Galien-Oeuvres anatomiques physiologiques et médicales (trad. Daremberg)/Tome I/V/3

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Galien-Oeuvres anatomiques physiologiques et médicales
Traduction par Charles Victor Daremberg.
Baillière (Ip. 216-277).
LIVRE TROISIÈME.


du membre abdominal et de ses diverses parties.


Chapitre ier. — L’homme ne saurait avoir ni quatre jambes comme les animaux, ni quatre jambes et deux bras comme les Centaures, tels que les poëtes, et en particulier Pindare, nous les représentent. — Un tel assemblage serait contraire aux lois de la physiologie, et produirait un monstre inhabile à l’exercice de tous les arts.


Seul de tous les animaux l’homme a été pourvu de mains, instruments qui conviennent particulièrement à un être sage (cf. I, iii) : comme il a des mains, il est aussi le seul des êtres destinés à marcher, qui jouisse de la station bipède et verticale. La partie du corps nécessaire à la vie étant complète avec les organes du thorax et de l’abdomen, et réclamant des membres pour la marche, les cerfs, les chiens, les chevaux et les autres animaux du même genre[1], ont des jambes pour membres antérieurs et pour membres postérieurs ; cette disposition leur est avantageuse pour la rapidité de la course ; mais pour l’homme les membres antérieurs sont devenus des mains, l’homme en effet n’avait pas besoin de vitesse personnelle, car il devait dompter le cheval, grâce à son intelligence et à ses mains (cf. I, iii et iv) ; posséder des instruments nécessaires dans l’exercice de tous les arts était plus avantageux pour lui que d’avoir une marche rapide. Mais pourquoi n’a-t-il pas quatre jambes et en outre des mains comme les Centaures ? D’abord, parce qu’il était impossible à la nature d’unir des corps aussi différents ; car il ne lui suffisait pas, comme aux statuaires et aux peintres, d’associer des couleurs et des formes ; mais il lui fallait encore mélanger intégralement des substances qui ne sont ni combinées, ni tempérées. Supposez le commerce d’un homme et d’une cavale, la matrice ne pourra jamais élaborer le sperme. Que Pindare, comme poëte, accueille la fable des centaures, on peut le tolérer ; mais si c’est comme un homme sage et comme se donnant pour plus instruit que le vulgaire qu’il ose écrire (Pyth. II, vers 44-48, éd. de Bergk) : « ce mortel s’unit au pied du Pélion avec les cavales de Magnésie : de cette union naquit un peuple merveilleux semblable à ses parents ; il tenait de la mère par la partie inférieure du corps, et du père par la partie supérieure[2], » on l’accuserait avec raison de s’arroger une fausse sagesse[3].

Une jument pourrait, il est vrai, recevoir, conserver la semence de l’âne, et l’élaborer jusqu’à formation d’un animal d’un genre mixte ; il en est de même de l’ânesse par rapport au cheval, de la louve par rapport au chien, du chien par rapport à la louve ou même à la femelle du renard, et encore du renard par rapport à la femelle du chien[4] ; mais une cavale ne saurait sans doute pas recueillir au fond de sa matrice la semence de l’homme, car il faudrait pour cela un membre viril plus long que n’est celui de l’homme ; et cette semence, lors même qu’elle s’y introduirait, se corromprait à l’instant, ou du moins très-promptement.

Nous t’accordons, ô Pindare, les chants et les fictions de la Fable, sachant que la Muse de la poésie exige plus encore le merveilleux que les ornements qui lui sont propres ; car elle a, je pense, moins la prétention d’instruire que celle de surprendre l’imagination et de charmer les oreilles[5]. Pour nous, qui avons souci bien plus de la vérité que de la fable, nous savons clairement que la substance de l’homme et celle du cheval ne sauraient être en aucune façon mélangées.

Mais admettons que les semences se mélangent pendant la gestation et qu’il se forme ainsi cet animal ridicule et étrange, de quels aliments nourrirez-vous ce produit ? Je ne puis l’imaginer. Donnerez-vous par hasard des herbes et de l’orge crus à la partie inférieure chevaline, et à la partie supérieure les substances cuites dont l’homme s’alimente ? Mais alors il serait peut-être mieux de créer deux bouches, l’une d’homme, l’autre de cheval, et si on veut faire des conjectures sur la poitrine de cet animal on trouvera qu’il court risque aussi d’avoir deux cœurs[6]. Que si cependant on passe par-dessus toutes ces absurdités, et si on admet que cet homme à jambes de cheval puisse naître et vivre, quel autre avantage tirera-t-il de sa conformation si ce n’est la vitesse ? et encore cette rapidité ne pourra-t-il la mettre à profit en tous lieux, mais seulement sur une plaine unie et sans inégalités. Si on a besoin de gravir ou de descendre, de marcher sur un terrain en pente ou accidenté, la disposition actuelle des jambes de l’homme est de beaucoup préférable. Ainsi soit pour franchir un obstacle, soit pour escalader des rochers pointus et escarpés, en un mot pour triompher de tous les obstacles de la route, l’homme vaut mieux que ce centaure monstrueux.

Je voudrais le voir, ce centaure, bâtissant une maison, construisant un vaisseau, grimpant à l’aide des mâts sur les antennes des navires ; bref, mettant la main à quelque manœuvre nautique. Quelle insigne maladresse en toutes choses et souvent quelle impuissance absolue ne montrerait-il pas ! Comment, s’il s’agit de bâtir une maison, monterait-il au sommet des murs élevés, sur des échelles longues et étroites ? Comment grimperait-il sur les antennes des vaisseaux ? Comment serait-il en état de ramer, puisqu’il ne saurait s’asseoir convenablement ? Supposez qu’il le pût, ses jambes de devant empêcheraient le service de ses mains. Peut-être nautonier incapable, serait-il bon laboureur ? Mais dans ce dernier métier son incapacité éclaterait encore davantage, surtout s’il lui fallait travailler sur un arbre en y grimpant et cueillir certains fruits. Ne considérez pas son ineptie seulement dans cette situation, passez en revue toutes les industries : le voilà forgeron, cordonnier, tisserand, écrivain ; regardez-le, comment s’assiéra-t-il, sur quelles jambes posera-t-il son livre[7], comment maniera-t-il un instrument quelconque de travail ? En effet, outre tous les privilèges dont l’homme est favorisé, seul de tous les animaux il jouit de la faculté de s’asseoir commodément sur ses ischions. Cette remarque échappe au vulgaire ; on pense que l’homme seul se tient debout (voy. chap. ii, in fine, iii, et Aristote, Part. anim., IV, x, init.), mais l’on ne sait pas que seul aussi il peut s’asseoir. Ce centaure imaginé par les poètes, et qu’on nommerait, à juste titre, non pas homme mais homme-cheval, ne pourrait donc pas se tenir solidement sur ses ischions ; et cela lui fut-il possible, il ne se servirait pas avec adresse de ses mains, gêné qu’il serait dans toutes ses actions par ses jambes de devant, comme nous le serions nous-mêmes par deux longs morceaux de bois fixés sur notre poitrine.

Accommodés de la sorte, si l’on nous faisait coucher sur un petit lit de repos[8], nous formerions une étrange assemblée, bien plus étrange encore si nous venions à nous endormir. Ne serait-ce pas, en vérité, une chose admirable que de voir ces centaures ne pouvant reposer ni sur un lit, ni sur le sol. En effet, l’assemblage des parties qui constituent leur corps réclamerait le lit pour la partie humaine et la terre pour la partie chevaline.

Peut-être, dira-t-on, vaudrait-il mieux avoir quatre jambes, non de cheval, mais d’homme. Mais de cette façon, l’homme, sans rien gagner pour aucune de ses fonctions, perdrait encore sa vitesse. Si nous renonçons aux quatre jambes, soit de cheval, soit d’homme, nous ne réclamerons certes pas celles d’autres animaux ; car elles ont de la ressemblance, les unes surtout avec les jambes du cheval, les autres surtout avec celles de l’homme. Sur quatre jambes, si deux sont superflues, sur six jambes et davantage, nous en aurions évidemment encore plus d’inutiles. En un mot, un être qui veut se servir utilement de ses mains, ne doit trouver sur sa poitrine aucun obstacle proéminent, soit naturel, soit artificiel.


Chapitre ii. — Inutilité des mains pour les animaux, et, par conséquent, inutilité pour eux de la station bipède. — Inconvénients et dangers qui résulteraient pour les animaux, de n’avoir que deux jambes et point de membres de devant. — De la forme et du nombre des jambes chez les animaux suivant leur naturel, le volume de leur corps et les fonctions qu’ils ont à remplir. — Chez les quadrupèdes, les jambes de devant, outre qu’elles servent à protéger la poitrine et le ventre, sont utiles pour la rapidité de la marche, et de plus, chez les carnivores, pour saisir la proie et porter la nourriture à la bouche. — Chez l’homme seul, les jambes continuent la direction du rachis en ligne droite ; chez les animaux, elles sont unies avec lui à angle droit.


