Extrait du procès-verbal de l’assemblée des citoyens libres et propriétaires de couleur des îles et colonies françaises, constituée sous le titre de colons américains. (12 septembre 1789.)

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EXTRAIT
Du Procès-verbal de l’Aſſemblée
des COLONS AMÉRICAINS.
Du 12 Septembre 1789.

L’ASSEMBLÉE, délibérant ſur la propoſition qui lui a été faite par un de ſes Membres, a unanimement arrêté que, pour donner à la Nation une preuve de leur zèle & de leur dévouement, les Colons Américains votoient, & que MM. leurs Députés demeuroient autoriſés, en vertu des Préſentes, à offrir à l’Aſſemblée Nationale, pour ſubvenir aux charges de l’État, la quatrième partie de tous leurs revenus, ce qui peut être, un objet de ſix millions ; & en outre un cautionnement de la cinquantiéme partie de leurs biens, pour liquider la dette Nationale.

De Joly, Préſident.
Rolland-Audiger,
Poizat,
Secrétaires.
EXTRAIT
DU PROCÈS-VERBAL
DE L’ASSEMBLÉE
Des Citoyens — libres et Propriétaires de Couleur des Isles et Colonies Françoises, conſtituée ſous le titre de Colons Américains.

AVERTISSEMENT.

LES Citoyens — Libres de Couleur des Iſles & Colonies Françoiſes, ont gémi trop long-tems ſous le joug déſormais inſupportable du préjugé le plus honteux.

Ils ſe ſont réunis, après en avoir fait prévenir M. le Maire & M. le Commandant-général de la Garde-Nationale, dans le Cabinet de M. de Joly, Avocat aux Conſeils.

Après pluſieurs conférences préliminaires, ils ont rédigé un Cahier qui doit-être remis à l’Aſſemblée-Nationale. Ils ont dreſſé des Procès-Verbaux qui ſeront inceſſamment publiés.

Des circonſtances particulières ont déterminé la publicité de cet extrait.

EXTRAIT
DU PROCÈS-VERBAL
De l’Assemblée des Citoyens — libres de Couleur, & Propriétaires des Iſles & Colonies Françoiſes, conſtituée ſous le titre de Colons Américains.
Du 12 Septembre 1789.

IL a été rendu compte, à l’ouverture de la Séance, des détails, relatifs à la Députation qui avoit été arrêtée auprès des Colons Blancs, réunis à l’Hôtel de Maſſiac.

M. de Joly a dit, qu’en conformité de la Délibération du 8 de ce mois, il avoit écrit, dès le lendemain, à M. le Marquis de Galifet, Préſident de l’Aſſemblée des Colons Blancs, la Lettre ſuivante :

M. Le Marquis,

« L’Aſſemblée des Citoyens de Couleur ; des Iſles & Colonies Françoiſes, a arrêté, dans ſa dernière Séance, une Députation auprès de l’Aſſemblée de MM. les Américains que vous préſidez. Je vous prie de m’indiquer le jour & l’heure où cette Députation pourra être ordonnée, afin de vous communiquer l’objet de ſa miſſion.

J’ai l’honneur d’être, avec la plus parfaite conſidération,

M. le Marquis,
Votre très-humble, &c.
Signé, Dejoly.
Ce 9 Septembre 1789 ;

Qu’il avoit reçu à l’inſtant cette réponſe :

« Il y aura, Monſieur, ce ſoir ; à ſix heures, une Aſſemblée ; & l’on y recevra avec plaiſir la Députation de l’Aſſemblée des Citoyens de Couleur.

J’ai l’honneur d’être, avec un parfait attachement,

Monsieur,
Votre très-humble &
très-obéiſſant ſerviteur,
Signé, Le Marquis Galipet.
Ce 9 septembre ;

Que, le ſoir, à l’heure indiquée il s’étoit rendu avec MM. les Commiſſaires nommés à cet effet à l’Hôtel de Maſſiac ; qu’après avoir fait annoncer la Députation, il avoit eu la ſatisfaction de la voir admettre ſans aucun retard ; qu’ayant été introduits, M. de Joly avoit été placé à la droite de M. le Président & MM. les Commiſſaires en face du Bureau ; qu’alors M. de Joly, avoit fait lecture d’un Diſcours concerté avec MM. les Commiſſaires, & conçu dans ces termes.

