Essai sur les machines en général

La bibliothèque libre.
Lazare Carnot (1753-1823)
ESSAI
LES MACHINES EN GÉNÉRAL



Par M. CARNOT, Capitaine au Corps du Génie, de l'Académie des Sciences, Arts et Belles-Lettres de Dijon, Correspondant du Musée de Paris.


NOUVELLE ÉDITION


A DIJON, DE L'IMPRIMERIE DE DEFAY.
Et se vend à PARIS,
Chez NYON l'aîné, Libraire, rue du Jardinet.
M. DCC. LXXXVI.


Avec Approbation et Permission.


Préface


Quoique la théorie dont il s'agit ici, soit applicable à toutes les questions qui concernent la communication des mouvements, on a donné à cet opuscule le titre d' Essai sur les Machines en général ; premièrement, parce que ce sont principalement les Machines qu'on a en vue, comme étant l'objet le plus important de la mécanique ; et en second lieu, parce qu'il n'y est question d'aucune Machine particulière, mais seulement des propriétés qui sont communes à toutes.

Cette théorie est fondée sur trois définitions principales; la première regarde certains mouvements que j'appelle géométriques, parce qu'ils peuvent se déterminer par les seuls principes de la géométrie, et sont absolument indépendants des règles de la Dynamique ; je n'ai pas cru qu'on pût aisément s'en passer, sans laisser du louche dans l'énoncé des principales proportions, comme je le fais voir en particulier pour le principe de Descartes, Par la seconde de mes définitions, je tâche de fixer la signification des termes force sollicitante et force résistante: on ne peut, ce me semble, comparer clairement les causes avec les effets dans les Machines, sans une distinction bien caractérisée entre ces différentes forces ; et c'est cette distinction sur laquelle il me paraît qu'on a toujours laissé quelque chose de vague et d'indéterminé.

Enfin, ma troisieme définition, est celle par laquelle je donne le nom de moment d'activité d'une puissance, à une quantité dans laquelle il s'agit d'une puissance qui est réellement en activité ou en mouvement, et où l'on tient compte aussi de chacun des instants employés par cette force, c'est-à-dire, du temps pendant lequel elle agit. Quoi qu'il en soit, on ne peut disconvenir que cette quantité, sous quelque dénomination qu'on veuille la désigner, ne se rencontre continuellement dans l'analyse des Machines en mouvement.

A l'aide de ces définitions, je parviens à des propositions qui sont très simples ; je les déduis toutes d'une même équation fondamentale, qui, renfermant une certaine quantité indéterminée à laquelle on peut attribuer différentes valeurs arbitraires, donnera successivement, dans chaque cas partculier, toutes les équations déterminées dont on a besoin pour la solution du problème.

Cette équation qui est de la plus grande simplicité, s'étend généralement à tous les cas imaginables d'équilibre et de mouvement, soit que ce mouvement change brusquement, ou varie par degrés insensibles; elle s'applique même à tous les corps, soit durs, soit doués d'un degré quelconque d'élasticité ; et, si je ne me trompe, elle suffit seule et indépendamment de tout autre principe mécanique, pour résoudre tous les cas particuliers qui peuvent se rencontrer.

Je tire facilement de cette équation un principe général d'équilibre et de mouvement dans les Machines proprement dites, et de celui-ci dérivent naturellement d'autres principes plus ou moins généraux, dont plusieurs sont déjà connus et très-célèbres, mais qui ont été jusqu'ici (du moins pour la plupart) ou peu exagérés, ou vaguement expliqués, plutôt que rigoureusement démontrés.

Sans sortir des principes généraux, j'ai réuni dans un scholie, et le plus clairement qu'il m'a été possible, les remarques les plus utiles à la pratique, et qui m'ont paru mériter par leur importance un développement particulier ; tout le monde répéte que dans les Machines en mouvement on perd toujours en temps ou en vitesse ce qu'on gagne en force ; mais après la lecture des meilleurs éléments de mécanique, qui semblent être la vraie place où doivent se trouver la preuve et l'explication de ce principe, son étendue et même sa vraie signification sont-elles faciles à saisir ? Sa généralité a-t-elle, pour la plupart des Lecteurs, cette évidence irrésistible qui doit caractériser les vérités mathématiques ? S'ils éprouvaient cette comparaison frappante, ne verraiton pas des Méchaniciens instruits de ces ouvrages, renoncer incessamment à leurs projets chimériques ? Ne cesseraient-ils pas de croire ou de soupçonner du moins, malgré tout ce qu'on leur dit, qu'il y a dans les Machines quelque chose de magique ? Les preuves qu'on leur donne du contraire ne s'étendent qu'aux Machines simples; aussi ne croient-ils pas celles-ci capables d'un grand effet ; mais on ne leur fait pas voir qu'il doit en être de même dans tous les cas imaginables ; on ne parle que de celui où il y a seulement deux forces dans le système, et l'on se contente d'une analogie : voilà pourquoi ces Mécaniciens espèrent toujours que leur sagacité leur fera découvrir quelque ressource inconnue, quelque Machine qui ne soit pas comprise dans les règles ordinaires ; ils se croient d'autant plus sûrs de la rencontrer, qu'ils s'éloignent davantage de tout ce qui paraît avoir de la relation avec les Machines usitées, parce qu'ils s'imaginent que la théorie établie pour celles-ci, ne peut s'étendre à des constructions qui leur semblent n'y avoir aucun rapport ; c'est en vain qu'on leur dit que toute Machine se réduit au levier : cette assertion est trop vague et trop tirée, pour qu'on s'y rende sans un examen profond ; ils ne peuvent se persuader que des Machines qui paraissent n'avoir rien de commun avec celles qu'on nomme simples, soient sujettes à la même loi, ni qu'on puisse prononcer sur l'inutilité d'un secret dont ils n'ont fait confidence à personne : de là vient que les idées les plus bizarres, les plus éloignées de la simplicité si avantageuse aux Machines, sont celles qui leur fournissent le plus d'espoir.

Le moyen de déraciner cette erreur, est sans doute de l'attaquer dans sa source même, en montrant que non-seulement dans toutes les Machines connues, mais encore dans toutes les Machines possibles, c'est une loi inévitable, qu'on perd toujours en temps ou en vitesse ce qu'on gagne en force ; et d'expliquer clairement ce que signifîe cette loi ; mais il faut, pour cela, s'élever à la plus grande généralité possible, ne s'arrêter à aucune Machine particulière, ne s'appuyer sur aucune analogie ; il faut enfin une démonstration générale, déduite immédiatement et géométriquement des premiers axiomes de la mécanique : c'est ce qu'on a tâché de faire dans cet Essai ; on a beaucoup insisté sur ce point fondamental, et je ne sais si l'on aura réussi à le mettre dans un assez grand jour ; mais en attaquant l'erreur, on s'est efforcé d'y substituer la vérité; on a montré quel est le véritable but des Machines : s'il n'est pas raisonnable d'en attendre des prodiges hors de toute vraisemblance, on verra qu'il leur reste encore assez d'objets d'utilité, pour exercer la plus brillante imagination.

Les réflexions que je propose sur cette loi, me conduisent à dire un mot du mouvement perpétuel, et je fais voir non seulement que toute Machine abandonnée à elle-même doit s'arrêter, mais j'assigne l'instant même où cela doit arriver.

On trouvera encore parmi ces réflexions une des plus intéressantes propriétés des Machines, qui, je crois, n'a pas encore été remarquée ; c'est que pour leur faire produire le plus grand effet possible, il faut nécessairement qu'il n'arrive aucune percussion, c'est-à-dire que le mouvement doit toujours changer par degrés insensibles ; ce qui donne lieu, entre autres choses, à quelques remarques sur les Machines hydrauliques.

Enfin, je termine cet écrit par quelques réflexions sur les lois fondamentales de la communication des mouvements, qui, si elles ne sont pas du goût de tout le monde, sont du moins assez courtes pour ne fatiguer personne.

Mais, je le répète, cet Essai n'a pour objet que les Machines en général ; chacune d'elles à ses propriétés particulières : il ne s'agit ici que de celles qui font communes à toutes ; ces propriétés, quoique assez nombreuses, sont en quelque forte toutes comprises dans une même loi fort simple : c'est cette loi qu'on s'est proposé de rechercher, de démontrer et de développer, en envisageant toujours les Machines sous le point de vue le plus général et le plus direct.

ESSAI SUR LES MACHINES EN GÉNÉRAL.


Introduction[modifier]

I. Nous ne manquons pas d'excellents Traités sur les Machines ; les propriétés particulières à celles dont l'usage est fréquent, à celles surtout qu'on est convenu d'appeler simples, ont été recherchées et approfondies avec toute la sagacité possible ; mais il me semble qu'on ne s'est pas encore beaucoup attaché, à développer celles de ces propriétés qui sont communes à toutes les Machines, et qui, par cette raison, ne conviennent pas plus aux cordes qu'au levier, à la vis, ou à toute autre Machine soit simple soit composée.

Ce n'est pas cependant que les Géomètres aient négligé de s'élever aux principes généraux d'équilibre et de mouvement ; mais ce n'est pour ainsi dire qu'en passant qu'ils ont parlé de leur application à la théorie des Machines proprement dites, et peut-être aussi n'y a-t-il encore aucun de ces principes qui joigne à une démonstration rigoureuse une assez grande généralité, pour pouvoir suffire seul et indépendamment de tout autre, à la solution des différentes questions qu'on peut proposer tant sur l'équilibre que sur le mouvement des Machines, c'est-à-dire, pour réduire toutes les questions à une affaire de calcul et de géométrie; ce qui est le véritable objet de la mécanique.


II. Parmi les principes plus ou moins généraux qui ont été jusqu'ici proposés, nous en rappelerons seulement deux très célèbres et sur lesquels nous aurons quelques observations à faire.

Le premier est celui qui assigne pour loi générale de l'équilibre dans les Machines à poids, que le centre de gravité du système est alors au point le plus bas possible; mais quoique cet ancien principe soit fort simple et fort général, il ne paraît pas qu'on lui ait donné toute l'attention qu'il mérite : c'est sans doute,

1 °. parce qu'il est sujet à quelques exceptions, comme tous ceux où il s'agit de maximum et de minimum ; parce qu'il n'a rapport qu'à une espèce particulière de force, qui est la pesanteur ; enfin parce qu'il paraît difficile d'en donner une démonstration générale et rigoureuse. Mais nous allons faire voir qu'en changeant un peu l'énoncé de ce principe, on en peut faire une proposition très exacte, très géométrique et vraie sans exception ;

2°. quoiqu'il n'ait rapport qu'à la pesanteur, cependant il est facile de l'appliquer à tous les cas imaginables ; il n'y a pour cela qu'à substituer un poids à la place de chacune des puissances qui font d'un genre différent ; ce qui est très-facile, par le moyen d'un fil passant sur une poulie de renvoi ; de sorte qu'alors il ne reste plus à ce principe que le défaut d'être indirect ;

3°. enfin, quoiqu'on ne puisse le démontrer rigoureusement sans remonter jusqu'aux premiers principes de la mécanique, il est cependant facile d'en rendre assez bien raison, pour qu'il ne fût pas possible d'en douter, quand même on n'en aurait pas d'autres preuves, comme nous allons le faire voir en attendant la démonstration exacte que nous tâcherons d'en donner dans la suite de cet Essai.

Imaginons donc une Machine à laquelle il n'y ait d'autres forces appliquées que des poids, je la suppose d'ailleurs d'une forme arbitraire, mais qu'on ne lui ait imprimé aucun mouvement : cela posé, quelle que soit la disposition des corps du systéme, il est clair que s'il y a équilibre, la somme des résistances des points fixes ou obstacles quelconques, estimées dans le sens vertical contraire à la pesanteur, sera égale au poids total du système; mais s'il naît un mouvement, une partie de la pesanteur sera employée à le produire, et ce n'est qu'avec le surplus, que les points fixes pourront se trouver chargés; donc dans ce cas la somme des résistances verticales des points fixes, sera moindre au premier instant que le poids total du système : donc de ces deux forces combinées ( la pesanteur du système et la charge verticale des points fixes) il en résultera une seule force égale à leur différence, et qui poussera le système de haut en bas comme s'il était libre : donc le centre de gravité descendra nécessairement avec une vitesse égale à cette différence divisée par la masse totale du système : donc si le centre de gravité du système ne descend pas, il y aura nécessairement équilibre. Donc en général, Pour s'assurer qüe plusieurs poids appliqués à une Machine quelconque doivent se faire mutuellement équilibre, il suffit de prouver que si l'on abandonne cette Machine à elle-même, le centre de gravité du système ne descendra pas.


III. La conséquence immédiate de ce principe vrai sans exception, est que si le centre de gravité du système est au point le plus bas possible, il y aura nécessairement équilibre ; car, suivant cette proposition, il suffit, pour le prouver, de faire voir que le centre de gravité ne descendra pas ; or, comment descendrait-il, puisque par hypothèse il est au point le plus bas possible ?


IV. Pour donner encore une application de ce principe, je suppose qu'il s'agisse de trouver la loi générale d'équilibre entre deux poids A et B appliqués à une Machine quelconque ; je dis donc qu'alors, en conséquence du principe précédent, il y aura équilibre entre ces deux poids A et B, si, en supposant que l'un des deux vienne à l'emporter, et la Machine à prendre un petit mouvement, il arrivait que l'un de ces corps montât pendant que l'autre descendait, et qu'en même temps ces poids fussent en raison réciproque de leurs vitesses estimées dans le sens vertical : en effet, si l'on suppose qu'alors A descendait avec la vitesse verticale V, tandis que la vitesse de B, aussi estimée dans le sens vertical, serait u, on aura, par hypothèse, A : B : : u : V, ou A V = B u, donc ( AV- Bu ) / (A + B) = 0. Cela posé, puisque les corps font supposés se mouvoir, l'un de haut en bas, et l' autre de bas en haut, il est évident que le premier membre de cette équation est la vitesse verticale du centre de gravité du système ; donc ce centre de gravité ne descendra pas ; donc, par la proportion précédente, il doit y avoir équilibre.


V. Le second principe sur lequel nous nous sommes proposés de faire quelques observations, est la fameuse loi d'équilibre de Descartes ; elle revient à ce que deux puissances en équilibre sont toujours, en raison réciproque de leur vitesse, estimées dans le sens de ces forces, lorsqu'on suppose que l'une des deux vient à l'emporter infiniment peu sur l'autre, de manière qu'il en naisse un petit mouvement.

Mais quoique cette proposition soit très belle et qu'on la regarde ordinairement comme le principe fondamental de l'équilibre dans les Machines, elle est cependant infiniment moins générale que celle qui a été citée en premier lieu, car elle s'applique uniquement au cas où il y a seulement deux puissances dans le système, et d'ailleurs elle se déduit très facilement de ce qui vient d'être dit au sujet des deux poids A et B, puisqu'on ramène véritablement l'un de ces cas à l'autre, en substituant, par des poulies de renvoi, des poids à la place des forces dont on cherche le rapport.

De plus, il est à remarquer que ce principe n'exprime pas les conditions de l'équilibre entre deux puissances, aussi complètement que celui qui a été cité en premier lieu; car il ne donne que le rapport des quantités de force qui se font équilibre, au lieu que celui-ci donne aussi en quelque sorte le rapport de leurs directions ; par exemple, dans le cas d'équilibre entre deux poids, le principe de Descartes apprend seulement que les poids doivent être en raison réciproque de leurs vitesses verticales ; mais il n'indique pas, comme le premier, que l'un de ces corps doit nécessairement monter pendant que l'autre descendra ; pour qu'un treuil, par exemple, à la roue et au cylindre duquel sont suspendus des poids par des cordes, demeure en équilibre, il ne suffit pas que le poids appliqué à la roue soit à celui du cylindre, comme le rayon du cylindre est au rayon de la roue; il faut encore que ces poids tendent à faire tourner la Machine en sens contraire l'un de l'autre, c'est-à-dire qu'ils soient placés de différents côtés, par rapport à l'axe, sinon leurs efforts étant conspirant, mettront la Machine en mouvement : il est donc évident que ce qui rend le principe de Descartes incomplet, c'est qu'en déterminant le rapport des puissances, quant à leurs valeurs ou intensités, il n'exprime pas que ces puissances doivent faire des efforts opposés, ni en quoi consiste cette opposition d'efforts : il est clair en effet que pour l'équilibre il faut que l'une des forces résiste tandis que l'autre sollicite ; or, c'est ce qui n'arrive pas dans le treuil qui vient d'être allégué pour exemple ; mais qu'est-ce en général qui distingue les forces sollicitantes des forces résistantes ?

C'est, ce me semble, ce qui n'a pas encore été déterminé : on verra dans cet Essai que la différence caractéristique de ces forces consiste dans l'angle qu'elles forment avec les directions de leurs vitesses, de sorte que les unes font toujours avec leurs vitesses des angles aigus, tandis que les autres font des angles obtus avec les leurs.

Enfin, un défaut qu'il me paraît qu'on peut encore reprocher au principe de Descartes, ainsi qu'à tous ceux où il s'agit du petit mouvement qui naîtrait dans le système, si l'équilibre venait à être troublé, c'est qu'ils n'indiquent pas la manière de déterminer ce petit mouvement; or, s'il faut pour cela avoir recours à quelque nouveau principe mécanique, le premier n'est donc pas suffisant ; et si on peut le déterminer par pure géométrie, quelle en est la manière ? C'est ce que ne dit pas le principe : et qu'on ne dise pas que la proportion indiquée par le principe, a toujours lieu, quelque puisse être le mouvement, pourvu qu'il soit possible, c'est-à- dire compatible avec l'impénétrabilité des corps ; car ce serait une erreur ; et nous ferons voir dans la fuite que ces mouvements font assujettis à certaines conditions, en conséquence desquelles j'ai cru devoir leur donner le nom de mouvements géométriques.

On peut faire la même remarque sur tous les principes où l'on proposerait de considérer la Machine dans deux états infiniment proches l'un de l'autre ; car pour déterminer quels sont ces deux états, c'est-à-dire quel mouvement il faudrait que la Machine prît pour passer de l'un à l'autre, il faut ou employer de nouveaux principes mécaniques conjointement avec celui qu'on propose ; ce qui rendrait celui ci insuffisant ; ou la géométrie suffit; et dans ce cas c'est un défaut dans le principe, de ne pas faire connaître les conditions géométriques auxquelles ce mouvement est assujetti.


VI. Les deux lois dont on vient de parler sont bornées l'une et l'autre au cas de l'équilibre ; on passe aisément de ce cas à celui du mouvement, par le principe de dynamique dû à M. D'Alemberi ; mais on en a aussi trouvé plusieurs autres qui s'appliquent immédiatement au cas du mouvement ; tel est celui de la conservation des forces vives dans le choc des corps parfaitement élastiques, lequel est d'autant plus général, qu'il s'étend au cas même où le mouvement passe brusquement d'un état à l'autre ; mais il paraît qu'on n'a guère songé à l'usage qu'on en pouvait faire dans la théorie des Machines proprement dites ; il est cependant évident que cette loi doit avoir son analogue dans le choc des corps durs ; et comme on prend ordinairement ceux-ci pour servir de terme de comparaison, ce principe transféré aux corps durs avec la modification qu'exige la différence de leur nature, ne peut manquer d'être plus utile que la conservation même dont il s'agit : nous ferons voir en effet qu'on en déduit avec la plus grande facilité plusieurs vérités capitales, et particulièrement la conservation des forces vives dans un système de corps durs dont le mouvement change par degrés insensibles ; principe dont l'utilité dans la théorie des Machines est si connue : on verra en même temps par là une relation intime entre ces deux conservations de forces vives ; on en tire également le principe de Descartes, et même, en le généralisant, la loi d'équilibre dans les Machines à poids dont il a été question ci-dessus; ce principe enfin, après lui avoir donné l'extension dont il est susceptible, nous a paru renfermer toutes les lois de l'équilibre et du mouvement, et nous n'avons pas cru pouvoir en adopter un meilleur pour servir de base à notre théorie.


