Explication suivie des quatre Évangiles/Chapitre 18

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Chapitre 17 Chaîne d’or sur l’évangile de saint Jean Chapitre 19


CHAPITRE XVIII



Versets 1-2.



S. AUG. (Traité 112 sur S. Jean.) Le discours que Nôtre-Seigneur avait adressé à ses disciples après la cène étant terminé, ainsi que la prière qu’il avait faite à son Père, l’évangéliste saint Jean commence ainsi le récit de sa passion : « Après ce discours, Jésus s’en alla avec ses disciples au-delà du torrent de Cédron. » Ce ne fut pas immédiatement après avoir achevé cette prière, mais après quelques autres faits intermédiaires que saint Jean passe sous silence, et qui sont rapportés par les autres évangélistes. — S. AUG. (De l’accord des Evang., 3, 3) Il s’éleva en effet parmi eux une contestation, lequel d’entre eux devait être estimé le plus grand, ainsi que le raconte saint Luc. Le Sauveur dit encore à Pierre, comme l’ajoute encore le même évangéliste : « Voilà que Satan vous a demandé pour vous cribler, comme le froment, » et les paroles qui suivent. (Lc 22, 31-38.) Et après avoir récité l’hymne de louange, suivant le récit de saint Matthieu et de saint Marc., ils s’en allèrent à la montagne des Oliviers. La liaison du récit de saint Matthieu se trouve donc ainsi établie avec celui de saint Jean : « Alors Jésus vint avec eux à une maison de campagne, qui est appelée Gethsémani, c’est le lieu dont parle ici saint Jean, et où il y avait un jardin dans lequel il entra avec ses disciples.




S. AUG. Ces paroles : « Après qu’il eût dit ces choses, » signifient donc simplement que le Sauveur n’est entré dans ce lieu qu’après avoir terminé son discours. — S. Chrysostome : (hom. 83 sur S. Jean.) Mais pourquoi l’Evangéliste ne dit-il pas : Après avoir terminé sa prière, il se rendit dans ce lieu ? Parce que celle prière était une instruction à l’adresse de ses disciples. C’est pendant la nuit qu’il sort, qu’il passe le torrent, et qu’il se hâte vers le lieu connu de son traître disciple ; épargnant ainsi la fatigue à ses ennemis, et montrant à ses disciples que sa mort est pleinement volontaire. — ALCUIN. L’Evangéliste dit : « Au delà du torrent de Cédron, » c’est-à-dire des cèdres, le mot Cédron étant comme le génitif grec du mot χέδρων. Il traverse le torrent, parce que dans le chemin (c’est-à-dire dans le passage de cette vie), il a bu de l’eau du torrent (de la passion). Il se rend dans un jardin, pour expier le péché qui avait été commis dans un jardin, car le paradis signifie jardin de délices.




S. Chrysostome : Ne croyez pas qu’en se rendant dans ce jardin, Jésus cherche à se dérober à ses ennemis, car, dit l’Evangéliste, « Judas qui le trahissait, connaissait aussi ce lieu, parce que Jésus y venait fréquemment avec ses disciples. » — S. AUG. C’est dans ce lien que le loup couvert de la peau de brebis, et supporté au milieu du troupeau par un conseil profond du père de famille apprit à dresser ses embûches au pasteur, et à disperser pour un moment le troupeau. — S. Chrysostome : Jésus avait souvent réuni ses disciples à l’écart pour avoir avec eux des entretiens nécessaires et particuliers que d’autres ne devaient pas entendre, qui ne devaient pas être entendus des antres. Il se rend de préférence pour cela sur les montagnes et dans les jardins, parce qu’il cherche un endroit calme et tranquille pour que l’esprit de ses disciples ne soit troublé par aucun sujet de distraction. Judas de son côté vient dans ce jardin, parce que Jésus-Christ y passait très-souvent la nuit ; il n’eût pas manqué d’aller chercher dans le Cénacle, s’il eût pensé que le Sauveur s’y livrait au sommeil. — THEOPHYL. Judas savait aussi qu’aux jours de fête, le Seigneur avait coutume d’adresser à ses disciples des instructions plus relevées, et qu’il choisissait en jardin pour ces entretiens mystérieux ; et comme c’était la grande solennité des Juifs, Judas pensa que Jésus se trouvait dans ce lien et qu’il y enseignait à ses disciples ce qui avait rapport à la célébration de la fête.




Versets 3-9.

LA GLOSE. Après nous avoir expliqué comment Judas put savoir le lieu où Jésus-Christ se trouvait, l’Evangéliste raconte comment il s’y rendit : « Judas ayant donc pris une cohorte, et des gens des pontifes et des pharisien, » etc. — S. AUG. (Traité 112 sur S. Jean.) Cette cohorte était composée non de Juifs, mais de soldats romains. Les ennemis de Jésus l’avaient demandée au gouverneur comme pour s’emparer juridiquement du coupable, au nom de l’autorité légitime, et afin que personne ne cherchât à le délivrer de leurs mains, quoiqu’il y eût d’ailleurs une foule si nombreuse, et si bien armée, qu’elle fut capable d’effrayer et au besoin de repousser celui qui oserait prendre la défense du Sauveur. — S. Chrysostome : (hom. 83 sur S. Jean.) Mais comment purent-ils entraîner celle cohorte dans leurs desseins ? Parce qu’ils avaient affaire à des soldats prêts à tout faire pour de l’argent. — THEOPHYL. Ils portent avec eux des torches et des lanternes afin que Jésus-Christ ne pût leur échapper à la faveur des ténèbres.




S. Chrysostome : Bien souvent ils avaient envoyé des gens pour se saisir de Jésus, sans qu’ils aient pu s’emparer de sa personne, preuve évidente qu’il se livrait volontairement entre leurs mains. Aussi l’Evangéliste ajoute : Mais Jésus sachant tout ce qui devait lui arriver, s’avança et leur demanda : « Qui cherchez-vous ? » etc. — THEOPHYL. Il leur fait cette question, non pour connaître leurs desseins, puisqu’il savait parfaitement ce qui devait lui arriver, mais pour leur montrer que tout présent qu’il était à leurs yeux, ils ne pouvaient ni le voir ni le distinguer : « Ils lui répondirent : Jésus de Nazareth, Jésus leur dit ; c’est moi. » — S. Chrysostome : Il est au milieu d’eux, et il frappe leurs yeux de cécité, et l’Evangéliste nous fait bien voir que ce ne sont pas les ténèbres de la nuit qui les empêchèrent de reconnaître Jésus on prenant soin de nous dire qu’ils avaient avec eux des torches et des lanternes. Au défaut même de lumières, ils auraient dû le reconnaître à sa voix, et si cette troupe ne connaissait pas Jésus, comment Judas qui avait continuellement été avec lui pouvait-il ne pas le reconnaître ? Aussi l’Evangéliste fait-il remarquer que Judas qui le trahissait, était aussi avec eux. Or, Jésus voulait opérer ce prodige pour leur montrer que sans sa permission, non-seulement ils ne pouvaient pas se saisir de sa personne, mais qu’ils ne pouvaient infime le voir quoiqu’il fût présent au milieu d’eux. Lors donc qu’il leur eut dit : C’est moi, ils furent renversés et tombèrent par terre. — S. AUG. Où est maintenant cette cohorte de soldats ? où est ce déploiement terrible d’armes menaçantes ? Une seule parole, sans qu’il fût besoin d’aucune autre arme, a suffi pour frapper, pour repousser, pour jeter à terre cette troupe nombreuse dont la haine était si ardente et l’appareil armé si effrayant. C’est que Dieu était caché dans ce corps mortel, et le jour éternel était tellement voilé par la nature humaine, que les ténèbres qui voulaient le mettre à mort étaient obligées de le chercher avec des torches et des lanternes. Que fera-t-il donc au jour où il viendra juger le monde, lui qui opère de si grands prodiges au moment où il va lui-même être jugé. Maintenant Jésus-Christ, par son Evangile, fait retentir en tous lieux cette parole : « C’est moi, » et cependant les Juifs attendent l’Antéchrist, et se retournent ainsi en arrière pour tomber à la renverse, parce qu’ils sacrifient les biens du ciel aux désirs des choses de la terre.




