François Coppée (Verlaine)

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Œuvres complètes - Tome VVanier (Messein) (p. 294-299).


FRANÇOIS COPPÉE


J’aime François Coppée académicien, et je n’aime pas François Coppée académicien.

J’aime François Coppée académicien, parce qu’avec ses quarante-trois ans non encore sonnés (Paris, 26 janvier 1843), ce Parisien pur-sang pourtant de famille, de naissance et d’éducation, a bien l’esprit de suite, d’ordre et de méthode, qu’il faut toujours porter sur soi pour la défense contre la vie. Ô oui, qu’il l’a, alors, cet esprit triple et décuple, et cubé, et qui l’aura préservé de bien des choses, conduit à bien des succès, enfin maintenu dignement à des hauteurs littéraires et sociales où plus d’un de son âge perdrait un peu la tête ou tout au moins la tenue.

Dans ces conditions d’équilibre, Coppée devait faire, dès à présent, un plus que parfait académicien. Je le vois d’ici travaillant au Dictionnaire, défendant tel néologisme, combattant (bravo !) l’introduction dans la langue française de ce mot anglais-ci ou italien-là, toujours avec mesure mais fermeté. Je le vois ciselant un rapport, préparant un discours, s’intéressant aux demandes, réclamations et sollicitations qu’il faut, examinant, classant. D’un grand secours à ses collègues, par contre aux Lettres et, dans certains cas, à la Vertu, noble emploi d’un temps dérobé à la production du cabinet de travail.

Et puis Coppée a au suprême degré le don d’assimilation. Par ceci loin de moi la pensée de parler d’une assimilation littéraire quelconque. Coppée, au contraire, a, dès ses débuts, su être et rester lui-même, et ce lui est même très caractéristique. Il laisse à d’autres, moins fiers, de s’introduire dans la peau d’un grand poète ou reconnu tel et de vente, et de faire illusion !

Non, je veux dire que Coppée, en homme d’esprit, de tact et de goût, sait se faire tout à tous et brillera dans un salon aussi bien qu’il fera les délices d’une société de camarades, où, par sa manière judicieuse, amènera tout le monde à son avis ou presque, s’il s’agit d’un débat littéraire.

Dès lors, le ton, la démarche académiques ont dû tout d’abord être conquis par cet esprit d’élite, et les « Ducs » aussi bien que les princes du théâtre, de l’histoire et de la critique sont ses pairs non moins que ses collègues.

Mais je vous dois quelques détails plus précis et je remets à la fin de ceci mes raisons pour ne pas aimer François Coppée académicien. Lorsque l’éclosion définitive de son talent prit place au grand jour, notre poète se voyait employé au ministère de la guerre et vivait à Montmartre avec sa mère et sa sœur. Depuis la mort de la première, celle-ci ne quitta plus son frère et vit encore avec lui, célibataires tous deux, dans une jolie habitation de la rue Oudinot, où le poète jouit d’un jardin sérieux. Il n’a fait d’ailleurs en quelque sorte que revenir au nid, son enfance s’étant écoulée dans ces régions calmes et mélancoliques de notre tumultueuse capitale. Quelques poèmes d’une saveur vraiment nouvelle et d’une forme étonnante pour un débutant furent insérés au premier Parnasse contemporain, qui apprirent le nom du jeune homme à quelques lettrés. Le Reliquaire suivit (1866) et fut peu remarqué. Les Intimités (1867) n’eurent guère plus de succès. Il fallut la prodigieuse réussite du bijou, le Passant, pour appeler l’attention du public sur les œuvres antérieures de Coppée, qui, dès lors, ne cessèrent d’avoir une belle vente. Le poète était lancé. En 1870, il donnait aux Français les Deux Douleurs, un acte touchant où déjà perçait le Coppée futur qui venait de donner aussi sa note en librairie dans le poème Angélus et autres petits récits réunis sous le titre de Poème modernes.

