Essai sur l’inégalité des races humaines/Conclusion générale

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CONCLUSION GÉNÉRALE.


L’histoire humaine est semblable à une toile immense. La terre est le métier sur lequel elle est tendue. Les siècles assemblés en sont les infatigables artisans. Ils ne naissent que pour saisir aussitôt la navette et la faire courir sur la trame ; ils ne la posent que pour mourir. Ainsi, sous ces doigts affairés, va croissant d’ampleur le large tissu.

L’étoffe n’en revêt pas une seule couleur ; elle ne se compose pas d’une unique matière. Bien loin que l’inspiration de la sobre Pallas en ait décidé les desseins, l’aspect en rappelle plutôt la méthode des artistes du Kachemyr. Les bigarrures les plus étranges et les enroulements les plus bizarres s’y compliquent sans cesse des caprices les plus inattendus, et ce n’est qu’à force de diversité et de richesse que, contrairement à toutes les lois du goût, cet ouvrage, incomparable en grandeur, devient également incomparable en beauté.

Les deux variétés inférieures de notre espèce, la race noire, la race jaune, sont le fond grossier, le coton et la laine, que les familles secondaires de la race blanche assouplissent en y mêlant leur soie, tandis que le groupe arian, faisant circuler ses filets plus minces à travers les générations ennoblies, applique à leur surface, en éblouissant chef-d’œuvre, ses arabesques d’argent et d’or.

C’est ainsi que l’histoire est une, et que tant d’anomalies qu’elle présente peuvent trouver leur explication et rentrer dans des règles communes, si l’œil et la pensée, cessant de se concentrer avec une obstination irréfléchie sur des points isolés, consentent à embrasser l’ensemble, à y recueillir les faits semblables, à les rapprocher, à les comparer, et à tirer une conclusion rigoureuse des causes mieux étudiées et dès lors mieux comprises de leur identité fondamentale ; mais l’esprit de l’homme est de sa nature si débile qu’en s’approchant des sciences, son premier instinct est de les simplifier, ce qui d’ordinaire signifie les mutiler, les amoindrir, les débarrasser de tout ce qui gêne et déroute sa faiblesse, et, lorsqu’il a réussi à les défigurer pour des yeux qui seraient plus clairvoyants que les siens, c’est à ce moment seul qu’il les trouve belles, parce qu’elles sont devenues faciles, cependant, dépouillées d’une partie de leurs trésors, elles n’en sauraient plus livrer que des restes trop souvent privés de vie. A peine s’en aperçoit-il. L’histoire n’est pas une science autrement constituée que les autres. Elle se présente composée de mille éléments en apparence hétérogènes, qui, sous des entrelacements multipliés, cachent ou déguisent une racine plongeant à de grandes profondeurs. En élaguer ce qui trouble la vue, c’est faire jaillir peut-être un peu plus de clarté sur les débris qu’on aura conservés ; mais c’est aussi altérer inévitablement la mesure et partant l’importance relative des parties, et rendre impossible de jamais pénétrer le sens réel du tout.

Pour obvier à ce mal qui frappe toute connaissance de stérilité, il faut se résoudre à renoncer à de pareils moyens, et à accepter la tâche avec ses difficultés natives. Si, bien résolu à le faire, on se borne d’abord à chercher sans rien omettre les principales sources du sujet, on découvrira d’une manière certaine qu’il en est trois d’où surgissent les phénomènes les plus dignes d’attirer l’attention. La première de ces sources, c’est l’activité de l’homme prise isolément  ; la seconde, c’est l’établissement des centres politiques ; la troisième, la plus influente, celle qui vivifie les deux autres, c’est la manifestation d’un mode donné d’existence sociale. Que l’on ajoute maintenant à ces trois sources de mouvement et de transformation le fait de la pénétration mutuelle des sociétés, les contours généraux du travail seront tracés. L’histoire avec ses causes, avec ses mobiles, avec ses résultats principaux, sera renfermée dans un vaste cercle, et l’on pourra aborder les détails de la plus minutieuse analyse sans craindre de s’être préparé, par une dissection indiscrète, l’inévitable moisson d’erreurs qui résulte des autres façons de procéder.

L’activité de l’homme, prise isolément, s’exprime par les inventions de l’intelligence et le jeu des passions. L’observation de ce travail et des résultats dramatiques qu’il amène absorbe exclusivement l’attention du commun des penseurs. Ceux-là ne s’appliquent qu’à voir la créature s’agiter, céder ou résister à ses penchants, les diriger avec sagesse ou tomber engloutie dans leurs torrents fougueux. Rien d’émouvant, sans doute, comme les péripéties d’une pareille lutte entre l’homme et lui-même. Dans les deux alternatives posées devant ses pas, qui pourrait douter qu’il n’agisse en maître ? Le Dieu qui le contemple, et le jugera d’après le bien moral qu’il aura fait, le mal moral qu’il aura repoussé, nullement d’après la mesure de génie qu’il aura reçue, appesantit sur lui sa liberté, et le spectateur de ses hésitations, comparant les actes qu’il observe avec le code ouvert entre ses mains par la religion ou la philosophie, ne s’égare dans l’intérêt qu’il y prend que lorsqu’il leur suppose une étendue d’action que les efforts de l’homme isolé ne sauraient usurper.

Ces efforts n’opèrent jamais que dans une sphère étroitement limitée. Qu’on imagine le plus puissant des hommes, le plus éclairé, le plus énergique : la longueur de son bras reste toujours peu de chose. Faites sortir les plus hautes pensées imaginables du cerveau de César ; elles ne sauraient embrasser dans leur vol toute la circonférence du globe. Leurs œuvres, bornées à certains lieux, n’atteignent tout au plus qu’un nombre restreint d’objets ; elles ne sauraient affecter, pendant un temps donné, que l’organisme d’un ou tout au plus de quelques centres politiques. Aux yeux des contemporains, c’est beaucoup ; mais pour l’histoire il n’en résulte le plus souvent que d’imperceptibles effets. Imperceptibles, dis-je ; car, du vivant même de leurs auteurs, on en voit la majeure partie s’effacer, et la génération suivante en cherche vainement les traces. Considérons les plus vastes sphères qui furent jamais abandonnées à la volonté d’un prince illustre, soit les conquêtes immenses du Macédonien, soit les États superbes de ce monarque espagnol où le soleil ne se couchait jamais. Qu’a fait la volonté d’Alexandre ? que créa celle de Charles-Quint ? Sans énumérer les causes indépendantes de leur génie qui réunirent tant de sceptres aux mains de ces grands hommes, et permirent au moins favorisé des deux d’en ramasser plus qu’il n’en arracha, l’essentiel de leur rôle a consisté en définitive à n’être que les conducteurs dociles ou les contradicteurs abandonnés de ces multitudes que l’on suppose soumises à leur empire. Entraînés dans une impulsion qu’ils ne donnaient pas, leur plus beau succès fut de l’avoir suivie  ; et, lorsque le dernier des deux, armé de toutes ses gloires, prétendit à son tour guider le torrent, le torrent qui l’emportait se gonfla contre ses défenses, grandit contre ses menaces, effondra toutes ses digues, et, poursuivant son cours, le renversa dans sa honte, et trop bien convaincu de sa faiblesse, sur l’obscur parvis de Saint-Just.