S. GREG. (hom. 9 sur Ezéch.) Mais pourquoi les élus tombent-ils la face contre terre, tandis que les réprouvés tombent à la renverse ? C’est que tout homme qui tombe à la renverse, tombe en aveugle, tandis que celui qui tombe le visage contre terre, voit l’endroit où il tombe ? Comme les méchants tombent dans un milieu qui est pour eux invisible, on dit qu’ils tombent en arrière, parce qu’ils ne peuvent voir ce qui les suit dans ce milieu où ils sont tombés. Les justes au contraire qui s’humilient d’eux-mêmes au milieu de ces choses visibles pour mériter de s’élever jusqu’aux invisibles, tombent la face contre terre, parce que pénétrés de componction et. de crainte, ils voient leur propre humiliation.




S. Chrysostome : Le Sauveur ne veut pas cependant qu’on puisse penser que c’est lui qui a comme amené les Juifs à le mettre à mort, en se livrant de lui-même à ses ennemis, et il fait tout ce qui était nécessaire pour les détourner de leur criminel dessein. Mais comme ils persévèrent opiniâtrement et qu’ils sont tout à fait sans excuse, il se remet lui-même entre leurs mains : « Il leur demanda encore une fois : Qui cherchez-vous ? Ils lui dirent : Jésus de Nazareth. »




S. AUG. Ils avaient déjà entendu cette réponse : « C’est moi, » et ils ne s’étaient pas emparé de la personne du Sauveur, parce que telle était la volonté de celui qui peut tout ce qu’il veut. Cependant s’il ne leur avait jamais permis de se saisir de lui, cette troupe n’aurait pas rempli la mission qui lui avait été donnée, et lui-même n’aurait pas accompli le dessein qui l’avait fait descendre sur la terre. Maintenant qu’il a donné des preuves suffisantes de sa puissance à ceux qui voulaient s’emparer de lui, mais inutilement, qu’ils se saisissent de sa personne ils ne feront, sans le savoir, qu’obéir à l’ordre de sa volonté : « Si donc c’est moi que vous cherchez, leur dit-il, laissez aller ceux-ci. » — S. Chrysostome : C’est-à-dire, si c’est moi que vous cherchez, vous n’avez rien à démêler avec eux ; je me livre moi-même entre vos mains, et c’est ainsi que jusqu’à la dernière heure, il donne à ses disciples des témoignages persévérants de son amour pour eux. — S. AUG. Il commande à ses ennemis, et ses ennemis exécutent ses ordres, et ils laissent aller en liberté ceux qu’il leur défend de faire périr. — S. Chrysostome : Aussi l’Evangéliste voulant nous montrer que ce n’était point là un acte de leur volonté, mais un effet de la puissance de celui qu’ils venaient d’arrêter, ajoute : « Afin que fût accomplie la parole qu’il avait dite : Je n’ai perdu aucun de ceux que vous m’avez donnés. » Notre-Seigneur n’avait pas eu en vue dans ces paroles la mort du corps, mais la mort éternelle ; l’Evangéliste les applique à la mort même corporelle. — S. AUG. Est-ce que les Apôtres devaient être pour toujours à l’abri de la mort ? Pourquoi donc les perdrait-il, s’ils mouraient alors ? C’est qu’ils ne croyaient pas encore, en lui comme il faut croire pour ne point périr.




Versets 10-11.



S. curys. (hom. 83 sur S. Jean.) Pierre, plein de confiance dans ce que le Sauveur venait de dire, et dans le prodige qu’il avait opéré, se met en défense contre ceux qui étaient venus pour se saisir de Jésus : « Alors Simon-Pierre qui avait une épée, la tira, » etc. Mais comment celui à qui Jésus avait commande de n’avoir ni bourse ni deux vêtements, peut-il avoir un glaive ? Je crois qu’il s’était depuis longtemps muni de ce glaive dans la prévision des dangers qu’il redoutait. — THEOPHYL. Ou bien ce glaive était celui qui avait servi pour découper l’agneau, et que Pierre avait conservé après la cène. — S. Chrysostome : Mais comment encore celui à qui le Sauveur avait défendu de donner un soufflet, se rend-il homicide ? Jésus lui avait défendu toute vengeance personnelle, mais ici ce n’est point lui, mais son maître qu’il cherche à venger, d’ailleurs les Apôtres n’étaient pas encore parfaits, mais nous verrons plus tard Pierre se laisser frapper sans faire aucune résistance. Ce n’est pas sans raison que l’Evangéliste remarque qu’il coupa l’oreille droite de ce serviteur ; il fait ainsi ressortir l’impétuosité de l’Apôtre, qui s’attaque tout d’abord à la tête de cet homme.




S. AUG. (Traité 112 sur S. Jean.) L’évangéliste saint Jean est le seul qui nous ait conservé le nom de cet homme : « Et cet homme s’appelait Malchus ; » comme saint Luc est le seul qui rapporte que le Seigneur toucha son oreille et la guérit. — S. Chrysostome : Jésus fait ici un second miracle, et il nous apprend ainsi à faire du bien à ceux qui nous font du mal, en même temps qu’il donne un nouveau témoignage de sa puissance. L’Evangéliste donne le nom de cet homme, pour permettre à ceux qui liraient son récit, de vérifier si ce fait était vrai. Il ajoute qu’il était le serviteur du grand-prêtre, pour faire ressortir l’excessive bonté du Sauveur, qui guérit cet homme, et un homme qui venait se saisir de lui, et qui devait bientôt lui donner un soufflet. — S. AUG. Malchus veut dire qui doit régner ; que signifie donc l’oreille coupée pour la défense du Seigneur, et que le Seigneur guérit lui-même ? Elle est la figure du sens de l’ouïe qui est renouvelé après que tout ce qui appartenait au vieil homme a été retranché, afin qu’il serve Dieu dans la nouveauté de l’esprit et non dans la vieillesse de la lettre. (Rm 7, 6.) Or, qui peut douter que celui qui a reçu cette grâce de Jésus-Christ, doive un jour régner avec Jésus-Christ ? C’est un serviteur qui est l’objet de ce miracle, et il est la figure de l’ancienne loi qui n’engendrait que des esclaves, mais lorsqu’il a été guéri, il devient la figure de la liberté spirituelle. (Ga 4, 24-26.) — THEOPHYL. L’oreille droite coupée au serviteur du prince des prêtres, est le symbole de la surdité des Juifs, surdité qui régnait surtout dans les princes des prêtres, et la guérison de cette oreille, signifie que l’intelligence sera rendue aux Juifs dans les derniers temps, lors de l’avènement d’Elie.




S. AUG. Le Sauveur désapprouva l’action de son disciple, et lui détendit d’aller plus loin : « Jésus dit à Pierre : Remets ton épée dans le fourreau. » Il voulait ainsi lui enseigner la patience, et en même temps que ce fait fût écrit pour notre instruction. — S. Chrysostome : Ce n’est point seulement en le menaçant que Jésus réprime le zèle de Pierre (comme saint Matthieu le rapporte) ; mais il lui donne un autre motif plus propre à le consoler : « Ne boirai-je donc point le calice que mon Père m’a donné ? » Nouvelle preuve que ce qui arrivait ne devait pas être attribué à la puissance de ses ennemis, mais à sa permission, et que loin d’être opposé à son Père, il lui obéissait jusqu’à la mort. — THEOPHYL. Il se sert de la comparaison du calice pour montrer combien la mort qu’il allait souffrir pour le salut des hommes, lui souriait comme l’objet de ses plus vifs désirs. — S. AUG. Il déclare que son Père lui a donné à boire le calice de sa passion dans le sens de ces paroles de l’Apôtre : « Il n’a pas épargné son propre Fils, » (Rm 8) mais il l’a livré pour nous tous, cependant celui qui doit boire ce calice en est lui-même l’auteur, suivant ces paroles du même Apôtre : « Jésus-Christ nous a aimés, et s’est livré lui-même peur nous. » (Ep 5)




Versets 12-14.