Comme le cheval, le bœuf, le chien, le lion et les autres animaux semblables ne devaient exercer aucun art, il leur était inutile d’avoir des mains et aussi de marcher sur deux pieds. Quel avantage en effet eût procuré la station bipède à des êtres dépourvus de mains ? Loin de me paraître mieux partagés, s’ils eussent été conformés de cette sorte, ils auraient, ce me semble, perdu leurs qualités actuelles ; je veux dire, d’abord, la facilité pour manger ; en second lieu, la solidité des membres antérieurs ; et, troisièmement enfin, la vitesse. N’ayant pas de mains, ils étaient obligés, les uns de porter la nourriture à leur bouche avec leurs jambes de devant, les autres de la prendre en se baissant (cf. VIII, i). Parmi les animaux, les carnivores ont les pieds divisés en plusieurs doigts ; les herbivores ont des sabots, les uns fendus, les autres d’une seule pièce. Les premiers se montrent tous, en toute occasion, pleins de courage ; aussi leurs pieds, non-seulement sont divisés en plusieurs doigts, mais encore ces doigts sont armés d’ongles vigoureux et crochus, car ils devaient ainsi et saisir plus vite la proie ; et la retenir plus facilement ; mais il n’est pas d’herbivores aussi courageux que les carnassiers.

Cependant, comme en plus d’une circonstance, le cheval et le taureau montrent beaucoup de courage, ils sont armés, l’un de sabots, l’autre de cornes. Quant aux animaux tout à fait timides, ils ne sont pourvus ni de sabots, ni de cornes pour se défendre ; ils ont seulement le pied fourchu, aussi paissent-ils en baissant la tête. Quant aux carnassiers, ils se servent des pieds antérieurs en guise de mains[9] pour retenir la proie qu’ils ont saisie à la chasse et pour porter la nourriture à leur bouche. Si avec leur corps nerveux et vigoureux, ils avaient le pied affermi par un sabot solide, ils seraient, à la vérité, beaucoup plus rapides qu’ils ne sont actuellement ; mais les avantages qu’ils retirent de leurs jambes et que je signalais, avantages bien plus nécessaires, leur feraient défaut.

Comme les animaux privés de sang sont plus froids par tempérament et que, par conséquent, ils manquent tout à fait de force et de vivacité dans leurs mouvements, ils ont des jambes petites et nombreuses ; petites, parce qu’ils sont incapables de porter de gros fardeaux et de les changer de place ; nombreuses, parce qu’elles sont petites. La rapidité de la marche résultant, en effet, du nombre ou de la grandeur des jambes, les animaux privés de grands membres à cause de leur propre nature, ne pouvaient trouver de compensation que dans le nombre, Aussi quelques animaux, par exemple l’iule et le scolopendre, ont-ils un corps extrêmement allongé, la prévoyante nature ayant ainsi ménagé un espace étendu pour l’insertion d’un nombre considérable de pattes ; mais chez les animaux qu’elle pouvait douer, sinon de grosses jambes, du moins de jambes longues et grêles, par exemple chez les sauterelles et les grillons, elle n’avait pas besoin de multiplier ces organes.

On trouve dans Aristote (Hist. anim., IV, i, seqq.) une longue et belle dissertation sur la différence que présentent les animaux privés de sang.

Quant aux animaux pourvus de sang, qui marchent et qui ressemblent le plus à l’homme, ils ont tous reçu quatre pieds, lesquels ont été créés dans l’intérêt de la vitesse et de leur protection ; et même chez les animaux farouches ces pieds remplissent en outre quelquefois l’office de mains (voy. p. 222 et note 1). J’ai assez parlé des avantages que les pieds, tels qu’ils sont conformés pour la course, ont, chez les animaux farouches, pour la chasse et pour la préhension de la nourriture. Si on veut se convaincre qu’il y a bien plus de sécurité pour ces animaux dans la marche sur quatre pieds que dans la station verticale bipède [avec absence de mains], il suffit de réfléchir que les parties contenues dans le ventre et dans la poitrine sont bien plus facilement lésées que celles du rachis (voy. XII, x et xi), et que, dans la manière actuelle de marcher des animaux dont il s’agit, les parties les plus délicates sont cachées et protégées par des parties superposées, tandis que ce sont les parties moins délicates qui sont exposées aux chocs et qui font saillie ; dans la station bipède, au contraire, les parties renfermées dans le ventre, loin d’être couvertes et abritées, sont nues, sans protection, exposées de toutes parts. Les animaux n’ayant à leur service ni les mains, ni l’intelligence dont l’homme dispose, il fallait qu’un moyen de protection extérieur fut placé en avant de leur ventre et de leur poitrine pour remédier à la faiblesse naturelle des organes qui y sont contenus. Ainsi il était mieux que les animaux pourvus de sang fussent quadrupèdes, et que les animaux privés de sang fussent polypèdes ; pour des motifs contraires, il était préférable que l’homme fut bipède, puisqu’il n’avait pas besoin de jouir des avantages que les autres animaux retirent du nombre de leurs jambes, et qu’il eût été gêné dans beaucoup de ses actes s’il n’avait pas joui de la station bipède. Il est vrai que les oiseaux sont également bipèdes[10] ; mais l’homme est, de tous les animaux, le seul qui se tienne droit, car chez lui seul l’épine du dos continue en ligne droite la direction des jambes ; s’il en est ainsi de l’épine, toutes les parties du corps nécessaires à la vie se comportent de même. L’épine sert comme de carène au corps (Cf. XII, x), et tandis qu’elle fait un angle droit avec les pattes des oiseaux comme avec les jambes des quadrupèdes, chez l’homme seul elle continue la même ligne droite. Chez les quadrupèdes et chez les oiseaux les jambes offrent donc dans la marche, par rapport à l’épine, la même figure que les jambes de l’homme dans la position assise. Aussi disions-nous tout à l’heure (chap. i), qu’à l’exception de l’homme, aucun animal ne jouissait de la station verticale (voy. p. 227, note 1).


Chapitre iii. — La position assise n’est possible qu’à la condition de pouvoir fléchir d’arrière en avant la cuisse sur le bassin, et d’avant en arrière la jambe sur la cuisse ; mais cette possibilité manque aux animaux ; aussi les uns rampent, et les autres sont plus ou moins inclinés vers la terre. — L’homme s’assied et se tient debout non pas seulement dans le but de pouvoir regarder le ciel, mais pour être en mesure de se servir des mains dans l’exercice des arts. — Le vulgaire se trompe étrangement à cet égard et ne comprend pas le sens des paroles de Platon. C’est pour Galien une nouvelle raison d’écrire Sur l’utilité des parties.


Pourquoi donc les animaux ne peuvent-ils pas s’asseoir en s’appuyant, comme l’homme, sur leurs ischions (car il me reste encore à traiter cette question[11]) ? C’est parce que les membres attachés aux os coxaux doivent se fléchir d’avant en arrière à l’articulation du fémur avec le tibia. Dans la position assise, l’épine fait un angle droit avec la cuisse. Si, à son tour, le fémur ne faisait pas avec le tibia un autre angle droit, la jambe ne poserait pas droit sur le sol, et la sûreté de la position assise serait détruite. Puisque cette position résulte de ce fait que les membres attachés aux os coxaux se fléchissent [en arrière] au niveau du genou, il est évident qu’elle est refusée à tout quadrupède, car tous fléchissent en avant leurs membres postérieurs. Comme chez l’homme, leurs membres antérieurs s’attachent aux omoplates et leurs membres postérieurs aux os coxaux ; mais, au rebours de ce qui se passe chez l’homme, l’ouverture de l’angle de flexion de leurs membres antérieurs est placée en arrière et celle de leurs membres postérieurs en avant[12]. Il était en effet préférable pour les quadrupèdes que les ouvertures des angles de flexion fussent tournées l’une vers l’autre (cf. p. 223, note 1) ; mais l’homme, dont les membres attachés aux épaules sont devenus les bras, trouve avantage à ce que la flexion ait lieu au coude d’arrière en avant[13]. Il a été prouvé dans un des livres précédents (I, v, p. 119), qu’il valait mieux que les mains fussent tournées l’une vers l’autre ; c’est aussi avec raison que les jambes sont douées au genou de la flexion d’avant en arrière ; car c’est seulement à cette condition que l’homme doit de pouvoir s’asseoir commodément comme nous venons de le démontrer. Aussi l’axe de l’épine continuant en ligne droite celui des jambes, l’homme peut prendre trois positions différentes : s’il est couché à terre sur l’épine du dos, la supination est parfaite, s’il est couché sur le ventre, la pronation est complète, s’il se tient fermement sur ses pieds, la station verticale est régulière ; mais si les jambes forment un angle avec l’épine, il est évident qu’aucune de ces positions ne sera exactement rectiligne. Aussi avons-nous dit avec juste raison que l’homme seul se tient droit ; car les autres animaux sont tous, les uns plus, les autres moins, inclinés en avant ; ils marchent tout à fait de la même façon que les enfants qui se traînent sur les mains[14]. Les gékos et tous les animaux à courtes jambes sont complètement inclinés en avant, car leur ventre touche perpétuellement la terre ; chez les serpents cette disposition est plus manifeste encore. Le cheval, le chien, le bœuf, le lion et tous les quadrupèdes ont une attitude qui tient le milieu entre la position exactement inclinée et la station parfaitement droite. Il en est de même de tous les oiseaux, bien qu’ils soient bipèdes, car ils n’ont pas les organes de la marche situés sur la même ligne droite que l’épine.

