Études d’économie sociale - Les associations ouvrières

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ETUDES
D'ECONOMIE SOCIALE

LES ASSOCIATIONS OUVRIERES.

Les questions qui intéressent le sort des populations ouvrières sont aujourd’hui l’objet d’une préoccupation générale. Il n’y a point lieu d’en être surpris. D’une part, les réformes de la législation économique, l’immense développement de l’industrie, le régime de la concurrence, ont amené, dans les conditions du travail, des changemens considérables, dont les effets doivent nécessairement s’étendre à tous les agens de la production. D’un autre côté, la révolution politique qui se résume dans le suffrage universel a donné une large part de discussion et d’influence à des millions de citoyens qui jusqu’alors étaient demeurés étrangers aux affaires publiques. Comment ne pas tenir compte de ces deux grands faits ? On pouvait dire récemment encore : Tout pour le peuple, sinon tout par lui. Cette maxime, généreuse à coup sûr, n’est plus de saison. La révolution politique et économique l’a modifiée en ce sens que le peuple a désormais le droit de ne s’en rapporter qu’à lui-même pour le règlement de ses destinées : droit redoutable non-seulement pour le peuple, mais encore pour la société tout entière, car, si ce droit était mal exercé, il en résulterait de graves déceptions et un dommage général. Ainsi s’explique l’attention qui s’attache aux questions ouvrières. On cherche à discerner les idées qui se dégagent de la situation nouvelle, on s’applique à prévoir l’usage que les intéressés se disposent à faire de leurs nouveaux droits, et l’on interroge avec sollicitude leurs opinions, leurs vœux et leurs premiers actes.

D’après les manifestations dont nous sommes témoins, c’est la pensée d’association qui inspire la plupart des plans formés dans les ateliers : il s’agit d’une espèce particulière d’association dite coopérative, par laquelle les ouvriers, contribuant eux-mêmes à la formation d’un capital, pourraient emprunter individuellement sur ce capital ou l’employer collectivement soit à la production, soit à la consommation. Désormais, selon la nouvelle doctrine, il n’y aurait plus de salariés, chaque producteur deviendrait un associé ; il n’y aurait plus d’intermédiaires, chaque consommateur deviendrait son propre marchand. Le travail serait ainsi plus largement rémunéré, et les denrées de première nécessité seraient moins coûteuses : double bénéfice pour les populations ouvrières. En outre, et cette considération est placée en première ligne, l’égalité serait définitivement établie entre tous les citoyens : plus de patrons abusant de la tyrannie du capital et opprimant la main-d’œuvre, plus d’ouvriers courbés sous la loi du maître ou forcés de payer les services d’intermédiaires parasites. L’association, qui ne recruterait que des égaux, vengerait la dignité humaine en même temps qu’elle répandrait le bien-être et la fortune dans le vaste champ du travail.

Voilà le progrès qui nous est annoncé, ou du moins voilà l’idéal que l’on poursuit. La question est sortie des régions de la théorie abstraite pour entrer dans le domaine de la législation. Elle est donc, quoique jeune encore, arrivée à ce point de maturité où il devient nécessaire de l’étudier sérieusement. Pendant que les jurisconsultes s’appliquent à la révision du code pour faciliter le développement du régime de l’association, il n’est pas sans intérêt d’examiner les doctrines qui forment le point de départ du mouvement coopératif. Ces doctrines peuvent être ramenées à trois termes principaux, suppression du salariat, suppression des intermédiaires, gouvernement des ouvriers par les ouvriers eux-mêmes sous la forme de l’égalité la plus complète. Ainsi se traduit l’association égalitaire qui devrait résulter de la nouvelle organisation du travail. La question intéresse tout à la fois la politique, l’économie politique et l’économie sociale, et il n’est pas surprenant que par ce triple aspect elle inspire des espérances et des craintes en passionnant les esprits. Il y a là une réminiscence très marquée des problèmes qui s’agitaient si bruyamment en 1848 ; avec des termes un peu différens, ce sont, à vrai dire, les mêmes idées, les mêmes prétentions, les mêmes illusions.

La suppression du salariat doit, assure-t-on, ouvrir l’ère de l’émancipation des classes ouvrières. La révolution de 1789 n’a profité qu’à la bourgeoisie ; elle est demeurée incomplète. Le salariat, qui lui a survécu, n’est que la continuation du servage féodal ; il faut qu’il disparaisse pour faire place à l’association, d’où sortira l’affranchissement pour les ouvriers. Tel est le rôle politique que l’on assigne à la future réforme. En second lieu, l’intermédiaire, ce bourgeois, cet usurier qui prélève sur la production et sur la consommation des bénéfices excessifs et inutiles pour la société, l’intermédiaire, lui aussi, doit être supprimé pour laisser à ceux qui travaillent, comme à ceux qui consomment, la part qu’il retient indûment sur la valeur des produits ; telle sera la conséquence de la révolution économique. Enfin désormais la grande armée ouvrière n’aura plus à obéir à des chefs pris en dehors d’elle : plus de patrons, plus de capitaux étrangers ; elle tirera tout de son sein, le crédit, les forces productives et la direction. Cette direction même devra être constituée de manière à ne point admettre de gérance individuelle ni permanente, car on retournerait ainsi vers le régime monarchique du patron ; elle appartiendra alternativement à tous les associés, de telle sorte que chacun ait sa part dans l’administration, comme il aura sa part dans le travail. Voilà quel est au point de vue social le but du système. — Nous nous bornons à résumer brièvement les doctrines de la nouvelle école. Il convient de reconnaître que parmi les publicistes qui secondent le mouvement réformiste il en est qui ne s’aventurent pas aussi avant et qui apportent à ce programme de nombreux amendemens ; mais il ne s’agit pas de discuter ici sur des nuances : ce qu’il faut rechercher et ce qu’il importe d’apprécier, c’est l’idée générale et fondamentale telle qu’elle est exprimée le plus fidèlement par les ouvriers eux-mêmes qui ont pris la parole ou la plume dans ce débat, et par ceux de leurs conseillers qu’ils paraissent avoir constitués leurs mandataires devant l’opinion publique. Or cette idée, dégagée des détails d’exécution qui parfois l’obscurcissent sans la dénaturer, est bien celle que nous venons d’exposer et qui aboutit à ces trois termes : émancipation politique, émancipation économique, émancipation sociale ; c’est bien là ce que les ouvriers attendent de l’association coopérative.

Il ne viendra certes à l’esprit de personne de contester les bienfaits de l’association. Politiquement l’association forme et consolide les nationalités, elle resserre les liens entre les citoyens du même pays ; économiquement elle favorise la production et contribue au bien-être universel ; socialement enfin elle est, son nom seul l’indique, la société elle-même. L’association, c’est-à-dire l’union des forces s’accroissant par leur accord ou l’union des faiblesses créant ainsi la puissance collective, l’association est l’image la plus saisissante et la plus vraie du progrès moderne. On ne saurait contester davantage que le principe qui a reçu déjà de si nombreuses applications doive recevoir de nouveaux développemens, revêtir des formes nouvelles et s’étendre vers des régions où il n’a pas encore pénétré ; mais précisément en raison des séductions qui entourent le principe, des avantages qu’il promet et des illusions qu’il provoque, l’intérêt bien entendu de la société conseille d’analyser de très près les conséquences que voudraient en tirer les esprits trop ardens et les imaginations téméraires. L’association est un instrument aussi délicat qu’il est puissant ; il faut prendre garde de le forcer et de le fausser. Les bonnes intentions et les sentimens généreux ne suffisent pas en pareille matière. On a beau élever la question à la hauteur d’une idée politique et sociale ; l’économie politique est là avec ses lois certaines et ses règles inflexibles pour réprimer les élans qui s’écartent des routes laborieusement frayées par l’expérience de tous les temps.