THEOPHYL. Après avoir épuisé tous les moyens propres à détourner les Juifs de tout criminel dessein, sans avoir pu y parvenir, Notre-Seigneur leur permit de s’emparer de lui et de l’emmener : « Alors la cohorte, le tribun et les satellites des Juifs se saisirent de Jésus, » etc. — S. AUG. Ils se saisirent de celui dont ils ne s’étaient point approchés, et ils ne comprirent pas cette invitation du prophète : « Approchez-vous de lui, et vous serez éclaires. » (Ps 33) S’ils s’étaient approchés de lui dans ces dispositions, ils se seraient emparé de lui, non pour le mettre à mort, mais pour le recevoir dans leurs cœurs. En s’emparant de la sorte de sa personne sacrée, ils s’éloignent, beaucoup plus encore de lui, et ils enchaînèrent celui à qui ils auraient bien plutôt demandé de briser leurs propres chaînes ; et peut-être s’en trouvait-il parmi eux qui lui dirent plus tard, comme à leur libérateur : « Vous avez rompu mes liens. » (Ps 115, 6) Après que les ennemis du Sauveur se furent rendus maîtres de sa personne par la trahison de Judas, l’Evangéliste, pour montrer que ce traître n’avait pas agi dans un but louable et utile, mais dans une intention criminelle et condamnable, ajoute : « Et ils l’emmenèrent d’abord chez Anne, » etc. — S. Chrysostome : Ils triomphent de joie du haut fait qu’ils viennent d’accomplir, et promènent Jésus comme un trophée de leur victoire. — S. AUG. (Traité 113 sur S. Jean.) L’Evangéliste donne la raison de cette manière d’agir : « Parce qu’il était beau-père de Caïphe, qui était grand-prêtre cette année-là. » Saint Matthieu, qui voulait abréger son récit, se contente de dire qu’ils amenèrent Jésus chez Caïphe, car il ne fut conduit chez Anne d’abord, que parce qu’il était le beau-père de Caïphe, et nous pouvons conclure de là que c’est Caïphe qui voulut qu’il en fût ainsi. — Bède : Il voulait, ce semble, faire condamner Jésus par un de ses collègues, pontife comme lui, afin de diminuer le crime dont il allait se rendre coupable. Peut-être aussi la maison d’Anne était située de manière à ce qu’on ne pût passer devant sans entrer, ou bien encore, cela se fit par suite d’un conseil tout divin qui voulait associer dans un même crime ceux qui l’étaient déjà par les liens du sang. Ce que dit ici l’Evangéliste, que Caïphe était grand-prêtre cette année-là, paraît contraire à la loi d’après laquelle il ne devait y avoir qu’un seul grand-prêtre, qui, après sa mort, avait son fils pour successeur, mais il faut se rappeler que le souverain pontificat était alors déshonoré par l’ambition des prétendants. — ALCUIN. En effet, Josèphe rapporte que Caïphe avait racheté cette année de pontificat. Il n’y a donc rien d’étonnant qu’un grandprêtre inique ait été l’auteur d’un jugement inique, car souvent celui qui parvient au sacerdoce par avarice, le conserve par des moyens injustes.




S. Chrysostome : Mais de peur que l’idée de chaînes et de liens ne jetât le trouble dans notre esprit, l’Evangéliste rappelle une prophétie d’après laquelle la mort de Jésus devint le salut du monde : « Or, Caïphe était celui qui avait donné ce conseil aux Juifs : Il est avantageux qu’un seul homme meure pour tout le peuple. » La force de la vérité est si grande, que ses ennemis eux-mêmes sont obligés de lui rendre hommage.




Versets 15-18.



S. AUG. (de l’acc. des Evang., 3. 6) Tous les évangélistes ne racontent pas dans le même ordre le renoncement de Pierre, qui vint s’ajouter aux outrages auxquels le Sauveur fut en butte pendant cette nuit. Saint Matthieu et saint Marc, ne le placent qu’après le récit de ces outrages, saint Luc raconte, tout d’abord le triple renoncement de cet Apôtre. Saint Jean commence le récit de la chute de Pierre, à ces paroles : « Cependant Simon Pierre suivait Jésus, ainsi qu’un autre disciple avec lui. » — ALCUIN. Il suivait son Maître par amour, quoique la crainte ne le lui faisait suivre que de loin. — S. AUG. Il serait peut-être téméraire d’affirmer quel est ce disciple, puisque l’Evangéliste ne nous dit point son nom, cependant, c’est sous cette dénomination générale que saint Jean a coutume de se désigner, en ajoutant : « Celui qu’aimait Jésus. » Peut-être donc est-ce lui-même dont il est ici question. — S. Chrysostome : Il cache ici son nom par un sentiment d’humilité. L’action qu’il raconte est des plus glorieuses, puisqu’il est le seul qui suive Jésus, et que tous les autres ont pris la fuite. Cependant il donne à Pierre la première place dans son récit, et il semble céder à la nécessité en parlant de lui-même. Il vous apprend en même temps toute la valeur de son récit sur les faits qui se sont passés dans la cour du grand-prêtre, et dont il a été le témoin oculaire. Mais il se dérobe aux éloges qu’il méritait en ajoutant : « Or, ce disciple était connu du grand-prêtre. » Il ne cherche donc point à se prévaloir comme d’un acte héroïque d’avoir suivi Jésus seul jusque chez le grand-prêtre, et il en donne la raison pour ne pas laisser supposer qu’il a fait preuve en cela de courage et d’élévation de caractère. Quant à Pierre, l’amour le conduisit jusque-là, mais la crainte le retint à la porte : « Mais Pierre se tenait dehors à la porte. » — ALCUIN. Celui qui devait renier le Seigneur, se tenait dehors, et il n’était pas en Jésus-Christ, parce qu’il n’osait pas reconnaître et confesser hautement Jésus-Christ.




S. Chrysostome : L’Evangéliste nous fait voir que Pierre lui-même serait entré dans l’intérieur de la maison si on le lui eût permis : « L’autre disciple, qui était connu du grand-prêtre, sortit donc et parla à la portière, et elle fit entrer Pierre. » Il ne le fit pas entrer lui-même, parce qu’il suivait Jésus-Christ et se tenait près de lui. « Cette servante qui gardait la porte dit à Pierre : « Etes-vous aussi des disciples de cet homme ? Il lui répondit : Je n’en suis point. » Que dites-vous là, ô Pierre ? n’est-ce pas vous qui avez dit, il y a peu d’instants : « Et s’il le faut, je donnerai ma vie pour vous ? » Qu’est-il donc arrivé, que vous ne puissiez même pas supporter la question d’une simple servante ? Ce n’est point un soldat qui vous interroge, c’est une pauvre portière. Et encore ne lui dit-elle pas : Etes-vous le disciple de ce séducteur ? mais : « Etes-vous le disciple de cet homme ? » question qui paraissait dictée par un sentiment de compassion. Elle lui dit : « Etes-vous aussi ? » parce que Jean était dans l’intérieur de la cour.




S. AUG. Mais qu’y a-t-il d’étonnant que Dieu ait prédit la vérité, et que l’homme se soit trompé en présumant trop de lui-même ? Or, nous devons remarquer, dans cette première négation de Pierre, qu’on renonce Jésus-Christ non-seulement quand on nie qu’il soit le Christ, mais quand on nie que l’on est chrétien. En effet, Nôtre-Seigneur n’avait pas dit à Pierre : Vous nierez que vous êtes mon disciple, mais : « Vous me renierez moi-même ; » Pierre a donc renié Jésus-Christ, en niant qu’il fût son disciple. Et que fit-il autre chose on cela que de nier qu’il fût chrétien ? Combien d’enfants et déjeunes filles on a vu, par la suite, mépriser la mort pour confesser hautement le nom de Jésus-Christ, et entrer dans le royaume des cieux en lui faisant violence, ce que ne put faire, alors celui qui avait reçu les clefs du royaume des cieux ! Voilà pourquoi Nôtre-Seigneur avait dit : « Laissez ceux-ci s’en aller, car je n’ai perdu aucun de ceux que vous m’avez donnés. » Et si Pierre s’en était allé après avoir renié Jésus-Christ, sa perte était infaillible.




