’egard des superficies planes, qui doivent servir de regle aux autres. Car il faut considerer que si on pretendoit l’employer comme une cause efficiente, et comme si tous les rayons possibles balancés entre eux le plus aisé l’emportoit, il faudroit considerer toute la surface telle qu’elle est, sans considerer le plan qui la touche, et alors la chose ne reussiroit pas toujours comme on dira tantost. Mais bien loin de dissimuler que ce principe a quelque chose de la cause finale, comme on avoit objecto autres fois à Monsieur Fermat, qui l’avoit employé pour la Dioptrique, je l’en trouvois plus beau et plus considerable pour un usage plus sublime que celuy du mecanisme. Et un habile auteur[1] qui publia un ouvrage d’Optique en Angleterre témoigna de m’en sçavoir bon gré. L’ordre veut que les lignes et surfaces courbes soyent traitées comme composées de droites et de plans. Et un rayon est determiné par ce plan, où il tombe, qu’on considere comme y formant la surface courbe. Mais le même ordre veut, que l’effect de la plus grande facilité soit obtenu dans les plans au moins qui servent d’elements aux autres surfaces, ne pouvant pas estre obtenu à l’egard d’elles aussi. D’autant plus que par ce moyen il se satisfait à leur egard à un autre principe qui succede au precedent et qui porte qu’au defaut du moindre, il faut se tenir au plus determiné, qui pourra estre le plus simple, lors même qu’il est le plus grand.

Or il se trouve que les anciens et Ptolemée entre autres s’estoient déjà servis de cette Hypothese du chemin plus aisé du rayon qui tombe sur un plan, pour rendre raison de l’egalité des angles d’incidence et de reflexion, qui est le fondement de la Catoptrique. Et c’est par cette même Hypothese que Mons. Fermat rendit raison de la loy de la refraction selon les sinus ou (l’enonçant d’un autre biais avec Snellius) selon les secantes. Mais qui plus est, je ne doute point que cette loy n’ait esté premierement trouvée par ce moyen. Car l’on sçait que Wilibrord Snellius, un des plus grands Geometres de son temps et fort versé dans les methodes des anciens, en a esté l’inventeur, ayant même composé un ouvrage, qui n’a pas esté publié à cause de la mort de l’auteur, mais comme il l’avoit enseigné à ses disciples, toutes les apparences sont que Monsieur des Cartes venu en Hollande un peu apres et plus curieux de ces choses que personne, l’aura appris. Car la maniere dont il a taché d’en rendre raison par les efficientes ou par la composition des directions à l’imitation de la reflexion des balles estant extremement forcée, et pas assez intelligible, pour ne dire rien de plus icy, fait bien voir que c’est un raisonnement apres coup ajousté tellement quellement à la conclusion, et qu’elle n’avait pas esté trouvée par ce moyen. De sorte qu’il est à croire, que nous n’aurions pas eu si tost cette belle decouverte, sans la methode des finales.

Je me souviens que des auteurs habiles ont souvent objecté contre ce principe que dans la Reflexion même il ne semble point reussir, lors qu’on l’applique aux courbes ; et qu’il arrive dans les miroirs concaves que le chemin de la reflexion est le plus long. Mais outre que j’ay déja dit que suivant les principes architectoniques les surfaces courbes doivent se regler sur les plans qui les touchent, j’expliqueray maintenant comment il demeure tousjours generalement vray, que le rayon se conduit par le chemin le plus determiné ou unique, même à l’egard des courbes. Aussi est-il remarquable que dans l’Analyse de maximis et minimis, c’est une même operation pour le plus grand ou pour le plus petit sans qu’on les distingue, que dans l’application aux cas divers, parce qu’on cherche tousjours le plus déterminé en grandeur, qui est tantost le plus grand, tantost le plus petit dans son ordre, l’analyse n’estant fondée que sur l’evanouissement de la difference ou sur l’unicité des jumeaux reunis, et nullement sur la comparaison avec toutes les autres grandeurs. Car soit (fig. 1)
Fig. 1.
Fig. 1.
une courbe concave ou convexe, et un Axe , dont on mene les ordonnées à la courbe, on voit qu’à l’ordonnée comme ou repond une autre, qui luy est egale, et comme sa jumelle ou Mais il y a le cas d’une ordonnée singuliere , qui est la seule determinée ou unique de sa grandeur, et n’a point de jumelle, puisque ces deux jumelles et s’y reunissent et ne font qu’une, et cette est la plus grande ordonnée sur la courbe concave, et la plus petite ordonnée sur la courbe convexe. Ainsi au lieu que deux ordonnées infiniment prochaines ont une difference dans les autres cas, qui seroit , si l’ordonnée estoit appelée et dont la proportion à , partie infiniment petite de l’axe, donneroit l’angle de la courbe ou de sa touchante à l’Axe , icy en , les ordonnées infiniment proches estant jumelles ou coincidentes, n’ont point de difference, devient , et la tangente en est parallele à l’axe. Ainsi le fondement de l’analyse est cette unicité causée par la reunion des jumelles, sans qu’on se mette en peine si l’ordonnée est la plus grande ou la plus petite. C’est ce que le calcul fait voir en particulier dans cette matière même. Soit (fig. 1) un miroir quelconque , plan, concave ou convexe, et deux points donnés ,  ; on demande le point de reflexion , tel que le chemin soit l’unique, le singulier ou le déterminé en grandeur, que les anciens appeloient déja μοναχὸν c’est à dire ou le plus grand ou le plus petit (selon que l’un ou l’autre a lieu) car ceux qui ne le sont point, sont doubles ou jumeaux, ayant un autre qui leur repond et qui a la même longueur. Joignons dont le milieu soit et entre et menons les perpendiculaires à , et au miroir. Appelons ou ,  ; ,  ; , et sera se prenant en arrière. Donc sera et sera et nous aurons , et différentiant, on aura , c’est à dire , ou bien  ; or est , et est , donc ou bien , ce qui marque que l’angle des directions est coupé en deux parties egales par perpendiculaire à la courbe, ou que les angles d’incidence et de reflexion sont egaux, quelle que soit la surface qui fait la reflexion.
Fig. 2
Fig. 2

