Fiançailles rouges/06
VI
REVIREMENT
Ils étaient tous deux penchés au chevet de la blessée, le père et le fiancé, attendant que le moindre signe, un soupir, un mouvement des lèvres, un battement des paupières, vint attester que la vie, chez elle, n’était point tout à fait éteinte. Ils ne se disaient rien. À quoi bon ? Pourquoi accroître, par des paroles vaines, leur souffrance, leurs angoisses, leurs remords ? L’un et l’autre, dans le secret de son cœur, s’accusait de l’affreux malheur. Ils en prenaient chacun la responsabilité. Ils se disaient :
— Ah ! Si j’avais su !
S’ils avaient su qu’elle n’était point de celles qui se résignent, qui se reprennent quand, une fois, elles ont donné leur cœur. S’ils avaient su qu’elle n’avait accepté le sublimé sacrifice que jusqu’à la limite du don d’elle-même, l’eussent-ils poussée à son geste de désespoir ? Et maintenant qu’eussent-ils donné, l’un et l’autre, pour voir se rouvrir les chères prunelles azurées et sourire cette bouche close, ces lèvres décolorées. Mais Germaine demeurant inconsciente, muette, privée de vie.
« Le chirurgien allait venir », avait dit la sœur. Ah ! que faisait-il donc ? Pourquoi tardait-il tant ? Un premier pansement avait été fait dès l’entrée par l’interne du service. Sans doute avait-il permis d’arrêter l’hémorragie fatale. Mais si une opération était nécessaire, seul le chirurgien pourrait le dire, dans ce cas la tenter de toute urgence. S’il tardait encore, peut-être Germaine allait-elle mourir.
La porte s’ouvrit avec un bruit léger qui, pourtant, n’échappa pas à l’oreille tendue de Pierre Dangel :
— C’est lui, enfin ! soupira-t-il.
C’était le chirurgien, en effet, accompagné d’un aide. Le père vint au-devant de lui :
— Docteur, vous me la sauverez, n’est-ce pas ? implora-t-il. Ma reconnaissance éternelle si vous me rendez mon enfant. Ma vie vous appartiendra.
Le chirurgien eut un bon sourire :
— Je vais voir cela, dit-il, mais soyez assuré, monsieur, que je ferai tout ce qu’il sera possible pour sauver mademoiselle,
— Ah ! merci, docteur.
Le praticien s’approcha du lit où gisait Germaine. Il se mit d’abord à tâter le pouls et ausculter le cœur. Son visage impassible ne traduisit aucune pensée. Pierre Dangel et Lucien Guibeaud suivaient avec anxiété tous ses mouvements. Il défit le pansement, commença d’examiner la blessure, à peine plus large qu’un travers de doigt, Comme il appuyait sur les bords de la plaie, la malade poussa un faible gémissement.
— Ah ! dit avec soulagement le père, elle sent, donc elle vit…
Le chirurgien nettoya à nouveau la blessure, refit le pansement, inscrivit sur une fiche les indications nécessaires, donna à ses élèves quelques explications.
— Alors, docteur, interrogea avec angoisse Pierre Dangel.
— Je puis en répondre, affirma le praticien. La blessure n’a lésé aucun organe essentiel. À peine a-t-elle effleuré légèrement le cœur, sans dégât important. Votre fille guérira.
— Ah ! merci, docteur, comme vous me faites du bien. Si vous saviez !
— Ce n’est pas moi qu’il faut remercier, c’est la Providence. Si tout se passe bien, dans quelques jours votre blessée sera sur pied.
— Et il n’y aura pas de suites ?
— Non, je l’espère. Pour l’instant pas de réaction pleurale. Nous veillerons à ce qu’aucune complication ne se produise.
Il s’en alla. Lucien Guibeaud le suivit et, de toute la journée, ne reparut plus. Pierre Dangel ne songea pas à s’en inquiéter. La vue de son neveu, au surplus, lui était maintenant insupportable. S’il ne le rendait pas responsable de ce qui s’était passé — n’était-il pas, lui, le principal coupable ? — il ne lui pardonnait pourtant point d’être la cause indirecte du geste désespéré de Germaine. Il était bien décidé à reprendre sa parole en lui restituant son argent, dès qu’il serait possible et au prix même de sa propre ruine.
Il ne quitta pas la clinique et demeura au chevet de sa fille toute la nuit. Germaine n’avait pas repris conscience. Elle somnolait toujours, dans un état de demi-hébétude.
Au matin, on remit à Pierre Dangel une lettre qu’un chasseur venait d’apporter : il reconnut sur l’enveloppe l’écriture de Lucien.
Il ouvrit l’enveloppe, en tira un feuillet et lut :
« Je vous prie de me pardonner ; je supplie Germaine, lorsqu’elle sera rétablie — bientôt j’espère — d’oublier le mal que je lui ai fait. J’ai été un criminel. J’étais aveuglé par ma passion, par mon amour. J’ai compris trop tard — hélas ! ma lâcheté.
« Croyez-moi toujours, je vous prie, votre neveu très affectionné :
Pierre Dangel se tenait auprès de Germaine.
Il était trois heures de l’après-midi. La porte s’ouvrit et la sœur entra :
— Monsieur, dit-elle, il y a là un jeune monsieur qui vous demande. M. Guibeaud, je crois… Il ne m’a pas donné sa carte.
— Je vous remercie, ma sœur ; je vais voir.
Il sortit tout de suite et Germaine entendit dans le couloir des exclamations et un « chut » prolongé.
Puis des pas signalèrent l’approche du père et du visiteur.
Or, comme la porte s’ouvrait, elle eut un éblouissement :
— Mon Dieu !… s’écria-t-elle.
Lucien se précipita :
— Germaine ! Sois calme, je t’en conjure… Oui, je te ramène celui que tu aimes. Oui, je suis allé lui demander de m’accompagner. J’ai voulu… j’ai voulu…
L’âme étreinte par une indicible émotion, il n’en put dire davantage. Il s’était effacé et André Lambert était au chevet de la jeune fille.
— Germaine, dit-il à son tour ; c’est fini… M. Guibeaud… Lucien… il a été d’une grandeur d’âme… Jamais je n’oublierai.
Il se pencha vers Germaine pour lui donner un baiser sur le front cependant que Pierre Dangel étreignait Lucien comme il eût étreint un fils prodigue retrouvé.
Alors Lucien Guibeaud se rapprocha :
— Germaine, prononça-t-il, ma petite cousine, sois heureuse. Oublie le mal que je t’ai fait. Tu me pardonnes, n’est-ce pas ?
— Oh ! oui, répondit Germaine. De toute mon âme, de tout mon cœur.