Études sur le moyen âge - De l’histoire des lettres et des beaux-arts pendant le XIVe siècle en France

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Études sur le moyen âge - De l’histoire des lettres et des beaux-arts pendant le XIVe siècle en France
Revue des Deux Mondes2e période, tome 53 (p. 383-429).
ETUDES
SUR LE MOYEN AGE

DE L’HISTOIRE DES LETTRES ET DES BEAUX-ARTS
PENDANT LE XIVe SIECLE EN FRANCE


COUP D’OEIL GENERAL SUR LE MOYEN AGE.

Je ne m’engage pas de mon chef dans une question aussi vaste que l’est l’histoire des lettres et des arts pendant le XIVe siècle en France. J’ai derrière moi un grand ouvrage qui mérite d’être loué, cité, médité. Je l’ai médité pour en parler, je le citerai pour m’en appuyer, je le louerai pour lui rendre justice. Il s’agit du tome XXIV de l’Histoire littéraire de la France, commencée par les bénédictins, continuée par l’Académie des Inscriptions. C’était l’habitude des bénédictins, quand ils entraient dans un nouveau siècle, de l’inaugurer par un discours qui en offrait l’idée générale et l’ensemble, habitude religieusement observée par leurs successeurs. Le XIIIe" siècle étant achevé et le XIVe devant être mis sur le chantier, la tâche échut à MM. Le Clerc et Renan d’esquisser l’un les lettres, l’autre les arts durant cette époque. Ces deux parties, très inégales en longueur, remplissent un de ces grands volumes in-quarto familiers à l’érudition bénédictine, et sont l’œuvre sur laquelle j’appelle l’attention des lecteurs de la Revue[1]. Il s’agit non d’événemens, mais d’idées, d’opinions et de livres.

Qu’est-ce que le XIVe siècle ? je veux dire quel rôle a-t-il joué dans ce vaste labeur où l’élite de l’humanité, d’abord engagée inconsciemment, aperçoit maintenant un développement à poursuivre, des buts successifs à atteindre, et le suprême encouragement de devenir plus savante dans les voies de la nature et meilleure dans son propre gouvernement politique et moral ? Hors de cette élite, les siècles passent à la file les uns des autres, se ressemblant tous, et diversifiés seulement par le jeu et les accidens des ambitions. Dans le sein de cette élite, ils passent avec une fonction déterminée par la lutte entre les perturbations de la vie sociale et politique et la conscience croissante de la raison et de la justice. C’est cette lutte qu’on nomme progrès, civilisation, et qui fait l’intérêt souverain de l’histoire : sans elle, l’histoire est une chronique d’événemens sans vertu ; avec elle, l’histoire est une science qui voit la force vive éclore, grandir et produire ses effets.

Le XIVe siècle est une de ces époques qui tiennent plus de l’esprit de celle qui va suivre que de celle qui a précédé. Un malaise inconnu le travaille, et, sans qu’il le veuille ou qu’il le sache, les institutions s’ébranlent, ou du moins cessent de remplir leur office régulier. L’obstacle n’est pas au dehors, ce qui pourrait n’être que passager ; il est au dedans, ce qui est le signe de quelque lésion grave qui envahit l’organisme social. On nommerait révolutionnaire ce siècle, si au milieu de ses agitations quelque doctrine positive ou négative le poussait ; mais il n’en a point, et il souffre seulement de l’usure naturelle des organes qui jusqu’alors avaient entretenu la vie de la société. Il est, comme le malade, pleinement innocent du mal qui l’entreprend ; il ne l’a ni cherché, ni voulu ; il ne sait même, au moment où il souffre, de quoi il souffre : c’est l’évolution qui se fait, indépendante des hommes dans la sphère inférieure de leurs volontés et de leurs vues, mais dépendante d’eux dans la sphère supérieure des acquisitions scientifiques, morales et industrielles.

Un philosophe dont l’influence s’exerce aujourd’hui sur la méthode dans les hautes conceptions scientifiques, Auguste Comte, a dit qu’à tort on fixait l’ouverture de l’ère révolutionnaire en Europe au XVIe siècle, qu’il fallait l’avancer de deux cents ans, et que l’ébranlement des institutions et des opinions datait du XIVe qui le premier avait ressenti et manifesté la décadence du régime catholico-féodal. Cette notion profonde fait partie de toutes celles qu’il a données à profusion dans les trois derniers volumes de son système de philosophie positive, et elle y est née moins du détail des faits que d’une conception générale tellement vraie et forte qu’aucun des nœuds, aucune des crises de l’histoire ne lui échappait. C’est là que je l’ai prise, et je m’en suis servi souvent, ayant reconnu à l’user que je pouvais m’y fier, car, depuis beaucoup d’années, mes travaux se sont dirigés vers un coin de ce vaste pays qu’on nomme le moyen âge ; ce coin, c’est l’étude de la langue d’oïl.

Voici venir une démonstration complète, par le détail et par les faits, de la proposition du philosophe. Un érudit renommé, l’homme d’Europe qui connaît le mieux l’histoire littéraire du moyen âge (et c’est surtout d’idées qu’il s’agit ici), M. Le Clerc, donne pour conclusion de son grand discours que le XIVe siècle est caractérisé par l’affaiblissement de l’ancienne unité catholique et la dissolution prochaine de la société féodale. Ces deux termes comprennent le tout de la révolution moderne à son début. Ce qui rend remarquable cette rencontre entre le philosophe et l’érudit, c’est que celui-ci n’a reçu aucune influence de celui-là. Quand les documens lui eurent passé par les mains, quand il les eut classés et interprétés, la lumière qu’ils donnèrent fut décisive, et le caractère du siècle apparut dans sa réalité. Ceux qui, lisant le philosophe, douteront de la certitude de son aperçu n’auront qu’à prendre le discours de l’érudit ; ceux qui, lisant l’érudit, voudront savoir la liaison théorique des différentes parties du moyen âge, auront recours au philosophe.

L’importance est grande à noter correctement les époques. Considérez ce qui arrive en plaçant l’ébranlement des bases du système du moyen âge, comme on fait d’ordinaire, au XVIe siècle. Alors on peut soutenir, non sans apparence, que l’événement est accidentel, en ce sens du moins qu’il est dû non à l’insuffisance de l’organisme catholico-féodal, mais à des causes extrinsèques que l’on signalerait avec plus ou moins d’exactitude. Qu’on suppose Léon X moins besoigneux d’argent, la vente des indulgences moins scandaleuse, un moine augustin de moins ; la réforme n’éclate pas et les choses restent dans le vieil état, si bien qu’à ce point de vue un Bossuet peut, dans la dernière moitié du XVIIe siècle, prédire la fin des scissions et le retour à l’unité catholique. Cette prédiction, si terriblement démentie par les événemens, était d’avance condamnée par des nécessités historiques que les préjugés théologiques de l’auteur des Variations ne lui permettaient pas d’apercevoir. Mais quand les faits établissent qu’en pleine prospérité, tant intérieure qu’extérieure, au XIVe siècle, le moyen âge s’ébranle de lui-même et que cet ébranlement, loin de recevoir aucun amendement se prolonge tout le long du XVe, alors on arrive à concevoir que la réforme n’est qu’un moment particulier dans une révolution qui commence avant elle et qui ne finit pas avec elle, que cette réforme à son tour s’est trompée en croyant avoir trouvé un point fixe, et que successivement toutes les parties du système catholico-féodal, tant religieuses que politiques, ont été soumises à une critique ardente dont une des manifestations capitales fut la révolution française. Le XIVe siècle ouvre la marche, et depuis lui chaque siècle n’est occupé qu’à préparer dans l’ordre des idées de nouvelles conceptions et dans l’ordre pratique de nouvelles institutions. Depuis ce temps-là, la société n’a plus retrouvé son guide dans l’église, ni l’église son image dans la société.

Quand on porte, pour s’en occuper, le regard sur une grande époque, il faut se demander à quoi l’on va s’intéresser et quel parti l’on prendra dans la chute de ceci ou le progrès de cela. La réponse est donnée par la philosophie de l’histoire : prendre parti pour ce qui doit favoriser le développement humain. L’historien qui place dans certaines croyances et certaines institutions du passé le type duquel on ne peut s’écarter sans déchoir et dégénérer n’a que des déplorations pour tout ce qui, survenant, modifie, altère, renverse le type sacré. De son côté, l’historien qui n’a pour apprécier les choses qu’un rationalisme plus ou moins métaphysique et révolutionnaire ne peut s’abstenir de verser haine et mépris sur ces époques qui ne satisfont point à des conceptions non contrôlées par le fait et l’expérience. Cela seul, — je veux dire ce chagrin qu’ici cause le caractère de l’avenir et cette haine que cause le caractère du passé, — suffit pour établir essentiellement le fondement même de la philosophie de l’histoire, philosophie qui ne peut consister qu’à comprendre que ce caractère de l’avenir et celui du passé n’ont rien de différent ni de contradictoire, qu’une même force produit un enchaînement d’évolutions, et que celui-là seul qui sait la retrouver partout est arrivé à la conception philosophique. Sans doute l’homme qui ne se contente pas de penser et qui sent en même temps voudrait bien des fois que cette histoire fût différente ; mais en combien d’autres domaines, parmi ceux où se déploie la nature ouverte à nos regards et à nos investigations, ce même souhait ne se fait-il pas entendre ! Une fatalité (j’entends par fatalité la condition des choses) s’impose à nous partout, et en s’imposant suscite en même temps ce sentiment de peine pour un ordre imparfait, cette douleur des maux que font les choses, et cet effort héroïque et séculaire pour les modifier : sentiment, douleur, effort qui sont l’apanage de l’humanité prenant conscience d’elle-même !

M. Le Clerc dit : « Le moyen âge avait été l’œuvre et le domaine de l’église. Au moment où il va finir, un nouvel ordre social ne pouvait se former qu’à travers les incertitudes, les déchiremens, les malheurs publics et privés qui accompagnent les révolutions. » C’est dans cet esprit qu’il faut considérer le XIVe siècle : il est l’ouverture à une phase nouvelle et plus avancée de la civilisation. Quant aux malheurs publics et privés qui accompagnent les révolutions, il importe de s’entendre là-dessus : je ne les nie ni ne les aime, ni ne les revêts de noms flatteurs ; mais il serait injuste, historiquement, de ne pas rendre aux choses leur caractère relatif. Les révolutions ne prennent point les sociétés dans un état de béatitude dont elles les arrachent pour les lancer dans les champs de l’inconnu ; ce qui les précède est la guerre, la lutte des états contre les états, des classes contre les classes. Pour ne parler ici que du XIVe siècle, le moyen âge ne fit, non plus que l’antiquité païenne, régner l’âge d’or : il fut un âge de fer, si l’on entend par là les guerres, les conquêtes, les invasions ; mais, à part la France, qui souffrit cruellement de guerres mal conduites contre l’Angleterre (et cela est en dehors du développement historique), le XIVe siècle ne présente point de maux exceptionnels.

On entendrait mal ce qui se passa, si l’on considérait comme une condamnation préméditée par les hommes d’alors la séparation qui commence au XIVe siècle. Ce n’est pas un mauvais régime que l’on repousse et que l’on foule aux pieds insurrectionnellement ; c’est un régime devenu insuffisant auquel on essaie de se soustraire. L’enfant qui grandit prend d’autres vêtemens, ou, si l’on veut, l’homme qui passe dans la vie à une position plus active et plus éminente a besoin de changer les dispositions de l’édifice patrimonial qu’il ne peut ni ne veut quitter, mais qu’il transforme pour sa nouvelle condition.

On m’a reproché d’avoir repoussé les opinions qui font du moyen âge un abîme de superstition et de ténèbres, d’avoir vanté les bienfaits de l’église quand elle demeure seule debout entre Rome défaillante et la barbarie envahissante, d’avoir compté parmi les grandes créations d’une société tout imprégnée du besoin de la prière et de l’ascétisme chrétien ces couvens qui, au milieu même des Germains débordés, cultivaient, enseignaient, civilisaient, enfin d’avoir assigné un rôle puissant et une noble part à l’évolution dans ce qui est considéré comme une chute profonde et une dégénération misérable par rapport à l’antiquité païenne. De la sorte, de ce côté, j’ai perdu des amis sans en gagner de l’autre côté, et ce n’est que justice de n’en avoir pas gagné, car il est bien vrai qu’une telle doctrine historique, qui ne donne aux phases sociales qu’une valeur relative, ne satisfait pas ceux qui lui donnent une valeur absolue, et qu’à ce point de vue les religions et les institutions sont des degrés d’une évolution déterminée par l’avancement corrélatif du savoir humain et de la moralité humaine.

Ainsi donc je continue à soutenir l’opinion qu’au moyen âge appartient une place honorable dans le développement humain, et que, prenant les choses où Rome, incapable de suffire plus longtemps à la tâche sociale, les quittait, il n’a laissé ni périr ni rétrograder les élémens que le monde ancien lui remettait comme à son héritier dans les plus graves et les plus critiques circonstances qui se puissent imaginer. Et comme ici, dans ce travail, je vais passer du côté de ceux qui l’entament et sympathiser d’esprit et de cœur avec les novateurs, il n’est pas superflu d’indiquer ce qui, à mon avis, est le point culminant de ses services et le recommande particulièrement à la postérité.

Le moyen âge est le successeur de l’empire romain, comme l’empire romain fut le successeur de l’ère républicaine en Italie et en Grèce. Dès que, dans l’Occident, par l’arrivée des Barbares, le lien qui rattachait à Rome les provinces est rompu, ces parcelles divisées du grand tout cherchent à s’organiser et à vivre, et cette organisation est terminée peu après Charlemagne dans la constitution du régime catholico-féodal. Si l’on cherche en quoi ces deux époques, unies par une étroite succession, diffèrent essentiellement, on remarque qu’elles diffèrent surtout en ceci, — que l’une, l’empire romain, n’a pas d’institutions, et que l’autre, le moyen âge, en a.

Peut-être plus d’un dira : Qu’est-ce que ces institutions pour valoir qu’on en tienne compte ? Pourtant qu’on voie les choses, les difficultés, les résultats. Quand l’empire succéda à la république, qui, elle, avait des institutions, il laissa subsister les noms ; mais ces noms devinrent absolument vides. Il y eut encore un sénat, un forum et des consuls ; mais ce sénat, ce forum, ces consuls n’étaient plus que des simulacres : il ne restait qu’un empereur et des agens. Si immensum imperii corpus sine rertore librari posset, a dit Tacite… ; l’empire ne put en effet jamais trouver un équilibre sans un maître souverain. Une administration habile et puissante maintint l’ordre, leva les impôts, répartit les dépenses, entretint les armées, fit les ouvrages d’utilité publique ; mais rien, dans les trois siècles que dura l’expédient impérial, ne put faire qu’il s’établît entre le maître et les sujets quelques-uns de ces pactes qu’on appelle institutions, qui forment un principe de vie, d’action, de développement, et sans lesquels un état n’est pas un organisme. Les empereurs et les sujets furent aussi incapables les uns que les autres de pourvoir à ce vice capital qui minait peu à peu les assises du grand empire. Tacite fait dire à Galba que, si la chose était possible, il serait digne d’être celui par qui recommencerait la république ; mais la chose n’était pas possible : qui peut concevoir dans l’état du monde le rétablissement de la république antique ? Plus tard, les empereurs, accablés par l’urgence des affaires, n’eurent plus à songer qu’à se défendre contre les Barbares, et se défendirent mal. Quant aux sujets, ni les aristocraties ni les plèbes n’avaient plus aucun esprit qui les rendît maîtresses de la situation et forçât le souverain à leur accorder une part dans la gestion des affaires. C’est par cette absence d’institutions et par la désagrégation morale et politique qui s’ensuivit que les Barbares prévalurent sur Rome et que l’empire tomba.

Cette grande chute accomplie, le problème social et politique resta le même ; je me trompe, il se présenta compliqué et aggravé de la présence des Barbares, qui étaient devenus partout les maîtres de l’autorité supérieure. Il était possible que rien ne fût changé, et que l’empire se continuât sous forme morcelée. C’était manifestement la tendance des rois ostrogoths et mérovingiens ; mais la situation fut plus forte. Je dis la situation ; on entend bien que ce ne fut pas la réflexion qui, appréciant les conditions politiques, combina les institutions les mieux appropriées : cela est d’un temps plus mûr et plus instruit sur l’organisation des sociétés ; mais sous les influences qui alors se firent sentir se développèrent les germes de ce qui devint peu à peu le régime féodal.

