Génie du christianisme/Partie 4/Livre 1/Chapitre IX

La bibliothèque libre.
Garnier Frères (p. 388-391).

Chapitre IX - De quelques Fêtes chrétiennes. — Les Rois, Noël, etc

Ceux qui n’ont jamais reporté leur cœur vers ces temps de foi où un acte de religion était une fête de famille, et qui méprisent des plaisirs qui n’ont pour eux que leur innocence, ceux-là, sans mentir, sont bien à plaindre. Du moins, en nous privant de ces simples amusements, nous donneront-ils quelque chose ? Hélas ! ils l’ont essayé. La Convention eut ses jours sacrés : alors la famine était appelée sainte, et l’Hosannah, était changé dans le cri de vive la mort ! Chose étrange ! des hommes puissants, parlant au nom de l’égalité et des passions, n’ont jamais pu fonder une fête, et le saint le plus obscur qui n’avait jamais prêché que pauvreté, obéissance, renoncement aux biens de la terre, avait sa solennité au moment même où la pratique de son culte exposait la vie. Apprenons par là que toute fête qui se rallie à la religion et à la mémoire des bienfaits est la seule qui soit durable. Il ne suffit pas de dire aux hommes Réjouissez-vous, pour qu’ils se réjouissent : on ne crée pas des jours de plaisir comme des jours de deuil, et l’on ne commande pas les ris aussi facilement qu’on peut faire couler les larmes.

Tandis que la statue de Marat remplaçait celle de saint Vincent de Paul, tandis qu’on célébrait ces pompes dont les anniversaires seront marqués dans nos fastes comme des jours d’éternelle douleur, quelque pieuse famille chômait en secret une fête chrétienne, et la religion mêlait encore un peu de joie à tant de tristesse. Les cœurs simples ne se rappellent point sans attendrissement ces heures d’épanchement où les familles se rassemblaient autour des gâteaux qui retraçaient les présents des Mages. L’aïeul, retiré pendant le reste de l’année au fond de son appartement, reparaissait dans ce jour comme la divinité du foyer paternel. Ses petits-enfants, qui depuis longtemps ne rêvaient que la fête attendue, entouraient ses genoux et le rajeunissaient de leur jeunesse. Les fronts respiraient la gaieté, les cœurs étaient épanouis ; la salle du festin était merveilleusement décorée, et chacun prenait un vêtement nouveau. Au choc des verres, aux éclats de la joie, on tirait au sort ces royautés qui ne coûtaient ni soupirs ni larmes ; on se passait ces sceptres qui ne pesaient point dans la main de celui qui les portait. Souvent une fraude, qui redoublait l’allégresse des sujets et n’excitait que les plaintes de la souveraine, faisait tomber la fortune à la fille du lieu et au fils du voisin, dernièrement arrivé de l’armée. Les jeunes gens rougissaient, embarrassés qu’ils étaient de leur couronne ; les mères souriaient, et l’aïeul vidait sa coupe à la nouvelle reine.

Or, le curé présent à la fête recevait, pour la distribuer avec d’autres secours, cette première part appelée la part des pauvres. Des jeux de l’ancien temps, un bal dont quelque vieux serviteur était le premier musicien, prolongeaient les plaisirs, et la maison entière, nourrices, enfants, fermiers, domestiques et maîtres, dansaient ensemble la ronde antique.

Ces scènes se répétaient dans toute la chrétienté ; depuis le palais jusqu’à la chaumière, il n’y avait point de laboureur qui ne trouvât moyen d’accomplir ce jour-là le souhait du Béarnais. Et quelle succession de jours heureux ! Noël, le premier jour de l’an, la fête des Mages, les plaisirs qui précèdent la pénitence ! En ce temps-là les fermiers renouvelaient leur bail, les ouvriers recevaient leur paiement ; c’était le moment des mariages, des présents, des charités, des visites : le client voyait le juge, le juge le client ; les corps de métiers, les confréries, les prévôtés, les cours de justice, les universités, les mairies, s’assemblaient selon les usages gaulois et de vieilles cérémonies ; l’infirme et le pauvre étaient soulagés. L’obligation où l’on était de recevoir son voisin à cette époque faisait qu’on vivait bien avec lui le reste de l’année, et par ce moyen la paix et l’union régnaient dans la société.

On ne peut douter que ces institutions ne servissent puissamment au maintien des mœurs, en entretenant la cordialité et l’amour entre les parents. Nous sommes déjà bien loin de ces temps où une femme à la mort de son mari venait trouver son fils aîné, lui remettait les clefs et lui rendait les comptes de la maison comme au chef de la famille. Nous n’avons plus cette haute idée de la dignité de l’homme que nous inspirait le christianisme. Les mères et les enfants aiment mieux tout devoir aux articles d’un contrat que de se fier aux sentiments de la nature, et la loi est mise partout à la place des mœurs.

Ces fêtes chrétiennes avaient d’autant plus de charmes qu’elles existaient de toute antiquité, et l’on trouvait avec plaisir, en remontant dans le passé, que nos aïeux s’étaient réjouis à la même époque que nous. Ces fêtes étant d’ailleurs très multipliées, il en résultait encore que, malgré les chagrins de la vie, la religion avait trouvé moyen de donner de race en race à des millions d’infortunés quelques moments de bonheur.

Dans la nuit de la naissance du Messie, les troupes d’enfants qui adoraient la crèche, les églises illuminées et parées de fleurs, le peuple qui se pressait autour du berceau de son Dieu, les chrétiens qui, dans une chapelle retirée, faisaient leur paix avec le Ciel, les alleluia joyeux, le bruit de l’orgue et des cloches, offraient une pompe pleine d’innocence et de majesté.

Immédiatement après le dernier jour de folie, trop souvent marqué par nos excès, venait la cérémonie des Cendres, comme la mort le lendemain des plaisirs. " O homme ! disait le prêtre, souviens-toi que tu es poussière et que tu retourneras en poussière. " L’officier qui se tenait auprès des rois de Perse pour leur rappeler qu’ils étaient mortels, ou le soldat romain qui abaissait l’orgueil du triomphateur, ne donnait pas de plus puissantes leçons.

Un volume ne suffirait pas pour peindre en détail les seules cérémonies de la Semaine Sainte ; on sait de quelle magnificence elles étaient dans la capitale du monde chrétien : aussi nous n’entreprendrons point de les décrire. Nous laissons aux peintres et aux poètes le soin de représenter dignement ce clergé en deuil, ces autels, ces temples voilés, cette musique sublime, ces voix célestes chantant les douleurs de Jérémie, cette Passion mêlée d’incompréhensibles mystères, ce saint sépulcre environné d’un peuple abattu, ce pontife lavant les pieds des pauvres, ces ténèbres, ces silences entrecoupés de bruits formidables, ce cri de victoire échappé tout à coup du tombeau, enfin ce Dieu qui ouvre la route du ciel aux âmes délivrées et laisse aux chrétiens sur la terre, avec une religion divine, d’intarissables espérances.