En tête du programme réformiste figure l’abolition du salariat. Qu’est-ce donc que ce salariat si honni ? Il semblerait qu’il s’agit là d’un régime particulier sous lequel vivent les ouvriers qui travaillent de leurs bras, d’une sorte de condition servile qui est imposée à une classe particulière de la nation, et qui est contraire aux lois de l’égalité. En vérité, il nous suffit de regarder autour de nous pour voir que le salariat est un régime général, qui s’applique indistinctement à tous les genres de travail et à toutes les catégories de travailleurs. Le salaire est le mode le plus commun de rémunération. Presque tous, à quelque degré que nous soyons placés dans ce qu’on appelle l’échelle sociale, à quelque nature de production que nous consacrions notre labeur, nous recevons le salaire, nous en vivons. Quel que soit le nom dont on le décore, le prix qui nous est payé en échange d’un service rendu est un salaire. Par conséquent les ouvriers ne sont point assujettis, sous ce rapport, à une condition particulière, et l’inégalité contre laquelle ils protestent n’existe pas. Le premier grief, le grief politique et social, à l’aide duquel il n’est que trop facile d’aigrir les ressentimens et d’exciter les passions, se trouve ainsi péremptoirement écarté.

C’est méconnaître singulièrement le salariat que de le mettre en opposition avec l’association. Si l’on veut bien prendre la peine de considérer le salariat dans son principe et dans ses conséquences, on découvrira qu’il procède en ligne directe de l’association elle-même. Tout produit à créer implique le concours du capital, de l’intelligence et de l’effort manuel. Si ce produit, une fois créé, était assuré de trouver un placement dans la consommation et de se vendre moyennant un prix déterminé, rien ne serait plus aisé que de partager ce prix de vente entre les divers agens de la production au prorata de la part de travail accomplie par chacun d’eux. Dans ce cas, la rémunération du capital, de l’intelligence et du labeur manuel serait uniforme, sinon égale ; il ne serait plus question ni d’intérêt, ni de profit, ni d’honoraires, ni de salaire, ni de toutes ces autres dénominations par lesquelles la langue vulgaire et la langue économique expriment la récompense due au travail ; on se bornerait à partager entre les associés, sauf discussion sur la quotité respective des parts, le produit de la vente. Il y aurait pour tous une rémunération de même nature, et il suffirait d’un seul terme pour l’exprimer ; mais en fait l’opération ne se présente pas avec cette simplicité. La vente ne suit pas immédiatement la production ; le travail ne se réalise pas au jour le jour : souvent le produit se vend au-dessous du prix équitable de rémunération ; quelquefois, après avoir été vendu à crédit, il n’est pas payé ; il arrive enfin qu’il ne se vend à aucun prix. Quelle est alors la situation des associés ? L’un peut, grâce à ses ressources accumulées, attendre le moment où il recevra la rémunération de son concours ; l’autre ne peut pas attendre ; celui-ci peut supporter une perte, celui-là ne le peut pas ; tandis que tel est en mesure d’affronter un risque, tel autre n’a ni la faculté ni la volonté de courir la moindre chance. Bref, autant d’associés, autant de conditions différentes auxquelles il a fallu pourvoir par des modes différens de rémunération et de paiement. Le salaire est l’un de ces modes ; il procède d’une combinaison non-seulement licite, mais encore nécessaire, qui attribue à une partie des agens de la production, quelle que soit l’époque de la vente du produit, quel que soit le résultat de cette vente, gain ou perte, une rémunération immédiate et certaine, tandis que les autres agens qui ont fourni le capital, les matières premières, l’outillage, etc., se chargent de liquider l’opération à leurs risques, périls et profits. Ainsi l’association existe pour la fabrication des produits, puisque sans le concours des divers agens que nous avons énumérés cette fabrication serait généralement impossible ; de même c’est en vertu d’un contrat, d’un véritable acte de société dans toute l’acception du mot, que la valeur intrinsèque et la valeur du travail, contenues et confondues dans chaque produit, se répartissent entre les associés sous des formes qui, pour être dissemblables, n’en demeurent pas moins l’expression et comme le dernier terme de l’association, et qui ont le mérite d’être appropriées aux besoins, aux intérêts, aux convenances très variables de tous les agens producteurs. Loin d’être incompatible avec le principe d’association, la forme du salariât est en théorie un corollaire de l’association des forces humaines, et en pratique un procédé rationnel, nécessaire et universellement appliqué.

Ce qui répand à première vue quelque incertitude sur la question, c’est que les adversaires du salariat invoquent contre lui les erreurs et les abus auxquels peut donner lieu la fixation du salaire. Ils montrent que dans certains cas le taux du salaire n’est point ce qu’il devrait être, qu’à défaut du libre débat entre le producteur qui le paie et le producteur qui le reçoit, c’est-à-dire entre le patron et l’ouvrier, le second se trouve le plus facilement lésé dans ses intérêts et qu’il est à cet égard dans un état d’infériorité qui blesse le sentiment de justice, que dans la répartition des produits du travail commun le salarié est réduit à la condition du plus faible sacrifié au plus fort, et qu’il se voit impuissant à revendiquer, à obtenir ce que lui attribuerait un partage équitable. Raisonner de la sorte, c’est déplacer la question. Il est bien vrai que le régime légal du travail peut altérer le taux naturel du salaire. Aussi les économistes ont-ils toujours réclamé contre les lois, contre les règlemens, contre les coutumes qui tendent à fausser la valeur d’échange pour les services personnels ; mais de ce que la loi est imparfaite, il ne faut point conclure que le principe est mauvais. La loi peut n’être et n’est trop souvent que l’expression incorrecte d’une idée juste. Demandez qu’on l’améliore, attachez-vous à faire disparaître tout ce qui gêne la liberté en pareille matière, analysez les élémens si nombreux, si compliqués et si obscurs qui se résument dans le salaire, ainsi que les circonstances si variables de temps, de lieux, de personnes, qui influent sur le prix courant, sur le prix vrai du travail, et recherchez les moyens par lesquels on arriverait à déterminer le plus sûrement la part de rémunération qui revient à chaque agent de la production, sans que l’un soit jamais sacrifié à l’autre. Voilà le champ qui est ouvert, et pour longtemps encore, aux investigations utiles. Quant au principe du salariat, il est tout à fait innocent des erreurs de législation que l’on signale et que l’expérience peut rectifier : il se justifie par sa propre vertu ; il subsiste et il demeure invulnérable, parce qu’il offre des garanties de rémunération qui conviennent à la plupart des producteurs, qui leur sont même nécessaires, et parce qu’il maintient dans le travail collectif les conditions de sécurité et de permanence sans lesquelles toute association et la société elle-même périraient.

