Fragments de philosophes néoplatoniciens/Avertissement (trad. Bouillet)

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Traduction par M.-N. Bouillet.
Hachette (p. xlv-l).
 
PRINCIPES
DE LA
THÉORIE DES INTELLIGIBLES
PAR
PORPHYRE

SUIVIS DE FRAGMENTS D’AMMONIUS ET DE NUMÉNIUS
POUR SERVIR D’INTRODUCTION À L’ÉTUDE DES ENNÉADES.
 
TABLEAU
Indiquant la concordance des numéros que portent les 44 paragraphes
DES
PRINCIPES DE LA THÉORIE DES INTELLIGIBLES
DANS LA TRADUCTION FRANÇAISE, DANS L’ÉDITION DE CREUZER
ET DANS CELLE D’HOLSTENIUS.


Trad. fr. Creuzer. Holsteinus. Trad. fr. Creuzer. Holsteinus
I XXXIX XXXIV XXIII XXII XXXIII
II VIII VIII XXIV XVII XVII
III IX IX XXV XVI XVI
IV XXVII XXVII XXVI XI XI
V XX XX XXVII XXV XXVI
VI XVIII XVIII XXVIII XIV XIV
VII XXIV XXV XXIX XIII XIII
VIII XIX XIX XXX XXX XXXI
IX VII VII XXI XLII XLIII
X XXI XII XXXII XLIV XLV
XI XXII XXIII XXXIII XV XV
XII X X XXXIV XXIII XXIV
XIII XII XII XXXV XLIII XLIV
XIV XXVI XXVII XXXVI XXXV XXXV
XV I I XXXVII XXXVI XXXVII
XVI II II XXXVIII XXXVII XXXVIII
XVII III III XXXIX XXXIX XL
XVIII IV IV XL XL XLI
XIX V V XLI XXXVIII XXXVI
XX VI VI XLII XXXVIII XXXIX
XXI XXVIII XXIX XLIII XXXI XXXII
XXII XXIX XXX XLIV XLI XLII

AVERTISSEMENT.

Parmi les documents dont la lecture est propre à faciliter l’étude des Ennéades de Plotin et à leur servir d’introduction, un des plus utiles est l’écrit intitulé Ἀφορμαὶ πρὸς τὰ νοητά[1] (Sententiœ ad intelligibilia ducentes), Principes de ta théorie des intelligibles. C’est, comme nous l’expliquons ci-dessous, un ensemble de morceaux qui ont été composés par Porphyre pour résumer ou pour commenter les livres les plus importants des Ennéades. Les Sentences (ἀφορμαὶ), dit M. Ravaisson[2], dans lesquelles est renfermé presque tout ce que nous savons de la doctrine de Porphyre sur la nature des principes, présentent en abrégé celle des Ennéades ; seulement il y règne, au lieu de l’obscurité ordinaire à Plotin, cette heureuse clarté qu’on remarquait dans tous les ouvrages de Porphyre, et les principes fondamentaux de la doctrine Néo-platonicienne y sont mis dans une lumière toute nouvelle. »

En 1548, P. Victorius fit paraître pour la première fois à Florence, à la suite du traité de Porphyre Sur l’Abstinence des viandes, et sous le titre Ἀφορμαὶ πρὸς τὰ νοητά, le texte grec de 28 paragraphes de cet ouvrage. Marsile Ficin les avait précédemment traduits en latin sous ce titre : De occasionibus sive causis ad intelligibilia ducentibus (Ficini opera, II, 870, Parisiis, 1641, ). Ces 28 paragraphes furent dans la suite publiés plusieurs fois, mais sans rien gagner en étendue, jusqu’à Holstenius, qui fit paraître, en 1630, une édition beaucoup plus complète de l’écrit de Porphyre dans un volume intitulé :

Porphyrii philosophi liber De vita Pythagoræ, ejusdem Sententiæ ad intelligibilia ducentes, De Antro nympharum quod in Odyssea describitur. Lucas Holstenius Hamburgensis latine vertit. Dissertationem De vita et scriptis Porphyrii[3], et ad vitam Pythagorae ; observationes adjecit. Ad Illustrissimum et Reverendissimum S. R. E. Card. Franciscum Barberinum. Romæ. Typis Vaticanis. MDCXXX.

