François de Bienville/12

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Texte établi par Léger Brousseau Voir et modifier les données sur WikidataLéger Brousseau imprimeur-éditeur (p. 199-211).

CHAPITRE DOUZIÈME.



faits et cancans.


Il fut de si courte durée le temps qui s’écoula entre la tentative désespérée de Harthing pour ressaisir Marie-Louise, et la chute de l’Anglais en bas du cap, que lorsque Mlle d’Orsy voulut entraîner son frère vers leur demeure pour prêter assistance à Bienville — cette pensée fut pourtant prompte à lui venir — Bras-de-Fer et les soldats étaient déjà de retour dans la rue Buade.

— Eh bien ? demanda Louis.

Bras-de-Fer s’avança.

— Mon lieutenant, dit-il, il faut que le gaillard soit solidement bâti s’il en revient. Car voyant qu’il me voulait fouiller la poitrine avec son poignard, et ne pouvant pas l’en empêcher autrement, je lui ai fait descendre sa garde vers la rue Sault au-Matelot.

— Tu l’as jeté en bas du cap !

— Oui, mon lieutenant.

— Il est mort !

— Ou il n’en vaut guère mieux.

— Cours au poste de la rue Saut-au-Matelot, et dis aux gardes d’examiner les abords du cap, afin de retrouver notre homme. S’il n’a pas été tué du coup, qu’on en ait le plus grand soin. Dis-leur en outre de bien veiller à ce que personne ne puisse tromper leur vigilance et prendre fuite par la barricade ; car Mlle d’Orsy vient de m’assurer que l’Anglais avait un sauvage pour compagnon.

Pierre s’éloignait déjà.

— Quand tu sauras à quoi t’en tenir sur le sort de ton homme, reviens m’en faire part.

— Comme de raison, mon lieutenant, répondit Pierre Martel qui, après avoir fait volte-face à la militaire, reprit le chemin de la basse ville au pas accéléré.

— Toi, dit Louis à un autre soldat, cours au château, et dis ou fais dire à M. de Frontenac que je viens de constater la présence de deux ennemis dans la ville ; de la sorte, il donnera ses ordres pour prévenir une surprise.

— Rentrons, je t’en supplie ! dit à voix basse Marie-Louise à son frère. Peut-être se meurt-il en ce moment ! Et c’est pour moi, c’est pour me sauver qu’il est ainsi venu tomber sous leurs coups ! Mon Dieu ! mon Dieu !

— Voyons, Louise, ne te désespère pas inutilement ainsi. As-tu vu Harthing où le sauvage frapper ton fiancé ?

— Non. Je me suis évanouie comme l’Iroquois garrottait M. de Bienville. Après cela, je n’ai rien vu, rien entendu. Je n’ai repris connaissance que dans la rue et juste assez tôt pour m’échapper d’entre les bras de ce monstre d’Anglais !

— Oh ! s’ils ont pris la peine de lier François, tu peux être sure qu’ils ne l’ont pas tué. Viens, mais tiens-toi près de moi.

Et suivis des quelques hommes de la patrouille qui se trouvaient encore auprès d’eux — quatre soldats transportaient en ce moment au prochain corps de garde les deux hommes tués par Harthing, — Louis et sa sœur firent les quelques pas qui les séparaient de leur maison. D’Orsy marchait en avant et l’épée au poing.

Quand il atteignit le seuil de son habitation, il ne fut pas peu surpris de mettre le pied sur le corps d’un homme étendu insensible au bas de la porte.

— Par ma foi ! qu’est-ce que c’est que ça ! s’écrie-t-il.

— Mon Dieu ! c’est lui ! il l’ont tué ! dit Marie-Louise.

— Eh non ! repart Louis ; c’est probablement l’homme qui courait si fort et sur lequel un des soldats a tiré.

— En effet, remarque quelqu’un de la patrouille, nous avions oublié ce particulier que l’absence de lumière nous empêche de reconnaître. Il est vrai qu’il était moins à craindre que l’autre qui nous a tué deux hommes.

— Je vais chercher une lumière à l’intérieur reprend Louis ; nous verrons ensuite quel est cet individu. Ce doit être un complice de Harthing, car tous deux étaient blottis au même endroit, de l’autre côté de la rue. N’entre pas maintenant, Louise.

