François Buloz et ses amis/02

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François Buloz et ses amis
Revue des Deux Mondes6e période, tome 44 (p. 803-847).
FRANÇOIS BULOZ
ET
SES AMIS

II [1]
ALFRED DE MUSSET ET GEORGE SAND
NOUVELLES « LETTRES DE VENISE »

En 1832, Alfred de Musset publia le Spectacle dans un fauteuil. Ce second recueil, venant après les Contes d’Espagne et d’Italie, n’eut qu’un médiocre succès. Voici ce qu’en écrivait J. S., critique aux Débats :

« Sur la foi de quelques feuilles indulgentes ou louangeuses, M. de Musset s’est mis en tête qu’il était poète au berceau, que ses moindres bégaiemens respiraient, sinon la plus pure, du moins la plus belle poésie, que rien ne pourrait détruire en lui cette nature poétique...

« Quidquid tentabam scribere, versus erat. Les Contes d’Espagne et d’Italie, que M. de Musset publia presque au sortir du collège accusaient en lui une verve chaleureuse, un goût assez peu formé, quelques intentions poétiques..., etc. » (Voilà tout ce que le chroniqueur accorde aux Contes d’Espagne et d’Italie. Quant au Spectacle dans un fauteuil, il l’apprécie encore moins. Ah ! c’est un critique sévère, ce J. S.) « M. de Musset devait s’attendre à trouver des juges, » et voici ce que dit ce juge : « M. de Musset, à nos yeux, n’est qu’un poète médiocre. » Après cette sentence, le pauvre poète médiocre doit subir encore quelques assauts ; et d’abord il imite Byron, c’est une imitation « assidue et persévérante. » Tout en critiquant, J. S. parle des « poèmes » de M. de Musset ; puis il s’arrête, et dédaigneusement : « C’est, je crois, le nom qu’on donne à ces compositions ? » Et il les traite plus loin de « poésie rocailleuse qui ressemble furieusement à de la mauvaise prose. » Bref, il n’aperçoit aucun salut pour le poète, hors du genre descriptif, « le genre descriptif de l’abbé Delille ! Non canimus surdis.» Et il termine en conseillant à la Muse de M. de Musset, qui n’a plus « qu’un reste de fraîcheur, » le voyage d’Italie [2].

Le plus piquant, c’est que ce J. S. est Jules Sandeau.

Cependant F. Buloz, toujours à la recherche des jeunes, et du génie des jeunes, avait suivi le poète depuis ses débuts, et lu le Spectacle dans un fauteuil : le livre lui plut. Il faut dire qu’il contenait : A quoi rêvent les jeunes filles, et Namouna.

« Il y avait quelqu’un, dit Emile Montégut, qui avait lu ce livre avec admiration, quelqu’un qui, pour avoir une opinion, n’attendait pas que le voisin la lui apportât. » Et l’opinion de la Revue fut celle de Sainte-Beuve, qui prononça : « Le Spectacle dans un fauteuil, que M. de Musset vient de publier, classe définitivement son auteur parmi les plus vigoureux artistes de ce temps. » Il trouve encore que « ces vers sont d’une telle qualité poétique que bien « des gens de mérite « arrivés à l’Académie (M, Delavigne, si l’on veut) n’en ont « peut-être jamais fait de ce ton [3]. » Pauvre M. Delavigne ! La louange, — cette louange-ci surtout, — fut douce au cœur du poète, et lorsque F. Buloz lui écrivit pour lui demander sa collaboration à la Revue, sa réponse fut André del Sarto, Henri Blaze remarque que c’est au plein de sa « défection romantique » que Musset apporta à Buloz son drame d’André del Sarto ; et il est assez plaisant, en effet, de noter que la Revue, créée au début du romantisme, presque sous sa protection, devint le refuge des dissidens, des « défroqués du romantisme ; , » comme Sainte-Beuve et Planche.

Dès lors, tout ce que Musset écrivit, sauf Lorenzaccio, Louison et Carmosine, fut publié par F. Buloz. D’ailleurs, par la suite, un attachement très sûr, fait d’admiration chez Fun, de reconnaissance chez l’autre, devait unir le directeur de la Revue à son poète préféré.

Paul de Musset rend hommage à l’amitié de F. Buloz quand il dit : « Tout ce que le poète nouveau offrit à la Revue y passa sans difficulté ; je dois même ajouter que son admission à la collaboration de ce recueil littéraire ayant éveillé des jalousies et donné lieu à des récriminations, le directeur prit sa défense et le maintint dans sa position avec une fermeté qu’il fallut pousser jusqu’à l’entêtement [4]. »

Au moment où il écrit dans la Revue pour la première fois, Musset a vingt-deux ans : pourrait-on deviner ces vingt-deux ans chez l’auteur de Namouna ?


Pauvres gens que nous tous ! Et celui qui se livre
De ce qu’il aura fait doit tôt ou tard gémir !
La coupe est là, brûlante, et celui qui s’enivre
Doit rire de pitié s’il ne veut pas frémir !
Voilà le train du monde, etc..


Cependant, quelque désabusé qu’il veuille paraître, sa jeunesse rayonne dans tout son génie ; et son ardeur à mépriser, à haïr, à aimer, puis à maudire et à désespérer, c’est sa jeunesse encore.

F. Buloz, qui était « attiré par les supériorités » et « sensible au talent à un degré extraordinaire, » ne pouvait pas ne pas ressentir l’attrait de cette nature, si richement douée. « Il avait voué à Musset une affection profonde. Quelle admiration émue lorsqu’il s’exprimait sur le génie du poète ! Quelle énergie à le défendre lorsqu’il le sentait attaqué [5] ! »

Musset le savait. Et puis, le poète, qui travaillait à ses heures, était toujours désargenté, La Revue n’était guère riche, pourtant son directeur ne savait rien refuser à Musset. Un contemporain a écrit : « On a souvent parlé de conditions coercitives, donnant donnant : « Apportez-moi une comédie, et vous aurez vos 500 francs... » Comme c’est connaître Musset que de croire qu’il eût plié sous un tel joug, lui, cet ombrageux, ce hautain, ce casseur, et cet indépendant jusqu’à la sauvagerie ! Le secret de l’influence de Buloz fut, au contraire, dans cette sollicitude et cette absolue confiance, manifestées dès l’origine. Ce rude homme savait, au besoin, être un brave homme [6]. »

Musset disait de F. Buloz : « Il a respecté ma vocation. Ces choses-là ne s’oublient point ; » et ses dettes (Dieu sait s’il en avait !) il ne consentait pas à ce que sa Muse les payât. F. Buloz eut le tact de lui « venir en aide, en lui laissant comprendre que tout se réglerait entre eux au petit bonheur, » et « comme il plairait à la vocation. » Bref, comme il avait été l’enfant gâté du Cénacle, il fut l’enfant gâté de la Revue.

Souvent, de bonne heure, F. Buloz recevait du poète des poulets de ce genre :

« Mon cher ami, vous m’avez proposé hier de m’envoyer quelque chose ; aujourd’hui, le pouvez-vous ?

« Votre très panier percé serviteur.

« A. DE MUSSET. »


« Je vous envoie ma cuisinière parce que mon gnome a un coup de poing sur l’œil. »

De tels billets, j’en possède en quantité. En voici quelques-uns qu’on lira avec plaisir : ils sont spirituels et amers, et gamins aussi, comme l’était si souvent Cœlio :


« Mon cher ami,

« Je suis gai ce matin comme une potée de cadavres : vous est-il possible de me donner cent francs pour me débarrasser d’une affaire très ennuyeuse, et passablement dégoûtante ? Ce serait un vrai service d’ami que vous me rendriez. Je vous dirai, à vous, quand je vous verrai, quelle (sic) est le sot ennui qui me décide à vous importuner ainsi, à mon grand regret [7].., »


Et encore :


« Mon cher ami,

« Cela vous sied-il aujourd’hui de m’envoyer notre reste de compte ? Je sors des horreurs des sangsues et des cataplasmes pour une bêtise que j’ai faite, c’est pourquoi je ne vais pas moi-même à la Revue

« A vous.

« A. DE MUSSET. »


Après une nuit de travail, sur du papier à chandelle, il griffonne :

« Voilà, mon cher, une pièce de bœuf que j’ai tirée de mes côtes cette nuit. Il faut, sacredieu, que ce soit pour vous. Il ne m’est guère arrivé d’en tant faire sans démordre. Je vais me coucher, la prose m’embête.

« A vous,

« A. DE MUSSET. »


Ou ceci :

« J’ai passé la nuit, et je suis éreinté.

« Voilà, c’est long. Mais je ne veux pas couper, ni rien changer. Arrangez-vous. Donnez-moi cinquante francs. Quand j’ai travaillé, il faut que je sorte, autrement cela ne va pas [8].

« A vous,

« A. DE MUSSET. »


Quelque admiration qu’il eût pour son poète, F. Buloz ne lui épargnait point les critiques, témoin ce billet d’Alfred de Musset :

« J’ai passé la nuit en votre honneur à refaire mes vers. Ne vous effrayez pas s’ils vous semblent un peu excentriques, je vous en prie, j’en brave les dangers [9] ! »

Le vrai reproche, le reproche fondamental, que faisait Buloz à Musset, c’était l’insouciance du poète, sa paresse. On se souvient de la réponse de Musset à ce sujet, réponse qui est dédiée au directeur de la Revue :


« Oui, j’écris rarement et me plais à le faire :
Non pas que la paresse en moi soit ordinaire ;

Mais, sitôt que je prends la plume à ce dessein,
Je crois prendre en galère une rame à la main. »
Qui croyez-vous, mon cher, qui parle de la sorte ?
C’est Alfred, direz-vous, ou le diable m’emporte !


Et la fin :


Après cela, mon cher, je désire et j’espère
(Pour finir à peu près par un vers de Molière)
Que vous vous guérirez du soin que vous prenez
De me venir toujours jeter ma lyre au nez[10] !


J’ai souvent interrogé ma mère au sujet d’Alfred de Musset ; elle avait gardé de lui, au fond de sa mémoire, deux images puériles et singulières, l’une du poète jeune, l’autre d’un Musset vieilli et attristé qu’elle ne pouvait oublier. Voici la première. Musset habitait alors rue de Grenelle.. Un matin, F. Buloz vint l’y voir avec sa petite fille ; la visite terminée, et en causant, le poète reconduisit son directeur rue des Beaux-Arts ; à son tour, Buloz ramena Musset rue de Grenelle ; bref, toujours discutant, les deux hommes firent le trajet plusieurs fois de suite : Musset et ses amis aimaient fort ce genre de promenade. Dans ces allées et venues sur le quai, la fillette avait remarqué une boutique de quincaillerie qui lui semblait la plus belle du monde ; il y avait là des petites casseroles brillantes, et quelques-unes étaient si mignonnes que sûrement c’étaient des casseroles de poupées ! Il y avait aussi des passoires, dont les formes étaient étranges, des moules, des cafetières, et des bouillottes de cuivre pansues et luisantes, qui s’alignaient sur le trottoir par rang de taille, et en flûte de Pan. Tout cela tentait l’enfant, et chaque fois que l’on passait devant la boutique, elle tirait son père par la main. Pour en finir, F. Buloz acheta une cafetière, qu’il donna à sa fille. Alors Musset rit, et dit à son ami : « Mon cher, vous avez une fille qui me semble avoir des dispositions bien déplorables pour les joies du ménage. »

Le second souvenir datait de moins loin. « Une fois, me disait ma mère, il y avait un diner à la maison, je m’étais faufilée dans la salle à manger pour tâcher de pincer un petit four avant qu’on ne desservît ; mais je m’arrêtai interloquée, car il y avait encore un convive attardé dans la pièce, un homme blond, beau, qui me sembla d’abord tout jeune, et à qui je trouvai l’air las et épuisé, après l’avoir regardé plus attentivement : je le verrai toujours, il tenait un verre, et il buvait lentement, la tête renversée en arrière, sa main tremblait : c’était Musset. »

L’image de ce Musset vieilli, dont la main tremblante tient un verre, n’est-elle pas saisissante ? Entre celui-ci et le blond Cœlio, auréolé de grâce et de jeunesse, poète de la légende, des années ont coulé ; la vie, si belle pour lui au début, l’a fait souffrir et blasphémer, et puis, dans sa vie, une femme a passé : — est-il besoin de la nommer ?


