France, Algérie et colonies/France/03/06

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LIbrairie Hachette et Cie (p. 263-309).


VI. LA GIRONDE ET L’ADOUR


1° La Gironde. La Garonne vraie mère de la Gironde. — Ceux qui faisaient venir le mot Liger de Lignum gerens, tiraient le mot Gironde de Girus undæ, le tournoiement de l’eau ; mais il est possible, probable même, que Gironde est tout simplement une forme de Garonne. Dans ce cas l’estuaire aurait le même nom que le fleuve principal du bassin.

La Gironde, large estuaire, transmet à l’Atlantique les rivières d’un bassin de 9 millions d’hectares peuplé de 4 500 000 hommes. Sauf au bord de la mer, nulle part en France le soleil du Sud-Ouest ne luit sur d’aussi vastes eaux ; mais tandis qu’il émeut jusqu’au fond tout le cristal des ruisseaux clairs, il n’éclaire ici que la surface des eaux, car la Gironde est impure. Elle n’a ni la beauté verte, ni la beauté bleue. Le vent de mer, le vent de terre, le vent du Médoc et des Landes ou celui de Saintonge n’y impatientent que des vagues boueuses, et ces vagues ne frappent ni monts, ni caps vêtus de forêts : elles meurent sur la vase, contre des rives plates, des polders, des falaises basses ou des collines sans noblesse, sauf pourtant chez les Saintongeais, en approchant de l’Océan, à Talmont, à Meschers, à la pointe de Suzac : là les roches sont droites, hautes, régulières, blanchâtres, comme il convient à des parois de craie. Ces falaises, le flot les ébranle, et celles qu’on ne protège pas contre lui tomberont, comme tant d’autres se sont écroulées déjà sur cette rive qu’ici la mer diminue tandis que s’accroît la rive opposée. Sur la côte médocaine, des alluvions se déposent, des marécages se forment dont on tire des polders dominés par le mamelon de Jau, lequel, en pleine terre aujourd’hui, baignait il y a deux siècles dans l’estuaire. D’ailleurs toute la muraille crayeuse de la Gironde saintongeaise n’est pas minée par la vague : de Blaye à Port-Maubert il s’est assis tant de vase au pied de l’antique falaise que celle-ci est maintenant séparée du fleuve par de larges marais, plus ou moins bien, plus ou moins mal desséchés.

La Gironde amène en moyenne à l’Océan 1 178 mètres cubes par seconde, tribut d’une contrée où la chute annuelle des pluies est de 823 millimètres. C’est 35 fois l’étiage de la Seine à Paris et les deux tiers ou les trois quarts de ses crues extrêmes ; et cependant ces 1 178 mètres cubes d’eau douce par seconde sont absolument noyés dans le flot de mer qui, deux fois par jour, monte et descend l’estuaire. La Gironde engorge à chaque flux et dégorge à chaque jusant au moins 300 000 mètres cubes d’eau par seconde : plus qu’en temps d’étiage tous les fleuves du monde réunis.

Son embouchure a varié dans la suite des siècles. Entre autres lits, elle passa manifestement dans celui que signalent, entre la rive gauche de l’estuaire et le littoral de l’Atlantique, les terres basses au sud de Saint-Vivien et une coupure dans la dune près de la plage de Montalivet. Maintenant elle s’ouvre entre Royan, qui est une ville de bains de mer attachée à la Saintonge, et la pointe de Grave, qui est le terme septentrional des dunes landaises. De Royan à la pointe de Grave il y a 5 kilomètres, et la passe a 32 mètres de profondeur ; en amont, on compte jusqu’à 10 ou 42 kilomètres entre la rive saintongeaise et le pied de collines du Médoc, qui sont la terre natale des vins les plus illustres.

L’estuaire de la Gironde a pour affluents : à gauche, des Jalles, ruisseaux d’eau brune venus du sable des Landes ; à droite, des fontaines très belles, filtrées par la craie de Saintonge. Semé d’îles et gêné de bancs, il est néanmoins accessible à marée haute, sur toute sa longueur, aux plus grands navires. À mesure qu’on le remonte, on le voit se rétrécir. Au delà de Pauillac, ville devant laquelle les eaux sont encore en partie salées, en amont de Blaye, à 75 kilomètres environ de la mer, on se trouve à la rencontre de deux immenses rivières, égales en apparence. Le lieu s’appelle le Bec d’Ambès, pointe de l’Entre-deux-Mers ; les deux cours d’eau sont la Garonne et la Dordogne.

À ce confluent, la Dordogne arrive après une course de 490 kilomètres dans un bassin de 2 340 000 hectares ; son étiage est de 45 mètres cubes environ, sa portée moyenne de moins de 500.

La Garonne, elle, a parcouru 575 kilomètres dans un bassin de 5 600 000 hectares, et, si son étiage descend à 40 mètres cubes, ou même moins, son module est de près de 700.

Ainsi, malgré leur égal déploiement de majesté, quand les deux fleuves, s’embrassant au terme de l’Entre-deux-Mers, mêlent leurs flots salis par les vases que remue la marée, l’un des deux, la Dordogne, est plus court et plus pauvre que l’autre.

La Garonne sort du val d’Aran, terre espagnole quoiqu’elle s’ouvre sur la France et que de rudes montagnes la séparent de la Catalogne et de l’Aragon, domaines castillans. Elle s’y forme de deux torrents.

Le plus long, mais non le plus abondant, la Garonne Orientale, naît à 1 872 mètres, dans les monts de deux à trois mille mètres qui dessinent une S grossière entre le mont Vallier et la Maladetta. Ses deux sources, ses deux yeux, comme on dit en Espagne, jaillissent à trente et quelques kilomètres en ligne droite à l’est de Bagnèresde-Luchon, près des fontaines d’une jolie rivière espagnole, la Noguera Pallaresa, sous-affluent de l’Èbre par la Sègre. Il semble que les noms de Garonne et de Noguera sont deux formes d’un même mot d’une langue jadis parlée dans les Pyrénées.

La Garonne Occidentale ou Jouéou commence à 1 350 mètres, à 15 ou 18 kilomètres au sud-est de Bagnères-de-Luchon. En été, dix fontaines, les unes dormantes, les autres pressées de monter au jour pour courir et bondir ; au printemps, quand fond la neige, deux sources puissantes, origine digne d’un fleuve, forment un fier torrent qui s’abat aussitôt de trente mètres, en deux bras, par deux cascades. Ce grand paysage entre monts et forêts, dans la roche et les sapins, ces eaux calmes ou bouillonnantes, ces deux cascades hurlant dans le même gouffre, tout cela se nomme le Goueil de Jouéou. Il y a 4 kilomètres, une montagne massive, la Tusse de Bargas (2 582 mètres), et près de 600 mètres de différence de niveau entre le Goueil de Jouéou et le Trou du Taureau, abîme où tombent en cascade les eaux des plus grands glaciers de la Maladetta : au contraire il n’y a que peu de relief et une faible distance entre le Trou du Taureau et le val de l’Esera, rivière espagnole du bassin de l’Èbre ; tout montre pourtant que les sources du Goueil sont le torrent qu’a dévoré cet abîme.

À 50 kilomètres du commencement de la Garonne Orientale, le futur fleuve, qui vient de se perdre en partie sous les rochers calcaires du gouffre de Clèdes, quitte le val d’Aran, qui est relativement le lieu des Pyrénées le plus affligé de crétins. C’est par 590 mètres d’altitude qu’il entre en France, à l’étroite déchirure du Pont du Roi.

Torrent clair, rapide et sans largeur, elle traverse les gorges de Saint-Béat, resserrées par des montagnes de marbre, boit la Pique, venue de Luchon, touche le rocher de l’antique Saint-Bertrand-de-Comminges, et devient rivière au pied de la colline de Montrejeau, à 400 mètres d’altitude, par l’accession de la Neste, qui lui porte autant d’eau, sinon plus, qu’elle n’en roule elle-même.

Saint-Bertrand-de-Comminges.

Ici la Garonne change de route. Sa direction première, vers le nord-ouest, l’amènerait à Bordeaux par l’Armagnac et par les Landes, par Mirande, Fauze, Bazas et Langon ; elle tourne à l’est pour revenir au nord-ouest par le nord-est et le nord, et arriver ainsi devant cette même ville de Langon après avoir tracé, de Montrejeau à Port-Sainte-Marie, un harmonieux demi-cercle allongeant son cours d’une centaine de kilomètres. C’est l’immense entassement de cailloux déposés par les anciens glaciers au pied des Pyrénées, c’est le plateau de Lannemezan qui l’oblige à ce grand détour.

Au-dessous de la Neste, la Garonne court dans une plaine où jadis elle dormit longtemps quand il y avait là, des gorges de Tibiran-Jaunac[1] à celles de Saint-Martory, un des lacs qui modéraient le fleuve et lui gardaient sa grandeur en été, sa transparence en fout temps. Elle passe en vue de Saint-Gaudens, et remplit le grand canal d’irrigation de Saint-Martory, puis conquiert en passant le turbulent Salat. Et bientôt elle quitte sa haute vallée, Éden de grâce et de fraîcheur, pour les immenses plaines du Toulousain.

La plaine de Toulouse, qui s’étend sur la Garonne et sur la basse Ariège, se compose de profondes alluvions dont les 10 mètres cubes par seconde[2] du canal de Saint Martory, calculé pour abreuver 14 000 hectares, feront un des territoires opulents de la France ; mais grande est sa monotonie. Pour toute verdure estivale elle a ses vignes, çà et là quelques arbres, et des peupliers le long de ruisseaux qui sont des fossés secs pendant huit mois de l’année et pendant quatre autres mois des passages d’eau jaune ; ses raisons sont en cailloux de rivière ou en briques parfois plaquées d’une chaux menteuse qui s’écaille et tombe. Les champs, au lieu de haies vives, ont pour bordure des talus, et souvent des murs de terre avec des chapiteaux de brande sans lesquels la pluie délaierait de haut en bas ces misérables remparts. Des nuages de poussière volent en été sur cette plate campagne où la chaleur du ciel est lourde, où le sol réverbère, sur ces longues routes droites, ces bourgs, ces fermes, ces tuileries qui sont l’officine de la seule pierre à bâtir qu’on puisse extraire de l’alluvion toulousaine. Une rangée de coteaux serre la rive droite du fleuve, mais n’y mire point de rocs, point d’escarpements ; elle est basse, écrasée, nue, jaunâtre. Éclatant contraste à la banalité des champs poudreux, les pics des Pyrénées, que le Vallier commande, scient l’horizon d’entre Espagne et France. Dans les jours de grand soleil, qui ne sont point rares au pays de Toulouse, leurs neiges sublimes parlent de fraîcheur, d’air pur, d’eau ruisselante aux habitants de la plaine enflammée.

