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Fables de La Fontaine (éd. Barbin)/1/La Chatte métamorphosée en Femme

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XVIII.

La Chate metamorphosée en Femme.



Un homme cheriſſoit éperdument ſa Chate ;
Il la trouvoit mignonne, & belle, & delicate ;
Qui miauloit d’un ton fort doux.
Il eſtoit plus fou que les foux.

Cet Homme donc par prieres, par larmes,
Par ſortileges & par charmes,
Fait tant qu’il obtient du deſtin,
Que ſa Chate en un beau matin
Devient femme, & le matin meſme
Maiſtre ſot en fait ſa moitié.
Le voilà fou d’amour extrême,
De fou qu’il eſtoit d’amitié.
Jamais la Dame la plus belle
Ne charma tant ſon Favory,
Que fait cette épouſe nouvelle
Son hypocondre de mary.
Il l’amadouë, elle le flate,
Il n’y trouve plus rien de Chate :
Et pouſſant l’erreur juſqu’au bout
La croit femme en tout & par tout.
Lors que quelques Souris qui rongeoient de la natte

Troublerent le plaiſir des nouveaux mariez.
Auſſi toſt la femme eſt ſur pieds :
Elle manqua ſon avanture.
Souris de revenir, femme d’eſtre en poſture.
Pour cette fois elle accourut à point ;
Car ayant changé de figure
Les Souris ne la craignoient point.
Ce luy fut toûjours une amorce,
Tant le naturel a de force,
Il ſe mocque de tout, certain âge accomply.
Le vaſe eſt imbibé, l’étoffe a pris ſon ply.
En vain de ſon train ordinaire
On le veut deſaccoûtumer.
Quelque choſe qu’on puiſſe faire,
On ne ſçauroit le reformer.
Coups de fourche ny d’étrivieres
Ne luy font changer de manieres ;

Et, fuſſiez-vous embaſtonnez,
Jamais vous n’en ſerez les maiſtres.
Qu’on luy ferme la porte au nez,
Il reviendra par les feneſtres.