Ici je m’arrête pour saluer en ces livres, le Reliquaire, force et grâce, mais grâce forte, un peu spadassine, très haute ; les Intimités, libres idylles, chaudes, et, si mièvres, pas si mièvres que cela ; le Passant, ardent oarystis dont le dénouement chaste est plus brûlant que tout autre imaginable ; des œuvres de premier ordre, passionnées, sans contorsions et d’une forme merveilleuse. Elles suffisent à mettre le poète au premier rang et lui feraient tout pardonner s’il y avait à pardonner. Elles le rendent digne, qu’on le sache bien, à elles seules trois, de s’asseoir là où Musset s’est assis !

Après la Guerre et la Commune, pendant lesquelles il avait fait réciter des à-propos pratriotiques. Lettre d’un mobile breton, Plus de sang, entre autres, Coppée quitta son ministère et entra à la Bibliothèque du Luxembourg qu’il devait également quitter pour devenir bibliothécaire du Théâtre-Français. Des dissentiments, je crois, l’obligèrent à ne pas garder longtemps cet emploi et c’est libre de toute occupation extérieure à la littérature que le voici enfin et pour longtemps.

Deux grands drames en vers, en outre de plusieurs recueils, les Humbles, le Cahier rouge, et de plusieurs petites pièces, l’Abandonnée, Fais ce que dois (1871), le Petit Marquis, en prose, avec M. A. d’Artois (1874), le Luthier de Crémone (1876), prouvèrent que Coppée n’était pas disposé à se reposer sur ses lauriers. Ces deux drames, dont le premier, Madame de Maintenon, malgré l’ingéniosité de l’intrigue, sombra presque dans l’indifférence (Louis Bouilhot avait dans Madame de Montarcy, indiqué autrement la figure curieuse de cette « Mère de l’Église ») et dont le second, Severo Torelli, fut un grand succès d’estime et de recettes, rappelèrent autour du nom de Coppée, non pas oublié, certes, mais un peu négligé depuis quelque temps, l’attention publique qu’il s’agissait de tenir en éveil du côté du théâtre, car il paraît que Coppée dirige maintenant son effort vers ce genre, exclusivement ou presque.

Et ceci m’amène précisément à dire pourquoi je n’aime pas Coppée académicien.

Pourquoi ?

Parce que j’ai peur que l’Académie ne nous gâte, à nous autres vrais amis de la gloire de l’auteur, ne nous énerve notre Coppée, comme le monde, les salons et des bravos incompétents, sans compter de sourds conseils de faux camarades, nous ont déjà gâté et énervé notre Coppée, d’à partir d’Angélus et des Deux Douleurs. Là, le mot est lâché, voilà pourquoi !

Ah, que Coppée cette fois, maintenant qu’il est son maître — plus d’ambitions, hein ? sinon, j’espère, celle d’être un grand poète le plus possible ? plus de risettes ni de visites, ni de soirées ruineuses d’estomac et de cervelles ? — que Coppée instruit par l’expérience ne gaspille plus talent, esprit, temps, dans de petites choses pour plaire (non à Madame, ceci fait des choses divines) mais aux DAMES — Ô les DAMES ! ces dames des soirées, des revues graves, des étalages de coiffeurs et des W. C. de chemins de fer ! Qu’il n’occupe pas ses heures aux discussions souvent abat-jour-vert et surannées du docte corps, et que le vernis, le poli du lieu n’aille pas dessécher à tout jamais sa veine ni sa verve.

Ah, Coppée, versez-nous, vous le poète fait, versez donc cet esprit aigu, parfois amer de votre conversation, et votre imagination toujours vive et fraîche et votre belle forme volontaire qui éclate jusque dans vos moindres productions, versez-nous tout cela dans des œuvres larges, viriles. Vous ne reviendrez pas, c’est clair, à la beauté de vos trois premières œuvres. Mais quelle force, quelle profondeur ! Vers ou prose, vers et prose, tentez tout. Laissez-nous tranquille avec votre habit vert. Fichez-nous la paix avec ce décorum dont vous riez sous cape et même un tantinet au grand jour.

Allons, vite, du beau, du bon, et beaucoup ! Vous nous devez tout cela, à nous vos vrais amis, vos vrais amis, entendez-vous ?