Il la rencontra pour la première fois à un diner offert à ses rédacteurs par F. Buloz, diner qui eut lieu chez Lointier, et non aux Frères Provençaux, comme on l’a tant de fois écrit. Depuis, tout les réunit, le hasard, leur désir, et enfin leur destinée : On n’échappe pas à sa destinée. Il est aussi difficile de séparer leur histoire, à cette époque, que de la séparer de celle de la Revue. F. Buloz joua souvent ici le rôle de confident et de Mentor, peu écouté, il est vrai ; il aimait fort les deux antagonistes, et les blâmait fréquemment tour à tour ; mais ils trouvèrent en lui cette chose rare et précieuse : un ami, car c’est à lui qu’ils eurent recours, quand leur amour sombra dans la détresse...

L’année 1833 avait apporté à la Revue la collaboration de George Sand.

Sa gloire se levait à peine. Elle habitait depuis peu de temps Paris, sur le quai Saint-Michel, dans un modeste cinquième, avec sa fille Solange. Elle commençait à écrire, sous le patronage un peu rude de Delatouche, rédacteur en chef du Figaro, et disait : « Si j’avais 1 500 francs de plus par an avec ma pension, je ne demanderais plus rien au ciel, — pas même une barbe [11]. »

En attendant, habillée en homme, elle court Paris avec ses amis, Delatouche, Sandeau, Alphonse Fleury ; elle mène une charmante vie de jeune étudiant ; elle a laissé au loin, dans le Berry, le fâcheux Dudevant ; elle se grise d’air et de liberté… De taille moyenne, plutôt petite, le teint mat, le menton un peu fuyant, les autres traits... mais les autres traits ne comptent pas... tout dans cette figure de femme est absorbé par les yeux : ils occupent, ils poursuivent, ils inquiètent ; ils sont immenses, noirs et impassibles ; les cheveux admirables.

Elle dit souvent d’elle-même qu’elle n’a pas de conversation, qu’elle est « bête. » La vérité est qu’elle est souvent absorbée ; alors son regard devient fixe : elle a ce regard, lourd et superbe, qu’Homère attribue à Junon : Ἥρα βοῶπις, Ma mère, qui l’avait bien -connue, ne se rappelait pas l’avoir vue habillée de cette redingote à la propriétaire, qui la travestissait [12] ; elle se souvenait, au contraire, d’une George Sand très féminine, très séduisante aussi. Elle la revoyait, le soir, à la Revue, dans le salon étroit que présidait, de la cheminée, un Esculape de bronze ; elle la revoyait avec des « anglaises » noires, et de fins souliers de satin, brodés de perles de couleur ; elle représentait, aux yeux de la petite fille, une élégance qui lui semblait un peu espagnole, et qui l’éblouissait.

Mais, lorsque la bonne avait oublié de fermer la porte du salon, cette Espagnole Se levait vivement, la fermait avec énergie, et appelait la bonne « sacrée bigresse ! »

George Sand, — Mme Sand, comme on l’appelait rue des Beaux-Arts, — fut la grande amie. En parlant de Loëve Weimars, on a dit : « Il fut avec Planche et Musset une des trois prédilections du cercle intime, étant admis que George Sand plane au-dessus. » On lira plus loin une partie de la charmante correspondance de l’écrivain et de Mme François Buloz. Celle-ci était souvent chargée de missions délicates auprès de George Sand : elle plaidait gentiment et bravement les causes de son mari. Ces deux femmes, si dissemblables comme existence, idées, croyances, et que le hasard réunit, eurent de l’affection l’une pour l’autre, et une admiration réciproque : Mme François Buloz révérait le génie de l’écrivain, — George Sand les vertus de son amie.

Plus tard, Jules Sandeau montrait à la petite Marie, fille de François Buloz, des photographies dans un album. Il tenait l’enfant sur ses genoux, et pendant qu’elle tournait les pages, il lui nommait les personnes qu’elle ne connaissait pas. L’image de George Sand passa ; alors Sandeau, d’un ton tragique : « Regarde bien cette femme, petite, regarde-la : c’est un cimetière, tu entends ? un cimetière ! » La petite fille entendit, mais n’y comprenait rien, naturellement.

Lorsqu’elle eut quinze ans, cette même petite fille, devenue une grande jeune fille, ayant sans doute recueilli sur l’écrivain beaucoup d’appréciations semblables, — et les comprenant mieux, peut-être, — se montrait, avec George Sand, assez froide : cet âge plein de grâce ignore l’indulgence. Alors, un jour, George Sand lui dit : « Ah ! je comprends ! on vous a parlé de moi ! » et doucement elle ajouta : « Plus tard, vous absoudrez ! » N’est-ce pas charmant ?

En 1832, — mai, — elle venait de publier Indiana. Valentine suivit quelques mois après. Gustave Planche fit dans la Revue du 15 décembre [13] un très élogieux article sur ces deux romans. Il écrivit : « Qui a fait ces deux livres ? Que signifie cette signature de George Sand ? » En vérité, n’en savait-il rien ? Et puis sur Valentine : « C’est un livre de femme, car c’est aux femmes seulement qu’il est donné d’avoir de l’esprit avec du cœur. » « Comme je ne travaillais pas encore à cette Revue, dit George Sand, l’hommage était désintéressé, et je ne pouvais que l’accueillir avec gratitude [14]. »

Bientôt Planche, sur l’instigation de F. Buloz, demanda à George Sand sa collaboration pour la Revue. « Je fis pour ce recueil Metella et je ne sais plus quoi d’autre. » — Et voilà vraiment une étonnante assertion, car ce « je ne sais plus quoi d’autre » représente toute son œuvre (l’a-t-elle oublié en écrivant l’Histoire de ma vie ?) sauf les romans qu’elle signa de 1841 à 1851, époque de sa rupture avec la Revue.

« La Revue des Deux Mondes, et la Revue de Paris se sont disputé mon travail, écrit-elle à sa mère en 1833. Enfin, je me suis livrée à la Revue des Deux Mondes pour une rente de 4 000 francs, trente-deux pages d’écriture. » 4 000 francs, soit ! Mais rapidement la situation changea, et j’ai retrouvé dans le dossier du procès Buloz-Sand, qui eut lieu plus tard, parmi de nombreux papiers, comptes, traités, lettres d’affaires, etc., une feuille volante, « Compte de Madame Dudevant depuis 1836, » relevé de sept mois tout à fait curieux et imprévu :

Le voici :

¬¬¬

Doit Avoir
Madame Dudevant redevait après le compte arrêté en avril dernier 8 769 1836.
1836. — Avril 19. A elle payé 500 Juin 30. 6e Lettre d’un voyageur 500
150 50 Août 1er, la Morte. 100
27 payé loyer 154 70 Nov. 15, 7e Lettre d’un voyageur 700
Mai 4, payé à la couturière. 92 _______
Son marchand de bois. 68 70 1300
Sa bonne 429 30 Redu par Mme D. 9 346 35
Juillet 1er, acheté la Physiologie végétale 18 ______
15, à elle payé 200 10 746 35
20, acheté l’Astronomie en 29 leçons 5 85
Août 2, payé un effet 172 30
12, à Maurice 20
18, à Maurice pour livres. 15
22, 12 portraits et port de lettres 51
24, payé à sa bonne 100
10 746 35

Cela se passait sans cérémonie : Maurice, la bonne, le marchand de charbon... Mais enfin nous sommes loin des 4 000 francs de rente du début.

Une grande partie de la correspondance de G. Sand et de F. Buloz a été enfermée par lui dans des chemises de papier blanc : chaque chemise porte une date d’année, et un commentaire concernant le contenu de cette correspondance. Une épingle ferme le tout.

Sur la première de ces liasses, F. Buloz a écrit : « G. Sand 1832. — Premières lettres. — C’est Planche qui la fait entrer à la Revue. Le premier arrangement pour le Secrétaire intime et Metella est du 23 novembre 1832 (ci-joint). »

Voici, je pense, une de ces premières lettres ;


« Monsieur,

« Je vous donnerai certainement un article pour le 1er février : jusque-là, je ne peux pas m’arracher de mon livre. Si je le faisais, mon travail se ressentirait de ma préoccupation, et nous désirons, vous et moi, que je vous fournisse la moins mauvaise chose possible.

« Vous concevez bien que j’accepte l’augmentation de salaire que vous m’offrez. Je n’aurais pas pu faire paraitre Trenmor après mon livre sans ennuyer, je crois, le public. Je ne me plains pas du tout de votre objection, elle ne me porte aucun préjudice, et je ferai toujours de mon mieux pour vous être agréable, utile surtout.

« J’ai l’honneur d’être, monsieur, votre servante.

« G. SAND. »


Puis vient l’année 1833. Il n’y a plus dans cette liasse-ci qu’une lettre commençant par « Monsieur. » La voici :

« Monsieur,

« J’étais fort malade hier, quand vous avez pris la peine de monter chez moi. Je ne sais pas si ma servante, qui est fort bête, vous aura fait toutes mes excuses. Recevez-les aujourd’hui, monsieur, et donnez-moi bientôt l’occasion de vous les renouveler.

« G. SAND. »


« J’ouvre ma lettre parce que je reçois la vôtre. J’accepte votre invitation avec reconnaissance. Si vous voulez venir demain dans la matinée, je vous attendrai. »


Après cela, il est clair que l’intimité se fait plus grande, entre le rédacteur et son directeur :

« Je vous remercie, mon cher Buloz, de votre empressement et de votre bonté. Je suis encore malade et je ne sais pas quand je pourrai quitter mon lit.

« J’accepterais bien volontiers vos offres obligeantes, pour le sixième concert, si je n’avais prié M. Planche de prendre deux places pour le même jour précisément, et de me donner le bras, etc. »

Ce mot est signé « George [15] ».

Sur la liasse de cette année 1833, de la main de F. Buloz encore, on lit « Dîner Lointier. Planche règne, première insertion, fragment de Lélia. Les demandes d’avances naissent, et vont leur train. » — Ces deux mots « Diner Lointier » soulignés prouveraient bien que le fameux dîner, où George Sand rencontra Musset pour la première fois, n’eut pas lieu aux Frères provençaux, mais chez Lointier [16]. C’est ce qu’affirmait d’ailleurs Sainte-Beuve ; il est vrai que le même Sainte-Beuve a écrit également que Musset n’assistait pas au repas ; pourtant la lettre de G. Sand, qui suit, semble assez claire. Sans nommer personne, elle remercie F. Buloz de l’avoir fait dîner en très bonne compagnie [17].


« Vendredi soir.

« Mon cher Buloz, vous savez pourquoi je ne vous ai pas donné ma Vieille Histoire [18]. Je ne l’ai pas trouvée assez sérieuse pour votre recueil, et je veux tâcher de faire, pour vous, quelque chose de mieux.

« Je vous remercie des choses bonnes et obligeantes que vous m’en dites, et je les prends pour une marque de votre bienveillance pour moi. J’aurai toujours un grand plaisir à vous voir quand vous passerez chez moi, et je vous promets de travailler pour vous, aussitôt après que j’aurai fini mon livre.

« Je ne sais pas quels remerciemens vous avez à me faire. Il me semble que c’est moi qui vous en dois, pour m’avoir donné un très bon dîner en très bonne compagnie ; j’en avais chargé Planche ; je ne sais s’il a fait ma commission. »


Ce livre dont elle parle, c’est Lélia, que l’éditeur Dupuy doit publier. F. Buloz a demandé des fragmens de Lélia pour la Revue, et l’auteur répond : « Dupuy tient beaucoup à ne pas voir paraître un fragment de mon livre, plus de quinze jours avant le jour de la mise en vente. Malheureusement, je n’aurai pas terminé le manuscrit du second volume de Lélia avant la fin d’avril. Dès que j’aurai fini, vous me trouverez disposée à vous laisser choisir un fragment complet qui puisse vous convenir [19].))

Des fragmens de Lélia parurent, en effet, dans la Revue des Deux Mondes, en avril de cette même année, 1833.

Nous ne pouvons pas, je crois, nous faire actuellement une idée des enthousiasmes, des indignations, des scandales, des discussions, des polémiques, dont Lélia, en 1833, fut la cause, à une époque où les événemens littéraires absorbaient et passionnaient la jeunesse française. Aussi Lélia, dans une société divisée et toute vibrante de libertés nouvelles, sembla-t-elle tantôt une œuvre de génie, tantôt un blasphème : pour tous, elle parut un défi aux mœurs et à la société.

Sur ce livre de Lélia, la presse se déchaîna. Ce ne sont que dithyrambes ou anathèmes : on adore ou l’on hait ; aucune opinion tiède ne se manifeste, aucun « juste milieu. » Je retrouve quelques pages de la main de Musset concernant Lélia [20]. Les voici, malheureusement tronquées :

« ... mélodramatique.