Ainsi donc seul de tous les animaux l’homme se tient droit, et nous avons démontré que seul il est conformé pour s’asseoir (Cf. chap. i, ii, iii). Toutes les fonctions que remplissent les mains dans l’exercice des arts, exigent ces deux positions ; car nous nous servons de nos mains tantôt debout, tantôt assis ; personne ne travaille jamais couché sur le dos ou sur le ventre. La nature a eu raison de ne donner à aucun des autres animaux une structure telle qu’il pût se tenir debout ou assis[15], puisque aucun ne devait se servir de ses mains pour travailler. S’imaginer que si l’homme se tient droit c’est pour regarder le ciel à son aise, et pouvoir s’écrier : « Je réfléchis l’Olympe dans mes yeux avec un regard intrépide, » est le fait de gens qui n’ont jamais vu le poisson appelé Contemplateur du ciel (prêtre, rascasse blanche, uranoscopus scaber[16]). Ce poisson, même contre son gré, regarde toujours le ciel, l’homme à moins de fléchir son cou en arrière ne verra jamais le ciel. Il ne jouit pas seul de cette faculté de fléchir le cou, l’âne la possède également, sans parler des oiseaux à long col, qui non-seulement, s’ils le veulent, regardent facilement en haut, mais encore tournent aisément leurs yeux de tous les côtés. Ne pas comprendre cette parole de Platon (De republ., p. 529 b)[17], est encore, chez de tels gens, la preuve d’une grande inattention : « Regarder les choses d’en haut, ce n’est pas être couché sur le dos, la bouche béante, c’est, je pense, contempler par son intelligence la nature des êtres. » Mais, ainsi que je l’ai remarqué dès le début de mon traité, peu de mes prédécesseurs ont connu exactement l’utilité des parties. C’est une raison pour nous d’insister davantage et de faire effort pour étudier le sujet dans tous ses détails, n’omettant absolument aucun caractère des parties ; c’est-à-dire, comme nous l’avons déjà observé, ni la situation, la grandeur, ni la texture, ni la forme, ni les configurations variées, ni la mollesse, ni la dureté, ni les autres caractères inhérents aux divers tempéraments, ni la communauté qui s’établit entre les parties par leurs connexions, leurs points d’attache, leur juxtaposition, ou les dispositions prises pour leur sécurité.


Chapitre iv. — L’auteur se propose de démontrer que la jambe, dans son ensemble et dans les diverses parties qui la constituent, est parfaitement appropriée à un être raisonnable bipède. — Comparaison de la jambe de l’homme avec celle du cheval ; avantages qui résultent de leur structure respective. Comme il était impossible de réunir ces avantages, il a fallu choisir pour l’homme ceux qui sont le plus en rapport avec sa nature et les fonctions qu’il doit remplir.


Commençons donc par les jambes et montrons que chacune de leurs parties est construite si habilement, qu’on ne saurait imaginer une meilleure structure. La suite du raisonnement, l’invention et la démonstration de chaque proposition seront conformes à la méthode indiquée dès le principe. De même que la main est l’instrument de la préhension, de même la jambe est l’organe de la marche, et comme ce n’est pas simplement un organe de la marche, mais un organe approprié surtout à un être raisonnable (c’est là ce que j’avais en vue, quand je dissertais plus haut sur le nombre des jambes, — chap. ii), il s’agit de montrer que chacune des parties de la jambe est construite de la manière la plus utile pour un animal raisonnable, bipède. Était-il mieux que l’homme eût des pieds ronds et durs comme ceux du cheval, ou allongés, larges, mous et fendus en plusieurs parties comme ils sont actuellement disposés ? La vitesse et la difficulté à être lésés eussent été peut-être une conséquence de la première disposition ; la seconde n’a en propre ni l’un ni l’autre avantage ; néanmoins, elle paraît manifestement convenable pour surmonter toutes les difficultés, quand il nous faut grimper sur les murs élevés, sur les arbres ou sur les rochers. S’il est vrai que ni l’une ni l’autre de ces deux dispositions ne pouvait réunir ce double avantage, et si on se trouvait absolument dans la nécessité de choisir, il est évident que le premier avantage était préférable pour le cheval et le second pour l’homme. Le cheval, attendu qu’il est quadrupède, marchera solidement sur quatre pieds qui sont arrondis, tandis que pour un bipède une telle disposition serait complètement dangereuse, à moins qu’on ne lui supposât des sabots arrondis, et de plus très-grands et très-larges. Mais alors, on chargerait l’animal d’un fardeau superflu, et les jambes deviendraient tout l’opposé d’un instrument de vitesse. Il faut donc, si c’est dans l’intérêt de la vitesse que les pieds doivent être arrondis, qu’ils soient encore petits comme le sont ceux du cheval. D’un autre côté, la dureté du sabot est un bon moyen pour prévenir les lésions chez cet animal ; mais l’homme qui peut se fabriquer des chaussures, loin de retirer aucun avantage de cette dureté, y rencontrerait souvent des inconvénients. Dans l’état actuel, si notre chaussure vient à être endommagée, il nous est très-facile de la remplacer par une nouvelle ; mais si nos pieds avaient une chaussure naturelle, par exemple, des sabots fendus comme ceux du bœuf, ou non fendus comme ceux du cheval, nous boiterions aussitôt que cette chaussure aurait éprouvé quelque lésion. Les chevaux étant dépourvus de mains et d’industrie, mieux valait pour eux avoir des pieds protégés d’une manière quelconque contre les lésions. Mais chez l’homme qui peut choisir dans chaque circonstance la chaussure la plus convenable, et qui d’un autre côté a souvent besoin de se servir de ses pieds nus, il était mieux que les pieds fussent primitivement dépourvus de toute protection.


Chapitre v. — Définition de la marche et de la course ; du rôle qu’y jouent le pied et la jambe : le premier sert à la sustentation, la seconde à la progression. — L’ablation soit des orteils, soit du métatarse ou du tarse, établit la nécessité de la conformation actuelle du pied. — Comparaison du pied et de la main sous le rapport de la variété des articulations et de la faculté de se modeler sur les corps. — Supériorité sous ce rapport de la jambe de l’homme sur celles des animaux, pour marcher sur les terrains inégaux et pour monter aux échelles. — En résumé, le pied offre la structure la meilleure pour la sustentation, la marche et l’ascension.


Il a été suffisamment démontré qu’il valait mieux que les pieds fussent non-seulement allongés mais mous. Maintenant pourquoi ont-ils ce degré de longueur et ce degré de largeur qu’ils possèdent effectivement, ce creux insensible à la face inférieure, cette élévation à la face supérieure, enfin cette division en doigts ? nous allons le démontrer immédiatement. La jambe de l’homme étant, comme nous avons dit, non pas simplement un organe pour la marche, mais un organe le mieux approprié à un être raisonnable, suivons cette idée d’organe composé et non pas simple absolument. Ainsi nous avons à dire en premier lieu comment s’opère la marche en général, en second lieu par quelle modification la marche devient appropriée à l’homme. La marche s’opère quand une des jambes pose sur le sol, tandis que l’autre se porte en avant en opérant un mouvement de circumduction : mais s’appuyer sur le sol est l’œuvre du pied seul, tandis que se porter ainsi en avant est l’œuvre de la jambe tout entière ; de telle sorte que la marche résultant de l’application sur le sol et du mouvement, les pieds sont des organes d’appui, et les jambes entières des organes du mouvement[18]. Cela est très-manifeste quand on se tient debout et immobile, car les pieds n’en remplissent pas moins alors leur office de sustentation pour lequel ils ont été créés. Dans la marche ou dans la course, l’un des pieds s’applique sur le sol, l’autre, en même temps que toute la jambe, se porte en avant. Si nous changeons de place, c’est par le moyen de la jambe qui se meut, car c’est elle qui opère cette translation ; et si nous ne tombons pas, c’est grâce au pied solidement appuyé sur le sol ; mais comment pourrait-il porter en avant l’animal, lui qui ne se meut pas lui-même ?

Nous trouverons la preuve suffisante de cette proposition dans deux événements survenus récemment, je veux parler d’une part de cette peste qui fit de grands ravages et qui produisait des dépôts aux pieds[19], et de l’autre de ce brigand qui exerçait sa cruauté près de Coracèse en Pamphylie[20]. La peste réduisait les pieds en putréfaction, et le brigand, les coupait. Les malheureux privés de cette partie ne pouvaient plus marcher sans bâton, non certes que ce bâton servît au mouvement des jambes, mais il aidait à la sustentation que les pieds leur avaient jusque-là procurée. Appuyés sur deux pieds mutilés ils pouvaient à la vérité se tenir debout, mais ils ne pouvaient marcher, attendu qu’il fallait alors confier la sustentation de tout le corps à un seul membre mutilé.

J’ai vu aussi des gens qui avaient perdu seulement les doigts des pieds, mortifiés par la neige[21] ; pour la station, la marche et la course, du moins sur un terrain uni et égal, ces individus ne le cédaient pas à ceux dont tous les membres sont en bon état ; mais s’il fallait franchir un endroit difficile, surtout si le terrain était escarpé, non-seulement ils restaient en arrière, mais ils étaient complètement incapables de lutter et impuissants. Ceux qui avaient perdu par la gangrène non-seulement les orteils, mais la partie du pied qui les précède et qu’on nomme métatarse, avaient une démarche chancelante, aussi bien sur un terrain égal que sur un terrain difficile. Si la partie du pied qui précède le métatarse et qu’on nomme tarse est perdue, non-seulement on ne peut pas marcher avec sûreté, mais la station même n’est pas ferme.