Ce ne sont pas les grands hommes qui se croient omnipotents ; il leur est trop facile de mesurer ce qu’ils font sur ce qu’ils voudraient faire. Ils savent bien, ceux-là dont la taille dépasse le niveau commun, que l’action permise à leur autorité n’a jamais atteint dans sa plus vaste expansion l’étendue d’un continent ; que, dans leur palais même, on ne vit pas comme ils le souhaitent ; que, si leur intervention retarde ou précipite le pas des événements, c’est de la même façon qu’un enfant contrarie le ruisseau qu’il ne saurait empêcher de couler. La meilleure partie de leurs récits est faite non d’invention, mais de compréhension. Là s’arrête la puissance historique de l’homme agissant dans les plus favorables conditions de développement. Elle ne constitue pas une cause, ce n’est pas non plus un terme, c’est quelquefois un moyen transitoire ; le plus souvent on ne saurait la considérer que comme un enjolivement. Mais, telle qu’elle est, il lui faut reconnaître pourtant le suprême mérite d’appeler sur la marche de l’humanité cette sympathie générale que le tableau d’évolutions purement impersonnelles n’aurait jamais éveillée. Les différentes écoles lui ont attribué une influence omnipotente, en méconnaissant grossièrement son incapacité réelle. Elle fut cependant jusqu’ici l’unique mobile de cet attrait irraisonné qui a porté les hommes à recueillir les reliques du passé.

On vient d’entrevoir que la limite immédiate devant laquelle elle s’arrête est fournie par la résistance du centre politique au sein duquel elle se meut. Un centre politique, réunion collective de volontés humaines, aurait donc par lui-même une volonté ; incontestablement il en est ainsi. Un centre politique, autrement dit un peuple, a ses passions et son intelligence. Malgré la multiplicité des têtes qui le forment, il possède une individualité mixte, résultant de la mise en commun de toutes les notions, de toutes les tendances, de toutes les idées, que la masse lui suggère. Tantôt il en est la moyenne, tantôt l’exagération ; tantôt il parle comme la minorité, tantôt la majorité l’entraîne, ou bien encore c’est une inspiration morbide qui n’était attendue et n’est avouée de personne. Bref, un peuple, pris collectivement, est, dans de nombreuses fonctions, un être aussi réel que si on le voyait condensé en un seul corps. L’autorité dont il dispose est plus intense, plus soutenue, et en même temps moins sûre et moins durable, parce qu’elle est plutôt instinctive que volontaire, qu’elle est plutôt négative qu’affirmative, et que, dans tous les cas, elle est moins directe que celle des individualités isolées. Un peuple est exposé à changer de visées dix fois et plus dans l’intervalle d’un siècle, et c’est là ce qui explique les fausses décadences et les fausses régénérations. Dans un intervalle de peu d’années, il se montre propre à conquérir ses voisins, puis à être conquis par eux  ; aimant ses lois et leur étant soumis, puis ne respirant que révolte pour aspirer quelques heures plus tard à la servitude. Mais, dans le malaise, l’ennui ou le malheur, on l’entend sans cesse accuser ses gouvernants de ce qu’il souffre ; preuve évidente qu’il a le sentiment d’une faiblesse organique qui réside en lui, et qui provient de l’imperfection de sa personnalité.

Un peuple a toujours besoin d’un homme qui comprenne sa volonté, la résume, l’explique, et le mène où il doit aller. Si l’homme se trompe, le peuple résiste, et se lève ensuite pour suivre celui qui ne se trompe pas. C’est la marque évidente de la nécessité d’un échange constant entre la volonté collective et la volonté individuelle. Pour qu’il y ait un résultat positif, il faut que ces deux volontés s’unissent ; séparées, elles sont infécondes. De là vient que la monarchie est la seule forme de gouvernement rationnelle.

Mais on s’aperçoit sans peine que le prince et la nation réunis ne font jamais que mettre en valeur des aptitudes ou des capacités, ne font jamais que conjurer des influences néfastes provenant d’un domaine extérieur à l’un comme à l’autre. Dans bien des cas où un chef voit la route que son monde voudrait prendre, ce n’est pas sa faute si ce monde manque des forces nécessaires pour accomplir la tâche indispensable ; et de même encore un peuple, une multitude ne peut se donner les compréhensions qu’elle n’a pas et qu’elle devrait avoir, pour éviter des catastrophes vers lesquelles elle court tout en les concevant, tout en les redoutant, tout en en gémissant.

Cependant voilà que le plus terrible malheur est tombé sur une nation. L’imprévoyance, ou la folie, ou l’impuissance de ses guides, conjurés avec ses propres torts, font éclater sa ruine. Elle tombe sous le sabre d’un plus fort, elle est envahie, annexée à d’autres États. Ses frontières s’effacent, et ses étendards déchirés vont triomphalement agrandir de leurs lambeaux les étendards du vainqueur. Sa destinée flnit-elle là ?

Suivant les annalistes, l’affirmation n’est pas douteuse. Tout peuple subjugué ne compte plus, et, s’il s’agit d’époques reculées et quelque peu ténébreuses, la plume de l’écrivain n’hésite pas même à le rayer du nombre des vivants, et à le déclarer matériellement disparu.

Mais qu’avec un juste dédain pour une conclusion aussi superficielle, on se mette en quête de la réalité,on trouvera qu’une nation, politiquement abolie, continue à subsister sans autre modification que de porter un nom nouveau ; qu’elle conserve ses allures propres, son esprit, ses facultés, et qu’elle influe, d’une manière conforme à sa nature ancienne, sur les populations auxquelles elle est réunie. Ce n’est donc pas la forme politiquement agrégative qui donne la vie intellectuelle à des multitudes, qui leur fait une volonté, qui leur inspire une manière d’être. Elles ont tout cela sans posséder de frontières propres. Ces dons résultent d’une impulsion suprême qu’elles reçoivent d’un domaine plus haut qu’elles-mêmes. Ici s’ouvrent ces régions inexplorées où l’horizon élargi dans une mesure incomparable ne livre plus seulement aux regards le territoire borné de tel royaume ou de telles républiques, ni les fluctuations étroites des populations qui les habitent, mais étale toutes les perspectives de la société qui les contient, avec les grands rouages et les puissants mobiles de la civilisation qui les anime. La naissance, les développements, l’éclipse d’une société et de sa civilisation constituent des phénomènes qui transportent l’observateur bien au-dessus des horizons que les historiens lui font ordinairement apercevoir. Ils ne portent, dans leurs causes initiales, aucune empreinte des passions humaines ni des déterminations populaires, matériaux trop fragiles pour prendre place dans une œuvre d’aussi longue durée. Seuls, les différents modes d’intelligence départis aux différentes races et à leurs combinaisons s’y font reconnaître. Encore ne les aperçoit-on que dans leurs parties les plus essentielles, les plus dégagées de l’autorité du libre arbitre, les plus natives, les plus raréfiées, en un mot, les plus fatales, celles que l’homme ou la nation ne peuvent ni se donner ni se retirer, et dont ils ne sauraient s’interdire ou se commander l’usage. Ainsi se déploient, au-dessus de toute action transitoire et volontaire émanant soit de l’individu, soit de la multitude, des principes générateurs qui produisent leurs effets avec une indépendance et une impassibilité que rien ne peut troubler. De la sphère libre, absolument libre, où ils se combinent et opèrent, le caprice de l’homme ou d’une nation ne saurait faire tomber aucun résultat fortuit. C’est, dans l’ordre des choses immatérielles, un milieu souverain où se meuvent des forces actives, des principes vivifiants en communication perpétuelle avec l’individu comme avec la masse, dont les intelligences respectives, contenant quelques parcelles identiques à la nature de ces forces, sont ainsi préparées et éternellement disposées à en recevoir l’impulsion.

