Fragment des instructions/Édition Garnier

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Fragment des instructions pour le prince royal de***


FRAGMENT DES INSTRUCTIONS
POUR
LE PRINCE ROYAL DE***
1752[1]

I.

Vous devez d’abord, mon cher cousin, vous affermir dans la persuasion qu’il existe un Dieu tout-puissant qui punit le crime, et qui récompense la vertu. Vous savez assez de physique pour voir que ces anciennes erreurs, qu’il faut le grain pourrisse[2] et meure en terre pour germer, etc., détruiraient plutôt l’idée d’un Dieu formateur du monde qu’elles ne l’établiraient. Vous avez appris assez d’astronomie pour être sûr qu’il n’y a ni premier ni troisième ciel, ni région de feu auprès de la lune, ni firmament auquel les étoiles soient attachées, etc., mais un nombre innombrable de globes disposés dans l’espace par la main de l’éternel géomètre. On vous a montré assez d’anatomie pour que vous ayez admiré par quels incompréhensibles ressorts vous vivez. Vous n’êtes point ébranlé par les objections de quelques athées ; vous pensez que Dieu a fait l’univers, comme vous croyez, si j’ose me servir de cette faible comparaison, que le palais que vous habitez a été élevé par le roi votre grand-père. Vous laissez les taupes enterrées sous vos gazons nier, si elles l’osent, l’existence du soleil.

Toute la nature vous a démontré l’existence du Dieu suprême : c’est à votre cœur à sentir l’existence du Dieu juste. Comment pourriez-vous être juste, si Dieu ne l’était pas ? Et comment pourrait-il l’être, s’il ne savait ni punir ni récompenser ?

Je ne vous dirai pas quel sera le prix et quelle sera la peine. Je ne vous répéterai point : « Il y aura des pleurs[3] et des grincements de dents, » parce qu’il ne m’est pas démontré qu’après la mort nous ayons des yeux et des dents. Les Grecs et les Romains riaient de leurs furies, les chrétiens se moquent ouvertement de leurs diables, et Belzébuth n’a pas plus de crédit que Tisiphone. C’est une très-grande sottise de joindre à la religion des chimères qui la rendent ridicule. On risque d’anéantir toute religion, dans les esprits faibles et pervers, quand on déshonore celle qu’on leur annonce par des absurdités. Il y a une ineptie cent fois plus horrible, c’est d’attribuer à l’Être suprême des injustices, des cruautés, que nous punirions du dernier supplice dans les hommes.

Servez Dieu par vous-même, et non sur la foi des autres. Ne le blasphémez jamais ni en libertin ni en fanatique. Adorez l’Être suprême en prince, et non en moine. Soyez résigné comme Épictète, et bienfaisant comme Marc-Aurèle.

II.

Parmi la multitude des sectes qui partagent aujourd’hui le monde, il en est une qui domine dans cinq ou six provinces de l’Europe, et qui ose se dire universelle[4], parce qu’elle a envoyé des missionnaires en Amérique et en Asie. C’est comme si le roi de Danemark s’intitulait seigneur du monde entier, parce qu’il possède un établissement sur la côte de Coromandel et deux petites îles dans l’Amérique.

Si cette Église s’en tenait à cette vanité de s’appeler universelle dans le coin du monde qu’elle occupe, ce ne serait qu’un ridicule ; mais elle pousse la témérité, disons mieux, l’insolence, jusqu’à dévouer aux flammes éternelles quiconque n’est pas dans

Elle ne prie pour aucun des princes de la terre qui sont d’une secte différente. C’est elle qui, en forçant ces autres sociétés à l’imiter, a rompu tous les liens qui doivent unir les hommes.