Tous ces faits démontrent que pour la sécurité de la station, des pieds larges et longs sont nécessaires ; et c’est pour cette raison que de tels pieds ont été donnés à l’homme, qui, plus que les quadrupèdes, a besoin d’assurance dans la marche. C’est uniquement en qualité de bipède et non en qualité d’être raisonnable que l’homme a un pied ainsi conformé. En cette dernière qualité, c’est la variété dans la station qui lui a été attribuée en propre, puisqu’il avait besoin de marcher dans tous les lieux difficiles, ce qui ne lui eût pas été possible si les pieds n’avaient pas présenté des articulations variées. À propos des mains, nous avons démontré précédemment (II, viii)[22] que de leur cavité intérieure et de leurs articulations variées résultait pour elles la faculté de s’adapter à toutes les formes d’un corps ; de même les pieds, qui imitent les mains autant que possible, jouissent sur tous les terrains d’une assiette solide, grâce à leurs articulations variées et à la cavité qui occupe précisément la partie destinée à fouler les aspérités. C’est en cela même que consiste la supériorité des jambes de l’homme, supériorité que nous désirions trouver tout à l’heure en disant que la nature lui avait donné des pieds appropriés non-seulement à un être fait pour marcher, mais encore à une créature raisonnable ; et si on voulait rappeler dans une définition unique et concise les avantages du pied de l’homme, on dirait qu’ils tiennent à la division en doigts et à la cavité qu’il présente au milieu de la partie inférieure. En effet vous ne sauriez reconnaître avec plus d’évidence combien ces avantages contribuent à l’assurance de la marche sur un terrain convexe, qu’en considérant un homme qui monte sur une échelle longue et mince. Avec le creux de son pied il embrasse la convexité des échelons, puis, repliant les deux extrémités, ses doigts et son talon, autant qu’il est possible, il arrondit la plante qui embrasse comme une main le corps sous-jacent. Ce nouveau raisonnement vient, ce nous semble, à l’appui de ce que nous avions établi dès le principe.

Nous démontrions tout à l’heure que les pieds avaient été créés pour une station solide, et que les mieux appropriés à une station semblable étaient les pieds longs, mous et larges. Maintenant en prouvant que le pied de l’homme est capable de se poser solidement sur tous les terrains, et en ajoutant que c’est une conséquence nécessaire de sa structure, nous n’avons pas entamé un sujet différent ; nous confirmons seulement notre proposition initiale. Que manque-t-il donc encore à notre raisonnement ? c’est d’embrasser sous un seul titre la question relative à la nécessité de cette disposition, question qui paraîtrait actuellement se scinder en deux parties. Nous disions, en effet, que le pied de l’homme était avec raison partagé en doigts, et creux au milieu afin qu’il pût marcher sur toute espèce de terrain ; avec cette cavité médiane, disions-nous, il embrasse les convexités du terrain, et ses orteils lui servent surtout (c’est encore une chose à ajouter) dans les lieux escarpés, obliques ou inclinés. Quelle est donc la cause première de tous ces détails de structure, cause que nous puissions résumer en un mot ? C’est celle que nous faisions pressentir dans notre raisonnement, quand, forcé par la nature des choses, nous disions que le pied de l’homme imitait la main autant que possible (p. 232 — cf. aussi chap. vii). Si cette proposition est vraie, et que la main soit un organe de préhension, il est clair que le pied doit l’être aussi, du moins dans une certaine mesure. Il n’en est pas de même du pied du cheval, attendu qu’il est complétement privé de toute préhension ; ce pied a la vitesse en partage, non en vue de la variété de mouvements attribuée à l’être raisonnable, mais en vue de la légèreté et de l’agilité. Le pied du loup, du lion, du chien, offre une structure intermédiaire, il n’est pas complétement simple comme celui du cheval, mais il n’a pas les articulations variées du pied de l’homme. Ces animaux se servent, il est vrai, de leur pied comme d’une main à la chasse et pour la préhension de leur nourriture ; mais pour les autres actions nombreuses que l’homme accomplit, ils sont complètement impuissants.


Chapitre vi. — Principes qui doivent servir à comprendre la structure du pied ; comme il est à la fois un organe de préhension et un organe de sustentation, la structure doit réunir les deux conditions de cette double action, sans que les dispositions qui y concourent soient poussées à l’extrême. — Comparaison du pied et de la main. — Galien distingue l’astragale, le calcaneum et le scaphoïde des autres os du tarse.


Ici encore notre raisonnement nous a forcé, par la nature des choses, à assimiler aux mains les pieds divisés en doigts. Prenons pour principe, comme élément de tout ce que nous allons dire dans la suite, les considérations suivantes : il était absolument nécessaire que le pied de l’homme ne servît pas seulement à la simple sustentation comme cela a lieu chez le cheval, il fallait encore qu’il fût construit en vue de la préhension (cf. II, ix) ; enfin les avantages extrêmes de chacune de ces dispositions ne pouvaient se rencontrer en même temps, autrement l’homme aurait eu pour pieds ou des mains, ou des pieds de cheval. S’il avait des mains, le gros doigt devait être opposé aux autres doigts, le livre précédent l’a démontré (chap. ix), et la base de sustentation serait alors entièrement perdue. S’il avait les pieds absolument petits, arrondis, durs et légers comme sont ceux du cheval, le membre perdait alors complétement la faculté de préhension. Pour arriver donc, autant que possible, non seulement à conserver les avantages des deux dispositions, mais encore à en éviter les inconvénients, la nature a créé le pied de l’homme avec plusieurs doigts et des articulations multiples, ainsi que cela a lieu pour la main ; toutefois, au lieu d’opposer le gros orteil aux autres doigts, elle les a tous placés et disposés sur un même plan à la suite les uns des autres.

Est-ce donc la seule différence de structure entre les pieds et les mains ? ou bien, comme instruments de sustentation, présentent-ils une autre disposition plus remarquable encore ? Cette disposition n’est ni peu importante, ni fortuite, mais elle constitue surtout ce qu’il y a de commun dans tous les pieds ; elle se rencontre seule chez le cheval dont le pied n’est modelé en aucune façon sur la main ; chez les autres animaux, cette disposition ne se trouve pas à un degré égal ; mais chez tous, la construction du pied a quelque chose d’analogue à celle de la main. Chez l’homme, rien ne manque à la similitude, il y a une partie semblable au carpe, on la nomme tarse, et une autre semblable au métacarpe, elle a reçu des médecins modernes le nom de πεδίον (plante du pied, métatarse) : enfin les doigts des pieds sont assez semblables à ceux de la main[23].

Voici donc trois parties du pied correspondantes à celles de la main, les doigts, le métatarse et le tarse ; aucune ne se trouve chez le cheval. Quant à la partie du pied sous-jacente à la jambe, partie sur laquelle ce membre tout entier repose perpendiculairement et qui est commune à tous les pieds, elle n’a pas un nom unique comme le tarse et le métatarse. Elle se compose de trois os qui ont chacun leur nom, savoir : l’astragale (ἀστράγαλον) et le calcanéum (πτέρνη), noms connus généralement, et le scaphoïde (σκαφοειδής), ainsi dénommé par les médecins anatomistes. Aucun de ces os n’a d’analogue dans la main[24], ils sont exactement et uniquement des organes de sustentation, tandis que tous les autres servent à la fois à la sustentation et à la préhension. En effet, ni le tarse, ni le métatarse ne constituent chacun une partie simple, mais ils sont composés d’os nombreux, petits et durs.


Chapitre vii. — Galien se propose d’étudier chacune des parties qui entrent dans la composition du pied, considéré comme organe de la marche, et de démontrer qu’elles ne pouvaient être mieux construites. — De la longueur des orteils comparée à celle des doigts. — Différence d’épaisseur des diverses parties du pied. — Utilité de cette différence. — Structure particulière du calcanéum et des autres os du tarse en rapport avec cette disposition.


Disons maintenant, comme nous l’avons fait pour la main, quelle est la grandeur de chacune des parties simples du pied, quelle forme elles revêtent, quelle est leur position, quelles connexions elles ont entre elles, enfin, quel est leur nombre. Parlons aussi de leur mollesse, de leur dureté, de leur degré de consistance ou de raréfaction et des autres qualités générales des corps que les pieds possèdent aussi, indiquons en toutes circonstances leur utilité, et montrons qu’on ne pouvait mieux faire en les construisant d’une autre façon. Ce sujet ne demanderait pas moins de détails que la main, si la ressemblance de structure n’abrégeait notre démonstration. En effet, pour les ressemblances du pied avec la main comme organe de préhension, nous n’avons qu’à renvoyer aux développements donnés sur la main ; il ne nous reste qu’à considérer dans le pied l’instrument de la marche. Avoir des os nombreux de formes diverses qui présentent des articulations ; variées, et qui sont attachés entre eux au moyen de ligaments membraneux, est une disposition qui appartient au pied en sa qualité d’organe de préhension. C’est comme tel aussi qu’il a cinq doigts pourvus chacun d’un certain nombre d’articulations ; quant à la disposition de tous ces doigts sur une seule ligne, elle est particulière au pied en tant qu’organe de sustentation. C’est encore pour la même raison que les doigts des pieds sont plus courts que ceux des mains. Des doigts longs étaient nécessaires à un organe destiné uniquement à la préhension ; mais, pour les pieds, comme ils sont organes de préhension uniquement pour que la marche soit possible en tout lieu, la dimension actuelle des orteils est suffisante. De plus, leurs parties internes (côté du gros orteil) sont plus élevées, et les parties externes (côté du petit orteil) plus basses, double disposition qui convient à un organe de préhension, pour saisir et embrasser les convexités du terrain et à un organe de sustentation ; en effet, puisque dans la marche, l’une des jambes se meut, tandis que l’autre, appuyée tout entière sur le sol, supporte le poids du corps, la nature a eu raison de donner plus d’élévation à la partie interne ; car, si le pied avait exactement la même hauteur des deux côtés, ce serait surtout vers la jambe qui est en l’air que s’inclinerait d’abord le pied lui-même, puis toute la jambe [qui est appuyée]. De cette façon, il est clair qu’en marchant nous tomberions facilement. C’est donc pour la plus grande sécurité de la marche que les parties internes des pieds sont plus élevées. Quand elles ne sont pas plus élevées, si on lutte, si on court, ou, parfois même, si on marche seulement sur un sol inégal, on tombe à terre. L’évidence de cette démonstration vous frappera plus encore en avançant dans la lecture de ce livre : pour le moment cette observation suffit. Il paraît, en effet, très-raisonnable que les parties internes du pied soient à la fois élevées et creuses pour assurer la solidité de la station et l’exactitude de la préhension.

