Gabriel (Hetzel, illustré 1854)/Scène 1-2

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Gabriel (Hetzel, illustré 1854)
GabrielJ. HetzelŒuvres illustrées de George Sand, volume 7 (p. 11-14).


Scène II

En prison.


GABRIEL, ASTOLPHE, le chef des sbires, MARC.

(Astolphe dort étendu sur un grabat. Marc est assoupi sur un banc au fond. Gabriel se promène à pas lents, et chaque fois qu’il passe devant Astolphe, il ralentit encore sa marche et le regarde.)

GABRIEL.

Il dort comme s’il n’avait jamais connu d’autre domicile ! Il n’éprouve pas, comme moi, une horrible répugnance pour ces murs souillés de blasphèmes, pour cette couche où des assassins et des parricides ont reposé leur tête maudite. Sans doute, ce n’est pas la première nuit qu’il passe en prison ! Étrangement calme ! et pourtant il a ôté la vie à son semblable, il y a une heure ! son semblable ! un bandit ? Oui, son semblable. L’éducation et la fortune eussent peut-être fait de ce bandit un brave officier, un grand capitaine. Qui peut savoir cela, et qui s’en inquiète ? celui-là seul à qui l’éducation et le caprice de l’orgueil ont créé une destinée si contraire au vœu de la nature : moi ! Moi aussi, je viens de tuer un homme… un homme qu’un caprice analogue eût pu, au sortir du berceau, ensevelir sous une robe et jeter à jamais dans la vie timide et calme du cloître ! (Regardant Astolphe.) Il est étrange que l’instant qui nous a rapprochés pour la première fois ait fait de chacun de nous un meurtrier ! Sombre présage ! mais dont je suis le seul à me préoccuper, comme si, en effet, mon âme était d’une nature différente… Non, je n’accepterai pas cette idée d’infériorité ! les hommes seuls l’ont créée, Dieu la réprouve. Ayons le même stoïcisme que ceux-là, qui dorment après une scène de meurtre et de carnage.

(Il se jette sur un autre lit.)
ASTOLPHE, rêvant.

Ah ! perfide Faustina ! tu vas souper avec Alberto, parce qu’il m’a gagné mon argent !… Je te… méprise… (Il s’éveille et s’assied sur son lit.) Voilà un sot rêve ! et un réveil plus sot encore ! la prison ! Eh ! compagnons ?…Point de réponse ; il paraît que tout le mode dort. Bonne nuit !

(Il se recouche et se rendort.)
GABRIEL, se soulevant, le regarde.

Faustina ! Sans doute c’est le nom de sa maîtresse. Il rêve à sa maîtresse ; et moi, je ne puis songer qu’à cet homme dont les traits se sont hideusement contractés quand ma balle l’a frappé… Je ne l’ai pas vu mourir… il me semble qu’il râlait encore sourdement quand les sbires l’ont emporté… J’ai détourné les yeux… je n’aurais pas eu le courage de regarder une seconde fois cette bouche sanglante, cette tête fracassée !… Je n’aurais pas cru la mort si horrible. L’existence de ce bandit est-elle donc moins précieuse que la mienne ? La mienne ! n’est-elle pas à jamais misérable ? n’est-elle pas criminelle aussi ? Mon Dieu ! pardonnez-moi. J’ai accordé la vie à l’autre… je n’aurais pas eu le courage de la lui ôter… Et lui !… qui dort là si profondément, il n’eût pas fait grâce : il n’en voulait laisser échapper aucun ! Était-ce courage ? était-ce férocité ?

ASTOLPHE, rêvant.

À moi ! à l’aide ! on m’assassine… (Il s agite sur son lit.) Infâmes ! six contre un !… Je perds tout mon sang !… Dieu, Dieu !

(Il s’éveille en poussant des cris. Marc s’éveille en sursaut et court au hasard ; Astolphe se lève égaré et le prend à la gorge. Tous deux crient et luttent ensemble. Gabriel se jette au milieu d’eux.)

GABRIEL.

Arrêtez, Astolphe ! revenez à vous : c’est un rêve !… Vous maltraitez mon vieux serviteur.

