Génie du christianisme/Partie 1/Livre 6/Chapitre VI

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Chapitre VI - Fin des dogmes du Christianisme. — État des peines et des récompenses dans une autre vie. Elysée antique, etc

L’existence d’un Etre Suprême une fois reconnue et l’immortalité de l’âme accordée, il n’y a plus, quant au fond, de difficulté à admettre un état de récompenses et de châtiments après cette vie : les deux premiers dogmes entraînent de nécessité le troisième. Il ne s’agit donc que de faire voir combien celui-ci est moral et poétique dans les opinions chrétiennes, et combien la religion évangélique se montre encore ici supérieure à tous les cultes de la terre.

Dans l’Elysée des anciens on ne trouve que des héros et des hommes qui avaient été heureux ou éclatants dans le monde ; les enfants, et apparemment les esclaves et les hommes obscurs (c’est-à-dire l’infortune et l’innocence) étaient relégués aux enfers. Et quelles récompenses pour la vertu que ces banquets et ces danses dont l’éternelle durée suffirait pour en faire un des tourments du Tartare ?

Mahomet promet d’autres jouissances. Son paradis est une terre de musc et de la plus pure farine de froment, qu’arrosent le fleuve de vie et l’Acawtar, rivière qui prend sa source sous les racines du Tuba, ou l’arbre du bonheur. Des fontaines dont les grottes sont d’ambre gris et les bords d’aloès murmurent sous des palmiers d’or. Sur les rives d’un lac quadrangulaire reposent mille coupes faites d’étoiles, dont les âmes prédestinées se servent pour puiser l’onde. Les élus, assis sur des tapis de soie à l’entrée de leurs tentes, mangent le globe de la terre, transformé par Allah en un merveilleux gâteau. Des eunuques et soixante-douze filles aux yeux noirs leur servent dans trois cents plats d’or le poisson Nun et les côtes du buffle Bâlam. L’ange Israfil chante de beaux cantiques ; les houris mêlent leurs voix à ses concerts, et les âmes des poètes vertueux, retirées dans la glotte de certains oiseaux qui voltigent sur l’arbre du bonheur, accompagnent le chœur céleste. Cependant des cloches de cristal, suspendues aux palmiers d’or, sont mélodieusement agitées par un vent sorti du trône de Dieu[1].

Les joies du ciel des Scandinaves étaient sanglantes ; mais il y avait de la grandeur dans les plaisirs attribués aux ombres guerrières ; elles assemblaient les orages et dirigeaient les tourbillons : ce paradis était le résultat du genre de vie que menait le barbare du Nord. Errant sur des grèves sauvages et prêtant l’oreille à cette voix qui sort de l’Océan, il tombait peu à peu dans la rêverie ; égaré de pensée en pensée, comme les flots de murmure en murmure, dans le vague de ses désirs ; il se mêlait aux éléments, montait sur les nues fugitives, balançait les forêts dépouillées, et volait sur les mers avec les tempêtes.

Les enfers des nations infidèles sont aussi capricieux que leur ciel : nous parlerons du Tartare dans la partie littéraire de notre ouvrage, où nous allons entrer à l’instant. Quoi qu’il en soit, les récompenses que le christianisme promet à la vertu, et les châtiments qu’il annonce au crime, se font reconnaître au premier coup d’œil pour les véritables. Le ciel et l’enfer des chrétiens ne sont point imaginés d’après les mœurs particulières d’un peuple, mais ils sont fondés sur des idées générales qui conviennent à toutes les nations et à toutes les classes de la société. Ecoutez ce qu’il y a de plus simple et de plus sublime en quelques mots : — Le bonheur du juste consistera, dans l’autre vie, à posséder Dieu avec plénitude ; — le malheur de l’impie sera de connaître les perfections de Dieu, et d’en être à jamais privé.

On dira peut-être que le christianisme ne fait que répéter ici les leçons des écoles de Platon et de Pythagore. On convient donc au moins que la religion chrétienne n’est pas la religion des petits esprits, puisqu’on avoue que ses dogmes sont ceux des sages ?

En effet, les gentils reprochaient aux premiers fidèles de n’être qu’une secte de philosophes ; mais, fût-il certain, ce qui n’est pas prouvé, que l’antiquité eut touchant un état futur les mêmes notions que le christianisme, autre est toutefois une vérité renfermée dans un petit cercle de disciples choisis, autre une vérité qui est devenue la manne commune du peuple. Ce que les beaux génies de la Grèce ont trouvé par un dernier effort de la raison s’enseigne publiquement aux carrefours de nos cités, et le manœuvre peut acheter pour quelques deniers, dans le catéchisme de ses enfants, les secrets les plus sublimes des sectes antiques.

Nous ne dirons rien à présent du purgatoire, parce que nous le considérons ailleurs sous ses rapports moraux et poétiques. Quant au principe qui établit ce lieu d’expiation, il est fondé sur la raison même, puisqu’il y a un état de tiédeur entre le vice et la vertu, qui ne mérite ni les peines de l’enfer ni les récompenses du ciel.

  1. Le Coran et les poètes arabes. (N.d.A.)