La Garonne y touche Muret, elle y recueille l’Ariège, elle y traverse Toulouse, ville de briques tirant du fleuve, déjà très large, le mouvement de beaucoup d’usines. Après Castel-Sarrazin, puis au-dessous de la rencontre du Tarn, la vallée, plus féconde encore, sépare de superbes coteaux, vignobles où fleurissent le prunier et le pêcher. L’opulence du sol, la hauteur, la beauté des collines, la gaieté du ciel, assurent aux bords de la Garonne le prix sur les rives de la Loire. Le « jardin de la France » est devant Agen, à Port-Sainte-Marie, à Aiguillon, à Tonneins, à la Réole, à Saint-Macaire, bien plus qu’à Blois, Amboise, Tours ou Langeais.

En aval du confluent du Lot se suivent Tonneins, l’une des métropoles du tabac, Marmande et la Réole. Vers Cadillac, les coteaux de la rive gauche s’effacent, et les Landes pressent la vallée de la Garonne, qui produit ici le Sauternes, premier des vins blancs. Bordeaux, la capitale du Sud-Ouest, a des quartiers bâtis sur la Lande ; les ruisseaux vifs qui l’arrosaient jadis et qui sont devenus des fossés orduriers, égoûts voûtés du sous-sol, ont leurs sources dans des mamelons de sable, à l’ombre diffuse des pins maritimes.

Bordeaux, ville superbe, arrondit pendant 6 kilomètres ses quais en croissant sur le fleuve, large ici de cinq à sept cents mètres : elle trafique avec tout l’univers, surtout avec l’Angleterre, l’Europe du Nord, les États-Unis et l’Amérique dite latine ; partout elle envoie les vins fameux qui ont pris son nom et qui viennent du Médoc, de l’Entre-deux-mers, des côtes de la Garonne et de la Dordogne. Une décadence prochaine menace depuis quelques années cette cité splendide, La Garonne s’envase : les ingénieurs ayant rétréci son lit, le flot de la mer n’arrive plus avec la même force qu’autrefois, il ne fouille plus le fond avec autant de puissance ; il se forme des bancs de boue, et déjà sur plusieurs seuils les grands vaisseaux passent avec défiance. Cependant les navires de 2 000 tonnes, de 2 500 tonnes même, remontent encore jusqu’au pont de Bordeaux, qui enjambe en 17 arches, sur 487 mètres de long, la vase diluée, profonde, animée, rapide, qu’on appelle ici le fleuve de Garonne. Une autre menace, et non moins terrible, est celle que le plus exécrable puceron, le phylloxéra, suspend sur ses glorieux vignobles ; l’insecte abhorré vient de flétrir des clos célèbres et chaque saison le rapproche des plus vénérés de tous, ceux du Haut-Médoc.

Devant Bordeaux, la Garonne obéit depuis longtemps à la marée, qui commence à se faire sentir à 53 kilomètres en amont, vers Castets. Au-dessus des lieux où le frottement de la marée montante ne mélange plus les eaux du fleuve avec les vases de son fond, elle roule des flots assez clairs, mais elle n’en est pas moins, en aval de Toulouse, une des rivières françaises qui transportent le plus de troubles.

La Garonne à Bordeaux.

La Garonne descend, devant Tonneins, à 37 mètres cubes par seconde, mais il faut pour cela de longues chaleurs. Le module ou débit moyen, à ce même Tonneins, est de 659 mètres cubes : ce que le fleuve doit en partie à des crues formidables de 8, de 9, de 10, et même de 13 mètres de hauteur : il entraîne alors 10 500 mètres cubes par seconde, 283 fois le volume de l’étiage. Dans l’été de 1876, la Garonne, devenant immense par des abats de pluie chaude sur les neiges des Pyrénées, a brisé ses ponts, menacé de male mort des quartiers de Toulouse, détruit un grand faubourg de cette ville, assiégé vingt cités, couru librement dans les rues d’Agen à la hauteur d’un premier étage, et des hommes ont péri par centaines dans les tournoiements de ce soudain déluge. Si la Garonne, le Tarn, le Lot, la Dordogne, avaient des berges aussi basses que la Loire, il leur arriverait de répandre sur la vallée des désastres tels que l’Orléanais, la Touraine et l’Anjou n’en ont jamais souffert de pareils. Par bonheur, ces rivières d’expansion subite et terrible coulent presque toujours dans un lit profondément taillé, et non pas sur ces fonds plats que les riverains ont la dangereuse ambition de resserrer par des levées.


2o Les affluents de la Garonne : Neste, Salat, Ariège, Tarn et Lot. — La Neste se fait d’un certain nombre de nestes, c’est-à-dire de torrents. De ces nestes, la plus grande, celle de Couplan, déverse les principaux lacs du massif de Néouvielle : puis, forte des nestes d’Aragnouet, de Moudang, de Rioumajou, elle devient la Neste d’Aure : c’est sous ce nom qu’elle arrose la vallée d’Aure, fraîche, riante, lumineuse comme il en est peu dans les Pyrénées, et de toutes la plus riche en thermes. Augmentée, sous Arreau, de la Neste de Louron, elle atteint la rive gauche de la Garonne après un cours de 75 kilomètres. Comme il tombe sur les montagnes de son bassin beaucoup de pluie, beaucoup de neige, elle roule un grand volume d’eau. Son débit par seconde peut descendre à 5 mètres cubes, mais en général il va de 10 à 20 mètres en basses eaux, de 20 à 50 en eaux moyennes, de 50 à 80 en fortes eaux ; il atteint presque 140 dans le mois de la grande fonte des neiges. Le module est de 35 mètres cubes et demi.

Précisément au nord de ce magnifique torrent des Pyrénées, du haut plateau de Lannemezan partent des rivières qui se distribuent en éventail pour gagner la Garonne ou l’Adour. En été, ces rivières, d’un cours assez long, sont à peine des fossés où des barrages silencieux retiennent, à l’amont des moulins, des eaux mortes : telles la Louge, la Save, la Gesse, la Gimone, l’Arats, le Gers, les Bayses, l’Osse, l’Auzoue, rivières garonnaises, la Douze, le Midou, le Bouès, rivières adouriennes. Pour que les plus grands de ces ruisseaux coulent au temps des chaleurs, on s’est adressé à la Neste ; et, pour ne pas trop l’appauvrir, on a relevé de près de 17 mètres le niveau du lac d’Orédon, vers lequel Néouvielle penche sa glace éternelle. De la sorte, on a gagné 7 500 000 mètres cubes de plus pour l’étiage de la Neste, qui dès lors peut remédier à l’indigence des rivières lannemezanaises.

À Sarrancolin, le canal de la Neste, long de 92 kilomètres, prend théoriquement au torrent sept mètres cubes par seconde : nous disons théoriquement, car le canal, passant par des terrains fissurés, ne retient pas même la moitié de l’eau qu’il dérobe à la Neste : il y a des jours où il ne porte guère qu’un mètre à la seconde sur le plateau, et jamais il n’en amène plus de trois. C’est une grande œuvre à réparer ou à refaire. Ces eaux vives courent en plusieurs canaux sur les landes de Lannemezan et vont se verser dans la Louge, la Save et son affluent la Gesse, la Gimone, l’Arats, le Gers, les Bayses et le Bouès.

Le Salat, long de 80 kilomètres à peine, n’en est pas moins une rivière de 40 à 45 mètres de large, roulant à l’étiage 7 200 litres par seconde, en volume ordinaire 22 mètres cubes, en crues extrêmes 800. Ses eaux rapides lui viennent des Pyrénées qui se dressent du Val d’Aran au massif du Montcalm. Il naît au pied du port de Salau, brèche la plus facile entre la France centrale et l’Aragon, de sources très belles, donnant, suivant le temps, 600 à 1 500 litres par seconde. Roulant quelques paillettes d’or, il serpente dans l’ancien pays de Couserans ; il traverse Saint-Girons, frôle le coteau de Saint-Lizier et s’unit à la Garonne, rive droite, par 260 mètres d’altitude, à Boussens, en aval de Saint-Martory. Un de ses affluents, le Garbet, coule joyeusement sur des galets, des rocs, des dalles de marbre, dans le vallon de la guérissante Aulus.

L’Arize (75 kilomètres), ou plutôt la Rize, a peu d’eau ; elle tombe dans la Garonne, rive droite, en face de Carbonne, par 190 mètres. C’est elle qui traverse la Grotte du Mas-d’Azil : tout près et en amont de cette ville, au-dessous d’un moulin, au bout d’une impasse, elle rencontre une haute roche calcaire ; au lieu de la contourner, comme elle le faisait autrefois, comme elle peut encore le faire dans les très grandes crues telles que celle de 1876, elle s’enfonce dans ce bloc immense dont le dos porte des vignes. L’entrée est souverainement grandiose ; au lieu de corbeaux on lui voudrait des aigles, et au lieu d’un torrent qui sèche presque en été quelque agissante, puissante et mugissante rivière. Et d’ailleurs, en grandes eaux, l’Arize heurte avec fureur les blocs de son lit raboteux, d’abord en pleine lumière, puis dans le clair-obscur, puis dans les ténèbres ; car bientôt la paroi tourne et la voûte s’abaisse, en même temps que descendent à la fois le torrent et la grotte : on dirait la Porte des Enfers si ces ténèbres étaient nuit noire, mais des lanternes jettent leurs lueurs sur la route de Saint-Girons à Pamiers, qui, pendant 410 mètres, c’est-à-dire d’un bout à l’autre de la caverne, suit fidèlement l’Arize, d’assez haut pour ne plus la craindre. À droite, près d’un pilier colossal aidant les parois à ne pas fléchir sous le poids de la voûte, on voit confusément s’ouvrir une grotte latérale : celle-ci sans rivière ; avec d’autres galeries, c’est un asile des chauves-souris, qui trouvent trop lumineux le couloir où le torrent passe avec le chemin. La sortie, moins belle que l’entrée, est basse, étroite, humble, obscure, écrasée par 140 mètres de roche.