VII. Cet Essai sera divisé en deux parties; dans la première, on traitera des principes généraux de l'équilibre et du mouvement dans les Machines ; et dans la seconde, on recherchera les propriétés des Machines proprement dites, c'est-à-dire, de ce à quoi le nom de Machines a été plus spécialement affecté, sans cependant s'arrêter jamais à aucune Machine particulière.


Première Partie.[modifier]

Principes généraux[modifier]

VIII. Lorsqu'un corps agit sur un autre, c'est toujours immédiatement, ou par l'entremise de quelque corps intermédiaire ; ce corps intermédiaire est en général ce qu'on appelle une Machine ; le mouvement que perd à chaque instant chacun des corps appliqués à cette Machine, est en partie absorbé par la Machine même, et en partie reçu par les autres corps du système; mais comme il peut arriver que l'objet de la question soit uniquement de trouver l'action réciproque des corps appliqués aux corps intermédiaires, sans qu'on ait besoin d'en connaître l'effet sur le corps intermédiaire même, on a imaginé, pour simplifier la question, de faire abstraction de la masse même de ce corps, en lui conservant d'ailleurs toutes les autres propriétés de la matière ; dès-lors la science des Machines est devenue en quelque sorte une branche isolée de mécanique, dans laquelle il s'agit de considérer l'action réciproque des différentes parties d'un système de corps, parmi lesquelles il s'en trouve qui, privés de l'inertie commune à toutes parties de la matière telle qu'elle existe dans la nature, ont retenu le nom de Machines.


IX. Cette abstraction pouvait simplifier dans certains cas particuliers, où les circonstances indiquaient ceux des corps dont il convenait de négliger la masse, pour arriver plus facilement au but ; mais on conçoit que la théorie des Machines en général est devenue réellement plus compliquée qu 'auparavant ; car alors cette théorie était enfermée dans celle du mouvement des corps tels que la nature nous les offre ; mais à présent il faut considérer à la fois deux sortes de corps, les uns tels qu'ils existent réellement, les autres dépouillés en partie de leurs propriétés naturelles; or, il est clair que le premier de ces problèmes est un cas particulier de celui-ci ; donc celui-ci est plus compliqué que l'autre : aussi, quoiqu'on parvienne aisément par de pareilles hypothèses, à trouver les lois de l'équilibre et du mouvement dans chaque Machine particulière, telle que le levier, le treuil, la vis, il en résulte un assemblage de connaissances dont la liaison s'aperçoit difficilement, et seulement par une espèce d'analogie; ce qui doit nécessairement arriver tant qu'on aura recours à la figure particulière de chaque Machine, pour démontrer une propriété qui lui est commune avec toutes les autres : ces propriétés communes étant celles que nous avons en vue dans cet Essai, il est clair que nous ne parviendrons à les trouver qu'en faisant abstraction des formes particulières : commençons donc par simplifier l'état de la question, en cessant de considérer dans un même système des corps de différente nature ; rendons enfin aux Machines leur force d'inertie; il nous sera facile, après cela, d'en négliger la maire dans le résultat ; nous serons maîtres d'y avoir égard ou non ; et partant, la solution du problème sera aussi générale, en même temps quelle fera plus simple.


X. La science des Machines en général se réduit donc à La question suivante.

Connaissant le mouvement virtuel d'un système quelconque de corps, c'est à-dire celui que prendrait chacun de ces corps, s'il était libre de trouver le mouvement réel qui aura lieu l'instant suivant, à cause de faction réciproque des corps, en les considérant tels qu'ils existent dans la nature, c'est-à-dire comme doués de l'inertie commune à toutes les parties de la matière.


XI. Or, cette question renfermant évidemment toute la mécanique, il faut, pour procéder avec clarté, remonter jusqu'aux premières lois que la nature observe dans la communication des mouvements : on peut les réduire en général à deux, que voici.


Lois fondamentales de l'équilibre et du mouvement.


Première loi. La réaction est toujours égale et contraire a l'action.


Cette loi consiste en ce que tout corps qui change son état de repos ou de mouvement uniforme et rectiligne, ne le fait jamais que par l'influence ou action de quelqu'autre corps auquel il imprime en même temps une quantité de mouvement égale et directement opposée à celle qu'il en reçoit, c'est-à-dire que la vitesse qu' il prend réellement l'instant d'après, est la force résultante de celle que lui imprime cet autre corps, et de celle qu'il aurait eue sans cette dernière force. Tout corps résiste donc à son changement d'état, et cette résistance qu'on nomme force d'inertie, est toujours égale et directement opposée à la quantité de mouvement qu'il reçoit, c'est-à-dire à la quantité de mouvement qui, composée avec celle qu'il avait immédiatement avant le changement, produit pour résultante la quantité de mouvement qu'il doit réellement avoir immédiatement après ; ce qui s'exprime encore en disant que, dans l'action réciproque des corps, la quantité de mouvement perdue par les uns, est toujours gagnée par les autres, en même temps et dans le même sens.


Seconde loi.


Lorsque deux corps durs agissent l'un sur L'autre, par choc ou pression, c-est-à-dire en vertu de leur impénétrabilité, leur vitesse relative, immédiatement après l'action réciproque, est toujours nulle.


En effet, on observe constamment que, si deux corps durs viennent à se choquer, leurs vitesses, immédiatement après le choc, estimées perpendiculairement à leur surface commune au point de contingence, sont égales ; de même que s'ils se tiraient par des fils inextensibles, ou se poussaient par des verges incompressibles, leurs vitesses estimées dans le sens de ce fil ou de cette verge, seraient nécessairement égales : d'où il suit que leur vitesse relative, c'est-à-dire celle par laquelle ils s'approchent ou s'éloignent l'un de l'autre, est dans tous les cas nulle au premier instant.

De ces deux principes, il est aisé de tirer les lois du choc des corps durs, et de conclure par conséquent les deux autres principes secondaires dont l'usage est continuel en mécanique : Savoir.

1°. Que l'intensité du choc ou de l'action qui s'exerce entre deux corps qui se rencontrent, ne dépend point de leurs mouvements absolus, mais seulement de leur mouvement relatif.

2°. Que la force ou quantité de mouvement qu'ils exercent l'un sur l'autre, par le choc, est toujours dirigée perpendiculairement à leur surface commune au point de contingence.


XII. Des deux lois fondamentales, la première convient généralement à tous les corps de la nature, ainsi que les deux lois secondaires qu'on vient de voir, et la seconde est seulement pour les corps durs; mais comme ceux qui ne le sont pas ont des degrés d'élasticité différents, on ramène ordinairement les lois de leur mouvement à celles des corps durs qu'on prend pour terme de comparaison, c'est-à-dire qu'on regarde les corps élastiques, comme composés d'une infinité de corpuscules durs séparés par de petites verges compressibles, auxquelles on attribue toute la vertu élastique de ces corps ; de sorte qu'on ne considère, à proprement parler, dans la nature, que des corps animés de différentes forces motrices : nous suivrons cette méthode, comme la plus simple ; ainsi nous réduirons la question à la recherche des lois qu'observent les corps durs, et nous en ferons ensuite quelques applications aux cas où les corps sont doués de différents degrés d'élasticité.


XIII. Cet Essai sur les Machines n'étant point un Traité de mécanique, mon but n'est pas d'expliquer en détail ni de prouver les lois fondamentales que je viens de rapporter; ce sont des vérités que tout le monde sent très bien, dont on convient généralement, et qui se manifestent avec la plus grande évidence dans tous les phénomènes de la nature; cela me suffit pour remplir mon objet, qui est uniquement de tirer de ces lois, une méthode simple et exacte pour trouver l'état de repos ou de mouvement qui en résulte dans un système quelconque de corps, c'est-à-dire de présenter ces mêmes lois sous une forme qui puisse en faciliter l'application à chaque cas particulier.


XIV. Imaginons donc un système quelconque de corps durs dont le mouvement virtuel donné soit changé par leur action réciproque en un autre qu'il s'agit de trouver ; et pour embrasser la question dans toute sa généralité, supposons que le mouvement puisse changer subitement, ou varier par degrés insensibles ; enfin, comme il peut se rencontrer des point fixes, ou obstacles quelconques, considérons-les tels qu'ils sont en effet, c'est-à-dire comme des corps ordinaires faisant eux-mêmes partie du système proposé, mais fixement arrêtés dans le lieu où ils sont placés.


XV. Pour parvenir à la solution de ce problème, observons d'abord que toutes les parties du système étant supposées parfaitement dures, c'est-à-dire incompressibles et inextensibles, on peut visiblement, quel qu'il soit, le regarder comme composé d'une infinité de corpuscules durs, séparés les uns des autres, ou par de petites verges incompressibles, ou par de petits fils inextensibles ; car, lorsque deux corps se choquent, se poussent, ou tendent en général à se rapprocher l'un de l'autre sans pouvoir le faire, à cause de leur impénétrabilité, on peut concevoir entre les deux une petite verge incompressible, et supposer que le mouvement se transmet de l'un à l'autre suivant cette verge; et de même si deux corps tendent à se séparer, on peut concevoir qu'ils sont retenus l'un à l'autre par un petit fil inextensible, suivant lequel se propage le mouvement : cela posé, considérons successivement l'action de chacun de ces petits corpuscules sur tous ceux qui lui sont adjacents, c'est-à-dire examinons deux à deux tous ces petits corpuscules séparés l'un de l'autre par une petite verge incompressible ou par un petit fil inextensible, et voyons ce qui en doit résulter dans le système général de tous ces corpuscules : pour cela nommons

m' et m Les masses des corpuscules adjacents.

V' et V Les vitesses qu'ils doivent avoir l'instant suivant.

F' L'action de m sur m' c'est-à-dire la force ou quantité de mouvement que le premier de ces corpuscules imprime à l'autre.

F" La réaction de m' sur m.


q' et q" Les angles formés par les directions de V' et F', par celles de V et F.

Cela posé, la vitesse réelle de m' étant V', cette vitesse estimée dans le sens de F' sera V' cos q', de même la vitesse de m estimée dans le sens de F fera V cos q ; de même la vitesse de m estimée dans le sens de F fera V cos q. Donc, puisque par la seconde loi fondamentale, les corps doivent aller de compagnie, on aura V' cos q' + V" cos q = 0 (A); donc par la première loi fondamentale on aura aussi F' V' cos q' + F.F cos q = 0 (B); car si m' et m sont mobiles tous les deux, il est clair, par cette loi, qu'on a F' = F", donc à cause de l'équation (A) on aura aussi l'équation (B); et si l'un des deux, m' par exemple, est fixe ou fait partie d'un obstacle, on aura V' cos q' = 0; donc à cause de l'équation ( A ) on aura aussi V'' cos q'' = 0 ; donc l'équation ( B ) aura encore lieu ; donc cette équation ( B ) est vraie pour tous les corpuscules du système pris deux à deux : imaginant donc une pareille équation pour tous ces corps pris en effet deux à deux, et ajoutant ensemble toutes ces équations, ou ce qui revient au même, intégrant l'équation (B), on aura pour tout le système ; ʃ F' V' cos q' + ʃ F'' V'' cos q'' = 0 : c'est-à-dire que la somme des produits des quantités de mouvement que s'impriment réciproquement les corpuscules séparés par chacun des petits fils inextensibles, ou des petites verges incompressibles, de ces quantités, dis-je, multipliées chacune par la vitesse du corpuscule auquel elle est imprimée, estimée dans le sens de cette force, est égale à zéro.

Cela posé, abandonnant les dénominations précédentes, nommons :


La masse de chacun des corpuscules du système m
Sa vitesse virtuelle, c'est-à-dire celle qu'il prendrait s'il était libre W
Sa vitesse réelle V
La vitesse qu'il perd, de sorte que W soit la résultante de V et de cette vitesse U
La force ou quantité de mouvement qu'imprime à m chacun des corpuscules adjacents, et par l entremise desquels il reçoit évidemment tout le mouvement qui lui est transmis des différentes parties du système F
L'angle compris entre les directions de W et V X
L'angle compris entre les directions de W et U Y
L'angle compris entre les directions de V et U z
L'angle compris entre les directions de V et F q


On aura donc pour tout le système ʃ F V cos q = 0, ou ʃ V F cos q = 0 ( C ) ; à présent il faut observer que la vitesse de m avant l'action réciproque, étant W, cette vitesse estimée dans le sens de V sera W cos X ; donc V - W cos X, est la vitesse gagnée par M dans le sens de V; donc m (V - W cos X ) est la somme des forces F qui agissent sur m estimées chacune dans le sens de V; donc m V ( V-W cos X) est la même somme multipliée par F ; or, à chaque molécule répond une pareille somme, et de plus la somme totale de toutes ces sommes particulières est visiblement pour tout le système ʃ V F cos q ; donc ʃ m F ( V- W cos X) = ʃ V F cos q ; ajoutant à cette équation l'équation ( C ), il vient ʃ m V ( V - W cos X ) = 0 (D) : mais W étant la résultante de F et U, il est clair qu'on aura W cos X = V + U cos Z; substituant donc cette valeur de W cos X dans l'équation ( D ), elle se réduira à ʃ m V U cos Z = 0 ( E ) ; première équation fondamentale.


XVI. Imaginons maintenant qu'au moment où le choc va se faire, le mouvement actuel du système soit tout à coup détruit, et qu'on lui fasse prendre à la place successivement deux autres mouvements arbitraires, mais égaux et directement opposés l'un à l'autre, c'est-à-dire qu'on le fasse partir successivement de sa position actuelle, avec deux mouvements tels qu'en vertu du second, chaque point du système ait au premier instant une vitesse égale et directement opposée à celle qu'il aurait eue en vertu du premier de ces mouvements : cela posé, il est clair,

1°. que la figure du système étant donnée, cela peut se faire d'une infinité de manières différentes, et par des opérations purement géométriques ; c'est pourquoi j'appellerai ces mouvements mouvements géométriques : c'est-à-dire que si un système de corps part d'une position donnée, avec un mouvement arbitraire, mais tel qu'il eût été possible aussi de lui en faire prendre un autre tout à fait égal et directement opposé ; chacun de ces mouvements sera nommé mouvement <ref name="ftn1">Pour distinguer par un exemple très simple les mouvements que j'appelle géométriques, de ceux qui ne le sont pas, imaginons deux globes qui se poussent l'un l'autre, mais du reste libres et dégagés de tout obstacle ; imprimons à ces globes des vitesses égales et dirigées dans le même sens suivant la ligne des centres ; ce mouvement est géométrique, parce que les corps pourraient de même être mus en sens contraire avec la même vitesse, comme il est évident : mais supposons maintenant qu'on imprime à ces corps des mouvements égaux et dirigés dans la ligne des centres, mais qui au lieu d'être, comme précédemment, dirigés dans le même sens, tendent au contraire à les éloigner l'un de l'autre ; ces mouvements, quoique possibles, ne sont pas ce que j'entends par mouvements géométriques ; parce que si l'on voulait faire prendre à chacun de ces mobiles une vitesse égale et contraire à celle qu'il reçoit dans ce premier mouvement, on en serait empêché par l'impénétrabilité des corps.

De même si deux corps sont attachés aux extrémités d'un fil inextensible, et qu'on fasse prendre au système un mouvement arbitraire, mais tel que la distance des deux corps soit constamment égale à la longueur du fil, ce mouvement sera géométrique, parce que les corps peuvent prendre un pareil mouvement dans un sens tout contraire ; mais si ces mobiles se rapprochent l'un de l'autre, le mouvement n'est point géométrique, parce qu'ils ne pourront prendre un mouvement égal et contraire, sans s'éloigner l'un de l'autre ; ce qui est impossible, à cause de l'inextensibilité du fil.

En général il est évident que, quelle que soit la figure du système, et le nombre des corps, si on peut lui faire prendre un mouvement tel qu'il n'en résulte aucun changement dans la position respective des corps, ce mouvement sera géométrique ; mais il ne s'ensuit pas de là qu'il n'y ait aucun autre moyen de satisfaire à cette condition, comme nous allons le montrer par quelques exemples.

Imaginons un treuil à la roue et au cylindre duquel soient attachés des poids suspendus par des cordes ; si l'on fait tourner la machine, de manière que le poids attaché à la roue descende d'une hauteur égale à sa circonférence, tandis que celui du cylindre montera d'une hauteur égale à la sienne, ce mouvement sera géométrique, parce qu'il est également possible de faire descendre le poids attaché au cylindre d'une hauteur égale à sa circonférence, tandis que le poids attaché à la roue monterait d'une hauteur égale à la sienne ; mais si tandis qu'on fera descendre le poids attaché à la roue d'une hauteur égale à 1a circonférence, on faisait monter le poids attaché au cylindre d'une hauteur plus grande que sa circonférence, le mouvement ne serait pas géométrique, parce que le mouvement égal et contraire serait visiblement impossible.

Si plusieurs corps sont attachés aux extrémités de différents fils réunis par les autres extrémités à un même nœud, et qu'on fasse prendre au système un mouvement tel que chacun des corps reste constamment éloigné du nœud d'une même quantité égale à la longueur du fil auquel il est attaché, ce mouvement sera géométrique, quand même les différents corps se rapprocheraient les uns des autres : mais si quelques uns d'eux se rapprochaient du nœud, le mouvement ne serait plus géométrique, parce que les fils étant supposés inextensibles, le mouvement égal et contraire serait visiblement impossible.

Si deux corps sont attachés aux extrémités d'un fil dans lequel soit enfilé un grain mobile, il suffira, pour que le mouvement soit géométrique, que la somme des distances du grain mobile à chacun des deux autres corps, soit constamment égale à la longueur du fil ; de sorte que si ces deux corps font fixes, le grain mobile ne sortira pas d'une courbe elliptique.

Si un corps se meut sur une surface courbe, par exemple dans la concavité d'une calotte sphérique, le mouvement sera géométrique, tant que le corps se mouvra tangentiellement à la surface ; mais s'il s'en écarte, le mouvement cessera d'être géométrique, parce que le mouvement égal et contraire est visiblement impossible.

D'après tout cela, il est évident, que quoiqu'en faisant prendre à un système un mouvement géométrique, les différents corps de ce système puissent se rapprocher les uns des autres, cependant on peut dire que les corpuscules voisins, considérés deux à deux, ne tendent au premier instant ni à se rapprocher ni à s'éloigner, comme je le prouve au long dans le texte : les corps n'exercent donc aucune action les uns sur les autres, en vertu d'un pareil mouvement ; ces mouvements sont donc absolument indépendants des règles de la dynamique; et c'est pour cette raison que je les ai appelés géométriques.</ref>géométrique;

2°. je dis qu'en vertu de ce mouvement géométrique, les corpuscules voisins qui peuvent être censés se pousser par une verge, ou se tirer par un fil, ne se rapprocheront ni ne s'éloigneront l'un de l'autre au premier instant, c'est-à-dire qu'au premier instant de ce mouvement géométrique, la vitesse relative de ces corpuscules voisins sera nulle ; en effet, il est clair, premièrement, que si m est séparé d'un corpuscule voisin par une verge incompressible, il ne pourra s'en rapprocher ; et que s'il en est séparé par un fil inextensible, il ne pourra s'en éloigner : secondement, je dis que s'il en est séparé par une verge incompressible, il ne pourra non plus s'en éloigner ; car s'il s'en éloignait, il est clair qu'en vertu du mouvement égal et directement opposé, lequel est aussi possible, par hypothèse, il s'en rapprocherait ; ce qui ne se peut à cause de l'incompressibilité de la verge ; par la même raison enfin, il est visible que si c'est un fil qui sépare m du corpuscule voisin, il ne pourra s'en rapprocher, puisqu'alors il serait possible qu'il s'en éloignât par un mouvement égal et directement opposé ; or, cela ne se peut, à cause de l'inextensibilité du fil; donc, quel que soit le mouvement géométrique imprimé au système, la vitesse relative de tous ces corpuscules voisins qui agissent les uns sur les autres, pris deux à deux, sera nulle au premier instant : cela posé, nommons u la vitesse absolue qu'aura m dans le premier instant, en vertu de ce mouvement géométrique, et z l'angle compris entre les directions de u et U; il est clair que les corpuscules m ne tendront point à se rapprocher ni à s'éloigner les uns des autres, en vertu des vitesses u, si on les suppose animés en même temps de ces vitesses u et des vitesses U; ils ne tendront pas à se rapprocher ou à s'éloigner davantage que s'ils étaient animés des seules vitesses U; donc l'action réciproque exercée entre les différentes parties du système sera la même, soit que chaque molécule soit animée de la seule vitesse U, ou des deux vitesses u et U; mais si chaque molécule était animée de la seule vitesse U, il y aurait visiblement équilibre ; donc si elle est animée à la fois des deux vitesses U et u, ou d'une vitesse unique qui en soit la résultante, U sera encore la vitesse perdue par m ; et partant, u sera la vitesse réelle, après l'action réciproque : donc, par la même raison qu'on a eu la première équation fondamentale (E), on aura aussi ʃ m u U cos z = 0 (F); seconde équation fondamentale.