« Quoi qu’il en soit, ce livre n’en est pas moins l’ouvrage le plus important de l’école nouvelle. Il s’en distingue par une qualité éminente, la pureté du style et l’originalité de la forme. Il est écrit de verve, et il ne s’est glissé sur le tissu de cette belle étoffe aucun des fils, un peu épais, qui cousent la trame de nos drames modernes dans leurs pourpoints de pacotille. Certaines coteries ont prétendu que Lélia était l’étendard d’une levée en masse contre la littérature réelle, et qu’il ne s’y agissait de rien moins que de faire crouler tous les romans visibles (comme on dit) et une grande partie du moyen âge. Nous sommes obligés de déclarer, sur ce chapitre, ne comprendre absolument rien à des questions de cette nature.

« On dit que deux ou trois articles de ce livre ont donné lieu à des affaires particulières, entre quelques journalistes distingués ; nous ne pouvons que regretter de voir, chez les uns une fâcheuse habitude de faire descendre la critique à des personnalités qui devraient lui être étrangères, et chez les autres trop peu de philosophie dans un siècle de liberté ! »

Les affaires particulières, auxquelles Musset ici fait discrètement allusion, il s’y intéressa vivement, et surtout à celle du duel Planche-Capo de Feuillide, conséquence d’un feuilleton de Capo de Feuillide, rédacteur en chef de l’Europe littéraire, et auteur aussi de la fameuse Grande journée de Dieu en cinq coupes d’amertume et en vers. Ce duel passionna la société d’alors, et l’article vaut qu’on s’y arrête. Le roman en cause y est violemment critiqué, au nom de la morale, de la famille, etc. Ce morceau est un échantillon curieux de la mauvaise rhétorique du temps. D’abord l’auteur trouve, et très sérieusement, que notre littérature est en danger, il trouve aussi que cette œuvre nouvelle sent « la boue et la prostitution ; » il trouve... mais laissons-le parler. En secouant son glaive, il dit : « Il faudrait que les lèvres de la critique, comme celles du prophète, fussent purifiées par un charbon ardent, afin qu’il ne s’en échappât aucune parole devenue ignoble et dévergondée, au frottement des pensées ignobles et dévergondées. » Et, encore plus terrible, il poursuit ; « Le jour où vous ouvrirez le livre de Lélia, renfermez-vous dans votre cabinet (pour ne contaminer personne). Si vous avez une fille dont vous voulez que l’âme reste vierge et naïve, envoyez-la jouer aux champs avec ses compagnes. » Mêmes conseils pour une jeune femme : il faut l’éloigner aussi, l’envoyer au bal. « Car votre fille, loin de vous, ne courra pas autant de dangers que sous vos yeux, si ce livre lui tombait sous la main, et quelque légers que soient les propos nés de la liberté d’un bal, ils ne glisseront jamais autant de poison dans une âme, que les pages corrosives de Lélia [21]... » Et il y en a comme ça des pages !

Les amis de George Sand s’émurent en lisant cet anathème, Sainte-Beuve écrivit une lettre au National, — et Planche [22] se battit pour George ! Musset prit mal l’indignation de Planche et son intervention, car l’intervention revenait de droit à Musset… puisque...

George Sand écrit à Sainte-Beuve, le 25 août : « Je suis très insultée, comme vous savez, et j’y suis fort indifférente. Mais je ne suis pas indifférente à l’empressement, et au zèle, avec lequel mes amis prennent ma défense... »

Pourtant le zèle de Planche fut mal accueilli, car, à la suite des premières attaques, George Sand ayant eu l’idée, — assez bizarre en vérité, — « d’annoncer publiquement ses relations avec Alfred de Musset, » afin de trouver en lui sans opposition un défenseur à opposer aux attaques des journaux, Planche, en se substituant à ce défenseur « légitime, » devenait l’intrus, l’ours armé de son pavé malfaisant.

Planche avait d’ailleurs déploré la publicité donnée à cette liaison nouvelle. « Chacun de nous (les amis) pense qu’un aveu de ce genre, encourant les chances de publicité, peut porter un préjudice irréparable à l’avenir de George... » Alors ? « Pour prévenir autant qu’il est en nous les conséquences de cette démarche, un de mes amis et moi nous chargeons des deux insulteurs qui ont paru jusqu’à ce jour, Léon Gozlan et Capo de Feuillide. »

Le parti que prenait Planche : se battre pour éviter le scandale, semble médiocre... Un scrupule le saisit. Après avoir tonné un soir contre toute cette publicité, il a peur qu’on ne l’accuse de prendre trop à cœur « l’honneur de George, » et, le lendemain, il écrit à Sainte-Beuve :

« Promettez-moi, mon cher ami, de ne parler à personne absolument des paroles hautes et dures que j’ai prononcées hier soir devant vous.

« Si j’avais pour George Sand autre chose qu’une intense amitié, ma conduite d’hier serait une grossièreté : j’aurais l’air d’user d’un droit, comme un homme brutal, sans éducation. Ce droit, je ne l’ai pas, je ne suis que ridicule, mais le monde n’est pas obligé de savoir la vérité et ne s’en soucie guère.

« Notre amitié et la loyauté de votre caractère me font espérer que vous ne tromperez pas mon attente, et que vous serez discret. »

De son côté, Musset, mécontent de s’être laissé devancer, et mécontent de lui-même, après une conversation à la Revue, écrivait le lendemain au directeur :


« Mon cher Buloz,

« J’apprends que G. Planche et M. E. Regnault ont provoqué hier M. Capo de Feuillide, et l’un des rédacteurs du Figaro. Lorsque vous m’avez parlé de l’article qui a donné lieu à cette affaire, j’ignorais complètement que vous fussiez instruit de mes relations avec Mme Sand. J’espère que la manière un peu trop légère dont vous m’avez vu traiter cet article vous paraîtra toute simple de ma part, et que si, maintenant ou plus tard, on vous adressait quelques questions à ce sujet, vous voudriez bien répondre que mon intention était de me battre, et que j’ai été prévenu. Si vous voulez me rendre service, vous ajouterez même que je regarderais comme une insulte, aussi grave pour Mme Sand que pour moi, qu’on parût douter de ma détermination à cet égard, et qu’il me serait impossible de le souffrir, quelle que fût la personne qui le soutiendrait.

« A vous de cœur.

« ALFRED DE MUSSET [23]. »


En vérité, cette histoire est épique. Elle transforma en haine l’animosité de Musset pour Planche, animosité d’où sont nés ces quatre vers atroces :


Par propreté laissons à l’aise
Mordre cet animal rampant.
En croyant frapper un serpent
N’écrasons pas une punaise !


Et Planche se battit avec Capo de Feuillide... D’ailleurs, ce duel, — où F. Buloz fut l’un des témoins (assistant Planche), — ne fit pas couler de sang : il fit plutôt naître des chansons. On trouvera dans la Véritable histoire d’elle et lui, par Spoelberch de Lovenjoul, la « complainte » de Musset qui résume de façon plaisante toute cette ridicule aventure.

A la suite du duel, dont la presse se divertit fort, le Petit Poucet raisonna ainsi : « Si Lélia est de M. Sand, je ne sais trop à quel titre M. Planche s’est constitué le bravo, le majo de cet écrivain, A moins que M. Sand ne soit impotent ou cul-de-jatte, la conduite de M. Planche est incompréhensible. Si M. Sand est une femme, ce dont il est permis de douter en lisant Lélia, ce rêve de dévergondage et de cynisme, cette femme doit savoir peu de gré à M. Planche de l’avoir compromise par une démarche, beaucoup moins chevaleresque qu’inconséquente et irréfléchie [24]. »

Battez-vous donc pour vos amis !

Quelque temps avant le duel Planche, F. Buloz était allé à Londres pour les affaires de la Revue ; il s’y trouvait en juillet 1833. C’est à Londres, à la date du 4 juillet, qu’il reçut la lettre qu’on va lire, signée George Sand, mais écrite peut-être avec la collaboration de Musset. Quoi qu’il en soit, cette lettre renferme la première idée du Songe d’un Reviewer que Musset adressait à son tour a F. Buloz, en novembre de la même année : il serait curieux que cette première idée fût de George Sand.


« Mon cher Buloz,

« Avez-vous fait un bon voyage ? Etes-vous vivant, avez-vous oublié nos querelles, mes violences, vos fureurs, les rages de Planche, les grincemens de dents de Dumas, etc., etc. ? Nous nous sommes quittés comme une bande de chiens hargneux ; depuis ce temps, Planche a sommé Dumas de lui rendre raison. Dumas a tué Planche. Planche a fait son testament en votre faveur, et vous a légué ses œuvres complètes en 42 volumes, in-8, composées d’un discours sur la modération, d’un traité sur les ophtalmies, et d’une dissertation sur les racines grecques. Sainte-Beuve est sur le point d’épouser une jeune personne qu’il a enlevée ; M. Alfred de Musset s’est brûlé la cervelle après avoir perdu 37 000 francs au jeu. M. Ampère est parti pour l’Allemagne, M. Lacordaire pour l’Amérique du Sud : Barbier va épouser une lady et se fixer en Angleterre. M. de Vigny est devenu fou, et M. Magnin aveugle. Voilà ce que c’est que d’abandonner la Revue. Quand on revient, on ne trouve plus personne. Il ne vous reste plus que lord Feeling [25], qui est revenu d’Espagne, et le poète de Dieu [26] qui vient de faire paraître un très beau poème sur les étoiles fixes. Pour moi, je suis veuve. J’ai eu le bonheur d’enterrer mon mari, je suis rentrée dans la jouissance de mes biens, et suis décidée à ne plus m’occuper de littérature.

« Néanmoins, comme il me reste quelques dettes à payer, provenant du cher défunt, je vous prie, mon ami, de ne pas mettre en oubli l’affaire dont vous avez eu la bonté de vous charger, et de me dire si vous voyez quelque apparence de traité entre moi et les libraires de Londres.

« J’espérais que vous me donneriez de vos nouvelles ; mais n’en recevant point, je suis partagée entre le désir de terminer l’impression de mon livre, et celui d’attendre l’effet de vos démarches obligeantes,

« Recevez d’avance tous mes remerciemens, et faites-moi un peu savoir où en sont mes affaires extérieures. Je compte toujours sur votre bonne amitié.

« G. SAND [27]. »


On voit la parenté : elle est curieuse, et je transcris ici 1le Songe du Reviewer, pour qu’elle apparaisse mieux encore, à la suite de la lettre de George Sand.


Songe d’un Reviewer.

Buloz est sur la grève,
Pâle et défiguré ;
Il voit passer en rêve
Gerdès [28] tout effaré.

La matière abonnable
Se meurt du choléra.
L’épreuve est déplorable.
Il faut un errata.

Il voit son typographe
Transposer ses placards,
Des fautes d’orthographe
Errent de toutes parts.

Des lettres retournées
Flottent en se heurtant ;
Des lignes avinées
Dansent en tremblotant.

De tous côtés aboient
Des contre-sens obscurs,
Et les marges se noient
Dans les déléaturs.

Il pleut des caractères ;
Le 6 manque dans tous,

Et des pages entières
Boivent comme des trous.

Loëve a fait héritage
De quatre millions ;
Dumas meurt en voyage,
Faute d’impressions.

Dans les filles de joie
Musset s’est abruti ;
Ampère, en bas de soie.
Pour l’Afrique est parti.

Brizeux est à la Morgue,
Sainte-Beuve au lutrin ;
Quinet est joueur d’orgue
À Quimper-Corentin ;

Delécluze est modèle
À l’atelier de Gros ;
Roulin est infidèle
À ses choux les plus beaux.

George Sand est abbesse
Dans un pays lointain ;
Fontaney sert la messe
À Saint-Thomas-d’Aquin.

Fournier aux inodores
Présente le papier ;
Et quatre métaphores
Ont étouffé Barbier.

Cette nuit Lacordaire
A tué de Vigny ;
Lerminier veut se faire
Grotesque à Franconi ;

Planche est gendarme en Chine ;
Magnin vend de l’onguent ;
Le monde est en quine ;
Bonnaire n’a plus d’argent !!![29]

ALFRED DE MUSSET


Cette dernière pièce est restée longtemps en la possession de ma famille. Je n’en ai plus qu’une copie, de la main de F. Buloz, avec la date [30] et cette mention : « L’original, au crayon, entre les mains de Mlle Blaze. » Or, Mlle Blaze, fille de Castil-Blaze, fut fiancée à F. Buloz en 1835, deux ans après que la pièce fut écrite. L’original, que l’on conservait rue des Beaux-Arts, dans une boîte en fer-blanc, ma mère l’a vu cent fois, car on l’a lu et relu devant elle. Qu’est-il devenu ?