L’Ariège, qui a pour vrai nom la Riège, est un grand torrent d’eau verte, long de 155 kilomètres. Elle porte à la Garonne, rive droite, un peu en amont de Toulouse, par 138 mètres au-dessus des mers, 15 mètres cubes environ à l’étiage, 45 aux eaux moyennes, 1 500 à 1 600 en grande crue. Rassemblant les bondissantes eaux des crêtes pyrénéennes où trône le Montcalm, sur le versant opposé à la conque d’Andorre, elle commence en Espagne, au pied du puy Nègre (2 812 mètres), et presque aussitôt elle nous appartient. Roulant des flots plus ou moins aurifères, elle passe à Ax et à Ussat, villes thermales ; elle baigne la pittoresque Foix, la fertile Pamiers, la riche Saverdun, et associe l’Hers à ses destinées.

L’Hers (120 kilomètres), rivière herbeuse d’une largeur moyenne de 35 mètres, oscille entre 3 mètres cubes par seconde, débit d’étiage, et 700 mètres, volume des crues extrêmes : en eaux ordinaires, il mène 10 mètres cubes. Il arrose la plaine de Mirepoix, qu’un déluge subit laboura, quand, il y a 600 ans, en 1279, le lac de Puyvert s’effondra vers l’aval. Si peu de lacs s’écroulent aujourd’hui sur les vallées françaises, c’est que presque tous se sont écroulés ou comblés. Plus d’un toutefois pourrait encore effacer des hameaux, cerner ou broyer des villes et porter des cadavres aux rivières.

L’Hers n’est rien ou presque rien, à peine un ruisseau à scieries, quand, dans un vallon verdoyant et cependant quelque peu sombre et triste, il passe à trente mètres de l’antre de Fontestorbe, ombragé par cinq platanes. Cette caverne, voisine du bourg de Bélesta, s’ouvre au pied d’un roc à pic où s’accrochent des pousses d’ormeau, des touffes de buis, des herbes et des ronces. Clair-obscure à l’entrée, elle serait noire au fond sans un beau puits de lumière qui vient de haut, du sommet de la roche à travers la roche entière. Au delà de cette déchirure de la voûte, on pénètre dans un couloir, puis, à la lueur des bougies, on se trouve en face d’une onde immobile et noire, qu’on ne saurait franchir : une barque n’y glisserait pas, si mince fût-elle, un homme n’y pourrait étendre les bras pour nager. En avant du couloir, d’un roc à la fois éclairé par la bouche de la grotte et le puits de lumière, on admire comment la source naît et meurt. Rien n’annonce qu’elle va jaillir, ni souffle d’air, ni secousse, ni rumeurs souterraines. L’instant venu, d’entre les cailloux il monte un peu d’eau ; et lentement, sans efforts, sans saccades, sans fracas, presque sans murmures, l’eau monte, en même temps qu’au delà du puits de lumière, dans les ténèbres, monte aussi l’onde auparavant immobile qui est le réservoir de la fontaine. Bientôt cette onde sort en torrent de son noir couloir, elle se mêle aux flots nés entre les pierres de l’antre, et dès lors Fontestorbe est une rivière d’une eau divinement pure, telle qu’elle doit couler d’une coupe de pierre sans roseaux, sans joncs, sans herbes, sans limons et sans nénuphars. Quand la grotte est pleine, jusqu’aux pieds du visiteur debout sur la roche, Fontestorbe descend à l’Hers par deux chemins : par le canal d’une scierie et par un bruyant rapide, une cascade plutôt, qui tombe, large de 10 à 15 mètres, d’un barrage de pierres moussues. Après avoir monté pendant 36 minutes 36 secondes, l’eau baisse, et de rivière devient ruisseau, puis ruisselet, et disparaît enfin pour reparaître après une absence de 32 minutes 30 secondes. Cette merveilleuse intermittence ne dure point toute l’année ; il y a des semaines, des mois où, par la vertu des fortes pluies, Fontestorbe vomit une rivière sans lacune ; et dans la saison de cours interrompu, il suffit d’un orage fécond pour ramener à l’expansion continue cette source puissante qui donne par seconde 564 litres à l’étiage, 1 800 litres en volume ordinaire et 3 100 litres en crue. Le vaste rocher d’où sort la reine des fonts intermittentes borde une des plus belles forêts des Pyrénées : les paysans la nomment quelquefois la « Draperie » de Bélesta, parce que ses sapins fournissent les planches de cercueil qui sont notre dernier habit.

La Save (150 kilomètres) diffère singulièrement des torrents envoyés par les Pyrénées à la Garonne : elle ne connaît ni les neiges cristallisées, ni les lacs transparents, ni les fontaines du pied des roches, ni les cascades d’eau verte ou bleue et d’écume blanche. C’est une des lourdes rivières mal abreuvées par le plateau de Lannemezan et les terreuses collines de la Lomagne ou de l’Armagnac. Elle baigne Lombez et s’engloutit dans la Garonne, rive gauche, près de Grenade, ville bâtie au treizième siècle sur un plan régulier, comme le furent à la même époque un grand nombre de cités du Sud-Ouest. Ces villes, qu’on appelle des bastides, sont faites de rues alignées au cordeau, toutes parallèles ou perpendiculaires entre elles, avec une place quadrangulaire, entourée de couverts (arcades), sur laquelle se dresse la mairie. Plusieurs portent de noms qui se retrouvent ailleurs, en Espagne, en Italie, en Allemagne, ou en France : telles sont, par exemple, et tout d’abord Grenade, puis Fleurance, Plaisance, Pavie, Miélan (Milan), Verdun, Cologne, Pampelonne (Pampelune), etc.

La Gimone (135 kilomètres), en tout pareille à la Save, procède aussi du plateau de Lannemezan. Elle arrose la Lomagne. C’est également un affluent de gauche.


Le Tarn (375 kilomètres), dont le bassin renferme 1 400 000 à 1 500 000 hectares, roule 20 mètres cubes par seconde à l’étiage, et plus de 6 500 en grande crue.

Commençant à 1 550 mètres d’altitude, à trente et quelques kilomètres en ligne droite au sud-est de Mende, sur le penchant méridional de la Lozère, le Tarn passe près de Florac, puis s’engage dans des gorges extraordinaires. À quatre, à cinq, à six cents mètres de profondeur, dans un étroit désert où l’on n’entend que sa voix, la froide rivière coule au pied de calcaires immenses, droits et percés de cavernes. Plus bas et très en aval, dans la plaine opulente, le Tarn, ayant quitté le roc pour la terre et le gravier, sera trouble, épais, opaque et rouge, mais ici, dans ce fond de gouffre, il est encore une onde pure, de temps en temps accrue par des torrents clairs jaillissant de la paroi du Causse de Sauveterre à droite, de celle du Causse Méjean à gauche. Il n’y a point de villes dans ce cagnon, qui serait la caverne la plus terrible du monde si quelque voûte, franchissant la fêlure, unissait l’un à l’autre les deux escarpements du défilé, dressés à la même hauteur au-dessus du torrent, et faisait des deux Causses un seul et même abominable plateau où la neige tombe, où le vent grince, où nulle saison n’apporte l’abondance aux champs et la gaîté dans les villages. On n’y voit guère que des hameaux : Molines, où tombe la limpide rivière de Vigos, née près de là d’une fontaine superbe au pied du causse de Sauveterre ; Castelbouc, où jaillit une belle source ; Sainte-Énimie, avec sa grande font de Burle ; Saint-Préjet, où la rivière gronde au fond du Pas du Souci, au pied de la Roche Sourde et de la Roche d’Aiguille.

Le Tarn sort de ce long étranglement au confluent de la Jonte. Il arrose ensuite le ravissant bassin de Millau, puis il voyage dans des gorges bornées de roches dures, qui finissent au saut de Sabo. Entre ces gneiss, ces schistes, ces micaschistes vêtus d’herbes courtes, de bruyères, de fougères, le Tarn se tord comme un serpent. De ses replis, le plus beau c’est la boucle d’Ambialet, contour de plus de 3 kilomètres, l’isthme ayant 12 mètres seulement. Tout le long de ce méandre embrassant un haut promontoire couronné par un prieuré, le Tarn, sur des grèves, sur des rochers, glisse, impur ou clair suivant que le ciel pleure ou non sur les ravins d’une fangeuse rivière aveyronaise, la Rance. Au bout du détour, un torrent impétueux se heurte au Tarn : c’est le Tarn lui-même, ou du moins ce qu’une coupure de l’isthme enlève au grand circuit d’Ambialet par une abondante prise d’eau. C’est de là, ou de tout près, que va partir un canal d’arrosage pour la plaine d’Albi. Il y a sur diverses rivières de France des replis plus longs que celui d’Ambialet ; mais aucun n’a d’isthme si court ; aucun n’est si beau, soit qu’on suive le fil de son onde, soit que du plateau de Villefranche, campagne banale avec des échappées d’horizon, on descende à grands lacets dans l’anfractuosité du Tarn, monde profond qui doit tout à lui-même, rien à l’espace, c’est-à-dire à ce qui fuit et décroît.

Le Saut de Saho est une cascade qui fut plus belle, du temps de Sabo, le pâtre légendaire. Quand cet autre Léandre bondissait la nuit par-dessus la retentissante et soufflante obscurité du précipice, la tombée du Tarn était un terrible tumulte ; des eaux folles, cascades massives ou légères cascatelles, sautaient de tous côtés dans le gouffre pour y devenir aussitôt l’onde sourde, traîtresse, immobile et sinistre du pied des cataractes. Une digue impie a discipliné ce chaos de chutes et le flot descend par deux chemins d’usines ; un sur chaque rivage, jusqu’au chenal de pierre vive où il se repose de ses travaux. Et bientôt, au-dessous du haut pont de cinq arches unissant Arthez à Saint-Juéry, les roches cessent ; le Tarn, large de 150 mètres, est désormais en plaine, entre des berges terreuses comme il sied à une rivière rarement limpide ; ces berges sont élevées ; elles sauvent des inondations les champs plantureux d’Albi, de Gaillac, de Rabastens, de Montauban, de Moissac. Le confluent avec la Garonne, rive droite, est à 55 mètres d’altitude.