Vous ne chercherez donc plus pourquoi la partie antérieure du calcanéum est plus effilée et plus étroite, et pourquoi elle semble rentrer du côté du petit doigt ; car, si cet os était en avant épais et large comme en arrière, et qu’il s’étendît avec les mêmes dimensions vers la partie antérieure du pied, comment ce pied aurait-il une cavité intérieure (plantaire) ? La nature a donc eu raison de lui enlever à l’intérieur du pied une grande partie de son épaisseur et de sa largeur ; c’est pour cela qu’il paraît se prolonger du côté du petit doigt. C’est pour cela encore que l’astragale semble se porter davantage à l’intérieur, bien que sa partie postérieure s’appuie contre le milieu du calcanéum ; mais comme ce dernier s’amincit de plus en plus à la partie antérieure et semble s’écarter de dedans en dehors, l’astragale paraît avec raison placé en avant du calcanéum et comme suspendu sur lui ; car, comment pouvait-on mieux former la cavité interne du pied qu’en rendant l’os inférieur (le calcanéum) plus mince, plus étroit à sa partie interne, et en conservant à l’os superposé sa largeur première ? En effet, le calcanéum a dû, puisqu’il supportait le membre tout entier, s’appuyer toujours avec solidité sur le sol, tandis que l’os superposé devait être suspendu sur lui. C’est pour cette raison que parmi les os qui s’articulent avec l’astragale et le calcanéum, l’os nommé cuboïde qui s’unit au calcanéum est situé du côté externe du pied, et pose solidement sur le sol, tandis que celui qu’on nomme scaphoïde et qui s’unit à l’astragale est suspendu comme l’astragale lui-même, élevé de terre et placé du côté interne du pied. De même les trois os du tarse attachés au scaphoïde paraissent suspendus de la même façon et sont situés à la partie interne du pied ; car, à leur côté externe s’étend un os appuyé avec fermeté et abaissé, l’os cuboïde, lequel s’articule, comme on le disait, avec le calcanéum. Ainsi, déjà l’utilité des sept premiers os du pied est évidente.


Chapitre viii. — De la figure et de la situation des os du tarse, du métatarse et des orteils. — Comparaison du gros orteil avec le pouce. — Galien qui avait assimilé le premier métacarpien à une phalange (Voy. I, xiv, p. 136) range le premier métatarsien parmi les métatarsiens des autres doigts. — Discussion contre Eudème qui ne regardait ni le premier métatarsien, ni le premier métacarpien comme des phalanges. — Comparaison du tarse et du carpe. — Mode d’articulation des os du tarse. — Du volume du calcanéum, de son mode d’articulation avec les autres os ; de sa consistance. — De la voûte plantaire et de son utilité. — Comparaison du pied du singe avec celui de l’homme.


C’est avec raison que le calcanéum a été fait le plus grand des os du pied, qu’il est lisse à sa face inférieure, arrondi à la face postérieure et supérieure, et allongé du côté externe du pied. Il est très-grand, parce qu’il sert perpendiculairement de base au membre entier ; lisse inférieurement pour reposer avec fermeté sur le sol ; arrondi, sur ses autres faces, pour être à l’abri des lésions ; allongé du côté du petit doigt et se rétrécissant peu à peu, pour former la cavité interne du pied. C’est pour la même raison que l’astragale ne s’effile pas, mais que, demeurant suspendu, il s’articule, en restant élevé, avec le scaphoïde qui est lui-même élevé, et qu’il offre en cet endroit la forme d’une voûte.

Après ces os viennent ceux du tarse ; trois s’articulent avec le scaphoïde, le quatrième (cuboïde) avec le calcanéum. Ce dernier, nous l’avons dit, s’appuie solidement sur le sol du côté externe du pied ; les autres s’élèvent insensiblement : le scaphoïde est le plus élevé de tous pour contribuer à consolider la partie du membre nommée tarse et à rehausser les parties internes du pied. — Viennent ensuite d’abord les os du métatarse qui sont en contact avec le sol et qui sont placés en avant de l’astragale, [du cuboïde], du scaphoïde et des trois os du tarse (cunéiformes) articulés avec ce dernier. — C’est de cette circonstance (c’est-à-dire de fouler le sol), que les anatomistes ont tiré le nom de cette partie (πεδίον, métatarse, plante). En dernier lieu viennent les orteils.

Le plus gros d’entre eux, situé à la partie interne, n’est pas composé de trois phalanges comme les autres, mais de deux. En effet, la partie interne du pied devant être haute et former comme le cintre d’une voûte, il était raisonnable de placer aux deux extrémités l’appui solide que pouvaient former les plus gros os. En arrière se trouvait déjà le calcanéum ; en avant, si l’orteil n’avait pas été beaucoup plus gros que les autres doigts et composé seulement de deux phalanges, il n’y aurait eu aucune sécurité pour les os qui sont comme suspendus. Aussi en premier lieu, le gros orteil, relativement aux autres doigts du pied, n’est pas gros seulement dans la proportion du pouce aux doigts de la main, il l’est bien davantage. En second lieu, il n’est pas composé de trois os comme le pouce et tous les autres doigts, mais de deux. Comme la nature avait, je pense, besoin d’établir là de gros os, elle s’est bien gardée de les diviser en un grand nombre de petits. La partie même du métatarse qui précède le gros orteil, paraît avoir reçu à sa face inférieure comme deux remparts, deux soutiens (sésamoïdes), afin que le premier os de l’orteil ne s’articule avec cette portion du métatarse que quand elle repose déjà complètement sur le sol, la nature donnant, je crois, de tous côtés, des appuis à cette partie du pied qui devait fatiguer singulièrement à cause de la cavité antérieure (c’est-à-dire la cavité plantaire) et de l’espèce de voûte que forment les os placés avant lui.

Le métatarse correspond-il au métacarpe ou en diffère-t-il en quelque chose ? C’est le moment de traiter cette question. La ressemblance, quant à moi, ne me paraît pas complète. De part et d’autre la première phalange de chacun des doigts est précédée d’un os ; mais dans le pied où tous les doigts sont placés sur un seul rang, le nombre des os du métatarse égale avec raison le nombre de ces doigts. Comme dans la main le pouce occupe une place particulière, qu’il est séparé le plus possible des autres doigts et qu’il s’en écarte au niveau de son articulation avec le carpe, le métacarpe n’est avec raison composé que de quatre os. Eudème en prétendant que le métatarse et le métacarpe sont également composés chacun de cinq os, et que le pouce n’a que deux phalanges comme l’orteil (car il se croit dans l’obligation de conserver une analogie exacte), s’écarte de la vérité. Le pouce évidemment est formé par trois os comme le montrent les articulations et les mouvements ; mais bien que les choses se passent ainsi, l’analogie des parties n’est pas moins manifeste sans que nous ayons besoin de partager l’erreur d’Eudème.

L’analogie même de construction du carpe comparé au tarse ne présente pas d’obscurité. En effet le tarse est formé de quatre os, tandis que le nombre est double pour le carpe, attendu qu’il se compose de deux rangées[25]. Il convenait que des organes de préhension fussent composés de parties petites et nombreuses, et que des parties plus grosses et moins nombreuses entrassent dans la construction des organes de locomotion. Les parties antérieures du pied étant exactement semblables aux organes de préhension, ont un nombre d’os égal à celui des mains. Comme le seul os qui avait été retranché du gros orteil est ajouté au métatarse, le nombre reste le même. Quant aux parties postérieures du pied qui ne sont exclusivement que des organes de locomotion, elles n’ont pas d’analogue dans la main. La partie moyenne qui reste n’est pas exactement semblable aux deux autres, elle n’est pas non plus complétement dissemblable ; mais le tarse a reçu la seule forme convenable à une partie qui, devant être placée entre deux extrémités si différentes, ne pouvait participer que dans une certaine mesure, à la nature de chacune d’elles. — L’os nommé cuboïde, placé à la partie externe du tarse, s’articule avec la cavité que forme le calcanéum à son extrémité ; les trois autres os du tarse s’adaptent au scaphoïde sous forme de trois cubes (c’est-à-dire par trois faces carrées). Celui-ci, de son côté, embrasse la tête de l’astragale ; ce dernier est serré entre les épiphyses du tibia et du péroné, par ses faces supérieure, latérale et postérieure. Il repose sur le calcanéum et s’insère par deux éminences dans deux cavités de ces os. L’extension et la flexion du pied dépendent de l’articulation supérieure de l’astragale qui s’opère, ainsi qu’on l’a dit, au moyen des épiphyses du tibia et du péroné, les mouvements de circumduction latérale résultent de son articulation avec le scaphoïde ; car les autres articulations des os du pied comme analogues aux articulations nombreuses et petites de la main, concourent faiblement au résultat décrit ; mais ces articulations ne sont pas perceptibles par elles-mêmes.