S. Chrysostome : (Serm. sur Pierre et Elie.) C’est donc par un secret dessein que la Providence permit que Pierre tombât le premier, pour que la vue de sa propre chute lui inspirât plus de douceur pour les pécheurs. En effet, Dieu permit que Pierre, qui était le maître et le docteur de l’univers, succombât et obtînt son pardon, pour donner aux juges des consciences la loi et la règle de miséricorde qu’ils devraient suivre à l’égard des pécheurs. C’est pour cela, je pense, que Dieu n’a point confié aux anges la dignité du sacerdoce, parce qu’étant impeccables ils auraient poursuivi sans miséricorde le péché dans ceux qui le commettent. C’est un homme, sujet à toutes les passions, que Dieu établit au-dessus des autres hommes, afin que le souvenir de ses propres faiblesses lui inspire plus de douceur et de bonté pour ses frères.




THEOPHYL. Il en est qui cherchent, mais vainement, à justifier Pierre, en disant qu’il a renoncé à Jésus-Christ parce qu’il voulait toujours être avec lui, et marcher constamment à sa suite. Il savait, disent-ils, que s’il se donnait pour un des disciples de Jésus, il en serait aussitôt séparé, et qu’il ne lui serait plus permis ni de le suivre ni de le voir ; il feint donc d’être du nombre des archers du grand-prêtre, de peur que la tristesse de son visage ne le fit reconnaître et chasser dehors : « Or, les serviteurs et les satellites étaient rangés autour d’un brasier, parce qu’il faisait froid, et se chauffaient ; et Pierre aussi filait debout parmi eux, et se chauffait. » — S. AUG. On n’était point en hiver, et cependant il faisait froid, comme il arrive d’ordinaire à l’équinoxe du printemps. — S. GREG. (Moral., 2, 2.) Déjà Pierre avait laissé refroidir dans son âme le feu de la charité, et il réchauffait la fièvre de sa faiblesse à l’amour de la vie présente, comme au feu des persécuteurs.




Versets 19-21.



S. Chrysostome : (hom. 83 sur S. Jean.) Comme les ennemis de Jésus ne pouvaient produire aucun chef d’accusation contre lui, ils l’interrogent sur ses disciples : « Le grand-prêtre interrogea donc Jésus touchant ses disciples. » Il lui demanda sans doute où ils étaient, dans quel but il les avait réunis ; et son dessein, en cela, était de l’accuser comme séditieux ou comme autour de nouveautés, et n’ayant personne pour s’attacher à lui, à l’exception de ses seuls disciples. — THEOPHYL. Il l’interroge encore « sur sa doctrine, » c’est-à-dire en quoi elle consistait, si elle était différente de la loi et opposée à la doctrine de Moïse, afin de trouver l’occasion de le perdre, comme l’antagoniste de Dieu — ALCUIN. Ce n’est point, en effet, par le désir de connaître la vérité qu’il interroge le Sauveur, mais afin d’avoir un motif de l’accuser et de le livrer au gouverneur romain pour le faire condamner ; mais le Seigneur pesa tellement les termes de sa réponse, que, sans taire la vérité, il ne parut pas vouloir se défendre : « Jésus lui répondit, : J’ai parlé publiquement au monde, j’ai toujours enseigné dans la synagogue et dans le temple, où tous les Juifs s’assemblent, » etc.




S. AUG. (Traité 113 sur S. Jean. ) Ici se présente une question qu’il ne faut point passer sous silence. Notre-Seigneur ne parlait pas ouvertement à ses disciples, mais leur promettait que viendrait un jour où il leur parlerait sans aucun voile ; comment donc peut-il dire qu’il a parlé publiquement au monde ? D’ailleurs il parlait beaucoup plus clairement à ses disciples quand il s’éloignait avec eux de la foule, car c’est alors qu’il leur expliquait les paraboles qu’il proposait au peuple, sans lui en découvrir le sens. « J’ai parlé publiquement au monde, » ne signifie donc autre chose que : Beaucoup m’ont entendu. On peut dire encore qu’il ne leur parlait pas ouvertement, parce qu’ils ne le comprenaient pas. D’un autre côté, s’il enseignait ses disciples en particulier, ce n’était cependant pas en secret, car on ne parle pas en secret, lorsqu’on enseigne devant tant de témoins, surtout si l’intention de celui qui parle devant peu de personnes, soit qu’elles fassent connaître, à un plus grand nombre ce qu’il leur a enseigné. — THEOPHYL. Notre-Seigneur se rappelle ici ces paroles du Prophète : « Je n’ai point parlé en secret, ni dans quelque coin obscur de la terre. » (Is 45, 19)




S. Chrysostome : Ou bien : Il a parlé dans le secret, il est vrai, mais non pas comme ils le pensaient, par crainte, et comme un homme qui cherche à exciter des troubles, mais parce que les vérités qu’il enseignait dépassaient l’intelligence d’un grand nombre. Or, pour rendre son témoignage encore plus digne de foi, il ajoute : « Pourquoi m’interrogez-vous ? Interrogez ceux qui ont entendu ce que je leur ai dit, ils savent ce que je leur ai enseigné. » C’est-à-dire, pourquoi me questionner sur mes disciples ? Interrogez mes ennemis, qui m’ont constamment tendu des embûches. Voilà le langage d’un homme plein de confiance dans la vérité de son enseignement, car une démonstration péremptoire (ou une preuve invincible) de la vérité, c’est d’invoquer en sa faveur le témoignage de ses ennemis. — S. AUG. Les choses qu’ils avaient entendues sans les comprendre, ne pouvaient offrir aucun juste sujet d’accusation ; et, toutes les fois qu’ils étaient venus le questionner pour le tenter et trouver matière à l’accuser, il leur avait répondu de manière à déjouer toutes leurs ruses, et à frapper d’impuissance toutes leurs calomnies.




Versets 22-24.



THEOPHYL. Après que Jésus eut ainsi invoqué le témoignage des assistants, un serviteur du grand-prêtre voulant se mettre à couvert du soupçon qu’il était un des admirateurs de Jésus, le frappa au visage : « Après qu’il eut dit cela, un des satellites, là présent, donna un soufflet à Jésus, disant : Est-ce ainsi que tu réponds au grand-prêtre ? » — S. AUG. (de l’accord des Evang., 1, 6.) Nous avons ici une preuve qu’Anne était grand-prêtre, car Jésus n’avait pas encore été envoyé à Caïphe, lorsque cet homme lui fit cette observation, et saint Luc lui-même rapporte au commencement de son Evangile, qu’Anne et Caïphe étaient tous deux grands-prêtres. — ALCUIN. Ici s’accomplit cette prophétie : « J’ai abandonné mes joues il ceux qui me frappaient. » (Is 1, 6) Or, Jésus frappé injustement, répond avec douceur : « Si j’ai mal parlé, montrez ce que j’ai dit de mal ; mais si j’ai bien parlé, pourquoi me frappez-vous ? »




THEOPHYL. C’est-à-dire, si vous trouvez quelque chose à reprendre dans ce que je viens de dire, prouvez que j’ai mal parlé ; si vous ne le pouvez pas, pourquoi cet acte de cruauté ? Ou bien encore, si l’enseignement que j’ai donné dans les synagogues est blâmable, faites-le connaître au prince des prêtres ; si au contraire cet enseignement est irrépréhensible à ce point que vous en étiez dans l’admiration, pourquoi me frappez-vous maintenant, puisque vous ne pouviez vous empêcher d’admirer auparavant ?