D’Orsy enjambe par dessus l’homme qui obstrue le seuil, se heurte contre le baril de poudre, et, après avoir fait trois pas à tâtons dans la cuisine, met le pied sur un petit corps rond et mou. Il se baisse et rencontre sous sa main la chandelle éteinte et rejetée dans la maison par Dent-de-Loup. L’heureux âge des allumettes phosphoriques n’ayant pas encore lui sur la terre, Louis s’empresse de battre le briquet, rend à la bougie sa vie de flamme, et revient vers la porte.

Il abaisse alors sa lumière et la déposant sur l’un des bouts du baril dont sa préoccupation l’empêche de remarquer d’abord la présence inusitée, il examine la figure de l’homme étendu en travers du seuil ; tandis que Louise se penche avec anxiété, sans crainte du cadavre, pour constater si ce n’est point là Bienville.

— Eh ! s’écrie d’Orsy, c’est bien l’hôtelier Boisdon ! Mais quel est donc ce barillet qui sert d’oreiller à l’aubergiste ! Par la corbleu ! qu’est ceci ! s’écrie-t-il en écartant vivement du baril la chandelle. De la poudre !

Après avoir éteint et arraché la mèche, Boisdon en se débattant avait secoué le baril, de sorte que plusieurs grains de poudre étaient sortis par le trou vide de sa fusée.

— Or çà ! monsieur Harthing, vous en vouliez donc aussi à ma maison, continue d’Orsy qui soupçonne aussitôt la vérité. Prends cette lumière et éloigne-toi quelque peu, dit-il à un soldat.

Il saisit le baril, court vers l’endroit désert qui s’étendait alors depuis la rue Buade jusqu’à nos bâtisses actuelles du Parlement, et là, dépose tranquillement le redoutable engin. Et il revient sur ses pas.

Louis précédant ensuite les soldats et quelques curieux attirés par un bruit inusité dans la rue, entre dans la cuisine qu’il traverse, et se dirige vers la seconde chambre.

Quand ils ont pénétré dans la grande salle, la projection de la lumière que tient d’Orsy s’étendant jusqu’au fond de l’appartement, ils aperçoivent une femme et un homme qui, couchés par terre à quelque distance l’un de l’autre, ne donnent aucun signe de vie.

D’Orsy s’avance avec circonspection d’abord, puis se précipite vers l’homme étendu sur le plancher. Celui-ci remue vivement les yeux, mais sans pouvoir articuler un seul mot, vu qu’une poire d’angoisse lui distend violemment les mâchoires et lui obstrue la bouche. Louis le débarrasse aussitôt de ce bâillon.

L’autre pousse alors un grand soupir et reprend haleine avec la même volupté qu’un plongeur revenant à la surface de l’eau.

— Ah ! dis-moi, Louis, s’écrie Bienville, dois-je en croire mes oreilles ? Il m’a semblé entendre la voix de Marie-Louise. Serait-il donc vrai qu’elle aussi fût sauvée.

— Tiens, regarde et que tes yeux persuadent tes oreilles.

— François ! s’écrie Mlle d’Orsy qui n’écoute que son amour et s’élance vers son fiancé.

— Marie-Louise ! Oh ! merci, mon Dieu ! dit Bienville. Et il fait un effort inutile pour se relever, garrotté qu’il est encore.

Ses liens tombent en un moment sous des mains empressées.

Cependant l’une des personnes présentes laisse échapper un cri d’horreur après s’être approchée de la vieille Marthe. On se retourne, on accourt, et la pauvre femme apparaît affreusement mutilée. L’os de son crâne est nu et sanglant.

Chacun ressent un frisson d’horreur.

— Mais elle est morte ! dit Marie-Louise qui s’est penchée sur la vieille femme qu’elle regarde avec une douloureuse sympathie.

En effet la pauvre vieille n’avait pu résister au supplice atroce qui l’avait tuée.

— Oh ! les monstres ! s’écrie la jeune fille en fondant en larmes.

Car à cette époque, si les serviteurs aimaient leurs maîtres avec dévouement, ces derniers s’attachaient en proportion à leurs vieux domestiques qu’ils considéraient toujours comme faisant partie de la maison (domûs) et non comme des valets.