Est-il besoin maintenant de démontrer combien est fausse l’opinion qui attribue au salaire une origine féodale et un caractère servile ? Étrange abus de l’histoire ! Quel rapport y a-t-il entre le seigneur du moyen âge et le propriétaire ou le patron moderne, entre le serf attaché à la glèbe et l’ouvrier de nos champs et de nos villes ? Quel rapport entre la corvée et le travail libre ? La première, la plus grande conquête de la révolution de 1789 a été l’affranchissement du travail, et c’est la rémunération directe de l’effort individuel qui est demeuré le signe de cet affranchissement. D’où viennent, au sein de notre société réformée depuis moins d’un siècle, les accroissemens de production, de consommation, de richesse, dont nous observons les phases si rapides ? D’où viennent ces énergiques et constantes poussées de bas en haut qui font que les fils des anciens serfs aspirent légitimement, eux aussi, au bien-être, à la fortune, au commandement ? Cette immense transformation sociale est le produit du travail rémunéré, qui a succédé au travail imposé, et s’il est prouvé que le salaire figure pour la plus forte part dans la rémunération générale, comment pourrait-on y voir un instrument de servage ? On veut évidemment donner à la question qui agite les populations ouvrières l’appareil d’une réforme politique. D’un problème qui est et restera un problème économique, on s’applique à faire un problème social ; mais l’on évoque vainement le moyen âge, et la féodalité, et les seigneurs, et les serfs. Tout cela est mort, et il ne reste plus de cette poussière qu’un sujet de déclamation.

Le second article du nouveau symbole réformiste a pour objet la suppression des intermédiaires, qui, placés entre la production et la consommation, rendent celle-ci plus coûteuse. On veut que par l’association coopérative les populations ouvrières soient affranchies du tribut qu’elles paient au marchand de détail. Il s’agit ici d’une révolution dans le commerce d’approvisionnement. La question est purement économique ; or le raisonnement et l’expérience démontrent que, sauf les abus et les inconvéniens qui s’attachent à toute combinaison humaine, les intermédiaires remplissent une fonction indispensable dans le mouvement des transactions. Plus une société progresse, plus les intermédiaires utiles se multiplient, de même que les plus puissantes machines obéissent à l’impulsion que leur transmettent les rouages en apparence les plus compliqués. Ce n’est là que l’application du grand principe de la division du travail. La production et la vente comprennent un si grand nombre d’opérations distinctes pour s’adapter aux besoins si divers et si multiples de la consommation, qu’il est tout à la fois plus économique et plus prompt de répartir le travail entre différentes catégories d’agens. A chacun sa fonction, dont il s’acquitte d’autant mieux qu’il s’y consacre avec une aptitude plus spéciale et plus exclusive. Ce n’est pas à dire qu’il n’y ait pas d’intermédiaires superflus : il faut admettre encore que tel intermédiaire, utile pour un temps, peut devenir nuisible, lorsque par exemple les marchés se déplacent et se rapprochent ; mais dès que l’abus devient manifeste, la concurrence est bientôt là pour y mettre ordre. Quelle que soit la combinaison que l’on imagine, on n’en trouvera pas qui l’emporte sur la division du travail, réglée par la concurrence. On verra plus loin que la création de magasins coopératifs pour la vente des denrées de consommation usuelle n’est point de nature à ébranler ce principe, et que le commerce libre, exercé par les intermédiaires qui s’appellent boulangers, bouchers, épiciers, etc., satisfait mieux que tout autre système aux intérêts de la consommation.

Enfin la troisième doctrine que l’on professe, c’est que désormais dans l’œuvre de la production les ouvriers doivent agir seuls, par leurs propres forces, sans aucun élément étranger, sans chefs et sans patrons. La délicatesse et la défiance vont même, sur ce point, jusqu’à proscrire la direction permanente d’un chef unique ou même d’un conseil choisi dans le sein de l’association. Il est vraiment superflu de faire remarquer que dans la pratique ce système aboutit à l’anarchie, c’est-à-dire à la ruine de toute opération industrielle ou mercantile. Toutefois ce n’est là qu’un incident ; attachons-nous seulement à la doctrine. Qu’est-ce autre chose que la création d’une caste ouvrière et une sorte de retraite sur le mont Aventin ? La révolution a supprimé toute distinction sociale : parmi les principes qu’elle a proclamés, le principe d’égalité est le seul peut-être qui, à travers nos vicissitudes politiques, soit demeuré inébranlable ; les lois, interprètes fidèles de nos idées et de nos mœurs, se sont appliquées à lever les barrières que la tradition et la force des choses maintenaient encore entre les différentes classes de citoyens ; elles tendent à opérer chaque jour une fusion plus intime des intérêts et des personnes ; le noble et le bourgeois sont passés à l’état de personnages historiques. Si l’on découvre quelque inégalité oubliée dans un article de nos codes, il suffit de la dénoncer pour que l’opinion publique se soulève contre elle. Et voici qu’au milieu de ce mouvement universel on recommande comme un progrès la formation d’une société ouvrière ayant ses intérêts, son gouvernement, sa hiérarchie à part, et faisant divorce avec le reste de la grande société à laquelle nous appartenons ! S’il était vrai que d’égoïstes manœuvres ou des combinaisons jalouses eussent enlevé systématiquement aux populations ouvrières le droit ou la faculté de profiter, elles aussi, des conquêtes de la révolution et de s’élever par l’intelligence et par le travail, on concevrait les représailles ; mais il est plus facile d’énoncer que de prouver une pareille thèse, contredite par les faits autant que par le sentiment public. Conseiller aux ouvriers de s’associer dans des conditions qui excluent toute participation étrangère, c’est aller à l’encontre de leurs intérêts ; recommander ces associations en quelque sorte fermées, qui constitueraient une vaste corporation ouvrière, c’est reculer vers le moyen âge et tourner le dos au véritable progrès social tel que l’a compris la révolution même que l’on invoque, et tel que les réformes apportées à nos lois civiles et commerciales tendent à le réaliser chaque jour plus complètement. Pour tout dire en un mot, il n’est rien de plus anti-social que ce prétendu régime d’association.