Le Tarn reçoit le Tarnon, la Jonte, la Dourbie, le Dourdou méridional, la Rance, l’Agout, l’Aveyron.

Le Tarnon ou Petit Tarn (35 kilomètres), sorti des halliers de l’Aigoual, coule à la base d’escarpements sourcilleux, assise orientale du Causse Méjean. À Florac, son meilleur affluent, la source du Pécher, née précisément des infiltrations du Causse, jaillit d’un grand roc nu.

La Jonte (40 kilomètres) limite au midi le Causse Méjean, au nord le Causse Noir. Engouffrée dans les anfractuosités du lias, elle ne reçoit aucun ruisseau à partir de Meyrueis, mais de grandes sources lui portent leurs flots : telle est celle de Pellalergues ou du Pouget.

La Dourbie (70 kilomètres), rivière de fontaines, finit en amont de Millau ; ses eaux animent de profonds défilés commandés au sud par le Larzac, au nord par le Causse Noir. Son plus grand tributaire (grand d’abondance, petit de cours), le Durzon, qu’elle reçoit à Nant, sort de la pierre de Cévennes par une font puissante.

Le Dourdou méridional (90 kilomètres), quand il est en crue, traîne assez de terres rouges pour salir le Tarn jusqu’à la Garonne. Il ne vaut pas son tributaire, la Sorgues (50 kilomètres), qui baigne Saint-Affrique : comme son illustre homonyme, cette Sorgues est belle dès sa source, issue du Larzac.

La Rance (65 kilomètres), serrée dans des gorges profondes, souille aussi beaucoup le Tarn : s’ils voient leur rivière s’enfler d’eaux rougeâtres, les gens d’Albi et de Montauban savent que le Dourdou et surtout la Rance, les « Nils aveyronnais », débordent. De même, quand les riverains de la basse Dordogne voient rougir leur beau fleuve, ils en accusent aussitôt l’affluent limousin, la Vézère.

L’Agout (180 kilomètres), large de 80 à 90 mètres, donne 7 mètres cubes d’eau par seconde à l’étiage. Né dans les Cévennes de l’Espinouse (1 000 à 1266 mètres), au nord-est de Saint-Pons, il se tient longtemps dans une gorge tortueuse ; il forme la cascade du saut de Luzières, côtoie le stérile plateau du Sidobre, semé d’énormes blocs de granit, sert aux industries de Castres, passe à Lavaur et renforce le Tarn d’un tiers, à la Pointe-Saint-Sulpice, au-dessous de Rabastens. L’Agout reçoit le Thoré (50 kilomètres) et le Dadou (100 kilomètres), rivières d’une largeur moyenne de 30 mètres. Le Thoré descend de la Montagne Noire et passe dans la banlieue de Mazamet ; aux eaux basses, en aval de Caucalières, il disparaît dans les Gaunios, qui sont quatre trous dans la roche, et on ne le revoit qu’à 800 mètres plus bas ; les hautes eaux cachent cette perte et cette renaissance.

L’Aveyron (240 kilomètres), long mais faible, a moyennement 40 mètres de largeur au-dessous du confluent du Viaur. Il commence près de Séverac-le-Château, au pied, du causse de Sauveterre. Dans le Rouergue, devenu, d’après lui, le département de l’Aveyron, il se tord, silencieux, lent et noir, au pied de la sombre colline de Rodez, avec son affluent l’Eau-Terne, dont il mériterait de partager le nom. Au-dessous de Villefranche-de-Rouergue, à Najac, à la Guépie, à Saint-Antonin, à Penne, à Bruniquel, dans le gneiss d’abord, puis dans le lias, il fait un voyage sublimé au fond des gorges les plus belles qu’empruntât un chemin de fer français avant qu’il y eût chez nous une ligne d’Alais à Brioude ; la voie ferrée l’y traverse dix-huit fois. L’Aveyron a pour principal tributaire le Viaur, qu’il rencontre au pied des ruines du château de la Guépie Inférieur d’un sixième à son rival, le Viaur a 160 kilomètres, mais n’arrive qu’à 16 mètres de largeur moyenne ; il a des eaux pures tandis que la moindre pluie, délayant des lias, embourbe vilainement l’Aveyron. Il n’est pas en France de courant plus fidèle aux gneiss et aux micaschistes : il tourne autour de promontoires de roches dures, caps hautains, rugueux, pittoresques, mais jamais aussi droits que les falaises du calcaire ou de la craie. Vallon par l’étroitesse, gorge par la profondeur (et souvent par la sauvagerie), sa vallée est partout à l’abri des vents, arrêtés à la fois à la rive droite, à la rive gauche, au repli d’amont, au contour d’aval, par la hauteur des escarpements qui se renvoient sans cesse le cours de son eau limpide et le tordent comme un serpent. Au bas des chemins à grands lacets, des sentiers de chèvre, des escaliers de roche où l’hiver fait gronder des torrents, quand on est descendu jusqu’au bord de ce Méandre du Rouergue, on est comme au fond du monde et, dans cette calme retraite, on oublie la bise et la brise du causse inclément de Rodez. Le Viaur, heureuse rivière, n’arrose point de ville, il ne dévore point d’égoûts, aucun chemin de fer ne suit ses caprices ; sauf quelques moulins, il restera longtemps, sinon toujours, à la nature.


Du Tarn au Lot, la Garonne engloutit, par sa rive gauche, l’Arats, le Gers et la Bayse. L’Arats (135 kilomètres), en sa qualité de rivière lannemézanienne, est un gros ruisseau qui coule à peine en été. Le Gers (70 kilomètres), qui nomme un département, ne vaut pas mieux que l’Arats : fils aussi du plateau de Lannemezan, il passe au pied 4 l’amphithéâtre d’Auch et de la haute colline de Lectoure. La Bayse (180 kilomètres), également venue de Lannemezan, touche Mirande, Condom et Nérac, Save, Gimone, Gers, Bayse, ces tristes rivières doivent au canal de la Neste le peu d’eau qu’elles roulent pendant les semaines sèches.


Le Lot fait un chemin de 480 kilomètres dans un bassin d’un peu plus de 1 100 000 hectares. Sa route est de l’est à l’ouest, comme celle que suivent ses deux grands compagnons, le Tarn et la Dordogne. Il s’appelle réellement Olt, comme en témoignent encore des noms tels que Saint-Laurent-d’Olt et Saint-Geniez-d’Olt au-dessus d’Espalion, et Saint-Vincent-de-Rive-d’Olt, près de Luzech, au-dessous de Cahors. Il commence à 1 500 mètres d’altitude, en Lozère, dans la chaîne du Goulet ; descendant très vite, par Bagnols, ville thermale, et par Mende, longtemps il ne réfléchit que des monts ruinés. Il coule devant Saint-Geniez, Espalion, Estaing, Entraigues, puis borde le bassin houiller de l’Aveyron, où se sont élevés, dans des ravins latéraux, à quelque distance de sa rive gauche, deux grands ateliers de métallurgie, Aubin et Decazeville. Devenant extraordinairement sinueux, il va de promontoire à promontoire, toujours profond parce que des barrages de navigation le retiennent. Généralement impur, il n’a jamais la vraie transparence ; même après des semaines sans pluie, son onde, bien que verte, est sombre : trop de ruisseaux du lias et du schiste se mêlent dans son lit aux fontaines du Causse.

Qui a vu le nid d’aigle de Capdenac, près d’une grande gare du chemin de fer de Paris à Toulouse, connaît le profil saisissant des côtes du Lot. Il le connaît mieux encore, celui qui, dans un beau voyage, de Capdenac à Cahors, a contemplé les escarpements qu’entaille la grande route en aval de Cajarc ; ou les hautes parois de Calvignac ; ou Saint-Cirq-Lapopie, jadis ville, aujourd’hui bourgade admirablement campée sur un rocher du Lot ; ou, des deux côtés du confluent du Célé, les collines de pierre de Bouziès, que le chemin traverse en tunnels.

Par sa position dans un contour de rivière, sur un roc élevé, Capdenac a quelque raison de se croire l’héritière de l’antique Uxellodunum, la dernière forteresse qui brava les légions de César. Mais pas plus que sur Alésia les érudits ne s’accordent sur Uxellodunum : les uns mettent cette acropole cadurque à Cahors, qui est aussi dans une presqu’île du Lot ; d’autres à Luzech, que tourne également cette rivière, par une boucle de 5 kilomètres dont l’isthme a 300 mètres à peine ; plusieurs essaient de l’asseoir sur les hauteurs de Mursens, au nord-est de Cahors, au-dessus du vallon du Vers, affluent de droite du Lot, sur un plateau qui renferme d’ailleurs l’oppidum gaulois le mieux conservé de France avec celui de Bibracte ; quelques-uns l’installent sur le puy d’Issolu, près du confluent de la Dordogne et de la Tourmente ; d’autres enfin vont la chercher jusqu’à Ussel, en Limousin et non plus chez les Cadurques.

En aval de Cahors, entre des collines aux vins généreux, la fécondité de la plaine du Lot s’accroît à mesure qu’on se rapproche de la Garonne par Villeneuve, Clairac, Aiguillon. C’est tout près de cette dernière cité, au pied de la colline de Nicole, et par 22 mètres d’altitude, que la rivière cadurque entre dans le fleuve gascon : aux eaux très basses, elle ne lui porte pas plus de 10 mètres cubes par seconde ; mais ses crues roulent plusieurs centaines de fois le volume de l’étiage.

Le Lot n’aspire point de longues rivières : sauf la Truyère, ses affluents ne sont que des ruisseaux.

La Colagne (55 kilomètres) ou Coulagne est une fille de la Margeride ; elle passe à Marvejols.

