Génie du christianisme/Partie 4/Livre 1/Chapitre VI

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Garnier Frères (p. 382-385).

Chapitre VI - Cérémonies et prières de la messe

Il ne reste donc plus qu’à justifier les rites du sacrifice [NOTE 29]. Or, supposons que la messe soit une cérémonie antique dont on trouve les prières et la description dans les jeux séculaires d’Horace, ou dans quelques tragédies grecques : comme nous ferions admirer ce dialogue qui ouvre le sacrifice chrétien !

V) Je m’approcherai de l’autel de Dieu.

R) Du Dieu qui réjouit ma jeunesse.

V) Faites luire votre lumière et votre vérité ; elles m’ont conduit dans vos tabernacles et sur votre montagne sainte.

R) Je m’approcherai de l’autel de Dieu, du Dieu qui réjouit ma jeunesse.

V) Je chanterai vos louanges sur la harpe, ô Seigneur ! Mais, mon âme, d’où vient ta tristesse, et pourquoi me troubles-tu ?

R) Espérez en Dieu, etc.

Ce dialogue est un véritable poème lyrique entre le prêtre et le catéchumène : le premier, plein de jours et d’expérience, gémit sur la misère de l’homme pour lequel il va offrir le sacrifice ; le second, rempli d’espoir et de jeunesse, chante la victime par qui il sera racheté.

Vient ensuite le Confiteor, prière admirable par sa moralité. Le prêtre implore la miséricorde du Tout-Puissant pour le peuple et pour lui-même.

Le dialogue recommence.

V) Seigneur, écoutez ma prière !

R) Et que mes cris s’élèvent jusqu’à vous.

Alors le sacrificateur monte à l’autel, s’incline, et baise avec respect la pierre qui dans les anciens jours cachait les os des martyrs.

Souvenir des catacombes.

En ce moment le prêtre est saisi d’un feu divin : comme les prophètes d’Israël, il entonne le cantique chanté par les anges sur le berceau du Sauveur, et dont Ezéchiel entendit une partie dans la nue.

" Gloire à Dieu dans les hauteurs du ciel, et paix aux hommes de bonne volonté sur la terre ! Nous vous louons, nous vous bénissons, nous vous adorons, Roi du ciel, dans votre gloire immense ! etc. "

L’épître succède au cantique. L’ami du Rédempteur du monde, Jean, fait entendre des paroles pleines de douceur, où le sublime Paul, insultant à la mort, découvre les mystères de Dieu. Prêt à lire une leçon de l’Evangile, le prêtre s’arrête et supplie l’Eternel de purifier ses lèvres avec le charbon de feu dont il toucha les lèvres d’Isaïe. Alors les paroles de Jésus-Christ retentissent dans l’assemblée : c’est le jugement sur la femme adultère ; c’est le Samaritain versant le baume dans les plaies du voyageur ; ce sont les petits enfants bénis dans leur innocence.

Que peuvent faire le prêtre et l’assemblée, après avoir entendu de telles paroles ? Déclarer sans doute qu’ils croient fermement à l’existence d’un Dieu qui laissa de tels exemples à la terre. Le symbole de la foi est donc chanté en triomphe. La philosophie, qui se pique d’applaudir aux grandes choses, aurait dû remarquer que c’est la première fois que tout un peuple a professé publiquement le dogme de l’unité d’un Dieu : Credo in unum Deum.

Cependant le sacrificateur prépare l’hostie pour lui, pour les vivants, pour les morts. Il présente le calice : " Seigneur, nous vous offrons la coupe de notre salut. " Il bénit le pain et le vin. " Venez, Dieu éternel, bénissez ce sacrifice. " Il lave ses mains,

" Je laverai mes mains entre les innocents… Oh ! ne me faites point finir mes jours parmi ceux qui aiment le sang. "

Souvenir des persécutions.

Tout étant préparé, le célébrant se tourne vers le peuple, et dit :

" Priez, mes frères. "

Le peuple répond :

" Que le Seigneur reçoive de vos mains ce sacrifice. "

Le prêtre reste un moment en silence, puis tout à coup annonçant l’éternité : Per omnia saecula saeculorum, il s’écrie :

" Elevez vos cœurs ! "

Et mille voix répondent :

" Habemus ad Dominum : Nous les élevons vers le Seigneur. "

La préface est chantée sur l’antique mélopée ou récitatif de la tragédie grecque ; les Dominations, les Puissances, les Vertus, les Anges et les Séraphins sont invités à descendre avec la grande victime, et à répéter avec le chœur des fidèles le triple Sanctus et l’Hosannah éternel.

Enfin, l’on touche au moment redoutable. Le canon où la loi éternelle est gravée, vient de s’ouvrir : la consécration s’achève par les paroles mêmes de Jésus-Christ. " Seigneur, dit le prêtre en s’inclinant profondément, que l’hostie sainte vous soit agréable comme les dons d’Abel le juste, comme le sacrifice d’Abraham notre patriarche, comme celui de votre grand-prêtre Melchisédech. Nous vous supplions d’ordonner que ces dons soient portés à votre autel sublime par les mains de votre ange, en présence de votre divine majesté. "

A ces mots le mystère s’accomplit, l’Agneau descend pour être immolé :

" O moment solennel ! ce peuple prosterné,

Ce temple dont la mousse a couvert les portiques,

Ses vieux murs, son jour sombre et ses vitraux gothiques,

Cette lampe d’airain qui, dans l’antiquité

Symbole du soleil et de l’éternité,

Luit devant le Très Haut jour et nuit suspendue ;

La majesté d’un Dieu parmi nous descendue,

Les pleurs, les vœux, l’encens qui monte vers l’autel,

Et de jeunes beautés qui, sous l’œil maternel,

Adoucissent encor par leur voix innocente

De la religion la pompe attendrissante ;

Cet orgue qui se tait, ce silence pieux,

L’invisible union de la terre et des cieux,

Tout enflamme, agrandit, émeut l’homme sensible :

Il croit avoir franchi ce monde inaccessible

Où sur des harpes d’or l’immortel Séraphin

Aux pieds de Jéhovah chante l’hymne sans fin.

Alors de toutes parts un Dieu se fait entendre ;

Il se cache au savant, se révèle au cœur tendre :

Il doit moins se prouver qu’il ne doit se sentir [NOTE 30]. "