Ce régime doit être considéré par rapport à ce qui l’a précédé et en lui-même.

Ce qui l’a précédé, c’est l’empire romain. Or, au point de vue qui nous occupe, la supériorité du régime féodal est manifeste ; il a cette supériorité qui appartient à un organisme vigoureux et apte à se développer par comparaison avec un organisme vieilli et voué à la destruction. Sur cette vieillesse et cette destruction de l’un, aucun doute n’est possible : tout dans l’empire romain allait en décadence ; les lettres, les arts, les sciences, la politique, la force militaire, subissaient de siècle en siècle une décroissance qui s’acheminait vers la ruine. Sur cette vigueur et ce rajeunissement de l’autre, il n’y a pas davantage de doute, car chaque siècle le rend plus propre à servir de transition vers l’ère moderne. Pour une société héritière de la Grèce et de Rome et ranimée par le christianisme, c’était, même avec les Barbares, la rénovation, non la ruine, qui était en perspective. Le plus bas degré de la décadence est atteint quand ce qui reste d’élégance, de lettres et d’art reçoit un dernier coup par l’établissement des Barbares ; mais dès lors la réorganisation commence ; le régime féodal s’établit, les langues modernes se forment, un vif désir de savoir remue les intelligences, de grandes choses s’accomplissent, d’heureuses découvertes se font, et tout est vie et travail.

Considéré en soi, le régime féodal n’est pas moins digne d’attention. Au premier abord, il apparaît comme un morcellement de l’autorité souveraine, et il semble qu’un pareil système n’exige pour s’établir aucune condition avancée de civilisation. Cela serait vrai, et on pourrait n’y voir qu’un de ces accidens produits par une aristocratie forte contre des princes faibles, s’il n’était pas conjoint à trois élémens capitaux qui en font le caractère et qui lui donnent une place hors ligne. Le premier, c’est d’avoir reconnu un suzerain, ce qui conserva l’idée de l’état ; le second, c’est d’avoir reconnu une autorité spirituelle pleinement indépendante de lui, et cette autorité était le catholicisme ; le troisième est d’avoir transformé l’esclavage antique en servage. Ce sont de grandes choses, et qui, quoi qu’il en soit du reste, exigent le respect de l’historien et la reconnaissance de la postérité.

Quant à ceux qui, rejetant le moyen âge comme un temps de rétrogradation et d’abaissement en toute chose, lient l’ère moderne à l’antiquité par la renaissance, il faut leur répondre que ces hommes de la renaissance qui se trouvèrent capables de prolonger l’antiquité et d’en tirer de vastes développemens furent mieux doués que les héritiers directs de cette même antiquité entre les mains de qui elle avait péri. Cette capacité plus grande est le fruit du long apprentissage subi durant le moyen âge, et les hommes du XVIe siècle purent ce que n’avaient pu les hommes de Grèce ou de Rome après la belle époque. Ils le durent à leurs prédécesseurs immédiats, les gens du moyen âge. Il faut finalement voir les choses comme elles sont : ce n’est la faute de personne si l’âge des républiques gréco-latines fut éphémère, et aboutit au despotisme macédonien en Grèce, au despotisme impérial à Rome, à un affaissement moral et intellectuel. Ce n’est la faute de personne si l’empire fut une phase lourde, sans souffle, inhabile au dedans à ranimer la vie sociale, au dehors à écarter l’effroyable catastrophe des Barbares. L’antiquité gréco-latine ayant amené les choses à ce point, c’est à ce point que les hommes purent les reprendre, et fonder avec les élémens préexistans, sociaux, religieux, politiques, un nouveau système. L’histoire montre que ni la vie, ni le souffle, ni le développement n’y manquèrent.

Et ici s’ouvre un nouveau point de vue qui agrandit la situation du moyen âge, qui en montre le caractère relativement, mais véritablement progressif. On le nomme régime catholico-féodal, et c’est justice, car alors l’église eut, dans le domaine spirituel, une domination incontestée : dogme, philosophie, science, éducation, tout dépendit d’elle ; mais l’église n’est pas l’œuvre du moyen âge, c’est le produit de cette ère qui est l’empire romain, si terne, si déchue, quand on la considère du côté païen, si vigoureuse et si puissante quand on la considère du côté chrétien. Je n’ai pas besoin de dire que je ne suis pas, avec Julien et avec le XVIIIe siècle, contre le christianisme pour Jupiter, et ce mot de Jupiter qui se trouve sous la plume suffit, sans plus, pour faire comprendre la supériorité du nouvel ordre religieux et moral qui triompha ; mais, du moment que cette supériorité est bien reconnue, on voit qu’elle se reporte sur le moyen âge, qui se l’approprie sans réserve ; le mouvement religieux eut la plus grande influence sur le mouvement social, qui lui fut subséquent, et celui qui les veut scinder se trompe historiquement. En un mot, à qui saisit l’enchaînement il apparaît que, pour passer de l’ère antique à l’ère moderne, les facultés collectives de la société durent prendre l’intermédiaire du catholicisme et de la féodalité. Celui qui arrange les choses autrement n’a dans l’esprit qu’une chimère historique.


II. — DE LA FORTUNE DE L’ANCIENNE LITTERATURE FRANCAISE EN EUROPE.

Le XIVe siècle, gond sur lequel commence à tourner la porte qui ferme le moyen âge et ouvre l’ère moderne, est, en France, le temps qui voit finir et s’éteindre l’art créé dans la haute époque. Ici art est un mot collectif qui embrasse la poésie et l’architecture ; ce furent les deux parties qui forment l’auréole de la France. Également originales, mais inégalement fortunées, la poésie chevaleresque a cessé de vivre dans la bouche et dans la mémoire des hommes, l’architecture gothique fait encore aujourd’hui passer en celui qui la contemple les sentimens qui animaient le génie des constructeurs quand ils élevèrent ces sublimes édifices où l’âme chrétienne se trouve en harmonie avec sa croyance et son Dieu.

On commence, je crois, à savoir dans le public, grâce aux érudits, que la littérature française ne date pas du XVIIe siècle, ou, si l’on veut, du XVIe qu’elle a eu un long développement antérieur, qu’elle est née vers le XIe siècle, et qu’elle florissait particulièrement au XIIe et au XIIIe. J’avoue que je suis de ceux qui tiennent aux lointains souvenirs, et que ce n’est pas sans un certain orgueil national que je vois l’esprit de la vieille France se signaler par des œuvres considérables qui plurent partout, et établir dès les temps les plus anciens ces liens qui ont été et sont encore si utiles à la communauté européenne. Telles n’étaient pas les inclinations des XVIIe et XVIIIe siècles : le XVIIIe, excusable, puisque, engagé dans la grande guerre contre les opinions catholico-féodales, il n’avait plus le pouvoir de distinguer ni de ménager ; le XVIIe, inexcusable de n’avoir eu d’estime que pour lui ou pour l’antiquité classique.

Mais quoi ! dira-t-on, des engouemens d’érudits que charme la poussière des vieux parchemins peuvent-ils prévaloir contre l’arrêt d’un oubli séculaire et rendre quelque vie à des œuvres que leur propre patrie a délaissées ? L’objection serait valable, si ces œuvres n’avaient pas jadis joué un grand rôle et exercé une influence étendue. Elles ne demeurèrent pas enserrées en d’étroites limites, l’Europe entière fut leur vaste théâtre ; l’Italie, l’Espagne, l’Allemagne, l’Angleterre, le nord Scandinave, la Grèce même, les lurent, les traduisirent, les imitèrent. Et c’est là, à vrai dire, que commence l’usage européen de la langue française ; elles le fondèrent, et l’avenir, je ne dirai pas l’agrandit, mais le confirma. Au reste, la langue et les œuvres se servirent en ceci mutuellement : sans les œuvres, la langue ne se serait pas répandue ; sans la langue, les œuvres n’auraient pas eu d’accès. Les faits antérieurs avaient destiné ce qui fut la France à parler une langue celtique ; la conquête romaine changea cet ordre, et ce fut une langue romane qui s’impatronisa dans les Gaules. Or, tout en reconnaissant le haut mérite des idiomes celtiques, ils sont dénués de cette demi-connaissance préliminaire que le latin donne des langues romanes. Pour des Italiens et des Espagnols, la langue d’oïl jadis et le français d’aujourd’hui s’ouvrent sans peine ; la difficulté n’est guère plus grande pour des Anglais et des Germains, grâce à la commune éducation classique. C’est ainsi que la langue et les œuvres se sont aidées mutuellement dans leur diffusion à travers l’Europe.

Au XIVe siècle, toute cette grande renommée était fondée. « Déjà depuis trois cents ans, dit M. Le Clerc, nos pères avaient une poésie française. Ils avaient trouvé dans le poème héroïque de belles et hautes inspirations, dans le conte d’heureux momens de vivacité et d’esprit, dans la chanson une grande variété de rhythmes et d’agréables images, dans la comédie populaire de la gaîté et de charmantes scènes, partout une invention vraiment spontanée, et qui ne devait rien à l’imitation. Que leur a-t-il donc manqué pour produire des œuvres durables, que l’on pût lire et admirer encore aujourd’hui ? Il leur a manqué le travail du style, la pratique de cet art pour lequel ils avaient cependant les conseils et les exemples des anciens, l’art de bien dire. » En appréciant à diverses reprises notre vieille poésie, j’ai fait remarquer qu’elle était moins oubliée qu’elle né paraissait, et que, si on ne répétait plus ses chants, du moins ses types s’étaient perpétués, et que les Roland, les Renaud, les Ogier n’étaient pas moins connus que les Achille et les Hector de la célèbre antiquité. M. Le Clerc confirme ce dire : « Nous y apprenons (dans le poème de la chanson de Roland), même dans l’état où il est, par quelle majesté simple et pure, par quelle brièveté entraînante, nos grandes compositions narratives, avant les perpétuels remaniemens qu’elles ont subis, conquirent dès l’abord un ascendant qu’elles ont gardé plusieurs siècles. Ce n’était pas avec un long tissu de fictions, surchargé sans cesse d’aventures nouvelles, accru hors de toute proportion, et que l’imprimerie fit allonger encore, c’était avec un récit assez court, presque nu, mais énergique et fier dans sa simplicité, que s’emparèrent de la poésie européenne les caractères nouveaux que la France venait de créer. » Dante, bien que politiquement très hostile à la France, a placé dans le paradis les preux de nos chansons de geste. Quel plus grand témoignage pouvait-il rendre à la puissance populaire de l’imagination de nos trouvères ?

Tout cet éclat du printemps chevaleresque et féodal s’évanouit sous l’inclémence du XIVe siècle. Pendant quelque temps encore, on imite, on remanie les anciens, j’entends ici par anciens les poètes des XIe, XIIe et XIIIe siècles ; mais on ne crée plus rien. Pour qu’il naisse une nouvelle poésie digne de se faire écouter, il faudra qu’il apparaisse, dans l’imagination française, de nouveaux types, un nouvel idéal auquel concoururent l’Italie, l’Espagne et l’antiquité. Ainsi s’explique la stérilité du XVe siècle ; c’est l’espace vide qui, plus ou moins long, sépare les deux termes d’une transformation.

Pendant que l’art de la poésie subissait une éclipse, un même sort atteignait l’art de l’architecture. Sans rappeler ici comment de l’église byzantine est née l’église gothique, il suffit de dire que l’art gothique, qui est la grande gloire de l’Occident et qui rivalise avec les plus belles conceptions de l’antiquité, fut la création d’artistes français. Malgré le nom fort impropre qu’il porte, l’Allemagne n’y a aucun droit, l’Italie n’en a pas davantage, et c’est de la France que ces hardies et religieuses constructions se sont étendues à l’Angleterre, à l’Allemagne et au midi ; mais, de même que le souffle désertait la poésie, il désertait aussi les autres arts, et ce visible changement, avec ses conséquences, l’auteur de la partie du discours relative aux arts pendant le XIVe siècle, M. Renan, l’a signalé ainsi : « Le XIVe siècle est, dans l’histoire de l’art français, un moment capital ; c’est le moment où il est décidé que l’art du moyen âge mourra avant d’avoir atteint la perfection, qu’au lieu de tourner au progrès, il tournera à la décadence. Cet art avait survécu de plus de cent ans au sentiment religieux et poétique qui l’avait créé ; l’inspiration semblait maintenant lui manquer tout à fait. Le goût du XIIIe siècle avait souvent été peu exercé ; jamais il n’avait été plat et vulgaire : maintenant, au contraire, le goût du laid l’emportait de toutes parts. Quand le goût renaîtra, ses efforts ne consisteront pas à continuer une tradition nationale ; ils consisteront plutôt à rompre avec la tradition. De là ce phénomène qui, pour n’être pas sans exemple, n’en reste pas moins étrange, nous voulons dire cette rupture qui, à partir du XVIe siècle, nous rend dédaigneux pour notre passé et engage à la poursuite d’un autre idéal. »

Cette rupture avec le passé quant à l’art, rupture dont on vient de voir la vive expression dans les paroles de M. Renan, n’est pas moins effective dans un autre domaine qui m’a particulièrement occupé, je veux dire la langue. Le XIVe siècle est le moment où la langue d’oïl meurt pour faire place au français moderne. La langue d’oïl est, avec la langue d’oc, la fille aînée du latin ; seules entre les langues romanes, elles ont conservé des cas, un nominatif et un régime, image diminutive de la déclinaison latine, mais image réelle. C’est sous cette syntaxe semi-latine que pendant trois siècles la langue d’oïl chante les preux de Charlemagne et les merveilles de la Table-Ronde et du Saint-Graal ; mais en même temps que l’inspiration qui l’avait animée s’amortit et s’éteint, l’oreille se déshabitue des finesses de la déclinaison et cesse d’attacher un sens précis aux finales caractéristiques. La langue se dépouille de cette part de latinité qu’elle avait retenue. Donc de ce côté aussi se présente un intervalle de déformation et de réformation, intervalle peu favorable, comme on sait, aux belles productions dans les lettres : il faut attendre que l’ordre se soit rétabli dans la langue et dans la grammaire.

Bien que par des causes purement historiques la veine d’invention et de production soit épuisée en France au XIVe siècle, l’Europe ne cesse pas pour cela de tenir en grand renom notre littérature ; ce n’est pas, il est vrai, des œuvres de ce siècle qu’elle s’occupe, mais c’est des œuvres des trois siècles qui ont précédé. Dans cette histoire de l’esprit français, il y a deux choses à noter, l’antériorité et le renom. Il est maintenant certain que la première effusion de poésie après l’établissement des nouvelles sociétés qui succédèrent à l’empire romain appartient à la France. L’Angleterre, dont la langue même ne se dégage que vers le XIVe siècle, n’a rien d’antique à présenter, L’Allemagne dès le XIIe siècle traduit ou imite nos poèmes, et n’a d’antérieur que les Niebelungen, dont l’influence fut étouffée par la poésie chevaleresque et féodale. Les œuvres de l’Espagne, sauf le poème du Cid, n’atteignent pas l’antiquité de nos plus vieilles chansons de geste, et l’Italie ne commence à avoir des poètes dont il soit gardé quelque souvenir que dans le XIIIe. C’est surtout à propos de l’Italie qu’il faut avoir présente à l’esprit l’antériorité de la France, car en ce point la fausse histoire a créé un préjugé enraciné : nous sommes accoutumés à voir en elle l’institutrice de la France comme elle le fut de la Gaule ; mais il n’en est rien. Sans doute, dans le XVIe siècle et au commencement du XVIIe, l’Italie et aussi l’Espagne exerceront beaucoup d’influence sur l’esprit français ; dans les hauts temps du moyen âge, c’est la France qui exerce de l’influence sur l’esprit italien.

Une littérature pourrait être antérieure et cependant être restée dans l’obscurité et sans influence au dehors. Loin de là, l’éclat fut grand ainsi que l’influence. Si l’on demande comment il se fit que la France eut l’antériorité, il se montre plusieurs causes dont l’analyse délicate m’entraînerait trop loin, parmi lesquelles le règne de Charlemagne tient sans doute un rang principal, et qui déterminèrent aussi les langues d’oïl et d’oc à conserver deux cas de la latinité, par prérogative sur les autres langues romanes ; mais si l’on demande comment il se fit que la France eut le succès, il est facile de répondre que le sentiment des nations catholico-féodales qui formaient un faisceau appartiendrait à qui viendrait s’en saisir. Aussi les oreilles s’ouvrirent partout avec sympathie aux premiers chants de guerre, de chevalerie, de piété et d’amour dans le monde nouveau.