L’Urugne a 12 kilomètres seulement ; mais le causse de Sauveterre, au pied duquel elle surgit dans un cirque, lui compose, par ses infiltrations, des sources que les étés les plus chauds ne peuvent entièrement boire. Le hameau de Toutes-Aures, au-dessus du vallon de Saint-Saturnin de Tartaronne, le village de la Capelle-Toutes-Aures, au-dessus de la vallée de la Canourgue, disent assez par leurs noms à quelles batailles de vents sont éternellement en proie les déserts du misérable causse qui fait descendre ses eaux vers l’Urugne par des canaux invisibles.

La Truyère s’unit au Lot par 240 mètres d’altitude, devant une ville qui, de même que plusieurs autres en France, doit son nom d’Entraigues à la fourche de deux rivières, de deux eaux, de deux aigues, comme on dit dans les vieux patois d’oc. Elle se forme sur les pelouses de la Margeride, et dans une course de 175 kilomètres, en Gévaudan, en Auvergne, en Rouergue, elle s’écoule par des gorges sauvages, entre des flancs boisés, des prairies inclinées et des roches. Grossie du Bès (65 kilomètres), à l’eau sombre, qui descend des monts d’Aubrac, elle devient une rivière de 40 à 50 mètres de largeur, peu ou point inférieure au Lot.

Le Dourdou septentrional (70 kilomètres), le ruisseau de Bozouls, de Villecomtal, de Conques, reçoit le Craynaux, né des superbes rochers de Salles-la-Source.

Le Célé (100 kilomètres) est la rivière de Figeac. Devant cette ville il quitte les roches anciennes pour les calcaires du Causse ; il passe alors devant des cassures immenses : à Corn, à Brengues, à Marcillac ; à Sauliac, dont la paroi rougeâtre est terrible ; à Cabrerets où, par une sombre demi-voûte, Rochecourbe domine en surplomb son eau froide. Tout près du confluent, il perd une partie de son onde qui, par-dessous le Rocher des Anglais, va rejaillir au fond même du Lot ; on distingue parfois cette embouchure cachée : à des flots clairs si le Lot est trouble, à des flots troubles si par hasard le Lot est clair.

Divonne jaillit en face de Cahors, à 200 mètres en amont du pont de Valentré (xive siècle), signalé par des tours élevées ; en temps sec, c’est un ruisseau de 1 000 à 1 200 litres par seconde, qui sort, au pied d’un grand roc, d’un gouffre immobile accaparé par un moulin, d’une espèce de puits dont 130 pieds de corde n’ont pas trouvé le fond. Après un violent orage, c’est une rivière qui bouillonne et, par un escalier de trois cascades, descend avec fracas dans le Lot, parfois moins abondant qu’elle. Et cependant le Lot arrive, à longues journées, des lointaines Cévennes, tandis que Divonne a 20 mètres à peine au soleil et quelques kilomètres obscurs dans le ventre des coteaux de Cahors. Un vers latin précieux,

Divona, Celtarum lingâ, fons addite divis,
nous apprend que ce nom celtique signifiait la Fontaine des Dieux.


Du Lot à la Dordogne, la Garonne dévore l’Avance, le Dropt et le Ciron. — L’Avance (60 kilomètres) naît dans les Landes ; elle s’engouffre dans le sable, puis, retenue par le parquet étanche, renaît au-dessus de Casteljaloux, aux sources de Neuffons, qui mettent des usines en branle. — Le Dropt ou Drot (130 kilomètres) est navigable à partir d’Eymet ; aussi ne court-il point joyeusement dans sa charmante vallée, en flots vivants, gazouillants et clairs ; il s’attarde en eau profonde en amont des chaussées qui retiennent et soutiennent son cours. Tout étroit qu’il est, ce grand ruisseau lourd déploie ses nénuphars sur trois départements : il naît dans la Dordogne, près de l’illustre château de Biron, il serpente en Lot-et-Garonne, il se termine en Gironde, en aval de la Réole. — Le Ciron (90 kilomètres), eau vive en lit de sable, est une rivière landaise qui visite aussi trois départements : les Landes, le Lot-et-Garonne et Gironde.


3o La Dordogne et ses affluents. — La Dordogne jaillit, sous le nom de Dore, à 1 720 mètres au-dessus des mers, au pied du Sancy, dans une prairie tourbeuse et mouillée. Aux bains du Mont-Dore, thermes célèbres, les blocs qui l’irritent ne sont déjà plus qu’à 1 047 mètres. À Bort, devenue rivière, elle coule au pied d’une montagne qui porte les Orgues de Bort, fameuse colonnade basaltique dont la corniche, haute de 350 mètres au-dessus du fil des eaux, règne sur l’éblouissant panorama des monts et des vallons verts du Cantal.

Un peu plus bas, au travers de Mauriac, la Dordogne est opprimée par des roches de granit et des talus où s’accrochent des forêts hantées par les sangliers. À 200-250 mètres de profondeur, dans ce couloir désert qui a plus que sa part d’ombre, moins que sa part de soleil, sur ces rives muettes quand la rivière y dort, le grand torrent d’Auvergne reçoit les torrents plus petits, mais non moins limpides, qui, par des gorges semblables aux siennes, lui viennent, à droite des croupes de la Corrèze, à gauche des pics du Cantal. Vers Argentat, la fissure s’élargit. Au confluent de la Cère elle devient vallée, et vallée magnifique : le cirque de Montvalent ou de Floriac, Domme, Laroque-Gageac, Beynac, ont des rocher sublimes, la rivière est large, elle est claire sous un ciel brillant ; elle va de « cingle » en « cingle[3] ». Vers Lalinde, la Dordogne se tourmente, elle forme les bouillonnements du Grand Toret, du saut de la Gratusse et des Porcherons. Puis vient Bergerac, et désormais la plaine renferme, entre des collines jadis orgueilleuses de leurs vins des alluvions dont la générosité ne s’épuise jamais. De Bergerac à Sainte-Foy, à Castillon, à Libourne, plus on descend, mieux vaut la terre.

Beynac.

Au-dessous de Castillon l’eau pure fait place à l’eau souillée, la rivière enfle et désenfle avec la marée, elle devient fleuve. À Libourne, port déchu, la Dordogne est aussi navigable, mais aussi contaminée par la vase que la Garonne à Bordeaux. Bientôt elle écarte extrêmement ses deux rives et son lit s’ouvre au mascaret, flot de remonte impétueux, dangereux, écumeux. Sous le haut pont de Gubzac, l’un des plus hardis qu’on connaisse, elle a 500 mètres et au delà ; vers le confluent son ampleur dépasse 1 200 mètres, autant que la Garonne. On se croirait en face d’un fleuve charriant les dépouilles d’un continent, tandis qu’on a sous les yeux une rivière qui doit toute sa grandeur au travail de la marée. Dans son court pèlerinage, elle n’a point fait perdre leur nom à des Missouris, à des Ohios, à des Outaouais, mais à de courts torrents, à de modestes rivières dont elle tire, en amont du confluent de l’Isle, 36 mètres cubes par seconde à l’étiage, et 45, sinon 50, en aval. Dans les crues extraordinaires, comme celle de 1783, elle entraîne 4 000 à 5 000 mètres par seconde.

Le Chavanon, la Rue, la Diège, la Luzège, la Maronne, la Cère, l’Ouysse, la Vézère, l’Isle, ainsi se nomment ses maîtres affluents.

Le Chavanon (50 kilomètres), plus long que la Dordogne de 40 kilomètres à leur commun confluent, descend des monts de la Marche, du même massif que le Cher ; il boit de nombreux étangs, il coule entre des granits,

La Rue (65 kilomètres), qui s’abreuve à la fois aux monts Dore et au Cantal, commence au Puy de Sancy et s’appelle d’abord la Clamouse. Ce nom, elle n’est pas seule à le porter en France : il désigne également des rivières ou des sources d’un courant rapide, raboteux, plein de clameurs (d’où le mot Clamouse) ; de la sorte se nomment, par exemple, un affluent du Chapeauroux (Lozère) et la fontaine de Clamouse, qui sort du roc avec l’abondance d’un torrent pour tomber aussitôt en cascade sur l’Hérault, près du Pont du Diable, à l’issue des gorges lumineuses de Saint-Guilhem-le-Désert. Au-dessous de la cascade du Saut de la Sole ou de Rochemont, haute de 8 mètres, la Rue double au moins la Dordogne, au pied des Orgues de Bort.

La Diège (50 kilomètres) sort de la même montagne que la Creuse, touche la colline d’Ussel et arrive à la Dordogne par un couloir tortueux, profond, serré de granits.

La Luzège (55 kilomètres), parallèle à la Diège, gagne aussi la Dordogne par des gorges étranglées qui ont jusqu’à 300 mètres de profondeur. Comme la Diège, la Creuse, la Vienne, la Vézère, elle vient des froides pelouses du plateau de Millevache.

La Maronne, aux défilés déserts, augmente la Dordogne en aval d’Argentat ; elle n’a pas tout à fait 90 kilomètres. Fille du Cantal, elle naît dans le pays de Salers, vert de prairies et ruisselant de cascades ; elle se fait souvent torrent dans les rochers et les chênes, et mugit à 300 mètres au-dessous des plateaux qu’elle déchire.

La Cère (110 kilomètres) naît au Lioran, col célèbre entre les versants de l’Allier et de la Dordogne, par 1 295 mètres, non loin du Plomb du Cantal, et gronde au fond des gorges, au Pas de Compain et au Pas de la Cère. Dans les prairies d’Aurillac, elle boit la Jordane, fille aussi du Cantal ; puis elle entre dans d’austères défilés avec les eaux que lui a laissées l’arrosage des brillants gazons.

Le Pas de la Cère.

L’Ouysse (10 kilomètres), Touvre des Cadurques, jaillit à 4 ou 5 kilomètres de Rocamadour, pèlerinage célèbre, bourg étrange, paysage livide, chaos de pierre sur un torrent sans eau. Elle a son Dormant dans le Saint-Sauveur, et son Bouillant dans le Cabouy : ce dernier, profond de 18 à 20 mètres, tarit en été, mais le Saint-Sauveur, gouffre rond de 35 mètres de creux, n’a jamais cessé de monter en rivière pure. Ces deux fontaines sont la renaissance de ruisseaux qui s’abîment dans les cloups et les igues du Causse. L’Ouysse animerait toute l’année de grandes usines, mais il n’y a que des hameaux dans ses gorges. :

Rocamadour.