Dans ce volume, les Principes de la théorie des intelligibles sont divisés en trois parties. La 1re (p. 59-79) comprend 33 paragraphes, I-XX, XII-XXXIII, XXXVI. Sur ces 33 paragraphes, il y en a 5 d’ajoutés par Holstenius à ceux qu’on connaissait avant lui, savoir IX, XIV, XV, XXXIII, XXXVI, qu’il a tirés de Stobée[4]. La 2e partie (p. 80-98) contient 6 paragraphes, XXXIV, XXXV, XXXVII-XL, tirés d’un manuscrit du Vatican (Secunda pars, quæ nunc primum ex Vaticano codice prodit). La 3e partie (p. 136-147) contient 5 paragraphes, XLI-XLV, tirés d’un autre manuscrit du Vatican (Alia appendix eruta ex M. S. codice, quem Cl. V. Aloysius Lolinus Bellunensis Episcopus Bibliothecæ Vaticanæ legavit). Il y a en tout 44 paragraphes (et non 45 comme on pourrait le croire en lisant la traduction d’Holstenius qui, en numérotant les paragraphes, a omis le numéro XXI). Les additions ainsi faites par Holstenius sont très importantes ; elles comprennent les morceaux les plus étendus et les plus précieux.

Depuis Holstenius, les Principes de la théorie des intelligibles, bien que réimprimés en 1855 à Cambridge, n’ont été l’objet d’aucun travail particulier jusqu’à M. Fr. Creuzer, qui les a publiés en tête de l’édition des Ennéades qui a paru chez M. A.-F. Didot à Paris, en 1855. Il a amélioré le texte grec en consultant l’édition de Cambridge et en se servant des connaissances spéciales que lui donnait son précédent travail sur Plotin. Malheureusement, et que cela soit dit sans manquer au respect que nous devons à cet illustre savant, il a encore laissé beaucoup à faire à ses successeurs. Il est loin d’avoir tiré parti de toutes les ressources qu’offrait l’étude du texte de Plotin pour corriger les imperfections des manuscrits. La ponctuation est restée vicieuse dans plusieurs endroits. La traduction latine n’a pas été mise en harmonie avec les améliorations qu’a reçues le texte grec, et on y retrouve des contresens qu’il eût été facile de corriger. Enfin, au lieu de grouper les paragraphes d’une façon rationnelle d’après l’analogie des matières et la liaison des idées, M. F. Creuzer les a laissés placés dans l’ordre tout fortuite de leur découverte, tels qu’ils se trouvaient dans Holstenius, en se contentant de rectifier les numéros des paragraphes[5].

Nous avons maintenant à rendre compte de notre propre travail.

D’abord, pour la traduction, nous nous sommes appliqué à la mettre en harmonie avec celle des Ennéades en rendant les termes techniques avec la plus grande fidélité qu’il nous a été possible Les pages que M. Ravaisson a consacrées à Porphyre dans son savant Essai sur la Métaphysique d’Aristote (t. II, p. 467-476), et surtout l’excellent travail de M. Vacherot sur ce même philosophe dans son Histoire de l’École d’Alexandrie (t. II, p. 11-55), nous ont été d’un grand secours.

Nous avons en outre essayé de résoudre deux questions importantes : 1o Quelle est l’origine et la destination des Principes de la théorie des intelligibles de Porphyre ? 2o Dans quel ordre convient-il de disposer les fragments qui composent cet écrit ?

I. Pour le premier point, nous trouvons dans la Vie de Plotin (§ 24, p. 32) des indications précieuses données par Porphyre lui-même sur la nature du travail qu’il fit en revoyant et en publiant les Ennéades : « Voilà, dit-il, comment nous avons distribué en six Ennéades les cinquante-quatre livres de Plotin. Nous avons ajouté à plusieurs d’entre eux des Commentaires sans suivre un ordre régulier (ϰαταϐεϐλήμεθα ϰαὶ εἴς τινα αὐτῶν ὑπομνήματα ἀτάϰτως[6], pour satisfaire quelques-uns de nos amis qui désiraient avoir des éclaircissements sur certains points. Nous avons fait des Sommaires (ϰεφάλαια) pour tous les livres, en suivant l’ordre dans lequel ils ont été publiés, à l’exception du livre Du Beau, dont nous ne connaissions pas l’époque. Du reste, nous avons rédigé non seulement des sommaires séparés pour chaque livre, mais encore des Arguments (ἐπιχειρήματα), qui sont compris dans le nombre des sommaires.

De ce passage, M. Fréd. Creuzer a déduit que les Principes de la théorie des intelligibles sont des débris soit des Commentaires, soit des Sommaires et des Arguments composés par Porphyre. À l’appui de son opinion, il dit qu’Olympiodore, dans son Commentaire sur le Phédon (p. 82, B), cite une phrase du § XLIV, en ajoutant qu’elle se trouve dans le Commentaire de Porphyre. En outre, il démontre que le mot Ἀφορμαὶ est l’équivalent de ἐπιχειρήματα[7].

