Génie du christianisme/Partie 4/Livre 1/Chapitre IV

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Garnier Frères (p. 379-381).

Chapitre IV - Des solennités de l’Église. — Du Dimanche

Nous avons déjà fait remarquer[1] la beauté de ce septième jour, qui correspond à celui du repos du Créateur ; cette division du temps fut connue de la plus haute antiquité. Il importe peu de savoir à présent si c’est une obscure tradition de la création transmise au genre humain par les enfants de Noé, ou si les pasteurs retrouvèrent cette division par l’observation des planètes ; mais il est du moins certain qu’elle est la plus parfaite qu’aucun législateur ait employée. Indépendamment de ses justes relations avec la force des hommes et des animaux, elle a ces harmonies géométriques que les anciens cherchaient toujours à établir entre les lois particulières et les lois générales de l’univers ; elle donne le six pour le travail ; et le six, par deux multiplications, engendre les trois cent soixante jours de l’année antique, et les trois cent soixante degrés de la circonférence. On pouvait donc trouver magnificence et philosophie dans cette loi religieuse, qui divisait le cercle de nos labeurs ainsi que le cercle décrit par les astres dans leur révolution ; comme si l’homme n’avait d’autre terme de ses fatigues que la consommation des siècles, ni de moindres espaces à remplir de ses douleurs que tous les temps.

Le calcul décimal peut convenir à un peuple mercantile ; mais il n’est ni beau ni commode dans les autres rapports de la vie et dans les équations célestes. La nature l’emploie rarement : il gêne l’année et le cours du soleil ; et la loi de la pesanteur ou de la gravitation, peut-être loi de l’univers, s’accomplit par le carré, et non par le quintuple des distances. Il ne s’accorde pas davantage avec la naissance, la croissance et le développement des espèces : presque toutes les femelles portent par le trois, le neuf, le douze, qui appartient au calcul seximal[2].

On sait maintenant, par expérience, que le cinq est un jour trop près, et le dix un jour trop loin pour le repos. La terreur, qui pouvait tout en France, n’a jamais pu forcer le paysan à remplir la décade, parce qu’il y a impuissance dans les forces humaines, et même, comme on l’a remarqué, dans les forces des animaux. Le bœuf ne peut labourer neuf jours de suite ; au bout du sixième, ses mugissements semblent demander les heures marquées par le Créateur pour le repos général de la créature[3].

Le dimanche réunissait deux grands avantages : c’était à la fois un jour de plaisir et de religion. Il faut sans doute que l’homme se délasse de ses travaux ; mais comme il ne peut être atteint dans ses loisirs par la loi civile, le soustraire en ce moment à la loi religieuse, c’est le délivrer de tout frein, c’est le replonger dans l’état de nature, et lâcher une espèce de sauvage au milieu de la société. Pour prévenir ce danger, les anciens mêmes avaient fait aussi du jour de repos un jour religieux et le christianisme avait consacré cet exemple.

Cependant cette journée de la bénédiction de la terre, cette journée du repos de Jéhovah, choqua les esprits d’une Convention qui avait fait alliance avec la mort, parce qu’elle était digne d’une telle société [Sap., cap. I, v. 16. (N.d.A.)]. Après six mille ans d’un consentement universel, après soixante siècles d’Hosannah, la sagesse des Danton, levant la tête, osa juger mauvais l’ouvrage que l’Eternel avait trouvé bon. Elle crut qu’en nous replongeant dans le chaos, elle pourrait substituer la tradition de ses ruines et de ses ténèbres à celle de la naissance de la lumière et de l’ordre des mondes ; elle voulut séparer le peuple français des autres peuples, et en faire, comme les Juifs, une caste ennemie du genre humain : un dixième jour, auquel s’attachait pour tout honneur la mémoire de Robespierre, vint remplacer cet antique sabbath, lié au souvenir du berceau des temps, ce jour sanctifié par la religion de nos pères, chômé par cent millions de chrétiens sur la surface du globe, fêté par les saints et les milices célestes, et, pour ainsi dire, gardé par Dieu même dans les siècles de l’éternité.

  1. Première partie, liv. II, chap. I. (N.d.A.)
  2. Vid. Buffon. (N.d.A.)
  3. Les paysans disaient : " Nos bœufs connaissent le dimanche, et ne veulent pas travailler ce jour-là. (N.d.A.)