Lorsqu’on se rappelle que, pendant plus de trois siècles, le français fut la langue de la cour, des hautes classes, de la justice, de la politique en Angleterre, et que la langue anglaise, formée d’allemand et de français, ne prit son indépendance qu’au XIVe siècle, on ne s’étonnera point que tout d’abord elle ait cherché ses inspirations dans notre poésie. Un savant, M. Conybeare, dont le patriotisme saxon n’est pas douteux, a déclaré qu’on ne pouvait contester aux trouvères français l’honneur de l’invention, et le commentateur de Chaucer croit que jusqu’à ce poète il n’y a pas en anglais de roman qui ne soit d’origine française. Chaucer lui-même (il suffit dans cette brève esquisse de parler de lui),

Grand translateur, noble Geffroi Chaucier,


comme dit un de ses amis, le versificateur français Eustache Deschamps, avait traduit et imité. On peut citer le Roman de la Rose, du moins tout ce qui est de Guillaume de Lorris, le Fablel du Dieu d’amour, une de nos fictions les plus anciennes et les plus gracieuses, la Ballade du village, dont le texte français n’a point reparu. Chaucer emprunta son poème de Troilus et Creseide à Boccace, qui le devait à un trouvère français du XIIe siècle. Au reste, Chaucer a dit lui-même des compositions de nos trouvères : « Des esprits supérieurs se sont plu à dicter en français (c’est l’ancien terme pour composer en vers), et ils ont accompli de belles choses. » Il n’est personne qui, en lisant le Zadig de Voltaire, ne soit frappé de l’épisode de l’ange qui, sous la forme d’un ermite, se fait pendant quelque temps le compagnon de Zadig ; puis, quand on rencontre ce récit dans l’Anglais Thomas Parnell, on retire à Voltaire cette notable conception ; mais il ne faut pas s’arrêter là : elle se trouve dans les homélies d’Albert de Padoue, mort en 1313, et finalement, au-delà d’Albert de Padoue, dans l’un de nos fabliaux les plus remarquables. La Cymbeline de Shakspeare, où le plus effronté des hommes, Jachimo, déclare avoir admiré sur le sein gauche d’Imogène une étoile à cinq rayons pareille aux gouttes de pourpre qui brillent dans le calice d’une primevère, est le sujet de Gerart de Nevers, où le signe secret que le perfide Lisiart se vante d’avoir découvert est une violette. Shakspeare a pris son drame dans Boccace ; mais Gerart de Nevers est bien antérieur à Boccace, qui l’a imité. En rappelant Troilus et Creseide, l’ange de Zadig et la Cymbeline de Shakspeare, j’ai voulu montrer que la poésie de nos trouvères vit encore, de tous les côtés, de cette vie qui consiste dans la transmission des conceptions et des formes.

Entre les nations européennes qui reconnaissent tout ce que leur premier âge littéraire doit aux inventions de notre ancienne poésie, l’Allemagne est, avec l’Angleterre et les pays Scandinaves, un témoin véridique et sincère. La dette contractée par les imitateurs allemands ne saurait être douteuse, puisqu’ils en font l’aveu. Charlemagne et ses douze pairs, tous les personnages, tous les caractères poétiques créés par nos chansons de geste passent en Allemagne, Roland, Amis et Amiles, sous le titre de Engelhart et Engeltrut, Guillaume au court nez, etc. Beaucoup de nos poèmes d’aventures (ce sont des espèces de romans en vers) y passent aussi, Flore et Blanche fleur, — le Beau Desconnu sous le titre de Wigalois, l’Eracles de Gautier d’Arras, la Guerre de Troie de Benoît de Sainte-More. Les plus nombreuses de ces imitations d’outre-Rhin ont pour sujet les preux de la Table-Ronde, popularisés de tous les côtés par les rimes de Chrestien de Troyes. À la tête de ceux qui se disputent cette mine féconde, il faut placer un des meilleurs poètes de l’ancienne Allemagne, Wolfram d’Eschenbach, avec son Titurel et son Parzival, Ulrich de Zazichoven avec son Lancelot, plusieurs autres avec leur Tristan. Des vers entiers des poèmes originaux sont conservés dans ces imitations ; ainsi on lit dans le Tristan allemand :

Isot ma drue, Isot m’amie,
En vous ma mort, en vous ma vie.


À cette époque, il s’introduisit dans l’allemand des mots qui depuis en ont disparu, par exemple bersen, pour tirer de l’arc (français, herser), kointiren, faire le cointe, le beau (français, cointoyer), etc. Toute cette influence est bien récapitulée par le poète allemand Uhland « La langue romane française, écrivait-il en 1812, a enfanté un cycle véritablement épique… L’image d’une époque puissamment héroïque, un faisceau de traditions nationales, une action vivement développée, un style naturel et vrai, l’emploi constant du rhythme musical, tels sont les traits distinctifs qui établissent une analogie entre les chants homériques, les poèmes chevaleresques de la France et les Niebelungen. »

En Espagne, ni le poème sur le Cid, ni la Cronica rimada, ne peuvent passer pour un emprunt fait à nos chansons de geste. Comme ce poème, le plus national de l’ancienne Espagne et que les copistes ont peu altéré dans sa rudesse primitive, ses constructions irrégulières, sa versification par assonances, est à peu près du même temps que notre longue suite de récits guerriers sur Charlemagne et ses premiers successeurs, d’un temps où dominait dans la famille européenne, avec l’unité catholique, une certaine conformité de mœurs, de sentimens et de langage, il semble plutôt inspiré d’un même souffle, d’un même génie ; mais dans presque tous les autres grands poèmes de l’Espagne l’imitation est incontestable. Le curé de Don Quichotte, dans son exécution des livres de chevalerie, jette au feu la plupart ; mais ce juge impartial veut qu’on garde les Douze Pairs et tout ce qui par le de la France. L’Histoire du fameux Tirant le blanc lui plaît surtout pour le chevalier don Kyrié-Éléison de Montauban et Thomas de Montauban ; il y avait longtemps que nos chevaliers lisaient dans l’original toutes ces charmantes fictions, dont les simples copies désarment la sévérité du curé. Au XIVe siècle, quand l’archiprêtre de Hita, don Juan Ruiz, versifie le Lai de Virgile, le Varlet aux douze femmes, la Bataille de Karesme et de Charnage, et lorsqu’il exalte la puissance de dan Denier (le seigneur argent) en cour de Rome, on est certain que les joyeux contes et les apologues satiriques colportés par nos jongleurs en Italie et en Espagne étaient venus jusqu’à lui. Dans la Chanson des Saxons de Jean Bodel, déjà répandue en Europe dès l’an 1200, Charlemagne ayant exigé quatre deniers de tribut des barons de Herupe, qui se prétendaient exempts de tout chevage, les barons, au nombre de cinquante mille, font fabriquer des deniers d’acier qu’ils viennent présenter au bout de leurs lances :

Chascun en aura quatre, c’est li chevages drois.
As penons de nos lances les lierons estrois,
Ou ficherons as pointes des riches fera turcois ;
Puis irons querre Carle à Loon ou à Blois ;
Où que le trouverons, en rivière ou en bois,
Offert soit li chevages ensi corn par gabois.


Don Nuño de Lara ne parle pas autrement aux hidalgos qui ne veulent pas se soumettre à l’impôt des cinq maravédis mis par le roi de Castille Alphonse VIII :

Ios á vuestras posadas,
Armáos bien a caballo ;
Los cinco maravedis
A taldos bien en un paño,
En las puntas de las lanzas
Los traigais aqui colgado[2].


Des deux parts, le gabois a un plein succès : les barons espagnols ne sont que trois mille ; mais Alphonse, le vainqueur de Las Navas, devant cette manière menaçante de payer l’impôt, recule comme Charlemagne.

C’est au XIVe siècle que l’Italie, par le génie de Dante, de Pétrarque et de Boccace, prend à son tour le haut rang dans la littérature européenne ; mais auparavant elle n’a rien qui, pour l’antiquité ni pour le succès, puisse rivaliser avec la poésie française. Françoise de Rimini et son amant lisaient un poème français, le Lancelot, quand ils se sentirent touchés de ces douteux désirs qui les menèrent au douloureux passage. Alors, sous le titre de Reali di Francia, on avait abrégé en prose, avec deux ou trois des chansons de geste qui nous restent, quelques-unes de celles qui ne se sont pas encore retrouvées ; en vers, il s’était fait au moins quarante compositions, toutes en octave et se rapportant à l’ère de Charlemagne, et dans cet amas de fictions que l’Italie nous avait empruntées, le siècle suivant vit Pulci, Boiardo et l’Arioste puiser leurs épopées burlesques ou héroï-comiques. Le témoignage de Dante mérite d’être cité. « La langue d’oïl allègue pour soi, dit-il dans son traité de Vulgari eloquio, qu’à cause de ses formes plus faciles et plus agréables que les autres, tout ce qui a été rédigé en vulgaire prosaïque lui appartient : par exemple, toute la suite des gestes des Troyens et des Romains, les longues et belles aventures du roi Arthur et beaucoup d’autres histoires ou enseignemens. La langue d’oc peut prétendre qu’elle est la première qui ait eu des poètes, comme plus parfaite et plus douce, par exemple Pierre d’Auvergne, et d’autres avant lui. La troisième, celle des Latins, peut s’attribuer deux privilèges : d’abord c’est d’elle que viennent ceux qui ont montré dans la poésie vulgaire plus d’harmonie et plus d’art, comme Cino de Pistoia et son ami ; ensuite ils paraissent s’appuyer davantage sur la grammaire, qui est commune, et ceci, à en juger raisonnablement, est un bien grand argument pour eux. » L’ami de Cino de Pistoia est Dante lui-même. Le vulgaire prosaïque signifie non la prose, mais les poèmes narratifs qui ne sont pas en strophes régulières et en rimes entrelacées ; les poètes de la langue d’oc, auxquels ils donnent la priorité, sont les auteurs de canzones et de vers d’amour, genre dans lequel ils paraissent avoir précédé ceux de la langue d’oïl, qui les précédèrent pour la poésie épique. Le latin, c’est l’italien, et le mérite que Dante fait à la langue de son pays d’être plus régulière et plus grammaticale que ne l’avait été celle de la plupart de nos trouvères est dû aux travaux de Dante lui-même, de ses amis et de ses contemporains.

Pétrarque, qui est habituellement hostile à la France et qui par le plus d’une fois de la ville disputeuse de Paris et de cette rue du Fouarre, immortalisée par Dante, où professaient les maîtres de la faculté des arts ; Pétrarque, dis-je, qui, remarquant que cette capitale lui avait paru fort au-dessous de la réputation et des louanges mensongères de ses habitans, ajoute cependant qu’après tout c’était une grande chose que Paris, magna tamen haud dubie res fuit, il s’inquiéta pour sa chère Italie du succès qu’obtenait partout notre poème de la Rose, et se hâta d’y opposer, comme s’il doutait de la victoire, non la célébrité naissante de la poésie italienne, ni Dante, ni lui-même, ni aucun nom de son temps, mais les plus grands noms de l’antique poésie latine, Catulle, Horace, Ovide, Virgile, tant la réputation que nos poètes français avaient conquise au dehors lui paraît éclatante et redoutable, tant l’Italie moderne, qu’il n’oublie pas cependant, lui semble à peine suffire pour soutenir la rivalité ! Il est vrai que, par un secret retour de patriotisme et peut-être d’amour-propre, il accueille avec défiance tout ce bruit d’une gloire étrangère, et qu’il aimerait mieux croire que c’est Paris et toute la France qui se sont trompés :

Nisi fallitur omnis
Gallia Parisiosque caput
.

Lorsque Dante, dans un rhythme harmonieux et touchant, commençait ainsi le second sonnet de la Vie nouvelle :

O voi che per la via d’amor passate,
Attendete, e guardate
S’egli è dolore alcun quanto ’I mio grave,

il avait certainement gardé la mémoire de la complainte française :

Vous qui alez parmi la voie,
Arestez vous, et chascuns voie
S’il est dolor tel com la moie (mienne).

Les critiques italiens trouvent dans son style beaucoup de gallicismes, et l’un d’eux ajoute qu’il rapporta de France autant de nouvelles locutions que jadis Homère des dialectes de la Grèce. Le fait est qu’à cette époque les gallicismes font invasion dans le style italien. Le maître de Dante, Brunetto Latini, qui écrivait en français avec une grande correction, dit en italien, comme s’il parlait français, san faglia (sans faille), manera (manière), torno (tournée), triare (trier), zae (çà), convotisa (convoitise), etc., tous mots que l’académie de Florence, malgré son respect pour les vieux textes, a exclus de son dictionnaire comme étrangers. Un auteur du même temps que Brunetto, c’est-à-dire appartenant au XIIIe siècle, dit : donna gente (dame gente), se m’ aiuto Dio (si m’aïe Deus, ainsi Dieu me soit en aide), oreglie (oreilles), per plusor ragioni (par plusieurs raisons), accatar (acheter), amico tradolce mio (mon très doux ami), etc. Toutes ces locutions, l’auteur pouvait les lire dans des ouvrages français qui l’avaient précédé de plus d’un siècle. L’académie de la Crusca n’a pas non plus admis comme italien ces expressions de l’historien, Villani : agio (âge), semmana (semaine), intamato (entamé), etc. Dans Boccace, on signale dimora (demeure), vegliardo (vieillard), non ha longo tempo (il n’y a pas longtemps), etc. Fazio degli Cherti, le petit-fils du superbe Farinata degli Uberli que Dante rencontre en enfer, non content, en son poème intitulé il Dittamondo, de prendre des mots comme bigordare (behourder, jouter), in transi (en transe), lice (lice), fait en français soixante-treize vers de suite relatifs aux désastres de Philippe de Valois et du roi Jean.

Il fut donc un temps, et ce temps est le haut moyen âge, où la France dut à sa littérature de pénétrer d’un bout de l’Europe à l’autre et de s’y faire partout écouter, et M. Le Clerc a résumé dans une belle page ce grand succès, lorsque, rappelant celui qu’obtint plus tard la France du XVIIe et du XVIIIe siècle, il dit : « Peut-être même, sous cette espèce de république chrétienne, dont une foi commune avait fait et perpétué l’unité, la France du XIIe et du XIIIe siècle eut un ascendant qu’elle ne retrouva plus aussi complet lorsque cette unité fut brisée, et que les diverses nations, travaillant désormais chacune pour leur destinée et leur gloire à part, se disputèrent, avec une émulation qui dure encore, une primauté qu’elles avaient paru jadis reconnaître dans un seul peuple. D’où venait ce prestige ? Nous le redirons en peu de mots : la France avait surtout conquis les âmes par un attrait qu’on lui a depuis contesté, par la poésie. Laissons en effet tous ses autres moyens d’influence et d’autorité, quelques grands rois, des armées belliqueuses, des expéditions lointaines, des écoles partout renommées, ses théologiens, ses philosophes, ses historiens ; souvenons-nous seulement qu’elle a eu des poètes, des poètes en langue vulgaire, qui ont été compris et imités aussitôt par l’Angleterre, l’Italie, l’Allemagne, les pays Scandinaves, l’Orient. Le poème héroïque de plusieurs de ces peuples vient d’ici. La France, avec ses chants sur Charlemagne, leur a donné Roland, Olivier, Renaud, les douze pairs. Le genre héroï-comique leur est arrivé en même temps tout plein de gaîté et de verve, dans les gabs du grand empereur lui-même avec les jeunes chevaliers à la cour de Constantinople, dans les intrépides bravades d’Ogier le Danois, dans les scènes bouffonnes où Guillaume d’Orange, devenu moine, se débat contre la règle du couvent et la note inflexible du lutrin. »


III. — DES PRINCIPAUX GENRES EN VERS ET EN PROSE.

Avant de jeter un coup d’œil sur le sujet de ce chapitre, il importe de considérer quelle était l’étendue de l’éducation et de la culture intellectuelle, car ce qui s’enseigne et ce qui forme la culture intellectuelle est le véritable indice de la direction que prendra l’esprit avec l’aide du temps.