Messieurs,

« Les États-Généraux ont été convoqué, les Citoyens de toutes les claſſes y ont été appellés, les Repréſentans des Colonie y ont été admis, & déſormais vos libertés, vos droits, vos propriétés ne recevront aucune atteinte. Vous les conſerverez ſous l’empire des Loix que vos Repréſentans auront fondées.

« Seuls dans la nature entière, livrés à l’oubli, voués au mépris qu’ils ne croyent pas avoir mérite, les Citoyens-libres, de Couleur, répandus dans les Colonies ont été privés des biens, des avantages, inappréciables que tous les François ont partagé.

» Dans les Colonies, ils n’ont pas été appelles aux Aſſemblées élémentaires.

« En France, à Paris, ils ont eu la douleur de voir former à leurs côtés, ſous leurs yeux, des Aſſemblées partielles dont l’accès leur a été interdit, des Députés à l’Aſſemblée Nationale ont été nommés, & les Citoyens de Couleur n’ont pas concouru a leur élection. Des cahiers ont été rédigés, & personne n’a été appellé, pour défendre, pour ſtipuler leurs intérêts : enfin, MM., votre Aſſemblée s’eſt continuée juſqu’à ce jour ; &, ſans la démarche que leur zèle, leur patriotiſme, leur attachement inviolable pour vous, leur ont inſpirée, les Citoyens de Couleur ignoreroient encore votre réunion & les avantages qui peuvent en réſulter

« Il étoit temps, Meſſieurs de faire ceſſer une diſtintion auſſi humiliante ; il étoit temps que les Citoyens de Couleur ſortiſſent enfin de l’état, paſſif, de dénuement & d’abjection dans lequel on a voulu les tenir.

« Ils ont ſenti ce qu’ils étoient ; la Déclaration des droits de l’homme leur a fait connoître ce qu’ils valoient ; & leurs vues ſe ſont portées auſſitôt, non pas vers la licence & l’inſubordination, comme on s’eſt permis de les en accuſer, mais vers cette liberté précieuſe que les loix leur aſſûrent, & qu’ils doivent partager avec vous.

« C’eſt, MM., dans cette vue que les Citoyens de Couleur ſe ſont aſſemblés ; c’eſt dans ce même eſprit, qu’après avoir peſé leurs droits & conſulté leurs intérêts, ils ſe ſont déterminés à porter à l’Aſſemblée Nationale des demandes qui ne doivent éprouver aucune difficulté

« Mais, avant de recourir à leurs Juges, avant de porter au Tribunal de la Nation les demandes légitimes qu’ils ſont dans le cas de former, les Citoyens de Couleur ont penſé qu’ils devoient ſe préſenter au Tribunal de leurs Compatriotes, de leurs Frères, de leurs Amis ; & ils ont auſſitôt réſolu de vous adreſſer une Députation.

» Cette Députation a deux objets importants ; l’un & l’autre leur ſont également précieux.

» Le premier conſiſte à vous offrir l’expreſſion de leurs ſentimens, l’hommage de leur reconoiſſance, les vœux les plus ſincères de perpétuer, de cimenter, d’une manière irrévocable, les liens qui doivent les unir à vous.

» Le ſecond, & celui-ci, Meſſieurs, mérite toute votre attention, conſiſte à réclamer l’entier, le libre exercice des droits attachés à la Liberté. Ce mot ſeul vous dit tout ; il exprime, dans toute leur étendue, les réclamations que les Citoyens de Couleur ſont enfin déterminés à former.

» Il ſeroit doux pour eux de les voir accueillir avant de les avoir formées ; ils ſeroient trop heureux de tenir de votre conſentement, ce qu’ils ſont en droit de réclamer & d’obtenir par la force même de la Loi.