Que l’on ne nous accuse pas d’avoir exagéré le sens ni la portée des doctrines qui nous sont, présentées comme exprimant la pensée des populations ouvrières. Pour peu que l’on étudie les récens écrits qui traitent de l’organisation du travail, on voit se dégager très nettement les trois idées fondamentales que nous avons cru pouvoir résumer par ces trois termes : suppression du salariat, suppression des intermédiaires, création de la corporation des ouvriers. Ces idées nous paraissent fausses, impraticables et rétrogrades. Si politiquement elles sont dangereuses, car toute illusion qui s’empare vivement de l’esprit populaire peut devenir un sérieux élément de trouble dans la société, il n’y a pas à s’en inquiéter au point de vue économique. Les doctrines nouvelles n’ébranleront pas les bases sur lesquelles reposent le travail et l’échange des services. Cependant, à côté des principes absolus qu’il était nécessaire d’examiner d’abord, le mouvement coopératif a suscité des propositions plus modestes auxquelles l’attention ne saurait être refusée. Il ne s’agit plus de remplacer par l’association ouvrière le salariat et le reste ; on désire simplement élargir le cercle et accroître la puissance de l’association au moyen de combinaisons qui, en rendant le crédit plus accessible, permettraient aux ouvriers de participer plus directement aux bénéfices de la fabrication et de l’échange des produits ; on s’appuie sur la réussite de ces combinaisons en Angleterre et en Allemagne, sur les essais tentés en France même depuis 1848, et l’on espère améliorer ainsi le sort de ceux qui travaillent. Peut-être les publicistes qui se sont voués à cette recherche n’ont-ils pas décliné avec assez de décision toute solidarité avec les principes absolus que nous combattions tout à l’heure,. et qui ne seraient jamais pour eux que des alliés compromettans ; mais du moins ils n’invoquent point d’autres doctrines que celles que la science avoue, et leur langage a le mérite d’être exempt des déclamations que l’on remarque ailleurs. Toute la question est de savoir si les désirs qu’ils expriment, les espérances qu’ils conçoivent et les promesses qu’ils se croient autorisés à faire luire aux yeux des ouvriers sont de nature à se réaliser aussi sûrement qu’ils le supposent, et s’ils ne sont pas eux-mêmes sous le charme décevant de l’illusion.

En matière d’innovations, la meilleure propagande vient de l’exemple. Vainement on se lierait aux principes les plus certains et aux démonstrations les plus éloquentes. Si l’on n’est point en mesure de présenter des exemples qui attestent réellement et matériellement l’application pratique des principes, on risque de se heurter contre l’incrédulité et de prêcher dans le désert. Pour prouver le mouvement, il faut d’abord marcher. Aussi les conseillers du mouvement coopératif cherchent-ils leur principal argument et puisent-ils une grande force dans les résultats obtenus en Allemagne et en Angleterre. — Voyez, disent-ils, ces millions de thalers qui circulent de l’autre côté du Rhin, par l’entremise des banques du peuple créées sous la direction de M. Schultze-Delitzsch ! Voyez encore, sur l’autre rive de la Manche, les millions de livres sterling qui alimentent les magasins d’approvisionnement ! — Et ces preuves faites, ils demandent pourquoi les combinaisons qui réussissent chez les peuples voisins ne réussiraient pas également en France, pourquoi les ouvriers français seraient moins prévoyans que les ouvriers allemands ou anglais, pourquoi ils se montreraient moins portés à l’épargne, moins habiles pour la gestion de leurs intérêts.

Il ne faut assurément point contester ces exemples, mais il importe de les analyser et de les mesurer. La doctrine coopérative, on le sait, s’applique quant à présent à trois ordres d’opérations distinctes : au crédit, à la consommation, à la production. Or les exemples cités montrent que les sociétés de crédit sont plus nombreuses en Allemagne qu’en Angleterre, que les sociétés de consommation sont plus répandues en Angleterre qu’en Allemagne, et que les sociétés de production sont très rares dans les deux pays. Ces différences dans la pratiquent dans la réussite indiqueraient déjà que la coopération n’est point d’une efficacité générale, — que telle ou telle de ses formes est utile dans un pays, moins utile ou même inutile dans un autre, et que le succès peut tenir, non point à sa vertu propre, mais à des conditions particulières qui dépendent des mœurs, des lois et de circonstances purement locales. Il ne convient donc pas de décider à priori que les combinaisons essayées en Angleterre et en Allemagne sont nécessairement appelées à prospérer en France. Il n’y aurait là tout au plus qu’une présomption tirée de l’étude superficielle des faits. En second lieu, il ne serait pas sans intérêt d’examiner dans quels rangs de la population se recrutent en Allemagne les sociétaires qui participent aux opérations des banques du peuple, et de même quels sont communément les sociétaires des magasins d’approvisionnement en Angleterre, car on ne doit pas perdre de vue que les promoteurs de la coopération en France se fondent sur l’intérêt des ouvriers, des salariés, qui travaillent dans les ateliers des villes ou dans les campagnes. S’il arrivait que les sociétaires allemands ne fussent point, à proprement parler, des ouvriers, et que la clientèle des stores anglais fût restreinte à une catégorie spéciale de la population ouvrière, les exemples que l’on invoque perdraient une grande partie de leur valeur et de leur autorité.

Pourquoi les sociétés de crédit populaire sont-elles plus nombreuses en Allemagne qu’en Angleterre ? C’est évidemment parce que le crédit allemand est moins perfectionné, moins complet, et ne répond point à tous les besoins de la production. La banque du peuple est venue combler une lacune ; mais il eût beaucoup mieux valu que l’organisation générale des banques permît de se passer de ce mécanisme spécial, qui n’a point la même raison d’être en Angleterre, où abondent les instrumens de crédit. En outre, si l’on consulte la statistique des banques du peuple en Allemagne, on remarque que ces banques ont proportionnellement beaucoup plus de sociétaires dans les petites villes que dans les cités industrielles, ce qui indique qu’elles sont plutôt à l’usage des artisans modestes et des marchands de détail qu’à l’usage des ouvriers proprement dits. — D’un autre côté, pourquoi les sociétés de consommation sont-elles plus répandues en Angleterre qu’en Allemagne ? Cela vient de ce que la population ouvrière anglaise est tout à la fois beaucoup plus nombreuse et beaucoup plus agglomérée. Cette double condition du nombre et de l’agglomération des consommateurs est indispensable pour l’organisation économique d’une sorte de ménage en commun. Aussi n’existe-t-il de stores coopératifs que dans les grands centres manufacturiers de l’Angleterre. Les ouvriers des campagnes et des petites villes connaissent à peine cette institution. Quant aux sociétés de production, nous répétons qu’elles n’ont pris jusqu’à ce jour aucun développement en Angleterre ni en Allemagne : il suffit de constater ici le fait, le commentaire viendra plus loin.

Après cette courte excursion dans les deux pays où se manifeste, sous des formes différentes, la doctrine coopérative, nous pouvons bien demander, à ce qu’il semble, comment il se fait que la France se soit laissé devancer, soit pour la conception, soit pour l’organisation pratique d’un régime auquel on attribue une si grande influence sur le progrès social. A part toute vanité nationale, n’est-il pas vrai que la France ne le cède à aucun autre peuple quand il s’agit de principes et de réformes égalitaires, et son génie n’est-il point essentiellement organisateur, à ce point que ses lois et ses règlemens, dans les matières qui exigent l’ordre et l’économie, sont partout imités à l’étranger ? Si cela est, comment n’a-t-elle pas eu l’idée de l’association coopérative ? comment ne l’a-t-elle pas déjà mise en pratique ? — L’idée, nous répondent les survivans des écoles de Fourier et de Saint-Simon, l’idée appartient à la France, mais elle a été gâtée par l’alliage politique qu’y a introduit après 1830 et surtout après 1848 la démocratie révolutionnaire. Née en France, l’idée d’association a été discréditée par le socialisme. — Admettons que notre pays ait découvert le principe de la coopération, il n’en serait que plus difficile d’expliquer pourquoi la pratique a été si longtemps retardée, pourquoi, durant les quinze années de paix intérieure qui viennent de s’écouler, elle a été si lente, car jusqu’ici la statistique des sociétés coopératives se réduit à un chiffre très minime. Serait-ce l’effet des mœurs ? Mais aucune nation n’est plus sociable que la nôtre ; nulle part les rapprochemens entre les citoyens ne sont plus naturels, grâce au sentiment d’égalité qui prévaut dans toutes les classes de la population. Serait-ce l’effet des lois ? Mais on ne saurait prétendre que la législation allemande, qui n’a point fait obstacle à la constitution des banques du peuple, soit plus libérale, plus flexible sous ce rapport que la législation française. Si donc la coopération ne s’est point propagée en France, bien que nos mœurs la favorisent et que nos lois n’y opposent point d’empêchement absolu, il faut évidemment qu’elle n’ait pas parmi nous les mêmes raisons d’être qu’ailleurs, et il est logique d’en conclure que nous n’avons, pour réformer nos institutions industrielles, ni les mêmes besoins, ni le même intérêt que les Anglais et les Allemands.