S. AUG. (Traité 113 sur S. Jeun.) Quoi de plus vrai, de plus doux, de plus juste que cette réponse ? Si nous considérons attentivement celui qui a reçu ce soufflet, qui de nous ne voudrait voir celui qui l’a frappé, ou consumé par le feu du ciel, ou englouti par la terre entr’ouverte, ou la proie d’un démon furieux, ou victime d’un châtiment semblable et plus effrayant encore ? Quoi de plus facile à celui qui a créé le monde que de mettre sa puissance au service de sa justice, s’il n’avait mieux aimé nous enseigner la patience par laquelle nous triomphons du monde. On nous demandera peut-être : Pourquoi le Sauveur n’a-t-il pas fait ce qu’il a commandé lui-même aux autres ? Ne devait-il pas souffrir cet affront en silence et tendre l’autre joue, à celui qui le frappait ? Nous dirons que Nôtre-Seigneur est allé plus loin, en répondant avec douceur et en ne tendant pas seulement l’autre joue à relui qui le frappait, mais en abandonnant son corps tout entier pour être cloué sur la croix. Il nous apprend ainsi que nous devons accomplir les préceptes de patience qu’il nous a donnés, moins par des actes extérieurs où l’ostentation peut avoir part, que par les sentiments du cœur. Il peut arriver, en effet, qu’un homme présente l’autre joue avec la colère dans le cœur. Nôtre-Seigneur a donc beaucoup mieux agi en répondant la vérité sans la moindre aigreur, et on se montrant paisiblement disposé à supporter patiemment des outrages plus sanglants encore.




S. Chrysostome : (hom. 83 sur S. Jean.) Quelle était la conduite naturelle à tenir ? C’était, ou de prouver que Jésus avait tort, ou de se rendre à son observation. Mais ce n’est pas ce qu’ils font, car tout ce qui se passait n’avait aucune apparence de l’égalité, mais tout était l’œuvre du désordre et de la violence. Ne sachant plus que faire, ils envoient Jésus chargé de chaînes à Caïphe : « Et Anne l’envoya lié à Caïphe le grand-prêtre. » — THEOPHYL. Ils s’imaginèrent qu’étant plus rusé que son beau-père, il pourrait trouver contre Jésus un chef d’accusation qui mériterait la mort. — S. AUG. D’après saint Matthieu, c’était chez Caïphe qu’on le conduisit dès le commencement, parce qu’il était grand-prêtre de cette année. En effet, Anne et Caïphe remplissaient alternativement chaque année la charge de grand-prêtre, et il est probable que c’est sur la volonté de Caïphe, que Jésus fut d’abord conduit chez Anne, ou que leurs maisons étaient situées de manière qu’on ne pouvait passer devant la maison d’Anne sans y entrer. — Bède : De ce que l’Evangéliste dit qu’il l’envoya lié, il ne faut pas conclure qu’il le fût seulement alors pour la première fois. Jésus fut enchaîné lorsqu’on se saisit de lui. Anne l’envoya donc, chargé de chaînes à Caïphe, comme on le lui avait amené. Il put se faire aussi qu’on le débarrassât un instant de ses liens pendant qu’on l’interrogeait, et qu’après cet interrogatoire, on l’enchaîna de nouveau pour l’envoyer ainsi à Caïphe.




Versets 25-27.



S. AUG. (Tr. 113 sur S. Jean.) Après avoir rapporté comment Anne envoya Jésus enchaîné à Caïphe, l’Evangéliste revient à l’endroit du son récit où il avait laissé Pierre pour raconter le triple reniement de ce disciple dans la maison d’Anne : « Cependant Simon Pierre était là, debout, et se chauffant. » Il rappelle donc ici ce qu’il avait dit plus haut. — S. Chrysostome : (hom. 83 sur S. Jean.) Dans quel engourdissement était plongé cet Apôtre si plein d’ardeur, lorsqu’on voulait s’emparer de Jésus ! Le voilà devenu comme insensible, et Dieu le permet, pour vous apprendre combien est grande la faiblesse de l’homme lorsqu’il l’abandonne à lui-même. On le questionne de nouveau, et il nie pour la seconde fois : « Ils lui dirent donc : Et vous, n’êtes-vous pas aussi de ses disciples ? »




S. AUG. (de l’accord des Evang., 3, 6.) Nous voyons ici que ce n’est point devant la porte, mais lorsqu’il se chauffait devant le brasier, que Pierre renia Jésus pour la seconde fois, ce qui n’aurait pu avoir lieu, s’il ne fût rentré après être sorti dehors, comme le raconte saint Matthieu. Ce n’est pas, en effet, lorsqu’il fût sorti dehors, que cette autre servante le vit, mais au moment même où il sortait, et c’est alors qu’elle le remarqua et qu’elle dit à ceux qui étaient là, c’est-àdire, à ceux qui se chauffaient avec, lui dans l’intérieur de la cour : « Celui-ci était aussi avec Jésus de Nazareth. » Pierre qui était déjà sorti, ayant entendu ces paroles, rentra, et à toutes les affirmations de ceux qui étaient présents, répondit avec serment : « Je ne connais point cet homme. » L’évangéliste saint Jean raconte ainsi le second reniement de saint Pierre : « Ils lui dirent donc : Et vous, n’êtes-vous pas aussi de ses disciples ? » C’est-à-dire, lorsqu’il rentrait, ce qui nous confirme dans la pensée que ce ne fut pas seulement cette autre servante dont parlent saint Matthieu et saint Marc, mais une autre encore dont parle saint Luc, qui firent à Pierre la question qui détermina le second reniement de cet Apôtre ; c’est pour cela que saint Jean emploie ici le pluriel : « Ils lui dirent donc. » Le même Evangéliste poursuivant son récit, raconte ainsi le troisième renoncement : « Un des serviteurs du grand-prêtre lui dit, » etc. Saint Matthieu et saint Marc se servent du pluriel pour désigner ceux qui firent à Pierre cette nouvelle question ; saint Luc ne parle que d’un seul, ainsi que saint Jean, qui ajoute cette circonstance, qu’il était parent de celui à qui Pierre coupa l’oreille. Cette divergence s’explique facilement si l’on considère que saint Matthieu et saint Marc oui l’habitude de mettre le pluriel pour le singulier, ou qu’un de ceux qui étaient présents, affirmait avec plus de force, comme ayant vu Pierre dans le jardin, tandis que les autres ne pressaient Pierre que sur l’attestation de celui qui l’avait vu.




S. Chrysostome : Mais le jardin ne lui rappelle le souvenir, ni des promesses qu’il y a faites, ni de cet amour si ardent dont il avait protesté à plusieurs reprises : « Pierre le nia de nouveau et aussitôt le coq chanta. » — S. AUG. (Traité 113.) Voici la prédiction du médecin qui est accomplie, et le malade convaincu de présomption, car ce que nous voyons se réaliser, ce n’est pas la promesse de Pierre : « Je donnerai ma vie pour vous, » mais la prédiction de Jésus : « Vous me renierez trois fois. » — S. Chrysostome : Les évangélistes s’accordent tous pour raconter le triple reniement de saint Pierre, non pour accuser ce disciple, mais pour nous apprendre quel mal c’est de ne pas tout remettre entre les mains de Dieu, et de placer sa confiance en soi-même. Bède : Dans le sens allégorique, le premier reniement de Pierre figure ceux qui, avant la passion du Sauveur, ont nié qu’il fût Dieu ; le second représente ceux qui, après sa résurrection, ont nié à la fois sa divinité et son humanité. De même le premier chant du coq figure la résurrection du chef ; le second, la résurrection de tout le corps qui aura lieu à la fin du monde. La première servante, qui fut l’occasion du premier renoncement de Pierre, représente la cupidité ; la seconde, le plaisir des sens ; le serviteur, ou les serviteurs du grand-prêtre, les démons qui nous portent à renoncer Jésus-Christ.




Versets 28-32.