(Il le secoue et l’éveille.)
ASTOLPHE, va tomber sur son lit et s’essuie le front.

C’est un affreux cauchemar en effet ! Oui, je vous reconnais bien maintenant ! Je suis couvert d’une sueur glacée. J’ai bu ce soir du vin détestable. Ne faites pas attention à moi.

(Il s’étend pour dormir. Gabriel jette son manteau sur Astolphe et va se rasseoir sur son lit.)

GABRIEL.

Ah ! ils rêvent donc aussi, les autres !… Ils connaissent donc le trouble, l’égarement, la crainte… du moins en songe ! Ce lourd sommeil n’est que le fait d’une organisation plus grossière… ou plus robuste ; ce n’est pas le résultat d’une âme plus ferme, d’une imagination plus calme. Je ne sais pourquoi cet orage qui a passé sur lui m’a rendu une sorte de sérénité ; il me semble qu’à présent je pourrai dormir… Mon Dieu, je n’ai pas d’autre ami que vous !… Depuis le jour fatal où ce secret funeste m’a été dévoilé, je ne me suis jamais endormi sans remettre mon âme entre vos mains, et sans vous demander la justice et la vérité !… Vous me devez plus de secours et de protection qu’à tout autre, car je suis une étrange victime !…

(Il s’endort.)
ASTOLPHE, se relevant.

Impossible de dormir en paix ; d’épouvantables images assiègent mon cerveau. Il vaudra mieux me tenir éveillé ou boire une bouteille de ce vin que le charitable sbire, ému jusqu’aux larmes par la jeunesse et par les écus de mon petit cousin, a glissée par là… (Il cherche sous les bancs, et se trouve près du lit de Gabriel.) Cet enfant dort du sommeil des anges ! Ma foi ! c’est bien, à son âge, de dormir après une petite aventure comme celle de ce soir. Il a, pardieu ! tué son homme plus lestement que moi ! et avec un petit air tranquille… C’est le sang du vieux Jules qui coule dans ces fines veines bleues, sous cette peau si blanche !… Un beau garçon, vraiment ! élevé comme une demoiselle, au fond d’un vieux château, par un vieux pédant hérissé de grec et de latin ; du moins c’est ce qu’on m’a dit… Il paraît que cette éducation-là en vaut bien une autre. Ah çà ! vais-je m’attendrir comme le cabaretier et comme le sbire parce qu’il a promis de payer mes dettes ? Oh, non pas ! je garderai mon franc-parler avec lui. Pourtant je sens que je l’aime, ce garçon-là ; j’aime la bravoure dans une organisation délicate. Beau mérite, à moi, d’être intrépide avec des muscles de paysan ! Il est capable de ne boire que de l’eau, lui ! Si je le croyais, j’en boirais aussi, ne fût-ce que pour avoir ce sommeil angélique ! mais, comme il n’y en pas ici… (Il prend la bouteille et la quitte.) Eh bien ! qu’ai-je donc à le regarder ainsi comme malgré moi ? avec ses quinze ou seize ans, et son menton lisse comme celui d’une femme, il me fait illusion… Je voudrais avoir une maîtresse qui lui ressemblât. Mais une femme n’aura jamais ce genre de beauté, cette candeur mêlée à la force, ou du moins au sentiment de la force… Cette joue rosée est celle d’une femme, mais ce front large et pur est celui d’un homme. (Il remplit son verre et s’assied, en se retournant à chaque instant pour regarder Gabriel, il boit.) La Faustina est une jolie fille… mais il y a toujours dans cette créature, malgré ses minauderies, une impudence indélébile… Son rire surtout me crispe les nerfs. Un rire de courtisane ! J’ai rêvé qu’elle soupait avec Alberto ; elle en est, mille tonnerres ! bien capable. (Regardant Gabriel.) Si je l’avais vue une seule fois dormir ainsi, j’en serais véritablement amoureux. Mais elle est laide quand elle dort ! on dirait qu’il y a dans son âme quelque chose de vil ou de farouche qui disparaît à son gré quand elle parle ou quand elle chante, mais qui se montre quand sa volonté est enchaînée par le sommeil… Pouah ! ce vin est couleur de sang… il me rappelle mon cauchemar… Décidément je me dégoûte du vin, je me dégoûte des femmes, je me dégoûte du jeu… Il est vrai que je n’ai plus soif, que ma poche est vide, et que je suis en prison. Mais je m’ennuie profondément de la vie que je mène ; et puis, ma mère l’a dit, Dieu fera un miracle et je deviendrai un saint. Oh ! qu’est-ce que je vois ? c’est très-édifiant ! mon petit cousin porte un reliquaire ; si je pouvais écarter tout doucement le col de sa chemise, couper le ruban et voler l’amulette pour le lui faire chercher à sen réveil…