Ces exemples écartés, ou du moins ramenés à leur juste valeur, examinons les trois principales formes de sociétés coopératives et attachons-nous d’abord aux sociétés de crédit. Laissons de côté, pour ne pas compliquer inutilement cette étude, les nombreux ouvriers des campagnes, qui sont trop disséminés sur le sol pour être réunis en un faisceau d’association mutuelle et solidaire. Il suffit de considérer les ouvriers de l’industrie : c’est d’ailleurs à ceux-ci que s’appliquent particulièrement les projets de réforme. Ces ouvriers forment deux catégories tout à fait distinctes : les uns travaillent moyennant salaire dans des ateliers dirigés par des patrons, les autres travaillent isolément ou par petits groupes, façonnant les matières premières qu’ils achètent, et vendent soit à des intermédiaires, soit, au consommateur directement, les produits qu’ils ont ainsi fabriqués. Les ouvriers salariés dans les ateliers aspirent à tirer de leur travail premièrement leur subsistance de chaque jour, puis une garantie, une sorte d’assurance pour les chances de maladie, pour les infirmités de la vieillesse et pour les périodes de chômage, enfin, autant que cela est possible, un reliquat destiné à former un modeste capital à l’aide duquel ils espèrent sortir des rangs de l’atelier et devenir à leur tour patrons. Il faut donc qu’ils aient à leur portée des caisses qui reçoivent en dépôt la portion de salaire successivement prélevée en vue de satisfaire à leurs besoins éventuels et ultérieurs. Ce sont, pour la maladie, les caisses de secours mutuels, — pour la vieillesse les caisses de retraite, — pour le chômage la caisse d’épargne. On ne songe pas à détruire l’institution des sociétés de secours mutuels non plus que celle des caisses de retraite pour la vieillesse, dont il serait désirable au contraire que les ouvriers comprissent mieux l’utile mécanisme. Il ne s’agirait donc que de savoir, s’il convient de remplacer les caisses d’épargne par des sociétés de crédit qui pourvoiraient aux périodes de chômage et qui hâteraient la formation d’un petit capital. Or, pour la catégorie d’ouvriers dont il est ici question, la caisse d’épargne, qui s’ouvre à toute heure et rend sûrement ce qui lui a été versé, est et demeure préférable aux combinaisons plus ou moins compliquées d’une banque dont les résultats seraient soumis à toutes les éventualités qui affectent le crédit. Dans son propre intérêt, l’ouvrier salarié ne peut être que déposant : l’ériger en prêteur, alors qu’il doit au préalable employer le salaire à sa subsistance et aux prélèvemens de la maladie et de la vieillesse, ce serait le plus souvent une amère dérision ; le constituer emprunteur, ce serait presque toujours le plonger plus avant dans la ruine pour un temps indéfini. C’est l’épargne, c’est la prévoyance qui doit, bien mieux que l’emprunt, lutter contre le chômage ; c’est également l’épargne, réalisable sans délai et sans risque, qui peut fournir à l’ouvrier dont nous parlons le capital d’établissement.

La situation est différente pour les ouvriers qui travaillent isolément ou par petits groupes, et que l’on désigne d’ordinaire sous le nom d’artisans. Ici, à côté des caisses de secours mutuels, de retraite et d’épargne, il y a place pour le crédit, on peut même dire que le crédit est indispensable. Par la nature de ses opérations, l’artisan, qui doit acheter ses matières premières et vendre le produit fabriqué, n’est point seulement un ouvrier, il fait en même temps acte de commerce, et du moment que la rémunération de son travail n’est pas immédiate, il a besoin de ressources pour attendre qu’il ait réalisé le prix de son œuvre. L’emprunt qu’il fait dans de telles conditions est garanti par la valeur des matières premières et hypothéqué en quelque sorte sur le futur prix de vente qui comprendra tout à la fois le remboursement des avances, le salaire de la main-d’œuvre et le bénéfice d’industrie. L’intervention du crédit est dès lors très logique, puisqu’elle est provoquée par l’existence d’un gage à peu près certain. Aussi le crédit existe-t-il réellement en France et en Angleterre pour cette branche d’opérations, qui est beaucoup plus étendue qu’on ne le suppose, et qui, à Paris notamment, siège d’une fabrication très morcelée, présente de nombreuses ramifications. C’est à l’usage de cette catégorie d’ouvriers, se confondant jusqu’à un certain point avec celle des marchands de détail, que fonctionnent le plus généralement les banques du peuple qui se propagent en Allemagne sous l’inspiration de M. Schultze-Delitzsch. Faut-il appeler cela le crédit populaire ? Si l’on prétendait attacher à cette dénomination un sens particulier dans le langage de l’économie politique, on se tromperait gravement. Le crédit n’est ni aristocratique, ni bourgeois, ni démocratique : il est simplement le crédit. Ce n’est pas l’honorer, c’est le diminuer que de l’affubler d’un adjectif et de l’enrégimenter sous un drapeau. Il se doit à tous, et à tous il se donne, moyennant les garanties qu’il est de son droit et de son devoir d’exiger. On peut multiplier les combinaisons destinées à étendre et à fortifier ces garanties : à ce point de vue, l’association mutuelle et solidaire, en offrant au capital prêteur des sûretés plus grandes, est de nature à rendre des services, et elle mérite d’être encouragée ; mais de ce progrès désirable et possible à une réforme, à une révolution ouvrière, comme on le proclame trop pompeusement, il y a loin. Quand l’ordre règne, quand le travail abonde, quand l’artisan emprunteur se montre digne de confiance, le crédit dans les pays tels que la France et l’Angleterre, à Paris comme à Londres, répond avec empressement aux demandes. Il n’en est apparemment pas de même dans les pays d’Allemagne, puisque le nouveau système y a pris de tels développemens, et ce qui le prouve, c’est le taux même des conditions du prêt dans les banques du peuple. Nous lisons dans les statuts de la banque de Delitzsch que l’intérêt et la provision pour les sommes prêtées s’élèvent à 8 pour 100. Si c’est là du crédit populaire, ce n’est point du crédit à bon marché. — En résumé, pour ce qui concerne les associations coopératives de crédit, nous pensons que les ouvriers qui travaillent moyennant salaire dans les fabriques et dans les grands ateliers n’y ont aucun intérêt, et nous admettons qu’elles peuvent être utiles aux artisans dans les régions où le crédit n’a point encore suffisamment pénétré : ce qui revient à dire qu’en France très heureusement, grâce à la diffusion des moyens ordinaires de crédit, l’expédient importé d’Allemagne ne sera que d’un usage très restreint.