Il est bien facile à présent de résoudre le problème que nous nous sommes proposés, car l'équation précédente devant avoir lieu, quelle que soit la valeur de u, et sa direction, pourvu que le mouvement auquel elle se rapporte soit géométrique ; il est clair qu'en attribuant successivement à cette indéterminée différentes valeurs et directions arbitraires, on obtiendra toutes les équations nécessaires entre les quantités inconnues, d'où dépend la solution du problème, et des quantités ou données ou prises à volonté.


XVII. Pour achever de mettre cette solution dans tout son jour, il suffira d'en donner un exemple : Supposons donc que tout le système se réduise à un assemblage de corps liés entre eux par des verges inflexibles, de sorte que toutes les parties du système soient forcées de conserver toujours leurs mêmes positions respectives ; mais qu'il n'y ait aucun point fixe ou obstacle quelconque ; l'équation (F) va nous donner la solution de ce problème, en attribuant successivement à u différentes valeurs et différentes directions.


1°. Comme les vitesses u ne sont assujetties à aucune condition, sinon que le mouvement du système, en vertu duquel les corpuscules m ont ces vitesses, soit géométrique, il est évident que nous pouvons d'abord les supposer toutes égales et parallèles à une même ligne donnée; alors u étant constante, ou la même pour tous les points du système, l'équation ( F ) se réduira à ʃ m U cos z = 0 ; ce qui nous apprend, que la somme des forces perdues par l'action réciproque des corps, dans le sens arbitraire de u, est nulle, et que par conséquent celle qui reste est la même que si chaque corps eût été libre : principe très-connu.

2°. Imaginons maintenant qu'on faire tourner tout le système au tour d'un axe donné, de sorte que chacun des points décrira une circonférence autour de cet axe, et dans un plan qui lui sera perpendiculaire ; ce mouvement est visiblement géométrique ; donc l'équation ( F ) a lieu ; mais alors, en nommant R la distance de m à l'axe, il est clair qu'on a u = A R, A étant la même pour tous les points ; donc l'équation ( F ) se réduit à ʃ m R U cos z = 0; c'est-à-dire que la somme des moments des forces perdues par l'action réciproque, relativement à un axe quelconque, est nulle : autre principe très connu.

3°. Nous pourrions encore attribuer à u d'autres valeurs ; mais cela serait inutile et mènerait à des équations déjà renfermées dans les précédentes ; car on fait que celles-ci suffisent pour résoudre la question, ou du moins pour la réduire à une affaire de pure géométrie.


Remarque I


XVIII. Le but qu'on se propose, en imprimant un mouvement géométrique, est de changer l'état du système, sans cependant altérer l' action réciproque des corps qui le composent; afin de se procurer par là des rapports entre ces forces exercées et inconnues, et les vitesses arbitraires que prennent les corps, en vertu de ces différents mouvements géométriques ; mais il faut remarquer qu'il y a un cas où les mouvements géométriques ne sont pas les seuls qui puissent remplir le même objet, et où quelques autres mouvements peuvent s'employer de même, pour tirer de l'équation générale (F) des équations déterminées ; ce cas arrive lorsque ces autres mouvements, sans être absolument géométriques, le deviennent cependant, en supprimant seulement quelques uns des petits fils ou verges que nous avons imaginés interposés entre les particules adjacentes du système, lors dis-je que ces fils ou verges qui étaient supposés transmettre le mouvement d'un corpuscule à l'autre n'en transmettent en effet aucun; c'est-à-dire lorsque la tension de quelques uns de ces fils, ou la pression de quelques unes de ces verges, est égale à zéro : car alors, en supprimant ces fils et verges, dont les tensions ou pressions sont nulles, on ne change évidemment rien du tout à l'action réciproque des corps, et cependant il est possible qu'on rende par là le système susceptible de quelques mouvements géométriques, qui ne pourraient avoir lieu sans cela : rien n'empêche donc alors qu'on ne regarde comme anéantis ces fils et verges, puisqu'ils n'influent en rien sur l'état du système, et qu'on n'emploie par conséquent comme géométriques, les mouvements qui, sans l'être effectivement, le deviennent cependant par cette suppression.

De plus, lorsque deux corps sont contigus l'un à l'autre, c'est la même chose évidemment de supprimer la petite verge que nous avons imaginée interposée entre deux, pour les empêcher de se rapprocher, ou de supposer que ces corps soient perméables l'un à l'autre, c'est-à-dire qu'ils puissent se pénétrer aussi facilement que l'espace vide est pénétré par tous les corps ; d'où il suit évidemment qu'en général, dans un système quelconque de corps agissant les uns sur les autres, soit immédiatement, soit par des fils et verges, c'est-à-dire par l'entremise d'une Machine quelconque, s'il se trouve quelque fil, verge ou autre partie quelconque de la Machine qui n'exerce aucune action sur les corps qui lui sont appliqués, c'est-à-dire qui puisse être anéantie, sans qu'il en résulte aucun changement dans l'action réciproque de ces corps, on pourra traiter comme géométriques tous les mouvements qui, sans l'être effectivement, le deviendraient par cette suppression, de même que ceux qui le deviendraient aussi, en regardant comme librement perméables l'un à l'autre ceux des corps entre lesquels il ne s'exerce aucune pression, quoiqu'ils soient adjacents. Voici maintenant quelle est l'utilité de cette observation.

Si lorsqu'on entreprend la solution de quelque problème, on sait d'avance que telle partie de la Machine n'exerce aucune action sur les autres parties du système, on pourra supposer que cette partie de Machine est totalement anéantie, et chercher le mouvement du système d'après cette hypothèse, c'est-à-dire en traitant comme géométriques tous les mouvements qui le deviendraient réellement par cette supposition ; et de même, si l'une des conditions données du problème, est que tels corps adjacents n'exercent l'un sur l'autre aucune pression, on exprimera cette condition, en regardant ces deux corps comme perméables l'un à l'autre; c est-à-dire en traitant comme géométriques les mouvements qui le deviendraient en effet par cette supposition.

Mais s'il arrivait qu'on ignorât si cette pression est réelle ou nulle, il faudrait chercher le mouvement du système, en supposant d'abord à volonté l'un ou l'autre ; on supposera donc, par exemple, que cette pression est réelle ; alors si en cherchant, d'après cette hypothèse, la valeur de cette pression, on la trouve réelle et positive, on conclura que l'hypothèse est légitime, et le résultat exact; sinon on serait assuré que la pression en question est nulle, et qu'on peut par conséquent traiter comme géométriques les mouvements qui le deviendraient en effet, si les deux corps dont il s'agit étaient librement perméables l'un à l'autre.

De même, s'il y avait dans le système une Machine, un fil par exemple, et qu'on ignorât si la tension de ce fil est nulle ou réelle, on pourrait faire le calcul, en supposant d'abord qu'il y a réellement tension ; alors, si l'on trouve pour la valeur de cette tension une quantité réelle et positive, on conclura que la supposition était légitime, et que le résultat est exact ; sinon il faudra recommencer le calcul, en partant de la supposition contraire, c'est-à-dire en supposant que la tension du fil soit égale à zéro ; ce qui se fera, en supposant le fil anéanti, c'est-à-dire en traitant comme géométriques les mouvements qui le seraient effectivement, si le fil en question n'existait pas.

Il suit de là que pour tirer dans chaque cas particulier de l'équation générale (F), toutes les équations déterminées qu'elle peut donner, il faut :

1°. faire prendre au système tous les mouvements géométriques dont il est susceptible ;

2°. traiter encore comme tels tous ceux qui le deviendraient, en supprimant quelque Machine ou partie de Machine, dont l'action sur le reste du système soit nulle, ou en regardant comme perméables l'un à l'autre les corps entre lesquels, quoique adjacents, il ne s'exerce aucune pression ;

3°. enfin, si l'on est en doute que tel fil, verge ou partie quelconque de Machine ait ou non une action réelle sur les autres parties du système, ou qu'il y ait pression réelle entre deux corps adjacents, il faut éclaircir d'abord ce doute, en supposant la chose en question, comme on l'a expliqué ci-dessus, et en traitant comme géométriques les mouvements que ces suppositions auront fait découvrir pouvoir être pris pour tels.

D'après cette remarque, il paraît donc à propos d'étendre le nom de géométriques à tous les mouvements, qui sans l'être effectivement, le deviennent, en supprimant quelque Machine ou partie de Machine qui n'influe en rien sur l'état du système, et en regardant aussi comme parfaitement perméables l'un à l'autre les corps qui se touchent, sans qu'il s'exerce entre eux aucune pression, c'est-à-dire sans qu'il y ait autre chose qu'une simple juxtaposition : ainsi nous comprendrons dorénavant tous ces mouvements, sous le nom commun de mouvements géométriques, puisqu'en effet ils se déterminent également par des opérations purement géométriques, et s'emploient de même pour tirer de l'équation générale (F), des équations déterminées, attendu que la propriété générale et exclusive[1] de ces mouvements, est de changer l'état du système, sans altérer l'action réciproque des corps qui le composent; cependant, pour laisser entre eux quelque distinction, on peut appeler les premiers, mouvements géométriques absolus, et les autres, mouvements géométriques par supposition ; mais lorsque je parlerai simplement de mouvements géométriques, sans les désigner autrement, on entendra indifféremment les uns et les autres.

Cela posé, puisque nous avons expliqué comment on peut déterminer, sans le secours d'aucun principe mécanique, tous les mouvements géométriques dont un système donné est susceptible, il s'en suit que le problème général que nous nous étions proposé, se trouve entièrement réduit par l'équation générale ( F ), à des opérations purement géométriques et analytiques ; il faut cependant observer qu'il ne suffit pas d'attribuer aux arbitraires u, différentes valeurs, mais qu'il faut aussi leur attribuer différents rapports ou directions ; car si l'on se contentait de leur attribuer différentes valeurs, sans rien changer aux rapports ni aux directions, on obtiendrait différentes équations toutes justes à la vérité, mais qui se réduiraient évidemment à la même, en les multipliant par différentes constantes.


Remarque II.


XIX. Comme il n'est encore question jusqu'ici que de corps durs, il est clair que parmi les différentes valeurs qu'on peut attribuer à la la vitesse V est elle-même comprise, c'est-à-dire que le mouvement réel du système est lui-même un des mouvements géométriques dont il est susceptible ; la première équation (E) est donc contenue dans l'équation indéterminée (F), et par conséquent on peut réduire à cette seule équation (F) toutes les lois de l'équilibre et du mouvement dans les corps durs.

Or, on vient de voir que cette équation n'est autre chose que la première (E), à laquelle on est parvenu à donner plus d'extension par le moyen des mouvements géométriques ; mais, comme on le verra bientôt (XXIV), l'analogie de cette équation (E) avec le principe de la conservation des forces vives dans le choc des corps parfaitement élastiques, devient frappante, par une légère transformation; et nous verrons (XXVI), qu'en effet ce n'est autre chose que ce principe lui-même transféré aux corps durs, avec la modification qu'exige la différente nature de ces corps : c'est donc cette conservation de forces vives, qui servira, comme nous en avions prévenu, de base à toute notre théorie des Machines, soit en repos, soit en mouvement.

D'après ces remarques, on va récapituler brièvement la solution du problème précédent, pour faire voir d'un coup d'œil la suite des opérations qu'on vient d'indiquer.


Problème.


XX. Connaissant le mouvement virtuel d'un système quelconque donné de corps durs ( c'est-à-dire celui qu'il prendrait, Si chacun des corps était libre de trouver le mouvement réel qu'il doit avoir l'instant suivant.


Solution.

Nommons :


Chaque molécule du système m
Sa vitesse virtuelle donnée W
Sa vitesse réelle cherchée V
La vitesse qu'elle perd, de sorte que W soit la résultante de V et de cette vitesse U
Imaginons maintenant qu'on fasse prendre au système un mouvement géométrique arbitraire, et soit la vitesse qu'aura alors m u
L'angle formé par les directions de W et V X
L'angle formé par les directions de W et U Y
L'angle formé par les directions de V et U Z
L'angle formé par les directions de W et u x
L'angle formé par les directions de V et u y
L'angle formé par les directions de U et u z


Cela posé, on aura l'équation ∫ m u U cos z = 0 (F), par le moyen de laquelle on trouvera dans tous les cas l'état du système, en attribuant successivement aux indéterminées u, différents rapports et directions arbitraires.


Définitions.


XXI. Imaginons un système de corps en mouvement d'une manière quelconque : soient m les masses de chacun de ces corps, et V sa vitesse ; supposons maintenant qu'on fasse prendre au système un mouvement quelconque géométrique, et soient u la vitesse qu'aura alors m, et que j'appellerai sa vitesse géométrique, et y l'angle compris entre les directions de V et u ; cela posé, la quantité m u V cos y fera nommée moment de la quantité de mouvement m V, à l'égard de la vitesse géométrique u, et la somme de toutes ces quantités, c'est-à-dire ∫ m u V cos y, fera nommée moment de la quantité de mouvement du système à l'égard du mouvement géométrique, qu'on lui a fait prendre : ainsi le moment de la quantité de mouvement d'un système de corps, à l'égard d'un mouvement quelconque géométrique, est la somme des produits des quantités de mouvement des corps qui le composent, multipliées chacune par la vitesse géométrique de ce corps, estimée dans le sens de cette quantité de mouvement. De sorte qu'en conservant les dénominations du problème, ʃ m u W cos x est le moment de la quantité de mouvement du système avant le choc ; ʃ m u Y cos y est le moment de la quantité de mouvement du même système après le choc ; et ∫ m u U cos Z est le moment de la quantité de mouvement perdu dans le choc : ( tous ces moments étant rapportés au même mouvement géométrique ). Ainsi de l'équation fondamentale (F) on peut conclure que dans le choc des corps durs, soit que ces corps soient tous mobiles, ou qu'il y en ait de fixes, ou ce qui revient au même, soit que ce choc soit immédiat, ou qu'il se fasse par le moyen d'une Machine quelconque sans ressort, le moment de la quantité de mouvement perdue par le système général est égal à zéro.

W étant la résultante de V et U, il est clair qu'on a W cos x = cos y + U cos z, ou m u W cos x = m u V cos y + m u U cos z, ou enfin ʃ m u W cos x = ʃ m u V cos y + ʃ m u U cos z; or, nous avons trouvé ʃ m u U cos z = 0; donc ʃ m u W cos x = ʃ m u V cos y, c'est-à-dire qu'à l'égard d'un mouvement quelconque géométrique, le moment de quantité de mouvement du système, immédiatement après le choc, est égal au moment de quantité de mouvement immédiatement avant le choc.

Lorsqu'on décompose la vitesse que prendrait un corps s'il était libre, en deux, dont l'une soit la vitesse qu'il prend réellement, l'autre est la vitesse qu'il perd ; et réciproquement si l'on décompose la vitesse qu'il prend, en deux, dont l'une soit celle qu'il aurait prise s'il eût été libre, l'autre sera la vitesse qu'il gagne : d'où il suit visiblement que ce qu'on entend par la vitesse gagnée par un corps, et ce qu'on entend par sa vitesse perdue, sont deux quantités égales et directement opposées : cela posé, le moment de la quantité de mouvement perdue par m, à l'égard de la vitesse géométrique u, étant, suivant la définition précédente m u U cos z, le moment de la quantité de mouvement gagnée par le même corps sera - m u U cos z ; car il n'y a de différence entre ces deux quantités, qu'en ce que l'angle compris entre u et la vitesse gagnée, est le supplément de celui compris entre u et U ; de sorte que l'un de ces angles étant aigu, l'autre sera obtus, et son cosinus égal au cosinus de l'autre, pris négativement.

Il suit de là que le moment de la quantité de mouvement perdue par le système général, à l'égard d'un mouvement quelconque géométrique, ( lequel est nul, comme on l'a vu ci-dessus ), est la même chose que la différence entre le moment de quantité de mouvement perdue par une partie quelconque des corps qui le composent, et le moment de la quantité de mouvement gagnée par les autres corps du même système ; donc cette différence est égale à zéro ; donc l'une de ces deux quantités est égale à l'autre, c'est-à-dire que le moment de quantité de mouvement perdue dans le choc par une partie quelconque des corps du système, à l'égard à un mouvement quelconque géométrique, est égal au moment de quantité de mouvement gagnée par les autres corps du même système.

On peut donc, de la définition précédente, recueillir les trois propositions contenues dans le théorème suivant.


Théorème.


XXII. Dans le choc des corps durs, soit que ce choc soit immédiat, ou qu'il se fasse par le moyen d'une Machine quelconque sans ressort, il est constant qu'à l'égard d'un mouvement quelconque géométrique :

1°. Le moment de la quantité de mouvement perdue par tout le système, est égal à zéro.

2°. Le moment de la quantité de mouvement perdue par une partie quelconque des corps du système, est égal au moment de la quantité de mouvement gagnée par l'autre partie.

3°. Le moment de la quantité de mouvement réelle du système général, immédiatement après le choc, esl égal au moment de la quantité de mouvement du même système, immédiatement avant le choc.


Il est clair, par la définition précédente, que ces trois proportions sont identiques au fonds, et ne sont autre chose que l'équation même fondamentale ( F ) exprimée de diverses manières.

On peut remarquer aussi que ces propositions ont beaucoup de rapport à celles que l'on tire de la considération des moments, relativement à différents axes ; mais celles-ci sont moins générales, et se tirent aisément de celles qu'on vient d'établir (XVII).


Il y a donc, comme on voit, par la troisieme proposition de ce théorème ; il y a, dis-je, dans toute percussion ou communication de mouvement, soit immédiate, soit faite par l'entremise d'une Machine, une quantité qui n'est point altérée par le choc : cette quantité n'est pas, comme l'avait pensé Descartes, la somme des quantités de mouvement ; ce n'est pas non-plus la somme des forces vives, car celle-ci ne se conserve que dans le cas où le mouvement change par degrés insensibles, comme on verra plus bas, et elle diminue toujours lorsqu'il y a percussion, comme on le prouvera dans le corollaire second : lorsque le système est libre, la quantité de mouvement estimée dans un sens quelconque, est à la vérité la même avant et après la percussion ; mais cette conservation n'a plus lieu, s'il y a des obstacles, non-plus que celle des moments de quantité de mouvements rapportés à différents axes : toutes ces quantités sont donc altérées par le choc, ou du moins ne se conservent que dans quelques cas particuliers ; mais il y a une autre quantité que ni les divers obstacles qui s'opposent au mouvement, ni les Machines qui le transmettent, ni l'intensité des différentes percussions ne peuvent changer ; c'est le moment de quantité de mouvement du système général, à l'égard de chacun des mouvements géométriques dont il est susceptible, et ce principe renferme en lui seul toutes les lois de l'équilibre et du mouvement dans les corps durs ; nous verrons même dans le corollaire IV, que cette loi s'étend également aux autres espèces de corps, quelle qu'en soit la nature et le degré d'élasticité.