F. Buloz revint d’Angleterre à la fin de juillet 1833, et, dès son retour, George Sand annonce : « J’ai entrepris pour vous un petit roman. » Ce petit roman, qui « formera tout au moins six feuilles d’impression dans la Revue, » c’est Metella. Mais il semble que le romancier soit gêné, malgré ses offres, peut-être par d’autres engagemens, et hésite. Il y a un M. Trois-Étoiles qui l’incommode [31]. « Je crois que j’ai trouvé moyen d’arranger l’affaire que vous savez. Ne soufflez mot à personne. Il est nécessaire que M. Trois-Étoiles n’ait pas le moindre soupçon de mes projets ; ainsi n’ayez pas l’air d’avoir avec moi aucune relation d’affaires autres que celles de la Revue. »

Ensuite, ce mot concernant Metella encore :


« Mon cher Buloz,

« Apportez-moi les mille francs. Décidément je travaille pour vous. Mais n’en parlez pas. Je vous envoie de la copie et je vous prie de revoir mes épreuves. Je ne sais pas l’orthographe du mot Aix, ou Aixe [32]. »

Ceci est bien pour Metella, où il est question d’Aix, en Savoie. Et lorsque Metella est terminée (George y a travaillé toute la nuit), elle écrit tout de suite à F. Buloz, qui est devenu, on le voit, un véritable confident :


« Mon cher Buloz,

« Metella est finie. Nous avons soixante pages de mon griffonnage. Venez les chercher ce soir. Je ne vous les envoie pas, parce que je veux les relire à A..., qui dort comme un loir à l’heure qu’il est. Je vais en faire autant. Venez à six ou sept heures... Je veux vous proposer encore quelque chose, sans toutefois rien déranger à ce qui est convenu entre nous. »


Cette lettre est datée : 2, sept heures du matin [33].

Inutile d’indiquer qui est cet A..., qui dort comme un loir. « Malgré la discrétion à toute épreuve de leur confident, a écrit P. de Musset (et ce confident, c’était lui-même), on sut bientôt qu’Edouard et Olympe étaient enfermés ensemble [34]. » Et voilà F. Buloz, par la force des choses, dans l’intimité des deux amans. On a dit, on a écrit que, pendant cette période des premières félicités, ils ne travaillèrent pas plus l’un que l’autre.... Ceci, pour Musset, est peut-être exact ; mais George Sand, elle, ne cessa de travailler. On a vu qu’en septembre, et pendant le séjour à Fontainebleau, elle pensait à Metella, achevée le 2 octobre ; ce « petit roman, » comme elle dit, parut le 15. Puis, elle s’essaya dans la critique ; elle ne s’y plut guère, témoin la lettre au directeur de la Revue qu’on lira plus loin, écrite à la veille du départ pour l’Italie, le 11 décembre. Car nous touchons à l’époque du voyage à Venise. Une note de F. Buloz nous le dit : « 1833. 2e liasse. Metella. A. de Musset règne, départ pour Venise le 9 ou le 10 décembre 1833 [35]. Reçu de 4 000 francs pour ce voyage. »

Le mercredi 5, George Sand demande à F. Buloz de l’accompagner chez le commissaire de police, pour son passeport : elle s’apprête. Le lendemain, elle lui écrit encore :


« Mon cher Buloz,

« Alfred vient de s’informer du départ du bateau à vapeur de Lyon. C’est le jeudi et le dimanche seulement. Ainsi il faut que nous soyons à Lyon d’aujourd’hui en huit ; pour cela, il faut que nous partions d’ici lundi prochain ; autrement, nous ne serons point à Marseille le 15, et nous serons forcés d’y attendre jusqu’au 15 janvier le départ du bâtiment pour Gênes. Ainsi il faut que vous me donniez mes 5 000 francs dimanche, ou que je renonce à ce voyage. Car, si je passe encore un mois ici, j’aurai déjà dépensé presque la moitié. Donnez-moi donc une réponse définitive, je vous en prie. Puisque vous avez consenti à cet arrangement, que vous importe de le remplir quelques jours plus tôt ou plus tard ? Pour moi, c’est d’une telle importance que c’est à choisir entre partir tout de suite ou rester tout à fait. N’y mettez pas d’indolence, je vous en prie. Si vous ne voulez pas de ma nouvelle pour le prochain numéro, je vous l’enverrai plus tard... Allons, allons, mon petit Buloz, ne me négligez pas ; vous savez que moi, je suis de parole avec vous.

« Je vous envoie la fin de Quintilia [36]. Il n’y a pas un mot à changer dans le manuscrit, si ce n’est les fautes de français ; etc. Vous êtes plus capable que moi de vous en apercevoir, en corrigeant les épreuves [37]. »


Du 9 décembre, je trouve un reçu de 4 000 francs sur les 5 000 que F. Buloz a promis à George Sand, pour « un roman intitulé Jacques, que je dois lui livrer d’ici au 1er juin. » Enfin, deux jours après, le 11 décembre, cette lettre :


« Paris, 11 décembre 1833.


« Mon cher ami,

« Vous devez me prendre pour un gascon ou un peureux. Je suis pourtant plus à plaindre qu’à blâmer. Je me reproche de ne pas mieux reconnaître votre obligeance pour moi. Mais, pour la troisième fois, je viens de déchirer et de brûler les feuillets que j’avais écrits. J’ai essayé de la sculpture, de la peinture, de la littérature ; Phidias, Delaroche, B. Constant : chaque phrase que j’écris me semble imprimée pour la millième fois. Je garde mes derniers feuillets pour l’avenir. Je suis forcé d’en venir à mon premier projet. Je vous ferai pour le mois de janvier une très longue nouvelle, qui m’acquitte absolument, et je ne vous demanderai plus rien que le pistolet sur la gorge, c’est-à-dire manuscrit à la main... Pourquoi n’envoyez-vous pas à l’imprimerie la nouvelle levantine que je vous ai donnée ? Je corrigerais les épreuves. Adieu, ne m’en veuillez pas.

« Tout à vous.

« G. S. » [38].


Elle offre de corriger des épreuves... Mais elle part après-demain !

« Elle part avec Musset dans la malle-poste de Lyon, libre, (car Dudevant est en Berry avec Solange, et Maurice confié aux grand’mères) légère, heureuse, avide de voir et de connaître, hantée d’ailleurs, toujours, par le charme de cette Italie qui l’attire.

Loin de moi le projet de disserter, après tant d’autres, sur ce voyage célèbre ; il est impossible pourtant de le passer ici sous silence, car, après les jours heureux, vinrent les sombres jours d’amertume et de détresse, et les lettres de George Sand à F. Buloz sont là ; elles se suivent régulièrement depuis la maladie de Musset, en février 1834, et pendant le séjour de sa compagne en Italie.

Les voyageurs arrivèrent à Venise le 19 janvier ; à peine remise des fièvres qu’elle avait contractées à Gênes, George Sand travailla. Bientôt elle tomba de nouveau malade, et Musset à son tour. C’est alors qu’elle écrivit à F. Buloz les lettres qui suivent, conservées soigneusement rue des Beaux-Arts, et rue Saint-Benoît, et qu’on appelait les Lettres de Venise.


LETTRES DE VENISE

Ce n’est jamais sans émotion que je touche à ces Lettres de Venise [39] Leur mince papier jauni, plié tant de fois, et éraillé, renferme un parfum de fièvre et d’angoisse. On voit que la femme qui a tracé ces lignes pâlies était tremblante : son écriture même est incertaine, s’arrête soudain, et reprend brusquement, hachée et différente... On la sent frémissante, elle a peur, elle se lève vingt fois de sa table à écrire pour aller vers le lit où lutte son ami : une grande ombre est là, qui le menace... George Sand se penche, écoute, touche le front du malade, retourne écrire cette lettre, qu’elle a mis neuf heures à écrire ; dans sou trouble elle perd son style, elle oublie même parfois son orthographe :


« 4 février.

« Lisez quand vous serez seul !

« Mon chez Buloz, vos reproches tombent sur moi dans un triste moment. Si vous avez reçu ma lettre, vous savez déjà que jusqu’ici je ne les ai pas mérités. Enfin, depuis quinze jours j’étais bien et je travaillais, Alfred travaillait aussi, quoiqu’il fût un peu souffrant, et qu’il eût de temps en temps des accès de fièvre. Il y a environ cinq jours, nous sommes tombés malades à peu près ensemble. Moi d’une dysenterie qui m’a fait horriblement souffrir, et dont je ne suis pas rétablie, mais qui m’a laissé du moins la force de le soigner, lui d’une fièvre nerveuse et inflammatoire qui a fait des progrès rapides au point qu’aujourd’hui il est très mal, et le médecin déclare qu’il ne sait qu’en penser. Il faudra attendre au douzième ou treizième jour pour sa vie ! Et que sera le douzième ou treizième jour ? Le dernier peut-être ! Je suis au désespoir, accablée de fatigue, souffrant horriblement, et attendant quel avenir ?

« Comment voulez-vous que je m’occupe de littérature et de quoi que ce soit au monde, en ce moment-ci ? Je sais seulement qu’il nous reste pour fortune soixante francs, que nous allons dépenser énormément en pharmacie, en gardes malades, en médecins, etc., que nous vivons dans une auberge très chère. Nous allions la quitter et habiter dans une maison particulière. Alfred n’est pas transportable, et ne le sera peut-être pas d’un mois, en supposant tout au mieux. Nous serons forcés de payer un terme de loyer inutilement, et nous retournerons en France, s’il plaît à Dieu. Si mon malheur va jusqu’au bout, et qu’Alfred meure, je vous avoue que ce qui arrivera après, de moi, m’est assez indifférent. Si Dieu permet qu’Alfred se rétablisse, je ne sais avec quoi nous paierons les frais de sa maladie et son retour. Les mille francs que vous devez m’envoyer n’y suffiront pas. Et je ne sais comment nous ferons. Ne retardez pas du moins l’envoi de cette somme. Quand elle arrivera, elle sera plus que nécessaire. Je suis fâchée du désagrément que vous avez d’attendre votre publication, mais voyez si c’est ma faute. Si Alfred avait quelques jours de calme, je pourrais bien vite terminer mon travail. Mais il est dans un état d’agitation et de délire épouvantable. Je ne puis pas le quitter un instant, j’ai mis neuf heures à vous écrire cette lettre.

« Adieu, mon ami, plaignez-moi.

« GEORGE.


« Surtout, pour quelque raison que ce soit, ne dites à personne, à personne au monde, qu’Alfred est malade. Si sa mère l’apprenait (et il suffit de deux personnes pour dire un secret à tout Paris), elle en deviendrait folle. S’il faut qu’elle apprenne son malheur, se charge qui voudra de le lui apprendre. Mais si dans quinze jours, Alfred est hors de danger, il est inutile qu’elle se désole à présent. Adieu, tout à vous.

« Alfred se tourmentait beaucoup hier, pendant sa fièvre, de ce que vous n’aviez pas payé cette dette de 360 francs. C’était une dette de jeu, envers des gens assez grossiers, et qu’il connaît peu. Cela peut l’exposer à de mauvais propos de leur part. Et même plus tard à se battre. Je vous en prie, acquittez cette dette. Si j’avais le malheur de le perdre, soyez sûr que j’acquitterais toutes les avances que vous lui auriez faites, et celle-là n’est pas considérable.

« Il n’a plus le délire ce matin, mais il est accablé par la fièvre. Je crains qu’il ne soit plus mal. Je suis dans une incertitude affreuse. Il ne veut rien faire de ce que lui prescrit le médecin. Il prétend que ses remèdes lui font du mal [40]. D’une part, je crains que le traitement doux que je lui fais suivre ne suffise pas. De l’autre, je crains que les médecins d’ici ne soient des empiriques qui le tuent. Ah ! Quelle position ! Qu’est-ce que j’ai fait à Dieu ? »


« 13 février.