Dans ce qui s’enseigne alors, la théologie ou la science divine tient le premier rang, comme science de l’orthodoxie chrétienne. Puis viennent, dans le monde des lettres et des écoles, ces connaissances simplement humaines dont les derniers âges de l’antiquité latine avaient légué aux siècles suivans les principales divisions, tantôt respectées fidèlement par les esprits dociles, tantôt agrandies par une ambition de recherche et de progrès qui est l’honneur de l’humanité ; c’est là ce qu’on appelait les sept arts. Ce modeste territoire, que la théologie avait bien voulu laisser à des études moins directement soumises à son empire, se partageait en trivium comprenant la grammaire, la rhétorique, la dialectique, et en quadrivium, comprenant l’arithmétique, la géométrie, la musique, l’astronomie. On aurait pu s’y trouver à l’étroit ; mais depuis deux siècles l’intelligence travaillait à élargir les compartimens primitifs. Comme avec la rhétorique on avait la poésie, l’histoire, l’art épistolaire, tout le genre didactique, la traduction, et qu’avec la dialectique on s’ouvrait le champ de la philosophie et les discussions sur les plus hautes abstractions de la pensée, sur la nature et sur la politique, l’esprit humain, sans trop sortir des cadres imposés par l’usage, s’empara de tout ce que nous appelons aujourd’hui les études littéraires et philosophiques. À ce compte, savoir, comme on disait, trive et cadruve, c’était déjà savoir quelque chose. Cet enseignement mérite d’être comparé avec celui qui se donnait dans l’antiquité classique. On remarque tout d’abord qu’il est fort semblable à ce qui était chez les Grecs et chez les Romains : les écoles montraient la grammaire et la rhétorique ; elles montraient aussi l’arithmétique et la géométrie. Ceux qui voulaient aller plus loin s’adonnaient à quelqu’une des sectes philosophiques qui avaient cours alors ; quant à l’astronomie et à la médecine, c’était l’affaire des hommes spéciaux. Donc rien n’était changé ; seulement dans le moyen âge les choses avaient pris une forme plus précise et plus consistante : un grand corps, les universités, était désormais chargé de donner et de perpétuer l’enseignement. C’était beaucoup, mais aussi c’était tout ce qu’il était possible de faire. En effet, que par la pensée on essaie d’agrandir le cercle de cet enseignement, et l’on verra que cela est absolument impossible, et que, durant un long espace de temps, les sociétés n’eurent qu’à cultiver le fonds acquis de manière à profiter des ouvertures de progrès dès qu’elles se feraient.

Dans cet état de l’esprit humain, trois routes seulement, cela est aujourd’hui démontré par le résultat, pouvaient être parcourues : c’étaient les sciences, l’étude des langues et les connaissances psychologiques relatives à la théorie des idées et à celle de la morale. Ces trois sujets avaient été ébauchés par l’antiquité et furent poursuivis par le moyen âge. Ce point d’ébauche, on va voir qu’il ne pouvait être dépassé. Les sciences suivent une hiérarchie déterminée par les trois degrés des choses mêmes de la nature, degrés qui sont physiques, chimiques et vitaux (c’est en méthode la plus grande découverte du XIXe siècle), et elles reçoivent leur constitution suivant ce même ordre hiérarchique (c’est en histoire une des plus grandes découvertes de notre temps). Appliquons à l’empire romain et à son successeur, le moyen âge, cette notion capitale ; on reconnaît, vu que, après les mathématiques, préambule de toute étude positive, l’astronomie avait reçu dans l’antiquité et chez les Arabes le développement purement géométrique qu’elle comportait, on reconnaît, dis-je, que c’était le tour de la physique. Seulement, pour qu’elle parût, il fallait un avancement des mathématiques et de la méthode expérimentale que ne connurent ni l’empire romain ni le moyen âge. Par conséquent, le chemin étant ainsi coupé à la physique, ni la chimie ni la biologie ne purent paraître ; elles restèrent de simples appendices de ce qui était su, et furent gouvernées, ce qui est le caractère d’une science non constituée, soit par des idées chimériques, soit par des théories prises aux notions déjà constituées. Aussi tout le temps fut-il employé essentiellement à entretenir les sciences acquises (mathématiques, astronomie).

Un obstacle de même nature, c’est-à-dire dépendant de la hiérarchie et de la méthode, a empêché qu’aucun progrès considérable ne se fît dans la nature morale et intellectuelle de l’homme. Ces connaissances ne peuvent prendre leur constitution qu’après la biologie, qui en démontre les conditions organiques, qu’après la sociologie, qui en démontre le développement historique. En d’autres termes, l’étude du sujet doit suivre l’étude de l’objet. C’est pour cela que les temps que nous considérons ont été pauvres en ce genre, et que notre temps est celui où cette belle et difficile étude a reçu une puissante impulsion.

Quant aux langues, on sait que les Grecs et les Romains, traitant de barbare tout ce qui n’était pas Grec ou Romain, méprisaient les idiomes des peuples étrangers, et ne nous ont transmis aucun renseignement à l’Orient, sur ceux des Perses ou des Indiens, à l’Occident, sur ceux des Étrusques, des Ibères, des Celtes, des Germains. Le moyen âge, par l’impulsion du christianisme, qui convertissait les idolâtres et luttait contre l’islamisme, donna plus d’attention aux langues ; mais l’attention désintéressée et par conséquent scientifique n’est née que de notre temps, et se rattache à toute cette élaboration dont les facultés de l’esprit humain ont été l’objet. Le langage, qui dépend d’une de ces facultés, n’a pu inspirer l’intérêt et être étudié scientifiquement que quand l’ensemble de ces facultés est venu, si je puis ainsi parler, à l’ordre du jour.

Ainsi considéré par rapport à l’antiquité gréco-romaine, ce qui s’enseignait alors doit l’être maintenant par rapport à la théologie. À l’origine, le christianisme, maître des âmes par le sentiment, le devint aussi par l’intellect, car, d’après une révélation divine et un livre divin, il proclamait ce qui devait être su et cru de l’origine du monde et de sa destination. Aussi la philosophie, la science, la raison, devinrent-elles sans effort, sans contrainte, et par une sorte de vénération filiale, servantes, comme on disait, de la théologie. Ce fut un âge d’or, si par âge d’or on entend ici une époque organique où la partie morale et la partie intellectuelle de la société ont trouvé leur unité ; alors les lettres et les sciences humaines étaient nécessairement ecclésiastiques. Au XIVe siècle, tout avait commencé de changer ; la sagesse profane prenait un notable domaine, et, bien que courbée sous le poids des entraves de l’école, c’est elle qui est destinée à prévaloir et à conduire les nations modernes à une puissance et à une grandeur qu’elles ne connaissaient pas. Le XIVe siècle est dans les schismes, à la veille des hérésies triomphantes, à l’avant-veille des entreprises bien plus sérieuses de la science sur la théologie.

Ces considérations font pénétrer profondément dans l’enchaînement de la civilisation. Par elles, on voit comment l’antiquité gréco-latine s’arrêta impuissante devant des recherches pour lesquelles son esprit n’était pas mûr, comment, dans cette impasse, le christianisme ouvrit une issue morale et sociale qui mit le monde sur un degré plus haut, comment le moyen âge, vivant en plein sous cet ordre, conserva, non sans l’élaborer, le trésor des anciens enseignemens, comment, cette phase religieuse s’épuisant, ce fut le tour de la science d’offrir l’issue au monde moderne, et comment enfin notre temps demande à la science, suffisamment grandie, une ère de nouvelles conditions morales et sociales.

Au XIVe siècle, qui est le point de partage entre le moyen âge et le monde moderne, la scolastique est encore reine des intelligences ; plus tard, la philosophie et la science la foulèrent aux pieds comme une simple combinaison de mots et de formules. Alors cette dialectique active et inquiète alarmait certains esprits, et en 1321 Jean de Jandun, dans son Éloge de Paris, nous peint « ces hommes spéculatifs, exempts de passions terrestres, et qui ne recommençaient tous les jours que par amour du vrai leurs combats intellectuels. L’objection de l’un est résolue par l’autre, les réfutations, les répliques se succèdent ; on admire tout ce qu’une main puissante est capable de construire et de fortifier sur le terrain mouvant de la dispute, et l’on ne s’étonne pas moins de tout ce qu’un bras redoutable, sans toucher à la foi, peut détruire pu ébranler. Mais ce que la religion gagne ou perd à une telle gymnastique, Dieu le sait ! » Une telle gymnastique, pour me servir de l’expression de Jean de Jandun, avait mis son empreinte sur toute chose, et M. Le Clerc, qui la signale dans les sermons d’alors, montre que la chaire a continué d’en ressentir l’influence. « Nos grands sermonnaires, dit-il, ont toujours gardé quelque chose de ces anciennes modes de la prédication, par exemple la manie de diviser. Qu’ils prêchent le dogme ou la morale, ces preuves échelonnées avec tant d’art, ces catégories si bien rangées, ces distinctions si subtiles, laissent reconnaître en eux les héritiers directs des disputeurs de l’école. Est-ce le caractère propre du genre didactique, est-ce l’habitude invétérée de la controverse, est-ce l’un et l’autre qui font que, chez des orateurs tels que les Bourdaloue, les Massillon, l’œuvre la plus grave de l’éloquence continue de se briser et de s’éparpiller à l’infini en petits points symétriques, en nuances insaisissables, en grains de poussière, en atomes ? S’il faut faire la part du genre, qui ne peut se passer de définir et de diviser, il est permis d’y voir surtout, comme Fénelon, un reste de la scolastique, dont l’empreinte, assez visible, malgré les révolutions, dans notre langue, dans notre barreau, dans notre théâtre, a dû naturellement persister là où règne surtout la tradition, dans l’enseignement religieux. »

Un livre célèbre par son mysticisme naïf et pénétrant, l’Imitation de Jésus-Christ, a été attribué au XIVe siècle. Il convient d’entendre là-dessus les observations de M. Le Clerc : « L’ouvrage nous semble, comme à Suarez, de diverses mains et de divers temps. L’humble langage du premier livre ne saurait être l’œuvre de cet esprit plus familiarisé avec l’antiquité profane, plus vif, plus animé, qui se plaît aux grandes images, aux amples développemens du troisième livre, et ni l’un ni l’autre n’a le moindre rapport avec la théologie savante et subtile dont le quatrième livre est rempli. Le premier et peut-être le second pourraient venir des chartreux du XIIe siècle, et le troisième de quelque moine lettré du siècle suivant. Il n’y aurait point d’invraisemblance à faire descendre le dernier livre jusqu’au XVe siècle : ce n’est qu’alors que, dans les manuscrits, il vient se joindre aux trois premiers. Quant à Gerson, qui ne justifie la préférence qu’on lui a donnée quelquefois ni par son caractère ni par son style, et au copiste Thomas de Kempis, dont les œuvres ne sont guère composées que des écrits des autres, et qui, lorsqu’il cesse de copier, est souvent un auteur fort ridicule, nous engageons leurs partisans à ne pas oublier qu’il y a en France un manuscrit du premier livre antérieur à Gerson et à Thomas de plus d’un siècle. »

Au premier rang des productions littéraires de ce siècle, on mettra sans hésiter les Chroniques de Froissart, qui lui appartient, bien qu’il soit mort dans les premières années du quinzième. Je ne veux rien changer à l’appréciation qu’en a donnée M. Le Clerc : « De ces auteurs de mémoires, un seul est resté populaire, l’ingénieux conteur, le protégé d’une reine, des hauts barons et des nobles dames, qui, par son imagination féconde, la vivacité de sa narration, son style coulant et facile, s’est assuré comme le privilège de se tromper sur les dates, sur les noms de lieux et de personnes, sur le caractère même des événemens, et de remanier ses récits toutes les fois qu’il change de protecteur, qui, fier d’avoir vu deux cents hauts princes, outre les ducs et les comtes, se charge, serviteur complaisant, de leur amener les lévriers qu’ils se donnent mutuellement comme accointances d’amour, — dont la verve n’est jamais plus heureuse que lorsqu’il fait célébrer par un capitaine robeur le brigandage des compagnies, et le nouvel argent qu’elles faisaient tous les jours, sous les ordres des meilleurs gentilshommes, aux dépens d’un riche prieur, d’un riche abbé, d’un riche marchand, sans dédaigner les bœufs, les brebis, la poulaille et la volaille du menu peuple ; qui, lorsque les paysans, poussés à bout, s’arment de leurs fourches contre leurs nobles seigneurs bardés de fer et se font tuer au nombre de plus de sept mille en un seul jour, loin de reprocher aux vainqueurs l’excès de leur vengeance, est tout prêt à crier avec eux : Mort aux vilains ! On sait que le grand admirateur de cette société qui finit est le chanoine Froissart. »

Cette société qui finit n’a plus de poésie. On lui répète encore quelques imitations de ce qui l’avait charmée deux siècles auparavant ; mais, à la différence des anciennes compositions, celles-ci, sans couleur et sans vie, n’excitent aucun intérêt hors de la France. Seul, dans la foule, un poème mérite d’être distingué ; mais c’est un poème héroï-comique, Bauduin de Seboure, où l’auteur des Variations du langage français voyait un précurseur de l’Arioste, et où en effet la raillerie et les grandes aventures se mêlent pour se servir de contraste.

Il parut, du temps de Charles V, un grand nombre d’écrits sur le gouvernement. Le Songe du Vergier est un dialogue entre un chevalier et un clerc sur la juridiction de la royauté et du sacerdoce. L’auteur, hardi à plus d’un titre, proclame hautement qu’on n’a pas le droit de convertir par force les infidèles : « Nul mescreant ne doibt estre contrainct par guerre ne aultrement pour venir à la foi catholique, et semble que contre les mescreans qui nous guerroient, seulement nous deussions faire guerre, et non contre les aultres qui veulent estre en paix. » Le Songe du Vergier n’aurait pas osé sans doute comprendre les hérétiques dans cette abstention pacifique qu’il recommandait à l’égard des infidèles, car saint Thomas avait dit : « L’hérétique ne doit pas seulement être séparé de l’église par l’excommunication, il doit être retranché du monde par la mort. » A des temps plus élevés en morale que la société catholico-féodale étaient réservées la doctrine et la pratique de la tolérance.

Il était assez fréquent que les trouvères ou les hérauts d’armes célébrassent en vers les tournois mémorables ou la vie de grands personnages auxquels ils étaient attachés. À ce genre appartient le poème sur la vie et les faits d’armes du Prince-Noir, par Chandos, le héraut de sir John Chandos, connétable d’Aquitaine. Je ne le mentionnerais pas, si, parmi tant d’autres détails faits pour intéresser les deux nations, il ne racontait en témoin l’entrevue du prince et du roi après la journée de Poitiers :

Là fuit devant lui amenés
Le rois Johan, c’est vérités.
Li prince moult le festoia.
Qui dampne Dieu engracia,
Et, pur le roi plus honourer,
Li voet aider à deservier.
Mais li rois Johan lui ad dit :
« Beaux douls cosins, pur Dieu, mercit ;
Laissez, il n’apartient à moi ;
Car, par la foi que jeo vous doi,
Plus avez el jour d’hui d’honour
Qu’oncques n’eûst prince à un jour. »
Dont dit li prince : « Sire douls,
Dieu l’ad fait, et non mie nous.
Si l’en devons remercier,
Et de bon cœur vers lui prier
Qu’il nous voille ottroier sa gloire
Et pardoner ceste victoire. »

Il est un exercice que nos anciens écrivains regardèrent toujours comme une dépendance de l’art de la rhétorique, c’est la traduction ; elle occupe une grande place surtout dans l’histoire littéraire de la seconde moitié du siècle, en raison de la faveur que lui accorda le roi Charles Y. Ce travail doit être noté, car il amena l’introduction de beaucoup de mots. C’est ainsi qu’on doit à Pierre Bercheure, traducteur de Tite-Live, les mots cohorte, colonie, magistrat, tribun du peuple, fastes, faction, transfuge, sénat, triomphe, auspices, augure, inauguration, et à Oresme, qui traduisit Aristote sur le latin, monarchie, tyrannie, démocratie, aristocratie, oligarchie, despote, démagogue, sédition, insurrection.