Elle ose se dire chrétienne, catholique, et elle n’est assurément ni l’une ni l’autre. Qu’y a-t-il en effet de moins chrétien que d’être en tout opposé au Christ ? Le Christ et ses disciples ont été pauvres ; ils ont fui les honneurs ; ils ont chéri l’abaissement et les souffrances. Reconnaît-on à ces traits des moines, des évêques, qui regorgent de trésors, qui ont usurpé dans plusieurs pays les droits régaliens ; un pontife qui règne dans la ville des Scipions et des Césars, et qui ne daigne jamais parler à un prince si ce prince n’a pas auparavant baisé ses pieds ? Ce contraste extravagant ne révolte pas assez les hommes.

On le souffre en riant dans la communion romaine, parce qu’il est établi dès longtemps ; s’il était nouveau, il exciterait l’indignation et l’horreur. Les hommes, tout éclairés qu’ils sont aujourd’hui, sont les esclaves de seize siècles d’ignorance qui les ont précédés.

Conçoit-on rien de plus avilissant pour les souverains de la communion soi-disant catholique que de reconnaître un maître étranger ? Car quoiqu’ils déguisent ce joug, ils le portent. L’auteur du Siècle de Louis XIV, que vous lisez avec fruit, a beau dire[5] que le pape est une idole dont on baise les pieds et dont on lie les mains, ces souverains envoient à cette pagode une ambassade d’obédience ; ils ont à Rome un cardinal protecteur de leur couronne ; ils lui payent des tributs en annates, en premiers fruits. Mille causes ecclésiastiques dans leurs États sont jugées par des commissaires que ce prêtre étranger délègue.

Enfin plus d’un roi souffre chez lui l’infâme tribunal de l’Inquisition, érigé par des papes et rempli par des moines : il est mitigé ; mais il subsiste, à la honte du trône et de la nature humaine.

Vous ne pouvez, sans un rire de pitié, entendre parler de ces troupeaux de fainéants tondus, blancs, gris, noirs, chaussés, déchaux, en culottes ou sans culottes, pétris de crasse et d’arguments, dirigeant des dévotes imbéciles, mettant à contribution la populace, disant des messes pour faire retrouver les choses perdues, et faisant Dieu tous les matins pour quelques sous, tous étrangers, tous à charge à leur patrie, et tous sujets de Rome.

Il y a tel royaume qui nourrit cent mille de ces animaux paresseux et voraces, dont on aurait fait de bons matelots et de braves soldats.

Grâces au ciel et à la raison, les États sur lesquels vous devez régner un jour sont préservés de ces fléaux et de cet opprobre. Remarquez qu’ils n’ont fleuri que depuis que vos étables d’Augias ont été nettoyées de ces immondices.

Voyez surtout l’Angleterre, avilie autrefois jusqu’à être une province de Rome, province dépeuplée, pauvre, ignorante et turbulente ; maintenant elle partage l’Amérique avec l’Espagne[6] et elle en possède la partie réellement la meilleure : car si l’Espagne a les métaux, l’Angleterre a les moissons que ces métaux achètent. Elle a dans ce continent les seules terres qui produisent les hommes robustes et courageux ; et, tandis que de misérables théologiens de la communion romaine disputent pour savoir si les Américains sont enfants de leur Adam, les Anglais s’occupent à fertiliser, à peupler et enrichir deux mille lieues de terrain, et à y faire un commerce de trente millions d’écus par année. Ils règnent sur la côte de Coromandel au bout de l’Asie ; leurs flottes dominent sur les mers, et ne craindraient pas les flottes de l’Europe entière réunies.