Adoptant l’opinion de M. Fréd. Creuzer sur l’origine des Principes de la théorie des intelligibles, nous avons essayé d’en démontrer la vérité par de nouvelles preuves. Nous les avons cherchées dans le texte même que nous avions à traduire. En le comparant à celui de Plotin, nous sommes parvenu non seulement à indiquer à quel livre des Ennéades se rapporte chaque paragraphe de Porphyre[8], mais encore à signaler, dans les morceaux les plus étendus et les plus importants, les phrases que notre auteur emprunte littéralement à son maître pour les éclaircir et les commenter[9]. Par ces recherches, qui seront complétées dans les volumes suivants, s’il y a lieu, nous espérons avoir achevé un travail que M. Fréd. Creuzer n’avait qu’ébauché dans son Introduction[10] et qui était cependant nécessaire pour l’intelligence de l’œuvre de Plotin aussi bien que pour celle de Porphyre.

II. Les explications précédentes nous dispensent de justifier longuement l’ordre dans lequel nous avons rangé les 44 paragraphes qui composent les Principes de la théorie des intelligibles. Puisque ces morceaux étaient destinés soit à résumer, soit à expliquer la doctrine contenue dans les Ennéades, le seul ordre qui fût rationnel consistait à les disposer d’après le plan qui a été suivi par Porphyre lui-même pour classer les livres auxquels ils se rapportent. C’est aussi celui que nous avons adopté, en mettant en tête de ces fragments des titres propres à en montrer la destination et à en faciliter l’intelligence.

[11]Pour compléter cette introduction à l’étude des Ennéades, nous avons ajouté aux Principes de la théorie des intelligibles d’autres morceaux de Porphyre qui nous ont été conservés par Stobée et par Némésius, ainsi que des fragments précieux d’Ammonius Saccas et de Numénius, que nous avons extrait de Némésius et d’Eusèbe.

Eug. LÉVÊQUE.
FIN DE L’AVERTISSEMENT.
  1. Un manuscrit porte pour titre : Ἔφοδος εἰς τὰ νοητά, Introduction à la théorie des intelligibles.
  2. Voy. Essai sur la Métaphysique d’Aristote, t. II, p. 467.
  3. Ce travail a été refait, d’une manière plus complète et plus exacte, par le savant M. Val. Parisot : De Porphyrio tria tmemata. Parisiis, 1845, in-8°.
  4. Voici comment Holstenius s’exprime à ce sujet (p. 74) : « Illum librum nunc triplo auctiorem habes ex Vaticana bibliotheca, ubi hactenus delituit. Sed ne sic quidem integrum esse arguunt ea quæ Stobæus in Eclogas suas inde retulit et quæ a me priæe parti suo quæque loco inseruntur ; quorum tamen pleraque in Lolino codice postea reperi. »
  5. Pour trouver à quels numéros correspondent dans notre traduction les numéros que les 44 paragraphes de Porphyre portent dans l’édition de Creuzer, et ceux qu’ils portaient dans l’édition d’Holstenius, voyez le tableau placé en regard de cet avertissement, p. XLVI.
  6. Cette expression nous paraît fort bien caractériser l’absence de toute liaison qu’on remarque dans les Principes de la théorie des intelligibles.
  7. Proœmium in Porphyrii Sententias, p. XXVII de l’édition publiée par M. A.-F. Didot, et dont nous avons parlé plus haut.
  8. Voy. les notes placées au bas des pages de notre traduction.
  9. Ces phrases sont indiquées par des guillemets.
  10. Proœmium in Porphyrii sententias, p. XXVIII-XXX.
  11. Voici les titres des trois traités de Porphyre dont les fragments sont traduits intégralement ci-après :

    Des Facultés de l’âme :

    1o Des parties et des facultés de l’âme 
     p. lxxxviinote 3 ;
    2o De la mémoire 
     p. lxvii (note 3) ;
    De la Sensation 
     p. lxvii (note 1) ;
    Mélanges (Union de l’âme et du corps) 
     p. lxxvii (note 1).


    Les autres traités de Porphyre qu’on trouvera cités ou mentionnés dans ce volume sont :
    Lettre à Marcella 
     p. lii (note 3) ;
    Du précepte : Connais-toi toi-même. 
     p. liv (note 3), lxxxvi, (note 1) ;
    De l’Abstinence des viandes. 
     p. lx (note 1), 140 (note 3) ;
    Du Retour de l’âme à Dieu. 
     p. lxx (note ) ;
    Du Styx 
     p. lvii (note 4) ;
    De l’Antre des Nymphes 
     p. lxvi (note 1), cviii (note 3), 542 (note 5).


    (Macrobe a tiré de ce dernier traité le commencement du chapitre 12 du livre I de son Commentaire sur le Songe de Scipion.)