Si le choc détruisait tous les mouvements, on aurait V = 0, ainsi l'équation se réduirait à f m W u cos x = 0, qui nous apprend que ce cas arrive, c'est-à-dire que tous les mouvements se détruisent réciproquement par le choc, dans le cas où immédiatement avant ce choc, le moment de la quantité de mouvement du système général est nul relativement, à tous les mouvements géométriques dont il est susceptible.


Corollaire I[modifier]

XXIII. Parmi tous les mouvements dont est susceptible un système quelconque de corps durs agissants les uns sur les autres, soit par un choc immédiat, soit par des Machines quelconques sans ressort, celui de ces mouvements qui aura lieu réellement, l'instant d'après, sera le mouvement géométrique, qui est tel que la somme des produits de chacune des masses par le carré de la vitesse qu'elle perdra, est un minimum, c'est-à-dire moindre que la somme des produits de chacun de ces corps, par la vitesse qu'il aurait perdue, si le système eût pris un autre mouvement quelconque géométrique.

Sur quoi il faut remarquer qu'en donnant pour minimum la somme des produits de chaque masse, par le carré de sa vitesse perdue, j'entends seulement que la différentielle de cette somme est nulle, c'est-à-dire que sa différence avec ce qu'elle serait si le système avait un mouvement géométrique infiniment peu différent du premier, est égal à zéro : ainsi cette somme peut être quelquefois un maximum, ou même n'être ni un maximum ni un minimum, et j'ai seulement à établir que d ∫ m U² = 0.


Démonstration.


Il est d'abord évident que le vrai mouvement du système après le choc doit être géométrique, car les mouvements géométriques étant ceux qui n'altèrent point l'action qui s'exerce entre les corps, il est clair que le premier en ordre est le mouvement même que prend le système : il s'agit donc de savoir quel est, parmi tous les mouvements géométriques possibles, celui qui doit avoir lieu : or, supposons que s'il en prenait un autre infiniment peu différent de celui qu'on cherche, la vitesse de chaque molécule m fût alors V' ; décomposons V' en deux, dont l'une soit V ; c'est-à dire la vitesse réelle, et l'autre V, cela posé, il est évident que si les corps n'avaient pas d'autres vitesses que ces dernières V, le mouvement serait encore géométrique, car V est visiblement la résultante de V' et d'une vitesse égale et directement opposée à V ; or, par hypothèse, les molécules prises deux à deux ne tendent ni en vertu de V', ni en vertu de - V, à se rapprocher ou à s'éloigner, puisque dans ces deux cas le mouvement est géométrique ; donc, en supposant que les molécules m aient à la fois les vitesses V' et - V ou leur résultante V, ils ne tendront non-plus ni à se rapprocher ni à s'éloigner ; et partant, le mouvement sera alors géométrique : donc, si l'on appelle z l'angle compris entre les directions de V et U, on aura par l'équation fondamentale (F) ʃ m U V cos z = 0 ; d'un autre côté, nommons U' la vitesse que perdrait m si sa vitesse effective était V', de sorte que W soit la résultante de V' et de U', il faudra nécessairement que U' soit composée de U et d'une vitesse égale et directement opposée à V ; d'où il suit évidemment que U' - U où d U = - V cos z ; donc l'équation ∫ m U V cos z = 0, trouvée ci-dessus, devient ∫ m U d U = 0 ou d f m U² = 0.

Je suppose, par exemple, que deux globes A et B, venant à se choquer obliquement, on demande leurs mouvements après le choc.

Supposons que la vitesse de A, estimée suivant la ligne des centres, soit avant le choc a, et après le choc V ; que celle de B, aussi estimée suivant la ligne des centres, soit avant le choc b, et après le choc u ; que celle de A, estimée perpendiculairement à la même ligne, soit avant le choc a', et après le choc V' ; qu'enfin celle de B, aussi estimée perpendiculairement à cette ligne des centres, soit avant le choc b', et après le choc u' ; cela posé, par notre proposition, le mouvement devant être géométrique, il faut d'abord qu'on ait V = u, ainsi la vitesse perdue par A, suivant la ligne des centres, fera a - u, et celle perdue par B, dans le même sens, fera b - u ; de plus, dans le sens perpendiculaire à la ligne des centres, la vitesse perdue par A fera a'- V' et celle perdue par B, fera b' - u'; donc √(( a - u )² + ( a'- V')²) sera la vitesse absolue perdue par A, et celle perdue par B sera √((b - u)² + ( b' - u' )²) ; donc, suivant la proposition, on doit avoir d ( A (a - u )² + A (a' - V')²+B (b - u)² + B ( b' - u' )² ) = 0, où A ( a - u )² d u + A ( a'- V' ) d V' + B ( b- u ) d u + B ( b' - u') d u' = 0, équation qui doit avoir lieu généralement, c'est-à-dire, quelles que soient les valeurs de d u, d V', et d u' ; il faut donc que le coefficient de chacune de ces différentielles soit égal à zéro; ce qui donne V' = a', u' = b', et u = (A a + B b ) / ( A + B ) ; ce qu'il fallait trouver.

Il est clair que cette proposition renferme toutes les lois du choc des corps durs, soit que ce choc soit immédiat, ou qu'il se fasse par le moyen d'une Machine quelconque, puisqu'il assigne le caractère auquel on reconnaîtra parmi tous les mouvements qui sont possibles, celui qui doit avoir lieu réellement à chaque instant : ce principe a beaucoup d'analogie avec celui que M. de Maupertuis a trouvé et nommé principe de la moindre action. (Essai de cosmologie).


Corollaire II[modifier]

XXIV. Dans le choc des corps durs, soit qu'il y en ait de fixes, ou qu'ils soient tous mobiles ( ou ce qui revient au même ) soit que ce choc soit immédiat, ou qu'il se fasse par le moyen d'une Machine quelconque sans ressort ; la somme des forces vives avant le choc, est toujours égale à la somme des forces vives après le choc, plus la somme des forces vives qui aurait lieu si la vitesse qui reste à chaque mobile, était égale à celle qu'il a perdue dans le choc.

C'est-à-dire qu'il faut prouver l'équation suivante ʃ m W² = ʃ m V² + ʃ m U² ; or, elle se déduit facilement de l'équation fondamentale (E), car W étant résultante de V et U, il est clair que W V et U sont proportionnelles aux trois côtés d'un certain triangle : donc, par la trigonométrie, on a W² = V² + U² + v U cos Z : donc, ʃ m W² = ʃ m y² + ʃ m U² + 2ʃ m V U cos Z : or, par l'équation (E) on a ʃ m V U cos Z = 0 ; donc l'équation précédente se réduit à ʃ m W² = ʃ m V² + ʃ m U² ; ce qu'il fallait prouver.

On voit donc, comme nous l'avons dit ( XXI ), que par cette transformation l'analogie de l'équation (E) avec la conservation des forces vives, devient frappante ; aussi peut-on aisément démontrer l'une par l'autre, comme on verra ( XXVI ).

L'analogie de cette même équation avec la conservation des forces vives dans un système de corps durs dont le mouvement change par degrés insensibles, est encore plus évidente, puisqu'il s'agit alors d'un cas particulier de celui que nous venons d'examiner ; c'est en effet visiblement le cas particulier ou U est infiniment petite, et partant U² infiniment petite du second ordre ; ce qui réduit l'équation à ʃ m W² = ʃ m V² ; mais cette conservation sera expliquée plus au long dans le corollaire suivant.


Corollaire III[modifier]

XXV. Lorsqu'un système quelconque de corps durs change de mouvement par degrés insensibles :

si pour un instant quelconque on appelle m la masse de chacun des corps, V sa vitesse, p sa force motrice, R l'angle compris entre les directions de V et p, U la vitesse qu'auroit m, si on faisait prendre au système un mouvement quelconque géométrique, r l'angle formé par u et p, y l'angle formé par V et u, d t l'élément du temps, on aura ces deux équations :

ʃ m V p d t cos R - ʃ m V d V = 0.

ʃ m u p d t cos r - ʃ m u d ( V cos y ) = 0.


Démonstration.


Premièrement, p de cos R est visiblement la vitesse que la force motrice p aurait imprimée à m dans le sens de V, si ce corps eût été libre ; de plus, d V est la vitesse qu'il reçoit réellement dans le même sens ; donc p d t cos R - d V est la vitesse perdue par m dans le sens de V, en vertu de l'action réciproque des corps : c'est donc cette quantité qu'il faut mettre pour U cos Z dans l'équation fondamentale (E), laquelle devient par cette substitution ʃ m V p d t cos R - ʃ m V d V = 0, qui est la première des deux équations que nous avions à démontrer.

Secondement, p d t cos r est la vitesse que la force motrice p aurait imprimée à m dans le sens de u, si ce corps eût été libre; de plus, V cos y étant la vitesse de m dans le sens de u, d (V cos y) est la quantité dont cette vitesse estimée dans le même sens augmente ; donc p d t cos r - d ( V cos y ) est la vitesse perdue par m dans le sens de u, en vertu de l'action réciproque des corps : c'est donc cette quantité qu'il faut mettre pour U cos z dans la seconde équation (F), laquelle devient par cette substitution ʃ m u p d t cos r - ʃ m u d ( V cos y ) = 0, qui est la seconde des deux équations que nous avions à démontrer.

Ces équations ne font donc autre chose que les équations fondamentales (E) et (F) appliquées au cas où le mouvement change par degrés insensibles ; et partant, elles renferment toutes les lois de ce mouvement : on peut remarquer de plus, que la première de ces deux équations n'est qu'un cas particulier de la seconde, par la même raison que l'équation (E) d'où elle est tirée, est contenue dans celle (F) d'où est tirée la seconde ; mais cette première équation ʃ m V p d t cos R - f m V d V = 0 mérite une attention particulière ; parce qu'elle renferme le fameux principe de la conservation des forces vives dans un système de corps durs dont le mouvement change par degrés insensibles, comme on va l'expliquer.

Nommons d'abord d s l'élément de la courbe décrite par le corpuscule m pendant d t ; cela posé, nous aurons V d t = d s; et partant, l'équation précédente prend cette forme ʃ m p d s cos R- ʃ m V d V = 0 : maintenant supposons pour un instant que la courbe décrite par m soit une ligne inflexible, que m soit un grain mobile enfilé dans cette courbe, qu'il la parcourt librement, c'est-à-dire sans être gêné par les réactions des autres parties du système, qu'il éprouve à chaque point de cette courbe la même force motrice que celle dont il était animé dans le premier cas, et qu'enfin dans ce premier cas la vitesse initiale de m soit K, tandis que dans le second elle fera nulle au premier instant, et V' après un temps indéterminé t; cela posé, en intégrant l'équation précédente pour avoir l'état du système au bout du temps t ; nous aurons pour le premier cas ʃ' ʃ m p d s cos R - ʃ' ʃ m V d V = 0, ʃ' désignant le signe d'intégration relatif à la durée du mouvement, tandis que ʃ est le signe d'intégration relatif à la figure du système ; or, ʃ'ʃ m V d V = (ʃ m V²)/2 donc l'équation peut se mettre sous cette forme ʃ' ʃ m p d s cos R- ʃ m V² + C = 0 ; C étant une constante ajoutée pour compléter l'intégrale, pour la déterminer, on observera qu'au premier instant on a V = K et ʃ'ʃ m p d s cos R = 0 ; donc C = f m K² ; donc ²ʃ' ʃ m p d s cos R - ʃ m V² + ʃ m K² = 0 ; par les mêmes raisons on a pour le second cas ²ʃ'ʃ m p d s cos R - ʃ m V'² = 0, sans constante, parce qu'on suppose V' nulle au premier instant ; ôtant donc cette équation de la précédente, réduisant, et transposant, on a ʃ m V² = ʃ m K² + ʃ m V'² ; c'est. à-dire que dans un systéme quelconque de corps durs, dont le mouvement change par degrés insensibles, la somme des forces vives au bout d'un temps quelconque, est égale à la somme des forces vives initiales, plus la somme des forces vives qui aurait lieu, si chaque mobile avait pour vitesse celle qu'il aurait acquise en parcourant librement la courbe qu'il a décrite, en supposant d'ailleurs qu'il eût été animé à chaque point de cette courbe, de la même force motrice qu il y éprouve réellement, et que sa vitesse au premier instant eût été nulle.

C'est cette proportion qu'on appelle principe de la conservation des forces vives, et d'où l'on peut conclure que :

Dans un système de corps durs dont le mouvement change par degrés insensibles, et qui ne sont animés d'aucune force motrice, la somme des forces vives est une quantité constante, c'est-à-dire la même pour tous les instants.

Car dans ce cas on a par hypothèse p = 0, ce qui donne V' = 0, et partant ʃ m Y² = ʃ m K² ; équation qui se tire d'ailleurs immédiatement de celle ʃ' m p V d t cos R - ʃ m V d V = 0 trouvée ( XXIV ), laquelle à cause de p = 0, se réduit à ʃ m V d V = 0, dont l'intégrale complétée est ½ ʃ m V² - ʃ m K² = 0 ; d'où suit l'équation ʃ m V² = ʃ m K² : qu'il fallait prouver.


Corollaire IV[modifier]

XXVI. J'ai prouvé (XIX), que l'équation indéterminée (F) renferme toutes les lois de l'équilibre et du mouvement dans les corps durs ; je vais maintenant plus loin, et je dis que cette équation convient également aux corps qui ne le sont pas, et que par conséquent cette loi générale s'étend indistinctement à tous les corps de la nature : en effet, lorsque plusieurs corps qui ne sont pas durs agissent les uns sur les autres d'une manière quelconque, si l'on conçoit le mouvement qu'aurait pris chaque mobile s'il eut été libre, décomposé en deux, dont l'un soit celui qu'il prendra réellement, l'autre sera détruit ; d'où il suit visiblemnent que si les corps eussent été durs et n'eussent eu d'autres mouvements que ce dernier, il y aurait eu équilibre : ces mouvements détruits sont donc assujettis aux mêmes lois, ont entre eux les mêmes rapports, et peuvent enfin se déterminer de la même manière que si les corps étaient durs, c'est-à-dire par l'équation générale (F) ; cette équation (F) n'est donc point bornée aux corps durs, elle appartient également à tous les corps de la nature, et contient par conséquent toutes les lois de l'équilibre et du mouvement, non-seulement pour les premiers, mais même pour tous les autres, quel que puisse être leur degré de compressibilité; mais la différence consiste en ce que l'on peut, dans le cas où il s'agit de corps durs, supposer u = V; de sorte qu'alors ʃ m V U cos Z = 0, devient une des équations déterminées du problème, au lieu que cela n'est pas lorsque les corps sont d'une nature différente ; c'est donc cette équation déterminée, laquelle est la même que la première équation fondamentale (E), c'est dis-je cette équation déterminée qui caractérise les corps durs, et par conséquent il est absolument nécessaire de l'employer au moins implicitement dans toutes les questions qui concernent ces corps; et lorsqu'il s'agit de corps d'une autre espèce, il faut, outre les équations déterminées, qu'on peut obtenir en attribuant à u dans l'équation indéterminée, (F) différentes valeurs connues, il faut, dis-je en tirer encore une qui soit analogue à l'équation (E), et qui exprime en quelque forte la nature de ces corps, de même que celle-ci (E) exprime celle des corps durs ; mais comme cette recherche n'a qu'un rapport fort indirect aux Machines proprement dites, nous nous bornerons ici à examiner le cas où le degré d'élasticité est le même pour tous les corps, c'est-à-dire que nous supposerons qu'en vertu de l'élasticité, les corps exercent les uns sur les autres des pressions n fois aussi grandes que si les corps étaient durs, n étant la même pour tous les corps du système; nous supposerons de plus que la pression et la restitution se fassent dans un instant indivisible, quoiqu'en rigueur cela soit impossible. Cela posé :

Les pressions réciproques F devenant n F, auront entre elles les mêmes rapports que si les corps étaient durs ; donc leurs résultantes m U n'auront point changé de directions, mais seront seulement devenues n fois aussi grandes qu'elles auraient été si les corps avaient été durs ; cela posé, puisque W est la résultante de V et U, on a V cos Z = W cos Y - U; ainsi l'équation (E) à laquelle nous cherchons une analogue, peut se mettre fous cette forme ʃ m W U cos Y - ʃ m U² = 0 ; or, suivant ce qu'on vient de dire, il faut, pour appliquer cette équation au cas dont il s'agit ici, mettre U/n au lieu de U, sans rien changer à Y; donc pour le cas que nous examinons, l'équation fera ʃ m W U/n cos Y- ʃ m U² / n² = 0 : ou en multipliant par n², n ʃ m W U cos Y - ʃ m U² = 0, ou à cause de W cos Y = V cos Z + U, on aura n / ( 1 - n ) ʃ m V U cos Z = ʃ m U² ; ainsi cette équation fera pour les corps dont il s'agit ce qu'est l'équation (E) pour les corps durs, et celle-ci même en est le cas particulier où l'on a n = 2, comme il est évident.

Lorsque n = 2 c'est le cas des corps parfaitement élastiques, et l'équation devient 2 ʃ m V U cos Z + ʃ m U² = 0 ; mais cette équation relative aux corps parfaitement élastiques, peut s'exprimer d'une manière connue et plus simple, comme il suit : puisque W est la résultante de V et U, on a par la trigonométrie W² = V² + u² + ² V u cos Z; et partant ʃ m W² = ʃ m V²+ʃ m U² + ²ʃ m V U cos Z ; ajoutant à cette équation celle trouvée ci-dessus, et réduisant, on a ʃ m W² = ʃ m V², qui est précisément le principe de la conservation des forces vives, c'est-à-dire que cette conservation est pour les corps parfaitement élastiques, ce qu'est l'équation (E) pour les corps durs, comme nous avions promis de le prouver.


Remarque I[modifier]

XXVII. Je ne m'arrêterai point aux conséquences particulières que je pourrais tirer de la solution du problème précédent; je remarquerai seulement que les vitesses W, V, U, étant toujours proportionnelles aux trois côtés d'un triangle, la trigonométrie peut fournir les moyens de donner un grand nombre de formes différentes aux équations fondamentales (E) et (F), et je me contenterai d'en indiquer une qui est remarquable, à cause de la méthode imaginée par les Géomètres, de rapporter les mouvements à trois plans perpendiculaires entre eux ; ce qui donne aux solutions beaucoup d'élégance et de simplicité.

Imaginons donc à volonté trois axes perpendiculaires entre eux, et concevons que les vitesses W, V, U et u, soient décomposées chacune en trois autres parallèles à ces axes. Cela posé, nommons :

Celles qui répondent à W, W', W, W'

Celles qui répondent à V, V', V, V'

Celles qui répondent à U, U', U, U'

Celles qui répondent à u, u', u, u'


Maintenant, pour peu qu'on y fasse attention, on verra aisément que la première équation fondamentale (E) peut se mettre sous cette forme ʃ m V' U' + ʃ m V V + ʃ m V U = 0, et la seconde (F) sous celle-ci ʃ m U' U' + ʃ m U U + ʃ m U U = 0, parce qu'en général toute quantité qui est le produit de deux vitesses A et B, par le cosinus de l'angle compris entre elles, est égale à la somme de trois autres produits A' B' + A B + A B ; A', A, A, étant la vitesse A estimée de ces trois axes, et B' B B étant la vitesse B estimée dans le sens de ces mêmes axes ; c'est-à-dire A' étant la vitesse A, et B' la vitesse B, estimées parallèlement au premier de ces axes; A et B les mêmes vitesses A et B estimées parallèlement au second axe ; A et B les mêmes vitesses estimées parallèlement au troisième axe : ce qui se prouve aisément par les éléments de géométrie.

Dans le cas d'équilibre, la première de ces équations transformées se réduit à 0 = 0, et la seconde, du fait que dans ce cas W = U devient ʃ m u' W' + ʃ m u W + ʃ m u W = 0, laquelle exprime toutes les conditions de l'équilibre.