« Mon ami, Alfred est sauvé, il n’a pas eu de nouvelles crises, et nous touchons au quatorzième jour, sans que le mieux se soit interrompu. A la suite de l’affection cérébrale, il s’est déclaré une inflammation de poitrine qui nous a un peu effrayés pendant deux jours. Il y avait déjà un crachement de sang, mais les vésicatoires ont fait un très bon effet, et les médecins n’ont plus aucune inquiétude. Je ne serai tranquille, pourtant, que quand cet affreux quatorzième jour sera passé. Alors j’écrirai à sa mère ; jusque-là, une rechute est encore possible ; cependant, il y a tout à espérer que cela n’arrivera pas. Il est en ce moment d’une faiblesse extrême, et il extravague encore de temps en temps. Il demande des soins continuels, le jour et la nuit. Ainsi, croyez bien que je ne cherche pas de prétexte pour retarder mon travail. Il y a huit nuits que je ne me suis déshabillée, je dors sur un sofa, et à toutes les heures, il faut que je sois sur pied. Malgré cela, je trouve encore moyen, depuis que je suis rassurée sur sa vie, d’écrire quelques pages dans la matinée, aux heures où il repose. Et cependant, j’aimerais bien à en profiter pour reposer moi-même. Soyez sûr, mon ami, que ça n’est ni le courage ni la volonté qui me manquent. Vous ne désirez pas plus que moi que je remplisse mes engagemens. Vous savez qu’une dette me cuit comme une plaie. Mais vous êtes assez notre ami, pour avoir égard à ma situation, et pour ne pas me laisser dans l’embarras. Je passe ici de bien tristes jours, seule, auprès de ce lit où le moindre mouvement, le moindre bruit est pour moi un sujet d’effroi perpétuel. Dans cette disposition, je n’écrirai pas des choses bien gaies, et je ne brocherai pas des œuvres légères. Elles seront lourdes, au contraire, comme ma fatigue et ma tristesse.

« Ne me laissez pas sans argent, je vous en prie, je ne sais pas ce que je deviendrais. Je dépense vingt francs par jour en drogues de toute espèce. Nous ne savons comment le faire vivre. Il est tellement dégoûté de tout, qu’il faut changer sa boisson à chaque instant. Les médecins sont au bout de leurs inventions. On lui compose à chaque instant des sirops qu’il demande avec impatience, et dont il est dégoûté après y avoir trempé les lèvres.

« J’ai à payer deux médecins, qui font trois visites par jour, et qui, souvent, passent la nuit auprès de lui. Pour surcroît de dépense et de malheur, cette maladie nous cloue dans une auberge ruineuse [41], que nous étions à la veille de quitter. A peine sera-t-il guéri, qu’il voudra partir, car il a pris Venise en horreur, et s’imagine qu’il y mourra, s’il y reste. Pour subvenir à tout cela, je compte sur vos mille francs, et sur mille autres que j’emprunte à M. de la Rochefoucauld. Je reconduirai Alfred à Paris, et comme je n’aurai pour toute fortune que des dettes, j’irai sur-le-champ m’enfermer trois ou quatre mois en Berry où je travaillerai comme un diable. De cette manière, vous aurez Jacques dans le temps convenu. Et je vous enverrai, avant de quitter Venise, une nouvelle que vous pourrez mettre dans la Revue, et qui complétera nos deux volumes avec Metella.

« Fiez-vous à mes bonnes intentions, et prenez patience. J’ai besoin d’amitié maintenant, plus que de reproches. Je vous prie en grâce de payer la dette d’Alfred, et de lui écrire que c’est une affaire terminée. Vous ne pouvez pas imaginer l’impatience, et l’inquiétude, que cette petite affaire lui cause. Il m’en parle à tout instant, et me recommande tous les jours de vous écrire à cet égard. Il doit ces 360 francs à un jeune homme qu’il connaît peu, et qui peut s’en plaindre dans le monde. Alfred est très chatouilleux pour ces sortes de choses, et ne rêve déjà que soufflets à donner, et coups d’épée à échanger. Vous lui avez déjà fait des avances bien plus considérables, il s’est acquitté, et vous ne craignez pas qu’il vous fasse banqueroute. Si, par suite de sa maladie, il restait longtemps sans pouvoir travailler, soyez tranquille, mon travail subviendrait à cela. Faites-le donc, je vous prie, et écrivez-lui vite une petite lettre bien courte, et bien rassurante, que je lui lirai, et qui lui tranquillisera un des tourmens de sa pauvre tête [42]. Ah ! si vous saviez, mon ami, ce que c’était que ce délire ! quelles choses sublimes et épouvantables il disait, et quelles convulsions, quels cris ! Je ne sais pas comment il a eu la force d’y résister, et comment je ne suis pas devenue folle moi-même.

« Adieu, adieu mon ami,

« Tout à vous,

« GEORGE. »


‘ « Ne parlez pas encore de sa maladie, à cause de sa mère. »)


Un peu plus tard, dans une autre lettre, non datée, elle répète : « Alfred est sauvé, et va de mieux en mieux... je travaille beaucoup... » Et elle annonce, en effet, un manuscrit « assez considérable pour faire vingt feuilles d’impression, peut-être plus... » Elle envoie Leone Leoni et bientôt André... « que vous recevrez dans huit jours. »

« Il était fini aux trois quarts quand Alfred est tombé malade, mais la triste disposition d’esprit où je me suis trouvée alors, m’a rendu ce sujet tranquille et pastoral absolument impossible à traiter. Vous savez qu’on n’écrit pas comme on tourne une roue. J’ai donc fait Leoni en quatorze jours, j’ai passé plusieurs nuits, et je ne me suis pas épargnée. C’est pourquoi je me trouve très insultée par l’impatience brutale de M. Bonnaire [43]. Des gens comme cela vous verraient crever avec joie, pourvu qu’ils aient mille écus à gagner sur la sueur de vos veilles, et les frissons de votre fièvre. Mais n’en parlons plus. Cela heureusement ne nous regarde pas ; je jure bien que sans vous et l’amitié que vous m’avez toujours montrée, je romprais avec la Revue aussitôt que mes engagemens seraient remplis.

« Je vous disais donc que vous auriez André dans huit jours, et que vous le publieriez inédit. Quant à Leoni qui est moins long, à ce que je crois, vous devriez tâcher de le mettre en deux ou trois volumes dans la Revue. C’est une chose qui a beaucoup d’action et qui peut très bien supporter le morcellement. Quant au paiement, nous nous entendrons à l’amiable... Je vous prie seulement de m’envoyer mille francs à la réception de Leoni, et 500 à la réception d’André...

« Adieu, mon ami, remerciez pour moi Sainte-Beuve de la part qu’il a prise à mes chagrins, et demandez-lui, comme un véritable service à me rendre, de corriger les épreuves de Leone-Leoni, les fautes d’orthographe, les mots répétés, les phrases anti-françaises, les mots de mauvais goût, etc. Donnez-lui plein pouvoir en tout cela.

« S’il en est temps encore, faites ces mêmes corrections sur Melchior, et la Marquise.

« Adieu, mon ami, je tombe de fatigue et de sommeil. J’ai travaillé onze heures cette nuit. Si je ne tombe pas malade, et j’espère que non, car je me sens très forte en ce moment, je porterai à Paris au mois d’avril le premier volume de Jacques. Il est commencé, et j’y ai travaillé alternativement avec André, lorsque j’étais souffrante. Je vous remercie encore de votre intérêt, et je vous quitte pour aller avec M. Tattet au théâtre de la Fenice, où chantent Mme Pasta et Donzelli. Je n’y ai pas encore été depuis que je suis à Venise. Je commence seulement à pouvoir quitter Alfred une heure ou deux le soir pour prendre l’air. Il fait ici un temps délicieux, un clair de lune fantastique comme le style d’Ashaverus et Venise est belle comme Gerdès.

« Tout à vous,

« GEORGE. »


« Dès que vous aurez reçu le manuscrit, veuillez envoyer les 1 000 francs à M. Boucoiran, passage Choiseul, 18[44]. »


Alfred Tattet pendant ce temps est en effet passé à Venise, pour voir son ami malade. Il l’a trouvé bien faible, et de Florence, il écrit à Sainte-Beuve après cette visite[45] :

« Je ne sais quel bon génie m’a conduit à Venise, et m’a fait exécuter, par moi-même et d’inspiration, ce que votre lettre me recommandait avec tant d’instances.

« J’ai tâché, pendant mon séjour à Venise, de procurer quelques distractions à Mme Dudevant, qui n’en pouvait plus ; la maladie d’Alfred l’avait beaucoup fatiguée. Je ne les ai quittés que lorsqu’il m’a été bien prouvé que l’un était tout à fait hors de danger, et que l’autre était entièrement remise de ses longues veilles.

« Soyez donc maintenant sans inquiétude, mon cher monsieur de Sainte-Beuve, Alfred est dans les mains d’un jeune homme tout dévoué, très capable et qui le soigne comme un frère, etc. »

Ce jeune homme « tout dévoué, » c’est Pagello. Son personnage, en réalité assez effacé et falot, va changer le cours des choses ; il apportera avec lui le drame et la rupture. À cause de ce piètre Pagello, que de larmes versées, que d’anathèmes, de malédictions, et de sermens ! Et l’on s’étonne de voir ce paisible et honnête docteur-pharmacien « qui ne comprendrait rien à Lélia » causer de pareils tumultes. Mais il est venu à son heure, et George Sand lui a prêté toutes les séductions : c’est l’histoire habituelle de la passion. Pagello n’est rien que l’instrument du Destin ; pourtant, il a inspiré à Lélia une de ses plus belles pages : la lettre fameuse dans laquelle elle lui déclara son amour avec tant d’impétuosité qu’il en demeura « abasourdi : » « Nés sous des cieux différens, nous n’avons ni les mêmes pensées, ni le même langage : avons-nous du moins des cœurs semblables ?... Je sais aimer et souffrir, et toi, comment aimes-tu ? etc. »

On connaît la suite, et la suite aussi de ce malencontreux amour. Si je parle ici, après tant d’autres, de cette aventure, c’est pour y ajouter un document : les confidences que F. Buloz reçut de Musset après son retour en France, et qu’il nota, assez curieusement, sur le dos d’une lettre d’Alfred de Vigny. Celle-ci porte le timbre de la poste : Juin 1834. Cette lettre est sectionnée en deux parties ; l’une a été publiée déjà, l’autre, égarée, est restée inédite : elle est maintenant entre mes mains.

Voici les deux pièces :

... « à son retour, au sujet des recherches qu’on avait faites pour retrouver le docteur. Comme on voit, la confiance avait disparu entre les deux amans ; le soupçon tourmentait A. de M. ; souvent, il avait surpris des signes d’intelligence entre G. S. et le docteur ; il devinait jusqu’au moindre mouvement et ne ménageait pas G. S. « Tu es une catin, lui dit-il un jour ; tout mon regret, c’est de n’avoir pas mis 20 francs sur ta cheminée, le jour où je t’ai eue pour la première fois. » On se ferait difficilement une idée des cris, et de la violence des apostrophes à de pareilles scènes. Mais ce qui faisait le plus grand tourment de G. Sand, c’était l’instinct si profond avec lequel A. de Musset pénétrait le moindre signe, la moindre démarche. « J’ai en horreur les hommes qui devinent tout, » disait-elle. A. de M. eut bien à souffrir pendant cette maladie ; souvent il surprenait des caresses dérobées, de tendres attouchemens entre les nouveaux amans. Dès qu’il put se traîner, il se faisait presque porter à un café voisin, et abandonnait la place à l’amour naissant du docteur [46]. »

« Enfin, un matin à son lever, il découvrit dans une pièce voisine une table à thé servie encore, mais avec une seule tasse. «Tu as donc pris le thé hier soir ? — Oui, dit G. Sand, j’ai pris le thé avec le docteur. — Ah ! comment cela se fait-il, il n’y a qu’une tasse ? — On aura enlevé l’autre. — Non, on n’a rien enlevé, vous avez bu dans la même tasse. — Quand cela serait ! Vous n’avez plus le droit de vous inquiéter de ces choses-là''. — J’en ai toujours le droit, puisque je passe encore pour votre amant. Vous devriez encore au moins me respecter, et puisque je pars dans trois jours, attendez ce départ qui vous mettra si à l’aise ! »

« Le soir de cette scène, A. de M..., surprit G. S., accroupie sur le lit et écrivant une lettre ! « Que fais-tu là ? — Je lis, » et elle souffla la chandelle. — « Si tu lis, pourquoi éteindre la chandelle ? — Elle s’est éteinte d’elle-même, rallume-la. » A. de M. la ralluma en effet. « Ah ! tu lis, dis-tu et tu n’as pas de livre. Dis plutôt, infâme prostituée, que tu écris à ton amant ! » G. S. eut recours à ses cris ordinaires, elle voulut « s’échapper de la maison, A. de M. la devina : « Tu nourris une pensée horrible ; tu veux courir chez ton docteur, me faire passer pour fou (dire que je veux attenter à tes jours). Tu ne sortiras pas, je veux te garantir d’une lâcheté. Si tu sors, je te plaquerai sur ta tombe une épitaphe à faire pâlir ceux qui la liront, » lui dit Alfred avec une horrible énergie. G. S. pleura, et se plaignit ensuite de coliques.

« Je ne t’aime plus, disait Al. à G S. C’est le moment de prendre ton poison, ou de te jeter à l’eau.

