France, Algérie et colonies/France/03/07

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LIbrairie Hachette et Cie (p. 309-324).


VII. DES ALBÈRES AU RHÔNE


1o Littoral du Roussillon : Tech, Têt, Agly, Étangs littoraux. — Sur la Méditerranée, nous possédons 615 kilomètres de plages, le long de sept départements : Pyrénées-Orientales, Aude, Hérault, Gard, Bouches-du-Rhône, Var, Alpes-Maritimes.

Une côte dentelée, qui plus loin devient sablonneuse, avec des étangs derrière le cordon littoral, donne au rivage méditerranéen des Pyrénées-Orientales une grande ressemblance avec le rivage océanien des Basses-Pyrénées. De Banyuls, de Port-Vendres, de Collioure, d’Argelès, anses rocheuses, on voit une sierra pyrénéenne, les Albères, escalader l’horizon entre la France et l’Espagne, comme de l’Atalaya de Biarritz, de Saint-Jean-de-Luz ou d’Hendaye, on voit monter au ciel les Pyrénées basques entre deux azurs : l’un qui nous appartient, l’autre qui dépend de Madrid, si toutefois l’azur n’est pas aux seuls oiseaux en attendant que l’homme conduise à son gré les ballons.

Mais la ressemblance n’est que dans la plastique du sol ou les broderies de la mer, bleue ici, verte là-bas. Le vrai, l’aride soleil du Midi luit sur les rochers, la vigne et l’olivier des Albères, tandis que le frère de la pluie, le soleil de l’Ouest, sourit au maïs, aux touyaas ou bruyères, aux chênes de l’Adour et de la Bidassoa. Chez les Basques et les Béarnais, c’est l’Europe ; chez les Roussillonnais, et plus loin chez les Languedociens et les Provençaux, c’est l’Afrique poudreuse, éclatante.

Comme le rocheux littoral basque, la côte montueuse du Roussillon est fort courte. Son meilleur abri, Port-Vendres, à la fois sûr et profond, est le port français le moins éloigné d’Alger et d’Oran ; aussi peut-il compter sur l’avenir.

Bientôt les rochers, les anses, les lignes à chaque instant brisées font place à des sables, littoral droit qu’ouvrent trois petits fleuves pyrénéens non navigables, mais très précieux pour l’irrigation des plaines brûlées du soleil, battues des vents, où ils entrent à l’issue des gorges de la montagne : ces plaines ont été conquises en partie par leurs alluvions sur la mer.

Le Tech a des inondations redoutables : on l’a surnommé le Justicier de la contrée. Né dans de rudes montagnes de 2 000 à 2 500 mètres, au-dessus de Prats-de-Mollo, petite place de guerre, il descend bruyamment les gorges du Vallespire, dont le nom fait image : c’est Vallis aspera ou l’âpre Vallée ; il passe à Sainte-Amélie, ville thermale et ville d’hiver, puis sous l’arche du vieux pont de Céret, bâti par le Diable en une seule nuit, comme le peuple le raconte de tant d’autres ponts dont il admire la hardiesse ou la hauteur. Arrivé dans la plaine, il coule au milieu des osiers et des saules, parmi joncs et roseaux, et laisse à gauche Elne, qu’il effleurait autrefois, quand, ainsi que cette ville, il s’appelait du nom basque d’Iliberri, au temps où les Escualdunacs n’allaient pas seulement « desde Bayona á Bayona », de Bayonne en France à Bayonne en Galice, mais régnaient aussi de l’Océan à la Méditerranée, entre Pyrénées et Garonne, sur ce qui est aujourd’hui Béarn, Gascogne, Languedoc et Roussillon. Le Tech n’a guère plus de 80 kilomètres.

Pont de Céret : le Canigou.