Les curieux qui remplissaient la chambre s’écartèrent en ce moment avec respect devant un nouveau venu.

— Monseigneur le gouverneur, chuchotait-on. C’était le comte.

Il s’approcha d’abord de Mlle d’Orsy devant laquelle il s’inclina en disant :

— Permettez-moi, mademoiselle, de vous féliciter d’avoir échappé presque miraculeusement au péril qui vous a menacée de si près. Si j’avais pu prévoir que vous courriez un tel danger ici, je vous aurais tout d’abord offert l’hospitalité au château. Mais grâce au ciel, il en est temps encore ; aussi veuillez bien vouloir accepter l’offre de la chambre que j’avais fait meubler pour madame la comtesse, et qui hélas ! n’a jamais été habitée, fit le vieillard avec un long soupir.[1]

Le comte qui se vit entouré d’une foule de curieux indiscrets, se tourna vers eux avec hauteur et dit :

— Nous désirerions être seuls.

Ce qui fit disparaître les importuns comme par enchantement.

— Mais vous, monsieur de Bienville, où étiez-vous donc pendant qu’on enlevait mademoiselle ? demanda le gouverneur au jeune homme.

— Dans une position bien gênante et précaire, monsieur le comte.

Et François lui raconta l’inutilité de son intervention et comment elle avait failli lui devenir funeste. Il ajouta qu’au moment où la mèche de la mine allait, mangée par la flamme, l’exterminer en embrasant la poudre, il avait entendu des cris et un coup de feu près de la maison ; et qu’un homme était venu s’abattre sur le cratère en éteignant la fusée.

— Si je vis encore, dit-il en terminant, après Dieu, c’est à cet homme que je le dois. Aussi…

— Ne t’empresse pas, dit Louis, de vouer une reconnaissance inutile à un individu qui est, je crois, un peu cause de ta mésaventure et de celle de ma sœur.

— Que veux-tu dire ?

— Je le soupçonne fort d’avoir aidé à l’accomplissement des projets sataniques de John Harthing. Un boulet dirigé par Dieu est venu déloger Boisdon du pied de la muraille près de laquelle il s’était blotti, et du même endroit que j’ai vu s’élancer Marie-Louise et son ravisseur.

— Et c’est sur lui qu’a tiré l’un des soldats de la patrouille avec laquelle vous reveniez de la basse ville ? demanda le gouverneur.

— Oui, monsieur le comte.

— Cet homme est-il mort ?

— Je ne sais pas. Mais il est facile de s’en assurer vu qu’il est encore dans la pièce voisine où j’ai eu soin de le faire transporter.

Un gémissement, prolongé se fit entendre de la cuisine.

— Le voilà qui donne signe de vie, dit le comte à voix basse. Il faut essayer de le faire un peu parler. Tandis que je resterai dans l’ombre, interrogez-le, de manière à ce qu’il fasse des aveux.

Jean Boisdon gisait près de la porte d’entrée ; une mare de sang fraîchement répandu et qui tachait le plancher auprès de son corps, témoignait de la gravité de sa blessure.

À peine Bienville et d’Orsy se furent-ils approchés du blessé, que ce dernier ouvrit des yeux grands de terreur, se souleva sur le coude et les regarda fixement. Se laissant ensuite retomber en arrière, tandis que ce mouvement lui arrachait un cri de douleur, il joignit les mains et s’écria :

— Pardon ! messieurs, pardon ! ne me tuez pas ! ne me dénoncez pas et je vous avouerai tout !

Louis et François échangèrent un regard.

Boisdon qui suivait leurs mouvements, saisit ce geste et redoubla ses supplications.

— Grâce ! monsieur d’Orsy ! Pitié, monsieur de Bienville ! J’ai de grands torts envers la jeune demoiselle et vous deux ; je le sais, je le confesse. Mais pardonnez-moi, car j’en suis bien puni !

— Hein ! fit Louis à François, que penses-tu maintenant de ton sauveur ?