Ces forces actives, ces principes vivifiants, ou, si l’on veut les concevoir sous une idée concrète, cette âme, demeurée jusqu’à présent inaperçue et anonyme, doit être mise au rang des agents cosmiques du premier degré. Elle remplit, au sein du monde intangible, des emplois analogues à ceux que l’électricité et le magnétisme exercent sur d’autres points de la création, et, comme ces deux influences, elle se laisse constater par ses fonctions, ou plus exactement, par quelques-unes de ses fonctions, mais non pas saisir, décrire et apprécier, en elle-même, dans sa nature propre et abstraite, dans sa totalité.

Rien ne prouve que ce soit une émanation de l’homme et des corps politiques. Elle vit par eux en apparence, elle vit pour eux certainement. La mesure de vigueur et de santé des civilisations est aussi la mesure de sa vigueur et de sa santé ; mais, si l'on observe que c’est dans le temps même où les civilisations s’éclipsent qu’elle atteint souvent son plus haut degré de dilatation et de force chez certains individus et chez certaines nations, on sera porté à en conclure qu’elle peut être comparée à une atmosphère respirable qui, dans le plan de la création, n’a de raison d’être que tant que la société qu’elle enveloppe et anime doit vivre  ; qu’elle lui est, au fond, étrangère aussi bien qu’extérieure, et que c’est sa raréfaction qui amène la mort de cette société malgré la provision d’air que celle-ci pouvait avoir encore, et dont la source est cependant tarie.

Les manifestations appréciables de cette grande âme partent de la double base que j’ai appelée ailleurs masculine et féminine. On se souvient, d’ailleurs, que je n’ai eu en vue, dans le choix de ces dénominations, qu’une attitude subjective, d’une part, et, de l’autre, une faculté objective, sans corrélation à aucune idée de suprématie d’un de ces foyers sur l’autre. Elle se répand de là, en deux courants de qualités diverses, jusque dans les plus minimes fractions, jusque dans les dernières molécules de l’agglomération sociale que son incessante circulation dirige, et ce sont les deux pôles vers lesquels ils gravitent et dont ils s’éloignent tour à tour.

L’existence d’une société, étant, en premier ressort, un effet qu’il ne dépend pas de l’homme de produire ni d’empêcher, n’entraîne pour lui aucun résultat dont il soit responsable. Elle ne comporte donc pas de moralité. Une société n’est, en elle-même, ni vertueuse ni vicieuse ; elle n’est ni sage ni folle ; elle est. Ce n’est pas de l’action d’un homme, ce n’est pas de la détermination d’un peuple que se dégage l’événement qui la fonde. Le milieu à travers lequel elle passe pour arriver à l’existence positive doit être riche des éléments ethniques nécessaires, absolument comme certains corps, pour employer encore une comparaison qui se représente sans cesse à l’esprit, absorbent facilement et abondamment l’agent électrique, et sont bons pour le disperser, tandis que d’autres ont peine à s’en laisser pénétrer, et plus de peine encore à le faire rayonner autour d’eux. Ce n’est pas la volonté d’un monarque ou de ses sujets qui modifie l’essence d’une société ; c’est, en vertu des mêmes lois, un mélange ethnique subséquent. Une société enfin enveloppe ses nations comme le ciel enveloppe la terre, et ce ciel, que les exhalaisons des marais ou les jets de flammes du volcan n’atteignent pas, est encore, dans sa sérénité, l’image parfaite des sociétés que leur contenu ne saurait affecter de ses tressaillements, tandis qu’irrésistiblement, bien que d’une façon insensible, elles l’assouplissent à toutes leurs influences.

Elles imposent aux populations leurs modes d’existence. Elles les circonscrivent entre des limites dont ces esclaves aveugles n’éprouvent pas même la velléité de sortir, et n’en auraient pas la puissance. Elles leur dictent les éléments de leurs lois, elles inspirent leurs volontés, elles désignent leurs amours, elles attisent leurs haines, elles conduisent leurs mépris. Toujours soumises à l’action ethnique, elles produisent les gloires locales par ce moyen immédiat ; par la même voie elles implantent le germe des malheurs nationaux, puis, à jour dit, elles entraînent vainqueurs et vaincus sur une même pente, qu’une nouvelle action ethnique peut seule les empêcher elles-mêmes de descendre indéfiniment.

Si elles tiennent avec tant d’énergie les membres des peuples, elles ne régissent pas moins les individus. En leur laissant, et sans nulle réserve, ce point est de toute importance, les mérites d’une moralité dont néanmoins elles règlent les formes, elles manient, elles pétrissent en quelque sorte leurs cerveaux au moment de la naissance, et, leur indiquant certaines voies, leur ferment les autres dont elles ne leur permettent pas même d’apercevoir les issues.

Ainsi donc, avant d’écrire d’histoire d’un pays distinct et de prétendre expliquer les problèmes dont une pareille tache est semée, il est indispensable de sonder, de scruter, de bien connaître les sources et la nature de la société dont ce pays n’est qu’une fraction. Il faut étudier les éléments dont elle se compose, les modifications qu’elle a subies, les causes de ces modifications, l’état ethnique obtenu par la série des mélanges admis dans son sein.

Ou s’établira ainsi sur un sol positif contenant les racines du sujet. On les verra d’elles-mêmes pousser, fructifier et porter graine. Comme les combinaisons ethniques ne sont jamais répandues à doses égales sur tous les points géographiques compris dans le territoire d’une société, il conviendra de particulariser davantage ses recherches et d’en contrôler plus sévèrement les découvertes à mesure que l’on se rapprochera de son objet. Tous les efforts de l’esprit, tous les secours de la mémoire, toute la perspicacité méfiante du jugement sont ici nécessaires. Peines sur peines, rien n’est de trop. Il s’agit de faire entrer l’histoire dans la famille des sciences naturelles, de lui donner, en ne l’appuyant que sur des faits empruntés à tous les ordres de notions capables d’en fournir, toute la précision de cette classe de connaissances, enfin de la soustraire à la juridiction intéressée dont les factions politiques lui imposent jusqu’aujourd’hui l’arbitraire.