S. AUG. (Traité 114 sur S. Jean.) L’Evangéliste revient à l’endroit de son récit qu’il avait interrompu pour raconter le reniement de Pierre : « Ils amenèrent donc Jésus de chez Caïphe dans le prétoire. » Déjà nous avions vu Jésus envoyé chez Caïphe par Anne, son collègue et son beau-père. Mais puisqu’il est envoyé chez Caïphe, pourquoi l’amener dans le prétoire ? Saint Jean vent simplement dire qu’on l’amena dans la maison qu’habitait le gouverneur romain Pilate. — Bède : Le prétoire est ainsi appelé, parce qu’il est la demeure et le siège du préteur ; or, les préteurs sont des préfets ou des commandants à qui on donne ce nom, parce qu’ils sont chargés d’intimer aux citoyens les ordres du souverain. — S. AUG. Ou bien donc Caïphe, pour une cause urgente, quitta la maison d’Anne, ou tous deux s’étaient réunis pour entendre les dépositions contre Jésus, et se dirigea vers le prétoire, en laissant à son beau-père l’interrogatoire de Jésus, ou bien Pilate avait établi le prétoire dans la maison même de Caïphe, parce que cette maison était assez grande pour loger à la fois et séparément Caïphe et le gouverneur romain. — S. AUG. (de l’accord des Evang.) C’est à Caïphe, que Jésus était amené tout d’abord, et il n’y arriva cependant qu’en dernier lieu ; on l’amenait comme un coupable déjà convaincu, Caïphe, d’ailleurs avait déjà résolu sa mort, il le livre donc sans aucun délai à Pilate pour qu’il le fit exécuter.




« Or, c’était le matin. » — S. Chrysostome : (hom. 82 sur S. Jean.) Jésus fut conduit chez Caïphe avant le chant du coq, et le matin chez Pilate. L’Evangéliste nous donne ici une preuve que l’interrogatoire que Caïphe fît subir à Jésus pendant toute la nuit, ne put fournir contre lui aucun sujet d’accusation, et c’est pour cela qu’il le renvoie à Pilate. Mais saint Jean laisse aux autres évangélistes le soin de nous raconter ces détails, et en vient immédiatement à ce qui suivit les événements de la nuit : « Et eux n’entrèrent point dans le prétoire. » — S. AUG. C’est-à-dire, dans la partie de la maison occupée par Pilate, en supposant que ce fût la maison de Caïphe. Or, pour quel motif ne voulurent-ils point y entrer ? Afin de ne point se souiller et de pouvoir manger la Pâque. — S. Chrysostome : C’était le jour, en effet, où les Juifs célébraient la Pâque, que Jésus avait célébré un jour auparavant, parce qu’il voulait que sa mort eût lieu le sixième jour où se célébrait l’ancienne Pâque. Ou bien le mot Pâque s’étend ici à toute la fête. — S. AUG. Les jours des azymes étaient commencés, et pendant ces jours ou ne pouvait entrer dans la maison d’un païen, sans contracter l’impureté légale. — ALCUIN. La Pâque, proprement dite, était le jour où on immolait l’agneau pascal, le soir du quatorzième jour de la lune ; les sept jours suivants s’appelaient les jours des azymes pendant lesquels les Juifs ne devaient avoir chez eux aucun pain fermenté. Cependant nous voyons le jour de Pâque compté parmi les jours des azymes dans l’évangile de saint Matthieu, où nous lisons : « Le premier jour des azymes, les disciples s’approchèrent de Jésus, et lui dirent : Où voulez-vous que nous préparions ce qui est nécessaire pour manger la Pâque ? » (Mt 26, 17) Le nom de Pâque est aussi donné aux jours des azymes, comme nous le voyons ici : « Afin de pouvoir manger la Pâque. » Or, la Pâque ici ne signifie point l’immolation de l’agneau, qui avait lieu le soir du quatorzième jour de la lune, mais la grande solennité qui se célébrait après l’immolation de l’agneau ; Nôtre-Seigneur avait donc célébré la Pâque comme les autres Juifs, le quatorzième jour de la lune, et fut crucifié le quinzième jour, qui était le jour de la grande solennité, et son immolation commença le quatorzième jour de la lune, du moment où on se saisit de lui dans le jardin des Olives.




S. AUG. O aveuglement impie ! Ils craignaient de se souiller en entrant dans le prétoire d’un juge païen et ils ne craignent pas de répandre le sang de leur frère innocent, car ils ne savaient pas que celui qu’ils voulaient faire mourir était le Soigneur et l’auteur de la vie, et il faut attribuer ce crime plutôt à leur ignorance qu’à une volonté réfléchie.




THEOPHYL. Pilate quelqu’ait été le mode de procédure qu’il suivait à l’égard de Jésus, en sort avec des sentiments beaucoup plus modérés : « Pilate vint à eux dehors et leur demanda : Quelle accusation portez-vous contre cet homme ? » — Bède : C’était la coutume chez les Juifs quand ils avaient condamné un coupable à mort, de le remettre chargé de chaînes au gouverneur, afin que le gouverneur le voyant en cet état, comprît qu’il était condamné à la peine de mort. — S. Chrysostome : Cependant bien que Pilate vit Jésus enchaîné et amené devant lui par une foule aussi nombreuse, il ne crut pas que ce fût là une preuve péremptoire ou irrécusable de culpabilité, il les interroge donc : « Quelle accusation leur demande-t-il, portez-vous contre cet homme ? » Il leur fait sentir l’inconvenance qu’ils commettent en s’emparant du pouvoir de juger, et en ne lui laissant que celui d’infliger le châtiment ; mais les Juifs refusent d’aborder de front l’accusation, et n’allèguent que de vagues présomptions : « Ils lui répondirent : Si ce n’était pas un malfaiteur, nous ne vous l’aurions pas livré. » — S. AUG. Qu’on interroge et qu’ils répondent, ceux qu’il a délivrés des esprits impurs, les malades qu’il a guéris, les lépreux qu’il a purifiés, les sourds à qui il a rendu l’ouïe, les aveugles dont il a ouvert les yeux, les muets dont il a délié la langue, les morts qu’il a ressuscites, et ce qui surpasse tous ces miracles, les insensés à qui il a donné la sagesse, et qu’ils disent si Jésus est un malfaiteur. Mais ceux qui portaient cette accusation étaient ces ingrats dont le Prophète avait fait cette prédiction : « Ils me rendaient le mal pour le bien. » (Ps 34, 12) — S. AUG. (De l’accord des Evang., 3, 8) Il nous faut examiner si saint Luc n’est pas en contradiction avec saint Jean lorsqu’il raconte que les Juifs formulèrent contre le Sauveur des chefs certains d’accusation : « Et ils commencèrent à l’accuser, ou disant : Nous avons trouvé celui-ci pervertissant notre nation, défendant de payer le tribut à César, et disant qu’il est le Christ roi. » (Lc 22, 2.) D’après saint Jean, au contraire, les Juifs paraissent ne vouloir formuler aucune accusation aussi particulière, afin que Pilate s’en rapportant exclusivement à leur parole, cessât de leur demander ce dont ils l’accusaient, et qu’il le regardât comme coupable par cela seul qu’ils avaient cru devoir le livrer entre ses mains. Or nous devons admettre et le récit de saint Jean et celui de saint Luc ; car il y eut dans cette circonstance bien des questions et des réponses échangées, chaque évangéliste a fait entrer dans sa narration ce qu’il a jugé plus utile, et saint Jean lui-même a rapporté certaines accusations dirigées contre Jésus, comme nous le verrons en son lieu : « Pilate leur dit donc : Prenez-le vous-même, et jugez-le selon votre loi. » — THEOPHYL. C’est-à-dire, puisque vous voulez qu’il soit jugé selon vos désirs, et qu’à vous entendre, il semble que vous n’ayez jamais rien fait de répréhensible, prenez-le et condamnez-le, quant à moi, je ne consentirai jamais à juger de la sorte. — ALCUIN. Ou bien encore il veut leur dire : Vous avez une loi, et vous savez ce qu’elle prononce en pareille circonstance, faites donc selon que vous le croyez juste.