Lorsque le mouvement change par degrés insensibles, nous avons trouvé (XXV) que les équations fondamentales deviennent ʃ m V p d t cos R - ʃ m V d V = 0, et ʃ m u p d t cos r - ʃ m u d ( V cos y ) = 0 ; donc en décomposant p en trois autres forces parallèles aux trois axes, si ces forces composantes font désignées par p', p, p', les équations précédentes deviendront, la première, ʃ m V' p' d t + ʃ m V p d t + ʃ m V p d t = ʃ m V' d V' + ʃ m V d V + ʃ m V d V, et la seconde, ʃ m u' p' d t + ʃ m u p d t + ʃ m u p d t = ʃ m u' d V' + ʃ m u d V + ʃ m u d V ; enfin, dans le cas d'équilibre, la première s'évanouira, et la seconde se réduira à ʃ m u' p' + ʃ m u p + ʃ m u p = 0.


== Remarque II. ==


XXVIII. Jusqu'ici j'ai regardé les fils, verges, leviers, etc, comme des corps faisant eux-mêmes partie du système. Et cette hypothèse est entièrement conforme à la nature ; mais une chose qu'il est indispensablement nécessaire d'observer, c'est qu'à parler strictement, il n'y a probablement dans l'univers aucun point absolument fixe, aucun obstacle absolument immobile; l'hypomochlion d'un levier ne paraît tel, que parce qu'il est appuyé sur la terre qui n'est point fixe elle-même, mais dont la masse est presque infiniment grande en comparaison de celles dont on considère ordinairement dans les Machines l'action et la réaction les unes sur les autres : pour déplacer l'hypomochlion d'un levier, il faut donc aussi mettre en mouvement le globe de la terre ; et il y est en effet, quelque faibles que soient les puissances qui agissent sur la Machine ; la quantité de mouvement qu'elles lui procurent, est égale à la résistance de l'hypomochlion ; mais cette quantité finie de mouvement, se distribuant dans une masse presque infiniment grande, il en résulte à cette masse une vitesse presque infiniment petite, et voilà pourquoi ce mouvement n'est pas sensible, et peut se négliger dans la pratique.

Il suit de là que ce qu'on appelle obstacles immobiles en mécanique, ne sont autre chose que des corps dont la masse est si considérable, et par conséquent la vitesse si petite, que leur mouvement ne peut être observé : ce sera donc se rapprocher de la nature, que de considérer les obstacles ou points fixes, comme des corps mobiles aussi bien que tous les autres, mais d'une masse infiniment grande, ou ce qui revient ait même, comme des corps d'une densité infinie, et qui ne différent qu'en ce point de tous les autres corps du système. Il résultera de là un avantage considérable, c'est qu'on pourra faire prendre au système où entreront ces corps, des mouvements quelconques géométriques ; car dès qu'on supposera ces obstacles mobiles comme tous les autres corps, ils deviendront susceptibles de prendre des mouvements quelconques ; et le système général devra être regardé comme un assemblage de corps parfaitement mobiles : en conséquence, les quantités de mouvement, absorbées par les obstacles, pourront s'évaluer comme pour toutes les autres parties du système; de sorte que si l'on appelle R la résistance d'un point fixe donné, cette quantité R sera dans l'équation (F) pour le point en question, ce qu'est m U pour le corps m : on trouvera donc par cette équation cette même quantité R comme toutes les autres forces m U, ce qui n'aurait pu se faire en considérant les obstacles comme absolument immobiles, sans avoir recours à quelque nouveau principe mécanique, qu'il aurait fallu faire concourir avec l'équation générale (F) pour parvenir à la solution complète de chaque problème particulier : ainsi cette manière de considérer les points fixes est non seulement la plus conforme à la nature, comme nous l'avons dit ci-dessus, mais encore la plus simple et la plus facile.

Quant aux fils, verges ou autres portions quelconques du système dont les masses pourront être supposées infiniment petites, on pourra les négliger, c'est-à-dire, supposer chacune de leurs molécules m égale à zéro, ou ce qui revient au même, regarder leur densité comme infiniment petite ou nulle ; notre équation ( F ) deviendra donc ainsi indépendante de ces quantités, c'est-à-dire la même que si l'on eût fait abstraction de la masse de ces corps ; et c'est ainsi qu'on trouvera aisément la théorie mathématique de chaque Machine, c'est-à-dire en faisant les abstractions dont on a parlé (VIII).


XXIX. De cette remarque, il résulte que quoiqu'il n'y ait qu'une seule espèce de corps dans la nature, on les distingue cependant, pour la facilité des calculs, en trois classes différentes, qui sont :

1°. ceux qu'on considère tels qu'ils sont en effet et que la nature nous les offre, c'est-à-dire qui sont d'une densité finie ;

2°. ceux auxquels on attribue une densité infiniment grande, et qui par cette raison, doivent être regardés comme sensiblement fixes et immobiles ;

3°. ceux auxquels on attribue une densité infiniment petite ou nulle, et qui par conséquent n'opposent par leur inertie aucune résistance à leur changement d'état : on regarde ordinairement comme tels dans la pratique, les fils, verges, leviers et généralement tous les corps qui n'influent pas sensiblement par leur propre masse, aux changements qui arrivent dans le système, mais qui sont seulement regardés comme des moyens de communication entre les différents agents qui le composent.

Remarque III.[modifier]

XXX. Après avoir traité de l'équilibre et du mouvement en général, autant que mon objet principal puisse le permettre, je vais passer à ce qui regarde plus particuliérement ce qu'on entend communément par Machines ; car quoique la théorie de toute espèce d'équilibre et de mouvement rentre toujours dans les principes précédents, puisqu'il n'y a, suivant la première loi, que des corps qui puissent détruire ou modifier le mouvement des autres corps ; cependant il y a des cas où l'on fait abstraction de la masse de ces corps, pour ne considérer que l'effort qu'ils sont : par exemple, lorsqu'un homme tire un corps par un fil, ou le pousse par une verge, on n'introduit point dans le calcul la masse de cet homme, ni même l'effort dont il est capable, mais seulement celui qu'il exerce en effet sur le point auquel il est appliqué ; c'est-à-dire la tension du fil, si c'est en tirant qu'il agit, ou la pression, si c'est en poussant ; et sans considérer si c'est un homme ou un animal, un poids, un ressort, une résistance occasionnée par un obstacle ou par la force d'inertie d'un mobile[2], un frottement, une impulsion causée par le vent ou par un courant, etc, On donne en général le nom de puissance à l'effort exercé par l'agent, c'est-à-dire à cette pression ou tension par laquelle il agit sur le corps auquel il est appliqué; et l'on compare ces différents efforts sans égard aux agents qui les produisent, parce que la nature des agents ne peut rien changer aux forces qu'ils sont obligés d'exercer pour remplir les différents objets auxquels sont destinées les Machines : la Machine elle-même, c'est-à-dire le système des points fixes, obstacles, verges, leviers et autres corps intermédiaires qui servent à transmettre ces différents efforts d'un agent à l'autre ; la Machine, dis-je, elle-même est considérée comme un corps dépouillé d'inertie ; sa propre masse, lorsqu'il est nécessaire d'y avoir égard, soit à cause du mouvement qu'elle absorbe, soit à cause de sa pesanteur ou des autres forces motrices dont elle peut être animée, est regardée comme une puissance étrangère appliquée au système ; en un mot, une Machine proprement dite, est un assemblage d'obstacles immatériels, et de mobiles incapables de réaction, ou privés d'inertie, c'est-à-dire (XXIX) un système de corps dont les densités font infinies ou nulles : à ce système, on imagine que différents agents extérieurs, au nombre desquels on comprend la masse même de la Machine, sont appliqués, et se transmettent leur action réciproque par l'entremise de cette Machine : c'est la pression ou autre effort exercé par chaque agent sur ce corps intermédiaire, qu'on appelle force ou puissance, et c'est la relation qui existe entre ces différentes forces, dont la recherche est l'objet de la théorie des Machines proprement dites. Or, c'est sous ce point de vue, que nous allons maintenant traiter de l'équilibre et du mouvement ; mais une force prise dans ce sens, n'en est pas moins une quantité de mouvement perdue par l'agent qui l'exerce, quel que puisse être d'ailleurs cet agent ; qu'il agisse sur la Machine en la tirant par un cordon, ou en la poussant par une verge, la tension de ce cordon, ou la pression de cette verge, exprime également et l'effort qu'il exerce sur la Machine, et la quantité de mouvement qu'il perd lui-même par la réaction qu'il éprouve: si donc on appelle F cette force, cette quantité F sera la même chose que celle qui est exprimée par m U dans nos équations[3] ; donc si l'on appelle aussi Z, l'angle compris entre cette force F et la vitesse u, qu'aurait le point où on la suppose appliquée, si l'on faisait prendre au système un mouvement quelconque géométrique, l'équation générale (F) deviendra ʃ F u cos Z = 0 (AA). C'est donc sous cette forme que nous emploierons désormais cette équation, au moyen de quoi on pourra appliquer ce que nous dirons, à quelle espèce de force on voudra imaginer ; et les principes exposés dans cette première partie, nous serviront à développer les propriétés générales des Machines proprement dites, qui font l'objet de la seconde.

Seconde Partie.[modifier]

Des Machines proprement dites[modifier]

Définitions.


XXXI. Parmi les forces appliquées à une Machine en mouvement, les unes sont telles que chacune d'entre elles fait un angle aigu avec la vitesse du point où elle est appliquée ; tandis que les autres forment des angles obtus avec les leurs : cela posé, j'appellerai les premières forces mouvantes ou sollicitantes; et les autres, forces résistantes: par exemple, si un homme fait monter un poids par le moyen d'un levier, d'une poulie, d'une vis, etc, il est clair que la pesanteur et la vitesse du poids forment nécessairement, par leur concours, un angle obtus ; autrement il est visible que le poids descendrait au lieu de monter; mais la puissance motrice et sa vitesse forment un angle aigu ; ainsi, suivant notre définition, le poids sera la force résistante, et la force de l'homme sera sollicitante : il est visible en effet, que celle-ci tend à favoriser le mouvement actuel de la Machine, tandis que l'autre s'y oppose.

On observera que les forces sollicitantes peuvent être dirigées dans le sens même de leurs vitesses, puisqu'alors l'angle formé par leurs concours est nul, et par conséquent aigu ; et que les forces résistantes peuvent agi r dans le sens directement opposé à celui de leurs vitesses, puisqu'alors l'angle formé par leurs concours, est de 180°, et par conséquent obtus.

Il est à remarquer encore, que telle force qui est sollicitante, pourrait devenir résistante, si le mouvement venait à changer ; que telle force qui est résistante à un certain instant, peut devenir sollicitante à un autre instant, et qu'enfin pour en juger à chaque instant, il faut considérer l'angle qu'elle fait avec la vitesse du point où on la suppose appliquée ; si cet angle est aigu, la force fera sollicitante; et s'il est obtus, elle sera résistante, jusqu'à ce que l'angle en question vienne à changer. On voit par là, que si on fait prendre un mouvement géométrique à un système quelconque de puissances, chacune d'elles fera sollicitante ou résistante à l'égard de ce mouvement géométrique, suivant que l'angle formé par cette force, et sa vitesse géométrique sera aigu ou obtus.


XXXII. Si une force P Ce meut avec la vitesse u, et que l'angle formé par le concours de u et P soit z, la quantité P cos z u d t dans laquelle d t exprime l'élément du temps, sera nommée moment d'activité, consommé par la force P pendant d t ; c'est-à-dire que le moment d'activité, consommé par une force P, dans un temps infiniment court, est le produit de cette force estimée dans le sens de sa vitesse, par le chemin que décrit dans ce temps infiniment court, le point où elle est appliquée.


J'appellerai moment d'activité, consommé par cette force, dans un temps donné, la somme des moments d'activité, consommés par elle à chaque instant, de sorte que s P cos z u d t est le moment d'activité, consommé dans un temps indéterminé par elle ; par exemple, si P est un poids, le moment d'activité, consommé dans un temps indéterminé t, sera P ʃ u d t cos z ; supposons donc qu'après le temps t, le poids P soit descendu de la quantité H, on aura évidemment d H = u d t cos z; donc le moment d'activité, consommé pendant d t sera P ʃ d J I = P H.


XXXIII. Lorsqu'il s'agira d'un système de forces appliquées à une Machine en mouvement, j'appellerai moment d'activité, consommé par toutes les forces du système, la somme des moments d'activité, consommés en même temps par chacune des forces qui le composent ; ainsi le moment d'activité, consommé par les forces sollicitantes, sera la somme des moments d'activité, consommés en même temps par chacune d'elles, et le moment d'activité, consommé par les forces résistantes, sera la somme des moments d'activité, consommés par chacune de ces forces : et comme chaque force résistante fait un angle obtus avec la direction de sa vitesse ; le cosinus de cet angle est négatif ; le moment d'activité, consommé par les forces résistantes, est donc aussi une quantité négative; et partant, le moment d'activité, consommé par toutes les forces du système, est la même chose que la différence entre le moment d'activité, consommé par les forces sollicitantes, et le moment d'activité, consommé en même temps par les forces résistantes, considéré comme une quantité positive.

Une force estimée dans un sens directement opposé à celui de sa vitesse, et multipliée par le chemin que décrit dans un temps infiniment court, le point où elle est appliquée, s'appellera moment d'activité produit par cette force dans ce temps infiniment court : de sorte que le moment d'activité, consommé, et le moment d'activité, produit, sont deux quantités égales, mais de signes contraires ; et qu'il y a entre elles une différence analogue à celle qu'on trouve (XXI) entre les moments de quantité de mouvement, gagnées et perdues, par un corps, à l'égard d'un mouvement géométrique.

Je donnerai aussi le nom de moment d'activité, exercé par une force, à ce que j'ai appelé son moment d'activité, consommé, si elle est sollicitante, et à ce que j'ai appelé son moment d'activité, produit, si elle est résistante ; ainsi le moment d'activité, exercé par une force quelconque, dans un temps infiniment court, est en général le produit de cette force, par le chemin qu'elle décrit dans ce temps infiniment court, et par le cosinus du plus petit des deux angles formés par les directions de cette force et de sa vitesse ; d'où il suit évidemment que ce moment d'activité, exercé, est toujours une quantité positive.

On fera, à l'égard des quantités que nous venons d'appeler moments d'activité, produits, et moments d'activité, exercés, les mêmes remarques semblables à celles que nous avons faites ci-dessus, au sujet du moment d'activité, consommé par une puissance ou un système de puissances, dans un temps donné.

Ces définitions admises, je passe au principe général de l'équilibre et du mouvement dans les Machines proprement dites, et dont la recherche a été le principal objet de cet Essai.


Théorème Fondamental.

Principe général de l'équilibre et du mouvement dans les Machines[modifier]

XXXIV. Quel que soit l'état de repos ou de mouvement où se trouve un système quelconque de forces appliquées à une Machine, si on lui fait prendre tout-à-coup un mouvement quelconque géométrique, sans rien changer à ces forces, la somme des produits de chacune d'elles, par la vitesse qu'aura dans le premier instant le point ou elle est appliquée, estimée dans le sens de cette force, sera égale a zéro.

C'est-à-dire donc qu'en nommant F chacune de ces forces<ref name="ftn5">Il ne sera peut-être pas inutile de prévenir une objection qui pourrait se présenter à l'esprit de ceux qui n'auraient pas fait attention à ce qui a été dit (XXX) sur le vrai sens qu'on doit attacher au mot force : imaginons, par exemple, dira-t-on, un treuil à la roue et au cylindre duquel soient suspendus des poids par des cordes; s'il y a équilibre, ou que le mouvement soit uniforme, le poids attaché à la roue, sera à celui du cylindre, comme le rayon du cylindre est au rayon de la roue ; ce qui est conforme à la proposition. Mais il n'en est pas de même lorsque la Machine prend un mouvement accéléré ou retardé ; il paraît donc qu'alors les forces ne sont pas en raison réciproque de leurs vitesses estimées dans le sens de ces forces, comme il suivrait de la proposition. La réponse à cela, est que dans le cas où ce mouvement n'est pas uniforme, les poids en question ne sont pas les seules forces exercées dans le système, car le mouvement de chaque corps, changeant continuellement, il oppose aussi à chaque instant, par son inertie, une résistance à ce changement d'état ; il faut donc aussi tenir compte de cette résistance. Nous avons déjà dit (XXX. V. la note), comment cette force doit s'évaluer, et nous verrons plus bas (XLI), comment on doit la faire entrer dans le calcul. En attendant, il suffit de remarquer que les forces appliquées à la Machine dont il est ici question, ne sont pas les poids même, mais les quantités de mouvement perdues par ces poids (XXX), lesquelles doivent s'estimer par les tensions des cordons auxquels ils sont suspendus : or, que la Machine soit en repos ou en mouvement, que ce mouvement soit uniforme ou non, la tension du cordon attaché à la roue, est à celle du cordon attaché au cylindre, comme le rayon du cylindre est au rayon de la roue, c'est-à-dire que ces tensions font toujours en raison réciproque des vitesses des poids qu'ils soutiennent ; ce qui est d'accord avec la proposition. Mais ces tensions ne font pas égales aux poids ; elles sont (XXX. V. la note) les résultantes de ces poids et de leurs forces d'inertie, lesquelles sont elles-même (XXX. V. la note) les résultantes des mouvements actuels de ces corps, et des mouvements égaux et directement opposés à ceux qu'ils prendront réellement l'instant d'après.</ref>, u la vitesse qu'aura au premier instant le point où elle est appliquée, si l'on fait prendre à la Machine un mouvement géométrique, et z l'angle compris entre les directions de F et de u, il faut prouver qu'on aura pour tout le système ʃ F u cos Z = 0. Or, cette équation est précisément l'équation ( AA ) trouvée (XXX) laquelle n'est autre chose au fond que l'équation même fondamentale ( F), présentée sous une autre forme.

Il est aisé d'apercevoir que ce principe général n'est, à proprement parler, que celui de Descartes, auquel on donne une extension suffisante, pour qu'il renferme non-seulement toutes les conditions de l'équilibre entre deux forces, mais encore toutes celles de l'équilibre et du mouvement, dans un système composé d'un nombre quelconque de puissances : aussi la première conséquence de ce théorème, sera ce principe de Descartes, rendu complet par les conditions que nous avons vu lui manquer (V).

Corollaire I


Principe général de l'équilibre entre deux puissances[modifier]

XXXV. Lorsque deux agents quelconques, appliqués à une Machine, se font mutuellement équilibre ; si on fait prendre à cette Machine un mouvement géométrique, arbitraire ;

1°. les forces exercées par les agents, seront en raison réciproque de leurs vitesses estimées dans le sens de ces forces ;

2°. l'une de ces puissances sera un angle aigu avec la direction de sa vitesse, et l'autre, un angle obtus avec la sienne.


Car si les forces exercées par les agents, sont nommées F et F', leurs vitesses u et u', les angles formés par ces puissances et leurs vitesses z et z', on aura par le théorème précédent, F u cos z + F' u' cos z' = 0 ; donc F : F':: - u' cos z' : u cos z, qui est la proportion énoncée par la première partie de ce corollaire, et par laquelle on voit en même temps que le rapport de cos z à cos z', est négatif ; d'où il suit que l'un de ces angles est nécessairement aigu, et l'autre obtus.

Corollaire II

Principe général d'équilibre dans les Machines à poids[modifier]

XXXVI. Lorsque plusieurs poids appliqués à une Machine quelconque, se font mutuellement équilibre, si l'on fait prendre à cette Machine un mouvement quelconque géométrique, la vitesse du centre de gravité du système, estimée dans le sens vertical, sera nulle au premier instant.