Faire quitter à la muse du passé les sentiers douteux et obliques pour conduire son char dans une voie large et droite, explorée à l’avance et jalonnée de stations connues, ce n’est rien enlever à la majesté de son attitude, et c’est beaucoup ajouter à l’autorité de ses conseils. Certes elle ne viendra plus, par des gémissements enfantins, accuser Darius d’avoir causé la perte de l’Asie, ni Persée l’humiliation de la Grèce ; mais on ne la verra pas davantage saluer follement, dans d’autres catastrophes, les effets du génie des Gracques, ni l’omnipotence oratoire des Girondins. Désaccoutumée de ces misères, elle proclamera que les causes irréconciliables de pareils événements, planant bien haut au-dessus de la participation des hommes, n’intéressent point la polémique des partis. Elle dira quel concours de motifs invincibles les fait naître, sans que personne à leur sujet ait de blâme à recevoir ou d’éloge à demander. Elle distinguera ce que la science ne peut que constater de ce que la justice doit saisir.

De son trône superbe tomberont dès lors des jugements sans appel et des leçons salutaires pour les bonnes consciences. Soit qu’on aime, soit qu’on réprouve telle évolution d’une nationalité, ses arrêts, en réduisant la part que l’homme y peut prendre à déplacer quelques dates, à irriter ou à adoucir d’inévitables blessures, rendront le libre arbitre de chacun sévèrement responsable de la valeur de tous les actes. Pour le méchant plus de ces vaines excuses, de ces nécessités factices dont on prétend aujourd’hui ennoblir des crimes trop réels. Plus de pardon pour les atrocités ; de soi-disant services ne les innocenteront pas. L’histoire arrachera tous les masques fournis par les théories sophistiques ; elle s’armera, pour flétrir les coupables, des anathèmes de la religion. Le rebelle ne sera plus devant son tribunal qu’un ambitieux impatient et nuisible : Timoléon, qu’un assassin ; Robespierre, un immonde scélérat.

Pour donner aux annales de l’humanité ce souffle, ces allures et cette portée inaccoutumée, il est temps de changer la façon dont on les compose, en entrant courageusement dans les mines de vérités que tant d’efforts laborieux viennent d’ouvrir. Des méfiances mal raisonnées n’excuseraient pas l’hésitation.

Les premiers calculateurs qui entrevirent l’algèbre, effrayés des profondeurs dont elle leur révélait les ouvertures, lui prêtèrent des vertus surnaturelles et de la plus rigoureuse des sciences firent l’enveloppe des plus folles imaginations. Cette vision rendit quelque temps les mathématiques suspectes aux esprits sensés  ; puis l’étude sérieuse perça l’écorce et prit le fruit.

Les premiers physiciens qui remarquèrent les ossements fossiles et les débris marins échoués sur les cimes des montagnes, ne manquèrent pas de s’abandonner aux divagations les plus répugnantes. Leurs successeurs, repoussant les rêves, ont fait de la géologie la genèse de l’exposition des trois règnes. Il n’est plus permis de discuter ce qu’elle affirme. Il en est de l’ethnologie comme de l’algèbre et de la science des Cuvier et des Beaumont. Asservie par les uns à la complicité des plus sottes fantaisies philanthropiques, elle est repoussée par les autres, qui confondent dans l’injustice d’un même mépris et le charlatan, et sa drogue, et l’aromate précieux dont il abuse.

Sans doute, l’ethnologie est jeune. Elle a toutefois passé l’âge des premiers bégayements. Elle est assez avancée pour disposer d’un nombre suffisant de démonstrations solides sur lesquelles on peut bâtir en toute sécurité. Chaque jour lui apporte de plus riches contributions. Entre les diverses branches de connaissances qui rivalisent à l’en pourvoir, l’émulation est si productive, qu’à peine lui est-il possible de recueillir et de classer les découvertes avec la même rapidité qu’elles s’accumulent. Plût au ciel que ses progrès ne fussent plus embarrassés que par ce genre d’obstacles ! Mais elle en rencontre de pires. On se refuse encore à apprécier avec netteté sa véritable nature, et par conséquent on ne la traite pas régulièrement d’après les seules méthodes qui lui conviennent.

C’est la frapper de stérilité que de l’appuyer avec prédilection sur une science isolée, et principalement sur la physiologie. Ce domaine lui est ouvert, sans nul doute ; mais, pour que les matériaux qu’elle lui emprunte acquièrent le degré d’authenticité nécessaire et revêtent son caractère spécial, il est presque toujours indispensable qu’elle leur fasse subir le contrôle de témoignages venus d’ailleurs, et que l’étude comparée des langues, l’archéologie, la numismatique, la tradition ou l’histoire écrite, aient garanti leur valeur, soit directement, soit par induction, à priori ou à posteriori. En second lieu, un fait ne saurait passer d’une science dans une autre sans se présenter sous un jour nouveau dont il convient encore de constater la nature avant d’être en droit de s’en prévaloir ; donc l’ethnologie ne peut considérer comme incontestablement entrés dans son domaine que les documents physiologiques ou autres qui ont subi cette dernière épreuve dont elle seule possède la direction et les critériums. Comme elle n’a pas que la matière pour objet, et qu’elle embrasse en même temps les manifestations de l’espèce la plus intellectuelle, il n’est pas permis de la confiner une seule minute dans une sphère étrangère et surtout dans la sphère physique, sans l’égarer au milieu de lacunes que les plus audacieuses et les plus vaines hypothèses ne parviendront jamais à combler. En réalité, elle n’est autre que la racine et la vie même de l’histoire. C’est artificiellement, arbitrairement, et an grand détriment de celle-ci que l’on parvient à l’en séparer. Maintenons-la donc à la fois sur tous les terrains où l’histoire a le droit de frapper sa dîme.

Ne la détournons pas trop non plus des travaux positifs, en lui posant des questions dont il n’est pas bien certain que l’esprit de l’homme ait le pouvoir de percer les ténèbres. Le problème d’unité ou de multiplicité des types primitifs est de ce nombre. Cette recherche a donné jusqu’à présent peu de satisfaction à ceux qui s’y sont absorbés. Elle est tellement dépourvue d’éléments de solution, qu’elle semble plutôt destinée à amuser l’esprit qu’à éclairer le jugement, et à peine doit-elle être considérée comme scientifique. Plutôt que de se perdre avec elle dans des rêveries sans issue, mieux vaut, jusqu’à nouvel ordre, la tenir à l’écart de tous les travaux sérieux, ou du moins ne lui accorder là qu’une place très subalterne. Ce qu’il importe seulement de constater, c’est jusqu’à quel point les variétés sont organiques et la mesure de la ligne qui les sépare. Si des causes quelconques peuvent ramener les différents types à se confondre, si, par exemple, en changeant de nourriture et de climat, un blanc peut devenir un nègre, et un nègre un mongol, l’espèce entière, soit-elle issue de plusieurs millions de pères complètement dissemblables, doit être déclarée sans hésitation unitaire, elle en a le trait principal et vraiment pratique.