Vous voyez clairement que, toutes choses d’ailleurs égales, un royaume protestant doit l’emporter sur un royaume catholique, puisqu’il possède en matelots, en soldats, en cultivateurs, en manufactures, ce que l’autre possède en prêtres, en moines et en reliques ; il doit avoir plus d’argent comptant, puisque son argent n’est point enterré dans des trésors de Notre-Dame de Lorette, et qu’il sert au commerce, au lieu de couvrir des os de morts qu’on appelle des corps saints ; il doit avoir de plus riches moissons, puisqu’il a moins de jours d’oisiveté consacrés à de vaines cérémonies, au cabaret et à la débauche. Enfin les soldats des pays protestants doivent être les meilleurs, car le Nord est plus fécond en hommes vigoureux, capables des longues fatigues, et patients dans les travaux, que les peuples du Midi, occupés de processions, énervés par le luxe, et affaiblis par un mal honteux qui a fait dégénérer l’espèce si sensiblement que, dans mes voyages, j’ai vu deux cours brillantes où il n’y avait pas dix hommes capables de supporter les travaux militaires. Aussi a-t-on vu un seul prince du Nord[7], dont les États n’étaient pas comptés pour une puissance dans le siècle passé, résister à tous les efforts des maisons d’Autriche et de France.

III.

Ne persécutez jamais personne pour ses sentiments sur la religion : cela est horrible devant Dieu et devant les hommes. Jésus-Christ, loin d’être oppresseur, a été opprimé. S’il y avait dans l’univers un être puissant et méchant, ennemi de Dieu, comme l’ont prétendu les manichéens, son partage serait de persécuter les hommes. Il y a trois religions établies de droit humain dans l’empire : je voudrais qu’il y en eût cinquante dans vos États, ils en seraient plus riches, et vous en seriez plus puissant. Rendez toute superstition ridicule et odieuse, vous n’aurez jamais rien à craindre de la religion. Elle n’a été terrible et sanguinaire, elle n’a renversé des trônes, que lorsque les fables ont été accréditées et les erreurs réputées saintes. C’est l’insolente absurdité des deux glaives ; c’est la prétendue donation de Constantin ; c’est la ridicule opinion qu’un paysan juif de Galilée[8] avait joui vingt-cinq ans à Rome des honneurs du souverain pontificat ; c’est la compilation des prétendues décrétales faite par un faussaire ; c’est une suite non interrompue, pendant plusieurs siècles, de légendes mensongères, de miracles impertinents, de livres apocryphes, de prophéties attribuées à des sibylles ; c’est enfin ce ramas odieux d’impostures qui rendit les peuples furieux, et qui fit trembler les rois. Voilà les armes dont on se servit pour déposer le grand empereur Henri IV, pour le faire prosterner aux pieds de Grégoire VII, pour le faire mourir dans la pauvreté, et pour le priver de la sépulture ; c’est de cette source que sortirent toutes les infortunes des deux Frédéric[9] ; c’est ce qui a fait nager l’Europe dans le sang pendant des siècles. Quelle religion que celle qui ne s’est jamais soutenue, depuis Constantin, que par des troubles civils ou par des bourreaux ! Ces temps ne sont plus ; mais gardons qu’ils ne reviennent. Cet arbre de mort, tant élagué dans ses branches, n’est point encore coupé dans sa racine, et tant que la secte romaine aura des fortunes à distribuer, des mitres, des principautés, des tiares à donner, tout est à craindre pour la liberté et pour le repos du genre humain. La politique a établi une balance entre les puissances de l’Europe ; il n’est pas moins nécessaire qu’elle en forme une entre les erreurs, afin que, balancées l’une par l’autre, elles laissent le monde en paix.

On a dit souvent que la morale, qui vient de Dieu, réunit tous les esprits[10], et que le dogme, qui vient des hommes, les divise. Ces dogmes insensés, ces monstres, enfants de l’école, se combattent tous dans l’école ; mais ils doivent être également méprisés des hommes d’État ; ils doivent tous être rendus impuissants par la sagesse de l’administration. Ce sont des poisons dont l’un sert de remède à l’autre, et l’antidote universel contre ces poisons de l’âme, c’est le mépris.

IV.

Soutenez la justice, sans laquelle tout est anarchie et brigandage. Soumettez-vous-y le premier vous-même ; mais que les juges ne soient que juges, et non maîtres ; qu’ils soient les premiers esclaves de la loi, et non les arbitres. Ne souffrez jamais qu’on exécute à mort un citoyen, fût-il le dernier mendiant de vos États, sans qu’on vous ait envoyé son procès, que vous ferez examiner par votre conseil. Ce misérable est un homme, et vous devez compte de son sang.