La Vézère (192 kilomètres) glisse d’abord entre les herbes du plateau de Millevache, puis, à 6 kilomètres en amont de Treignac, bondit par le Saut de la Virolle, dans un profond ravin des Monédières, après quoi elle va contourner le noirâtre coteau d’Uzerche. Ensuite, de gorge en gorge, de granit en granit (car son cours n’est longtemps qu’une écume rapide au fond des défilés, dans un chaos de roches sombres), elle arrive au Gour du Saillant ou Saut du Saumon : au pied de blocs escaladés par des châtaigniers, par des pins et des arbustes, c’est là le dernier soubresaut de la Vézère. Elle entre alors en vallée, saisit en passant la Corrèze, et des schistes, des gneiss, des granits du Limousin passe aux craies du Périgord, où elle coule entre des créneaux de roches tendres, percées de cavernes qu’habitèrent nos plus anciens précurseurs connus sur le sol où nous passons. Dans ces grottes on trouve les os d’hommes antérieurs à toute légende, les témoignages de leurs arts naissants, les débris des armes rudimentaires dont ils frappaient les bêtes auxquelles ils disputaient leur asile, leur nourriture et leur vie, animaux terribles aujourd’hui disparus de nos climats. Ces antres garantis des fauves par une race obscure ont illustré la Vézére : Cro-Magnon, le Moustier, Madeleine, Laugerie-Haute, Laugerie-Basse, les Evyzies, sont des noms célèbres. Sortie rouge du Limousin, elle arrive rougeâtre à la rivale de la Garonne, en dépit des fonts pures qu’elle tire du Périgord. Quand elle déborde, elle salit la Dordogne, rivière transparente comme le cristal jusqu’à son contact avec la marée. — La Corrèze (85 kilomètres), issue des Monédières, limpide, vive, serrée dans les gneiss, passe devant la pittoresque Tulle et sort des gorges en amont de Brive-la-Gaillarde, ville d’abondance et de gaieté. Un de ses affluents, la Montane, s’abat de 125 mètres par les dix cascades de Gimel.

C’est dans Libourne que finit la rivière de Périgueux, l’Isle (235 kilomètres), apportant 10 mètres cubes en eaux faibles, sans le tribut de la belle Dronne. L’Isle vient du Limousin et mêle à ses eaux rouges d’abord les sources claires versées par la craie périgourdine, la Glane, le Toulon, la fontaine de l’Abîme. Elle reçoit la Loué, l’Auvezère et a Dronne. — La Loue (60 kilomètres), rivière rougeâtre, passe à Saint-Yrieix-la-Perche, dans le pays de la terre à porcelaine. — L’Auvezére (90 kilomètres), à tort nommée la Haute-Vézère, doit son origine à des plateaux limousins de 500 mètres d’altitude entre Limoges et Brive. À Cubjac, la grande moitié de ses eaux verdâtres que les débordements de la Lourde colorent en rouge et celles du Dalon en blanc terreux, se rue avec bruit dans le monde souterrain par une bouche de caverne où tournent les meules du moulin du Souci : ce bras ténébreux reparaît dans la vallée de l’Isle par la source du Gour de Saint-Vincent ; le bras visible atteint l’Isle en amont de Périgueux. — La Dronne (178 kilomètres), égale à l’Isle, en été du moins, est une de ces rivières qu’on aime pour la transparence de leur onde et la grâce de leurs rivages ; elle a des sites adorables. Comme l’Isle, elle arrive opaque et rouge des coteaux du Limousin et du Nontronnais ; elle commence près des sources de la Tardoire, non loin de Chalus, dans un massif de 550 mètres d’altitude, sur de forestiers plateaux glacés le matin par la buée des étangs. Longtemps elle coule dans des gorges vêtues de châtaigniers et de chênes ; là, son humble Niagara c’est la cascade du Chalard, près de Saint-Saud. Dans les craies du Périgord, à partir de la charmante Brantôme, et surtout de Bourdeilles, elle noie ses eaux louches dans les flots purs des fonts et des bouillidous, beaux jaillissements dont le plus abondant est le puits de Fonta. La Dronne passe tout près de Ribérac, elle s’attarde en détours devant le rocher de craie de l’amphithéâtrale Aubeterre ; elle finit au-dessous de Coutras. Elle reçoit la Nizonne ou Lisonne, pure comme elle. — Entre la basse Isle et la basse Dronne, des étangs aux plages vénéneuses tiennent le fond des vallons de la Double : mais leurs fièvres ne descendent pas dans les deux vallées. La Double a 60 000 hectares : bouquets de chênes, taillis, forêts de pins ; étangs à l’eau brune encombrés ou bordés de joncs et de roseaux ; nauves ou prairies humides où l’on frissonne quand on y passe avant que le : soleil ait dispersé le brouillard ; sillons et vignes qui, chaque année, font reculer la lisière des bois. Chaque année aussi des étangs disparaissent et la Double est de moins en moins mortelle aux Doublauds. Tel vieillard ne la reconnaît plus, qui, dans sa jeunesse, n’y vit qu’une forêt sauvage, des chaumières, des familles hâves, des bergers grossiers menant à des prés mouillés, par des sentiers de glaise, des moutons souvent glacés d’épouvante, l’hiver ou la nuit, par les hurlements des loups.

Bourdeilles.


4o Canal du Midi. — Point de canaux navigables entre le bassin de la Gironde et ceux de la Charente, de la Loire et de l’Adour. La Garonne communique seulement avec la Méditerranée et le Rhône.

Le Canal du Midi, qu’on appelle aussi Canal du Languedoc et Canal des Deux-Mers, commence à Toulouse, sur la rive droite de la Garonne. Il remonte la vallée de l’Hers Mort, méchant ruisseau que les collines fangeuses du Lauraguais emplissent d’eaux jaunes quand il pleut, mais non d’eau de source quand il ne pleut pas. Il passe devant Villefranche-de-Lauraguais, quitte le versant de la Garonne au fameux col de Naurouze, dont l’altitude n’est que de 189 mètres, puis suit le Fresquel et l’Aude, par Castelnaudary et Carcassonne. Il descend sur l’Orb, devant Béziers, par l’escalier d’écluses de Fonserannes, haut de 25 mètres en huit sas ou biefs, franchit l’Hérault devant Agde et s’achève dans l’étang de Thau. Sa longueur est de 242 kilomètres : 26 écluses rachètent les 63 mètres de pente qu’il y a de Toulouse à Naurouze ; 73 écluses, les 189 mètres de chute entre Naurouze et la Méditerranée. Il tire ses eaux des célèbres réservoirs de Saint-Ferréol et du Lampy, et de diverses rivières, telles que le Sor, affluent de l’Agoût ; le Fresquel, l’Orbiel et la Cesse, tributaires de l’Aude. De Naurouze à la Méditerranée, les plaines qu’il emprunte sont une des provinces du mistral ; le cyprès, qui a des branches presque dès le sol, est une des plantes les mieux faites pour arrêter au passage ce vent terrible : aussi le canal est-il bordé, sur ce versant, par d’épais rideaux de l’arbre funéraire.

Le Canal des Étangs, long de 38 kilomètres, sans pente et sans écluses, continue le canal des Deux-Mers dans la direction du Rhône. Ainsi nommé de ce qu’il suit les étangs côtiers de l’Hérault, il communique par le canal de la Radelle (9 kilomètres) avec le port d’Aigues-Mortes, d’où part le canal de Beaucaire : celui-ci, long de 77 kilomètres, avec deux écluses, passe à Saint-Gilles et s’achève dans le Rhône à Beaucaire.


5o De la Gironde à l’Adour. — À 7 kilomètres de la côte, le phare de Gordouan éclaire l’embouchure de la Gironde. Cordouan, que la mer assiège, qu’elle emportera, fut en son temps une roche continentale. L’Atlantique soulève sa houle verte sur l’emplacement de Noviomagus, ville romaine, et quand il gonfle, il frappe à la porte du phare, jadis monument magnifique dont on a détruit l’harmonie pour élever à 65 mètres son feu rouge et blanc. Cet îlot condamné voit passer et repasser les navires sans nombre qui mettent Bordeaux, la reine du Sud-Ouest, en relation avec tout l’univers.

La pointe de Grave, où commence la côte landaise, est un cap au bout d’une presqu’île, la péninsule de Grave, très menacée par le flot qui voulait en faire une île, puis sans doute un écueil, puis un ébat de la vague sur les hauts-fonds. Son salut a déjà coûté des millions à la France. Quand on entreprit de la cuirasser contre la mer, la terre perdait par an près de 48 mètres ; et de plus en plus elle s’éloignait du feu de Cordouan, que 5 kilomètres seulement éloignaient de la côte il y a 250 années, tandis que 7 kilomètres séparent aujourd’hui la rive landaise du phare insulaire. Mais voici que l’Océan semble arrêté, pour longtemps ou pour toujours, dans son projet de s’unir à la Gironde en trouant l’isthme des Huttes, qui a maintenant 500 mètres de largeur au lieu de 200 quand les ingénieurs se sont mis à l’œuvre.

Littoral des Landes.

Long de 228 kilomètres entre la Gironde à l’Adour, le littoral landais reçoit annuellement de la mer cinq à six millions de mètres cubes de sable, matière des dunes râpée par l’Océan sur le plateau qui continue la Lande au-dessous des vagues. Il est presque invariablement droit : hors l’échancrure du Bassin d’Arcachon, il n’a ni baies, ni bouches de grande rivière, ni ports. Les navires fuient ce rivage sans abri, blanc de sable au pied des dunes, sombre de pins sur leurs versants. Avant qu’on arrêtât leur procession vers l’est, ces dunes barraient les ruisseaux de l’intérieur ; elles en refoulèrent les eaux qui, montant peu à peu sur le plateau, devinrent des étangs côtiers séparés de l’Atlantique par des chaînes de sable : étangs d’Hourtins et Carcans (5 300 hectares), de la Canau (2 000 hectares), de Cazau (6 500 hectares), de Biscarosse et Parentis (6 000 hectares), d’Aureilhan (740 hectares), de Léon (970 hectares) et de Soustons (750 hectares).