Car si l'on appelle M la masse totale du système, m celle de chacun des corps qui le composent, u la vitesse absolue de m, V la vitesse du centre de gravité estimée dans le sens vertical, g la gravité, z l'angle formé par u et par la direction de la pesanteur, on aura, suivant le théorème, ʃ m g u cos z = 0, mais par les propriétés géométriques du centre de gravité, on a ʃ m u d t cos z = M V d t, ou ʃ m g u cos z = M V g ; donc, puisque le premier membre de cette équation est égal à zéro, le second l'est aussi ; donc V = 0 ce qu'il fallait prouver.

Pour avoir toutes les conditions de l'équilibre dans une Machine à poids, il n'y a donc qu'à faire prendre successivement à la Machine différents mouvements géométriques, et égaler dans chacun de ces cas, la vitesse verticale du centre de gravité a zéro.

Corollaire III.

Principe général de l'équilibre entre deux poids[modifier]

XXXVII. Lorsque deux poids se font mutuellement équilibre, si l'on fait prendre à la Machine un mouvement quelconque géométrique.

1°. Les vitesses de ces corps, estimées dans le sens vertical ; seront en raison réciproque de leurs poids,

2°. L'un de ces corps montera nècessairement, tandis que l'autre descendra.


Cette proposition est une suite manifeste du corollaire précédent, et se déduit plus évidemment encore du corollaire premier.

On peut remarquer en passant, combien il est essentiel pour l'exactitude de toutes ces propositions, que les mouvements imprimés à la Machine soient géométriques, et non pas simplement possibles ; car la plus légère attention fera voir par quelque exemple particulier, que sans cette condition, toutes ces propositions seraient absurdes.


Remarque.


XXXVIII. On prend ordinairement pour principe de l'équilibre dans les Machines à poids, qu'alors le centre de gravité du système est au point le plus bas possible ; mais on fait que ce principe n'est pas généralement vrai ; car outre que ce point pourrait dans certains cas, être au point le plus haut, il y en a une infinité d'autres où il n'est ni au point le plus haut, ni au point le plus bas : par exemple, si tout le système se réduit à un corps pesant, et que ce mobile soit placé sur une courbe qui ait un point d'inflexion, dont la tangente soit horifontale ; il restera visiblement en équilibre, si on le met sur ce point d'inflexion, qui n'est cependant ni le poids le plus bas, ni le point le plus haut possible.

On peut encore prendre pour principe de l'équilibre dans une Machine à poids, la proposition que nous avons déjà donnée (II), et que nous allons rapporter encore, pour en donner la démonstration rigoureuse.

Pour s'assurer que plusieurs poids appliqués à une Machine quelconque, doivent se faire mutuellement équilibre, il suffit de prouver que si l'on abandonne cette Machine à elle-même, le centre de gravité du système ne descendra pas.


Pour le prouver, nommons M la masse totale du système, m celle de chacun des poids qui le composent, g la gravité ; et supposons que si la Machine ne demeurait pas en équilibre, comme je prétends qu'elle doit le faire, la vitesse de m après le temps t, fut V, la hauteur dont serait descendu le centre de gravité au bout du même temps H, et celle dont serait descendu le corps m h ; on aura donc, (XXIV) ʃ m g d h - ʃ m V d V = 0 ; donc en intégrant M g H = ½ʃ m V² ; or par hypothèse H = 0, donc ʃ m V² = 0 ; de plus V² est nécessairement positive comme il est évident; donc l'équation ʃ m V² = 0 ne peut avoir lieu sans qu'on n'ait V = 0, c'est-à-dire sans qu'il y ait équilibre; ce qu'il fallait prouver.

Il suit de là, comme nous l'avons dit (III), qu'il y a nécessairement équilibre dans un système de poids dont le centre de gravité est au point le plus bas possible ; mais nous venons de voir (XXXVIII) que l'inverse n'est pas toujours vraie, c'est-à dire que toutes les fois qu'il y a équilibre dans un système de poids, il ne s'ensuit pas toujours que le centre de gravité soit au point le plus bas possible.


Corollaire IV.


Lois particulières d'équilibre dans les Machines[modifier]

XXXIX. S'il y a équilibre entre plusîeurs puissances appliquées à une Machine, et qu'ayant décomposé toutes les forces du système, tant celles qui font appliquées à la Machine, que celles qui font exercées par les obstacles mêmes ou points fixes qui en font partie ; si on les décompose, dis-je, chacune en trois autres parallèles à trois axes quelconques perpendiculaires entre eux ;

1°. La somme des forces composantes, qui sont parallèles à un même axe, et conspirantes vers un même côté, est égale à la somme de celles qui, étant parallèles à ce même axe, conspirent vers le côté opposé :

2°. La somme des moments des forces composantes, qui tendent à faire tourner autour d'un même axe, et qui conspirent dans un même sens, est égale à la somme des moments de celles qui tendent à faire tourner autour du même axe, mais en sens contraire.


Pour démontrer cette proposition, commençons par imaginer qu'à la place de chacune des forces exercées par la résistance des obstacles, on substitue une force active, égale à cette résistance, et dirigée dans le même sens ; ce changement n'altère point l'état d'équilibre, et fait de la Machine un système de puissances parfaitement libre, c'est-à-dire dégagé de tout obstacle : cela posé, si l'on fait prendre à ce système un mouvement quelconque géométrique, on aura par le théorème fondamental ʃ F u cos z = 0, en nommant F chacune des forces, u sa vitesse, et z l'angle compris entre F et u ; donc,

1°. Si l'on suppose que u soit la même pour tous les points du système et parallele à l'un des axes quelconque, le mouvement fera géométrique, et l'équation à cause de u constante, se réduira à ʃ F cos z = 0 : c'est-à-dire que la somme des forces du système, estimées dans le sens de la vitesse u, imprimée parallèlement à cet axe, sera nulle ; ce qui revient évidemment à la première partie de la proportion.

2°. Si l'on fait tourner tout le système autour de l'un, quelconque, des axes, sans rien changer à la position respective des parties qui le composent, ce mouvement sera encore géométrique; u sera proportionnelle à la distance de chaque puissance à l'axe; et partant, pourra s'exprimer par A R, R exprimant cette distance, et A une constante ; donc, l'équation se réduira à ʃ F R cos z = 0 ; ce qui, comme il est aisé de le voir, revient à la seconde partie de la proposition.


Corollaire V.


Loi particulière concernant les Machines dont le mouvement change par degrés insensibles[modifier]

X L I. Dans une Machine dont le mouvement change par degrés insensibles, le moment d'activité, consommé dans un temps donné par les forces sollicitantes, est égal au moment d'activité, exercé en même temps par les forces résistantes.

C'est-à-dire (XXXIII), que le moment d'activité, consommé par toutes les forces du système, pendant le temps donné, est égal à zéro ; ce qui sera clair ( XXXII ), si l'on prouve que le moment d'activité, consommé à chaque instant par ces forces, est nul : or, F exprimant chacune de ces forces, V sa vitesse, Z l'angle compris entre F et v, et d t l'élément du temps, le moment d'activité, consommé par toutes les forces du système pendant d t, est (XXXIII),ʃ F V cos Z dt ; il faut donc prouver qu'on a ʃ F V cos Z d t = 0, ou ʃ F V cos Z = 0 ; or, cela est clair par le théorème fondamental : donc, etc.

La loi particulière dont il s'agit ici, est certainement la plus importante de toute la théorie du mouvement des Machines proprement dites : en voici quelques applications particulières, en attendant le détail où nous entrerons à son sujet, dans le scholie qui succédera au corollaire suivant, et qui terminera cet Essai.


XLII. Supposons donc, par exemple, que les puissances appliquées à la Machine, soient des poids ; nommons m la masse de chacun de ces corps, M la masse totale du système, g la gravité, V la vitesse actuelle du corps m, K sa vitesse initiale, t le temps écoulé depuis le commencement du mouvement, H la hauteur dont est descendu le centre de gravité du système pendant le temps t, et enfin, W la vitesse due à la hauteur H.

Cela posé, il faut considérer qu'il y a deux sortes de forces appliquées à la Machine ; savoir : celles qui viennent de la pesanteur des corps, et celles qui viennent de leur inertie ou résistance qu'ils opposent à leur changement d'état, ( note c (XXX ) ) : or, ( XXXII ) le moment d'activité, consommé pendant le temps t, par la première de ces forces, est pour tout le système M g H, ou ½ M W² ; voyons maintenant quel est le moment d'activité, consommé par la force d'inertie : la vitesse de m étant V, et devenant l'instant d'après V + d V, il est clair ( note b (XXX) ), que sa force d'inertie estimée dans le sens de V, est m d V, ou plutôt m ( d V ) / ( d t ) ; donc, (XXX), le moment d'activité, exercé par cette force pendant d t, est m ( d V ) / ( d t ) V d t, ou m V d V; donc, le moment d'activité, consommé par cette force d'inertie, pendant le temps t, est ʃ m V d V, ou en intégrant et complétant l'intégrale ½ m V² - ½ m K² ; donc le moment d'activité, consommé en même temps par la force d'inertie, de tous les corps du système, sera ½ ʃ m V² - ½ ʃ m K² ; or, cette inertie est une force résistante, puisque c'est par elle que les corps résistent à leur changement d'état : et la pesanteur est ici une force sollicitante, puisque le centre de gravité est supposé descendre ; donc, par la proposition de ce corollaire, on doit avoir M W² = ʃ m V² - ʃ m K², ou ʃ m V² = ʃ m K² + M W² : c'est-à-dire que :

Dans une Machine à poids, dont le mouvement change par degrés insensibles, la somme des forces vives du système, est après un temps quelconque donné, égale à la somme des forces vives initiales ; plus, la somme de force vive qui aurait lieu, si tous les corps du système étaient animés d'une vitesse commune, égale à celle qui est due à la hauteur dont est descendu le centre de gravité du système.


XLIII. Si le mouvement de la Machine est uniforme, on aura continuellement V = K, et partant W² = 0, ou H = 0 ; ce qui nous apprend que :

Dans une Machine à poids, dont le mouvement est uniforme, le centre de gravité du système reste constamment à la même hauteur.


XLIV. Puisque ½ M W² ou M g H est (XXXII) le moment d'activité, produit par un poids M g, qu'on fait monter à la hauteur H, il s'ensuit évidemment que :

De quelque manière qu'on s'y prenne pour élever un certain poids à une hauteur donnée, il faut que les forces qui sont employées à produire cet effet, consomment un moment d'activité, égal au produit de ce poids, par la hauteur à laquelle on doit l'élever.


XLV. De même, puisque (XLII) le moment d'activité, produit dans un temps donné par la force d'inertie d'un corps, est égal à la moitié de la quantité dont sa force vive augmente pendant ce temps ; on peut conclure aussi que :

Pour faire naître un certain mouvement quelconque par degrés insensibles dans un système de corps, ou changer celui qu'il a, il faut que les puissances destinées à cet effet, consomment un moment d'activité, égal à la moitié de la quantité dont aura augmenté par ce changement la somme des forces vives du système.

XLVI. Il suit évidemment de ces deux dernières propositions, que pour élever un poids M g à une hauteur H, et lui faire prendre en même temps une vitesse V, il faut, en supposant ce corps en repos au premier instant, que les forces employées à produire cet effet, consomment elles-mêmes un moment d'activité égal à M g H + ½ M V².


LXVII. On suppose dans tout ce qui vient d'être dit, comme l'annonce le titre de ce corollaire, que le mouvement change par degrés insensibles ; mais, si chemin faisant, il arrivait un choc ou changement subit dans le système, ce que nous venons de dire n'aurait plus lieu.

Supposons, par exemple, qu'au moment où arrive le choc, le centre de gravité du système soit descendu de la hauteur h ; qu'à ce même infant, la somme des forces vives soit X immédiatement avant le choc, et Y immédiatement après ; nommons Q le moment d'activité qu'auront à consommer les forces mouvantes pendant tout le temps du mouvement, et q celui qu'elles auront à consommer depuis le commencement jusqu'à l'époque de la percussion ; supposons enfin, pour plus de simplicité, que le système soit en repos au premier instant et au dernier, il est clair (XLVI) qu'on aura q = M g h + ½ X, et que par la même raison, le moment d'activité à consommer par les forces mouvantes après le choc, c'est-à-dire Q - q sera M g ( H - h) - ½ Y, donc Q = M g H + ½ X - ½ Y; or, (XXIII) il est clair que X > Y, donc, le moment d'activité à consommer pour élever dans ce cas M à la hauteur H, est nécessairement plus grand que s'il n'y avait point de choc, puisque dans ce cas, on aurait simplement Q = M g H (XLIV).


Il suit de là, que sans consommer un plus grand moment d'activité, les forces mouvantes peuvent, en évitant qu'il y ait choc, élever le même poids à une hauteur plus grande H, car alors on aura (XLVI) Q = M g H', ou H' = Q / ( M g ), tandis que dans le cas présent, on a H = (Q - ½ (X- Y)) / ( M g ) : d'où l'on voit que X étant plus grande que Y, il faut nécessairement qu'on ait aussi H' > H.

Corollaire VI.


Des Machines hydrauliques[modifier]

XLXVIII. On peut regarder un fluide comme l'assemblage d'une infinité de corpuscules solides, détachés les uns des autres ; on peut donc appliquer aux Machines hydrauliques tout ce que nous avons dit des autres Machines : ainsi, par exemple, du corollaire premier (XXXV), on peut conclure que si une masse fluide, sans pesanteur, étant enfermée de tout côté dans un vase, et qu'ayant fait à ce vase deux petites ouvertures égales, on y applique des pistons ; les forces qui agiront sur la masse fluide, en poussant ces pistons, ne peuvent qu'être égales, si elles se font mutuellement équilibre ; cest-à-dire donc que dans une masse fluide, la pression se répand également en tout sens ; c'est le principe fondamental de l'équilibre des fluides, qu'on regarde ordinairement comme une vérité purement expérimentale : on prouvera de même ( XXV ) que la conservation des forces vives a lieu dans les fluides incompressibles, dont le mouvement change par degrés insensibles ; et généralement enfin tout ce que nous avons prouvé d'un système de corps durs, est également vrai pour une masse de fluide incompressible.

Scholie.


XLIX. Ce scholie est destiné au développement du principe énoncé dans le corollaire V ; cette proposition renferme en effet la principale partie de la théorie des Machines en mouvement, parce que la plupart d'entre elles sont mues par des agents qui ne peuvent exercer que des forces mortes ou de pression ; tels sont tous les animaux, les ressorts, les poids, etc, ce qui fait que la Machine change ordinairement d'état par degrés insensibles. Il arrive même le plus souvent que cette Machine passe bien vite à l'uniformité de mouvement ; en voici la raison :

Les agents qui font mouvoir cette Machine, se trouvant d'abord un peu au dessus des forces résistantes, font naître un petit mouvement qui s'accélere ensuite peu-à-peu ; mais soit que par une fuite nécessaire de cette accélération, la force sollicitante diminue, soit que la résistance augmente, soit enfin qu'il survienne quelque variation dans les directions, il arrive presque toujours que le rapport des deux forces s'approche de plus en plus de celui en vertu duquel elles pourraient se faire mutuellement équilibre : alors ces deux forces se détruisent, et la Machine ne se meut plus qu'en vertu du mouvement acquis, lequel, à cause de l'inertie de la matiere, reste ordinairement uniforme.


L. Pour comprendre encore mieux comment cela doit arriver, il n'y a qu'à faire attention au mouvement que prend un navire qui a le vent en poupe ; c'est une espèce de Machine animée par deux forces contraires qui font l'impulsion du vent et la résistance du fluide sur lequel il vogue : si la première de ces deux forces qu'on peut regarder comme sollicitante, est la plus grande, le mouvement du navire s'accélérera ; mais cette accélération a nécessairement des bornes, par deux raisons; car, plus le mouvement du navire s'accélère,

1°. plus il est soustrait à l'jmpulsion du vent;

2°. plus au contraire la résistance de l'eau augmente :


Par conséquent, ces deux forces tendent à l'égalité : lorsqu'elles y seront parvenues, elles se détruiront mutuellement ; et partant, le navire sera mu comme un corps libre, c'est-à-dire que sa vitesse fera constante. Si le vent venait à baisser, la résistance de l'eau surpasserait la force sollicitante ; le mouvement du navire se ralentirait ; mais par une suite nécessaire de ce ralentissement, le vent agirait plus efficacement sur les voiles ; et la résistance de l'eau diminuerait en même temps : ces deux forces tendraient donc encore à l'égalité, et la Machine arriverait de même à l'uniformité de mouvement.


LI. La même chose arrive lorsque les forces mouvantes sont des hommes, des animaux ou autres agents de cette nature : dans les premiers instants, le moteur est un peu au dessus de la résistance ; de là naît un petit mouvement qui s'accélere peu à peu, par les coups répétés de la force mouvante ; mais l'agent lui même est obligé de prendre un mouvement accéléré, afin de rester attaché au corps auquel il imprime le mouvement.

Cette accélération qu'il se procure à lui-même, consomme une partie de son effort ; de sorte qu'il agit moins efficacement sur la Machine, et que le mouvement de celle-ci s'accélérant de moins en moins, finit par devenir bientôt uniforme.

Par exemple, un homme qui pourrait faire un certain effort dans le cas d'équilibre, en ferait un beaucoup moindre, si le corps auquel il est appliqué lui cède, et qu'il soit obligé de le suivre pour agir sur lui : ce n'est pas que le travail absolu de cet homme soit moindre, mais c'est que son effort est partagé en deux, dont l'un est employé à mettre la masse même de l'homme en mouvement, et l'autre, transmis à la Machine.

Or, c'est de ce dernier seul que l'effet se manifeste dans l'objet qu'on s'est proposé.

Je continuerai cependant de considérer les Machines sous un point de vue plus général : ainsi je placerai dans ce scholie plusieurs réflexions applicables au mouvement varié ; je supposerai seulement que cette variation se fait par degrés insensibles, et je prouverai que cela doit être en effet, lorsqu'on veut les employer de la manière la plus avantageuse possible.


LII. Désignons donc par Q le moment d'activité, consommé par les forces sollicitantes dans un temps donné t, et par q le moment d'activité exercé en même temps par les forces résistantes : cela posé, quel que soit le mouvement de la Machine, nous aurons toujours, par le corollaire V, Q = q ; de sorte, par exemple, que si chacune F des forces sollicitantes, est constante, sa vitesse V uniforme, et l'angle Z formé par les directions de F et V, toujours nul, on aura au bout du temps t ʃ F V t = q ; et si toutes les forces sollicitantes se réduisent à une seule, on aura par conséquent F V t = q (XXXII et XXXIII).


LIII. On peut en général regarder le moment q d'activité, exercé par les forces résistantes, comme l'effet produit par les forces sollicitantes ; par exemple, lorsqu'il s'agit d'élever un poids P à une hauteur donnée H, il est tout simple de regarder l'effet produit par la force mouvante, comme étant en raison composée du poids et de la hauteur à laquelle il a fallu l'élever ; de sorte que P H est ce qu'on entend alors naturellement par l'effet produit. Or, d'un autre côté, cette quantité P H est précisément ce que nous avons appelé moment d'activité, exercé par la force résistante P ; donc ce moment d'activité, ou q, est ce qu'on entend naturellement, dans ce cas, par l'effet produit.

Or, dans les autres cas, il est évident que q est toujours une quantité analogue à celle dont il vient d'être question; c'est pourquoi j'appellerai souvent dans la fuite cette quantité, q, effet produit : ainsi, par effet produit, j'entendrai le moment d'activité, exercé par les forces résistantes ; de sorte qu'en vertu de l'équation Q = q, on peut établir pour règle générale, que l'effet produit dans un temps donné par un système quelconque de forces mouvantes, est égal au moment d'activité consommé en même temps par toutes ces forces.