La même verité a lieu encor à l’egard de la refraction, c’est à dire quelle que soit la surface de separation, plane ou courbe, pourvu qu’elle soit uniformement reglée, le rayon rompu arrive toujours du point d’un milieu, au point de l’autre milieu, par le chemin le plus determiné ou l’unique, qui pour ainsi dire n’a point de frere jumeau, en longueur du temps, ce que je ne me souviens pas d’avoir vû observé ailleurs. Il est aisé de le prouver par une analyse toute semblable. Car soit tout preparé comme auparavant, si non qu’au lieu du miroir il y a (fig. 2) la surface , plate, concave ou convexe, qui separe deux milieux penetrables par le rayon, et on change la direction. La resistance du milieu à celle du milieu soit comme à , donc il y aura , et differentiant on aura et par consequent (calculant comme auparavant) . Or il est aisé de tirer de ce theoreme la proportionnalité des sinus. Car soit (fig. 3) le rayon rencontrant en la surface qui fait refraction, et soit pris le rayon de refraction , egal au rayon incident , joignons , qui coupe en la droite perpendiculaire à la surface  ; et des points et menons sur les normales , . Maintenant puisque et sont prises egales, il y aura par l’equation de l’article precedent à comme à  ; donc à cause des triangles semblables , , le sinus sera au sinus comme à , c’est à dire reciproquement comme les resistances des milieux. Et les sinus des angles de refraction seront proportionnels aux sinus des angles d’incidence[2].

Fig. 3
Fig. 3

Ce qui fait voir enfin, que la règle du chemin singulier ou plus determiné en longueur du temps, a lieu generalement dans le rayon direct et rompu soit par reflexion ou par refraction, soit à l’egard des plans ou des surfaces courbes, concaves ou convexes, sans qu’on distingue dans cette determination le temps le plus long ou le plus court. Quoyqu’il est le plus court en effect, à l’egard de ce qui doit servir de regle, c’est à dire du plan tangent, la nature gouvernée comme elle est par la souveraine sagesse marquant par tout ce dessein general, de regler les courbes par les droites ou plans, qui les touchent, comme si elles en estoient composées, ce qui n’est pourtant point à la rigueur.

On apprend aussi par cette voie des theoremes generaux communs à la Catoptrique et à la Dioptrique, car les rectangles faits sur les rayons d’un costé menés, chacun dans le segment opposé la base (sçavoir les rectangles comme ) sont toujours proportionnés aux rectangles contraires repondant faits sur les rayons de l’autre costé (c’est à dire aux rectangles ) ou bien le rectangle sous un costé du rayon rompu et le segment opposé de la base, est tousjours en même raison au rectangle contraire, et cette est comme celle des resistances des milieux, où sont ces costés. Donc au cas de la simple reflexion, où les milieux sont de même nature, elle devient la raison de l’egalité, et alors ce theoreme general donne ou bien , ou comme auparavant , c’est à dire l’egalité des angles d’incidence et de reflexion.