Ces étangs qui, de loin, valent les flots bleus des lacs de montagne, ont des eaux sombres amenées par des ruisseaux que le fer de l’alios a rougis, que le tannin des brandes a noircis, et qui pourtant sont clairs. Sur ces ruisseaux, près de ces étangs, on voit des villages, des hameaux, des bergeries, à l’ombre des pins, autant que les aiguilles du père de la résine arrêtent le soleil (elles ne peuvent que le tamiser). Mais au bord de l’Atlantique, devant la ligne noire des rameaux qui changent en cantilène les vents frais de la mer, près de l’Océan qui gémit ou qui tonne, il n’y a ni bourgs, ni hameaux, rien que quelques phares, des cabanes de pêcheurs, des corps de garde de douaniers qui vivent seuls devant les souffles salés, avec le flux et le reflux, la brise ou la tempête, le sable, les gourbets, les gramens, les chênes-lièges et les mille et mille colonnes du péristyle de la forêt des pins maritimes.

Depuis quelques années la solitude y est moindre : profitant des plages de sable fin, quelques hameaux s’y sont établis, baraques, chalets, villas, hôtels, qui sans doute deviendront çà et là des villes : car où cherchera-t-on la santé, si le salut n’est pas dans la dune, sous les pins, contre la mer Atlantique ? Où mieux trouver ailleurs ce que la nature peut nous conserver ou nous rendre de jeunesse ? De ces lieux de bains, deux reçoivent plus de baigneurs que les autres : au nord du Bassin d’Arcachon, Soulac ; au sud, les chalets de Mimizan.

Soulac-les-Bains, près de la péninsule de Grave, est voisin du Vieux Soulac, ville et port de mer que la dune a couvert, puis en partie rendu au jour, si bien qu’on voit maintenant son antique et belle église de Notre-Dame-de-Fin-des-Terres. Mais depuis que les sables sont solidement fixés, ils cacheront à toujours les villages et hameaux, les églises, les prieurés, les châteaux ensevelis par eux sur ce rivage d’entre Gironde et mer. De Soulac à l’embouchure du Bassin d’Arcachon, on ne remarque guère que la pointe de la Négade, les bains des Olives et de Montalivet, puis une longue chaîne de dunes, ligne inflexible. Derrière ces dunes il y a l’étang d’Hourtins-et-Careans, l’étang de la Canau et le vallon de la Lège, canal navigable de 10 mètres de largeur, qui conduit les eaux de ces étangs au Bassin d’Arcachon. « Lège a fui deux fois devant les sables, de 4 kilomètres en 1480 et de 3 kilomètres en 1660[4]. »

On entre dans le Bassin d’Arcachon en tournant le cap Ferret, arène si déliée, si dispersable à tout souffle de l’air, qu’on ne sait encore comment la fixer par des plantations. Le Bassin est une espèce de Morbihan qui a vu grandir sur sa plage méridionale une très charmante ville d’hiver, aussi ville de bains, Arcachon, à l’orée des dunes où frémissent les plus beaux pins de France. À la haute marée il couvre 14 660 hectares. Si l’Océan n’était méchant et traître devant cette petite mer, qui se verse dans la grande à l’heure du reflux par un fleuve de plus de 15 000 mètres cubes par seconde, et si la barre, assez profonde, était moins changeante, on y créerait un port de refuge de première grandeur. Mais il est difficile à l’homme de lutter à la fois contre la vague et contre le sable. On n’a pas osé faire du Bassin d’Arcachon une rade immense, on en a fait une immense huîtrière. Il reçoit la Leyre (85 kilomètres), jolie rivière à laquelle accourent des eaux filtrées dans le sable, abondantes, claires, bien que brunes, comme toutes celles de la Lande. Elle unit la Leyre de Sabres et la Leyre de Sore.

Les Landes de la Leyre.

Du Bassin d’Arcachon à l’Adour, on passe d’abord près de la dune de Lescours (89 mètres), la plus haute en France. Puis vient l’embouchure du Courant de Mimizan. Ce fleuve a pour principe, à 19 ou 20 mètres d’altitude, le lac entouré de grands pins, de coteaux de sable, de marais, qu’on nomme l’étang de Cazau ; un chenal mène de ce lac à l’étang de Biscarosse, également environné de marécages, de dunes et de pinadas : à son tour Biscarosse émet le Courant de Sainte-Eulalie, torrent pur écumant sur les rocs d’alios ou passant en silence à l’ombre du chêne et de l’ormeau sur la couche moelleuse des sables. Puis cette eau vive s’amortit dans l’étang d’Aureilhan ; et de ce dernier bassin sort le Courant de Mimizan, qui forma près de la mer un port à jamais disparu, dans l’acception littérale du mot, enseveli qu’il est sous la dune d’Udos, aujourd’hui toute noire de pins ; et quand elle eût englouti ce port, la dune continua sa course : lorsqu’on la fixa, l’arène roulante venait d’ensevelir la moitié de Mimizan, à 5 kilomètres de l’Atlantique.

Le littoral s’ouvre ensuite pour donner passage au Courant de Contis, déversoir de l’étang de Saint-Julien ; au Courant de la Huchette, émissaire de l’étang de Léon ; enfin au courant du Vieux-Boucau, décharge de l’étang de Soustons. Ce dernier chenal servit pendant quelque temps de terme à l’Adour, quand ce fleuve, barré par le sable en aval de Bayonne, fut contraint de remonter au nord parallèlement à la côte. À cette époque, le Vieux-Boucau était une ville animée par de grands navires ; aujourd’hui, c’est un village qui promène des canots sur un petit estuaire.

À mi-chemin du Vieux-Boucau au Nouveau-Boucau, c’est-à-dire de l’ancienne bouche de l’Adour à son embouchure actuelle, le chenal de Cap-Breton servit momentanément d’estuaire à ce fleuve mobile, tandis qu’il n’y passe aujourd’hui qu’un ruisseau de la Lande, le Boudigau, cours d’eau brunâtre. Semblable au Vieux-Boucau, Cap-Breton dut sa grandeur à l’Adour et, quand l’Adour déserta sa plage, elle devint aussitôt ce qu’elle est : un bourg à demi désert. Son nom désigne, de l’autre côté de l’Atlantique, une grande île, découverte, croit-on, par des Cap-Bretonnais, à l’entrée du golfe du Saint-Laurent, dans l’Amérique du Nord. On suppose aussi que les premiers colons français de l’Acadie vinrent de cette ville : ils furent la souche des Acadiens, nation de plus de cent mille hommes, vivante encore, et très vivante, après avoir été dispersée deux fois par les Anglais et vendue par eux sur les marchés de la Nouvelle-Angleterre.

Vis-à-vis des vignes de Cap-Breton, plantées dans le sable pur et garées du vent par des brandes, le gouf de Cap-Breton, fosse de 380 mètres de profondeur, dans une mer dix fois moins creuse, est assez vaste, assez tranquille pour le port de refuge dont ce littoral a si grand besoin.


6° L’Adour, le Gave. — À 4 kilomètres seulement de l’endroit où la rive de l’Atlantique perd ses dunes et ses pins pour les rochers que taille la mer de Biarritz, à 50 kilomètres de l’Espagne, une barre qui brave obstinément les ingénieurs marque l’embouchure de l’Adour, fleuve pyrénéen et landais d’une longueur de 330 kilomètres, d’un bassin de 1 700 000 hectares sur lequel il tombe une moyenne de pluie d’un mètre par an.

À 25 ou 50 kilomètres de l’Océan, à la lisière des Landes et des collines béarnaises qui, de marche en marche, se font montagnes, deux rivières se rencontrent, égales pour le regard : l’Adour et le Gave. L’Adour vient de plus loin ; le Gave apporte, en été du moins, six à sept fois plus d’eau. Le lieu de ce large confluent se nomme le Bec du Gave : c’est ainsi que, dans des bassins plus grands, le confluent de la Loire et de l’Allier s’appelle Bec d’Allier, et celui de la Garonne et de la Dordogne, Bec d’Ambès.

L’Adour naît à 1 931 mètres d’altitude, dans le Tourmalet, mont de près de 2 500 mètres, non loin du pic du Midi de Bigorre, qui en a près de 2 900, à 18 kilomètres en ligne droite au sud de Bagnères. Il ne reste pas longtemps dans la montagne : après avoir arrosé la vallée de Campan, trop vantée, reçu l’Adour de Lesponne, et mu les scies à marbre de Bagnères-de-Bigorre, ville d’eau ravissante, il entre en plaine pour y rester jusqu’à la mer. Déjà son altitude n’est plus que de 550 mètres à Bagnères ; elle n’est guère que de 300 à Tarbes, où le jeune fleuve, où l’Échez, où le vieux canal d’Alaric[5], dispersés en brillants ruisseaux, irriguent une large vallée qui nourrit des chevaux à jarrets d’acier. Par ses canaux d’arrosement sans nombre, la richesse, la grandeur de ses villages, le spectacle des montagnes voisines, courtines bleues ou draperies de neige, la plaine de Tarbes est le Piémont du Sud-Ouest. Elle prolonge au loin ses prairies et ses gigantesques maïs vers le nord, sur l’un et l’autre bord de l’Adour, par Vic-de-Bigorre, Maubourguet, Castelnau-Rivière-Basse et Riscle. Cette campagne si large, si féconde, n’est pas seulement l’œuvre de l’Adour ; c’est le Grand Gave qui l’a surtout créée quand il s’épanchait en glaciers vers Tarbes, en aval de Lourdes, par le val de Bénac, puis par celui d’Ossun : route reconnaissable encore et qu’il sera facile de lui faire reprendre quand on voudra doubler ou tripler les irrigations du pays tarbésan.

Au-dessous d’Aire, l’Adour effleure de sa rive droite les Sables et les pinadas des Landes qui l’accompagnent jusqu’à la mer. Il passe au pied de Saint-Sever, jadis appelée Cap de Gascogne, et, de fait, sa colline s’avance en promontoire sur une plaine immense que les pins se disputent jusqu’à l’horizon le plus reculé du nord. L’Adour baigne ensuite Dax, célèbre par sa fontaine à 60 degrés. Lorsqu’il arrive devant le Gave, après avoir tracé un grand demi-cercle, il a reçu l’Arros, le Gabas, la Midouze et le Luy.

