Jupiter et les Tonnerres

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Fables choisies, mises en versDenys Thierry et Claude BarbinTroisième partie : livres vii, viii (p. 185-188).

XX.

Jupiter et les Tonnerres.



JUpiter voyant nos fautes,
Dit un jour du haut des airs :
Rempliſſons de nouveaux hoſtes
Les cantons de l’Univers

Habitez par cette race
Qui m’importune & me laſſe.
Va-t’en, Mercure, aux Enfers :
Ameine-moi la furie
La plus cruelle des trois.
Race que j’ay trop cherie,
Tu periras cette fois.
Jupiter ne tarda guere
À moderer ſon tranſport.
Ô vous Rois qu’il voulut faire
Arbitres de noſtre ſort,
Laiſſez entre la colere
Et l’orage qui la ſuit
L’intervalle d’une nuit.
Le Dieu dont l’aiſle eſt legere,
Et la langue a des douceurs,
Alla voir les noires Sœurs.
À Tiſyphone & Mégere
Il préfera, ce dit-on,

L’impitoyable Alecton.
Ce choix la rendit ſi fiere,
Qu’elle jura par Pluton
Que toute l’engeance humaine
Seroit bien-toſt du domaine
Des Deïtez de la bas.
Jupiter n’approuva pas
Le ſerment de l’Eumenide.
Il la renvoye, & pourtant
Il lance un foudre à l’inſtant
Sur certain peuple perfide.
Le tonnerre ayant pour guide
Le pere meſme de ceux
Qu’il menaçoit de ſes feux,
Se contenta de leur crainte ;
Il n’embraza que l’enceinte
D’un deſert inhabité.
Tout pere frape à coſté.
Qu’arriva-t-il ? noſtre engeance
Prit pied ſur cette indulgence.

Tout l’Olympe s’en plaignit :
Et l’aſſembleur de nuages
Jura le Stix, & promit
De former d’autres orages ;
Ils ſeroient ſeurs. On ſoûrit :
On luy dit qu’il eſtoit pere,
Et qu’il laiſſaſt pour le mieux
À quelqu’un des autres Dieux
D’autres tonnerres à faire.
Vulcan entreprit l’affaire.
Ce Dieu remplit ſes fourneaux
De deux ſortes de carreaux.
L’un jamais ne ſe fourvoye,
Et c’eſt celuy que toûjours
L’Olympe en corps nous envoye.
L’autre s’écarte en ſon cours ;
Ce n’eſt qu’aux monts qu’il en coute :
Bien ſouvent meſme il ſe perd,
Et ce dernier en ſa route
Nous vient du ſeul Jupiter.