Que les lois chez vous soient simples, uniformes, aisées à entendre de tout le monde. Que ce qui est vrai et juste dans une de vos villes ne soit pas faux et injuste dans une autre[11] : cette contradiction anarchique est intolérable.

Si jamais vous avez besoin d’argent, par le malheur des temps, vendez vos bois, votre vaisselle d’argent, vos diamants, mais jamais des offices de judicature. Acheter le droit de décider de la vie et de la fortune des hommes, c’est le plus scandaleux marché qu’on ait jamais fait. On parle de simonie : y a-t-il une plus lâche simonie que de vendre la magistrature ? car y a-t-il rien de plus saint que les lois ?

Que vos lois ne soient ni trop relâchées, ni trop sévères. Point de confiscation de biens à votre profit : c’est une tentation trop dangereuse. Ces confiscations ne sont, après tout, qu’un vol fait aux enfants d’un coupable. Si vous n’arrachez pas la vie à ces enfants innocents, pourquoi leur arrachez-vous leur patrimoine ? N’êtes-vous pas assez riche sans vous engraisser du sang de vos sujets ? Les bons empereurs, dont nous tenons notre législation, n’ont jamais admis ces lois barbares.

Les supplices sont malheureusement nécessaires : il faut effrayer le crime ; mais rendez les supplices utiles ; que ceux qui ont fait tort aux hommes servent les hommes. Deux souveraines[12] du plus vaste empire du monde ont donné successivement ce grand exemple. Des pays affreux, défrichés par des mains criminelles, n’en ont pas moins été fertiles. Les grands chemins réparés par leurs travaux toujours renaissants ont fait la sûreté et l’embellissement de l’empire.

Que l’usage affreux de la question ne revienne jamais dans vos provinces, excepté le cas où il s’agirait évidemment du salut de l’État.

La question, la torture[13] fut d’abord une invention des brigands qui, venant piller des maisons, faisaient souffrir des tourments aux maîtres et aux domestiques jusqu’à ce qu’ils eussent découvert leur argent caché ; ensuite les Romains adoptèrent cet horrible usage contre les esclaves, qu’ils ne regardaient pas comme des hommes ; mais jamais les citoyens romains n’y furent exposés.

Vous savez d’ailleurs que, dans les pays où cette coutume horrible est abolie, on ne voit pas plus de crimes que dans les autres. On a tant dit que la question est un secret presque sûr pour sauver un coupable robuste, et pour condamner un innocent d’une constitution faible, que ce raisonnement a enfin persuadé des nations entières.

V.

Les finances sont chez vous administrées avec une économie qui ne doit se déranger jamais. Conservez précieusement cette sage administration. La recette est aussi simple qu’elle puisse l’être. Les soldats, qui ne servent à rien en temps de paix, sont distribués aux portes des villes : ils prêteraient un prompt secours au receveur des tributs, qui est d’ordinaire un homme d’âge, seul, et désarmé. Vous n’êtes point obligé d’entretenir une armée de commis contre vos sujets. L’argent de l’État ne passe point par trente mains différentes, qui toutes en retiennent une partie. On ne voit point de fortunes immenses élevées par la rapine, à vos dépens, et aux dépens de la noblesse et du peuple. Chaque receveur porte tous les mois l’argent de sa recette à la chambre de vos finances. Le peuple n’est point foulé, et le prince n’est point volé. Vous n’avez point chez vous cette multitude de petites dignités bourgeoises, et d’emplois subalternes sans fonction, qu’on voit sortir de sous terre dans certains États où ils sont mis en vente par une administration obérée. Tous ces petits titres sont achetés chèrement par la vanité ; ils produisent aux acheteurs des rentes perpétuelles, et l’affaiblissement perpétuel de l’État.