« Les Juifs lui répondirent : Il ne nous est pas permis de mettre à mort personne. » — S. AUG. Mais est-ce que la loi ne défend pas d’épargner les malfaiteurs, et surtout les séducteurs qui cherchent à détourner du culte du vrai Dieu comme était Jésus dans leur pensée ? Si donc ils répondent qu’il ne leur est pas permis de mettre personne à mort, c’est, entendons-le bien, à cause de la solennité du jour qu’ils avaient commencé à célébrer. L’excès de votre malice vous a-t-il fait perdre entièrement toute raison que vous vous croyiez purs du sang innocent parce que vous voulez le faire répandre par un autre ? — S. Chrysostome : Ou bien ils répondent qu’ils ne peuvent le mettre à mort, parce que leur pouvoir était singulièrement diminué depuis qu’ils étaient soumis à la domination romaine. Ou bien encore, Pilate leur ayant dit : « Jugez-le suivant votre loi, ils veulent lui prouver que le crime que Jésus a commis n’est pas contre la loi juive, et ils répondent : « Il ne nous est pas permis, » c’est-à-dire, il n’a point péché contre notre loi, mais son crime est un crime contre la sûreté publique, puisqu’il s’est dit roi. On peut dire encore qu’ils désiraient faire mourir Jésus du supplice de la croix pour le couvrir d’ignominie par ce genre de mort ; or il ne leur était pas permis de crucifier, mais l’exemple d’Etienne qui fut lapidé par eux montre qu’ils pouvaient mettre à mort d’une autre manière. Aussi l’Evangéliste ajoute : « Afin que fût accomplie la parole que Jésus-Christ avait dite, touchant la mort dont il devait mourir, » parce qu’il était défendu aux Juifs de crucifier, ou bien l’Evangéliste s’exprime ainsi parce que Jésus devait être mis à mort, non-seulement par les Juifs mais par les Gentils. — S. AUG. Nous lisons en effet dans saint Marc que Jésus dit à ses disciples : « Voilà que nous montons à Jérusalem, et le Fils de l’homme sera livré aux princes des prêtres, aux scribes et aux anciens, ils le condamneront à mort et le livreront aux Gentils. » (Mc 10, 23.) Or Pilate était romain, et les empereurs romains l’avaient établi gouverneur de la Judée. Ce fut donc pour accomplir cette prédiction de Jésus, qu’il serait livré aux Gentils et qu’ils le mettraient à mort, qu’ils ne voulurent point le recevoir des mains de Pilate, et qu’ils lui dirent : « Il ne nous est pas permis de mettre personne à mort. »

Versets 33-38.



S. Chrysostome : (hom. 83 sur S. Jean.) Pilate qui voulait arracher Jésus à la haine des Juifs, ne traîna pas le jugement en longueur : « Etant donc rentré dans le prétoire, il appela Jésus. » Il se le fait amener en particulier, parce qu’il entrevoyait dans le Sauveur quelque chose de grand, et il se proposait de tout examiner avec un soin scrupuleux après s’être mis en dehors de l’agitation tumultueuse des Juifs. « Il lui dit donc : Etes-vous roi des Juifs ? » Pilate fait voir ici que les Juifs avaient accusé Jésus de s’être dit roi des Juifs. — S. Chrysostome : Ou bien Pilate l’avait appris par le bruit public, et comme les Juifs n’avaient formulé contre lui aucune autre accusation, pour ne point prolonger inutilement cet interrogatoire, il lui fait connaître ce qu’ils lui reprochaient le plus habituellement.




« Jésus lui répondit : Dites-vous cela, de vous-même, ou d’autres vous l’ont-ils dit de moi ? » Le Sauveur semble reprocher indirectement à Pilate de juger ici à la légère et sans discernement comme s’il lui disait : Si vous dites cela de vous-même, donnez les preuves de ma rébellion, et si d’autres vous l’ont dit de moi, faites une enquête dans les formes. — S. AUG. (Traité. 115 sur S. Jean.) Jésus savait très-bien et ce qu’il demandait à Pilate et la réponse que celui-ci allait lui faire, cependant il veut qu’il lui fasse cette question, non pour se renseigner lui-même, mais pour que cette question fût conservée par écrit et parvînt ainsi à notre connaissance. — S. Chrysostome : Ce n’est donc point par ignorance qu’il interroge, mais pour faire condamner les Juifs par la bouche même de Pilate : « Pilate reprit : Est-ce que je suis juif ? » — S. AUG. Il se justifie du soupçon qu’il eut parlé ainsi de lui-même, et prouve que ce sont les Juifs qui ont accusé près de lui Jésus de cette prétention : « Votre nation et vos prêtres vous ont livré à moi. En ajoutant : Qu’avez-vous fait ? » il fait assez voir que c’était là le crime dont on l’accusait, et il semble lui dire : Si vous niez que vous ayez aspiré à la royauté, qu’avez-vous fait pour m’être livré ? Comme s’il n’était pas étonnant qu’on eût amené devant son tribunal pour être condamné un homme qui se disait roi.




S. Chrysostome : Le Sauveur cherche à relever les idées de Pilate qui n’était pas absolument mauvais, il veut lui prouver qu’il n’est pas simplement un homme, mais qu’il est en même temps Dieu et le Fils de Dieu ; et il éloigne tout soupçon d’avoir aspiré à la royauté (ce qu’avait craint jusqu’à présent Pilate) : « Jésus répondit : Mon royaume n’est pas de ce monde, » etc. — S. AUG. Voilà ce que le bon maître a voulu nous apprendre, mais il fallait auparavant nous faire connaître la vaine opinion que les hommes, Gentils ou Juifs de qui Pilate l’avait apprise, s’étaient formée de sa royauté. Ils prétendaient qu’il méritait la mort pour avoir cherché à s’emparer injustement de la royauté. Ou bien encore comme ceux qui sont en possession du pouvoir voient ordinairement d’un œil jaloux ceux qui peuvent leur succéder, les Romains ou les Juifs pouvaient craindre que ce nouveau royaume ne fût oppose à leur domination. Si le Sauveur avait répondu aussitôt à la question de Pilate, il eût paru répondre exclusivement pour les Gentils qui avaient de lui cette opinion ; mais après la réponse de Pilate, il répond d’une manière plus opportune et plus utile aux Juifs et aux Gentils, et tel est le sens de sa réponse : Ecoutez, Juifs et Gentils, je ne gêne en rien votre domination en ce monde, que voulez-vous davantage ? Venez prendre possession par la foi d’un royaume qui n’est pas de ce monde. En effet, de quoi se compose son royaume ? De ceux qui croient en lui. C’est à eux que Jésus dit : « Vous n’êtes pas de ce monde, » bien que sa volonté fût qu’ils demeurassent au milieu du monde. Aussi ne dit-il pas : Mon royaume n’est pas dans ce monde, mais : « Mon royaume n’est pas de ce monde. » Tout ce qui dans l’homme a été créé de Dieu il est vrai, mais qui a été engendré de la race corrompue d’Adam, est du monde, mais tout ce qui a été ensuite régénéré en Jésus-Christ fait partie de son royaume et n’est plus du monde. « C’est ainsi que Dieu nous a arrachés de la puissance des ténèbres, et nous a transférés dans le royaume de son Fils bien-aimé. » (Col 1, 13.) — S. Chrysostome : Ou bien encore Nôtre-Seigneur veut dire que sa royauté n’ a pas la même origine que la royauté des princes de la terre, et qu’il tient d’en haut un pouvoir qui n’a rien d’humain, et qui est beaucoup plus grand et plus éclatant. C’est pour cela qu’il ajoute : « Si mon royaume était de ce monde, mes serviteurs combattraient pour que je ne fusse pas livré aux Juifs. » Il fait voir ici la faiblesse des royautés de la terre qui tirent leur force de leurs ministres et de leurs serviteurs ; mais le royaume dont l’origine est toute céleste se suffit à lui-même, et n’a besoin d’aucun appui. Si telle est donc la puissance de ce royaume, c’est de sa pleine volonté qu’il s’est lui-même livré à ses ennemis.