(Il s’approche doucement du lit de Gabriel et avance la main. Gabriel s’éveille brusquement et tire son poignard de son sein.)

GABRIEL.

Que me voulez-vous ? ne me touchez pas, monsieur, ou vous êtes mort !

ASTOLPHE.

Malepeste ! que vous avez le réveil farouche, mon beau cousin ! Vous avez failli me percer la main.

GABRIEL, sèchement et sautant à bas de son lit.

Mais aussi, que me vouliez-vous ? Quelle fantaisie vous prend de m’éveiller en sursaut ? C’est une fort sotte plaisanterie.

ASTOLPHE.

Oh ! oh ! cousin ! ne nous fâchons pas. Il est possible que je sois un sot plaisant, mais je n’aime pas beaucoup à me l’entendre dire. Croyez-moi, ne nous brouillons pas avant de nous connaître. Si vous voulez que je vous le dise, la relique que vous avez au cou me divertissait… J’ai eu tort peut-être ; mais ne me demandez pas d’excuses, je ne vous en ferai pas.

GABRIEL.

Si ce colifichet vous fait envie, je suis prêt à vous le donner. Mon père en mourant me le mit au cou, et longtemps il m’a été précieux ; mais, depuis quelque temps, je n’y tiens plus guère. Le voulez-vous ?

ASTOLPHE.

Non ! Que voulez-vous que j’en fasse ? Mais savez-vous que ce n’est pas bien, ce que vous dites là ? La mémoire d’un père devrait vous être sacrée.

GABRIEL.

C’est possible ! mais une idée !… Chacun a les siennes !

ASTOLPHE.

Eh bien ! moi, qui ne suis qu’un mauvais sujet, je ne voudrais pas parler ainsi. J’étais bien jeune aussi quand je perdis mon père ; mais tout ce qui me vient de lui m’est précieux.

GABRIEL.

Je le crois bien !

ASTOLPHE.

Je vois que vous ne songez ni à ce que vous me dites ni à ce que je vous réponds. Vous êtes préoccupé ? à votre aise ! fatigué peut-être ! Buvez un gobelet de vin. Il n’est pas trop mauvais pour du vin de prison.

GABRIEL.

Je ne bois jamais de vin.

ASTOLPHE.

J’en étais sûr ! à ce régime-là votre barbe ne poussera jamais, mon cher enfant.

GABRIEL.

C’est fort possible ; la barbe ne fait pas l’homme.

ASTOLPHE.

Elle y contribue du moins beaucoup ; cependant vous êtes en droit de parler comme vous faites. Vous avez le menton comme le creux de ma main, et vous êtes, je crois, plus brave que moi.

GABRIEL.

Vous croyez ?

ASTOLPHE.

Drôle de garçon ! c’est égal, un peu de barbe vous ira bien. Vous verrez, que les femmes vous regarderont d’un autre œil.

GABRIEL, haussant les épaules.
Les femmes ?
ASTOLPHE.

Oui. Est-ce que vous n’aimez pas non plus les femmes ?

GABRIEL.

Je ne peux pas les souffrir.

ASTOLPHE, riant.

Ah ! ah ! qu’il est original ! Alors qu’est-ce que vous aimez ? le grec, la rhétorique, la géométrie, quoi ?

GABRIEL.

Rien de tout cela. J’aime mon cheval, le grand air, la musique, la poésie, la solitude, la liberté avant tout.

ASTOLPHE.