Mais si, au contraire, les variétés sont renfermées dans leur constitution actuelle, de telle sorte qu’elles soient inhabiles à perdre leurs caractères distinctifs autrement que par des hymnes contractés hors de leurs sphères, et si aucune influence externe ou interne n’est apte à les transformer dans leurs parties essentielles ; si enfin elles possèdent d’une manière permanente, et ce point n’est plus douteux, leurs particularités physiques et morales, coupons court aux divagations frivoles, et proclamons le résultat, la conséquence rigoureuse et seule utile : fussent-elles nées d’un seul couple, les variétés humaines, éternellement distinctes, vivent sous la loi de la multiplicité des types, et leur unité primordiale ne saurait exercer et n’exerce pas sur leurs destinées la plus impondérable conséquence. C’est ainsi que, pour satisfaire dignement aux impérieux besoins d’une science parvenue à sa virilité, il faut savoir se borner et diriger ses recherches vers les buts abordables en répudiant le reste. Et maintenant, nous plaçant au centre du vrai domaine de la véritable histoire, de l’histoire sérieuse et non point fantastique, de l’histoire tissue de faits, et non pas d’illusions ou d’opinions, examinons, pour la dernière fois, par grandes masses, non point ce que nous croyons pouvoir être, mais ce que de science certaine nos yeux voient, nos oreilles entendent, nos mains touchent.

A une époque toute primordiale de la vie de l’espèce entière, époque qui précède les récits des plus lointaines annales, on découvre, en se plaçant en imagination sur les plateaux de l’Altaï, trois amas de peuples immenses, mouvants, composés chacun de différentes nuances, formés, dans les régions qui s’étendent à l’ouest autour de la montagne, par la race blanche ; au nord-est, par les hordes jaunes arrivant des terres américaines ; au sud, par les tribus noires ayant leur foyer principal dans les lointaines régions de l’Afrique. La variété blanche, peut-être moins nombreuse que ses deux sœurs, d’ailleurs douée d’une activité combattante qu’elle tourne contre elle-même et qui l’affaiblit, étincelle de supériorités de tout genre. Poussée par les efforts désespérés et accumulés des nains, cette race noble s’ébranle, déborde ses territoires du côté du midi, et ses tribus d’avant-garde tombent au milieu des multitudes mélaniennes, y éclatent en débris, et commencent à se mêler aux éléments circulant autour d’elles. Ces éléments sont grossiers, antipathiques, fugaces ; mais la ductilité de l’élément qui les aborde parvient à les saisir. Elle leur communique, partout où elle les atteint, quelque chose de ses qualités, ou du moins les dépouille d’une partie de leurs défauts ; surtout elle leur donne la puissance nouvelle de se coaguler, et bientôt, au lieu d’une série de familles, de tribus incultes et ennemies qui se disputaient le sol sans en tirer nul avantage, une race mixte se répand depuis les contrées bactriennes sur la Gédrosie, les golfes de Perse et d’Arabie, bien au delà des lacs nubiens, pénètre jusqu’à des latitudes inconnues vers les contrées centrales du continent d’Afrique, longe la côte septentrionale par delà les Syrtes, dépasse Calpé, et, sur toute cette étendue, la variété mélanienne diversement atteinte, ici complètement absorbée, là absorbant à son tour, mais surtout modifiant à l’infini l’essence blanche et étant modifiée par elle, perd sa pureté et quelques traits de ses caractères primitifs. De là certaines aptitudes sociales qui se manifestent aujourd’hui dans les parties les plus reculées du monde africain : ce ne sont que les résultats lointains d’une antique alliance avec la race blanche. Ces aptitudes sont faibles, incohérentes, indécises, comme le lien lui-même est devenu, pour ainsi dire, imperceptible.

Pendant ces premières invasions, pendant que ces premières générations de mulâtres se développaient du côté de l’Afrique, un travail analogue s’opérait à travers la presqu’île hindoue, et se compliquait au delà du Gange, et plus encore, du Brahmapoutra, en passant des peuplades noires aux hordes jaunes, déjà parvenues, plus ou moins pures, jusque dans ces régions. En effet, les Finnois s’étaient multipliés sur les plages de la mer de Chine avant même d’avoir pu déterminer aucun déplacement sérieux des nations blanches dans l’intérieur du continent. Ils avaient trouvé plus de facilités à étreindre, à pénétrer l’autre race inférieure. Ils s’étaient mêlés à elle comme ils avaient pu. La variété malaise avait alors commencé à sortir de cette union, tout ne s’opérait ni sans efforts ni sans violences. Les premiers produits métis remplirent d’abord les provinces centrales du Céleste Empire. A la longue, ils se formèrent de proche en proche dans toute l’Asie orientale, dans les îles du Japon, dans les archipels de la mer des Indes ; ils touchèrent l’est de l’Afrique, ils enveloppèrent toutes les îles de la Polynésie, et, placés de la sorte en face des terres américaines, dans le nord comme dans le sud, aux Kouriles comme à l’île de Pâques, ils rentrèrent fortuitement, par petites bandes peu nombreuses, et en abordant aux points les plus divers, dans ces régions quasi désertes où n’habitaient plus que des descendants clairsemés de quelques traînards détachés de l’arrière-garde des multitudes jaunes, auxquelles, race mixte qu’ils étaient, ces Malais devaient en partie leur naissance, leur aspect physique et leurs aptitudes morales.

Du côté de l’ouest, et en tirant indéfiniment vers l’Europe, pas de peuples mélaniens, mais le contact le plus forcé, le plus inévitable entre les Finnois et les blancs. Tandis qu’au sud, ces derniers, fugitifs heureux, forçaient tout à plier sous leur empire et s’alliaient en maîtres aux populations indigènes, dans le nord, au contraire, ils commencèrent l’hymen en opprimés. Il est douteux que les nègres, maîtres de choisir, eussent beaucoup envié leur alliance physique ; il ne l’est pas que les jaunes l’aient ardemment souhaitée. Soumis à l’influence directe de l’invasion finnique, les Celtes, et surtout les Slaves, qu’on en distingue avec peine, furent assaillis, tourmentés, puis forcés de transporter leur séjour en Europe, par des déplacements graduels. Ainsi, bon gré mal gré, ils commencèrent de bonne heure à s’allier aux petits hommes venus d’Amérique ; et, lorsque leurs pérégrinations ultérieures leur eurent fait rencontrer dans les différents pays occidentaux de nouveaux établissements de mêmes créatures, ils eurent d’autant moins de raisons de répugner à leur alliance.