De ces remarques on peut inférer que l’astragale est le plus important des os du pied qui concourent aux mouvements de cette partie, et que le calcanéum est le plus important de ceux qui servent à la station. Il convenait donc que l’un se terminât de tous côtés en formes arrondies, et que l’autre eût une face inférieure unie, inébranlable au plus haut degré et solidement attachée aux os environnants. De plus, il fallait qu’il surpassât en grosseur non-seulement les autres os, mais l’astragale lui-même. Ce dernier est cependant volumineux aussi, car à sa partie supérieure il s’articule à de très-gros os, et à sa face antérieure il forme, pour s’unir au scaphoïde, une apophyse considérable. Néanmoins le calcanéum est bien plus volumineux, car en arrière il dépasse non-seulement l’astragale mais le tibia même ; sa partie antérieure se prolonge considérablement, sa largeur est proportionnée à sa longueur, et sa profondeur est en rapport avec ces deux dimensions, attendu qu’il fait suite à l’axe du tibia et qu’il est presque seul pour le supporter tout entier, et avec lui le fémur, et, avec le fémur, la masse du corps, surtout quand il nous arrive de sauter ou de marcher à grands pas. Il fallait donc, pour ces raisons, que le calcanéum fût doué d’une grosseur remarquable, autrement la nature aurait eu tort de lui confier des fardeaux si pesants. Pour ce même motif, il convenait encore que son mode d’insertion fût solide et non pas fragile ni lâche. S’il se fût articulé avec le tibia et le péroné sans l’intermédiaire de l’astragale, il serait absolument privé de fermeté et de consistance. En effet, le pied commençant où la jambe finit, c’est là que devaient nécessairement se trouver la plus importante de toutes les articulations et le mouvement le plus considérable du pied. Aussi l’astragale est-il placé entre le tibia et le calcanéum ; mais comme ce dernier os devait nécessairement s’articuler avec l’astragale, la nature craignant que par suite du voisinage de l’astragale, le calcanéum ne perde, en acquérant des mouvements trop violents, quelque chose de la solidité de son assiette, elle a d’abord, comme nous l’avons dit, inséré solidement deux apophyses de l’astragale dans les cavités du calcanéum ; puis elle a attaché celui-ci, non-seulement à l’astragale, mais encore à tous les os voisins par des membranes nombreuses, dures et cartilagineuses, les unes aplaties, les autres arrondies ; elle les a disposés, autant que possible, de manière à conserver la solidité convenable. Sachant en outre que, plus qu’aucun autre os, le calcanéum devait beaucoup fatiguer, elle a rendu sa substance extrêmement ferme et elle a étendu sous lui une peau résistante très-propre à amortir et à briser les chocs de tous les corps violents et durs.

Mais, ainsi qu’il a été dit, comme les parties externes du pied devaient être plus basses, et les parties internes plus hautes, et qu’il était à craindre que le pied ne s’alourdît s’il acquérait de l’élévation au moyen d’os nombreux et volumineux, la nature a pratiqué à sa face inférieure une cavité moyenne, prévoyant que de cette disposition résulterait pour les pieds, en tant qu’organes de préhension, un autre avantage important pour la sûreté de la station sur les éminences de terrain ; avantages que nous avons déjà signalés (cf., chap. v et vii). Cette cavité paraît donc avoir été pratiquée pour trois motifs : l’élévation des parties internes du pied, la préhension et enfin la légèreté. Le premier importe à la sûreté de la station, le second à la variété de la marche, le troisième à la rapidité du mouvement.

Disons ici un mot du pied du singe (cf. I, xxii). Sa main, pourvue d’un pouce estropié offrait une imitation risible de la main de l’homme ; mais il n’en est pas ainsi du pied : ce n’est pas l’infériorité de structure d’une seule de ses parties, mais d’un grand nombre qui le distingue du pied de l’homme. Les doigts sont très-séparés les uns des autres et bien plus grands que ceux de la main. Celui qui devait être le plus grand de tous en est le plus petit. Il n’y a dans les parties disposées en avant (en arrière) de ce doigt rien de ce qui affermit le métatarse ; aussi la solidité manque-t-elle complétement à leur base qui est pourvue plutôt d’une cavité comme la main. Chez le singe, les jambes ne continuent pas non plus exactement la direction de l’épine comme cela a lieu chez l’homme. La flexion du genou ne s’opère pas non plus comme chez l’homme. Le singe est aussi totalement dépourvu aux ischions de ces masses de chairs (cf. III, iii, p. 224) qui, en arrière, recouvrent et cachent l’ouverture par laquelle s’échappent les excréments, chairs si utiles encore comme moyen de protection contre les corps sur lesquels on est assis ; de telle sorte que le singe ne peut ni s’asseoir commodément, ni se tenir debout, ni même courir. En revanche, il grimpe très rapidement comme les souris sur des corps droits et polis, au moyen de la cavité de son pied et de ses doigts extrêmement fendus[26]. Une telle disposition qui permet au pied de s’appliquer aisément autour de tous les corps convexes et de les embrasser solidement de toutes parts convient aux animaux faits pour s’élever en grimpant.


Chapitre ix. — Du fémur, de sa direction et de son mode d’articulation avec l’ischion. — Des bancals et des cagneux. — L’écartement du fémur est destiné à fournir une place convenable aux vaisseaux, aux nerfs et aux autres parties qui se trouvent à l’aine ; cet écartement garantit aussi la solidité de la marche et de la station droite ou assise. — Exemple tiré de ceux qui ont les jambes arquées. — Récapitulation.


J’ai parlé suffisamment des os du pied. Je dirai tout à l’heure quelque chose des tendons et des muscles ; je me propose de parler d’abord des os de la jambe entière, car ils contribuent à produire les effets énumérés plus haut (chap. v). La cuisse, comme le bras, n’a qu’un os, la jambe en a deux analogues à ceux de l’avant-bras ; le plus grand se nomme tibia (κνήμη), comme tout le membre lui-même ; le plus petit, péroné (περόνη). Le fémur est à juste titre le plus grand de tous les os du corps. Son extrémité supérieure est fixée dans la cavité cotyloïde, elle supporte tout le poids du corps qui pèse sur lui. La nature a préparé dans la cavité de l’os nommé ischion une place excellente pour la tête du fémur. Il ne se continue pas en ligne droite avec cette cavité ; il paraîtrait même assez mal conformé si on examinait avec peu de soin ; en effet, à la partie supérieure et externe, il est convexe (bombé), et déprimé (concave) à la partie opposée. Hippocrate[27] connaissait sa vraie forme ; en cas de fracture, il prescrit de la conserver, de ne pas l’altérer. Ceux qui ont naturellement le fémur plus droit qu’il ne faut, ont les genoux tout à fait en dehors. C’est un grand inconvénient, dit-il en quelque endroit, non-seulement pour la course, mais aussi pour la marche et la station ferme[28]. Le premier venu, je pense, doit reconnaître tous les jours à la simple vue combien est grand cet inconvénient. Si le col du fémur ne se portait pas obliquement en dehors dès sa sortie de la cavité cotyloïde, il se trouverait trop rapproché du col de l’autre fémur. Si cela avait lieu, quelle place resterait pour les muscles intérieurs de la cuisse qui nécessairement doivent être très-forts ? Quelle place pour les nerfs de la moelle épinière qui se distribuent dans toute la jambe ? Quelle place pour les veines, pour les artères, pour les glandes qui remplissent leurs interstices ? On ne pourrait pas dire qu’il fallait faire, arriver ces parties au côté externe du fémur, car elles eussent été facilement exposées à tous les chocs extérieurs des corps qui les auraient heurtées. Peut-être aurions-nous su nous-mêmes éviter un pareil inconvénient ; à plus forte raison la nature s’est-elle gardée de placer, là où ils devaient être exposés aux lésions, des vaisseaux si importants, que si un d’eux était blessé, l’animal aurait peine à survivre. Car si la blessure atteignait une des artères considérables situées dans cette région, l’animal succomberait infailliblement. Si donc il fallait y préparer une place pour les veines, artères, glandes, nerfs et muscles qui devaient être nombreux et volumineux, il était nécessaire de faire saillir obliquement le fémur hors de la cavité. Il s’en écarte donc, et ses parties externes paraissent dépasser le plan latéral externe du corps. Si chez certaines personnes le col du fémur est moins projeté en dehors, les parties qui remplissent les aines se trouvant resserrées sont broyées les unes contre les autres, et, pour cette raison, ces personnes sont forcées de marcher les cuisses et les genoux en dehors.