Mais c’est très-joli, tout cela ! Cependant je vous aurais cru tant soit peu philosophe.

GABRIEL.

Je le suis un peu.

ASTOLPHE.

Mais j’espère que vous n’êtes pas égoïste ?

GABRIEL.

Je n’en sais rien.

ASTOLPHE.

Quoi ! n’aimez-vous personne ? N’avez-vous pas un seul ami ?

GABRIEL.

Pas encore ; mais je désire vous avoir pour ami.

ASTOLPHE.

Moi ! c’est très-obligeant de votre part ; mais savez-vous si j’en suis digne ?

GABRIEL.

Je désire que vous le soyez. Il me semble que vous ne pourrez pas être autrement d’après ce que je me propose d’être pour vous.

ASTOLPHE.

Oh ! doucement, doucement, mon cousin. Vous avez parlé de payer mes dettes ; j’ai répondu : Faites, si cela vous amuse ; mais maintenant, je vous dis : Pas d’airs de protection, s’il vous plaît, et surtout pas de sermons. Je ne tiens pas énormément à payer mes dettes ; et si vous les payez, je ne promets nullement de n’en pas faire d’autres. Cela regarde mes créanciers. Je sais bien que, pour l’honneur de la famille, il vaudrait mieux que je fusse un garçon rangé, que je ne hantasse point les tavernes et les mauvais lieux, ou du moins que je me livrasse à mes vices en secret…

GABRIEL.

Ainsi vous croyez que c’est pour l’honneur de la famille que je m’offre à vous rendre service ?

ASTOLPHE.

Cela peut être ; on fait beaucoup de choses dans notre famille par amour propre.

GABRIEL.

Et encore plus par rancune.

ASTOLPHE.

Comment cela ?

GABRIEL.

Oui ; on se hait dans notre famille, et c’est fort triste.

ASTOLPHE.

Moi, je ne hais personne, je vous le déclare. Le ciel vous a fait riche et raisonnable ; il m’a fait pauvre et prodigue : il s’est montré trop partial peut-être. Il eût mieux fait de donner au sang des Octave un peu de l’économie et de la prudence des Jules, au sang des Jules un peu de l’insouciance et de la gaieté des Octave. Mais enfin, si vous êtes, comme vous le paraissez, mélancolique et orgueilleux, j’aime encore mieux mon enjouement et ma bonhomie que votre ennui et vos richesses. Vous voyez que je n’ai pas sujet de vous haïr, car je n’ai pas sujet de vous envier.

GABRIEL.

Écoutez, Astolphe ; vous vous trompez sur mon compte. Je suis mélancolique par nature, il est vrai ; mais je ne suis point orgueilleux. Si j’avais eu des dispositions à l’être, l’exemple de mes parents m’en aurait guéri. Je vous ai semblé un peu philosophe ; je le suis assez pour haïr et renier cette chimère qui met l’isolement, la haine et le malheur à la place de l’union, des sympathies et du bonheur domestique.

ASTOLPHE.

C’est bien parler. À ce compte, j’accepte votre amitié. Mais ne vous ferez-vous pas un mauvais parti avec le vieux prince mon grand-oncle, si vous me fréquentez ?

GABRIEL.

Très-certainement cela arrivera.

ASTOLPHE.

En ce cas, restons-en là, croyez-moi. Je vous remercie de vos bonnes intentions : comptez que vous aurez en moi un parent plein d’estime, toujours disposé à vous rendre service, et désireux d’en trouver l’occasion ; mais ne troublez pas votre vie par une amitié romanesque où tout le profit et la joie seraient de mon côté, où toutes les luttes et tous les chagrins retomberaient sur vous. Je ne le veux pas.

GABRIEL.

Et moi, je le veux, Astolphe ; écoutez-moi. Il y a huit jours j’étais encore un enfant : élevé au fond d’un vieux manoir avec un gouverneur, une bibliothèque, des faucons et des chiens, je ne savais rien de l’histoire de notre famille et des haines qui ont divisé nos pères ; j’ignorais jusqu’à votre nom, jusqu’à votre existence. On m’avait élevé ainsi pour m’empêcher, je suppose, d’avoir une idée ou un sentiment à moi ; et l’on crut m’inoculer tout à coup la haine et l’orgueil héréditaires, en m’apprenant, dans une grave conférence, que j’étais, moi enfant, le chef, l’espoir, le soutien d’une illustre famille, dont vous étiez, vous, l’ennemi, le fardeau, la honte.