« Aveu à Alfred de son secret sur le docteur ; rapprochement. — Départ d’Alfred. Lettres de G. S. tendres et enthousiastes. »

Est-ce bien le même Musset qui dit, méprisant. « Je ne t’aime plus, c’est le moment de te jeter à l’eau, » et qui écrit, le jour où il quitte sa maîtresse :

« Rien d’impur ne restera dans le sillon de ma vie où tu as passé. Celui qui n’a pas su t’honorer quand il te possédait, peut encore y voir clair à travers ses larmes, et t’honorer dans son cœur où ton image ne mourra jamais. Adieu, mon enfant [47]. »

Et elle répond :

« Adieu, mon petit oiseau...

« Je ne te dis rien de la part de Pagello, sinon qu’il te pleure presqu’autant que moi [48]. »

Cependant elle se remet petit à petit au travail ; elle voudrait aussi aller à Constantinople, du moins elle le croit ; mais avant de partir, il lui faut « remplir ses engagemens vis-à-vis de Buloz. » — Elle n’a pas encore touché à André, car il y a bien peu de jours qu’elle a la force de travailler ; pourtant, Jacques est commencé : « Dis-le à Buloz, » écrit-elle à Musset, et en attendant que le courage revienne, elle « fume des pipes de quarante toises de longueur, et prend pour 25 000 francs de café par jour. » Enfin, le 6 mai, elle écrit de Venise :


« Mon cher Buloz,

« Je vous envoie la fin d’André. Je vous l’ai fait un peu attendre, parce que ce roman s’est prolongé au delà de ce que je croyais, et parce que j’ai eu dans la tête des choses un peu plus sérieuses que tous les romans du monde. Rassurez-vous, ce sont des choses qui n’arrivent pas tous les jours dans la vie, et mon travail n’en souffrira plus. Jacques est assez avancé, et avant la fin du mois vous en recevrez une bonne partie. Je vous prie de vous entendre avec Alfred pour le payement de mes quatre volumes de petits romans. J’ai besoin d’argent tout de suite, un peu ici, et beaucoup à Paris. Alfred vous dira cela.

« Alfred aura, je crois, la charité de corriger mes épreuves avant de mettre sous presse la dernière portion du manuscrit que je vous envoie. Faites-la-lui lire, je vous prie, afin qu’il corrige et retranche ce qui serait trop bête. Écrivez-moi et parlez-moi de lui, dites-moi au vrai si sa santé est aussi bonne qu’il me l’assure.

« Avec Jacques je vous enverrai des lettres sur l’Italie que je vous prierai de me payer tout de suite, parce que je n’aurai plus que ça pour vivre en attendant que Jacques soit fini. Je vous en ferai une par mois. Cela vous convient-il ?

« Adieu, mon ami. Dites à Sainte-Beuve que je lui ai écrit une longue lettre, et qu’en la relisant, je l’ai trouvée si maussade et si ennuyeuse, que je l’ai déchirée. Dites-lui qu’il serait bien bon de m’écrire deux ou trois lignes de souvenir. Je suis triste, cela me ferait du bien. Adieu, mon cher, êtes-vous content de vos affaires, de votre santé et de votre ami [49] ?

« GEORGE S. »


Cependant F. Buloz a reçu le manuscrit qu’elle lui a envoyé par Musset ; tout de suite, il l’a lu et fait lire à ses amis ; enthousiasmé de cette lecture, il lui écrit :


« Mon cher George,

« Alfred m’a remis vos fragmens de lettres. Nous n’y avons retranché que quelques mots, et le tout paraît dans le numéro d’aujourd’hui [50]. Vraiment, mon cher George, vous êtes en progrès. Comme cela est poétiquement et vigoureusement écrit !... Le monde ne vous rend pas encore la justice que vous méritez ; vous serez grande dans l’avenir. Leoni, si beau, si saisissant, a suscité des cris d’enthousiasme et de colère, tout à la fois. On a crié à l’immoralité vraiment ; d’un autre côté, on dit que c’est ce que vous avez fait de plus vigoureux, de plus fort. Laissez dire et marchez : l’envie et la pruderie ne doivent pas arrêter une âme comme la vôtre. Ni l’enthousiasme, ni la critique ne doivent avoir grande prise sur vous. Continuez à marcher dans votre indépendance et votre individualité ; le seul frein mis à votre pensée devra l’être par vous-même ; qui pourrait se permettre de guider un tel essor ? Continuez, mon cher poète, et ne vous inquiétez pas de la foule envieuse et stupide.

« Je vous écris sous l’impression d’enthousiasme que m’inspire une organisation comme la vôtre. Ne vous moquez pas de moi, c’est un ami sincère qui vous parle, et qui serait heureux que vous vissiez en lui autre chose que votre éditeur, c’est-à-dire un ami dévoué. J’espère que cela sera un jour. Mais quand reviendrez-vous ? Je désire votre retour, et cependant je ne puis désapprouver votre résolution de rester là-bas jusqu’au mois de septembre, si vous y êtes heureuse...

« Puisque vous avez commencé des lettres sur vos voyages, j’espère que vous m’en enverrez d’autres. C’est un cadre assez heureux pour placer toutes vos sensations. Continuez donc.

« Et André ? et Jacques ? Adieu, mon cher George , comptez sur moi pour tout ce qui dépendra de moi. Mais diable, écrivez-moi un peu plus souvent. Vous faites la paresseuse.

« Tout à vous,

« BULOZ. »


« Sainte-Beuve me charge de vous faire ses amitiés. Alfred va bien, et vous [51] ? »

« Alfred va bien » était, je pense, pour la rassurer : mal remis de la maladie qui l’avait terrassé en Italie, Musset était reparti pour la France, le 29 mars, et avait averti sa mère de son retour par ce billet :

« Je vous apporterai un corps malade, une âme abattue, un cœur en sang, mais qui vous aime encore[52]. »

Et Mme de Musset lui écrivait : « Oh ! mon pauvre fils, mon pauvre fils ! Quel fatal voyage tu as fait là !… J’ai une bien grande reconnaissance pour Mme Sand et pour tous les soins qu’elle t’a donnés. Que serais-tu. devenu sans elle ? »

Dans les lettres de George Sand, de Venise, pas un mot à son ami Buloz, de la rupture avec Alfred de Musset ; pas un mot, naturellement, de Pagello non plus : on pourrait croire que Musset est revenu en France pour se remettre, et qu’elle-même est restée à Venise uniquement pour travailler. Mais toujours à la fin de ses lettres : « Ecrivez-moi à M. Pagello Farmacia Ancillo Piazza San Lucca (pour remettre à Mme Sand) ; de cette manière, si je suis en voyage, vos lettres ne s’égareront pas. »

Cependant, l’existence que mène George Sand à Venise pendant ce temps est loin d’être monotone. Elle l’a décrite dans une lettre à Musset avec une charmante franchise :

« Je suis entre une existence qui n’est pas bien finie, et une autre qui n’est pas encore commencée. J’attends, — je me laisse aller au hasard, je travaille, j’occupe mon cerveau, et je laisse un peu reposer mon cœur. »

Elle a loué un appartement « un primo piano, » et là, elle organise sa vie modestement : les locataires qui sont ses amis l’aident à clouer ses rideaux, elle a eu « la main-d’œuvre pour rien. »

« Pagello est dehors toute la journée et s’endort méthodiquement sur le sofa après le diner, » — et plus loin : « Le brave Pierre n’a pas lu Lélia, et je crois qu’il n’y comprendrait goutte. Je me laisse régénérer par cette affection douce et honnête. Pour la première fois, j’aime sans passion[53]. »

Mais à la fin de sa lettre, lasse déjà sans doute d’aimer sans passion, elle ajoute : « Oh ! nous nous reverrons, n’est-ce pas ? »

Pendant ce temps, et malgré les orages qui ont bouleversé son cœur et sa vie, avec acharnement, avec régularité et suite, nuit et jour, elle écrit. Elle a besoin de travailler, car elle n’a plus d’argent, et elle a promis des manuscrits à Buloz... Successivement elle lui enverra les deux Lettres d’un voyageur, elle finira André, et aussi Jacques. Elle a écrit Leone Leoni en quatorze jours, au milieu des angoisses que lui a causées la maladie de son amant. Nous nous la figurions brisée par ses émotions passées, hésitante au seuil d’une nouvelle vie, cherchant dans le travail une discipline morale... Il n’en est rien. Il est vrai qu’elle a des heures d’accablement ; elle pousse alors des cris de détresse vers « son petit oiseau ; » mais la nouvelle vie qu’elle s’est créée, pour bizarre et inattendue qu’elle soit, ne lui déplaît pas.

Le 30 mai, de Venise, George Sand écrit à F. Buloz :


« Mon cher ami,

« Je vous envoie la moitié du premier volume de Jacques.

« Dans trois jours, vous recevrez une seconde Lettre sur l’Italie ; elle est prête. Le 20 juin, vous recevrez la suite de Jacques, vous pouvez donc commencera le mettre sous presse.

« Vous devez avoir reçu la fin d’André. Vous voyez que je suis aussi exacte qu’il est humainement possible de l’être, avec tous les chagrins et les malheurs que j’ai eu à supporter.

« Dans ce moment, je suis horriblement inquiète de mon fils, dont je n’ai pas eu de nouvelles depuis deux mois. Tâchez de m’en donner. J’en demande à tout le monde ; personne ne s’en soucie. Je n’en suis pas plus gaie pour cela. »


Car, au milieu de tout cela, c’est une très bonne mère.

A Musset, elle écrit : « Je suis triste de n’avoir pas ma fille.

« Qu’est-ce donc que cet amour des mères ? C’est une chose mystérieuse pour moi. ; »

Elle n’ose pas demander à son amant d’aller voir Maurice à sa pension, parce qu’elle craint que cela ne le trouble ; mais à Buloz elle écrit, le 14 juin, de Venise :

« Arrangez-vous de manière à ce que je puisse bientôt vous donner une poignée de main, et embrasser mon enfant, que je suis malade de revoir. En remettant les 1 000 francs à Papet pour M. de la R... F..., dites-lui, je vous prie, qu’il les remette à lui-même, mais qu’il refuse un reçu, au cas où M. de la R... voudrait lui en donner un.

« Je vous enverrai ou je vous porterai une nouvelle vénitienne. Ayez de l’argent, car je travaille ; mais, pour Dieu, sachez ce qu’est devenu Boucoiran. Ayez la bonté de faire passer la lettre ci-jointe à M. mon fils. Si vous aviez la bonté de le voir quelquefois le dimanche ou le jeudi, de midi et demi à une heure, et de lui porter quelque bâton de sucre d’orge ou quelque poignée de cerises, de ma part, vous me feriez bien plaisir...

« Adieu, soyez un brave Buloz, et comptez sur le zèle de votre ami George. »

Et le 5 juin :

« Mon cher Buloz, je vous envoie la seconde Lettre sur l’Italie ; comme elle est adressée à Alfred, j’aurais beaucoup de plaisir à ce qu’il la lût le premier ; mais comme, dans sa dernière lettre, il me mandait qu’il était prêt à partir pour les eaux d’Aix, je crains qu’il ne soit déjà plus à Paris, et je vous la fais passer, pour que vous ayez l’obligeance de la lui remettre. Après quoi vous la ferez paraître dans le numéro du 15 juin, si cela vous convient... Tenez vos comptes avec moi en règle, car nous sommes loin l’un de l’autre, et l’un de nous peut crever, — passez-moi l’expression, — avant de les avoir terminés. Vous avez dû recevoir le commencement de Jacques. Vous recevrez la suite le 20.

« Si Alfred n’est plus à Paris, ouvrez le paquet et mettez le manuscrit que je vous envoie sous presse. Faites-y les corrections de langue et d’orthographe qui seront nécessaires.

« Adieu, mon ami. Ayez la bonté de faire jeter le billet ci-joint à la poste.

« Mille amitiés.

« Tout à vous.

« George [54]. »

« 5 juin 1834.

« Je n’ai pas entendu parler des 500 francs que vous avez remis pour moi à B... »

Cette seconde Lettre sur l’Italie, dès sa réception, fidèlement, F. Buloz la porte à Musset ; et il se met à la lui lire. Mais Musset la lui arrache des mains. Buloz ne comprend rien à cette lettre, et dit à Musset : « Qu’a-t-elle donc ? Comme cela est triste !... Mais vous ne l’avez pas quittée ? Vous ne l’avez pas abandonnée ? »

Le 26 juin, toujours de Venise, elle écrit encore :


« Je veux être à Paris (sans la fièvre) le 16 août, jour de la distribution des prix. Mon fils est un des fameux de sa classe, jugez quel chagrin pour lui et pour moi si je n’assistais pas à ses petites gloires ! Je tiens plus à cela qu’à toutes celles qu’on me promettrait pour moi-même. Soyez un bon Buloz, et non un monstre furieux, comme je vous ai vu quelquefois...