Entre le Tech et la Têt, l’étang de Saint-Nazaire (1 200 hectares) reçoit le Réart, jolie rivière qui vient du pays des Aspres ; il communique avec la mer par un grau, c’est-à-dire par un chenal perçant un cordon aréneux que submerge en partie le flot de tempête. Quant à la Têt, elle a 125 kilomètres ; elle coule de tout petits lacs blottis au pied de montagnes de 2 800 mètres, lacs que le temps se charge de combler ; ou bien de vider par soudaine rupture, comme il fit, dit-on, de l’un d’eux au neuvième siècle, du lac des Barres, dont la chute, subite lança sur la vallée jusqu’à la mer un torrent mortel. La Têt passe au pied de Montlouis, place forte à 1 513 mètres d’altitude : elle reçoit le torrent du Vernet, qui est un lieu de sources thermales, puis elle baigne Prades dans la montagne et Perpignan dans la plaine. Grâce aux canaux qu’elle emplit, grâce aussi, mais à un degré moindre, aux rigoles puisées dans le Tech et l’Agly, le bas Roussillon, terre incommodée de vent et de soleil, vaut les huertas et les vegas espagnoles. On se propose d’accroître le liquide trésor dont ces trois fleuves disposent dans la saison sèche, en murant sur leur cours, et sur celui de leurs affluents, des couloirs extraordinairement resserrés derrière lesquels s’épanouissent d’anciens lits de lacs. Tel sera, par exemple, le barrage de la Fou, jeté près d’Arles sur un tributaire du Tech, en travers d’une gorge calcaire de 50 mètres de largeur et de 160 de profondeur.

L’Agly ou Gly (75 kilomètres), fille des Corbières, sort de gorges cassées, près de Rivesaltes, ville qui doit sa richesse à des vins de feu.

Au nord de l’Agly, la rive, plate et malsaine, sépare de la Méditerranée des étangs que des graus versent à la mer. L’étang de Leucate ou de Salses a 5 700 hectares d’eaux ou de plages souvent à sec. Il est rempli par la Font-Dame et la Font-Estramer, qui fournissent 477 000 mètres cubes d’eau salée par jour, c’est-à-dire 5 à 6 par seconde. Ces deux grandes sources forment une rivière qui serait précieuse dans un pays aussi brûlant que le Roussillon ; mais elles jaillissent trop bas ; il faudrait les hausser par une digue, et en les relevant on les diminuerait : peut-être même les perdrait-on, car dans un pays fissuré, dès qu’on contrarie l’écoulement d’une onde, cette onde prend souvent, et quelquefois tout entière, un nouveau chemin par quelque fêlure. On attribue les deux fonts de Salses aux eaux qui se perdent dans le bassin fermé d’Opoul. Jadis navigable, l’étang de Leucate est rempli d’alluvions et couvert d’herbes formant feutrage, prairies flottantes et tremblantes qui sont des espèces de mer de sargasses. Le bourrelet qui le sépare de la Méditerranée projette en mer la protubérance de Leucate, et à l’abri de ce blanc promontoire, le golfe de la Franqui est une espèce d’ « anse du repos » sur ce littoral agité. Riquet eut l’idée d’en faire le terme du Canal des deux Mers ; et sans trop de peine on y créerait un port, le meilleur possible entre les criques des Albères et les calanques des monts de Marseille : meïlleur qu’Agde, meilleur que la Nouvelle, meilleur que Cette, si coûteux pour la France.