Dans un genre familier qui eut alors quelque vogue, les fabliaux latins, on cite Gotfrid de Tirlemont, qui mit en vers une série de contes où l’on remarque Brunellus vel Pœnitentiarius lupi et Asinarius vel Diadema. Le Pœnitentiarius, c’est la fable des Animaux malades de la peste ; l’Asinarius, c’est le vieux conte de Peau-d’Ane. « Perrault n’a pas inventé ses contes, dit M. Le Clerc avec son érudition aussi sûre qu’étendue : le Petit-Poucet, Barbe-Bleue, Riquet à la Houppe, viennent de l’Orient. Dans la Belle au Bois dormant se retrouve un épisode du roman de Perce forest, dans Cendrillon, une réminiscence de l’aventure de Rhodopis, qui, pour avoir perdu l’un de ses petits souliers, épouse un roi d’Égypte ; dans le Chat botté, la Chatte de Constantin le Fortuné, que Straparole avait empruntée du Pentamerone napolitain. Peau-d’Ane enfin n’est pas non plus de Perrault. On savait bien que cette histoire de Peau-d’Ane, connue de Scarron et de Molière, indiquée par Boileau dès l’année 1669, et que La Fontaine entendait conter avec un plaisir extrême seize ans avant les contes de Perrault, n’est point et ne peut être une invention du rédacteur de ces contes. Voilà que nous reconnaissons celui-ci dans les vers latins de Gotfried, qui pouvait en devoir l’idée moins aux Métamorphoses de l’Ane d’Apulée qu’aux fables indiennes, dont il circulait en Europe des traductions latines depuis le XIe siècle. »

Un des plus beaux fleurons du moyen âge est la découverte du déchant dans la musique. Suivant la définition technique, discantat qui simul cum uno vel pluribus dulciter cantat, ut ex distinctis sonis sonus unus fiat, non unitate simplicitatis, sed dulcis concordisque mixtionis unione. En d’autres termes, le déchant est le chant en parties. Cette grande innovation, d’où sont nées l’harmonie et toutes les merveilles de la musique moderne, ne fut pas reçue sans opposition par ceux qui regrettaient l’unisson du chant grégorien. En 1322, elle est blâmée comme dangereuse par une bulle pontificale, et un musicien de ce temps, Jean des Murs, s’écrie : « O douleur ! ô vain prétexte et déraisonnable excuse ! ô grand abus ! grande barbarie ! Oh ! si les anciens maîtres avaient entendu le déchant de ces docteurs, qu’auraient-ils dit ? qu’auraient-ils fait ? Ils auraient interrompu le disciple de cette musique nouvelle, et lui auraient dit : Ce n’est pas de moi que tu as appris ces dissonances, et l’on chant n’est pas d’accord avec le mien. Loin de là, tu me contredis, tu me scandalises. Tais-toi plutôt ; mais tu aimes mieux délirer et déchanter. »

Le XIVe siècle est plein aussi d’alchimistes. Le fait est que l’alchimie est un grand office rempli par le moyen âge dans la préparation à la science générale. Faisant le bilan du savoir de l’antiquité, on reconnaît qu’elle fonda les mathématiques et l’astronomie, et qu’elle eut quelques commencemens de physique proprement dite. Puis la médecine la conduisit à des ébauches de biologie, la politique à des ébauches de sociologie, tout cela, mathématiques, astronomie, commencemens de physique, ébauches de biologie et de sociologie, ne formant que des fragmens sans système, d’où le règne, sans conteste, de la philosophie métaphysique. Mais ce qui, en ceci, frappe l’œil habitué à considérer l’ensemble, c’est l’absence de tout rudiment de chimie : cette grande lacune, le moyen âge se chargea de la remplir. Guidé par une hypothèse que rien ne dit être fausse, mais que rien ne dit être vraie, à savoir que les différentes substances ne sont que des modifications d’une même matière, il chercha la transmutation des métaux et créa pour la chimie une ébauche semblable à celle que l’antiquité avait créée pour la biologie : le service est pareil et de haute importance.

Le XIVe siècle, brillant ailleurs, est terne en France ; mais chez nous-mêmes il n’en conserva pas moins l’ardeur au travail et l’activité dans toutes les voies. Beaucoup d’efforts, un succès moindre que les efforts, voilà ce qui résulte de ce vaste résumé où M. Le Clerc a retracé la production intellectuelle de cent années. Trouver les détails est œuvre d’érudit, les enchaîner par un lien réel est œuvre d’historien. Ici, ni l’érudit ni l’historien n’ont fait défaut l’un à l’autre, si bien que, pour les détails, moi qui rends compte, je n’ai qu’à choisir, et que, pour l’enchaînement, celui qui lit embrasse, dans une distribution habilement ménagée, la série des compositions et la série des influences sociales.


IV. — DE LA ROYAUTE ET DE L’ORDRE LAÏQUE.

Conformément au plan qu’il s’est tracé, M. Le Clerc a considéré la royauté et l’ordre laïque dans leurs rapports avec les lettres durant le XIVe siècle. Ce siècle s’ouvre par Philippe le Bel, sa querelle avec la papauté, et la rupture de la monarchie avec le monde catholico-féodal, non pas quant à la foi, mais quant au régime ; la royauté commence à se dégager aussi bien des liens du pouvoir ecclésiastique que de ceux du pouvoir féodal. « Pourquoi, dit M. Le Clerc, ce règne est-il une grande date dans l’histoire du monde ? C’est précisément pour cette résistance à la suprématie des papes, résistance victorieuse, dont quelques historiens, même parmi ceux qui profitent de ce qu’on lui doit, persistent à le blâmer. Ils semblent oublier combien il fallait avoir alors de sens et de courage pour combattre la religieuse confiance qui, depuis plusieurs siècles, remettait la toute-puissance, et spirituelle et temporelle, entre des mains qu’on disait infaillibles. » On remarquera que cette tentative aurait pu avorter comme celle des empereurs allemands ; mais le temps avait marché, et le roi trouva la nation prête à le seconder. Sans suivre M. Le Clerc passant en revue le roi, le conseil du roi, le parlement, les princes du sang, la noblesse, le tiers-état, les états-généraux, les universités, les bibliothèques, les copistes et les libraires, je prendrai quelques détails, et je n’ai, je l’ai déjà dit, qu’à choisir.

Les copistes parisiens, soit clercs, soit laïques, étaient renommés pour leur habileté. Guillebert de Metz, le grand admirateur de Paris « en l’an quatorze cent, quand la ville estoit en sa fleur, » compte parmi les personnages notables de cette ville : « Gobert, le souverain escripvain, qui composa l’art d’escripre et de taillier plumes, et ses disciples qui par leur bien escripre furent retenus des princes, comme le jeune Flamel, du duc de Berry ; Sicart, du roi Richart d’Angleterre ; Guillemin, du grand maistre de Rhodes ; Crespy, du duc d’Orléans ; Perrin, de l’empereur Sigismundus de Rome. »

Quand la ville était en sa fleuri… C’est l’expression de Guillebert, et alors cependant nos désastres frappaient même les étrangers. « Non, je ne reconnais plus rien de ce que j’admirais autrefois, dit Pétrarque. Ce riche royaume est en cendres ; les seules demeures aujourd’hui debout sont celles qui étaient défendues par les remparts des villes ou des forteresses… Les écoles de Montpellier, que j’ai vues si florissantes, sont aujourd’hui désertes. La Gascogne, l’Aquitaine, ont été dévastées par la guerre et le brigandage… Paris, où régnaient les études, où brillait l’opulence, où éclatait la joie, n’amasse plus de livres, mais des armes, ne retentit plus du bruit des syllogismes, mais des clameurs des combattans ; le calme, la sécurité, les doux loisirs, ont disparu. Qui eût jamais imaginé que le roi de France, resté invincible par le courage, serait en effet vaincu, pris, racheté, et qu’à son retour, ô honte plus cruelle encore, il serait contraint, lui et son fils, de faire un pacte avec les bandits pour n’être pas attaqué sur la route ? Qui dans cet heureux royaume eût pu se figurer, même en songe, de telles catastrophes ? Et si un jour il se relève, comment la postérité voudra-t-elle y croire, lorsque nous-mêmes, qui en sommes témoins, nous n’y croyons pas ? »

Bien que saint Louis eût rassemblé dans la Sainte-Chapelle de son palais un certain nombre de livres copiés pour la plupart à ses frais, qu’il aimait à lire, et que cependant il prêtait volontiers, la véritable histoire de la bibliothèque royale ne commence qu’avec Charles V, le jour où il fonda la librairie de la tour du Louvre, non, bien entendu, le Louvre actuel, mais l’ancien Louvre, qui fut beaucoup agrandi par Charles V, et dont les restes ont disparu dans le XVIIe siècle. D’anciens documens nous ont décrit les deux étages que le roi fit préparer dans cette tour, et dont les lambris étaient de bois d’Irlande, la voûte de bois de cyprès, et le tout chargé de basses-tailles ou bas-reliefs ; les croisées fermées de barreaux de fer, de fil d’archal et de vitres peintes ; les bancs, les tablettes, les lutrins et les roues (pupitres tournans) ajoutés à ceux qui furent transportés de la librairie du palais ; enfin les trente petits chandeliers et la lampe d’argent allumés le jour et la nuit, afin qu’on pût travailler à toute heure. En faisant le relevé des listes qui nous sont parvenues, on a un total de onze cent soixante-quatorze volumes ; mais ces listes ne comprenaient pas tous les livres du roi. Ce qui fait pour nous le prix de tous ces titres d’ouvrages, comme de ceux que possédaient les princes, les princesses, les seigneurs, les bourgeois même, c’est que nous y trouvons enfin la plus riche réunion des grands monumens de notre littérature nationale au XIIe et au XIIIe siècle. « Qu’on ajoute, dit M. Le Clerc, à cet inventaire les divers documens sur les collections formées par Philippe le Hardi, duc de Bourgogne, Jean, duc de Berri, Louis, duc d’Orléans ; qu’on y joigne les livres cités par le chevalier de La Tour-Landri, par Christine de Pisan, par l’auteur du Ménagier de Paris, on verra renaître toute cette vieille poésie française qui fut quelque temps celle de l’Europe, et que les productions de nos trois derniers siècles, non pas plus originales, mais d’une plus grande étendue d’esprit et de savoir, d’un goût plus pur, d’un langage qui est resté le nôtre, avaient fait condamner à l’oubli. »

Ceci est le commencement des bibliothèques publiques et laïques. Sous le régime qui précéda, les bibliothèques étaient ecclésiastiques, et appartenaient aux couvens et aux chapitres. Elles étaient fort nombreuses et contenaient beaucoup de livres. Tout ce qui compose dans les bibliothèques d’aujourd’hui les fonds latins vient de là, et certainement n’en représente qu’une partie ; mais à mesure que l’institution se relâcha, les livres furent négligés, on les laissait se pourrir, se détériorer, se détruire ; on coupait les marges des manuscrits pour en faire des brevets, des amulettes ; on raclait les feuilles de vélin pour écrire de petits psautiers qu’on vendait aux enfans. Les incendies ont anéanti beaucoup de bibliothèques, et de malheureux hasards ont intercepté des livres précieux : un des précepteurs de Pétrarque, le vieux Convennole, perdit le traité de Cicéron sur la gloire en le mettant en gage chez un usurier, et cette perte n’a pas été réparée. C’est ainsi que nous sommes loin de posséder tout ce qu’a possédé le moyen âge.

Dans le XIVe siècle, l’université de Paris, qu’un si grand nombre d’autres, en Frauce et hors de France, ont proclamée leur mère, fut plus puissante qu’à aucune autre époque de notre histoire. Jamais elle n’exerça un tel pouvoir sur les esprits. Tantôt consultée par les rois, tantôt leur apportant d’elle-même ses avis, elle acceptait ou se donnait la mission périlleuse de diriger l’opinion. C’est un signe des temps, qu’une simple compagnie de maîtres et de disciples, pendant plus de cinquante ans de ce siècle, délibère avec les rois, dirige les conciles, fournit des négociateurs aux papes et aux princes, et envoie d’elle-même des ambassadeurs chez les nations étrangères. On trouvera un juste souvenir de ce grand rôle dans ces paroles qui ne messiéent pas au doyen de la Faculté des lettres, à l’un des héritiers de ces anciens maîtres : « Quel que fût l’inconvénient et même le péril de transformer en école près de la moitié d’une grande cité, les témoignages abondent pour nous redire combien était puissant l’attrait de ce vaste noviciat, où la raison humaine s’épuisait en efforts qui peut-être donnaient peu, mais qui promettaient beaucoup. Toute la montagne latine était pour les candidats de la science comme une seconde patrie. Ces rues étroites, ces hautes maisons, avec leurs voûtes basses, leurs cours humides et sombres, leurs salles jonchées de paille, ne s’effaçaient pas de la mémoire. Lorsque les anciens condisciples se rencontraient, après plusieurs années, à Rome, à Jérusalem, ou sur les champs de bataille que se disputaient la France et l’Angleterre, ils se disaient : Nos fuimus simul in Garlandia[3]… Faut-il l’avouer ? nous ne pouvons aujourd’hui même retrouver sans un certain respect les restes oubliés, et qui disparaissent chaque jour, du vieux quartier de la Montagne, la place où étaient les collèges détruits, et ceux dont nous voyons encore les dernières ruines. Le Petit-Pont, par où les écoles se frayèrent la voie de Notre-Dame à Sainte-Geneviève, la rue Galande, la rue du Fouarre, le clos Bruneau, la rue Saint-Hilaire, voilà les humbles ateliers de l’intelligence et de l’étude, les obscurs laboratoires d’où est sortie la société moderne. »

Les princes de la maison de Valois furent ce qu’on peut appeler, par anticipation, des bibliophiles. Jean, lorsqu’il n’était encore que duc de Normandie, aimait déjà les beaux livres, car un acte du 24 octobre 1349 nous apprend que Thomas de Maubeuge, libraire à Paris, lui avait vendu un romant de moralité sur la Bible quatorze florins d’or. Il avait avec lui, à Poitiers, un exemplaire de la Bible historiaux, sur lequel on peut encore lire, au Musée britannique : cest livre fust pris ove (avec) le roy de France à la bataille de Peyters. Prisonnier de l’Angleterre pendant quatre ans, le roi acheta, pour se distraire, des poésies françaises : à Lincoln, un roman de Renart, qui lui coûta 4 sous 4 deniers ; à Londres, au moment de rentrer en France, quelques jours après la paix de Bretagne, un Garin le Loherain, pour un noble ou 6 sous 8 deniers, et le tournoiement de l’Antéchrist, pour 10 sols. Les comptes du roi, tenus à Paris en 1351, font mention de son enlumineur Jehan de Montmartre, et ceux de Londres, en 1359, de Jacques le relieur de livres et de Marguerite la relieresse. À ce prince, qui fut moins un roi qu’un gentilhomme.frivole et prodigue, l’histoire attribue une belle parole : « Quand la bonne foi serait bannie de la terre, elle devrait se retrouver dans le cœur des rois. » Une complainte du temps sur la bataille de Poitiers rapporte de lui un mot que nos annales n’ont pas recueilli :

Quant li rois se vit pris, si dit par grant constance :
« C’est Jehan de Valois, non pas li rois de France. »

Ce mot, soit vrai, soit, comme cela est arrivé plus d’une fois, fait après coup, est d’une grande noblesse. S’il n’est pas du roi, il est du peuple, car dans la même complainte on lui conseille de se fier non pas aux nobles, mais au populaire, à Jacques Bonhomme :

S’il est bien conseillé, il n’obliera mie
Mener Jaque Bonhomme en sa grant compagnie ;
Guère ne s’enfuira pour en perdre la vie.