Pourquoi, dira-t-on, la nature n’a-t-elle pas établi plus en dehors les cavités cotyloïdes et ne les a-t-elle pas portées là où sont actuellement les convexités (tubérosités) des fémurs ; car de cette façon le col du fémur eût continué en ligne droite la direction même de la tête, et l’os eût été droit ? C’est qu’il fallait que le poids du corps reposât en ligne droite et perpendiculairement sur la cavité cotyloïde et sur la tête de l’os, surtout lorsque dans la marche ou dans la course nous portons une jambe en avant tandis que l’autre est posée sur le sol : phénomène qui se produit à la condition que la partie qui supporte ait un appui solide au centre. Si une position semblable de la jambe est la plus sûre quand on marche, la position contraire entraînerait évidemment le plus de danger. Aussi n’était-il pas prudent d’éloigner vers les parties externes des ischions les cavités cotyloïdes et avec elle les têtes des fémurs. La meilleure disposition est celle qu’ils ont actuellement. En second lieu, pour prévenir l’étroitesse des parties qui en pouvait résulter, il n’y avait qu’un seul moyen, c’était de ne pas prolonger le fémur en droite ligne avec sa tête, mais de le faire dévier en dehors comme il l’est actuellement. D’un autre côté, si les fémurs s’étaient prolongés jusqu’au genou en s’écartant toujours et sans revenir en aucune façon vers le côté interne, on aurait eu les jambes cagneuses d’une autre façon que celle dont il a été question plus haut. C’est donc avec raison que l’extrémité supérieure du col s’écarte notablement de la tête de l’os en dehors, que le fémur se prolonge dans une moitié de sa diaphyse en continuant cet écartement pour se porter ensuite en dedans et se diriger vers le genou. C’est pourquoi le fémur, considéré dans son ensemble, présente une convexité externe et une concavité interne ; de même, en arrière, il est plus déprimé, et plus convexe en avant. Cette disposition favorise la position assise, et beaucoup des actes que nous faisons assis, comme d’écrire avec le livre étendu sur la cuisse (voy. p. 219, note 1). Ainsi, tout autre objet se tient étendu sur la convexité des cuisses plus facilement que si elles avaient été faites d’une autre façon. De plus, quand notre corps est appuyé sur une seule jambe (nous savons que cette position nous est souvent utile dans toutes les circonstances de la vie et dans l’exercice de diverses industries), la forme arquée est préférable à la droite.

S’il y avait égalité de largeur des membres qui supportent et des parties du corps qui sont supportées, la station sur l’un ou l’autre de ces membres serait particulièrement sûre et inébranlable, chacune des parties supérieures du corps trouvant dans ce membre un point d’appui perpendiculaire. De même le fémur formant un arc, attendu qu’une portion de son corps se porte surtout en dehors, une autre surtout en dedans, et qu’enfin une troisième occupe une position moyenne, il en résulte qu’aucune des parties supérieures du corps ne manque d’un appui en ligne droite. C’est en vue de la même utilité que la nature a fait non-seulement le fémur, mais encore le tibia plus convexe à la partie externe.

La plus grande preuve de ce que j’avance, est celle-ci : c’est que les personnes dont les jambes sont le plus arquées, de dedans en dehors (ῥαιβοί), que ce soit un vice congénial, ou produit par la première éducation, ont dans la station sur les deux pieds ou sur un seul, bien plus de fermeté et de consistance que les personnes dont les membres sont droits (voy. p. 244, note 2). ― La nature ne cherchait pas seulement la solidité de la station dans la construction des jambes, elle n’a pas mis moins de prévoyance à nous rendre capables de courir rapidement, s’il le fallait ; elle a évité un écartement excessif des jambes, et leur a donné une courbure suffisante qui leur procure une station ferme sans gêner en rien la rapidité de la course. Puis donc comme il était rationnel, ainsi que nous venons de le montrer, que la partie supérieure du tibia venant après le genou, s’inclinât insensiblement en dehors, que la partie inférieure rapprochée de la cheville du pied s’inclinât vers l’intérieur, il fallait aussi pour la même raison que les parties internes du pied fussent plus hautes afin de contrebalancer l’inclinaison intérieure de la partie du tibia en cet endroit. C’était là le fait que nous avions différé d’exposer quand nous dissertions sur l’utilité des parties internes du pied (chap. vii).

Nous voyons, jusqu’ici, qu’aucun des os de la jambe n’a été laissé inachevé : la grandeur, la petitesse, la position, la forme, la connexion, la différence de dureté de chacun de ces os, les ligaments arrondis et circulaires qui les unissent entre eux, tout a été créé par la nature avec une prévoyance et un art suprêmes[29]. — Il nous reste à parler des muscles et des tendons. — Quant aux artères et aux veines, nous avons dit que nous en traiterions dans la suite de notre ouvrage (voy. liv. XVI). Ce sont des organes communs à tout le corps, qui ont reçu une mission commune : celle de rafraîchir, de nourrir tous les membres et de leur communiquer la force vitale.

Chapitre x. — Galien se propose de traiter des muscles de la jambe ; il les comparera rapidement à ceux du bras, et s’arrêtera plus longuement sur les dispositions propres aux jambes. — Nouvelles preuves de l’artifice de la nature. — Différences générales que les muscles de la jambe et du pied présentent avec ceux de l’avant-bras et de la main. — Dénombrement et brève description des muscles de la jambe et du pied. — Hymne en l’honneur du Créateur, qui excelle dans la construction de toutes les parties du corps, comme dans celle de toutes les parties du monde.


Il s’agit maintenant d’exposer quel est le nombre et quelle est la nature des mouvements variés et multipliés que nous voyons exécuter par les jambes, de montrer que le mieux était que ces mouvements ne fussent ni plus nombreux, ni moins nombreux, ni distribués d’une autre manière ; en nous rappelant en même temps et les mouvements des mains et le double but de la nature qui a construit les jambes de l’homme, non-seulement pour la course, comme celles du cheval, mais encore pour une station ferme, en sorte qu’elle leur a accordé, jusqu’à un certain point, la préhension comme aux mains. De cette façon tout notre discours sera abrégé, si nous passons rapidement sur les rapports de construction communs aux pieds et aux mains, pour insister sur les caractères propres aux pieds. — L’art de la nature éclatera avec plus d’évidence si, dans ce traité, nous faisons ressortir toute l’analogie de construction des membres, si nous montrons qu’en aucun cas rien ne fait défaut et rien n’est en excès. Nous avons, dans notre livre précédent, suffisamment discouru sur les mains. Quiconque n’a pas admiré l’habileté de la nature, ou est insensé, ou a un intérêt particulier pour ne pas la reconnaître ; car, en vérité, il me faudrait ici emprunter les paroles de Thucydide[30]. Il est donc insensé celui qui ne comprend pas les fonctions attribuées si excellemment aux mains, ou qui pense qu’elles retireraient plus d’avantages d’une autre structure ; ou bien il est mû par quelque intérêt particulier, celui dont l’esprit a été nourri dans de mauvaises doctrines qui ne permettent pas de reconnaître que la nature a créé toutes choses avec art.

Plaignons ceux qui, dès le principe sont si mal partagés en ce qui touche les grandes conceptions ; instruisons les hommes intelligents et qui aiment la vérité ; après leur avoir rappelé qu’en traitant de la structure de la main (I, xvii), nous avons enseigné que quatre mouvements étaient nécessaires à chacun des doigts, que ces doigts sont pourvus de deux grands tendons fléchisseurs, de tendons extenseurs simples et plus petits que les fléchisseurs, d’autres plus petits encore et chargés des mouvements externes dans le sens du petit doigt (extenseurs propres) ; enfin d’autres très-petits, nés, avons-nous dit, des muscles de la main et chargés de l’autre mouvement, l’interne, celui qui s’opère dans le sens du pouce (lombricaux), nous démontrerons que les mêmes mouvements existent avec raison à chacun des orteils ; ils sont fléchis par les tendons les plus grands ; leur mouvement latéral interne est opéré par les tendons les plus petits ; les tendons extenseurs et ceux qui sont chargés du mouvement latéral externe ont une grandeur intermédiaire.

Toutefois les muscles fléchisseurs ne sont pas aussi grands que ceux des mains, parce que le pied ne devait pas être un instrument de préhension identique à la main. La nature tout en conservant dans le pied les mêmes points d’insertion que ces tendons avaient dans les mains pour les motifs exposés par nous au sujet de ces derniers organes (Cf. I, xvii), en a réduit la grandeur. Car si les pieds sont plus forts que les mains, les tendons des pieds, loin d’être plus grands que ceux des mains, leur sont de beaucoup inférieurs. — L’usage des doigts de la main est plus étendu et exige des actions plus fréquentes et plus énergiques. C’est donc avec juste raison que, non-seulement les doigts, mais encore les tendons des pieds et des mains sont dans un rapport inverse pour la grandeur. En effet, autant le pied, dans son ensemble, est plus grand que la main entière, autant les doigts et les tendons du pied sont plus petits que ceux de la main ; car, l’action principale des mains est dans les doigts, lesquels sont faits pour être des organes de préhension. Les pieds qui ne sont pas uniquement disposés pour la préhension, mais particulièrement pour la sûreté de la station, et qui sont destinés à supporter le poids de l’animal entier, devaient être beaucoup plus forts que les mains, et il était avantageux pour eux d’avoir de petits doigts. De sorte qu’il était préférable que leurs tendons fussent beaucoup plus petits que ceux des mains, puisqu’ils devaient imprimer le mouvement à des organes plus petits et disposés pour des mouvements moins étendus et moins vigoureux. Il n’était donc pas convenable que quatre espèces de tendons moteurs des orteils naquissent des muscles de la jambe, comme les mêmes tendons des doigts naissent des muscles de l’avant-bras ; cela n’était nécessaire que pour deux, celui qui étend les orteils (long extenseur commun des orteils) et celui qui fléchit la seconde et la troisième articulation des quatre orteils (long fléchisseur commun des orteils). C’est en cela surtout que l’art de la nature est admirable : trouvant des ressemblances et des dissemblances, elle a ordonné les ressemblances d’une manière analogue et les dissemblances d’une manière différente. En effet, s’il faut que chacune des articulations des doigts soit douée de quatre mouvements, que les mouvements internes soient toujours supérieurs et que pour cela ils dérivent de deux principes, cela constituera un point de ressemblance entre les pieds et les mains. Mais comme les doigts des pieds ont besoin de tendons plus petits et comme les parties qui les composent sont plus nombreuses et plus fortes, cela établit une dissemblance dans ces membres.