2o Aude, Orb, Hérault. — Après l’étang de Leucate viennent d’autres étangs, restes d’un golfe comblé par l’Aude, qui est un grand charrieur de boue. Ce golfe était celui de Narbonne, la fière Narbo Martius Decumanorum, qui devait la fin de ce nom sonore à ses colons, les vétérans de la dixième légion, phalange aimée de César, dont elle fut, pour ainsi dire, la trente-deuxième demi-brigade. De ses eaux s’élançaient des îles devenues les monts de la Clape, depuis que le vieux Narbôn, appelé plus tard l’Atax, puis l’Aude, souda ces roches au continent par le dépôt de 20 000 hectares d’alluvions. Les monts de la Clape, faits de craie, se nomment ainsi du mot patois clapaz, qui veut dire traînée de pierres. Ils dépassent à peine 200 mètres, mais ils sont d’allure hardie, taillés, bouleversés, déchiquetés ; ils ont la majesté de l’isolement, entre la mer, une plaine et un fleuve, l’Aude : celui-ci, après avoir comblé les flots au sud-ouest du massif, coule maintenant au nord, et n’ayant plus de golfe à remblayer, commence à s’épanouir en delta.

L’étang de Sijean a 2 750 hectares, et près de lui, l’Étang de Gruissan en a 900 au plus, qu’on va dessécher. Appelée aussi l’étang de Bages, la nappe d’eau de Sijéan, longue de 18 kilomètres, large de 3 à 6, reçoit la Berre et s’écoule par le chenal de la Nouvelle, port lamentablement mauvais qui entretient quelques relations avec l’Algérie. Une robine, canal navigable abreuvé par l’Aude, l’unit à Narbonne, qui eut 60 000 habitants, 100 000 peut-être quand elle était romaine.

L’Aude, longue de 223 kilomètres, enlève annuellement 1 700 000 à 1 800 000 mètres cubes de limons à un bassin de 534 000 hectares qui reçoit en moyenne 750 millimètres de pluie par an ; on comprend qu’avec une pareille prodigalité d’alluvions, ce petit fleuve ait cousu les îles de la Clape au vieux sol de la Gaule. En étiage il descend à 5 mètres cubes par seconde ; en crue il dépasse 3 000 ; sa moyenne est de 62.

L’Aude naît dans la région pyrénéenne où s’élancent les plus beaux sapins peut-être de France, et serpente d’abord dans la vallée du Capsir, dont les villages perchent à plus de 1 400 mètres d’altitude (dès la mi-août les soirées y sont froides). Puis elle s’ensevelit dans des gorges d’une profondeur sinistre ; près des bains de Carcanières, les roches entre lesquelles elle a trouvé ou scié son passage ont jusqu’à 500 mètres de haut. Au-dessus de Limoux, qui fait un vin blanc célèbre, les défilés s’élargissent, et vers Carcassonne la rivière entre dans la zone où l’olivier commence ; elle sépare cette ville du faubourg de la Cité, legs précieux du moyen âge, dédale de ruelles tournantes, sur une colline ardue, entre les deux murs et les cinquante tours d’une enceinte qui protège un donjon et que ce donjon protège. Dans la plaine de Narbonne, qui est un riche vignoble, l’Aude se divise : un bras va se perdre en mer au nord des monts de la Clape, l’autre, la Robine de Narbonne, porte les vins de Narbonne au port de la Nouvelle.

La Cité, à Carcassonne.

Pendant longtemps ce fleuve, barré par une digue romaine, à Sallèles, coulait tout entier vers Narbonne, et de cette ville au golfe qu’il a fini par effacer de la mer ; mais une crue emporta ce mur en 1320, et l’Aude marcha désormais droit devant elle, et librement, jusqu’à la Méditerranée. Narbonne alors, près des lagunes, loin du cours des eaux vives, devint si fiévreuse que les Narbonnais méditèrent un moment d’aller s’installer à Leucate. Le comblement des étangs, le tassement des terres, la culture du sol, les plantations de vigne lui ont rendu la salubrité, mais son commerce maritime est mort, et l’établissement de la Robine ne l’a pas fait revivre.

Après l’Aude, c’est l’Orb limpide, dont le flot de crue, 2 500 mètres cubes, roule mille fois les 2 500 litres de l’étiage ; son module doit être d’environ 25 mètres cubes par seconde, pour un bassin de 153 000 hectares. Très sinueux dans ses gorges supérieures, il a 140 ou 150 kilomètres de cours, contre 75 en ligne droite. Il commence dans les Cévennes aveyronnaises, serpente près des coteaux houillers de Graissessac, passe à Bédarieux, traverse des vignobles que le phylloxéra dévaste, et baigne la colline de Béziers.

