Fables de La Fontaine (éd. Barbin)/1/Le Loup devenu Berger

La bibliothèque libre.

Pour les autres éditions de ce texte, voir Le Loup devenu berger.





III.

Le Loup devenu Berger.




UN Loup qui commençoit d’avoir petite part
Aux Brebis de ſon voiſinage,
Crut qu’il faloit s’aider de la peau du Renard,
Et faire un nouveau perſonnage.

Il s’habille en Berger, endoſſe un hoqueton,
Fait ſa houlette d’un baſton ;
Sans oublier la Cornemuſe.
Pour pouſſer juſqu’au bout la ruſe,
Il auroit volontiers écrit ſur ſon chapeau,
C’eſt moy qui ſuis Guillot Berger de ce troupeau.
Sa perſonne eſtant ainſi faite,
Et ſes pieds de devant poſez ſur ſa houlette,
Guillot le Sycophante[1] approche doucement.
Guillot le vray Guillot étendu ſur l’herbette,
Dormoit alors profondément.
Son chien dormoit auſſi, comme auſſi ſa muſette.

La pluſpart des Brebis dormoient pareillement.
L’hypocrite les laiſſa faire :
Et pour pouvoir mener vers ſon fort les Brebis,
Il voulut ajoûter la parole aux habits,
Choſe qu’il croyoit neceſſaire.
Mais cela gâta ſon affaire.
Il ne pût du Paſteur contrefaire la voix.
Le ton dont il parla fit retentir les bois,
Et découvrit tout le mystere.
Chacun ſe reveille à ce ſon,
Les Brebis, le Chien, le Garçon.
Le pauvre Loup dans cet eſclandre,
Empêché par ſon hoqueton,
Ne pût ny fuïr ny ſe défendre.

Toûjours par quelque endroit fourbes ſe laiſſent prendre.

Quiconque eſt Loup, agiſſe en Loup ;
C’eſt le plus certain de beaucoup.

  1. Trompeur.