— Misérable ! dit Bienville à Boisdon, la Providence qui s’est chargée de déjouer les complots tramés par nos ennemis et toi, n’a pas voulu que tu échappasses au châtiment que tu mérites. Écoute, nous te tenons en notre pouvoir ; tu as conspiré notre perte, en retour nous avons le droit de te sacrifier à une vengeance légitime. Mais comme nous dédaignons descendre au rôle de bourreau, nous n’avons qu’un mot à dire aux autorités. Déjà nous avons des preuves assez convaincantes de ta culpabilité pour que ta perte soit certaine.

— Mes bons messieurs !…

— Écoute-moi donc ! Il ne te reste plus qu’à tâcher de mériter notre clémence par des aveux sincères. Dis-nous tout ce qui concerne l’enlèvement de Mlle d’Orsy. Et ne va pas mentir ! Tu sais que je suis le fiancé et M. d’Orsy le frère de cette dame, et que nous serons inexorables. Dis donc la vérité ; car, pour ma part, je suis homme à te faire rentrer dans la gorge, avec la pointe de cette épée, le premier mensonge que tu voudras nous faire.

— Ah ! je vous dirai tout, tout ! s’écria l’hôtelier.

Sans attendre aucune interrogation, il se mit à raconter la part active qu’il avait prise à l’évasion de Dent-de-Loup, et fit le récit de ses machinations avec l’Iroquois puis de sa participation au complot tramé contre la famille d’Orsy. De temps à autre un gémissement, un cri de douleur, causés par sa blessure entrecoupaient sa narration.

Quand il eut fini, d’Orsy lui dit d’une voix brève :

— Et qui nous assure qu’il n’y avait entre Harthing et toi aucune entente pour introduire les Anglais dans la place !

— Sur ce qu’il y a de plus sacré ! sur mon âme ! sur ma part du paradis ! par mon saint patron ! par le Dieu qui m’entend ! je vous jure que jamais il ne s’est agi d’une telle chose entre nous !

— Reste à savoir, dit Bienville, si l’on peut se fier à la parole et même au serment d’un homme qui n’a pas hésité à nous sacrifier pour quelques onces d’or.

— Oh ! je ne mens pas ! croyez-moi ! repartit l’hôtelier avec véhémence et de ce ton sincère qui émane de la vérité. Franchement, je ne croyais servir l’Anglais que pour une simple amourette, laquelle se serait terminée par un bon mariage que vous auriez fini par reconnaître. Quant à vendre mon pays, je ne suis encore, Dieu merci, ni assez lâche, ni assez avare… et trop français pour y avoir jamais songé.

— C’est bien ! fit M. de Frontenac en s’avançant ; nous saurons constater la vérité quand tu seras traduit devant le conseil de guerre.

— Ah ! je suis perdu ! s’écria Boisdon qui s’évanouit de nouveau, épuisé qu’il était par la violence des sentiments et des sensations, ainsi que par ses efforts pour faire parler sa bouche plus haut que sa douleur.

La porte s’ouvrit alors et Bras-de-Fer entra.

— Eh ! demanda Louis à Pierre qui regardait Boisdon avec étonnement, as-tu retrouvé ton homme ? est-il mort ?

— Que je sois brûlé vif si ce n’est le diable en personne que ce goddam-là.

— Comment ?

— C’est qu’on n’a pas pu le retrouver. Il a dû s’enfuir ou s’envoler sur les ailes de Satan !

— Palsambleu ! il nous faut en finir avec cet homme ! s’écria François.

— Écoutez, Bienville, dit le comte. Si l’amiral continue à nous faire aussi peu de dommage avec son artillerie que la nôtre lui a déjà causé d’avaries, il cessera dès demain le bombardement pour se retirer avec ses vaisseaux. Le service de votre batterie devenant inutile, vous pourrez aisément vous joindre à ceux que j’enverrai tenir en échec l’ennemi campé à la Canardière. Alors, si vous rencontrez votre Anglais dans la mêlée…

— Ah ! pour le coup, nous verrons jusqu’où peut aller la chance diabolique qui le semble protéger !

— Pierre, dit le comte.

— Monseigneur ?

Et Bras de-Fer se redressa.

— Va dire au lieutenant de ma compagnie des gardes, qui m’attend à la porte avec ses carabins, de venir avec eux pour emmener Boisdon. L’hôtelier logera dans la prison du château, jusqu’à ce que sa blessure lui permette de subir son procès devant la cour martiale.