Béziers.

Après l’Orb, c’est l’Hérault, non moins limpide, qui peut pousser jusqu’à 3 700 mètres cubes par seconde, plus de deux fois le maximum de la Seine à Paris : or il n’a que 197 kilomètres, dans un bassin de 290 000 hectares. On estime son module à 50 mètres.

La vraie mère de l’Hérault, c’est la Vis, rivière transparente, dont la vallée, la gorge plutôt, ou si l’on veut la cassure, est signalée de loin, quand on vient de l’est, par la pyramide du pic d’Angeau (865 mètres) : en la remontant on se butte, au fond du couloir, contre un roc d’où coule, comme à Vaucluse, une onde jamais tarie, frais et clair épanchement de caverneux ruisseaux de la grande oolithe.

Fils aussi de blanches Cévennes, l’Hérault descend de l’Aigoual (1 567 mètres) ; il reçoit l’Arre, issue des châtaigneraies du Vigan, et passe, en aval de la Vis, dans le charmant bassin de Ganges ; puis de là dans les gorges de Saint-Guilhem-le-Désert, un de ces merveilleux sites méridionaux où l’herbe, le gazon, les bosquets, les forêts, la verdure ne sont rien, où la pierre, l’eau vive et le soleil sont tout ; où l’homme aussi n’est rien ou peu de chose, par des jardins arides, des murs d’enclos, des moulins, des maisons que le temps a dorées ou brunies et qui sont de loin semblables au roc. Le fleuve y descend de rapide en rapide, entre deux parois à pic ou de surplomb, pur, et parfois si serré qu’au-dessus de certains gouffres muets un vigoureux sauteur essaierait de le franchir. Il sort de ce pas au Gouffre Noir, sous le Pont du Diable, en aval de la cascade de Clamouse qui jette sur son onde immobile une fontaine du rocher ; il passe alors dans une large vallée, domaine de la vigne et du poudreux olivier, et baigne Pézenas, grand marché d’eaux-de-vie, cité dont on se moque en France, comme de Quimper, de Landerneau, de Brive, de Carpentras, sans aucune raison, par imbécillité pure. L’Hérault tombe dans la Méditerranée près d’Agde et du Saint-Loup (115 mètres), volcan éteint.

Agde, c’est Αγαθή Τύχη, la Bonne Fortune : ainsi l’appelèrent des marins grecs ravis de trouver un port tranquille entre le Saint-Loup, la terre ferme et la chaussée par laquelle peu à peu l’Hérault, rayé d’alluvions, avait soudé le volcan, île jadis, à la lèvre du continent. Depuis lors, le fleuve, fidèle à l’éternelle devise des eaux courantes : « Râper la terre et remplir le flot, » a comblé le calme azur que les Hellènes avaient joyeusement salué du nom d’Heureuse Rencontre[1].

Du Saint-Loup sortirent les laves dont on a construit Agde, la « ville Noire ». Ce fut là le volcan le plus méridional de notre sol, comme le plus septentrional était, tout au nord des Dôme, le cratère où sommeille le Gour de Tazanat. Il y a dans ce bout de la France, d’autres témoins d’une ère de flamboiement : au bord de la mer, à Maguelonne ; au bord du Lez, à Montferrier ; au bord de l’Hérault, à Saint-Thibéry, etc.


3o Étangs du Languedoc, Lez, Vidourle et Vistre. — Bientôt recommence le chapelet des étangs littoraux, séparés du flot méditerranéen par une très mince et très-basse levée de sable que des graus interrompent : sur la levée grondent les trains de Bordeaux à Cette, et dans les étangs passe le canal qui continue le canal du Midi jusqu’au | Rhône.