ASTOLPHE.

Il a dit cela, le vieux Jules ? lâche insolence de la richesse !

GABRIEL.

Laissez en paix ce vieillard ; il est assez puni par la tristesse, la crainte et l’ennui qui rongent ses derniers jours. Quand on m’eut appris toutes ces choses, quand on m’eut bien dit que, par droit de naissance, je devais éternellement avoir mon pied sur votre tête, me réjouir de votre abaissement et me glorifier de votre abjection, je fis seller mon cheval, j’ordonnai à mon vieux serviteur de me suivre, et, prenant avec moi les sommes que mon grand-père avait destinées à mes voyages dans les diverses cours où il voulait m’envoyer apprendre le métier d’ambitieux, je suis venu vous trouver afin de dépenser cet argent avec vous en voyages d’instruction ou en plaisirs de jeune homme, comme vous l’entendrez. Je me suis dit que ma franchise vous convaincrait et lèverait tout vain scrupule de votre part ; que vous comprendriez le besoin que j’éprouve d’aimer et d’être aimé ; que vous partageriez avec moi en frère ; qu’enfin vous ne me forceriez pas à me jeter dans la vie des orgueilleux, en vous montrant orgueilleux vous-même, et en repoussant un cœur sincère qui vous cherche et vous implore.

ASTOLPHE, l’embrassant avec effusion.

Ma foi ! tu es un noble enfant ; il y a plus de fermeté, de sagesse et de droiture dans ta jeune tête qu’il n’y en a jamais eu dans toute notre famille. Eh bien, je le veux : nous serons frères, et nous nous moquerons des vieilles querelles de nos pères. Nous courrons le monde ensemble ; nous nous ferons de mutuelles concessions, afin d’être toujours d’accord : je me ferai un peu moins fou, tu te feras un peu moins sage. Ton grand-père ne peut pas te déshériter : tu le laisseras gronder, et nous nous chérirons à sa barbe. Toute la vengeance que je veux tirer de sa haine, c’est de t’aimer de toute mon âme.

GABRIEL, lui serrant la main.

Merci, Astolphe ; vous m’ôtez un grand poids de la poitrine.

ASTOLPHE.

C’est donc pour me rencontrer que tu avais été ce soir à la taverne ?

GABRIEL.

On m’avait dit que vous étiez là tous les soirs.

ASTOLPHE.

Cher Gabriel ! et tu as failli être assassiné dans ce tripot ! et je l’eusse été, moi, peut-être, sans ton secours ! Ah ! je ne t’exposerai plus jamais à ces ignobles périls ; je sens que pour toi j’aurai la prudence que je n’avais pas pour moi-même. Ma vie me semblera plus précieuse unie à la tienne.

GABRIEL, s’approchant de la grille de la fenêtre.

Tiens ! le jour est levé : regarde, Astolphe, comme le soleil rougit les flots en sortant de leur sein. Puisse notre amitié être aussi pure, aussi belle que le jour dont cette aurore est le brillant présage !

(Le geôlier et le chef des sbires entrent.)
LE CHEF DES SBIRES.

Messeigneurs, en apprenant vos noms, le chef de la police a ordonné que vous fussiez mis en liberté sur-le-champ.

ASTOLPHE.

Tant mieux, la liberté est toujours agréable : elle est comme le bon vin, on n’attend pas pour en boire que la soif soit venue.

GABRIEL.

Allons ! vieux Marc, éveille-toi. Notre captivité est déjà terminée.

MARC, bas à Gabriel.

Eh quoi ! mon cher maître, vous allez sortir bras dessus bras dessous avec le seigneur Astolphe ?… Que dira Son Altesse si on vient à lui redire…

GABRIEL.

Son Altesse aura bien d’autres sujets de s’étonner. Je le lui ai promis : je me comporterai en homme !