Mais il y pourroit avoir pourtant une reflexion mêlée de refraction aisée à practiquer, car celle que Mons. des Ccartes a proposée ne semble pas convenir à la lumiere, c’est que la rayon pourroit rencontrer en même temps en le miroir et le milieu nouveau ou , en quel cas il reflechiroit en arriere, mais l’angle de reflexion seroit autre que celuy d’incidence, et il ne seroit point difficile de le determiner, puisqu’on n’a qu’à se figurer qu’au lieu du rayon estoit le rayon qui continué directement iroit en et on trouvera que le rayon tombant en même temps sur le miroir et le nouveau milieu , seroit detourné par la reflexion et refraction à la fois pour aller comme iroit le rayon detourné par la seule refraction du milieu qu’il rencontreroit. Cependant il meriteroit d’estre encor examiné par l’experience, non pas pour en determiner la quantité, mais pour voir s’il fourniroit peut estre quelque chose de particulier sur tout à l’egard des couleurs ; comme je desirerois aussi qu’on examinat par experience cet autre passage de la refraction à la reflexion qui se trouve lorsque le rayon qui tombe sur le milieu commence à avoir trop d’obliquité pour y penetrer, et qu’on appliquat ces cas aux couleurs ; aussi bien qu’au cristal de double reflexion, qui meriteroit encor d’ailleurs d’estre appliqué aux experiences des couleurs que la refraction fait naistre. Mais cela soit dit en passant.

Ce principe de la nature d’agir par les voyes les plus determinées que nous venons d’employer, n’est qu’architectonique en effect, cependant elle ne manque jamais de l’observer. Supposons le cas que la nature fut obligée generalement de construire un triangle, et que pour cet effet la seule peripherie ou somme des costés fut donnée et rien de plus, elle construiroit un triangle equilateral. On voit par cet exemple la difference qu’il y a entre les determinations Architectoniques et les Geométriques. Les determinations Geometriques importent une necessité absolue, dont le contraire implique contradiction, mais les Architectoniques n’importent qu’une necessité de choix, dont le contraire importe imperfection. À peu pres comme on dit dans la jurisprudence, quae contra bonos mores sunt, ea nec facere nos posse credendum est. Et comme il y a même dans le calcul d’Algèbre ce que j’appelle la Loy de la justice, qui aide beaucoup à trouver les bonnes voyes. Si la nature estoit brute, pour ainsi dire, c’est à dire purement materielle ou Geometrique, le cas susdit seroit impossible, et à moins que d’avoir quelque chose de plus determinant que la seule peripherie, elle ne produiroit point de triangle ; mais puisqu’elle est gouvernée Architectoniquement, des demi-determinations geometriques luy suffisent pour achever son ouvrage, autrement elle auroit esté arrestée le plus souvent. Et c’est ce qui est veritable particulierement à l’egard des lois de la nature. Quelqu’un niera peut estre ce que j’ay avancé déja cy dessus à l’egard de ces loix qui gouvernent le mouvement, et croira qu’il y en a demonstration tout à fait geométrique, mais je me reserve de faire voir le contraire dans un autre discours, et de monstrer qu’on ne les sçauroit deriver de leur sources qu’en supposant des raisons architectoniques. Une des plus considerables que je crois avoir introduit le premier dans la Physique est la loy de la continuité, dont j’ay parlé il y a plusieurs années dans les Nouvelles de la Rep. des Lettres, où j’ay monstré par des exemples comment elle sert de pierre de touche des dogmes. Cependant elle sert non seulement d’examen, mais encor d’un tres fecond principe d’invention, comme j’ai dessein de monstrer un jour. Mais j’ay trouvé encor d’autres Loix de la nature tres belles et tres etendues, et cependant fort differentes de celles qu’on a coustume d’employer et tousjours dependantes des Principes architectoniques. Et rien ne me paroist plus efficace, pour prouver et admirer la souveraine sagesse de l’auteur des choses dans leur principes mêmes.


  1. Leibniz hat am Rande bemerkt : (Mons. Molineux).
  2. Leibniz hat am Rande bemrekt : De cela se peut encor tirer un autre theoreme commun à la Catoptrique et à la Dioptrique, qui me paroist plus elegant. Le voicy : Si dans un rayon rompu on prend deux points, en sorte que la base qui les joint, est coupée egalement par le perpendiculaire à la surface de separation, les rayons sont toujours proportionnels de part et d’autre, et entre eux comme les resistances des milieux. Par exemple si et estoient pris en sorte que coupat en deux parties egales , , la raison du rayon au rayon seroit tousjours la même, sçavoir comme à . C’est pourquoy dans le même milieu, qui est le cas de la reflexion, ils sont egaux.