Le plus beau, le plus vaste de ces miroirs, l’étang de Thau (7 000 à 8 000 hectares) est bleu. Brassée par le mistral, peu profonde, navigable pourtant et beaucoup naviguée, son onde salée a près de 20 kilomètres de long sur 2 à 6 de large. De son lit monte une source d’eau douce, puissante après les longues pluies, la fontaine d’Abisse, qu’on dit venir d’infiltrations de l’Hérault. La ville de Cette est entre l’étang et la mer, sur un chenal navigable allant de l’un à l’autre, au pied de la colline jurassique de Saint-Clair (180 mètres), qui jaillit brusquement et grandement des flots. De sa cime, comme du haut de Saint Loup, on voit la mer, si belle sous ce soleil du Sud, la côte entre les Albères et les embouchures du Rhône, les étangs du littoral, les collines de l’Hérault, les Cévennes.

Cette commerce beaucoup ; c’est même après Marseille notre port le plus actif sur la Méditerranée, mais on n’en peut guère imaginer de plus mauvais ; la tempête le secoue souvent, et il y entre annuellement 80 000 à 100 000 mètres cubes de sable qu’on ne déblaie qu’à grand’peine.

À l’étang de Thau succède l’étang d’Ingril (1 000 hectares) ; dominé par les calcaires de la Gardiole (236 mètres) : on l’appelle aussi l’étang de Frontignan, du nom d’une ville insalubre qui récoltait le meilleur des muscats quand le phylloxéra n’avait pas flétri ses ceps. Viennent ensuite, à la queue leu leu, quatre étangs : l’étang de Vic ou de Palavas a 1 500 hectares ; celui de Maguelonne, grand de 1 300 hectares, baigne de ses flots amers une roche volcanique, île jadis, aujourd’hui littoral, depuis qu’elle est collée aux sables du rivage : cette roche était Maguelonne, port de Montpellier et ville épiscopale ; du port, il ne reste rien, puisque de cité sur mer Maguelonne est devenue hameau sur étang. La cathédrale est encore debout : on l’avait fortifiée contre les pirates sarrazins ; mais la roue de la fortune a tourné, c’est maintenant le Languedoc et la Provence qui débordent sur la principale patrie des corsaires musulmans. L’étang de Pérols couvre 1 200 hectares ; celui de Mauguio ou de l’Or, 3 600. Ces quatre bassins sont funestes aux riverains ; Frontignan, Vie, Mireval, Villeneuve-lès-Maguelonne, Palavas, Lattes, Pérols, Mauguio, boivent la fièvre en aspirant leurs miasmes chauffés par le soleil : mais d’ores et déjà l’on pourrait purifier leur air en faisant un polder de leurs eaux les moins profondes. Tous quatre ils sont bordés de salines ; le dernier touche aux nombreux étangs d’Aigues-Mortes, également livrés aux sauniers, et les étangs d’Aigues-Mortes touchent à la Camargue ou delta du Rhône.

Aigues-Mortes.

Aigues-Mortes vaut un voyage. Bâtie en 1272 par Philippe le Hardi, sur le modèle de Damiette, cité d’Égypte, elle porte sur d’anciennes alluvions du Rhône, et si ce fleuve passe aujourd’hui loin d’elle, il peut, quand il rompt certaines de ses digues, envahir encore ce sol lentement déposé par sa bourbe jaune ou grise dans la bleue transparence de la Méditerranée. C’est ce qu’il a fait en 1840 ; mais les gens d’Aigues-Mortes n’ayant point abattu l’enceinte dont les entoura le fils de saint Louis, ont bravé les eaux déchaînées en fermant les portes de leur ville. Un ennemi plus pressant que ce Rhône lointain, c’est la fièvre, toujours à craindre, comme l’annonce le seul nom d’Aigues-Mortes, en français Mortes-Eaux. Tout ce littoral souffre de l’exhalaison des marais : la cité de Philippe le Hardi eut d’abord 10 000 habitants, 15 000 peut-être ; elle descendit à 1 500 et n’est encore remontée qu’à 4 000.

