Fables de La Fontaine (éd. Barbin)/1/Le Loup et l’Agneau

La bibliothèque libre.

Pour les autres éditions de ce texte, voir Le Loup et l'Agneau.


X.

Le Loup & l’Agneau.



LA raiſon du plus fort eſt toûjours la meilleure.
Nous l’allons montrer tout à l’heure.
Un Agneau ſe deſalteroit
Dans le courant d’une onde pure.

Un Loup ſurvient à jeun qui cherchoit avanture,
Et que la faim en ces lieux attiroit.
Qui te rend ſi hardi de troubler mon breuvage ?
Dit cet animal plein de rage :
Tu ſeras châtié de ta temerité.
Sire, répond l’Agneau, que voſtre Majeſté
Ne ſe mette pas en colere ;
Mais plutoſt qu’elle conſidere
Que je me vas deſalterant
Dans le courant,
Plus de vingt pas au-deſſous d’elle ;
Et que par conſequent en aucune façon
Je ne puis troubler ſa boiſſon.
Tu la troubles, reprit cette beſte cruelle,
Et je ſçai que de moy tu médis l’an paſſé.
Comment l’aurois-je fait ſi je n’eſtois pas né ?

Reprit l’Agneau, je tete encore ma mere,
Si ce n’eſt toy, c’eſt donc ton frere :
Je n’en ay point. C’eſt donc quelqu’un des tiens :
Car vous ne m’épargnez guéres,
Vous, vos bergers, & vos chiens.
On me l’a dit : il faut que je me vange.
Là-deſſus au fond des foreſts
Le Loup l’emporte, & puis le mange,
Sans autre forme de procés.