Pierre obéit, et M. de Frontenac se tournant vers les deux jeunes gens :

— Maintenant, messieurs, vous allez venir tous deux coucher au château, ainsi que Mlle d’Orsy qui voudra bien y rester jusqu’à la levée du siège. Des voisines se chargeront d’ensevelir la vieille Marthe en votre absence. Allons.

Une foule curieuse encombrait la rue quand ils sortirent. La nouvelle des événements de la soirée s’était rapidement répandue ; et partant, comme dans la fable de la femme et du secret, dame rumeur avait amplifié les faits d’une incroyable manière.

Les commentaires allaient bon train parmi les bourgeois et mesdames leurs épouses, qui ne craignaient pas de rester dans la rue, la canonnade ayant de nouveau cessé.

— Est-il donc vrai, demandait M. Pelletier, marchand de fourrures, que la place a manqué d’être emportée d’emblée ?

— Mais certainement, répondait M. Poisson, brave épicier qui n’avait pas eu le temps de remplacer son bonnet de nuit par le chapeau pointu alors en usage.[2] Dans sa précipitation à s’habiller, il avait mis ses chausses sens devant derrière et sans remarquer la peine qu’il avait eue à les boutonner. — Mais certainement, et sans mon cousin Pierre Martel, dit Bras-de-Fer, qui, lui seul, a jeté du haut en bas du cap les trois premiers Anglais montant à l’assaut, et a ensuite donné l’alarme, c’en était fait de nous.

— Ah ! ma bonne Sainte-Anne ! s’écriait une commère dont la courte jupe de droguet laissait voir une belle paire de mollets charnus. — Sait-on s’ils étaient nombreux ?

— Nombreux ! la mère, lui dit pour s’amuser un soldat qui passait ; il y en avait déjà deux cents dans la rue Sault-au-Matelot.

— Pétronille ! Pétronille ! courut dire la femme à une amie. Sais-tu combien il y avait d’ennemis dans la rue Buade, lorsqu’on les a mis en fuite ?

— Non.

— Cinq cents, ma bonne ! Nous l’avons paru belle, hein ! Car, vois-tu, ça n’a point de pudeur ces Anglais-là.

Plus loin, monsieur le premier bedeau de la paroisse racontait, au grand ébahissement des badauds qui l’écoutaient en grelottant, les pieds nus dans leurs souliers, comment la place avait failli sauter ; l’ennemi ayant, disait-il avec effroi, creusé une mine épouvantable sous la haute ville. Et il était en train de leur expliquer comment un boulet, parti de la flotte anglaise, était venu miraculeusement en couper et en éteindre la mèche allumée, quand les gardes du gouverneur, portant Boisdon sur un brancard, sortirent de la maison de Louis d’Orsy.

En ce moment, monsieur le bedeau reçut un violent coup de coude au creux de l’estomac, ce qui lui fit perdre la respiration et coupa le fil de son discours.

— Rangez-vous ! criait la jalouse Boisdon qui bousculait ainsi ceux qui arrêtaient sa marche. Je veux voir mon homme, moi ! Est-il vrai qu’on l’a surpris avec une femme dont le mari l’a blessé à mort ? Ah ! gredin ! sans cœur ! s’écria-t-elle en apercevant Boisdon. C’est ainsi que le ciel punit les hommes qui veulent abandonner femme et enfants !

— Allons ! laissez-nous passer, dirent à dame Javotte les soldats qui emmenaient l’hôtelier, et prenaient le chemin du château.

— Comment ! mais où le portez-vous, comme ça ?

— À la prison militaire, où votre mari restera jusqu’à ce qu’il ait subi son procès pour trahison. Car il a voulu livrer la ville aux Anglais.

Bon ! il ne lui manquait plus que ça ; traître à son pays comme à sa femme !

Et fondant en pleurs.

— Ah ! Jean, ne t’avais-je pas dit que tes fréquentes sorties nocturnes ne te conduiraient à rien de bon !


  1. On sait que Mme de Frontenac n’aimait pas son mari qu’elle ne voulut jamais suivre au Canada. La cour offrait en effet plus de jouissance à la coquette que la pauvre colonie.
  2. C’était le chapeau d’un bourgeois âgé à la fin du dix-septième siècle. Voyez Monteil.