Nous passons aux sociétés de consommation. Le but à atteindre, c’est de procurer aux ouvriers associés, dans les meilleures conditions de qualité et de prix, les denrées de consommation, notamment celles qui sont destinées au ménage. Voici le moyen : à l’aide de l’épargne, accrue par le versement de minimes cotisations, les associés organisent un magasin, nomment un gérant, font acheter les denrées en gros et les achètent individuellement au détail. Les magasins qui sont ainsi formés doivent-ils être ouverts à tout le public ou aux associés seulement ? Convient-il que le prix de vente soit immédiatement réduit au prix de revient ou qu’il soit maintenu au cours du marché général, saut à répartir plus tard entre les acheteurs le bénéfice formé de la différence entre le prix de revient et le prix courant ? Ce sont là des questions d’application, très importantes sans doute, mais indifférentes pour l’étude préalable du principe. Il importe surtout d’examiner la combinaison en elle-même, de décider si elle constitue un progrès, si elle est facilement réalisable, enfin dans quelles circonstances et dans quelle mesure elle pourrait être utile aux populations ouvrières.

L’objet et le résultat de la combinaison, c’est de supprimer pour une classe de consommateurs les intermédiaires qui, sous le nom de bouchers, de boulangers, d’épiciers, etc., font le service de l’alimentation publique. Est-ce là un progrès ? L’expérience enseigne que la consommation est d’autant mieux pourvue que le travail de l’approvisionnement et de la vente se répartit entre un plus grand nombre d’agens, et il doit en être ainsi, parce que chaque branche de commerce exige des aptitudes spéciales et s’exerce dans des conditions particulières. Plus l’effort est concentré et ramassé en quelque sorte, plus il est puissant et fécond. Il est permis d’affirmer que, pour l’abondance, la régularité et la qualité des approvisionnemens, aucun système n’est préférable en général au régime de la division du travail et de la distinction des professions, régime que l’on voit s’établir presque au début de toute organisation sociale, et s’étendre au fur et à mesure que l’ordre et la civilisation se développent. Le système que l’on préconise est absolument contraire à ce qui se pratique partout, et quand il s’agit d’un intérêt aussi sérieux, aussi universel, cette contradiction, apportée par les faits et attestée par l’expérience, équivaut à une condamnation décisive. Serait-il vrai pourtant que l’association, exploitant un magasin de denrées alimentaires, puisse assurer à ses affiliés une économie dans les prix d’achat, parce qu’elle leur réserverait le bénéfice que prélève le marchand de détails C’est le côté séduisant de la proposition ; mais on oublie que le bénéfice du boulanger, du boucher, etc., n’est autre chose que la rémunération d’une dépense de capitaux, de temps, d’intelligence, et la compensation des risques auxquels est exposée toute opération mercantile. Il faudra donc que l’association, se substituant aux intermédiaires, supporte les frais et les risques. On oublie encore que le marchand de détail ne réalise de bénéfices appréciables qu’en attirant et en disputant à la concurrence une clientèle très nombreuse. L’association aura donc besoin pour prospérer de recruter dans son sein et au dehors la foule des cliens, et il n’est pas présumable qu’un simple gérant fasse les mêmes efforts et obtienne les mêmes résultats que le commerçant libre inspiré de toutes les ardeurs et de toutes les audaces de l’intérêt personnel. On ne signale que les bénéfices ; il serait juste de tenir également compte des pertes, et si l’on examinait la question sous tous ses rapports, on reconnaîtrait facilement que l’association avec son gérant, qui devrait cumuler plusieurs branches de trafic, avec son capital le plus souvent restreint, avec ses règles de prudence nécessaires, serait en définitive moins fortement armée contre la concurrence, par conséquent plus vulnérable que ne l’est le détaillant expérimenté dans son métier jouissant d’un bon crédit et pouvant faire mouvoir librement tous les ressorts de l’action commerciale.

S’il suffisait aux acheteurs de constituer des associations pour obtenir les denrées avec le double avantage de la bonne qualité et du bas prix, et si la formation des associations de cette nature entre les ouvriers n’était empêchée ou retardée que par le manque de capitaux, on verrait sans aucun doute les consommateurs riches et aisés, qui possèdent et au-delà les ressources nécessaires, recourir au procédé coopératif, car ils ne sont pas moins intéressés que les ouvriers à s’affranchir d’intermédiaires qui les serviraient mal et chèrement. Qui donc serait assez peu avisé pour dédaigner une économie qui porterait sur la plupart de ses achats les plus usuels ? Si la combinaison est bonne pour les ouvriers, elle est bonne pour tout le monde, et chacun doit s’en emparer. Associés et capitaux afflueront avec empressement. Comment n’est-ce pas déjà fait ? Alors que pour les entreprises les plus diverses le mécanisme de l’association est employé avec tant de succès, comment n’y a-t-on pas songé tout d’abord pour ce grand et universel besoin de la consommation ? C’est qu’en vérité le progrès n’est pas là ; c’est que la consommation est mieux servie par la division du travail ; c’est que le régime de la concurrence assure, autant que cela est possible, la bonne qualité des produits et la modération des prix de vente. Le trafic des denrées alimentaires n’est point soumis à des règles particulières : il ne connaît d’autres lois que la liberté et la concurrence.

Il peut arriver que, dans certaines éventualités, la concurrence n’existe pas. Voici, par exemple, une grande usine dans une localité où l’ensemble de la population ne comporte pas la présence de plusieurs commerçans. Les rares magasins qui existent sont mal approvisionnés parce qu’ils ne sauraient compter sur un débit abondant ; ils vendent cher parce qu’ils n’ont en perspective que des opérations limitées, et qu’ils ne craignent point de concurrence. Alors il est évidemment de l’intérêt des ouvriers de se réunir en sociétés de consommation, et il existe en France plusieurs usines où, soit par l’initiative des ouvriers, soit sous le patronage des chefs d’industrie, des sociétés de cette nature se sont constituées et fonctionnent au grand avantage de tous ceux qui y participent. Il peut arriver encore que, dans une ville populeuse où la concurrence s’exerce très activement entre les marchands de détail, on organise avec profit des magasins spéciaux à l’usage d’ouvriers employés dans une vaste entreprise, ayant tous à peu près les mêmes besoins dg logés à proximité de leur travail. On cite à cet égard l’exemple que donne à Paris la compagnie du chemin de fer d’Orléans, et encore convient-il de faire observer que le magasin dont il s’agit a été organisé et est administré par la compagnie elle-même, et que peut-être le seul concours des ouvriers n’aurait point réussi à le fonder ou à le maintenir. Quelques autres exemples, en petit nombre, pourraient être signalés. Ces magasins rendent des services incontestables ; mais ils ne fonctionnent guère qu’à titre d’expédiens. Ils remplacent la concurrence absente jusqu’à ce que celle-ci, provoquée par l’appât d’un profit, apparaisse à son tour, ou bien ils subsistent dans des conditions qui n’ont rien de commercial, qui les mettent à l’abri de tous risques et qui les rattachent à une grande combinaison industrielle, dont les chefs d’industrie dirigent et assurent les mouvemens. Ériger ces expédiens en système, proposer comme règle ce qui n’a été jusqu’ici et ne sera jamais que l’exception, c’est, nous le croyons fermement, commettre une grave erreur et ouvrir à l’ambition du mouvement coopératif une carrière qui se fermera pour lui dès les premiers pas.

