François de Bienville/00

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Texte établi par Léger Brousseau Voir et modifier les données sur WikidataLéger Brousseau imprimeur-éditeur (p. 7-10).

INTRODUCTION


Le récit qui va suivre n’est le fruit ni du caprice, ni du hasard, contrairement au grand nombre de ces œuvres légères dont notre siècle est ahuri. Et, comme il n’est guère probable qu’on mette le motif qui me l’a fait écrire au compte de l’intérêt pécuniaire — il est bien établi que les lettres ne sauraient, en Canada, faire vivre, même médiocrement, le plus frugal comme le plus fécond des écrivains — je puis dire avec Montaigne, dès le début : « Cecy, lecteurs, est un livre de bonne foy. »

En voici la raison.

Bercé, dans mon enfance, par les doux refrains des chants populaires et les légendes avec lesquelles on évoquait mon sommeil, déjà mon imagination s’éveillait au récit de ces histoires de loups-garous et de revenants qui font les délices des vieilles femmes et des enfants.

Plus tard, bien que très-jeune encore, je pus lire, en cachette, quelques romans de Sir Walter Scott. Alors, quand le soir je regagnais mon lit, il me semblait entendre, dans le vent de la nuit, le son prolongé des trompettes des hérauts sonnant la fanfare d’un tournoi. Et, lorsque le sommeil venait enfin mettre un terme à ces insomnies, je croyais quelquefois, dans un songe, ouïr les pas sonores des chevaux de hardis hommes d’armes ébranlant le pont-levis d’un antique donjon.

Par la suite, on emprisonna mes douze ans et mes rêveries dans les sombres murailles du collège. Passer, sans transition, d’une liberté presque absolue au sévère régime d’une captivité de dix mois, et de promenades forcées à travers les steppes arides de la syntaxe latine, en la maussade compagnie d’une caravane de pensums, c’était très-dur. Mais, comme il n’est pas de désert sans oasis, je trouvai bientôt moyen de passer des heures charmantes en l’aimable compagnie des livres que j’aimais tant. Que de fois alors n’ai-je pas, à la barbe du maître d’étude, battu les prairies et les forêts avec Bas-de-Cuir, le héros favori de Cooper, tandis que mes compagnons de misère se piquaient aux chardons du « jardin des racines grecques » ! Combien de fois, en classe, n’ai-je pas fait le coup de feu contre les sauvages du Mexique avec le Coureur des Bois de Louis de Bellemare, alors que mon maître biffait un onzième solécisme sur mon dernier thème latin, et que mon voisin de droite s’endormait doucement à la cadence monotone d’une décade rétive aux freins de la mémoire.

Vint un jour enfin, où, lassé par la lecture exclusive de ces fictions, je me mis à lire l’histoire de mon pays. Aux émouvants récits des luttes, des aventures et des souffrances de nos aïeux, tout l’enthousiasme de mes jeunes ans, toutes les facultés de mon imagination, se concentrèrent sur ces faits aussi brillants que vrais ; et, à mesure que j’avançais en la lecture de ces pages attachantes, une idée qui m’était venue tout d’abord, surgissait, croissait, grandissait en moi : c’était de rendre populaires, en les dramatisant, des actions nobles et glorieuses que tout Canadien devrait connaître.

C’est dans le premier essor de cette pensée que j’écrivis, il y a cinq ans, ma Nouvelle de « Charles et Éva. » J’avais alors vingt ans ; à cet âge, on ne doute de rien, et l’on ne sait pas grand’chose. Aussi y a-t-il plus de bonne volonté que de mérite et de style dans cette malheureuse Nouvelle, qui n’en est pas une.

Mais le lecteur fut assez bon pour ne se point fâcher, et donna même un bienveillant sourire à cette tentative dans un genre encore peu exploité dans notre pays.

Enhardi par cette tacite approbation, j’ai continué de cultiver mon idée, et d’ajouter à mes ressources littéraires et historiques. Et voilà pourquoi je crois pouvoir dire, en livrant ce nouvel écrit à la publicité, que c’est un livre de bonne foi, puisqu’il est né d’une pensée sérieuse et constante.

D’ailleurs, loin de fausser l’histoire, comme il arrive malheureusement dans le très-grand nombre des romans historiques, je me suis au contraire efforcé de la suivre rigoureusement dans toutes les péripéties du drame. De sorte que le lecteur saisira facilement la ligne de démarcation qui, dans ce récit, sépare le roman de l’histoire.

Mais on me reprochera, peut-être, l’aridité de certains détails qui pourront, aux yeux de quelques lecteurs, sembler étranges dans une œuvre d’imagination. À cela je répondrai que, mon but étant de faire mieux connaître un des plus beaux épisodes de nos annales — le second siège de Québec — je n’ai, à dessein, employé d’intrigue que ce qu’il en faut pour animer mon récit.

Aussi, bien heureux serai-je, si je puis dire comme le poète :

«  Le conte fait passer le précepte avec lui. »
Québec, 1er  septembre 1870.