France, Algérie et colonies/France/02/02

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LIbrairie Hachette et Cie (p. 68-72).


II. LES VOSGES


Les Vosges : leurs forêts, leurs lacs. Trouée de Belfort. — Avant 1870, les Vosges nous appartenaient par leurs deux versants, et de l’est à l’ouest on était frères : bien que jargonnant des patois du deutsch, les Alsaciens, les Lorrains de la Sarre, de la Nied, de la basse Moselle se sentaient et se disaient Français ; même les hommes de l’ouest, les vrais Français, étaient moins épris de la France que les hommes de l’est, les ex-Allemands.

Alors la plus haute cime de ces montagnes, le Ballon de Soultz où de Guebwiller (1 426 mètres), qui n’est plus nôtre, ne regardait que des vallons français, et c’est à l’extrême horizon qu’il voyait, par delà le Rhin, les dômes bleuâtres de la Forêt-Noire, chaîne teutonique extrêmement semblable aux Vosges.

Elles avaient chez nous 150 kilomètres de long, les trois cinquièmes des 250 000 mètres qu’il y a de leur commencement à leur fin, de Belfort au Rhin vers Mayence ; elles étaient plus ou moins plaquées sur six départements : Haut-Rhin, Bas-Rhin, Moselle, Meurthe, Vosges, Haute-Saône : tandis qu’aujourd’hui trois départements seulement, Meurthe-et-Moselle, Vosges, Haute-Saône et le Territoire de Belfort, ont part à leurs dômes et à leurs forêts.

Ces massifs de granit, de schiste, de grès rouge, de grès rose appelé grès des Vosges, étaient les plus boisés de nos monts, et dans ce qui nous en reste, ils le sont encore. Sur leurs ballons ou sommets en dôme, sur leurs hautes chaumes ou plateaux, la forêt cesse parfois pour livrer l’espace aux gazons, à la lande, à la roche pure, aux granits, à divers grès. Mais tout ce qui n’est pas hameau, village, usine, scierie, prairie, culture, route, : rivière et ruisseau, porte une livrée sylvestre, plus ou moins verte selon la prédominance, la minorité, l’absence des sapins, des pins, des épicéas, des mélèzes. Le hêtre, le chêne, le châtaignier n’y manquent point, mais ils n’y font pas de forêts aussi vastes que celles des arbres aciculaires, qui souvent gravissent uniformément tous les penchants, les mamelons, les dômes, et descendent dans tous les ravins jusqu’à la borne de l’horizon. Le calme des vallons où chuchottent plutôt qu’ils ne grondent les clairs ruisseaux des scieries, n’a d’égal dans les hautes Vosges que le silence de la forêt quand le vent n’en fait pas vibrer les aiguilles ; sur les hautes chaumes, la paix est plus profonde encore.

Si nous avons perdu le dôme culminant des Vosges et de vastes forêts, au moins nous reste-t-il leur versant pluvieux, celui qui jadis s’inclinait en glaciers deux fois plus grands qu’aujourd’hui les mers de glace des Alpes, celui qui maintenant épanche les plus belles rivières vosgiennes. Nous possédons aussi les plus jolis lacs de ces montagnes, lacs d’ailleurs tout petits : le lac de Gérardmer, à 631 mètres d’altitude, a 3 000 mètres de long sur 1500 de large, et 75 mètres de plus grande profondeur ; un ruisseau, la Jamagne, verse ses eaux dans une rivière, la Vologne ; il est gracieux, harmonieux, et les Vosgiens n’ont pas tort de dire : « Sans Gérardmer et un peu Nancy, que serait la Lorraine ? » Le lac de Longemer, à 746 mètres d’altitude, est sur cette Vologne qui reçoit la Jarmagne et que reçoit la Moselle : long de 2 kilomètres, mais n’ayant que 350 à 500 mètres de largeur, il ressemble à un fleuve de 50 mètres de profondeur qui coulerait entre des versants boisés ; on lui donne environ 75 hectares. Plus encaissé, plus sérieux, plus sombre de sapins que le lac de Gérardmer, il est moins sévère, moins noir que le lac de Retournemer : celui-ci, avec ses 6 hectares, n’est qu’un étang profond, que traverse la Vologne, que domine le Haut-d’Honeck ; il faut les sourires des plus beaux jours pour égayer son entonnoir : pendant la saison mauvaise, sous le vent, sous les pluies et la neige, c’est un plancher de glace, ou c’est une eau lugubre où flottent les aiguilles du sapin et les feuilles du hêtre.

Lacs de Retournemer et de Longemer.

Le Haut-d’Honeck est maintenant le monarque de nos Vosges : ayant 1 366 mètres, il ne le cède au Ballon de Soultz que de 60 mètres, pas même la hauteur des tours de Notre-Dame, ce qui en fait le second sommet de toute la chaîne. La Vologne en sort. Son nom véritable, purement allemand, Hoheneck, signifie la Haute-Pointe. Plus au sud, le Ballon d’Alsace a 1 257 mètres : on pourrait aussi bien l’appeler Ballon de Lorraine ou Ballon de Franche-Comté, car le département des Vosges et celui de la Haute-Saône s’y appuient comme l’ancien département du Haut-Rhin. Le Ballon de Servance, vers les sources de l’Ognon, s’élève encore à 1 189 mètres, le Ballon de Lure ou Planche-des-Belles-Filles à 1 150 ; mais à partir de ce dernier sommet la chaîne s’abaisse rapidement ; elle va s’aplatir sur des terres basses de la Trouée de Belfort, dépression qui n’a que 320 mètres d’altitude.

La trouée de Belfort, point très vulnérable, est un passage naturel pour les armées, les voies de fer, de terre et d’eau entre les versants du Rhône et du Rhin. Le canal du Rhône au Rhin en profite pour passer du bassin du Doubs, rivière suisse et comtoise, dans le bassin de l’Ill, rivière alsacienne, longtemps parallèle au Rhin qui finit par la boire ; le chemin de fer de Paris à Bâle emprunte également ce large sillon, qui sépare les Vosges du Jura. Belfort, place très forte qui donne son nom à la trouée, est chargée de garder ce bas-fond, porte de l’Allemagne sur la France, de la France sur l’Allemagne.