Nous arrivons aux sociétés de production. Elles tiennent la plus grande place dans le débat, à ce point qu’elles sont considérées comme étant la fin suprême, et que les sociétés de crédit et de consommation ne seraient que le moyen. La plupart des économistes qui se rallient à cette pensée admettent le salaire, dans lequel ils ne se refusent pas à voir une forme légitime et honorable de rémunération pour le travail. Ils voudraient seulement que cette forme devînt moins générale, et ils estiment que l’association coopérative permettrait à un grand nombre d’ouvriers de recueillir directement les bénéfices de la production. Chaque associé serait pour ainsi dire une part de patron. Examinons, comme nous l’avons fait pour les sociétés de crédit, ce qui est possible.

Ici encore se présente la distinction nécessaire entre la grande et la petite industrie, entre les ouvriers agglomérés dans les usines et les artisans. Pour les premiers, l’association coopérative devient de jour en jour plus impraticable. Ce qui caractérise l’industrie moderne, c’est qu’elle tend à produire en grand, avec de puissans capitaux, à l’aide de machines perfectionnées et très coûteuses, pour diminuer le prix de revient et pour lutter contre la concurrence. Cette transformation du mécanisme industriel profite à la société tout entière en ce qu’elle procure une fabrication plus abondante et plus économique. Ajoutons incidemment qu’elle profite surtout aux ouvriers en ce qu’elle est accompagnée d’une hausse plus ou moins marquée dans la rémunération de la main-d’œuvre ; on observe en effet que, sauf des exceptions assez rares, les plus forts salaires se rencontrent dans les ateliers qui possèdent le meilleur outillage. Or, quelque combinaison que l’on imagine, on ne réussira pas à former du premier coup avec des cotisations ouvrières, si nombreuses qu’elles soient, le capital indispensable pour constituer la fabrique de manière qu’elle puisse affronter la concurrence des grandes usines, parer aux risques de pertes et supporter les crises qui viennent trop souvent compromettre la production. Par conséquent l’association coopérative ouvrière se trouverait, dès le début, dans une situation d’infériorité manifeste, et si elle ne succombait pas tout de suite, son existence ne serait qu’un pénible et stérile débat contre l’insuffisance de son capital. Les fabriques ne naissent plus aujourd’hui qu’avec des capitaux entièrement réalisés ; elles ne résistent pendant les crises et elles ne se développent aux jours de prospérité que par l’apport de fortes réserves de capital. Pour les installer comme pour les soutenir, l’accumulation successive de minimes cotisations demeurerait presque toujours impuissante.

Restent donc les artisans. Pour peu que nous observions les faits, nous sommes frappés du nombre de patrons qui ont commencé par être ouvriers. Chaque jour, l’ouvrier d’hier, recueillant ses modestes épargnés et obtenant une commandite, s’établit et devient chef d’industrie. Nous n’avons rien à envier sur ce point à l’Angleterre ni à l’Allemagne. De toutes les nations de l’Europe, là France est celle où la transition de l’état d’ouvrier à celui de patron est le plus fréquente. C’est que réellement la société française ne connaît plus ni castes ni classes : les lois n’entravent plus l’élévation naturelle qui est due à l’intelligence et au travail ; les mœurs la favorisent ; nous nous sentons tous honorés, nous apprécions les bienfaits du nouveau régime comparé avec l’ancien lorsque nous voyons parmi les chefs d’industrie les hommes qui ont débuté dans les derniers rangs de l’atelier. Toutes les professions qui ne réclament qu’une faible mise de capital se recrutent ainsi. L’association coopérative est-elle destinée à donner une impulsion plus vive et plus étendue à ce mouvement ascensionnel ? Doit-elle remplacer, au profit d’un plus grand nombre d’artisans, la méthode simple qui a créé jusqu’ici les patrons de la petite et de la moyenne industrie ? Il est à craindre, quand on se laisse entraîner à cette espérance, que l’on ne se rende pas suffisamment compte de la nature même des sociétés de production.

Tout produit implique l’emploi du capital et de la main-d’œuvre, et la valeur de ces deux élémens ne se réalise que par la vente. Lorsque le capitaliste qui fournit l’argent n’intervient dans la production que pour recevoir l’intérêt stipulé, et lorsque l’ouvrier qui apporte la main-d’œuvre n’intervient également que pour recevoir la rémunération convenue, sans que ni l’un ni l’autre aient à s’occuper de la vente du produit, l’opération ne présente aucune difficulté.. Le paiement des salaires est réglé et effectué préalablement à la perception du prix de vente., Si au contraire le producteur se charge tout à la fois de la fabrication et de la vente, l’entreprise devient commerciale, et comme la rémunération du travail, ainsi que celle du capital, ne peut se retrouver que dans le prix payé par le consommateur, c’est le caractère commercial qui domine l’ensemble de l’opération. L’association coopérative pour la production aboutit donc à la création d’une véritable maison de commerce, et dès lors elle est soumise à tous les hasards. Pour le crédit coopératif, chaque associé peut n’être compromis que jusqu’à concurrence du montant de ses cotisations : la majeure partie de son salaire demeure intacte. De même dans les sociétés de consommation le salaire n’est atteint qu’en proportion de la cotisation consentie par l’ouvrier. En outre la perte de la mise est limitée, parce que les marchandises en magasin, achetées au jour le jour en vue d’un débit à peu près certain, ne seront jamais complètement dépréciées. La situation est bien différente pour les sociétés de production. Ici ce n’est plus une partie du salaire qui est engagée, c’est le salaire tout entier, car le paiement du travail dépend absolument du résultat de la vente des produits. En vain dira-t-on que l’ouvrier associé recevra d’abord un à-compte représentant la valeur approximative de son travail en attendant que le prix de vente ait été réalisé. Du moment que la vente est aléatoire, tout ce qui dépend d’elle, intérêt du capital et salaire du travail, est également aventuré, de telle sorte qu’il y aurait imprudence a escompter la valeur vénale des produits, et que la moindre crise commerciale compromettrait d’un seul coup non-seulement l’association, mais encore la subsistance même des associés. Voilà ce qui rend particulièrement difficile la société coopérative pour la production. Elle transforme en risque commercial la rémunération du travail et si elle peut à certains momens donner quelques bénéfices à l’ouvrier, elle doit en temps de crise lui apporter infailliblement la ruine et la misère. Dans l’organisation actuelle de la production et du commerce, la faillite d’un fabricant ou d’un négociant affecte le capital beaucoup plus que le salaire ; avec l’organisation nouvelle, la faillite de l’association coopérative frapperait le salaire en même temps que le capital, ou plutôt elle frapperait exclusivement le salaire, car le capital social est formé à l’aide des économies de l’ouvrier, et par la multiplicité des victimes, elle prendrait les proportions d’un véritable désastre.