« Veuillez-donc, Meſſieurs, jetter, ſur cette claſſe infortunée, des regards, que la Nature, la Bienfaiſance & l’Humanité doivent également attirer ; rappellez-vous qu’ils ſont hommes, Libres & Citoyens. N’oubliez pas qu’aux termes des plus anciennes Loix des Colonies, de l’Édit de 1685, les Affranchis doivent jouir de tous les droits de Citoyens ; admettez-les à une concurrence qui honorera votre juſtice ; arrachez pour jamais les gens de Couleur à l’eſclavage : & cet aveu, cette déclaration de votre part enchaîneront pour jamais, des cœurs qui peuvent être aigris par l’injuſtice, mais que vos refus même ne pourront jamais aliéner ».

M. de Joly a ajouté, que cette lecture avoit été ſuivie de quelques queſtions relatives à l’affranchiſſement abſolu des gens de couleur qui peuvent être encore dans l’eſclavage ; qu’après y avoir ſatiſait, par des réponſes puiſées dans le Cahier que l’Aſſemblée avoit précédemment arrêté, M. le Préſident avoit répondu, que « l’Aſſemblée prendroit le Mémoire en conſidération, & qu’elle feroit inceſſamment parvenir ſa réponſe à M. de Joly » ;

Qu’en effet, dès le lendemain matin, M. de Joly avoit reçu la réponſe ſuivante :

Paris, le 10 Septembre 1789.

« La Société ayant examiné, Monſieur, le Mémoire qui lui a été lu par vous, pour les gens de Couleur libres, a eſtimé qu’une ſimple réunion de Colons, hors de leur Pays, ne pouvant avoir un caractère légal, il ne lui eſt pas poſſible de le diſcuter ; il lui ſemble que les demandes qui y ſont formées ne peuvent être que de la compétence d’une Aſſemblée Coloniale régulièrement convoquée ſur les lieux.

« Nous vous prions d’agréer tous nos remercîmens ; & nous avons l’honneur d’être bien ſincèrement,

Monsieur,
Vos très-humbles & très-obéiſſans
      ſerviteurs,
Signé, Billard, Vice-Préſident.
Par mandement de la Société,
Roſſignol de Grammont, Secrétaire.

Sur quoi, l’Aſſemblée délibérant a pris l’Arrêté ſuivant.

« L’Aſſemblée des Citoyens-libres de Couleur, des Iſles & Colonies Françoiſes, après avoir entendu le compte qui a été rendu par M. de Joly, & les ſix Commiſſaires nommés dans la ſéance du 8 de ce mois, de leur députation auprès des Colons-Blancs, qui s’aſſemblent à l’hôtel de Maſſiac ; lecture faite de la lettre en réponſe adreſſée à M. de Joly, le 10 du même mois ;

« Conſidérant que cette réponſe contient un deni formel de la juſtice que les Citoyens de Couleur avoient demandée, & qu’ils étoient en droit d’attendre de leurs frères ;

Que l’illégalité de leur réunion ne les empêchoit pas d’émettre un vœu, ou du moins d’expliquer ce qu’ils entendoient par Aſſemblée Coloniale ; dans quelle forme ils croyoient que cette Aſſemblée pouvoit être formée, & s’ils penſoient que les Citoyens de Couleur duſſent y être admis ;

» Que ſi l’on avoit oppoſé aux Colons-Blancs, qui ont député à l’Aſſemblée-Nationale, le défaut d’autoriſation d’une Aſſemblée Coloniale légalement convoquée ſur les lieux, leur Aſſemblée n’auroit pas été reconnue, & les Députés admis à l’Aſſemblée-Nationale ;

» Conſidérant encore que ce n’eſt point par des moyens de cette nature qu’on peut étouffer le cri naturel de la Liberté, qui ſe fait entendre par-tout où il y a des hommes en état de l’apprécier ;

» Qu’il ſuffit, que les Colons ſoient réunis dans l’étendue de la Monarchie Françoiſe, pour qu’ils puiſſent délibérer ſur les objets qui les concernent ; que les Citoyens-Libres de de Couleur réunis à Paris ont inconteſtablement le droit de s’occuper de leurs intérêts perſonnels ; de délibérer ſur les choſes qui leur ſont communes ; de porter a l’Aſſemblée-Nationale leurs vœux & ceux de leurs Concitoyens ; en un mot & sur-tout, de ſolliciter l’exécution des Loix anciennes, & d’obtenir l’entier exercice de leurs droits & de leur liberté ;