Les frères de Charles V, le duc de Berri, le duc d’Orléans, le duc de Bourgogne, furent de grands amateurs des beaux livres et des belles reliures, et nos bibliothèques conservent plusieurs manuscrits provenus de leurs librairies. M. Renan, dont le discours sur les beaux-arts au XIVe siècle est un digne et excellent complément de l’œuvre de M. Le Clerc, dit : « Les Valois, au commencement comme à la fin de leur long règne, au XIVe comme au XVIe siècle, se distinguèrent en général par leur goût pour les arts. L’historien de l’art n’est pas toujours amené à porter sur certains personnages les mêmes jugemens que l’historien de la politique et des mœurs. Tel tyran des villes d’Italie, souillé de crimes et digne des malédictions de la postérité, occupe dans l’histoire de l’art une place honorable. De même il faut reconnaître que cette dynastie des Valois, à laquelle l’historien politique est en droit d’adresser de si sévères reproches, créa le côté brillant de la civilisation française, et contribua puissamment à fonder la suprématie en fait d’élégance et de goût, qui ne devait plus nous être enlevée. À partir de Philippe de Valois, la cour de France est le centre le plus brillant du monde. Les fêtes, les tournois, les mœurs chevaleresques et polies y attirent le monde entier. Trois ou quatre rois, les rois de Bohême, de Navarre, de Majorque, d’Ecosse, une foule de princes à peu près étrangers à la France y fixèrent leur résidence habituelle. Paris réglait la mode et fixait les regards de l’Europe entière. Philippe de Valois et son fils Jean apparaissent en quelque sorte à l’imagination de leurs contemporains comme des rois de chansons de geste, passant leur vie en guerres et en fêtes, dans un cercle continu d’actions brillantes et de spectacles… Il est bien permis de regretter qu’à tant de qualités séduisantes ils n’aient pas joint un peu de gravité et de raison, car l’art véritable ne va pas sans une solide culture du jugement ; de joyeuses folies ne suffisent pas pour produire des œuvres durables et un mouvement d’art vraiment fécond. »

Paris était alors, aux yeux des contemporains, une ville magnifique. Jean de Jandun, dont j’ai déjà parlé, après avoir loué avec un vif sentiment d’admiration l’église de Notre-Dame, ajoutait : « Que dire de cette chapelle qui semble se cacher par modestie derrière les murs de la demeure royale, si remarquable par la solidité et la perfection de sa construction, par le choix des couleurs dont elle brille, par les images qui s’y détachent sur un fond d’or, par la transparence et l’éclat de ses vitraux, par les paremens de ses autels, par ses châsses resplendissantes de pierres précieuses ? En y entrant, on se croit ravi au ciel et introduit dans une des plus belles chambres du paradis. Le palais pourrait contenir tout un peuple. Là, dans une vaste salle, sont les statues des rois de France, si vraies dans leur expression qu’on les croirait vivantes ; là aussi est cette immense table de marbre où les convives sont tournés vers l’orient, et dont la surface polie est illuminée par les rayons du soleil couchant à travers les vitraux des fenêtres opposées. Quant aux hôtels des rois, des comtes, ducs, chevaliers, barons ou des prélats de l’église, ils sont si grands, si nombreux, que, réunis à part des autres maisons, ils pourraient former une grande ville. »

Qu’on ajoute à ce tableau du palais la description telle que M. Renan la donne de l’hôtel Saint-Paul, où résidait le roi, du couvent des Célestins, du vieux Louvre, de l’hôtel d’un bourgeois, maître Jacques Duchié, en la rue des Prouvelles, etc., et il ne sera pas douteux que Paris, dans le goût du moyen âge, et même, à vrai dire, dans le goût de tous les temps, était une ville belle et ornée. À ce propos, je ne puis m’empêcher de remarquer avec regret combien Paris brillerait entre toutes les capitales, si à côté des splendeurs du temps voisin de nous il pouvait montrer un plus grand nombre d’échantillons des splendeurs du temps passé, si ses magistrats avaient de siècle en siècle mis à part et conservé quelque beau couvent, quelque bel hôtel, quelque belle maison, et si de la sorte on pouvait remonter haut dans l’histoire de cette cité qui, des villes grandies après la chute de l’empire romain, est la plus vieille et la plus noble, car elle a vaillamment combattu contre Jules César.

À ce point, M. Renan se demande pourquoi la France ne fit pas la renaissance. « Au XIe et au XIIe siècle, dit-il, la France surpasse de beaucoup l’Italie dans toutes les directions de l’art. L’Italie, à cette époque, n’avait rien à comparer à nos basiliques romanes, aux peintures de Saint-Savin, au portail de Saint-Gilles, près d’Arles. Au XIIIe siècle, la France égale encore sa rivale ; sans doute elle n’eut pas de Giotto, mais elle eut des architectes supérieurs à ceux de toute l’Europe. Au XIVe, la France est définitivement dépassée. » Pourquoi ? Il vaut la peine de chercher une réponse à cette question. M. Renan, écartant les désordres politiques qui ne furent pas moindres en Italie qu’en France, indique le grand développement des institutions républicaines en Italie et la multiplicité des petites cours italiennes, le caractère de la bourgeoisie française plus rangé que celui de la bourgeoisie italienne, le catholicisme français plus triste et plus austère que celui de l’Italie, plus d’élégance dans le type et dans les manières en Italie qu’en France. Il conclut que la fortune de l’art italien tient à des causes profondes et à la supériorité même du génie de l’Italie, et il ajoute qu’on ne doit pas oublier que cette Italie qui produisait la renaissance des arts présidait en même temps à la renaissance des lettres et de la pensée philosophique, à ce grand éveil, en un mot, qui, trop tôt contrarié chez nous, replaçait l’humanité dans la voie des grandes choses, dont l’ignorance et l’abaissement des esprits l’avaient écartée.

Sans nier l’influence des circonstances alléguées, je pense qu’elles sont secondaires, et qu’il faut s’élever plus haut pour ne rien introduire dans cette grande question qui implique contradiction. En effet, si ce sont là les circonstances qui ont développé l’art et les lettres en Italie, quelles sont donc celles qui plus de deux siècles auparavant ont développé l’art et les lettres en France ? Et si l’ignorance et l’abaissement des esprits avaient écarté l’humanité de la voie des grandes choses dans laquelle l’Italie l’a replacée, à quoi bon parler du grand éclat qu’eurent l’art et les lettres en France pendant les XIe, XIIe et XIIIe siècles ? L’histoire ne permet pas de dire qu’on y soit rentré par l’Italie au XIVe siècle ; on y était rentré bien auparavant par la France dès le XIe siècle.

Il faut noter ici, en préliminaire, que toute discussion sur la marche et le développement de l’art est très ardue, parce que l’art ne porte pas, comme la science, la marque évidente d’un accroissement successif. La contradiction avec l’histoire que j’ai signalée plus haut à l’égard de la France reparaît sous une autre forme à l’égard de l’art du moyen âge en général. M. Renan dit que l’art du moyen âge tomba par des défauts essentiels, n’ayant pas su s’élever à la perfection de la forme, que la renaissance n’est pas coupable de l’avoir étouffé, qu’il était mort avant qu’elle commençât à poindre, et mort faute d’un principe suffisant pour l’amener à un entier succès. Soit ; mais à quoi attribuerons-nous la mort de l’art antique, de l’art grec, mort qui ne fut pas moins complète que celle de l’art du moyen âge ? Dès le IVe siècle de l’ère vulgaire, avant la chute de l’empire romain, les beaux-arts, les belles-lettres étaient dans une pleine décadence et ne produisaient plus rien qui eût vie, souffle, imagination. La beauté antique succomba comme fit plus tard la beauté féodale, et cependant personne ne nie, sauf peut-être de fanatiques admirateurs du moyen âge, qu’elle n’eût un principe suffisant pour la porter à un entier succès, et qu’elle ne dût s’élever à la perfection de la forme.

L’art antique, pas plus que l’art du moyen âge, ne survécut au sentiment religieux et poétique qui les avait créés ; mais, dira-t-on, il y a eu renaissance pour l’un, et l’autre est demeuré enseveli. — Cela même n’est pas tout à fait exact, car l’on sait comment l’art du moyen âge a de nos jours fait preuve de vie et reparu dans les lettres, dans l’architecture, dans la sculpture, dans la peinture. À vrai dire, il n’y a eu ni pour l’un ni pour l’autre de renaissance, et c’est autre chose qui, depuis qu’on se remit en communication avec l’antiquité grecque au XVIe siècle, est revenu à la lumière. Ce qui est revenu, c’est la faculté d’apprécier et de sentir les formes que la beauté a revêtues dans les âges féconds, et de se composer ainsi un idéal de plus en plus étendu, rayonnant et magnifique. Au XVIe siècle, on ne fut capable de saisir l’art antique que dans sa forme littéraire ; le reste demeura muet. Au XVIIe, l’art grec est encore ignoré, on ne le connaît et l’apprécie que sous la forme latine, qui est inférieure. Parlez, si vous l’osez, aux gens du XVIIe et du XVIIIe de l’art gothique. C’est seulement de nos jours que l’art du moyen âge est senti et reconnu.

Il y a illusion à penser que l’art antique pouvait se transmettre directement aux époques subséquentes. Cela fut impossible, puisque le flambeau s’en éteignit entre les mains de l’antiquité elle-même. Il fallut le rallumer, et ce fut la charge du moyen âge. Là, dans le laps de quelques siècles, depuis le XIe jusqu’au XVe, on peut voir comment l’esprit des temps, à la fois poussé par son originalité propre et soutenu par les restes d’une tradition qu’il ne perdit jamais et respecta toujours, créa un nouvel idéal qui satisfit aux sentimens et aux aspirations du monde d’alors, car il n’y a point d’art ni d’idéal en dehors de ces conditions. Aujourd’hui on peut dire, on doit dire, en le prenant dans son ensemble, qu’il a bien rempli son rôle intermédiaire entre ce brillant paganisme, qui s’était laissé mourir d’épuisement et de vieillesse, et la puissante civilisation moderne, qui embrasse d’un coup d’œil sympathique et intelligent tous les temps et tous les lieux.

Ainsi il fallait à l’art un moyen âge, comme il en a fallu un aux institutions religieuses, politiques, sociales, et ici au mot d’art je donne un sens étendu, y comprenant aussi bien les belles-lettres que les beaux-arts, c’est-à-dire embrassant sous ce terme l’expression de la beauté intellectuelle, soit poétique, soit plastique, soit musicale. La seule hypothèse à laquelle je puisse songer, non pas pour refaire l’histoire, ce qui serait puéril, mais pour s’habituer à considérer un sujet historique sous toutes ses faces, la seule hypothèse, dis-je, serait d’imaginer que les Barbares ne sont pas venus, que la barbarie ne s’est pas mêlée à la civilisation, que l’empire romain, se dissolvant de lui-même, s’est reconstitué en des nationalités dont les limites étaient toutes marquées d’avance, et que l’art, inspiré par un nouvel état social, a cherché son idéal en demeurant plus près des enseignemens de l’antiquité. Même dans cette hypothèse, on reconnaît que les linéamens essentiels du moyen âge sont conservés, car il faut toujours qu’il reproduise l’esprit nouveau que le christianisme représente en face du paganisme.

Je l’ai dit plus haut, ce qui rend difficiles les discussions historiques sur l’art, c’est qu’on n’y remarque pas les phases ascensionnelles, si visibles dans le développement de la science. Aussi faut-il donner, pour le progrès dans l’art, une définition différente de celle qu’on donne pour la science, et dire qu’il se développe quand d’âge en âge il devient autre, en restant conforme à la beauté.


V. — DE LA PAPAUTE ET DE L’ORDRE RELIGIEUX.

Si l’ordre laïque sort de la subordination, l’influence de l’ordre religieux n’en demeure pas moins très grande. Trois aperçus historiques, sans lesquels M. Le Clerc n’aurait pu maîtriser sa matière, dominent dans son ouvrage : le caractère laïque du XIVe siècle, le grand éclat littéraire de la France dans les hauts temps, et l’action des conditions sociales et des pouvoirs politiques et ecclésiastiques. De la sorte, on a une vue réelle et générale de ce siècle tel qu’il fut en France, et même tel qu’il fut en Occident, si l’on ajoute que la France fut le principal théâtre de la lutte entre les deux pouvoirs, et que l’Italie prit la position éminente dans les lettres et dans les arts.

Avec le XIVe siècle s’ouvre l’ère papale, que l’Italie a nommée dès lors la captivité de Babylone, et qu’elle n’a jamais cessé de reprocher à la mémoire des papes d’Avignon. Ils appartiennent tous par leur naissance à des provinces du midi, ou déjà françaises, ou qui allaient bientôt le devenir. Ce fut Philippe le Bel qui transporta la papauté dans la ville d’Avignon en provoquant l’avènement du Gascon Bertrand de Got, évêque de Comminges, puis archevêque de Bordeaux, et devenu célèbre sous le nom de Clément V. On ne peut ajouter foi à l’anecdote racontée par le chroniqueur Jean Villani, que le roi et le futur pape se virent dans une abbaye au fond d’un bois près de Saint-Jean-d’Angély, et firent entre eux un trafic des choses saintes en un contrat en six articles, avec serment sur l’hostie ; mais la remarque de M. Le Clerc est juste : on rencontre à tout moment dans l’histoire de ces anecdotes suspectes ou fausses, qui ont un fond de vérité. Ici la rumeur populaire mettait en action ce qui était dans la pensée de tous, c’est-à-dire la condescendance des papes, durant trois quarts de siècle, pour la politique des rois de France. Ajoutons avec M. Le Clerc : « Cette longue confiscation de la papauté au profit d’une nation que ses rois surent mettre et maintenir en possession de la tiare, et qu’une telle suprématie, respectée de tout le monde catholique, aida puissamment à résister aux plus cruelles épreuves, ne fut point perdue pour l’émulation des esprits, pour l’avancement des connaissances humaines. L’enseignement des universités, la jurisprudence canonique et civile, l’étude de la géographie et des langues favorisée par les missions lointaines, surtout par les missions asiatiques, doivent beaucoup à ces papes gascons et limousins qui se succèdent dans leur nouvelle Rome, dans leur ville pontificale d’Avignon. »

Un des hommes les plus illustres du XIVe siècle, Pétrarque, résida beaucoup à la cour d’Avignon. Des préventions contre lui, ou parce qu’il était poète, ou parce qu’il avait été l’ami de Cecco d’Ascoli, poète aussi, mais brûlé comme magicien en 1337, avaient été suggérées à Innocent VI ; mais Innocent ne fut pas un ennemi des lettres, et ces préventions s’évanouirent de son esprit. Lorsque Pétrarque est informé à Milan par son ami le cardinal Talleyrand que le pape, qui venait de donner au poète deux bénéfices et lui en promettait d’autres, veut qu’il soit secrétaire apostolique : « Est-ce possible ? dit-il dans sa réponse. Lui qui me croyait sorcier, sorcier parce que je lisais Virgile ! Combien de fois ne l’a-t-il pas soutenu opiniâtrement contre vous et mes amis ! Combien de fois aussi n’en avons-nous pas ri ensemble, même en présence du pape, alors cardinal, dans le temps où il y croyait plus que jamais ! La chose devint sérieuse quand il fut pape. Aussi, malgré vous, je partis sans prendre congé de lui, craignant que ma sorcellerie ne lui fît tort, ou à moi sa crédulité. »

L’Italie disputait sans cesse à la France la papauté d’Avignon. Urbain V, bien que Français (il avait professé le droit à Montpellier, à Toulouse, à Paris), songeait à rentrer à Rome. La cour de France le fit deux fois haranguer. Le début d’une de ces harangues, où l’auteur suppose un dialogue entre le père et le fils, c’est-à-dire entre le pape et le roi de France, mérite d’être rappelé : « Le fils : Domine, quo vadis ? — Le père : Romam. — Le fils : Iterum crucifigi. » On ne peut s’empêcher de comparer le temps présent à cette époque passée : aujourd’hui l’Italie dispute Rome au pape, et elle ne réclamerait pas la papauté, si la papauté résidait encore dans Avignon. Il faut ajouter que, l’hérésie ayant grandement entamé le domaine du catholicisme, et ce qu’on nomme la libre pensée entamé le domaine du christianisme, la papauté a perdu le caractère d’universalité qu’elle possédait au moyen âge, et qu’elle n’est plus que le pouvoir spirituel des catholiques.

Nous avons les testamens de plusieurs des cardinaux de la cour d’Avignon. Ces princes de l’église étaient fort riches ; parmi leurs actes de munificence, on remarque les encouragemens que la plupart d’entre eux donnent, dans ces pièces, à l’étude et à l’instruction. Un grand nombre de collèges à Paris et dans les provinces sont fondés par eux. Ces testamens nous intéressent aussi par les catalogues qu’on y trouve souvent des livres légués par les testateurs et qui nous font connaître, avec leur goût pour les lettres, le genre d’études qu’ils avaient préféré. Un ami de Pétrarque, le cardinal Philippe de Cabassole, dans son testament du 27 août 1372, dote la ville épiscopale de Cavaillon d’une vraie bibliothèque publique, établie près du chapitre. Un des types remarquables de ces grandes existences qui conciliaient la dignité d’un prince de l’église avec l’amour et la protection des lettres, avec le luxe et les plaisirs de l’opulence, avec les intrigues et le tumulte des affaires, est Talleyrand de Périgord, qui, après de sérieuses études, surtout en jurisprudence, et la mort de sa femme, fille du comte de Vendôme, fut successivement abbé de Chancelade, évêque d’Auxerre, cardinal du titre de Saint-Pierre-aux-Liens, qui, dans ses plus grands honneurs, réserva toujours quelques heures aux libres distractions de l’esprit, et qui, touché du gracieux génie de Pétrarque, l’aurait fait nommer par le pape, si le poète avait voulu, secrétaire de ses brefs apostoliques ; aussi le poète reconnaissant disait-il de son patron qu’il y avait plus de gloire à faire des papes qu’à l’être soi-même. Voilà pour les lettres. Pour le reste, nous savons la part que ce cardinal prit dans les négociations avant et après le désastre de Poitiers, le soupçon qui pesa sur lui d’avoir été complice, avec son neveu Charles de Duras, du meurtre d’André, roi de Naples, imputé à la reine Jeanne, enfin cette réponse légère, mais non sans vraisemblance, à ceux qui lui reprochaient de combattre dans le conclave l’élection de Jean Birel, l’austère prieur des chartreux : « Avec un tel pape, il nous faudrait, le jour même, envoyer nos beaux palefrois à la charrue. »

Durant ce siècle, les évêques furent tous occupés par d’opiniâtres querelles contre les ordres mendians, qui voulaient s’emparer de la confession, de la prédication, des funérailles et des principaux droits du clergé séculier, et peu s’en fallut qu’ils ne fussent vaincus. Des témoignages certains de la splendeur toute féodale que plusieurs prélats avaient fait succéder à la simplicité des premiers siècles nous ont été conservés par leurs testamens ; ils y rivalisent de somptuosité et de raffinement avec les seigneurs temporels, avec les princes, avec les rois, et plusieurs, comme les cardinaux, songent à honorer leur mémoire en fondant des collèges et en les choisissant souvent pour héritiers de leurs belles collections de livres.