LI V. On voit par l'équation F V t = q, trouvée dans l'article précédent, qu'il est inutile de connaître la figure d'une Machine, pour savoir quel effet peut produire une puissance qui lui est appliquée, lorsqu'on connaît celui qu'elle pourrait produire sans Machine : supposons, par exemple, qu'un homme soit capable d'exercer un effort continuel de 25 tt, en se mouvant continuellement lui-même avec une vitesse de trois pieds par seconde; cela posé, lorsqu'on l'appliquera à une Machine, le moment d'activité F V t qu'exercera cet homme, sera (XXXII) 25 tt 3 pi t, c'est-à-dire qu'on aura F V t = 25 tt 3 Pi t, t exprimant le nombre des secondes ; donc, à cause de F V t = q, on aura 25 tt 3 pi t, quelle que puisse être la Machine ; donc, l'effet q est absolument indépendant de la figure de cette Machine, et ne peut jamais surpasser celui que la puissance est en état de produire naturellement et sans Machine.

Ainsi, par exemple, si cet homme avec son effort de 25 tt, et sa vitesse de trois pieds par seconde, est en état avec une Machine donnée, ou sans Machine, d'élever dans un temps donné, un poids p à une hauteur H, on ne peut inventer aucune Machine par laquelle il soit possible, avec le même travail, ( c'est-à-dire la même force et la même vitesse que dans le premier cas ), d'élever dans le temps donné, le même poids à une plus grande hauteur, ou un poids plus grand à la même hauteur, ou enfin le même poids à la même hauteur dans un temps plus court : ce qui est évident, puisqu'alors q étant (XXXII) égal à P H, on a par l'article précédent, P H = 25 tt pi t.


LV. L'avantage que procurent les Machines, n'est donc pas de produire de grands effets avec de petits moyens, mais de donner à choisir entre différents moyens qu'on peut appeler égaux, celui qui convient le mieux à la circonstance présente.

Pour forcer un poids P à monter à une hauteur proposée, un ressort à se fermer d'une quantité donnée, un corps à prendre par degrés insensibles un mouvement donné, ou enfin tel autre agent que ce soit, à produire un moment quelconque donné d'activité, il faut que les forces mouvantes qui y sont destinées, consomment elles-mêmes un moment d'activité, égal au premier ; aucune Machine ne peut en dispenser; mais comme ce moment résulte de plusieurs termes ou facteurs, on peut les faire varier à volonté, en diminuant la force aux dépens du temps, ou la vitesse aux dépens de la force ; ou bien, en employant deux ou plusieurs forces au lieu d'une ; ce qui donne une infinité de ressources pour produire le moment d'activité nécessaire ; mais quoi qu'on fasse, il faut toujours que ces moyens soient égaux, c'est dire que le moment d'activité consommé par les forces sollicitantes, soit égal à l'effet ou moment exercé en même temps par les forces résistantes.


LVI. Ces réflexions paraissent suffisantes pour désabuser ceux qui croient qu'avec des Machines chargées de leviers arrangés mystérieusement, on pourrait mettre un agent, si faible qu'il fût, en état de produire les plus grands effets : l'erreur vient de ce qu'on se persuade qu'il est possible d'appliquer aux Machines en mouvement, ce qui n'est vrai que pour le cas d'équilibre ; de ce qu'une petite puissance, par exemple, peut tenir en équilibre un très-grand poids, beaucoup de personnes croient qu'elle pourrait de même élever ce poids aussi vite qu'on voudrait ; or, c'est une erreur très grande, parce que, pour y réussir, il faudrait que l'agent se procurât à lui-même une vitesse au dessus de ses facultés, ou qui du moins, lui ferait perdre une partie d'autant plus grande de son effort sur la Machine, qu'il serait obligé de se mouvoir plus vite.

Dans le premier cas, l'agent n'a d'autre objet à remplir, que de faire un effort capable de contrebalancer le poids ; dans le second, il faut qu'outre cet effort, il en fasse encore un autre pour vaincre l'inertie, et du corps auquel il imprime le mouvement, et de sa propre masse ; l'effort total qui, dans le premier cas, serait employé tout entier à vaincre la pesanteur du corps, se partage donc ici en deux, dont le premier continue de faire équilibre au poids, et l'autre produit le mouvement. On ne peut donc augmenter l'un de ces efforts, qu'aux dépens de l'autre ; et voilà pourquoi l'effet des Machines en mouvement, est toujours tellement limité, qu'il ne peut jamais surpasser le moment d'activité exercé par l'agent qui le produit.

C'est sans doute faute de faire une attention suffisante à ces différents effets d'une même Machine considérée tantôt en repos, et tantôt en mouvement, que des personnes auxquelles la saine théorie n'est point inconnue, s'abandonnent quelquefois aux idées les plus chimériques, tandis qu'on voit de simples ouvriers, faire valoir, par une espèce d'instinct, les propriétés réelles des Machines, et juger très-bien de leurs effets. Archimède ne demandait qu'un levier et un point fixe pour soulever le globe de la terre ; comment donc le peut-il faire, dit-on, qu'un homme aussi fort qu'Archimède, ne puisse pas, quand même il serait muni de la plus belle Machine du monde, élever un poids de cent livres, en une heure de temps, à une hauteur médiocre donnée ? C'est que l'effet d'une Machine en repos, et celui d'une Machine en mouvement, sont deux choses fort différentes, et en quelque chose hétérogènes : dans le premier cas, il s'agit de détruire, d'empêcher le mouvement ; dans le second, l'objet est de le faire naître et de l'entretenir ; or, il est clair que ce dernier cas exige une considération de plus que le premier ; savoir : la vitesse réelle de chaque point du système ; mais on pourra sentir mieux la raison de cette différence, par la remarque suivante.

Les points fixes et obstacles quelconques, sont des forces purement passives, qui peuvent absorber un mouvement, si grand qu'il soit, mais qui ne peuvent jamais en faire naître un, si petit qu'on veuille l'imaginer, dans un corps en repos: or; c'est improprement que dans le cas d'équilibre, on dit d'une petite puissance, qu'elle en détruit une grande : ce n'est pas par la petite puissance que la grande est détruite ; c'est par la résistance des points fixes : la petite puissance ne détruit réellement qu'une petite partie de la grande, et les obstacles font le reste. Si Archimède avait eu ce qu'il demandait, ce n'est pas lui qui aurait soutenu le globe de la terre, c'est son point fixe ; tout son art aurait consisté, non à redoubler d'effort pour lutter contre la masse de ce globe, mais à mettre en opposition les deux grandes forces, l'une active, l'autre passive, qu'il aurait eues à sa disposition : si au contraire il eût été question de faire naître un mouvement effectif, alors Archimède aurait été obligé de le tirer tout entier de son propre fond ; aussi n'aurait-il pu être que très petit, même après plusieurs années : n'attribuons donc point aux forces actives, ce qui n'est dû qu'à la résistance des obstacles, et l'effet ne paraîtra pas plus disproportionné à la cause, dans les Machines en repos, que dans les Machines en mouvement.


LVII. Quel est donc enfin le véritable objet des Machines en mouvement ? Nous l'avons déjà dit ; c'est de procurer la faculté de faire varier à volonté, les termes de la quantité Q, ou momentum d'activité, qui doit être exercé par les forces mouvantes. Si le temps est précieux, que l'effet doive être produit dans un temps très-court, et qu'on n'ait cependant qu'une force capable de peu de vitesse, mais d'un grand effort, on pourra trouver une Machine pour suppléer la vitesse nécessaire par la force : s'il faut au contraire élever un poids très considérable, et qu'on n'ait qu'une faible puissance, mais capable d'une grande vitesse, on pourra imaginer une Machine avec laquelle l'agent sera en état de compenser par sa vitesse, la force qui lui manque : enfin, si la puissance n'est capable ni d'un grand effort, ni d'une grande vitesse, on pourra encore, avec une Machine convenable, lui faire produire l'effet desiré; mais alors on ne pourra se dispenser d'employer beaucoup de temps ; et c'est en cela que consiste ce principe si connu, que dans les Machines en mouvement, on perd toujours en temps ou en vitesse ce qu'on gagne en force.

Les Machines sont donc très utiles, non en augmentant l'effet dont les puissances sont naturellement capables, mais en modifiant cet effet : on ne parviendra jamais par elles, il est vrai, à diminuer la dépense ou momentum d'activité, nécessaire pour produire un effet proposé ; mais elles pourront aider à faire de cette quantité une répartition convenable au dessein qu'on a en vue : c'est par leur secours qu'on réussira à déterminer, sinon le mouvement absolu de chaque partie du système, du moins à établir entre ces différents mouvements particuliers, les rapports qui conviendront le mieux ; c'est par elles enfin qu'on donnera aux forces mouvantes, les situations et directions les plus commodes, les moins fatigantes, les plus propres à employer leurs facultés de la manière la plus avantageuse.


LVIII. Ceci nous conduit naturellement à cette question intéressante : quelle est la meilleure manière d'employer des puissances données, et dont l'effet naturel est connu, en les appliquant aux Machines en mouvement ? C'est-à-dire, quel est le moyen de leur faire produire le plus grand effet possible?


La solution de ce problème dépend des circonstances particulières ; mais on peut faire là-dessus des observations générales et applicables à tous les cas : en voici quelques unes des plus essentielles.

L'effet produit étant la même chose (LIII) que le moment d'activité exercé par les forces résistantes, la condition générale, est que q soit un maximum ; or, q ne pouvant jamais surpasser Q, il faut,

1°. que la quantité Q soit elle-même la plus grande possible ;

2°. que tout ce moment Q soit employé uniquement à produire l'effet proposé.


Pour faire que Q soit un maximum, il faut considérer qu'elle dépend de quatre choses, savoir; de la quantité de force exercée par l'agent qui doit produire l'effet q, de sa vitesse, de sa direction, et du temps pendant lequel il agit. Or,

1°. quant à ce qui regarde la direction de la force, il est évident que cette puissance doit être, toutes choses égales d'ailleurs, dirigée dans le même sens que sa vitesse; car le moment d'activité qu'exerce pendant d t une puissance F dont la vitesse est V, et l'angle compris entre F et V, Z, étant ( XXXII ) F V d t cos Z, il est clair que ce produit ne sera jamais plus grand que lorsque cos Z sera égal au sinus total, c'est-à-dire lorsque la force et sa vitesse seront dirigées dans le même sens ;

2°. quant à ce qui regarde l'intensité de la force exercée, la vitesse, et le temps pendant lequel elle est exercée ; on ne ne doit point déterminer ces choses d'une manière absolue, mais seulement mettre entre elles les rapports que l'expérience aura fait connaître pour les plus avantageux : par exemple, on a reconnu, je suppose, qu'un homme attaché pendant huit heures par jour à une manivelle d'un pied de rayon, peut faire continuellement un effort de 25tt, en faisant un tour en deux secondes, ce qui fait à peu-près la vitesse de trois pieds par seconde; mais si l'on forçait cet homme à aller beaucoup plus vite, croyant par là avancer la besogne, on la retarderait, parce qu'il ne serait plus en état de faire un effort de 25 tt, ou ne pourrait plus soutenir un travail de huit heures par jour. Si au contraire, on diminuait la vitesse, la force augmenterait, mais dans un moindre rapport ; et le moment d'activité diminuerait encore : ainsi, suivant l'expérience, pour que ce moment soit un maximum, il faut proportionner la Machine, de manière à conserver à la puissance la vitesse de trois pieds par seconde, et ne le faire travailler qu'environ huit heures par jour.


On sent bien que chaque espèce d'agent a, eu égard à sa nature ou constitution physique, un maximum analogue à celui dont on vient de parler, et que ce maximum ne peut en général se trouver que par expérience.


LIX. Cette première condition étant remplie, il ne restera donc plus, pour faire produire à une Machine donnée, le plus grand effet possible, qu'à faire en sorte que toute la quantité Q soit employée à produire cet effet; car si cela est ainsi, on aura q = Q ; et c'est tout ce qu'on peut prétendre, puisque jamais Q ne peut être moindre que q.

Or, pour remplir cette condition, je dis premièrement, qu'on doit éviter tout choc ou changement brusque quelconque ; car il est facile d'appliquer à tous les cas imaginables, le raisonnement qui a été fait ( XLVII ) sur les Machines à poids ; d'où il suit que toutes les fois qu'il y a choc, il y a en même temps perte de moment d' activité de la part des forces sollicitantes ; perte si réelle, que l'effet en est nécessairement diminué, comme nous l'avons fait voir par les Machines à poids, dans l'article qui vient d'être cité : c'est donc avec raison que nous avons avancé ( LI ), que pour faire produire aux Machines le plus grand effet possible, il faut nécessairement qu'elles ne changent jamais de mouvement, que par degrés insensibles ; il en faut seulement excepter celles qui, par leur nature même, font sujettes à éprouver différentes percussions, comme font la plupart des moulins; mais dans ce cas-là même, il est clair qu'on doit éviter tout changement subit, qui ne serait pas essentiel à la constitution de la Machine LX. On peut conclure de là, par exemple, que le moyen de faire produire le plus grand effet possible à une Machine hydraulique, mue par un courant d'eau, n'est pas d'y adapter une roue dont les ailes reçoivent le choc du fluide.

En effet, deux raisons empêchent qu'on ne produise ainsi le plus grand effet : la première est celle que nous venons de dire, savoir ; qu'il est essentiel d'éviter toute percussion quelconque ; la seconde est, qu'après le choc du fluide, il a encore une vitesse qui lui reste en pure perte, puisqu'on pourrait employer ce reste à produire encore un nouvel effet qui s'ajouterait au premier. Pour faire la Machine hydraulique la plus parfaite, c'est-à-dire capable de produire le plus grand effet possible, le vrai nœud de la difficulté consisterait donc,

1°. à faire en sorte que le fluide perdît absolument tout son mouvement par son action sur la Machine, ou que du moins il ne lui en restât précisément que la quantité nécessaire pour s'échapper après son action;

2°. à ce qu'il perdît tout ce mouvement par degrés insensibles, et sans qu'il y eût aucune percussion, ni de la part du fluide, ni de la part des parties solides entre elles :


Peu importerait d'ailleurs quelle fût la forme de la Machine, car une Machine hydraulique qui remplira ces deux conditions, produira toujours le plus grand effet possible ; mais ce problème est très difficile à résoudre en général, pour ne pas dire impossible ; peut-être même que dans l'état physique des choses, et eu égard à la simplicité, il n'y a rien de mieux que les roues mues par le choc ; et dans ce cas, comme il est impossible de remplir à la fois les deux conditions désirables, que plus on voudra faire perdre au fluide de son mouvement pour approcher de la première condition, plus le choc sera fort ; que plus au contraire on voudra modérer le choc pour approcher de la seconde, moins le fluide perdra de son mouvement : on sent qu'il y a un milieu à prendre, au moyen duquel on déterminera, sinon d'une manière absolue, au moins eu égard à la nature de la Machine, celle qui fera capable du plus grand effet.


LXI. Une autre condition générale qui n'est pas moins importante, lorsqu'on veut que les Machines produisent le plus grand effet possible, c'est de faire en sorte que les forces sollicitantes ne fassent naître aucun mouvement inutile à l'objet qu'on se propose : si mon but, par exemple, est d'élever à une hauteur donnée la grande quantité d'eau possible, soit avec une pompe ou autrement, je dois faire en sorte que l'eau, en arrivant dans le réservoir supérieur, n'ait précisément qu'autant de vitesse qu'il lui en faut pour s'y rendre, car toute celle qu'elle aurait au delà, consommerait inutilement l'effort de la puissance motrice. Il est clair en effet, ( XLV) que dans ce cas cette puissance aurait à consommer un moment d'activité inutile, et qui serait égal à la moitié de la force vive avec laquelle l'eau serait arrivée dans le réservoir.


Il n'est pas moins évident que pour faire produire aux Machines le plus grand effet possible, on doit éviter ou diminuer, du moins autant que faire se peut, les forces passives, telles que le frottement, la raideur des cordes, la résistance de l'air, lesquelles font toujours, dans quelque sens que se meuve la Machine, au nombre des forces que j'ai nommées résistantes[4].

Enfin, il est aisé d'étendre ces remarques particulières ; et mon objet n'est pas d'entrer là-dessus dans un plus grand détail.


LXII. On peut conclure de ce que nous venons de dire au sujet du frottement et autres forces passives, que le mouvement perpétuel est une chose absolument impossible, en n'employant, pour le produire, que des corps qui ne seraient sollicités par aucune force motrice, et même des corps pesants ; car ces forces passives auxquelles on ne peut se soustraire, étant toujours resistantes, il est évident que le mouvement doit se ralentir continuellement : et d'après ce que nous avons dit ( XLV ), on voit que si les corps ne font sollicités par aucune force motrice, la somme des forces vives sera réduite à rien; c'est à-dire que la Machine sera réduite au repos, lorsque le moment d'activité, produit par le frottement depuis le commencement du mouvement, sera devenu égal à la demi-somme des forces vives initiales : et si les corps sont pesants, le mouvement finira, lorsque le moment produit par les frottements, sera égal à la demi-somme des forces vives initiales, plus la moitié de la force vive qui aurait lieu, si tous les points du système avaient une vitesse commune, égale à celle qui est due à la hauteur du point où était le centre de gravité dans le premier instant du mouvement, au dessus du point le plus bas où il puisse descendre ; ce qui est évident par l'article ( XLII ).

Il est aisé d'appliquer les mêmes raisonnements au cas où il y a des efforts, et en général, à tous ceux où, abstraction faite du frottement, les forces sollicitantes sont obligées, pour faire passer la Machine d'une position à une autre, d'exercer un moment d'activité aussi grand que celui qui est produit par les forces résistantes, lorsque la Machine revient de cette dernière position à la première.

Le mouvement finirait bien plus vite encore, s'il arrivait quelque percussion, puisque la somme des forces vives, diminue toujours en pareil cas (XXIII).

Il est donc évident qu'on doit désespérer absolument de produire ce qu'on appelle un mouvement perpétuel, s'il est vrai que toutes les forces motrices qui existent dans la nature, ne soient autre chose que des attractions et que cette force ait pour propriété générale, comme il le paraît, d'être toujours la même à distances égales, entre des corps donnés, c'est-à-dire d'être une fonction qui ne varie que dans le cas où la distance de ces corps varie elle-même.


LXIV. Une observation générale qui résulte de tout ce qui vient d'être dit, c'est que cette espèce de quantité, à laquelle j'ai donné le nom de moment d'activité, joue un très grand rôle dans la théorie des Machines en mouvement : car c'est en général cette quantité qu'il faut économiser le plus qu'il est possible, pour tirer d'un agent tout l'effet dont il est capable.

S'agit-il d'élever un poids, de l'eau, par exemple, à une hauteur donnée ; vous en élèvrez d'autant plus dans un temps donné, non que vous aurez consommé une plus grande quantité de force, mais que vous aurez exercé un plus grand moment d'activité (XLIV).

Qu'il soit question de faire tourner la meule d'un moulin, soit par le choc de l'eau, soit par le vent, soit par la force des animaux, ce n'est pas à faire que le choc de l'eau, de l'air, ou l'effort de l'animal soit le plus grand que vous devez vous attacher, mais à faire consommer à ces agents le plus grand moment d'activité possible.

Veut-on faire un vide quelconque dans l'air, de quelque manière qu'on s'y prenne, il faudra, pour y parvenir, consommer un moment d'activité aussi grand que celui qui serait nécessaire pour élever à trente-deux pieds de hauteur, un volume d'eau égal au vide qu'on veut occasionner.


Est-ce un vide dans une masse d'eau indéfinie comme la mer ; il faudra consommer pour cela le même moment d'activité que si la mer était un vide, le vide qu'on veut faire un volume d'eau de mer, et qu'il fallût élever ce volume à la hauteur du niveau de la mer.

Est-ce dans un vase de figure donnée, qu'il faut produire un vide ? On ne peut visiblement y parvenir, sans faire monter le centre de gravité de la masse totale du fluide d'une quantité déterminée par la figure du vase ; il faudra donc consommer un moment d'activité égal à celui qui serait nécessaire pour élever toute l'eau du vase d'une quantité égale à celle dont il faut que monte le centre de gravité du fluide.