» Conſidérant auſſi que la Députation qui a été faite auprès des Colons-Blancs réunis à l’hôtel de Maſſiac, ſous le titre de Société de Colons François, n’avoit nullement pour objet de les prendre pour Juges, ou pour Arbitres, mais seulement de les ramener aux ſentimens de bienfaiſance, & d’humanité qui doivent leur être communs ;

» Que la dénomination, ſous laquelle les Colons-Blancs ſe ſont conſtitués, autoriſe les Citoyens de Couleur à prendre également une dénomination qui faſſe ceſſer la différence qu’on a toujours miſe, & qu’on voudroit perpétuer entre les Colons-Blancs & les Citoyens de Couleur ;

» Conſidérant enfin que les Députés qui ont été admis à l’Aſſemblée-Nationale ne peuvent repréſenter que les Blancs, puiſque les Citoyens de Couleur n’ont point été appellés à leurs Aſſemblées partielles ; que ceux-ci ne leur ont jamais donné le pouvoir de porter leurs vues, leurs plaintes & leurs demandes auprès de cette auguſte Aſſemblée ; qu’ils ont cependant un droit égal à une repréſentation, puisque les Citoyens de Couleur ſont soumis aux mêmes Charges, & qu’ils payent les mêmes Impôts que les Blancs ; qu’ils ſont même infiniment plus grévés à raiſon des privations qu’ils éprouvent, & du refus qu’on leur a toujours fait de les admettre à toutes les Profeſſions, & même à certains états mécaniques, tels que orfèvrerie, la bijouterie, &c. &c ;

» À arrêté que les Citoyens-Libres de Couleur continueroient à ſe réunir aux jours indiqués dans le Cabinet & ſous la préſidence de M. de Joly ; qu’ils ſe conſtitueroient & n’agiroient déſormais que ſous le titre de Colons Américains ; que les démarches, qui avoient été faites pour obtenir accès auprès de l’Aſſemblée-Nationale ; ſeroient continuées ſans interruption ;

» Que M. de Joly, & les douze Commissaires ci-après nommés ſeroient ſpécialement autoriſés à s’y tranſporter, & à faire lecture du Cahier qui a été annexé au dernier Procès-verbal ;

» Qu’ils ſolliciteroient le jugement des différentes demandes qui y ont été conſignées ;

» Qu’ils inſiſteroient ſpécialement pour faire ſtatuer ſur l’admiſſion à l’Aſſemblée-Nationale, des Députés que l’Aſſemblée nommera à cet effet ;

Et enfin que pour faire ceſſer les bruits défavorables, & les imputations calomnieuſes qu’on se permet de répandre ſur la réunion des Colons Américains & même pour donner, une véritable idée de leur franchiſe & de leur loyauté, le compte précédemment rendu de la Députation auprès des Colons François réunis à l’Hôtel de Maſſiac, le Discours prononcé par M. de Joly, la Lettre des Membres de la Société des Colons François, ainſi que le préſent Arrêté ſeroient adreſſés à M. le préſident de l’Aſſemblée Nationale, au Ministre du Roi chargé du Département de la Marine & rendus publics par la voie de l’impreſſion.

Pour l’exécution totale du préſent Arrêté, l’Aſſemblée a nommé MM. Fleury, Audiger, la Fourcade, du Souchet l’aîné, Ogé jeune, de S.-Réal, le Chevalier de l’Avit, Lanon, Hellot, Honoré, Poizat & la Source, tous Membres de l’Aſſemblée ; leſquels, avec M. de Joly, ſont ſpécialement autoriſés à faire, ſoit auprès de l’Aſſemblée-Nationale, ſoit auprès des Miniſtres du Roi, toutes les démarches que la prudence leur ſuggérera, pour obtenir la plus prompte exécution, tant du préſent Arrêté, que de ceux qui ont été pris juſqu’à ce jour, où qui pourroient l’être à l’avenir.

De Joly, Préſident.
Rolland-Audiger,
Poizat,
Secrétaires.
M. DCC LXXXIX.