À la suite des évêques, dans la hiérarchie séculière, viennent les archidiacres, les doyens, les prévôts, les chanoines des églises, en un mot tous ces prêtres, tous ces membres du clergé qui dépendent de l’ordinaire. De grands services furent rendus aux lettres par ces corps permanens, qui aimèrent presque toujours les livres, ne dédaignèrent pas d’en admettre de profanes auprès de leurs rituels, et qui excellèrent de bonne heure dans l’art d’acquérir et de conserver. Les plus anciens manuscrits nous viennent des bibliothèques capitulaires, où ils étaient pour ainsi dire consacrés à l’égal du trésor des églises. Les premières écoles publiques furent aussi les écoles instituées près des chapitres. À Paris, on voit celles du parvis de Notre-Dame s’étendre insensiblement jusque sur le Petit-Pont, et de là gagner de proche en proche la montagne où s’est formé le quartier latin. Du même chapitre relevèrent les petites écoles de la ville et des faubourgs, et il donna jusqu’à la fin un chancelier à l’université. C’est un de ses chanoines, l’abbé Legendre, qui, par un legs accepté en 1746, a fondé le concours général entre les collèges de Paris.

Le concile général ouvert à Vienne le 16 octobre 1311 rendit un décret sur l’enseignement des langues orientales. Il avait été décidé que dans toute ville où résiderait la cour pontificale et dans les universités de Paris, d’Oxford, de Bologne et de Salamanque, il y aurait des chaires pour l’hébreu, l’arabe et le chaldéen, avec deux maîtres pour chaque langue ; mais cette mesure, fort sage pour la religion et fort utile pour les lettres, ne fut point exécutée. Renouvelée presque aussi vainement par le concile de Bâle en 1434, il fallut venir jusqu’à la renaissance pour la mettre en pleine vigueur et pour fonder dans l’Occident l’étude des langues orientales, qui est devenue si importante de notre temps. C’est ce concile de Vienne qui ordonna que toutes les bulles préjudiciables à l’honneur, aux droits et aux libertés du royaume de France, dans le débat entre Philippe le Bel et Boniface VIII, fussent non-seulement révoquées, mais effacées du registre pontifical. Jusqu’à présent cette radiation sur le registre avait pu paraître douteuse ; mais Tosti, le dernier historien de Boniface VIII, a eu la douleur de retrouver, de transcrire et de publier, d’après les archives secrètes de Rome, l’attestation du notaire apostolique chargé d’effacer les bulles par un évêque et un cardinal qui disent en avoir reçu l’ordre du saint-père lui-même, Clément V. L’historien ajoute : « On pleure sur la faiblesse du pape plus que sur la méchanceté du prince. »

Un sage écrivain qui connaissait bien l’histoire ecclésiastique, Fleury, a dit, en parlant des ordres religieux au XIVe siècle : « Cette sainte institution était alors en sa plus grande décadence. » Le jugement de M. Le Clerc, qui n’est pas autre, ne devra donc pas sembler sévère. Ce n’était plus le temps où les chartreux de Paris, sachant que le comte de Nevers, celui qui mourut en 1175, voulait leur donner des vases d’argent, lui faisaient entendre qu’ils aimeraient mieux du parchemin pour leurs copistes, et où Guibert de Nogent disait d’eux : « Ils sont pauvres, mais ils ont de riches bibliothèques. » En revanche, c’était le temps où, faisant aux chanoines de Saint-Victor de Paris le reproche de n’être pas des observateurs bien rigoureux de la règle, on prétendait dans un apologue latin que le loup, devenu moine, les jours où il désespérait de pouvoir s’accoutumer au maigre, se faisait chanoine.

Ainsi les ordres religieux sont tombés au-dessous de leur ancienne fortune, et quelques-uns sont tout à fait dégénérés. Cependant il ne faut point les quitter sans jeter un coup d’œil sur les deux ordres nouveaux, les dominicains et les franciscains, qui, créés dans le siècle précédent, jouent un grand rôle dans le XIVe siècle, car les uns sont des inquisiteurs et se chargent avec une rigueur inflexible de contenir dans les étroites limites de la foi les esprits qui s’en écartent ; les autres sont des agitateurs qui rêvent une société nouvelle et qui inquiètent les papes et les rois. Nous ne pouvons résister au désir de mettre sous les yeux du lecteur la belle page où M. Le Clerc dépeint les uns et les autres : « Leurs moyens d’agir (des dominicains et des franciscains) sur les esprits ont, dit-il, été différens. Les disciples de saint Dominique ont aspiré à la suprématie par le savoir, l’éloquence, la richesse, et malheureusement aussi par les supplices, les fils de saint François par l’étalage de la pauvreté et de l’humilité, par la hardiesse des doctrines et des exemples populaires. Nous remarquerons chez les uns plus d’habileté, d’aptitude au gouvernement, de cette gravité qui convient à la domination ; chez les autres, plus de goût pour les innovations profondes et hasardeuses, de cet élan désordonné qui entraîne les multitude. Les frères prêcheurs avaient, pour réussir en France, les avantages de l’esprit et du savoir, la suite et la persévérance dans les plans ; les frères mineurs, pour plaire à l’Italie et à l’Espagne, de longues files de leurs bandes enthousiastes, les flagellations de leurs pénitens, les saillies d’une imagination ardente, la prodigalité des miracles. Dans leurs œuvres littéraires, les uns, avec de la régularité, de la méthode, le respect scrupuleux des dogmes, multiplient beaucoup trop les menaces judiciaires, les anathèmes, les sentences de mort ; les autres, non moins téméraires comme écrivains que comme théologiens, abondent en rêveries, en fantaisies, en visions. Ils ont, des deux côtés, en abusant de l’Évangile, affaibli plutôt que fortifié la papauté, pour laquelle il y avait trop de péril à blesser, avec les uns, le cœur humain, qui se soulève tôt ou tard contre la cruauté, — avec les autres, le bon sens, tôt ou tard rebelle aux expériences qui ébranlent les fondemens de la société. »

On a brûlé en ce siècle plus de franciscains que de templiers. Une anarchie à demi politique, à demi théologique, avait pénétré dans les rangs des disciples de saint François. La seconde moitié du XIIIe siècle et le XIVe siècle furent agités par une doctrine désignée ordinairement sous le nom d’évangile éternel et qui était certainement sortie de leur imagination entreprenante. A-t-il jamais existé un livre sous ce titre ? Jusqu’à quel point leur général Jean de Parme ou quelqu’un de ses moines a-t-il dû être soupçonné d’avoir sinon fabriqué, du moins répandu et accrédité le texte de la nouvelle promesse ? Ces questions sont loin d’être encore résolues. Quoi qu’il en soit, nous avons la condamnation qui fut portée contre une introduction à l’évangile définitif, liber introductorius, espèce de préface composée d’un choix de textes que le nom de l’abbé Joachim, ce prophète d’un nouvel âge, paraissait avoir consacrés. Entre les propositions condamnées, la première est celle-ci : « vers l’an 1200 de l’incarnation du Seigneur, l’esprit de vie étant sorti des deux testamens, naquit l’évangile éternel. » Dans ce livre était dit sans cesse avec des similitudes variées que l’évangile éternel surpassait et achevait les deux révélations antérieures : « L’Ancien Testament n’était encore que la clarté des étoiles, ou le vestibule du temple, ou le brou de la noix, le nouveau, la clarté de la lune, le sanctuaire, la coquille, tandis que l’évangile éternel nous apporte la clarté du soleil, le saint des saints, la noix elle-même. » Ce nouvel évangile, ce troisième testament devait amener parmi les hommes la félicité universelle par la pauvreté des spirituels et des parfaits et par la communauté des biens. L’avènement en avait été fixé à l’an 1260, et comme rien n’arriva cette année-là de ce qui avait été prédit, d’autres prophètes y substituèrent l’an 1325 ou 1335, puis l’an 1360 et 1376. Le tiers ordre de saint François, les fraticelles, les mendians, les flagellans s’agitèrent sous l’aiguillon de ces promesses et troublèrent profondément la société. Les papes sévirent, et plus d’une fois alors il fut question de supprimer les franciscains, comme plus tard furent supprimés les jésuites. Quelques-unes des propositions condamnées du liber introductorius montrent quelles idées d’insubordination et d’ambition fermentaient parmi ces moines. « L’église romaine, disaient-ils, ne possède que le sens littéral du Nouveau-Testament, et n’en a pas l’intelligence spirituelle ; aussi les spirituels (c’est-à-dire les religieux) ne sont pas tenus d’obéir à l’église de Rome, ni d’acquiescer à son jugement dans les choses qui sont de Dieu… Ce qu’on appelle le Nouveau-Testament est pour nous l’ancien, et doit être rejeté… Le Christ et ses saints apôtres n’ont pas été parfaits dans la vie contemplative. L’ordre des clercs, fait pour la vie active, ne suffit plus à l’édification, au salut, au gouvernement de l’église ; l’ordre des moines ou des contemplatifs peut seul l’édifier, la sauver, la gouverner. » A Marseille, en 1318, furent brûlés quatre franciscains qu’on appela les quatre martyrs, jugés coupables d’avoir propagé la doctrine sur la pauvreté absolue des spirituels et des parfaits. Vingt et un prévenus, qui étaient dans les prisons, réussirent, après ce supplice, à s’échapper en faisant au pape Jean XXII et à la papauté de terribles adieux : « Nous fuyons, non pas l’ordre, mais ses murailles ; non pas l’habit, mais des haillons ; non pas la foi, mais le masque de la foi ; non pas l’église, mais une synagogue aveugle ; non pas le berger, mais le loup qui dévore le troupeau. Comme, après la mort de l’antechrist, ses partisans seront exterminés, ainsi, après la mort de ce pape, seront exterminés par nous et nos amis tous nos persécuteurs, et à jamais révoquées toutes les sentences iniques prononcées contre nous, ou plutôt contre le Christ, contre la vie, contre la perfection, contre le saint Évangile. »

Aux dominicains était confiée la répression ; elle fut terrible. Plus le gouvernement des âmes devenait difficile, plus, par la funeste tendance des doctrines absolues, on se persuadait que les supplices étaient le seul remède à employer contre le plus grand des crimes, un crime absolu, l’erreur dans la foi. L’inquisition, ce droit de régner par la terreur qu’ils obtinrent dès leur origine contre les Albigeois et qu’ils ne partagèrent qu’un instant avec les franciscains, leur donna le privilège de faire la guerre et une guerre d’extermination à toute liberté de parler et d’écrire. Le XIVe siècle fut celui de leur plus grand pouvoir, surtout en France. Ils ont remarqué les premiers que tous leurs généraux, à l’exception d’un seul, ont été, pendant la papauté d’Avignon, originaires de nos provinces. Le saint-siège trouva dans leur ordre ses plus fidèles serviteurs : surveillans et vengeurs du dogme, ils défendirent la cause pontificale comme prédicateurs, comme maîtres de théologie, comme écrivains.

Ceux qui pensent que l’inquisition fut étrangère à la France commettent une grave erreur historique. Il est certain que ce terrible tribunal finit par quitter notre sol, et que nos derniers siècles n’eurent point à souffrir de cette oppression qui écrasa pour un temps le noble et puissant génie de l’Espagne ; mais au XIIIe et au XIVe siècle l’inquisition était établie en France du nord au midi. On la trouve à Toulouse, à Carcassonne, à Marseille, à Narbonne, à Bar-le-Duc, à Metz, à Douai, à Saint-Quentin, à Paris. Les fonctions inquisitoriales s’y exerçaient dans leur pleine rigueur, et Paris, en 1304, vit livrer aux flammes cent quatorze vaudois.

Ces brûleurs d’hommes étaient aussi des brûleurs de livres. Avant l’imprimerie, de telles exécutions ont anéanti beaucoup de documens. Il paraît que tous les livres des cathares ont été détruits ; ceux qui restent des vaudois sont en bien petit nombre. On doit regretter aussi, pour l’histoire de l’esprit humain, cette bibliothèque d’ouvrages de toutes les sectes, amassés pendant quarante ans par le marquis de Montferrand en Auvergne, et qu’il ordonna de jeter au feu, vers 1215, sur le conseil des dominicains, à peine établis dans le pays. Leur inquisition fît brûler à Toulouse, en 1315, de nombreux exemplaires du Talmud, condamné par des experts qui, dit la sentence, savaient l’hébreu. On en brûle une fois deux charretées, y compris sans doute d’autres ouvrages rabbiniques. Rien n’est plus commun que de brûler le Talmud, et quelquefois des Juifs avec le Talmud. M. Le Clerc pense que durant ces persécutions beaucoup d’autres livres ont dû disparaître : les traductions de l’Écriture sainte, longtemps encouragées et ordonnées par les conciles, puis sévèrement prohibées ; les hardiesses des poètes du nord et du midi contre la toute-puissance ecclésiastique ; un grand nombre de poèmes de l’ère carlovingienne, trop peu respectueux pour le clergé, et qui, dans le midi surtout, n’ont guère laissé de trace que leur titre. Que sont devenus tous ces poèmes de chevalerie continuellement cités par les troubadours ? Il s’en retrouve beaucoup plus dans la langue d’oïl que dans la langue d’oc, bien que la plupart eussent été rédigés dans l’une et l’autre ; mais souvent les deux rédactions ont péri.

Il importe de citer les réflexions que la législation inquisitoriale a inspirées à M. Le Clerc, car elles serviront à apprécier dans son intimité l’état du XIVe siècle : « Quand on lit aujourd’hui ce code et les sentences qu’il a dictées, on ne peut s’empêcher de croire que de tels juges, quand même ils n’eussent point fait la guerre aux travaux de l’esprit, devaient nuire à l’intelligence, et que ce n’était pas sans danger pour la conscience publique, et par suite pour les œuvres littéraires, qu’un tribunal ne cessait de rendre des arrêts où les plus simples notions de la justice humaine étaient contredites par une prétendue justice divine, où des gens étaient condamnés pour avoir payé leurs dettes à des créanciers suspects d’hérésie, une sœur pour avoir donné à manger à son frère qui mourait de faim, une jeune fille de quinze ans pour n’avoir pas dénoncé son père et sa mère. Il y avait là de quoi pervertir le bon sens d’une nation. »

En présence de l’anarchie franciscaine et de la cruauté dominicaine, il est clair qu’on est arrivé à l’épuisement du régime du moyen âge. Si on abandonne les doctrines à elles-mêmes, elles se précipitent dans des aberrations sans fin et pleines de péril ; si on les contient, on tombe dans des rigueurs qui révoltent la conscience humaine. Le dilemme est posé, et par, elle-même la doctrine qui a fait la force et la grandeur du régime catholico-féodal n’a pas d’issue. Ce fait, on le comprend, est d’une très grave signification ? aussi n’est-il pas indifférent, surtout en histoire, de donner, après la preuve, la contre-épreuve. Les musulmans, traduisant les livres syriaques, qui avaient traduit les livres grecs, se jetèrent avec ardeur dans les sciences, et eurent un moment si brillant qu’il put paraître douteux si ce serait aux gens de l’Orient ou à ceux de l’Occident qu’il appartiendrait d’être les instituteurs de l’âge intermédiaire et de créer les élémens de la civilisation moderne ; mais la religion s’inquiéta des libertés de l’esprit philosophique et scientifique. Usant de la compression avec une sévérité toute dominicaine, elle triompha, éteignit la libre pensée, ne laissa aux esprits d’autre aliment que les subtilités métaphysiques du dogme, et finalement livra les populations musulmanes à cette misère intellectuelle, mère de toutes les autres misères, et dont ces populations ont, même avec le secours de l’Europe, tant de peine à se tirer.