Si l’espèce blanche tout entière avait été expulsée de ses domaines primitifs dans l’Asie centrale, le gros des peuples jaunes n’aurait eu rien à faire qu’à se substituer à elle dans les domaines abandonnés. le Finnois aurait dressé son wigwam de branchages sur les ruines des monuments anciens, et, agissant suivant son naturel, il s’y serait assis, engourdi, endormi, et le monde n’aurait plus entendu parler de ses masses inertes. Mais l’espèce blanche n’avait pas déserté en masse la patrie originelle. Brisée sous le choc épouvantable des masses finnoises, elle avait emmené, à la vérité, dans différentes directions, le gros de ses peuples ; mais d’assez nombreuses de ses nations étaient cependant restées qui, en s’incorporant avec le temps à plusieurs, à la plupart des tribus jaunes, leur communiquèrent une activité, une intelligence, une force physique, un degré d’aptitude sociale tout à fait étrangers à leur essence native, et par là les rendirent propres à continuer indéfiniment de verser sur les régions environnantes, même en dépit de résistances assez fortes, l’abondance de leurs éléments ethniques.

Au milieu de ces transformations générales qui atteignent l’ensemble des races pures, et comme résultat nécessaire de ces alliages, la culture antique de la famille blanche disparaît, et quatre civilisations mixtes la remplacent : l’assyrienne, l’hindoue, l’égyptienne, la chinoise ; une cinquième prépare son avènement peu lointain, la grecque, et l’on est déjà en droit d’affirmer que tous les principes qui posséderont à l’avenir les multitudes sociales sont trouvés, car les sociétés subséquentes ne leur ajoutant rien, n’en ont jamais présenté que des combinaisons nouvelles.

L’action la plus évidente de ces civilisations, leur résultat le plus remarquable, le plus positif, n’est autre que d’avoir continué sans se ralentir jamais l’œuvre de l’amalgame ethnique. A mesure qu’elles s’étendent, elles englobent nations, tribus, familles jusque-là isolées, et, sans pouvoir jamais les approprier toutes aux formes, aux idées dont elles vivent elles-mêmes, elles réussissent cependant à leur faire perdre le cachet d’une individualité propre.

Dans ce qu’on pourrait appeler un second âge, dans la période des mélanges, les Assyriens montent jusqu’aux limites de la Thrace, peuplent les îles de l’Archipel, s’établissent dans la basse Égypte, se fortifient en Arabie, s’insinuent chez les Nubiens. Les gens d’Égypte s’étendent dans l’Afrique centrale, poussent leurs établissements dans le sud et l’ouest, se ramifient dans l’Hedjaz, dans la presqu’île du Sinaï. Les Hindous disputent le terrain aux Hymyarites Arabes, débarquent à Ceylan, colonisent Java, Bali, continuent à se mêler aux Malais d’outre-Gange. Les Chinois se marient aux peuples de la Corée, du Japon ; ils touchent aux Philippines, tandis que les métis noirs et jaunes, formés sur toute la Polynésie et faiblement impressionnés par les civilisations qu’ils aperçoivent, font circuler depuis Madagascar jusqu’en Amérique le peu qu’ils en peuvent comprendre.

Quant aux populations reléguées dans le monde occidental, quant aux blancs d’Europe, les Ibères, les Rasènes, les Illyriens, les Celtes, les Slaves, ils sont déjà affectés par des alliages finniques. Ils continuent à s’assimiler les tribus jaunes répandues autour de leurs établissements ; puis, entre eux, ils se marient encore, et encore aux Hellènes, métis sémitisés, accourus de toutes parts sur leurs côtes.

Ainsi mélange, mélange partout, toujours mélange, voilà l’œuvre la plus claire, la plus assurée, la plus durable des grandes sociétés et des puissantes civilisations, celle qui, à coup sûr, leur survit ; et plus les premières ont d’étendue territoriale et les secondes de génie conquérant, plus loin les flots ethniques qu’elles soulèvent vont saisir d’autres flots primitivement étrangers, ce dont leur nature et la sienne s’altèrent également.

Mais, pour que ce grand mouvement de fusion générale embrasse jusqu’aux dernières races du globe et n’en laisse pas une seule intacte, ce n’est pas assez qu’un milieu civilisateur déploie toute l’énergie dont il est pourvu  ; il faut encore que dans les différentes régions du monde ces ateliers ethniques s’établissent de manière à agir sur place, sans quoi l’œuvre générale resterait nécessairement incomplète. La force négative des distances paralyserait l’expansion des groupes les plus actifs. La Chine et l’Europe n’exercent l’une sur l’autre qu’une faible action, bien que le monde slave leur serve d’intermédiaire. L’Inde n’a jamais influé fortement sur l’Afrique, ni l’Assyrie sur le Nord asiatique ; et, dans le cas où les sociétés auraient à jamais conservé les mêmes foyers, jamais l’Europe n’aurait pu être directement et suffisamment saisie, ni tout à fait entraînée dans le tourbillon. Elle l’a été parce que les éléments de création d’une civilisation propre à servir l’action générale avaient été répandus d’avance sur son sol. Avec les races celtiques et slaves, elle posséda en effet, dès les premiers âges, deux courants amalgamateurs qui lui permirent d’entrer, au moment nécessaire, dans le grand ensemble.

Sous leur influence, elle avait vu disparaître dans une immersion complète l’essence jaune et la pureté blanche. Avec l’intermédiaire fortement sémitisé des Hellènes, puis avec les colonisations romaines, elle acquit de proche en proche les moyens d’associer ses masses au compartiment asiatique le plus voisin de ses rivages. Celui-ci, à son tour, reçut le contre-coup de cette évolution ; car, tandis que les groupes d’Europe se teignaient d’une nuance orientale en Espagne, dans la France méridionale, en Italie, en Illyrie, ceux d’Orient et d’Afrique prenaient quelque chose de l’Occident romain sur la Propontide, dans l’Anatolie, en Arabie, en Égypte. Ce rapprochement effectué, l’effort des Slaves et des Celtes, combiné avec l’action hellénique, avait produit tous ses effets ; il ne pouvait aller au delà ; il n’avait nul moyen de dépasser de nouvelles limites géographiques ; la civilisation de Rome, la sixième dans l’ordre du temps, qui avait pour raison d’être la réunion des principes ethniques du monde occidental, n’eut pas la force de rien opérer seule après le IIIe siècle de notre ère.

Pour agrandir désormais l’enceinte où tant de multitudes se combinaient déjà, il fallait l’intervention d’un agent ethnique d’une puissance considérable, d’un agent qui résultât d’un hymen nouveau de la meilleure variété humaine avec les races déjà civilisées. En un mot, il fallait une infusion d’Arians dans le centre social le mieux placé pour opérer sur le reste du monde, sans quoi les existences sporadiques de tous degrés, répandues encore sur la terre, allaient continuer indéfiniment sans plus rencontrer des eaux d’amalgamation.