On ne voit point chez vous cette foule de bourgeois inutiles, intitulés conseillers du prince, qui vivent dans l’oisiveté, et qui n’ont autre chose à faire qu’à dépenser à leurs plaisirs les revenus de ces charges frivoles que leurs pères ont acquises.

Chaque citoyen vit chez vous ou du revenu de sa terre, ou du fruit de son industrie, ou des appointements qu’il reçoit du prince. Le gouvernement n’est point endetté. Je n’ai jamais entendu crier ici dans les rues, comme dans un pays[14] où j’ai voyagé dans ma jeunesse : « Nouvel édit d’une constitution de rentes ; nouvel emprunt ; charges de conseiller du roi mouleur de bois, mesureur de charbon[15]. » Vous ne tomberez point dans cet avilissement, aussi ruineux que ridicule. On interdirait un comte de l’empire qui se conduirait ainsi dans sa terre ; on lui ôterait justement l’administration de son bien. Si les États dont je parle sont destinés un jour à être nos ennemis, puissent-ils se conduire selon des maximes si extravagantes !

VI.

Faites travailler vos soldats à la perfection des chemins par lesquels ils doivent marcher, à l’aplanissement des montagnes qu’ils doivent gravir, aux ports où ils doivent s’embarquer, aux fortifications des villes qu’ils doivent défendre. Ces travaux utiles les occuperont pendant la paix, rendront leurs corps plus robustes et plus capables de soutenir les fatigues de la guerre. Une légère augmentation de paye suffira pour qu’ils courent au travail avec gaieté. Telle était la méthode des Romains ; les légions firent elles-mêmes ces chemins qu’ils traversèrent pour aller conquérir l’Asie Mineure et la Syrie. Le soldat se courbe en remuant la terre, mais il se redresse en marchant à l’ennemi. Un mois d’exercice rétablit ce petit avantage extérieur, que six mois de travail ont pu défigurer. La force, l’adresse, et le courage, valent bien la grâce sous les armes. Les Anglais et les Russes sont moins parfaits à la parade que les Prussiens, et les égalent au jour de bataille.

On demande s’il est convenable que les soldats soient mariés ? Je pense qu’il est bon qu’ils le soient : la désertion diminue, la population augmente. Je sais qu’un soldat marié sert moins volontiers loin des frontières, mais il en vaut mieux quand il combat dans le sein de la patrie. Vous ne prétendez pas porter la guerre loin de votre État, votre situation ne vous le permet pas ; votre intérêt est que vos soldats peuplent vos provinces, au lieu d’aller ruiner celles des autres.

Que le militaire, après avoir longtemps servi, ait chez lui des secours assurés ; qu’il y jouisse au moins de sa demi-paye, comme en Angleterre. Un Hôtel des invalides, tel que Louis XIV en donna l’exemple dans sa capitale, pouvait convenir à un riche et vaste royaume. Je crois plus avantageux pour vos États que chaque soldat, à l’âge de cinquante ans au plus tard, rentre dans le sein de sa famille. Il peut encore labourer ou travailler d’un métier utile ; il peut donner des enfants à la patrie. Un homme robuste peut, à l’âge de cinquante ans, être encore utile vingt années ; sa demi-paye est un argent qui, bien que modique, rentre dans la circulation au profit de la culture. Pour peu que ce soldat réformé défriche un quart d’arpent, il est plus utile à l’État qu’il ne l’a été à la parade.

VII.