S’il est démontré que la société de production n’est en réalité qu’une entreprise commerciale, et quelle offre l’inconvénient très grave, d’établir entre le travail de la main-d’œuvre et l’opération de la vente une, solidarité qui est dangereuse pour l’ouvrier, il faut au moins, si l’on y persiste, la constituer de manière à conjurer ce péril autant que possible. Le régime administratif, le mode de gestion a donc une importance capitale. Or que propose-t-on le plus généralement ? On désire que l’association coopérative, en appelant tous ses membres à prendre part à la direction de l’affaire commune, contribue à l’instruction, à la dignité, à l’amélioration morale autant qu’au bien-être matériel des associés, et sous l’inspiration de cette louable pensée, qui ne peut manquer de séduire l’imagination de ceux qu’elle intéresse, on organise un système de réunions fréquentes, provoquant une discussion presque continuelle, plaçant les délégués qui ont temporairement la gérance dans l’obligation d’exposer, et d’expliquer à toute heure leurs actes et la situation de la société. Quoi de plus rationnel au premier abord ? Malheureusement les entreprises commerciales ne s’accommodent point d’une telle procédure. Les contradictions inséparables de débats fréquens, l’inévitable tumulte des réunions, la révélation des affaire engagées, la critique même juste des actes de la gérance, toutes ces conditions qui procèdent de la forme républicaine ou parlementaire sont en désaccord avec les convenances du commerce. Périlleuses pour les sociétés de crédit et de consommation, elles seraient fatales pour les sociétés de production, dont l’œuvre, plus complexe plus hasardeuse, exige impérieusement l’esprit de suite, l’harmonie intérieure, la discrétion. Aux embarras très sérieux qui résultent du caractère de la société de production, l’on ajouterait les difficultés personnelles. Il n’est point nécessaire de s’étendre longuement sur ce point. Quiconque aura pratiqué quelque peu les affaires industrielles et commerciales sera certainement frappé du vice constitutionnel des sociétés coopératives. On prétend faire de l’égalité, de la fraternité, de la démocratie ; mais avec cette démocratie invoquée à faux les associés seraient le plus souvent ruinés. Au surplus les meilleures intentions ne peuvent rien contre la nature des choses : aussi voit-on que dans aucun pays, pas plus en Angleterre qu’en Allemagne, les sociétés de production n’ont fait jusqu’ici de progrès appréciables ; il n’apparaît aucun symptôme de leur prochain développement.

Il convient cependant d’admettre une exception, analogue à celle que nous avons signalée en parlant des sociétés de crédit, pour certaines catégories d’ouvriers qui travaillent isolés, façonnant la matière première qu’ils ont achetée eux-mêmes et vendant leurs produits soit à des fabricans ou à des marchands, soit directement au consommateur. L’industrie des ébénistes offre à Paris le modèle le plus exact de ce genre de travail. On conçoit parfaitement qu’un groupe de ces ouvriers, se connaissant, ayant à peu près la même aptitude, les mêmes besoins et les mêmes intérêts, s’associe pour diminuer les frais généraux de l’achat des matières premières et de la vente des produits ; mais dans cet exemple la coopération ne comprendra qu’un nombre relativement peu considérable d’ouvriers, et le succès sera subordonné à des conditions de direction et de discipline qui se rencontrent rarement dans les réunions humaines. Si l’association est incontestablement un excellent principe, on doit distinguer dans la pratique entre les associations de personnes et les associations de capitaux. Ces derniers, très difficiles à attirer et à réunir, se laissent manier très aisément une fois qu’ils se trouvent ensemble ; ils sont muets, sourds, aveugles ; ils ne discutent pas, ils obéissent, et pourvu que l’intelligence qui les met en mouvement sache tirer d’eux un bon parti, ils enrichissent tous ceux qui les ont apportés à l’œuvre commune. Au contraire les personnes, dont la réunion est si facile, se heurtent, se combattent et se séparent plus aisément encore : il ne suffit pas de les rapprocher une première fois, il faut les maintenir ensemble pendant tout le temps que le travail s’accomplit, et les conserver patientes et fidèles à travers les alternatives de la bonne et de la mauvaise fortune. L’association coopérative est essentiellement une association de personnes : c’est là sa faiblesse, inhérente à notre nature ; c’est là le grand obstacle et le fatal dissolvant. Qu’il s’agisse de sociétés de consommation, de sociétés de crédit ou de sociétés de production, on doit compter sérieusement avec cette difficulté, qui est la plus grave de toutes.

Nous avons essayé de démontrer que le régime coopératif, absolument impraticable pour les ouvriers de la grande industrie, ne serait que d’une application très restreinte parmi quelques groupes d’artisans. On fait beaucoup de bruit pour n’aboutir qu’à de médiocres résultats. Si pourtant la législation actuelle sur le régime des sociétés ne se prête pas au mécanisme spécial de la coopération, et cela paraît évident, on ne saurait hésiter à la compléter, car il ne faut pas qu’une forme de société de laquelle, à tort ou à raison, l’on espère quelque bien soit interdite ou gênée par les articles du code. La présentation d’un projet de loi et l’enquête qui vient d’avoir lieu prouvent que le gouvernement s’occupe de la question. Bientôt sans doute la société coopérative aura son régime légal tout comme la société anonyme et la société en commandite. L’expérience montrera ce qu’elle contient réellement d’utile et d’efficace dans l’intérêt du travail.

Nous l’entendons discuter partout, cette grande cause du travail ; mais ses nombreux avocats ne parlent pas tous le même langage. Les uns, s’attardant à la poursuite d’une révolution sociale accomplie depuis plus d’un demi-siècle, demandent la réhabilitation du travail, qui n’a jamais été plus honoré, l’affranchissement de serfs qui n’existent plus, et l’avènement de la démocratie au moment même où il ne serait que trop permis de répéter que la démocratie coule à pleins bords. Les autres, transformant la question du travail en argument politique, s’en emparent avidement et s’appliquent à enrôler les ouvriers dans les rangs d’un parti où ces recrues du suffrage universel apporteraient la puissance, aujourd’hui formidable, du nombre. Quant aux économistes, si l’on excepte les esprits ardens qui se sont livrés dès le premier jour au courant des doctrines nouvelles et qui aspirent à la direction du mouvement coopératif, ils se tiennent à l’écart et ne s’expriment encore que timidement, soit que la situation ne leur semble pas aussi périlleuse qu’elle l’était en 1848, soit qu’ils craignent de compromettre par des objections importunes, le crédit de la science qu’ils aiment et la popularité de leur nom. Au milieu de ces déclamations, de ces appels passionnés, de ces doutes, dans cette Babel aux mille langues, comment espérer que la froide discussion pourra éclairer et résoudre le problème ? Il est aussi déplaisant que difficile d’opposer la contradiction aux promesses et aux illusions qui circulent parmi les populations ouvrières de nos villes ; mais il est permis d’exprimer au moins des réserves sur l’efficacité probable de ces réformes que l’on nous montre si grandes, mais qui, analysées de près à la lumière des faits et des principes, pourraient bien n’être plus que de vulgaires expédiens. Quoi qu’il en soit, l’épreuve va se faire, et un avenir prochain nous dira si la doctrine coopérative est en mesure de tenir tous les engagemens que l’on a pris en son nom.


C. LAVOLLEE.