Les Germains apparurent au milieu de la société romaine. En même temps, ils occupèrent l’extrême nord-ouest de l’Europe, qui peu à peu devint le pivot de leurs opérations. Des mariages successifs avec les Celtes et les Slaves, avec les populations gallo-romaines, multiplièrent la force d’expansion des nouveaux arrivants, sans dégrader trop rapidement leur instinct naturel d’initiative. La société moderne naquit ; elle s’attacha, sans désemparer, à perfectionner de toutes parts, à pousser en avant l’œuvre agrégative de ses devancières. Nous l’avons vue, presque de nos jours, découvrir l’Amérique, s’y unir aux races indigènes ou les pousser vers le néant, nous la voyons faire refluer les Slaves chez les dernières tribus de l’Asie centrale, par l’impulsion qu’elle donne à la Russie ; nous la voyons s’abattre au milieu des Hindous, des Chinois, frapper aux portes du Japon  ; s’allier, sur tout le pourtour des côtes africaines, aux naturels de ce grand continent ; bref, augmenter sur ses propres terres et étendre sur tout le globe, dans une indescriptible proportion, les principes de confusion ethnique dont elle dirige maintenant l’application.

La race germanique était pourvue de toute l’énergie de la variété ariane. Il le fallait pour qu’elle pût remplir le rôle auquel elle était appelée. Après elle, l’espèce blanche n’avait plus rien à donner de puissant et d’actif : tout était dans son sein à peu près également souillé, épuisé, perdu. Il était indispensable que les derniers ouvriers envoyés sur le terrain ne laissassent rien de trop difficile à terminer ; car personne n’existait plus, en dehors d’eux, qui fût capable de s’en charger. Ils se le tinrent pour dit. Ils achevèrent la découverte du globe ; ils s’en emparèrent par la connaissance avant d’y répandre leurs métis ; ils en firent le tour dans tous les sens. Aucun recoin ne leur échappa, et maintenant qu’il ne s’agit plus que de verser les dernières gouttes de l’essence ariane au sein des populations diverses, devenues accessibles de toutes parts, le temps servira suffisamment ce travail qui se continuera de lui-même, et qui n’a pas besoin d’un surcroît d’impulsion nouvelle pour se perfectionner.

En présence de ce fait, on s’explique, non pas pourquoi il ne se trouve pas d’Arians purs, mais l’inutilité de leur présence. Puisque leur vocation générale était de produire les rapprochements et la confusion des types en les unissant les uns aux autres, malgré les distances, ils n’ont plus rien à faire désormais, cette confusion étant accomplie quant au principal, et toutes les dispositions étant prises pour l’accessoire. Voilà donc que l’existence de la plus belle variété humaine, de l’espèce blanche tout entière, des facultés magnifiques concentrées dans l’une et dans l’autre, que la création, le développement et la mort des sociétés et de leurs civilisations, résultat merveilleux du jeu de ces facultés, révèlent un grand point qui est comme le comble, comme le sommet, comme le but suprême de l’histoire. Tout cela naît pour rapprocher les variétés, se développe, brille, s’enrichit pour accélérer leur fusion, et meurt quand le principe ethnique dirigeant est complètement fondu dans les éléments hétérogènes qu’il rallie, et par conséquent lorsque sa tâche locale est suffisamment faite. De plus, le principe blanc, et surtout arian, dispersé sur la face du globe, y est cantonné de façon à ce que les sociétés et les civilisations qu’il anime ne laissent finalement aucune terre, et, par conséquent, aucun groupe en dehors de son action agrégative. La vie de l’humanité prend ainsi une signification d’ensemble qui rentre absolument dans l’ordre des manifestations cosmiques. J’ai dit qu’elle était comparable à une vaste toile composée de différentes matières textiles, et étalant les dessins les plus différemment contournés et bariolés ; elle l’est encore à une chaîne de montagnes relevées en plusieurs sommets qui sont les civilisations, et la composition géologique de ces sommets est représentée par les divers alliages auxquels ont donné lieu les combinaisons multiples des trois grandes divisions primordiales de l’espèce et de leurs nuances secondaires. Tel est le résultat dominant du travail humain. Tout ce qui sert la civilisation attire l’action de la société ; tout ce qui l’attire l’étend, tout ce qui l’étend la porte géographiquement plus loin, et le dernier terme de cette marche est l’accession ou la suppression de quelques noirs ou de quelques finnois de plus dans le sein des masses déjà amalgamées. Posons en axiome que le but définitif des fatigues et des souffrances, des plaisirs et des triomphes de notre espèce, est d’arriver un jour à la suprême unité. Ce point acquis va nous livrer ce qu’il nous reste à savoir.

L’espèce blanche, considérée abstractivement, a désormais disparu de la face du monde. Après avoir passé l’âge des dieux, où elle était absolument pure ; l’âge des héros, où les mélanges étaient modérés de force et de nombre ; l’âge des noblesses, où des facultés, grandes encore, n’étaient plus renouvelées par des sources taries, elle s’est acheminée plus ou moins promptement, suivant les lieux, vers la confusion définitive de tous ses principes, par suite de ses hymens hétérogènes. Partant, elle n’est plus maintenant représentée que par des hybrides ; ceux qui occupent les territoires des premières sociétés mixtes ont eu naturellement le temps et les occasions de se dégrader le plus. Pour les masses qui, dans l’Europe occidentale et dans l’Amérique du Nord, représentent actuellement la dernière forme possible de culture, elles offrent encore d’assez beaux semblants de force, et sont en effet moins déchues que les habitants de la Campanie, de la Susiane et de l'Iemen. Cependant cette supériorité relative tend constamment à disparaître ; la part de sang arian, subdivisée déjà tant de fois, qui existe encore dans nos contrées, et qui soutient seule l’édifice de notre société, s’achemine chaque jour vers les termes extrêmes de son absorption.

Ce résultat obtenu, s’ouvrira l’ère de l’unité. Le principe blanc, tenu en échec dans chaque homme en particulier, y sera vis-à-vis des deux autres dans le rapport de 1 à 2, triste proportion qui, dans tous les cas, suffirait à paralyser son action d’une manière presque complète, mais qui se montre encore plus déplorable quand on réfléchit que cet état de fusion, bien loin d’être le résultat du mariage direct des trois grands types pris à l’état pur, ne sera que le caput mortuum d’une série infinie de mélanges, et par conséquent de flétrissures ; le dernier terme de la médiocrité dans tous les genres : médiocrité de force physique, médiocrité de beauté, médiocrité d’aptitudes intellectuelles, on peut presque dire néant. Ce triste héritage, chacun en possédera une portion égale ; nul motif n’existe pour que tel homme ait un lot plus riche que tel autre ; et, comme dans ces îles polynésiennes où les métis malais, confinés depuis des siècles, se partagent équitablement un type dont nulle infusion de sang nouveau n’est jamais venue troubler la première composition, les hommes se ressembleront tous. Leur taille, leurs traits, leurs habitudes corporelles, seront semblables. Ils auront même dose de forces physiques, directions pareilles dans les instincts, mesures analogues dans les facultés, et ce niveau général, encore une fois, sera de la plus révoltante humilité.