« On me mande que vous avez acheté la Revue de Paris et que vous avez fait une mauvaise affaire en cela. Est-ce vrai ? On me dit que M. Sandeau publie des articles dans ladite Revue ; si c’est maintenant à vous qu’il a affaire, je désire de tout mon cœur que vous lui soyez utile, et comme c’est un homme d’esprit, vous ne vous en repentirez pas, mais j’espère que vous ne lui laisserez point signer du nom de Sand, c’est un nom qui m’appartient, même avec l’initiale de J ou le prénom de Jules. Car j’ai fait, en grande partie, le peu de choses publiées sous ce nom de J. Sand. Il aura, je pense, assez de raison et de fierté pour changer sa signature littéraire, mais au cas où il serait mal conseillé, faites-le-lui sentir, si vous avez quelque, rapport avec lui.

« Adieu, mon ami, vous aurez la fin de Jacques le 15 juillet, si la chose est humainement possible, et au plus tard le 20.

« Tout à vous.

« GEORGE [55]. »


Cependant, elle se plaint de ne recevoir ni nouvelles ni argent : rien ne lui parvient. Boucoiran néglige de lui envoyer la somme que Buloz lui a versée pour elle, et elle attend, et elle est triste, « le tout par la négligence et l’apathie incroyables de Boucoiran, écrit-elle à Musset. Il y a plus de huit jours que j’ai reçu une lettre de Buloz qui m’annonce qu’il a remis 500 francs à Boucoiran, — donc Boucoiran n’est pas malade ! il est amoureux certainement, parce que, d’ordinaire, il est d’une exactitude extrême. Mais quand l’amour le tient, il est impossible d’en obtenir le moindre souvenir[56]. »

Et à Buloz elle écrit, le 4 juillet :

« J’envoie à la poste restante trente fois par semaine, mais toutes les lettres s’y perdent, ou y font des sommes de six mois. Envoyez-moi vous-même les mille francs, le 15 juillet au plus tard. Je compte sur vous, mon ami, sur votre parole et sur votre amitié, pour ne pas me faire partir plus tard que le 25. Je suis très mal portante, et incapable de voyager vite : un jour de repos de plus ou de moins à prendre en chemin me sera précieux comme la vie, si toutefois la vie est précieuse, ce dont je vous laisse la décision, mais j’ai le mal du pays, non pour le pays, mais pour mes enfans qui y sont, et que je suis malade de ne pas voir depuis si longtemps. Je vous remercie mille fois de la bonne intention où vous êtes d’aller voir mon fils…

« Je suis charmée que vous ayez la Revue de Paris, pour mon compte, espérons que vous y trouverez le vôtre ; on m’a écrit que ça n’était pas une bonne affaire, mais qu’en sait-on ? Vous avez de l’activité, du génie, de l’obstination, et Gerdès !

« Pour moi, je travaillerai pour celle que vous voudrez, et même pour toutes deux, si toutes deux payent bien. Ayez encore quelques sous à me donner quand j’arriverai, car je vous porterai une troisième lettre, et j’aurai à changer de logement, ce qui ne m’amuse guère. Si vous en savez un qui n’ait aucun défaut, qui soit vaste, beau, situé en belle vue, en bon air, et qui ne coûte presque rien, indiquez-le-moi, et dites au propriétaire qu’il sera assez payé par les grâces de mon esprit, et le charme de mon regard ; les hommes d’aujourd’hui sont des butors, de demander toujours de l’argent à des gens comme nous.

………………………….

« Savez-vous que j’ai horriblement souffert de la misère ? J’en ai maigri, et pâti à la lettre.

« Adieu, mon ami, je viens de finir Jacques, et le soleil se lève. Je vais aller me promener sur les lagunes, et chanter une hymne à Buloz le grand, à Buloz le généreux, à Buloz le magnifique ; toutes les écrevisses répondront : Amen !

« Faites bien attention à Jacques, à toutes les fautes de français, à tous les mots répétés, à toutes les contradictions qui peuvent se trouver dans certaines dates, et dans certains détails, car à mesure que je vous envoyais mon manuscrit, j’en oubliais le contenu exact.

« Adieu, mon ami. Tout à vous.

« GEORGE [57]. »


Enfin, la dernière lettre de George Sand est du 19 juillet : « Au bout du compte, je serai bien contente de vous donner une poignée de mains ; vous m’avez envoyé une lettre de mon fils. Je vous en remercie. J’ai une extrême impatience à le revoir, comme vous pouvez croire... »

Et la voilà en France.

A Venise, aucun souvenir d’Elle n’est resté, ni de Lui. A peine, quelques gondoliers, près de la Corte Minelli, se souviennent-ils d’avoir entendu « les vieux » parler de la Sardella... pauvre petite sardella de France, si menue, si consumée !


LES RUPTURES

Donc, en mars, Musset à peine guéri, faible, défaillant à chaque pas, était revenu en France, accompagné d’un brave homme de perruquier appelé Antonio, à qui George Sand l’avait confié [58]. « La première fois, dit Paul de Musset, que mon frère voulut nous raconter sa maladie, et les véritables causes de son retour à Paris, je le vis tout à coup changer de visage et tomber en syncope. Il eut une attaque de nerfs effrayante... etc. ; » puis, petit à petit, il aima sa douleur « avec tout son être et tout son génie, » son âme de poète glorifia Pagello, dont elle fit « un frère sublime, » à qui il avait donné, lui, Musset, sa maîtresse. Loin de l’apaiser, les lettres ardentes de son « Georgeot » attisaient en lui tous les feux d’autrefois.

Enfin, après une séparation de cinq mois, il revit George Sand, — et aussi Pagello, — car elle ramenait, hélas ! Pagello… et tout recommença. Le docteur dépaysé, refroidi, manifestement déplacé, dans un milieu où il se sentait mal à l’aise, le docteur « frère sublime » s’ennuya. Quoi de pire pour un amant ? — On le confia à Boucoiran, qui fut chargé de lui montrer les curiosités de la métropole, et Boucoiran l’amena à la Revue ! Je laisse la parole à Pagello.

« Boucoiran portait un gros paquet ; il le lui remit (à F. Buloz) : c’était le second volume de Jacques, écrit chez moi, à Venise. « Elle est donc arrivée ? dit Buloz. — Oui, répondit Boucoiran. — Depuis quand ? — Depuis deux jours. — Cette diablesse de femme me fait devenir fou ; voici un volume que j’attends depuis un mois ! Mais on m’a dit qu’elle s’était entortillée d’un nouvel amour, avec un comte italien. » Boucoiran sourit, et moi je rougis. Buloz demeura comme une statue ; pendant ce temps-là, je me détournai pour regarder quelques estampes qui ornaient la pièce, et Boucoiran dit quelques mots à l’oreille de Buloz ; après quoi, celui-ci, qui m’avait à peine remarqué, prit ses lunettes et, me regardant avec discrétion et courtoisie du seul œil qui lui restait, me fit les plus gracieuses questions, les offres les plus courtoises, et finit par me donner une carte avec laquelle je pouvais entrer en qualité de journaliste, dans quelque théâtre ou spectacle que ce fût. »

Voilà Pagello enchanté, trouvant que cette carte équivaut à une « nomination » de journaliste... Il est si satisfait qu’il prétend même, plus loin, que F. Buloz « lui a offert de travailler à sa Revue... Et ici je crois que Pagello exagère...

Donc, pendant que Pagello visite la capitale, George Sand et Musset se sont revus, quittés, enfin s’enfuient, lui à Bade amoureux comme un fou, elle à Nohant, amoureuse autant que lui. — A Nohant, Pagello la rejoint ; et de Bade, le pauvre Musset, ballotté par mille sentimens divers, essaie du voyage pour se distraire d’une peine qu’il emporte avec lui, — toutefois il en essaie, et si bien, qu’après un séjour à Strasbourg, le voici sans le sou de retour à Bade, le 15 septembre :

« Mon séjour à Strasbourg, mes frais de transport et de voyage depuis que je l’ai quitté, m’ont mis à sec, écrit-il à son ami Buloz. J’ai agi trop légèrement et j’en porte la peine. Ma mère est aux eaux de Lucques, en sorte que je me trouve vraiment dans la position la plus pénible, et tout à fait sans ressources, ici où je ne connais personne. » Bref, il demande à F. Buloz de lui faire parvenir 500 francs par Mme Levreault. — « Vous avez toujours été si obligeant pour moi que j’espère que vous m’épargnerez cette triste affaire : dans un pays où je ne connais personne, ce serait à ne savoir que devenir... »

Bien entendu, F. Buloz écrit à Mme Levreault. Mais il n’a pu sans doute, en rassurant Musset, se priver de lui faire quelques remontrances, car Musset riposte :

« Vous me dites que je ne travaille pas, je voudrais bien savoir ce que vous en savez. Vous commencez au mois d’octobre à vous plaindre, pour un travail qui ne doit finir qu’au 1er janvier ; c’est vous plaindre trop tôt. Attendez surtout pour déclarer que je ne travaille pas, qu’il vous soit possible d’en savoir quelque chose. Et souvenez-vous qu’il est beaucoup plus pressant de tirer de l’eau un écolier qui se noie, que de lui faire tous les sermons de la terre [59]. »

Et encore, le 3 octobre :

« Je vous en prie, ne me faites pas de morale. Tout cela est moins plaisant qu’on ne pourrait le croire. »

Tout cela n’était guère plaisant, en effet, car, à côté de la plaie d’argent, il y en avait une autre, et qui ne voulait pas guérir.

Pourtant, après les premiers jours de cette séparation de Bade, il ne semble pas que Lélia fût en proie à la crise amoureuse du début. La lettre qu’elle écrit à Boucoiran, le 31 août, fait allusion à l’exécution de « volontés sacrées, i) et puis : « Faites carder mon matelas. Je ne veux pas être mangée aux vers de mon vivant..., etc. » x\u bout de quelques semaines, et pendant que lui écrit ces lettres si ardentes : « Je suis perdu, vois-tu, je suis noyé, inondé d’amour, je ne sais plus si je vis, si je mange, si je marche, si je respire, si je parle, je sais que j’aime... » elle semble, elle, projeter quelque voyage en Suède, et plaisante agréablement F. Buloz sur un séjour en prison qu’il subissait, comme garde national inexact [60] !


« Mon brave Buloz,

« On me mande que vous êtes en prison. Parbleu ! je n’en suis pas fâchée ! vous l’avez bien gagné, et pourvu que vous n’y passiez qu’un jour ou deux, que vous y trouviez bonne table, et bon lit, et bonne compagnie, je pardonne au gouvernement cet acte de justice, le premier peut-être qu’il ait fait.

« Vous devez avoir reçu ma Lettre sur l’Italie : l’avez-vous insérée ? Envoyez-moi donc le numéro du 15... Je vais avoir besoin d’une certaine somme pour me remettre en route, non pour l’Italie, mais, je crois, pour la Suède. Je vous recommanderai mon fils, je vous confierai mes papiers, et bonsoir, Buloz. Si je meurs en chemin, vous me ferez dire des messes magnifiques, avec la vente de mes mémoires. Messes en musique, entendez-vous ? et ne lésinez pas sur les violons.

« Adieu, vieux Buloz, restez quoi qu’on die fidèle au souvenir de votre ami.

« GEORGE. »


Puis, le 22 septembre :

« Mon vieux Buloz, j’ai reçu Jacques qui est très bien exécuté... Je serai à Paris vers le 3, sans un sou, mais avec du manuscrit, entendez-vous ? Bonsoir, mon vieux, Maurice vous embrasse, et je vous donne une brave poignée de main.

« GEORGE. »


« Vous n’avez rien changé à ma Lettre sur Venise, êtes-vous bien sûr que si elle tombe sous les yeux de M. de Lamennais, elle ne le fâchera pas ? J’y traite peut-être un peu lestement, non sa personne. Dieu m’en préserve, mais sa mission. Je vous ai fait juge : s’il m’en veut, ce sera votre faute. »

On voit le ton. Il n’est pas celui d’une désespérée. Enfin en octobre, Lélia revoit Cœlio, et, de nouveau, les voilà amans.. Cette fois, ce sont les orages déchaînés, les reproches, les aveux, les supplices. C’est à cette heure qu’elle lui écrit, le « lendemain du bonheur rêvé : »

« Si je suis galante et perfide, comme tu semblés me le dire, pourquoi t’acharnes-tu à me reprendre et à me garder ? Je ne voulais plus aimer, j’avais trop souffert, etc. »

Et lui : « Le bonheur, le bonheur et la mort après, la mort avec. Oui, tu me pardonnes, tu m’aimes, etc. »

Encoi : e : « Je t’aime, je t’aime, je t’aime, adieu, ô mon George ! C’est donc ainsi pourtant... Adieu. Toi, toi, toi, ne te moque pas d’un pauvre homme. »

C’est du délire, et il y aura encore une rupture, mais avant cette rupture les scènes vont se multipliant ; F. Buloz en est souvent le confident, et quelquefois le spectateur. Ainsi il note, sur une lettre de George Sand (du 24 novembre) :

« Elle avoue tout, tristement, en se jetant aux genoux d’Alfred et s’écriant : « Pardonne-moi ! »

« Brouille avec Al., affaire Pagello. Confession de Tattet à AI. [61]. Scènes terribles.