L’Arros (105 kilomètres), comme l’Adour, sort très vite des Pyrénées. Il naît entre la Neste et l’Adour naissant, dans des montagnes de 1 500 à 1 600 mètres, et coule vers le nord, parallèlement à l’Adour, dont il se rapproche peu à peu.

Le Gabas a plus de 100 kilomètres, mais il sort d’une « hauteur des terres », d’un plateau de graviers fortement raviné qui ressemble au pays de Lannemezan par son infécondité, par sa situation au nord d’un grand torrent pyrénéen (ici le Gave, là-bas La Neste) et par l’indigence de ses rivières. Le Gabas est un ruisseau, sec ou peu s’en faut en été, trouble quand l’eau des pluies délaie ses collines ; ni moins beau, ni moins laid que ses voisins et frères issus du même plateau, le Lées, le Bahus, le Louts et les deux Luy.

La Midouze se forme en pleine Lande, à Mont-de-Marsan, de deux rivières venues des collines boueuses de l’Armagnac, et comme telles impures et sans abondance ; : tout ce qu’elles ont d’eau constante leur vient du sable des Landes. La plus longue, la Douze (110 kilomètres), est aussi la plus forte, car elle reçoit plus de ruisseaux landais ; l’autre (95 kilomètres) s’appelle Midou. La Midouze recueille de charmantes petites rivières nées sur l’alios et sombre dans l’Adour en aval de Tartas. De la source de la Douze au fleuve elle a bien 150 kilomètres.

Le Luy (140 kilomètres), pendant des mois, coule à peine ; mais il ne faut pas de longues pluies pour verser dans son lit un torrent d’eaux bourbeuses menant à l’Adour des débris de collines, des lambeaux de berges, des lavages de fossés, des argiles, des sables dont ce fleuve, gêné par une mer colérique, ne compose point un delta pour l’agrandissement de la France. Deux petits Luy forment le « grand » Luy : le Luy de France, fait de sources inconstantes, dans les coteaux escarpés de la Chalosse, terre aux vaux étroits et profonds ; et le Luy de Béarn, qui traverse les landes du Pont-Long sans les féconder et les rafraîchir : le Pont-Long commence dans la banlieue de Pau et finit dans la banlieue de Dax.

Le Gave (175 kilomètres) arrive de plus loin que l’Adour, mais plus droit : il ne suit pas le chemin des écoliers, comme la rivière de Tarbes, qui semble longtemps devoir s’engloutir dans la Garonne vers Bordeaux.

Enfant d’un petit glacier, le Grand Gave s’annonce par la cascade de Gavarnie, qui tombe de 422 mètres, des neiges du Marboré dans le plus beau de tous les cirques. Il reçoit tous les gaves, c’est-à-dire tous les torrents possibles : le gave de Héas, par de tristes gorges, lui porte les eaux solitaires du cirque de Troumouse et du cirque d’Estaubé ; le gave de Bastan (nom basque s’il en est) vient de Barèges, ville thermale à 1 232 mètres d’altitude, tapie dans un vallon froid, nu, morne, menacé d’avalanches ; le gave de Cauterets est fils du Vignemale, il dort dans le lac de Gaube, gouffre bleu, il plonge de cascade en cascade, il passe bruyamment devant Gauterets, ville de bains ; le gave d’Argelès réunit le gave de Bun et le gave d’Arrens, descendus des monts où règne le dangereux Balaïtous. Tous ces gaves grondants, tonnants, tapageants, sautants, tournoyants, insensés, éperdus, qui n’ont de repos que dans les lacs et çà et là dans de petits abîmes, brillent rarement en ruisseaux d’argent sur l’herbe des prairies, car ils sortent peu des défilés étroits, pierreux, obscurs. Tous ont de claires eaux, surtout celui de Cauterets, plus transparent que les flots un peu savonneux du Grand Gave.

Le Grand Gave coule sous le très haut pont de Saint-Sauveur, ville de bains, dans le bassin de Luz où la terre tremble souvent, puis dans le Lavedan ou vallée d’Argelès. Il sort de ce val gracieux à Lourdes, petite ville, vieux château, grotte prodigieusement célèbre dans les deux mondes, d’où les pèlerins lui viennent par multitudes. À l’issue de nouvelles gorges où les voyageurs qu’emportent les trains du chemin de fer de Toulouse à Bayonne admirent l’éternel déchirement de ses eaux vertes sur les rochers, leur éternelle fuite sur un lit de cailloux, il arrive dans la vallée de Pau, l’un des Paradis de l’Europe. Il court sur de larges grèves devant cette ville d’hiver, séjour de poitrinaires, surtout d’Anglais, attirés par la douceur du climat, la moiteur d’un air calme, la splendeur du site, la vue et le voisinage des Pyrénées ; il y mêle à sa vague impétueuse l’eau plus molle du Néez, issu d’un goueil ou font bouillonnante et grossi par une perte du gave d’Oloron. À 40 kilomètres en aval, à Orthez, et d’Orthez à Bérenx, il heurte violemment les rocs d’une petite Via Mala ; mais des carriers sont à l’œuvre sur les bords du torrent : bloc à bloc ils font de ces rochers des moellons, et les charrettes emportent loin du Gave la magnificence de ses rives de pierre.

Orthez.

Le Grand Gave ou Gave de Pau reçoit sur sa gauche un torrent d’un beau vert, fougueux et froid comme lui, le gave d’Oloron (132 kilomètres), qui, devant Oloron, ville admirablement campée, unit les eaux des fameuses vallées d’Aspe et d’Ossau. Le gave d’Aspe, donne par seconde huit mètres cubes à l’étiage ; il lave l’immense rocher du fort d’Urdos, auquel on monte par 506 marches, il traverse le bassin de Bedous, il passe près des bains de Saint-Christau. Le gave d’Ossau, deux fois plus faible à l’étiage, passe aux Eaux-Chaudes, et reçoit le torrent des Eaux-Bonnes : ce sont là deux villes thermales. Le gave d’Oloron, dans une plaine fertile, coule devant Navarrenx, petite place forte, devant la charmante Sauveterre, et boit le Saison (70 kilomètres), jolie rivière qui baigne Mauléon, d’où son autre nom de gave de Mauléon. Il roule 15 à 18 mètres cubes par seconde à l’étiage. Avec les 20 mètres et plus du gave de Pau, on a près de 40 mètres cubes ; or l’Adour, épuisé par les irrigations, n’en apporte même pas 6 au Grand Gave.

Le Gave apporte l’eau, l’Adour garde le nom, cette injustice est commune.

Mais déjà le fleuve est soutenu par la marée ; il porte des bateaux à vapeur, il serait visité par de grands vaisseaux sans le péril de sa barre. Large de 200 mètres et au delà, il rencontre la Bidouze (80 kilomètres), venue de Saint-Palais, et la ravissante Nive (75 kilomètres), qui sort d’Espagne, se taille un beau couloir nommé Pas-de-Roland, passe à Cambo, ville de bains, et tombe dans l’Adour à Bayonne.

C’est à 6 kilomètres en aval de cette très gracieuse ville que l’Adour termine son destin. Pendant 200 ans, de la fin du xive à la fin du xvie siècle, il s’achevait plus loin : obstrué par des sables, il tournait droit au nord, coulait derrière la dune, silencieux tout près du bruyant Océan, par un lit que marquent des étangs, des prairies, des joncs, des roseaux, des ruisseaux, et allait se perdre dans la mer au Vieux-Boucau, à 30 kilomètres à vol d’oiseau de la plage où le dévore aujourd’hui l’Atlantique, auquel il confie en moyenne 222 mètres cubes d’eau par : seconde ; il y eut un temps où, remontant moins haut vers le septentrion, il se jetait dans le Gouf de Cap-Breton, fin digne d’un fleuve.


7o De l’Adour à la Bidassoa. — Au sud de l’embouchure de l’Adour, près des plages de Biarritz, la côte, de sablonneuse et droite, devient rocheuse et frangée, mais ses caps ne protègent point contre le flot grondant des baies faites pour le commerce des nations, ils ne dominent que des criques fouaillées par les vents. Ici la mer est sujette aux lubies, aux transports, aux colères ; et la tiède Occitanie, près de la lumineuse Espagne, a des tempêtes inexorables comme celles qui font trembler la brumeuse Armorique.

Si, du haut des promontoires, l’horizon est toujours magique, s’il est grand et quelque peu vaporeux sur les flots, diaphane sur les pics pyrénéens de France et d’Espagne, les Basques de cette rive ont cessé d’être les aventureux matelots découvreurs d’îles et de continents que d’autres ont découverts après eux : si bien que Portugais, Espagnols, Normands, Hollandais, Anglais, Saintongeais, ont dans l’injuste histoire un renom d’audace, une gloire d’avant-garde qui n’est peut-être qu’un vol fait aux vieux Escualdunacs. Saint-Jean-de-Luz, dernier port français de ce littoral, recule devant les assauts de l’Atlantique, qui nulle part n’est plus terrible ; il marque l’embouchure d’un mince fleuve, la Nivelle (45 kilomètres), qui vient d’Espagne.

Hendaye, notre dernier village sur cette côte, commandée le petit golfe de la Bidassoa, en vue de la Rhune, du Chouldocomendia, des Trois-Couronnes et du Jaïsquibel. La Bidassoa (72 kilomètres) sépare ici la France de l’Espagne : entre Hendaye et Fontarabie, décombres espagnols plutôt que bourg d’Espagne, ce petit fleuve s’épanche en golfe ; mais à une lieue dans la montagne, c’est un torrent pur coulant sur la roche, dans une délicieuse vallée où sonne la langue basque.



  1. Entre Saint-Bertrand-de-Comminges et Montrejeau.
  2. On espère prendre plus tard 15 mètres et augmenter d’autant les irrigations.
  3. En Périgord, sur la Dordogne et la Vézère, on appelle cingle une boucle, un méandre de rivière.
  4. Élisée Reclus.
  5. Tiré de l’Adour au cinquième siècle.