Les nations, non, les troupeaux humains, accablés sous une morne somnolence, vivront dès lors engourdis dans leur nullité, comme les buffles ruminants dans les flaques stagnantes des marais Pontins. Peut-être se tiendront-ils pour les plus sages, les plus savants et les plus habiles des êtres qui furent jamais ; nous-mêmes, lorsque nous contemplons ces grands monuments de l’Egypte et de l’Inde, que nous serions si incapables d’imiter, ne sommes-nous pas convaincus que notre impuissance même prouve notre supériorité ? Nos honteux descendants n’auront aucune peine à trouver quelque argument semblable au nom duquel ils nous dispenseront leur pitié et s’honoreront de leur barbarie. C’était là, diront-ils en montrant d’un geste dédaigneux les ruines chancelantes de nos derniers édifices, c’était là l’emploi insensé des forces de nos ancêtres. Que faire de ces inutiles folies. Elles seront, en effet, inutiles pour eux ; car la vigoureuse nature aura reconquis l’universelle domination de la terre, et la créature humaine ne sera plus devant elle un maître, mais seulement un hôte, comme les habitants des forêts et des eaux.

Cet état misérable ne sera pas de longue durée non plus  ; car un effet latéral des mélanges indéfinis, c’est de réduire les populations à des chiffres de plus en plus minimes. Quand on jette les yeux sur les époques antiques, on s’aperçoit que la terre était alors bien autrement couverte par notre espèce qu’elle ne l’est aujourd’hui. La Chine n’a jamais eu moins d’habitants qu’à présent ; l’Asie centrale était une fourmilière, et on n’y rencontre plus personne. La Scythie, au dire d’Hérodote, était pleine de nations, et la Russie est un désert. L’Allemagne est bien fournie d’hommes ; mais elle ne l’était pas moins au IIe, au IVe, au Ve siècle de notre ère, quand elle jetait sans s’épuiser, sur le monde romain, des océans de guerriers, suivis de leurs femmes et de leurs enfants. La France et l’Angleterre ne nous paraissent ni vides ni incultes ; mais la Gaule et la Grande-Bretagne ne l’étaient pas davantage à l’époque des émigrations kymriques. L’Espagne et l’Italie ne possèdent plus le quart des hommes qui les couvraient dans l’antiquité. La Grèce, l’Egypte, la Syrie, l’Asie Mineure, la Mésopotamie, regorgeaient de monde, les villes s’y pressaient aussi nombreuses que des épis dans un champ ; ce sont des solitudes mortuaires, et l’Inde, bien que populeuse encore, n’est plus sous ce rapport que l’ombre d’elle-même. L’Afrique occidentale, cette terre qui nourrissait l’Europe et où tant de métropoles étalaient leurs splendeurs, ne porte plus que les tentes clairsemées de quelques nomades et les villes moribondes d’un petit nombre de marchands. Les autres parties de ce continent languissent de même partout où les Européens et les musulmans ont porté ce qu’ils appellent, les uns le progrès, les autres la foi, et il n’y a que l’intérieur des terres, où personne n’a presque pénétré, qui garde encore un noyau bien compact. Mais ce n’est pas pour durer. Quant à l’Amérique, l’Europe y verse ce qu’elle a de sang  ; elle s’appauvrit, si l’autre s’enrichit. Ainsi, du même pas que l’humanité se dégrade, elle s’efface.

On ne saurait prétendre à calculer avec rigueur le nombre des siècles qui nous séparent encore de la conclusion certaine. Cependant il n’est pas impossible d’entrevoir un à peu près. La famille ariane, et, à plus forte raison, le reste de la famille blanche, avait cessé d’être absolument pure à l’époque où naquit le Christ. En admettant que la formation actuelle du globe soit de six à sept mille ans antérieure à cet événement, cette période avait suffi pour flétrir dans son germe le principe visible des sociétés, et, lorsqu’elle finit, la cause de toute décrépitude avait déjà pris la haute main dans le monde. Par ce fait que la race blanche s’était absorbée de manière à perdre la fleur de son essence dans les deux variétés inférieures, celles-ci avaient subi des modifications correspondantes, qui, pour la race jaune, s’étaient étendues fort avant. Dans les dix-huit cents ans qui se sont écoulés depuis, le travail de fusion, bien qu’incessamment continué et préparant ses conquêtes ultérieures sur une échelle plus considérable que jamais, n’a pas été aussi directement efficace. Mais, outre ce qu’il s’est créé de moyens d’action pour l’avenir, il a beaucoup augmenté la confusion ethnique dans l’intérieur de toutes les sociétés, et, par conséquent, hâté d’autant l’heure finale de la perfection de l’amalgame. Ce temps-là est donc bien loin d’avoir été perdu ; et, puisqu’il a préparé l’avenir, et que d’ailleurs les trois variétés ne possèdent plus de groupes purs, ce n’est pas exagérer la rapidité du résultat que de lui donner pour se produire un peu moins de temps qu’il n’en a fallu pour que ses préparations en arrivassent au point où elles sont aujourd’hui. On serait donc tenté d’assigner à la domination de l’homme sur la terre une durée totale de douze à quatorze mille ans, divisée en deux périodes : l’une, qui est passée, aura vu, aura possédé la jeunesse, la vigueur, la grandeur intellectuelle de l’espèce ; l’autre, qui est commencée, en connaîtra la marche défaillante vers la décrépitude.

En s’arrêtant même aux temps qui doivent quelque peu précéder le dernier soupir de notre espèce, en se détournant de ces âges envahis par la mort, où le globe, devenu muet, continuera, mais sans nous, à décrire dans l’espace ses orbes impassibles, je ne sais si l’on n’est pas en droit d’appeler la fin du monde cette époque moins lointaine qui verra déjà l’abaissement complet de notre espèce. Je n’affirmerai pas non plus qu’il fût bien facile de s’intéresser avec un reste d’amour aux destinées de quelques poignées d’êtres dépouillés de force, de beauté, d’intelligence, si l’on ne se rappelait qu’il leur restera du moins la foi religieuse, dernier lien, unique souvenir, héritage précieux des jours meilleurs.

Mais la religion elle-même ne nous a pas promis l’éternité ; mais la science, en nous montrant que nous avons commencé, semblait toujours nous assurer aussi que nous devions finir. Il n’y a donc lieu ni de s’étonner ni de s’émouvoir en trouvant une confirmation de plus d’un fait qui ne pouvait passer pour douteux. La prévision attristante, ce n’est pas la mort, c’est la certitude de n’y arriver que dégradés ; et peut-être même cette honte réservée à nos descendants nous pourrait-elle laisser insensibles, si nous n’éprouvions, par une secrète horreur, que les mains rapaces de la destinée sont déjà posées sur nous.