Dans l’Occident chrétien, au sein de la religion la plus haute qui eût encore paru dans le monde, la morale théologique avait abouti à un code qui substituait des devoirs fictifs aux devoirs réels, et qui ne soutenait ces fictions que par d’inexorables cruautés. Placée par sa nature même au-dessus de la morale humaine, il n’y avait ni correction ni amendement qui pussent lui venir de ses propres principes.

Il fallait donc de nouveaux principes, et, pour qu’ils prissent autorité, il fallait que l’ancien ordre de choses s’ébranlât et entrât en décadence : de là le brisement du régime catholico-féodal et l’œuvre du XIVe siècle. C’est là que l’Occident latin montra qu’il avait conservé une puissante vitalité, et vraiment reçu des mains de Rome la gestion des destinées humaines. À ce moment critique, le moyen âge eut la force de rompre la tutelle, jadis salutaire, présentement funeste, sous laquelle il avait vécu, et cela sans anarchie décisive et sans faute capitale, car c’est alors que son esprit prend une nouvelle activité, de l’agrandissement et des lumières. Ces redoutables perturbations qui l’agitent n’ont pourtant pas le pouvoir de le jeter hors de l’orbite de la civilisation. Et, pour revenir au point plus étroit d’où je suis parti, on commence, dans le désarroi de la morale théologique, à jeter les fondemens d’une morale humaine sur lesquels s’élève de nos jours l’édifice entier de l’état sortant des liens ecclésiastiques et devenant de plus en plus laïque.


VI. — CONCLUSION.

Le discours de M. Le Clerc et celui de M. Renan sur l’état des lettres et des arts en France pendant le XIVe siècle font le vingt-quatrième volume d’une collection qui contient l’histoire des livres et des écrivains depuis l’origine des choses françaises. Leur ouvrage est une suite, et ils n’ont eu aucun besoin de revenir sur le passé pour mettre le lecteur sur le terrain et au point de vue. Il en a été autrement pour l’auteur de cette étude. Il a fallu, pour indiquer le caractère historique du XIVe siècle, indiquer celui du moyen âge, et, pour apprécier les lettres en ce siècle ; les apprécier dans les siècles antérieurs, chose d’autant plus nécessaire que plus d’un lecteur est habitué à croire que dans le haut moyen âge il n’y a eu aucunes lettres françaises, et que le travail de l’esprit français et son renom ont une date récente.

Ceux qui ne se fieraient pas assez à la théorie de l’histoire pour en conclure déductivement l’office du moyen âge peuvent le déterminer par une induction directe dont voici les élémens. Il est certain que, vers le VIe ou VIIe siècle de notre ère, il reçoit des mains des Romains et des Barbares la civilisation antique, et qu’au XVIe il nous rend les germes actifs de la civilisation moderne. Cette vue de ce qu’il reçoit et de ce qu’il rend suffirait pour résoudre le problème ; mais allons plus loin. L’opinion commune inculquée par le zèle des érudits du XVIe par l’ignorance du XVIIe, par l’hostilité systématique du XVIIIe, est que tout cet intervalle d’environ neuf cents ans est une ère de barbarie, de superstition et de ténèbres. Or, dans cette opinion, on est déçu par une illusion qui fausse les faits : c’est d’opposer le moyen âge à l’époque brillante de la Grèce et de Rome. Les choses ne se sont pas ainsi passées : bien longtemps avant le moyen âge, la civilisation païenne languissait, s’affaissait, se mourait ; les lettres, les arts, la langue, les sciences même, qui résistent plus longtemps, étaient en proie à une maladie chronique qui semblait incurable. L’intrusion des Barbares dans le monde romain rendit plus grave, plus profonde, cette décadence naturelle, qui aurait été fatale, s’il ne fallait ajouter qu’en même temps il se faisait une nouvelle religion et se préparait un nouvel avenir. En outre la monarchie universelle de Rome, qui se serait inévitablement défaite d’elle-même, avait été violemment défaite par les Barbares. C’est dans cette situation que le moyen âge prit l’héritage de l’antiquité et les destinées du monde, et qu’il dut, s’il était à la hauteur de sa mission, arrêter le mouvement de décadence, puis le remplacer par un mouvement inverse qui donnât la vie à la langue, aux lettres, aux arts, aux sciences, et en même temps créer un système politique qui remplaçât la monarchie romaine. Tout cela fut fait, la chose est incontestable ; mais, pour savoir si cela fut bien fait, il faut le soumettre à deux conditions capitales : la première, c’est que cette civilisation intermédiaire ainsi créée ne s’immobilisât point et fût de nature à briser les entraves, si les entraves survenaient ; la seconde, que cette même civilisation intermédiaire pût, à un moment donné, renouer les liens d’origine avec l’antiquité païenne et les beaux temps de la Grèce et de Rome. Le XIVe siècle a donné satisfaction à la première, le XVIe siècle à la seconde, et ainsi se trouvent justifiées devant l’histoire les voies du moyen âge.

Dans cette ascension, à partir du dernier point de décadence où était tombée la société antique, la France eut les devans et produisit les premières nouveautés de l’esprit catholico-féodal. Ce qui prouve que le mot est juste et qu’elle ne fut qu’une devancière, c’est le succès qu’elle obtint : tout l’Occident fut sous le charme de ces créations chevaleresques et chrétiennes, l’Occident qui, lors même qu’il eût mieux senti qu’il ne faisait la divine poésie de Virgile, avait besoin de types qui fussent siens et pour qui Roland, Renaud, Charlemagne, les paladins et les barons étaient des figures plus neuves, plus familières, plus vivantes que Turnus et Énée. En ce moment, l’Italie, l’Espagne, la France, la Germanie christianisée, l’Angleterre conquise par les Normands, formaient un groupe régi spirituellement par un chef siégeant à Rome, temporellement par des suzerains et des vassaux, et assez homogène pour représenter, à l’égard de la civilisation et du reste du monde, ce que l’agglomération romaine avait longtemps représentée C’est ce groupe tout entier qui donna son applaudissement aux chants venus de France. Plusieurs de ces poésies ont péri ; ce qui en reste, après un long oubli, reparaît aujourd’hui à la lumière du jour. On peut les juger. Il se voit bien qu’il y manque un génie individuel qui y mît par le style une empreinte immortelle ; mais il n’y manque pas un génie collectif qui sût satisfaire à l’idéal du temps et créer une variété de héros, d’héroïnes et de situations tout aussi vivantes dans nos imaginations que les plus belles de l’antiquité. Il faut bien reconnaître qu’il y eut dans le haut moyen âge un grand éclat des lettres françaises, et au XIVe siècle une décadence. Cet éclat et cette décadence sont deux faits essentiels de notre histoire.

Si, au moment de la chute de l’empire romain, la question était comment se ferait la transition de l’ordre politique ancien à un ordre nouveau, la question connexe était comment se ferait la transmission intellectuelle. Elle se fit en effet, et il n’y eut jamais rupture entre le régime qui commençait et la latinité qui finissait. Ainsi s’explique la fortune du moyen âge, qui devint une sorte d’empire néo-romain, à parties multiples, parties dont l’indépendance extérieure était contenue par une dépendance profonde et réelle. On peut présenter sous quatre chefs ce qui fut l’aliment des esprits dans l’antiquité : les lettres, la philosophie, les sciences, l’art. Rien de tout cela ne fut abandonné. Le moyen âge, dès qu’il put se reconnaître, recueillit avec vénération et ardeur tout ce qui le mettait en communication avec ses ancêtres en civilisation ; même il étendit sa curiosité jusque sur l’Arabie, alors florissante, et, grâce à elle, il préluda, par une renaissance anticipée, à la science grecque. Les résultats répondirent au labeur, et quand on fait son compte, sans parler du pouvoir, spirituel qu’il fonde, sans parler de la féodalité et de la préparation au régime représentatif, sans parler de la révolution intellectuelle et politique dont il produit les germes, on trouve, que dans les lettres il enfante un cycle primitif de poésie chevaleresque, que dans la philosophie il mène à terme la grande querelle du nominalisme et du réalisme, que dans la science il crée l’alchimie, et que dans l’art il donne naissance à l’architecture gothique, et, par le déchant, à la nouvelle musique.

En cet essor, qui est si visiblement la suite de la civilisation antique et la préparation de la. civilisation moderne, intervient le XIVe siècle, qui est climatérique pour le moyen âge. Là commence à se briser l’ancienne ordonnance qui soumettait tout le domaine intellectuel et moral à l’église. Le conflit éclate entre la papauté et la royauté, entre Philippe le Bel et Boniface VIII, et dès lors l’élément laïque prend graduellement une indépendance qui n’est pas compatible avec le régime d’une foi théologique : aussi depuis lors dispute-t-il à l’élément ecclésiastique, qui, avait été le principe vital et supérieur de la société du moyen âge, toutes les parties constitutives du savoir, si bien qu’il en est venu à lui disputer même la conception du monde, ce qui est nécessaire, s’il veut devenir à son tour principe d’un ordre social purement humain. Ces graves événemens, outre la lumière qu’ils portent dans la révolution occidentale, éclairent aussi la fonction du moyen âge. Le débat du pouvoir spirituel et du pouvoir temporel ne pouvait naître dans l’antiquité gréco-latine, qui ne connaissait pas la séparation de ces pouvoirs. À son tour, la pensée de fonder un pouvoir spirituel humain ne pouvait naître qu’après que la pensée du pouvoir spirituel divin eût été pleinement réalisée dans les esprits et dans les choses. C’est ainsi que le moyen âge est un anneau qu’on ne retranche jamais sans rendre inintelligible le cours de l’histoire.

J’ai dit, au commencement de cette étude, que M. Le Clerc s’associait, dans le XIVe siècle, au mouvement laïque qui s’empare de la société, son livre montrant que le trouble et le malaise de ce siècle sont dus non à de vaines agitations anarchiques ou rétrogrades, mais à un instinct de rupture avec le passé. Ceux qui, me lisant, s’étonneront n’ont qu’à repasser en esprit les annales des siècles qui suivirent. Ce sont autant de conclusions échelonnées en faveur des prémisses. Cinq siècles, et un sixième, le nôtre, se détournent graduellement, mais obstinément, du régime théologique et des révélations, et se, portent vers des lumières dont toute la source, toute la force est dans le labeur et le savoir de l’humanité. Est-ce progrès ? est-ce décadence ? Le fait tranche la question : la société aura empiré en science, en politique, en morale, si c’est décadence ; elle aura grandi en science, en politique, en morale, si c’est progrès. Que l’on compare à cet égard l’âge moderne avec le moyen âge, et que l’on réponde. M. Le Clerc a porté un juste jugement lorsque dans le XIVe siècle il a vu « une époque qui commence beaucoup de choses, dont quelques-unes ne sont pas encore achevées. »

De même que politiquement l’histoire de France se partage en deux portions, le régime féodal et la monarchie administrative, avec un intervalle de transition qui comprend environ le XIVe et le XVe siècle, de même littérairement elle offre deux époques de production originale et d’éclat, l’une comprenant le XIIe siècle et le XIIIe, l’autre comprenant le XVIe siècle et les suivans, avec un intervalle de transition qui répond à peu près à l’intervalle politique. Donc le XIVe, comme il a été noté, n’occupe pas un rang très élevé dans les lettres. Pourtant, dans ce jugement, il importe de ne pas se méprendre. Ce n’est point une ère d’inertie où les facultés soient amorties et stérilement occupées ; il y a des espérances de force et de renouvellement, et si la foule de ceux qui écrivent ne laisse entrevoir que bien peu de renommées durables, l’esprit de la nation est actif, entreprenant, courageux, et travaille énergiquement pour l’avenir.

Qu’est-il donc réellement arrivé ? La source des grandes compositions d’un âge poétique s’étant épuisée et l’éclat littéraire amorti, la France cessa pour un instant d’être lue, imitée, traduite par l’Europe. C’est là qu’on voit nettement comment se tarit une veine. Les siècles féodaux vivent dans la poésie des trouvères, et certes il viendra un temps où tout homme cultivé voudra faire connaissance avec les barons, les fervestus, les chevaliers, les châtelains, et ne dédaignera pas cet âge intermédiaire, sans parler du charme particulier de ce français archaïque, qui est pourtant du français et qui nous plaît comme la voix lointaine de nos aïeux. Les siècles féodaux vivent, dis-je, dans la poésie des trouvères ; mais quand la féodalité commença à déchoir dans l’ordre politique et dans l’opinion, tout fut dit pour la poésie qu’elle avait inspirée. Un grand vide se fit. Les circonstances ne furent pas favorables : il ne parut pas d’hommes ; le temps emporta les peuples et leur histoire, et quand les hommes et les circonstances reparurent, le monde et l’art étaient changés.

L’idéal aurait été qu’il n’y eût point eu de vide ; mais, à vrai dire, il n’y en eut point. La place laissée par la France fut occupée aussitôt par l’Italie, qui jusqu’alors n’avait point donné marque de son génie. Trois noms surtout emplissent, à elle, son XIVe siècle, Dante, Pétrarque et Boccace. On trouverait dans Thibaut, dans quelques autres, des chants qui rivalisent avec ceux de Pétrarque pour le charme, le sentiment, l’ardeur et peut-être même le fini, et qui lui sont bien antérieurs. Boccace, qui a imité nos conteurs, est, du moins quant à l’originalité, leur inférieur ; mais Dante reste incomparable, c’est l’Homère du moyen âge.

Ainsi à l’âge primitif où règne la France succède l’Italie, qui, elle-même, va être suivie ou accompagnée des autres nations occidentales. C’est un développement sans solution de continuité, car il faut le considérer, non dans un pays particulier, mais dans cette sorte de pays collectif qui, ayant reçu directement ou indirectement l’héritage de Rome, était régi par une foi commune, une organisation commune, une civilisation commune. En ce pays collectif qu’on nomme aussi parfois l’Occident, l’histoire des lettres forme un tout que, dans l’ignorance des faits essentiels, on a jusqu’ici scindé ou du moins méconnu, avec un grand dommage. On suit mal une évolution isolée quand on ne sait pas que toutes ces évolutions sont solidaires. Cela a déjà été dit pour l’histoire des sciences, où la dépendance est frappante ; mais, dans les lettres, pour être plus cachée, elle n’en est pas moins réelle. À la base de la littérature occidentale est l’ensemble des grandes compositions françaises ; ayant été acceptées par l’Europe, elles formèrent partout un fond qui eut sa part dans le développement de chacune des littératures. Il n’est pas besoin que je rappelle comment dans la suite l’Italie, l’Espagne, l’Angleterre, l’Allemagne, la France, ont agi l’une sur l’autre ; je veux seulement faire apparaître devant l’esprit l’unité essentielle de ces belles littératures de l’Occident.

Si cela est vrai dans l’ordre littéraire, cela ne l’est pas moins dans l’ordre politique, et, s’il n’est pas possible dorénavant d’écrire une bonne histoire des lettres en un pays sans avoir présente à l’esprit cette unité, il n’est pas possible non plus dorénavant d’écrire une bonne histoire politique d’un pays sans avoir présente aussi à l’esprit l’unité morale et matérielle qui constitue la confédération européenne. Dès les premiers temps du moyen âge, l’intérêt de cette confédération prime l’intérêt de l’un des membres. Toute histoire qui n’est pas composée avec cette grande vue pèche essentiellement, car elle ne peut apprécier comment, à chaque période, une politique est bonne, grande, sage, ou mauvaise, basse, insensée. La substitution d’un point de vue général à un point de vue particulier, d’un intérêt général à un intérêt particulier, éclaircit tout et domine tout. Ainsi une même notion supérieure régit et l’histoire politique et l’histoire littéraire des nations occidentales, et ce n’est pas un des moindres fruits de l’étude du moyen âge que d’en trouver là l’origine et les premiers fondemens.


É. LITTRE.

  1. Histoire littéraire de la France, t. XXIV, par MM. Victor Le Clerc et Renan. Une seconde édition paraîtra bientôt en 2 vol. in-8o, chez Michel Lévy.
  2. « Allez à vos manoirs, armez-vous bien à cheval ; les cinq maravédis, liez-les étroit dans le pennon, et à la pointe de vos lances offrez ainsi le chevage. »
  3. Garlandia, c’est aujourd’hui la rue Galande.