« Chez Dorval, 17 novembre :

« — Croyez-vous à Dieu ?— Je crois à Buloz.

« Répit momentané. »

C’est, ce répit momentané, la fuite à Nohant, — la seconde fuite depuis le retour d’Italie, — Musset était déjà parti, lui, réfugié chez des parens à Montbard. Pour cette fuite, « George, » comme l’appelle toujours F. Buloz, demande au directeur de la Revue son aide, car elle n’a pas un sou, etc. « Gardez-moi le secret de cette nouvelle tentative de séparation, lui écrit-elle « aidez-moi à réussir cette fois, si je n’avais pas d’argent, il n’y aurait pas moyen. Envoyez chez moi avant midi, je vous en supplie. Je n’ai pas besoin de vous recommander le secret d’ici à demain. »

Mais la fugitive ne s’éloigne pas longtemps cette fois : la voici revenue et, à son tour, éperdue d’amour. C’est à cette époque que se rapportent les lignes suivantes (notes de F. Buloz) : « Alfred revient. — Portrait chez Delacroix. — Scène nouvelle avec Alfred le soir. » Ce sont les débuts des tentatives qu’elle fera, pendant deux mois et demi, pour reprendre Musset, qui, à son tour, se dérobe, car il n’en peut plus. C’est aussi le moment où elle écrit ce fameux journal, soi-disant inédit et que tous les écrivains depuis trente ans ont pillé. Magnifique journal d’une nouvelle Marianna Alcaforado, plus vivante, plus terrible encore que la première. Ce sont d’orageuses périodes, bonnes périodes romantiques, avec tous les accessoires de l’époque : imprécations, rugissemens d’amour, ruisseaux de larmes, nuits passées devant la porte de l’amant, chevelure coupée pour lui, — et l’indispensable crâne romantique. — F. Buloz note : « Achat d’une tête de mort pour enfermer la dernière lettre d’Alfred — et de nouveaux pleurs chez moi le 13 octobre. Sainte-Beuve s’interpose entre G. et A. »

L’achat de ce crâne, coffret macabre, n’est-il pas une chose étonnante ? Quel dessin de Célestin Nanteuil pourrait illustrer assez magnifiquement ce geste de l’amante éperdue, enfermant la dernière lettre de l’amant dans une tête de mort ? Et qui dira jamais le rôle triomphant que joua en France le crâne humain, de 1820 à 1848 ?

Les notes qu’on a lues sont écrites au dos d’une lettre de George Sand. Cette lettre porte aussi cette remarque : « 29 novembre 1834. Les dîners chez Pinson à la suite de la rupture avec A. de Musset, » et la lettre : « Venez me voir tantôt, mon ami. Je tacherai que vos placards soient corrigés, et nous irons diner avec mes enfans chez Pinson, à 50 centimes par tète [62]. »

Enfin, en janvier, elle réussit à reprendre Musset et l’an- nonce triomphalement à A. Tattet, qu’elle n’aime guère, car il est depuis longtemps partisan de la séparation définitive : « Monsieur, il y a des opérations chirurgicales fort bien faites, et qui font honneur à l’habileté du chirurgien, mais qui n’em- pêchent pas la maladie de revenir... »

La maladie, cette fois, et vraiment c’en était une, et ter- rible, ne dura que deux mois : en mars, tout était fini. F. Buloz le note sur les lettres de George Sand : « 11 mars 1835. Sa séparation nouvelle avec A. de Musset. » Voici la première de ces lettres, qui est de Nohant :

« Mon cher ami, je suis arrivée en bonne santé, je suis triste, mais calme. Je travaille. Dans cinq ou six jours, vous aurez une nouvelle appelée Mauprat [63]... Payez mes dettes, je vous prie, et donnez-moi surtout des nouvelles d’Alfred. Faites-m’en donner par Guéroult aussi. Ayez soin de mes enfans. Je vous les recommande. Vous avez été déjà bien bon pour eux, soyez-le encore. Adieu, mon ami. Si on parle de moi autour de vous, dites bien que je ne suis pas brouillée avec Alf., surtout qu’il n’a pas de torts envers moi... »

Visiblement, cette pensée des torts qu’on pourrait imputer à Alfred la préoccupe, — et aussi la santé du poète. Comment aura-t-il pris la nouvelle de sa fuite ? Eli bien ! il s’est soumis, comme un homme qui est à bout.

Un peu plus tard, à Buloz, qui s’inquiétait et se demandait si tout cela n’allait pas recommencer :

« ... Je vous remercie de votre bonne volonté, je suis parfaitement bien ; soyez sûr qu’il n’y a plus de danger pour moi. Je ne reverrai point A..., et, si je suis forcée de le voir une fois, ce sera la seule. Je suis tranquille, je suis en bon chemin de guérison morale sous tous les rapports, et n’ai nulle envie d’échanger cette bonne disposition pour les agitations de l’amour. J’en ai assez comme cela... Vous êtes bien bon pour Maurice ; mille fois merci, et adieu. Je travaille.

« GEORGE [64]. »


Mais voici qu’elle projette un voyage en Suisse, « fin d’avril : » « Je ne veux pas retourner à Paris avant que le danger de retomber dans ma galère soit passé, car on ne guérit pas en un jour, et j’ai été blessée grièvement. Adieu, ayez donc toujours soin de mes pauvres mioches que je suis toujours forcée de fuir... » Quelques jours plus tard, elle annonce qu’elle ira à Paris pour embrasser ses enfans, « mais je n’irai pas à Paris même, je me tiendrai aux environs, à moins que M... ne soit parti de son côté... » Et elle ne veut voir « absolument personne. »


MARIE-LOUISE PAILLERON.

  1. Voyez la Revue du 15 février.
  2. Les Débats, 28 juillet 1833.
  3. 15 janvier 1833.
  4. p. de Musset, Biographie d’A. de Musset.
  5. E. Montégut, Nos morts contemporains.
  6. Henri Blaze, Mes Souvenirs.
  7. Inédites.
  8. Tous ces billets sont inédits.
  9. Inédit.
  10. Sur la Paresse : à F. Buloz.
  11. Histoire de ma vie.
  12. Ma mère ne la connut que vers 1847.
  13. 1832.
  14. Histoire de ma vie.
  15. Inédite.
  16. C’est d’ailleurs ce que j’ai toujours entendu affirmer aussi par les miens.
  17. Suivant Sainte-Beuve, à ce diner assistaient Jouffroy, Alexandre Dumas, Aug. Barbier ; il n’en donne pas la date : d’après les lettres de G. Sand, le diner Lointier serait de la fin de mars 1833.
  18. Une Vieille Histoire : Lavinia mars 1833 ; chez Canel et Guyot.
  19. Inédite.
  20. Dans sa correspondance avec F. Buloz.
  21. L’Europe littéraire, 22 août 1833.
  22. Planche défendit aussi le roman dans la Revue le 15 août 1833, il en fit un grand éloge. Je pense que les pages de Musset que l’on a lues plus haut devaient primitivement former un article, confié ensuite, vu le bruit qui s’était fait autour de Musset et Sand, à Planche.
  23. Inédite. La lettre porte en première page cette seule date : 1833.
  24. Le Petit Poucet, 1er septembre 1833.
  25. Fontaney.
  26. Il existe une copie de cette lettre de la main de F. Buloz ; à côté de ces mots « Poète de Dieu, » entre parenthèses, il a écrit : Duveyrier.
  27. Inédite.
  28. Caissier de la Revue.
  29. Je transcris ces deux derniers vers conformément au texte de la copie que j’ai entre les mains.
  30. Novembre 1833.
  31. Je pense qu’il s’agit du volume contenant Le Secrétaire intime (qui devait d’abord s’appeler Quintilia), La Marquise, Metella, Lavinia, etc., et qui parut chez F. Bonnaire en avril 1834. George Sand avait sans doute d’autres engagemens avec un autre éditeur : M. Trois-Étoiles.
  32. Inédite.
  33. Inédite. F. Buloz a ajouté : octobre 1833.
  34. Lui et Elle. P. de Musset.
  35. Ils partirent pour Lyon le 13.
  36. Pour le volume publié par F. Bonnaire.
  37. Inédite.
  38. Inédite (collection S. de Lovenjoul F. I.)
  39. Quelques extraits de ces lettres ont été publiés par S. de Lovenjoul dans l’histoire d’Elle et Lui, et par M. R. Doumic dans son ouvrage sur George Sand.
  40. Musset était soigné par le docteur Santini, auquel succéda l’illustre Pagello. Alfred Tattet écrivait que Pagello avait remplacé auprès de Musset « un âne qui le tuait tout bonnement. «(Lettre d’Alfred Tattet à Sainte-Beuve, La véritable histoire d’Ella et Lui.)
  41. Hôtel Royal Danieli.
  42. On voit par cette lettre que la fameuse histoire de la dette de 10 000 francs est réduite à néant. En effet, on a raconté qu’une dette de jeu de 10 000 francs pesait sur Alfred de Musset, qu’à Venise George Sand l’avait payée par son travail : tout cela se réduit à la petite somme de 360 francs, que F. Buloz paya pour ses amis, et dont il ne fut plus question. Nous sommes loin de cette forte dette, contractée par un homme, payée par une femme, etc.
  43. F. Bonnaire refusait de faire de nouvelles avances à l’écrivain (qui avait touché 10 000 francs) avant d’avoir reçu ses manuscrits.
  44. Inédite.
  45. Le 17 mars 1834.
  46. Inédite.
  47. Correspondance de G. Sand et d’A. de Musset.
  48. Id. de Trévise, 30 mars 1834.
  49. Inédite.
  50. 15 mai 1834. Lettres d’un voyageur.
  51. Coll. S. de Lovenjoul. Inédite. F. Buloz n’avait pas encore reçu à cette date le manuscrit d’André. Celui-ci parut le 15 mars 1833.
  52. Biographie d’A. de Musset par P. de Musset, p. 124.
  53. Correspondance de G. Sand et d’A. de Musset.
  54. Inédite.
  55. Inédite.
  56. Correspondance de G. Sand et d’A. de Musset.
  57. Inédite.
  58. Cet Antonio, bientôt s’ennuya : on le renvoya à ses lagunes, — en juillet, je pense, comme en témoigne cette lettre, car le projet de départ pour Aix est de juillet.
    A F. Buloz.
    Lundi,
    Mon ami, si vous ne venez pas à mon secours, je suis fort embarrassé pour renvoyer l’espèce de perruquier que j’ai ramené de Venise ; il va partir, et comme je ne vais pas à Aix, il faut que je lui donne de quoi s’en aller. Pouvez-vous me donner 200 francs ? Répondez-moi un mot, car je suis fort pressé par ce pauvre diable qui a le mal du pays, et je ne sais trop à qui m’adresser, si vous ne pouvez aie rendre ce service.
    Tout à vous,
    ALFRED DE MUSSET. (Inédite).
  59. Inédite. (Collections de Lovenjoul, F. 167.)
  60. 15 septembre 1834.
  61. Lorsque les amans de Venise furent rentrés en France et que, à la suite d’un article injurieux de Gustave Planche, Musset fut sur le point de se battre en duel pour G. Sand, Tattet n’hésita pas à lui raconter ce qu’il avait appris à Paris de la bouche même de Pagello. (Séché, A. de Musset, t. I., p. 101.)
  62. Voici une seconde lettre de George où elle donne rendez-vous encore à F. Buloz chez Pinson :
    « Mon cher Buloz, renvoyez-moi donc mes revues, sacrebleu ! Quelle tête que la vôtre ! C’est la vivante image de la Revue des Deux Mondes ! On croit qu’il y a quelque chose dedans et précisément il n’y a rien ! Et mon argent, bourreau ! A ce soir chez Pinson. »
  63. Mauprat, à l’origine, ne devait être qu’une nouvelle.
  64. Inédite.