De l’Hérault au Rhône, la plage se transforme avec lenteur par l’imperceptible soulèvement du sol et, lorsqu’on approche de la Camargue, par les alluvions du Rhône. Elle donne passage à trois petits fleuves : au Lez, au Vidourle, au Vistre.

Le bleu Lez parcourt à peine trente kilomètres ; il sort avec 800 ou 1 000 litres par seconde, au pied d’un immense roc à-pic, d’une grotte du Saint-Loup, superbe mont pyramidal de 633 mètres de haut, plus beau dans sa petitesse que bien des géants des Alpes ; il coule près de Montpellier et se termine à Palavas-les-Flots, hameau de pêcheurs dont chaque année fait une ville de bains plus fréquentée, à l’ourlet d’une plage de sable fin.

Le Vidourle tire quelque célébrité de ses vidourlades, débordements subits. Ce piètre torrent de cent kilomètres arrive à rouler 1 000, 1 200, 1 500 mètres cubes par seconde, dix, douze, quinze mille fois les cent litres de son étiage. Il descend des monts décharnés de Saint-Hippolyte-du Fort, serpente près des plaines où croissait le fameux muscat de Lunel, entre dans la région des étangs littoraux et se perd dans la Méditerranée au Grau-du-Roi, port et lieu de bains de mer situé à l’entrée du canal d’Aigues-Mortes, à 6 kilomètres de cette ville. Le nom de Grau-du-Roi rappelle Louis XV, sous lequel : on creusa le canal ; celui de Grau-Saint-Louis, à 7 kilomètres au nord-ouest, remémore le_juste et vaillant roi qui partit de là pour ses deux croisades : la première fois, en 1248, sur 120 vaisseaux italiens, pour l’Égypte où il allait être battu ; la seconde fois, en 1270, pour Tunis où il allait mourir.

Les Arènes de Nîmes.

Le Vistre (65 kilomètres) reçoit la fontaine de Nîmes, ville qui est la Rome française par ses Arènes, sa Maison Carrée, son Temple de Diane et sa Tour Magne. Au pied de collines arides, loin du Rhône, loin du Gard, loin de la mer, Nîmes doit l’existence à sa fontaine, et sa fontaine est encore aujourd’hui sa gloire, sa beauté, sa richesse. Cette source illustre est un gouffre d’eau pure profond de 15 mètres, à côté du Temple de Diane, au pied du mont Cavalier, coteau verdi par les pins et couronné par la Tour Magne, qui signale Nîmes de tous les bouts de l’horizon. Elle est remplie par les orages qui tombent sur les cailloux rougeâtres des Garrigues, Arabie Pétrée où les roches n’ont pas de terre, où les ravins n’ont pas d’eau, où le ciel n’a pas de pluie, où le mistral, tyran de cet azur, déchire impitoyablement les airs ; c’est là pourtant que les Nîmois ont leurs mazets, villas et jardins de plaisance sous la forme d’une treille, d’un arbre fruitier, de quelques pins et d’oliviers mourant de soif sur la roche entre quatre murs de pierre sèche habités par le scorpion. Comme les pluies sont rares sous ce climat sérénissime, la fontaine, au lieu d’unir des ruisseaux sous la pierre des Garrigues, finit souvent par ne plus rassembler que des gouttes d’eau ; elle peut n’offrir que 7 litres par seconde à la ville altérée ; mais dès qu’une averse fond sur les coteaux, Nîmes possède une rivière transparente ; l’industrie s’empresse de la ternir, elle en fait un bourbier cynique. Le Vistre finit dans les canaux d’Aigues-Mortes, au milieu des joncs, des roseaux, des salines.

Temple de Diane.



  1. Autre signification d’Αγαθή Τύχη.