S. AUG. Après avoir prouvé que son royaume n’était pas de ce monde, Jésus ajoute : « Mais mon royaume n’est pas d’ici. » Il ne dit pas : Mon royaume n’est pas ici, car il est vraiment sur la terre jusqu’ à la fin du monde ; l’ivraie s’y trouve mêlée avec le bon grain jusqu’à la moisson, et cependant il n’est pas de ce monde, parce qu’il est dans ce monde comme dans un lieu d’exil. — THEOPHYL. Ou bien encore, il ne dit pas : « Mon royaume n’est pas ici, » mais « il n’est pas d’ici, » parce qu’il règne dans le monde, que sa providence le gouverne, et qu’il y règle tout suivant sa volonté. Toutefois son royaume n’est pas composé d’éléments terrestres, mais son origine est céleste et il existe avant tous les siècles. — S. Chrysostome : Les hérétiques prennent de là occasion de dire que le Sauveur est étranger à la direction du monde. Mais de ce qu’il déclare que son royaume n’est pas d’ici, il ne s’ensuit nullement que le monde ne soit point gouverné par sa providence ; ces paroles signifient donc simplement que son royaume n’est soumis ni aux lois du temps, ni aux imperfections de notre humanité.




« Alors Pilate lui dit : Vous êtes donc roi ? Jésus répondit : Vous le dites, je suis roi. » Nôtre-Seigneur ne craignait pas de déclarer qu’il fut roi, mais il répond de manière à ne point nier qu’il soit roi, et à ne point avouer qu’il l’est dans ce sens que son royaume fût de ce monde. En effet, que répond-il à Pilate ? « Vous le dites, » c’est-à-dire, vous êtes de la terre, et votre langage ne peut être que terrestre. Il ajoute : « Je suis né et je suis venu dans le monde pour rendre témoignage à la vérité. » Il ne faut point faire longue la syllabe de ce pronom hoc comme si le sens était : « Je suis né dans cette condition, » mais la faire brève de manière qu’elle présente cette signification : « Je suis né pour cela, » de même qu’il dit : « C’est pour cela que je suis venu au monde. » Il est donc évident que le Sauveur a voulu parler ici de sa naissance temporelle et de sa venue comme homme dans le monde, et non de sa naissance éternelle et sans commencement comme Dieu. — THEOPHYL. On peut dire encore que le Seigneur interrogé par Pilate s’il était roi lui répondit : « Je suis né pour cela, c’est-à-dire pour être roi, car par cela seul que je suis né d’un roi, j’affirme que je suis roi moi-même. — S. Chrysostome : (hom. 84 sur S. Jean.) Mais s’il est né roi, il n’a donc, rien qu’il n’ait reçu. « Je suis venu, poursuit-il, pour rendre témoignage à la vérité, » c’est-à-dire pour persuader tous les hommes de la vérité. Considérez ici la grande douceur du Sauveur, tandis qu’on le traitait comme un malfaiteur, il a supporté cet outrage en silence ; mais quand on l’interroge sur son royaume, alors il répond à Pilate, il cherche à l’instruire et à élever son esprit vers des idées plus hautes, et veut le convaincre que toute sa conduite a été exemple de subterfuges et d’artifices : « Je suis venu pour rendre témoignage à la vérité. »




S. AUG. Lorsque Jésus-Christ rend témoignage, à la vérité, il se rend témoignage à lui-même ; car il a dit, en termes exprès : « Je suis la vérité. » Mais comme la foi n’est pas le partage de tous, il ajoute : « Quiconque est de la vérité, entend ma voix. » Il l’entend avec les oreilles intérieures du cœur, c’est-à-dire il obéit à une voix, ou si vous voulez, il croit en moi. Par ces paroles : « Quiconque est de la vérité, » le Sauveur veut faire ressortir l’importance de la grâce, par laquelle il nous appelle selon son décret. (Rm 8) Si nous considérons la nature dans laquelle nous avons été créés, quel est celui qui n’est pas de la vérité, puisque c’est la vérité qui a créé tous les hommes ? Mais tous ne reçoivent pas de la vérité la grâce nécessaire pour obéir à la vérité. S’il avait dit : Quiconque entend ma voix est de la vérité, on pourrait croire qu’on est de la vérité, parce qu’on obéit à la vérité ; mais il dit, au contraire : « Quiconque est de la vérité, entend ma voix. » Il entend, il est vrai ; toutefois il n’est pas de la vérité, parce qu’il entend sa voix, mais il entend sa voix parce qu’il est de la vérité, et que la vérité lui a donné cette grâce. — S. Chrysostome : En parlant de la sorte, il attire à lui Pilate, et cherche à lui persuader de prêter l’oreille à ses paroles, et il l’amène, par ce peu de paroles, à lui demander ce que c’est que la vérité : « Pilate lui demanda : Qu’est-ce que la vérité ? » — THEOPHYL. La vérité avait presque disparu du milieu des hommes, et elle était comme inconnue à tous, à cause de leur incrédulité.




Versets 38-40.



S. AUG. (Traité 115 sur S. Jean.) Aussitôt que Pilate eut fait celle question : « Qu’est-ce que la vérité ? » il lui vint à l’esprit (je pense que c’était la coutume parmi les Juifs,) qu’on leur accordât, à la fête de Pâques, la délivrance d’un criminel ; il n’attendit donc pas que Jésus lui répondît, pour ne pas perdre de temps, du moment qu’il se fut rappelé la coutume qui lui permettait de le délivrer à la fête de Pâques, ce qui, de toute évidence, était son plus vif désir, comme le prouve la nouvelle démarche qu’il fit : « Et, ayant dit cela, il sortit encore pour aller vers les Juifs, » etc. — S. Chrysostome : Il savait que la réponse à la question qu’il avait faite demandait du temps, et qu’il fallait au plus tôt arracher Jésus à la fureur des Juifs ; et c’est pourquoi il sort de nouveau du prétoire pour parler aux Juifs. — ALCUIN. Ou peut-être encore il n’attendit pas la réponse, parce qu’il était indigne de l’entendre.




« Et il leur dit : Je ne trouve en lui aucun crime. » Il ne leur dit pas : Puisqu’il est coupable et digne de mort, donnez-lui sa grâce à l’occasion de la fête ; il proclame d’abord son innocence, puis il les prie, du reste, s’ils ne veulent point le délivrer à cause de son innocence, de le faire en considération de la fête : « C’est la coutume, parmi vous, que je vous accorde, à la fête de Pâques, la délivrance d’un criminel, » etc. — Bède : Cette coutume n’était pas prescrite par la loi, elle venait d’une ancienne tradition des Juifs ; qui, en souvenir de leur délivrance d’Égypte, délivraient chaque année un criminel à la fête de Pâques. Pilate emploie donc à leur égard le langage de la persuasion : « Voulez-vous que je vous délivre le Roi des Juifs ? » — S. AUG. On ne pouvait arracher de son cœur que Jésus fût le Roi des Juifs, il semble que la vérité elle-même, qu’il avait demandé a connaître, l’eût gravée dans sou cœur comme elle le fit écrire sur l’inscription de la croix.




THEOPHYL. La réponse de Pilate, qui justifie Jésus de toute accusation, est admirable, et c’est en vain que les Juifs cherchent à le travailler, en lui représentant le Sauveur comme ayant désiré la royauté, car le représentant des Romains n’aurait jamais acquitté et mis en liberté un homme qui se serait déclaré roi en face de la puissance des empereurs romains. Lors donc, qu’il leur dit : « Délivrerai-je le Roi des Juifs ? » il proclame publiquement l’innocence de Jésus, et plaisante les Juifs en leur tenant ce langage : « Celui que vous accusez d’avoir voulu se faire roi, j’ordonne de le mettre en liberté, comme complètement innocent du crime dont vous le chargez. » — S. AUG. Mais à ces mots, « ils crièrent de nouveau, tous ensemble : Non pas celui-ci, mais Barabbas. » Or, Barabbas était un voleur. Nous ne vous faisons pas un reproche, ô Juifs, de mettre en liberté un criminel, à l’occasion de la fête de Pâques ! Mais nous vous faisons un crime d’avoir mis à mort un innocent ; et cependant si vous n’agissiez de la sorte, la véritable Pâque n’aurait pas lieu. — Bède : Ils ont sacrifié le Sauveur et demandé la grâce d’un brigand ; et, en punition de cet attentat, le démon exerce impunément sur eux des brigandages. — ALCUIN. Barabbas signifie le fils de leur maître, c’est-à-dire du diable ; car c’est le diable, qui fut le maître de ce voleur dans ses crimes, comme il fut celui des Juifs dans leur trahison.