Dans une Machine en repos, où il n'y a d'autre force à vaincre que l'inertie des corps, voulez-vous y faire naître un mouvement quelconque, par degrés insensibles, le moment d'activité que vous aurez à consommer, sera égal à la demi-somme des forces vives que vous y ferez naître ; et s'il est seulement question de changer le mouvement qu'elle a déjà, le moment d'activité à produire, sera seulement la quantité dont cette demi-somme augmentera par le changement ( XLV ).

Enfin, supposons qu'on ait un système quelconque de corps, que ces corps s'attirent les uns les autres, en raison d'une fonction quelconque de leurs distances; supposons même, si l'on veut, que cette loi ne soit pas la même pour toutes les parties du système, c'est-à-dire que cette attraction suive quelle loi on voudra, ( pourvu qu'entre deux corps donnés, elle ne varie que lorsque la distance de ces corps varie elle-même ), et qu'il soit question de faire passer le système d'une position quelconque donnée a une autre : cela posé, quelle que soit la route qu'on fera prendre à chacun des corps, pour remplir cet objet, qu'on mette tous ces corps en mouvement à la fois, ou les uns après les autres, qu'on les conduise d'une place à l'autre, par un mouvement rectiligne ou curviligne, et varié d'une manière quelconque, ( pourvu qu'il n'arrive aucun choc ni changement brusque ) ; qu'on emploie enfin quelles Machines on voudra, même à ressort, pourvu que dans ce cas, on remette à la fin les ressorts au même état de tension où on les a pris au premier instant ; le moment d'activité qu'auront à consommer, pour produire cet effet, les agents extérieurs employés à mouvoir ce système, sera toujours le même, en supposant que le système soit en repos au premier instant du mouvement, et au dernier.

Et si outre cela, il s'agit de faire naître dans le système un mouvement quelconque, ou qu'il soit déjà en mouvement au premier instant, et qu'il s'agisse de modifier ou changer ce mouvement, le moment d'activité qu'auront à consommer les agents extérieurs, sera égal à celui qu'il faudrait consommer, s'il s'agissait seulement de changer la position du système, sans lui imprimer de mouvement, (c'est-à-dire considéré comme en repos au premier instant et au dernier ) ; plus, la moitié de la quantité dont il faudra augmenter la somme des forces vives.

Il importe donc fort peu, quant à la dépense ou momentum d'activité à consommer, que les forces employées soient grandes ou petites, qu'elles emploient telle ou telles Machines, qu'elles agissent simultanément ou non ; ce moment d'activité est toujours égal au produit d'une certaine force, par une vitesse et par un temps, ou la somme de plusieurs produits de cette nature ; et cette somme doit être toujours la même, de quelque manière qu' on s'y prenne : les agents ne gagneront donc jamais rien d'un côté, qu'ils ne le perdent de l'autre.

Pour conclusion ; qu'en général on ait un système quelconque de corps animés, de forces motrices quelconques, et que plusieurs agents extérieurs, comme des hommes ou des animaux, soient employés à mouvoir ce système en différentes manières quelconques, soit par eux-mêmes, soit par des Machines : cela posé ;

Quel que soit le changement occasionne dans le système, le moment d'activité, consommé pendant un temps quelconque par les puissances extérieures, sera toujours égal à la moitié de la quantité dont la somme des forces vives aura augmenté pendant ce temps, dans le système des corps auxquels elles sont appliquées : moins la moitié de la quantité dont aurait augmenté cette même somme de forces vives, si chacun des corps s'était mu librement sur la courbe qu'il a décrite, en supposant qu'alors il eut éprouvé à chaque point de cette courbe, la même force motrice, que celle qu'il y éprouve réellement : pourvu, toujours, que le mouvement change par degrés insensibles, et que si l'on emploie des Machines à ressorts, on laisse ces ressorts dans le même état de tension où on les a pris.


LXV. Ces remarques sur le moment d'activité, me font naître l'idée d'un principe d'équilibre particulier au cas où les forces exercées dans le système, sont des attractions ; j'ai cru que le lecteur ne serait pas fâché de le trouver ici ; voici en quoi il consiste :

Plusieurs corps fournis aux lois d'une attraction exercée en raison d'une fonciion quelconque des distances soit par ces corps même les uns sur les autres, soit par différents points fixes, étant appliqués à une Machine quelcbnque ; si l'on fait passer cette Machine d'une position quelconque donnée, à celle de l'équilibre, le moment d'activité consommé dans ce passage par les forces attractives dont ces corps feront animés pendant ce mouvement, sera un maximum.

C'est-à-dire que ce moment sera toujours plus grand qu'il ne l'aurait été, si, au lieu de faire passer ce système à la position d'équilibre, on l'eût contraint de prendre une route différente, et de passer dans une autre situation quelconque.

Par exemple, s'il s'agit de la gravité, qu'on peut regarder comme une attraction exercée vers un point infiniment éloigné, les forces attractives seront les poids appliqués à la Machine ; le moment d'activité qui sera exercé par ces forces, lorsqu'on fera changer de situation à cette Machine, sera donc égal au poids total du système multiplié par la hauteur dont aura monté ou descendu le centre de gravité pendant ce changement de position ( XXXII ) : or, la situation d'équilibre est celle où le centre de gravité est au point le plus haut ou le plus bas possible ; donc, la hauteur à laquelle doit monter le centre de gravité, ou dont il doit descendre pour passer d'une situation quelconque donnée à celle de l'équilibre, est plus grande que pour passer à toute autre situation: donc, le moment d'activité consommé dans le passage, par les forces motrices, est aussi plus grand dans le premier cas que dans tout autre.

Si l'attraction était toujours constante comme la gravité ordinaire, mais qu'elle fût dirigée vers un point fixe, placé à une distance finie, on conclurait aisément du principe précédent, que dans le cas d'équilibre la somme des moments des corps du système, relativement à ce point fixe, est un maximum, c'est-à-dire que la somme des produits de chaque masse, par sa distance au point fixe, est moindre lorsqu'il y a équilibre, que si le système se trouvait dans une autre situation quelconque.

Si l'attraction vers le point fixe, au lieu d'être constante, était proportionnelle aux distances de ce corps, à ce point fixe, on conclurait de même que la somme des produits de chaque masse par le carré de la distance à ce point fixe, est un maximum.

On sait que la somme des produits de chaque masse, par le carré de sa distance à un point fixe quelconque, est égale à la somme des produits de chaque masse, par le carré de sa distance au centre de gravité ; plus, au produit de la masse totale, par le carré de la distance du centre de gravité à ce point fixe : ( c'est une proposition de géométrie fort connue, et dont il est facile de trouver la preuve ) ; ainsi dans le cas d'attraction que nous examinons, la somme de ces deux quantités, doit, dans le cas d'équilibre, être un maximum, c'est-à-dire que sa différentielle est égale à zéro. Supposons donc, par exemple, que toutes les parties du système soient liées entre elles, de manière qu'elles ne fassent qu'un même corps, et que ce corps soit suspendu par son centre de gravité, tellement que ce point soit fixe ; il est clair que chacune des quantités dont on vient de parler, sera constante, c'est-à-dire restera la même, quelque situation qu'on donne à ce corps, et que la différentielle de leur somme, sera, par conséquent, nulle ; donc, il y aura équilibre : c'est-à-dire que si toutes les parties d'un corps, sont attirées vers un point fixe, proportionellement à leurs distances à ce point, et qu'on suspende ce corps par son centre de gravité, il restera en équilibre précisément comme dans le cas de la pesanteur ordinaire. Il ne faut cependant pas conclure de là, que dans une Machine à laquelle seraient appliqués plusieurs corps attirés vers un point fixe, en raison des distances, la position d'équilibre fût celle où le centre de gravité du système serait au point le plus bas, c'est-à-dire le plus proche possible du point fixe; car cela n'arrive que dans le cas où toutes les parties du système tiennent ensemble et ne font qu'un seul corps ; au lieu que dans le cas de la gravité naturelle, il n'est pas nécessaire, pour que le centre de gravité soit au point le plus bas, que les parties du système soient liées les unes aux autres.

Si les corps étaient attirés vers le point fixe, en raison inverse de leurs distances à ce point, le principe allégué ci-dessus serait voir que la situation d'équilibre est alors celle où la somme des produits de chaque masse, par le logarithme de sa distance au point fixe, est un maximum.

En général, si les corps m du système sont attirés en raison d'une puissance n, de leurs distances x, à ce point, la situation d'équilibre sera celle où la quantité ʃ m xn + 1 sera un maximum, ou plus grande que dans toute autre situation ; c'est à-dire où la différence de cette quantité à ce qu'elle serait, si le système était dans une situation infiniment voisine, est égale à zéro.

S'il y a dans le système plusieurs points fixes, vers chacun desquels les corps m soient attirés en raison d'une puissance donnée de leurs distances à ce point, de sorte que x, y, z, etc, étant les distances de m à ces différents points fixes, A xn, B yp, C zq, etc, soient les forces centrales de m vers ces différents foyers, ce sera la quantité A / ( n + 1 ) ʃ m xn+1 + B / ( p + 1 ) ʃ m yp+1 + C / ( Q + 1 ) ʃ m zq+1 etc, qui sera un maximum dans la position de l'équilibre.

Et si outre cela, les corps s'attirent les uns les autres, en raison d'une puissance quelconque donnée des distances, de sorte que X exprimant la distance de la molécule m à chacune des autres molécules du système, F Xr soit la force motrice, attractive de m vers cette autre molécule, la situation d'équilibre, sera celle où la quantité F/(2r+2)ʃ m Xr+1 + A/(n+1)ʃ m xn+1 + B/(p+1)ʃ m yp+1 + C/(q+1)ʃ m zq+1 +, etc, est un maximum, c'est-à-dire plus grande que dans toute autre situation.

Il serait aisé d'étendre encore ces conséquences à d'autres hypothèses d'attraction ; mais la chose paraît inutile : ainsi je me bornerai à remarquer qu'on peut, par un principe général à celui qu'on vient de voir, établir que :

Quelle que soit la nature des puissances motrices appliquées à une Machine, si on la fait mouvoir de manière qu elle passe par la position d'équilibre, l'instant où elle arrivera dans cette situation, sera celui où le moment d’activité consommé pendant le mouvement, par ces puissances motrices, sera le plus grand.

C'est-à-dire que le moment d'activité que les puissances proposées consomment pendant le mouvement, va toujours en augmentant, jusqu'à ce que la Machine ait atteint la position d'équilibre; après quoi, ce moment va en diminuant, à mesure que le système s'éloigne de cette position ; lorsqu'il l'a dépassée ; quelle que soit d'ailleurs la route qu'on ait fait prendre à cette Machine, pour l'amener à cette situation.

Supposons, par exemple, que chacune des puissances appliquées à la Machine, soit donnée de grandeur, et qu'on connaisse de plus un des points de la direction qu'elle doit avoir, pour qu'il y ait équilibre ; je dis que cette situation d'équilibre est celle où la somme des produits de chacune de ces puissances données par la distance du point de la Machine où on l'a suppose appliquée, au point fixe donné sur sa direction, est la moindre possible[5] ; ce qui se tire aisément du principe précédent.

Toutes ces choses font si faciles à prouver, après ce qui a été dit dans le cours de cette seconde partie, qu'il paraît inutile de s'y arrêter.

Je finirai donc cet opuscule par quelques réflexions sur les lois fondamentales dont je suis parti pour établir la théorie qu'il contient.


Réflexions sur les lois fondamentales de l’équilibre et du mouvement[modifier]

Parmi les Philosophes qui s'occupent de la recherche des lois du mouvement, les uns font de la mécanique une science expérimentale, les autres une science purement rationnelle ; c'est-à-dire que les premiers comparant les phénomènes de la nature, les décomposent, pour ainsi dire, pour connaître ce qu'ils ont de commun, et les réduire ainsi à un petit nombre de faits principaux, qui servent ensuite à expliquer tous les autres, et à prévoir ce qui doit arriver dans chaque circonstance ; les autres commencent par des hypothèses, puis raisonnant conséquemment à leurs suppositions, parviennent à découvrir les lois que suivraient les corps dans leurs mouvements, si leurs hypothèses étaient conformes à la nature, puis comparant leurs résultats avec les phénomènes, et trouvant qu'ils s'accordent, en concluent que leur hypothèse est exacte, c'est-à-dire que les corps suivent en effet les lois qu'ils n'avaient fait d'abord que supposer.

Les premiers de ces deux classes de Philosophes, partent donc dans leurs recherches, des notions primitives que la nature a imprimées en nous, et des expériences qu'elle nous offre continuellement ; les autres partent de définitions et d'hypothèses : pour les premiers, les noms de corps, de puissances, d'équilibre, de mouvement, répondent à des idées premières ; ils ne peuvent ni ne doivent les définir ; les autres au contraire ayant tout à tirer de leur propre fond, sont obligés de définir ces termes avec exactitude, et d'expliquer clairement toutes leurs suppositions ; mais si cette méthode paraît plus élégante, elle est aussi bien plus difficile que l'autre ; car il n'y a rien de si embarrassant dans la plupart des sciences rationnelles, et surtout dans celle-ci, que de poser d'abord d'exactes définitions sur lesquelles il ne reste aucune ambiguïté : Ce serait me jeter dans des discussions métaphysiques, bien au dessus de mes forces, que de vouloir approfondir toutes celles qu'on a proposées jusqu'ici ; je me contenterai d'examiner la première et la plus simple.

Qu'est-ce qu'un corps ? C'est, disent la plupart, une étendue impénétrable, c'est-à-dire qui ne peut en aucune manière être réduite à un espace moindre : mais cette propriété n'est-elle pas commune au corps et à l'espace vide ; un pied cube de vide peut-il occuper un espace moindre ? Il est clair que non. Supposons qu'un pied cube d'eau, par exemple, soit enfermé dans un vase capable de contenir deux pieds cubes, et fermé de tout côté ; qu'on agite, qu'on bouleverse ce vase tant qu'on voudra, il restera toujours un pied cube d'eau et un pied cube de vide : voilà deux espaces d'une nature différente, à la vérité, mais tout aussi irréductibles l'un que l'autre : ce n'est donc pas en cela que consiste la propriété caractéristique des Corps.

D'autres disent que cette propriété consiste dans la mobilité ; l'espace indéfini et vide, disent-ils, est immobile, tandis que les corps peuvent se transporter d'un lieu de cet espace à un autre mais lorsque le corps A passe en B, par exemple, l'espace vide qui était en B, n'a-t-il pas passé en A ? Il n'y a, ce me semble, pas plus de raison d'attribuer le mouvement au plein qui était en A, qu'au vide qui était en B; le mouvement consiste en ce que l'un de ces espaces a remplacé l'autre ; et ce remplacement étant réciproque, la mobilité est une propriété qui n'appartient pas plus à l'un qu'à l'autre. Sans sortir de notre première supposition, lorsque j'agite le vase moitié vide et moitié plein, le vide n'est-il pas mu tout aussi bien que le fluide ? Je plonge une boule de métal, creuse, dans une bouteille ; la boule va au fond ; ne voilà-t-il pas un vide qui se meut dans un plein, tout de même que les corps C meuvent dans le vide ? L'espace plein ne diffère donc de l'espace vide, ni par la mobilité, ni par l'irréductibilité ; l'impénétrabilité qui distingue le premier du second, n'est donc pas la même chose que cette irréductibilité; c'est un je ne sais quoi qu'on ne peut définir, parce que c'est une idée première.

Les deux lois fondamentales dont je suis parti ( XI ), sont donc des vérités purement expérimentales ; et je les ai proposées comme telles.

Une explication détaillée de ces principes n'entrait pas dans le plan de cet ouvrage, et n'aurait peut-être servi qu'à embrouiller les choses : les sciences sont comme un beau fleuve, dont le cours est facile à suivre, lorsqu'il a acquis une certaine régularité ; mais si l'on veut remonter à la source, on ne la trouve nulle part, parce qu'elle est partout ; elle est répandue en quelque sorte sur toute la surface de la terre : de même si l'on veut remonter à l'origine des sciences, on ne trouve qu'obscurité, idées vagues, cercles vicieux ; et l'on se perd dans les idées primitives.

J'ai lu par ordre de Monseigneur le Garde des Sceaux un Manuscrit intitulé Essai sur les Machines en général. Cet Ouvrage m'a paru joindre au mérite des choses, celui de la clarté et de la précision ; et je pense que l'impression en sera utile aux progrès de la mécanique. À Dijon, ce 6 Janvier 1782, Maret, Censeur royal.

  1. Il est évident que cette propriété appartient successivement aux mouvements que j'appelle ici géométriques, et que ce serait par conséquent en avoir une idée très fausse, que de les regarder comme des mouvements simplement possibles, c'est-à-dire compatibles avec l'impénétrabilité de la matière : car, supposons par exemple que tout le système se réduise à deux globes adjacents, et se poussant l'un l'autre ; il est clair que si l'on force ces corps à se réparer, ou à se mouvoir en sens contraire l'un de l'autre, ce mouvement ne sera pas impossible, mais qu'en même temps les corps ne peuvent le prendre sans cesser d'agir l'un sur l'autre: ce mouvement n'est donc pas propre à remplir le but qu'on se propose, qui est de ne rien changer à l'action réciproque des corps.
  2. Un corps qu'on force à changer son état de repos ou de mouvement, résiste (XI) à l'agent qui produit le changement ; et c'est cette résistance qu'on appelle force d'inertie : pour évaluer cette force, il faut donc décomposer le mouvement actuel du corps en deux, dont l'un soit celui qu'il aura l'instant d'après ; car l'autre sera évidemment celui qu'il faudra détruire, pour forcer le corps à son changement d'état; c'est-à-dire la résistance qu'il oppose à ce changement ou sa force d'inertie, d'où il est aisé de conclure, que la force d'inertie d'un corps, est la résultante de son mouvement actuel, et d'un mouvement égal et directement opposé à celui qu'il doit avoir l'instant suivant.
  3. Il est évident que la quantité de mouvement perdue m U, est la résultante du mouvement qu'aurait eu l'instant d'après le corps m, s'il eût été libre, et du mouvement égal et directement opposé à celui qu'il prendra réellement; or, le premier de ces deux mouvements, est lui-même la résultante du mouvement actuel de m, et de sa force motrice absolue ; donc m U est la résultante de trois forces qui sont : sa force motrice absolue, sa quantité actuelle de mouvement, et la quantité de mouvement égale et directement opposée à celle qu'il doit avoir l'instant d'après ; mais suivant la note précédente, ces deux dernières quantités de mouvement ont pour résultante la force d'inertie ; donc m U ou F est la résultante de la force motrice de m et de sa force d'inertie ; c'est-à-dire que la force exercée par un corps quelconque y à chaque instant est la résultante de sa force motrice absolue, et de sa force d'inertie.
  4. On parle souvent des forces passives; mais qu'est-ce qu'une force passive; qu'est-ce qui la différencie d'une force active ? Je crois qu'on n'a pas encore répondu à cette question, et même qu'on ne se l'est jamais faite. Or, il me semble que le caractère distinctif des forces passives, consiste en ce qu'elles ne peuvent jamais devenir sollicitantes, quel que soit ou puisse être le mouvement de la Machine, au lieu que les forces actives peuvent agir, tantôt en qualité de forces sollicitantes, et tantôt en qualité de forces résistantes. Sur ce pied, les obstacles et points fixes sont évidemment des forces passives, puisqu'ils ne peuvent agir ni comme forces sollicitantes, ni comme forces résistantes (XXXI).
  5. Il est à remarquer que dans tout ce qui vient d'être dit au sujet d'une Machine considérée dans différentes positions, et de son passage de l'une à l'autre ; il est, dis-je, à remarquer que ces positions font toujours supposées telles, qu'on passe de l'une à l'autre par un mouvement qui soit à chaque instant de ceux que j'ai appelés géométriques ; autrement toutes ces propositions seraient sujettes aux mêmes défauts que nous avons cru (V) pouvoir reprocher au principe de Descartes, et à plusieurs autres.