Examen important de Milord Bolingbroke/Édition Garnier/Chapitre 6

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Examen important de Milord BolingbrokeGarniertome 26 (p. 210-211).
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CHAPITRE VI.
DE LA GENÈSE.

Tous les peuples dont les Juifs étaient entourés avaient une Genèse, une Théogonie, une Cosmogonie, longtemps avant que ces Juifs existassent. Ne voit-on pas évidemment que la Genèse des Juifs était prise des anciennes fables de leurs voisins ?

Jaho, l’ancien dieu des Phéniciens, débrouilla le chaos, le Khaütereb[1] ; il arrangea Muth, la matière ; il forma l’homme de son souffle, Calpi ; il lui fit habiter un jardin, Aden ou Éden ; il le défendit contre le grand serpent Ophionée, comme le dit l’ancien fragment de Phérécide. Que de conformité avec la Genèse juive ! N’est-il pas naturel que le petit peuple grossier ait, dans la suite des temps, emprunté les fables du grand peuple[2] inventeur des arts ?

C’était encore une opinion reçue dans l’Asie que Dieu avait formé le monde en six temps, appelés chez les Chaldéens, si antérieurs aux Juifs, les six gahamhârs.

C’était aussi une opinion des anciens Indiens. Les Juifs, qui écrivirent la Genèse, ne sont donc que des imitateurs ; ils mêlèrent leurs propres absurdités à ces fables, et il faut avouer qu’on ne peut s’empêcher de rire quand on voit un serpent parlant familièrement à Ève, Dieu parlant au serpent. Dieu se promenant chaque jour à midi dans le jardin d’Éden, Dieu faisant une culotte pour Adam et un pagne à sa femme Ève. Tout le reste paraît aussi insensé ; plusieurs Juifs eux-mêmes en rougirent ; ils traitèrent dans la suite ces imaginations de fables allégoriques. Comment pourrions-nous prendre au pied de la lettre ce que les Juifs ont regardé comme des contes ?

Ni l’histoire des Juges, ni celle des Rois, ni aucun prophète, ne cite un seul passage de la Genèse. Nul n’a parlé ni de la côte d’Adam, tirée de sa poitrine pour en pétrir une femme, ni de l’arbre de la science du bien et du mal, ni du serpent qui séduisit Ève, ni du péché originel, ni enfin d’aucune de ces imaginations. Encore une fois, est-ce à nous de les croire ?

Leurs rapsodies démontrent qu’ils ont pillé toutes leurs idées chez les Phéniciens, les Chaldéens, les Égyptiens, comme ils ont pillé leurs biens quand ils l’ont pu. Le nom même d’Israël, ils l’ont pris chez les Chaldéens, comme Philon l’avoue dans la première page du récit de sa députation auprès de Caligula[3] ; et nous serions assez imbéciles dans notre Occident pour penser que tout ce que ces barbares d’Orient avaient volé leur appartenait en propre !

  1. Voyez le § xiii de l’Introduction à l’Essai sur les Mœurs, tome XI, page 40.
  2. Voyez page 208.
  3. Voici les paroles de Philon : « Les Chaldéens donnent aux justes le nom d’Israël, voyant Dieu. » (Note de Voltaire, 1771.)