Ne souffrez pas chez vous la mendicité. C’est une infamie qu’on n’a pu encore détruire en Angleterre, en France, et dans une partie de l’Allemagne, Je crois qu’il y a en Europe plus de quatre cent mille malheureux, indignes du nom d’hommes, qui font un métier de l’oisiveté et de la gueuserie. Quand une fois ils ont embrassé cet abominable genre de vie, ils ne sont plus bons à rien ; ils ne méritent pas même la terre où ils devraient être ensevelis. Je n’ai point vu cet opprobre de la nature humaine toléré en Hollande, en Suède, en Danemark ; il ne l’est pas même en Pologne. La Russie n’a point de troupes de gueux établis sur les grands chemins pour rançonner les passants. Il faut punir sans pitié les mendiants qui osent se faire craindre, et secourir les pauvres avec la plus scrupuleuse attention. Les hôpitaux de Lyon et d’Amsterdam sont des modèles ; ceux de Paris sont indignement administrés. Le gouvernement municipal de chaque ville doit seul avoir le soin de ses pauvres et de ses malades. C’est ainsi qu’on en use dans Lyon et dans Amsterdam. Tous ceux que la nature afflige y sont secourus ; tous ceux à qui elle laisse la liberté des membres y sont forcés à un travail utile. Il faut surtout commencer à Lyon par l’administration de l’hôpital pour arriver aux honneurs municipaux de l’Hôtel de Ville : c’est là le grand secret. L’Hôtel de Ville de Paris n’a pas des institutions si sages, il s’en faut beaucoup ; le corps de ville y est ruiné, il est sans pouvoir et sans crédit.

Les hôpitaux de Rome sont riches, mais ils ne semblent destinés que pour recevoir des pèlerins étrangers. C’est un charlatanisme qui attire des gueux d’Espagne, de Bavière, d’Autriche, et qui ne sert qu’à encourager le nombre prodigieux des mendiants d’Italie. Tout respire à Rome l’ostentation et la pauvreté, la superstition et l’arlequinade.

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N. B. Le reste manque.



FIN DU FRAGMENT DES INSTRUCTIONS.


  1. Cette date a été mise par Voltaire ; mais elle est supposée. Le Fragment des instructions, etc., fut publié, pour la première fois, à la fin de juillet 1767. Dans l’édition originale, à la suite du Fragment, on avait placé plusieurs morceaux : 1° Du Divorce (c’est le Mémoire d’un magistrat, qui est au tome XVII, pages 68-70) ; 2° De la Liberté de conscience, article qui fait aussi partie du Dictionnaire philosophique (voyez tome XVIII, page 238) ; 3° la première Anecdote sur Bélisaire (voyez ci-dessus, page 109), avec la date du 20 mars 1767. Une autre édition encadrée, sous le millésime 1768, contient de plus la Seconde Anecdote sur Bélisaire (voyez ci-desus, page 169), et la Lettre de l’archevêque de Cantorbéry à l’archevêque de Paris. (B.)

    — Un prince, dans ce morceau, conseille un autre prince. Cet autre prince ne serait-il pas Frédéric-Guillaume, prince royal de Prusse, alors âgé de vingt-trois ans ? (G. A.)

  2. I. Cor., xv, 36.
  3. Matth., viii, 12.
  4. Voyez, dans le présent volume, l’Avis à tous les Orientaux.
  5. Voyez tome XIV, page 165.
  6. L’Angleterre et l’Espagne ne possèdent plus que quelques îles en Amérique. Les colonies anglaises du nord de l’Amérique sont devenues les États-Unis. Le Mexique et les autres colonies espagnoles du continent ont successivement, depuis le commencement de ce siècle, secoué le joug de la métropole. Le Brésil, qui était une colonie portugaise, est un État indépendant ; voyez tome XII, page 405.
  7. Frédéric II, roi de Prusse.
  8. Saint Pierre.
  9. Frédéric Ier, dit Barberousse, et Frédéric II ; voyez les Annales de l’Empire, tome XIII.
  10. Voyez tome XX, page 506.
  11. Voyez tome XXIII, page 494.
  12. Élisabeth et Catherine II ; voyez tome XX, page 535.
  13. Voyez tome XX, pages 313, 533 ; XXV, 557.
  14. La France.
  15. Voyez tome XIV, page 527 ; et XX, 260.