C’est ici le moment d’exposer les heureuses dispositions prises par la nature. Elle a attribué à chacune des articulations [des orteils] quatre mouvements qu’elle a fait procéder, comme aux mains, de cinq chefs, lesquels cependant ne naissent pas de lieux analogues. Aux mains les tendons chargés du mouvement latéral interne (lombricaux) sont, ainsi que nous l’avons démontré (I, xvii, xviii), les seuls qui naissent des petits muscles situés à la région interne de cette partie ; tous les autres descendent de l’avant-bras ; mais pour les pieds il n’en est pas ainsi : trois prennent leur origine dans les pieds mêmes (pédieux, court fléchisseur des orteils, lombricaux), deux viennent de la jambe (long extenseur et long fléchisseur des orteils). En effet, la main n’offrait pas d’autre place libre [pour une semblable disposition]. Le pied étant long, la nature a établi sous le métatarse les muscles qui président au mouvement oblique interne (lombricaux) et dans le reste du pied, jusqu’au calcanéum, ceux qui fléchissent la seconde articulation de chacun des quatre doigts (court fléchisseur commun). Aux parties supérieures du pied, elle a placé un autre muscle (pédieux) qui doit effectuer le mouvement oblique externe. Pour la main, il fallait des muscles correspondants plus forts, bien qu’elle fût plus petite que le pied ; il était donc impossible d’y établir ces deux espèces de muscles : aussi contient-elle seulement le premier genre de muscles dont nous avons parlé (lombricaux). La main renferme donc sept muscles en tout (voy. II, iii, p. 171), puisque deux ont été ajoutés aux cinq qui sont chargés du mouvement interne : l’un, celui du petit doigt est placé au côté externe (pisi-phalangien), l’autre est celui qui rapproche le pouce de l’index (adducteur). Au pied, l’on trouve non-seulement ces muscles, mais aussi celui qui produit le mouvement latéral externe (pédieux) et celui qui fléchit la seconde articulation de chacun des quatre doigts (court fléchisseur) ; car seul de tous, le gros orteil reçoit des plus grands tendons (long fléchiss. commun) un prolongement qui s’insère sur la seconde articulation et sur la troisième, comme cela a lieu pour le pouce.

C’est ainsi qu’il y a ressemblance et différence entre les tendons du pied et de la main : ressemblance en ce qu’il existe [dans l’un et l’autre] cinq espèces de tendons communiquant quatre mouvements à chaque doigt[31], différence quant à l’origine. Dans les mains, le mouvement interne oblique est le seul qui ait sa source dans les muscles des mains (lombricaux), les quatre autres mouvements procèdent des muscles placés sur l’avant-bras ; tandis que pour les pieds, deux mouvements viennent de la jambe, et d’en haut ; trois ont leur source à la partie inférieure, c’est-à-dire dans les pieds eux-mêmes : nous en avons dit la cause (voy. p. 252). Comme ces mouvements réclamaient des petits tendons, conséquemment des petits muscles et qu’il y avait une place libre dans les pieds, les principes de ces mouvements ont été établis dans cet endroit. C’est sous ce rapport que dans les pieds et dans les mains diffère la distribution des tendons ; dans les mains, aux fléchisseurs de la première et de la troisième articulation de chaque doigt (fléch. prof.) ne vient se joindre aucun autre tendon naissant d’un autre muscle ; tandis que dans les pieds, les tendons qui correspondent à ceux-ci ne naissent pas d’un muscle unique ; mais ils sont tout à fait semblables aux nerfs, qui venant de la région cervicale de la moelle pour se distribuer dans le bras, s’unissent et s’entremêlent[32]. C’est aussi à peu près de cette façon que se comportent dans la jambe les nerfs qui viennent de la région lombaire. Cette disposition a été prise par la nature pour que chacun des organes mus de la sorte eût deux sources de mouvement, de telle sorte que si l’une vient à être lésée, l’autre du moins remplisse sa fonction. Ainsi lorsqu’il y a un espace assez long à parcourir ou que la partie est exposée, la nature alors ménage cet entrelacement. Dans les bras et dans les jambes, la distance entre les deux extrémités des nerfs est considérable. À la partie inférieure du pied, c’est la situation qui expose au danger. L’animal s’appuyant toujours sur le pied, il en résulte que les tendons placés en cet endroit sont bien plus exposés que les tendons correspondants de la main à être coupés, brisés et lésés de toutes façons. C’est pour cela qu’a lieu dans cette région l’entrelacement des tendons que nous avons signalé.

Quant aux muscles tout à fait petits, négligés par les anatomistes et par nous pendant longtemps (cf. II, iii : — interosseux), ils fléchissent la première articulation (métat.-phal.) de chaque doigt aux pieds comme aux mains. C’est déjà une raison d’admirer la nature. Une autre raison non moins considérable, c’est qu’elle n’a étendu du tibia sur le péroné aucun muscle oblique analogue à ceux qui dans la main unissent le radius au cubitus (cf. II, vii). En effet, à propos de la main, nous avons montré précédemment (II, vii, xvii et xviii) qu’il fallait non-seulement étendre et fléchir tout le membre, mais encore lui imprimer dans les deux sens des mouvements de circumduction. Quant à la jambe, sa disposition ayant pour [principal] but, non la variété de la préhension, mais la solidité de la station, des mouvements semblables à ceux du bras, loin de lui procurer aucun avantage, lui auraient enlevé quelque chose de sa solidité. Il fallait moins d’articulations et des mouvements plus simples à un membre qui ne devait être renversé en aucun sens par une action violente. Aussi la nature n’a pas articulé séparément avec la cuisse chacun des os, le tibia et le péroné, comme elle a fait à l’égard du bras où le radius et le cubitus s’articulent chacun avec l’humérus, elle n’a pas non plus séparé l’une de l’autre les deux extrémités du tibia et du péroné, mais elle les a réunies des deux côtés. Il était en effet superflu de disposer des articulations ou des muscles pour des mouvements inutiles au membre, de même qu’il y eût eu négligence à en omettre un qui lui fût nécessaire. Mais il n’y a eu de la part de la nature, ni omission pour aucun des deux membres, ni multiplicité oisive et inutile ; le nombre des muscles, comme tout le reste, indique, envers l’animal, le plus haut degré de prévoyance.

Nous avons dit précédemment, au sujet des muscles de l’avant-bras (II, vii, p. 184-5), qu’ils ne devaient être ni moins ni plus nombreux, ni plus petits, ni plus grands, ni disposés autrement qu’ils ne le sont. À la jambe, il y a treize chefs de tendons : six en arrière, sept en avant ; ils communiquent au pied tous les mouvements convenables[33]. Or, quatre mouvements sont dévolus au pied considéré dans son ensemble et indépendamment des orteils. Rappelez-vous, pour abréger, ce qui a été dit au sujet du carpe, et voyons l’analogie qui existe entre le pied et le carpe.

Nous trouvions au carpe deux aponévroses musculaires internes, deux externes qui meuvent le carpe selon quatre directions (Cf. II, iv) ; de même nous voyons se détacher du muscle étendu sur la partie antérieure du tibia un tendon vigoureux qui, se divisant en deux, se rend à la partie du pied qui précède le gros orteil (tibial antér. et l. abduct. ?), tandis que de l’autre muscle qui enveloppe le péroné procède un tendon qui va en avant du petit doigt (court péronier lat.). S’ils sont tendus tous deux, ils relèvent et recourbent tout le pied, comme les tendons analogues de la main étendent le carpe, ainsi que nous le disions. Si l’un d’eux agit seul, ce sont les mouvements obliques qui s’opèrent comme au carpe. ― À la partie postérieure, la nature leur a, comme dans les mains, opposé deux aponévroses musculaires qui doivent opérer les mouvements contraires à ceux que nous venons de décrire. L’une plus petite naissant du muscle qui est situé profondément, vient s’insérer en avant du gros orteil à la partie inférieure (tibial postérieur), l’autre plus considérable est ce tendon si apparent qui s’attache à la partie postérieure du calcanéum, tendon très-fort et très-grand dont la lésion suffit seule pour faire boiter (tendon d’Achille fourni par les iumeaux). — Comme l’os appelé calcanéum, qui continue en droite ligne la jambe au-dessous de laquelle il est placé, est le plus grand et le plus fort de tous les os du pied, quand le tendon en question, le tire à lui, il affermit tout le membre à tel point qu’il vous est loisible de vous tenir sur un pied en levant l’autre, sans être renversé, et sans tomber, lors même qu’un des autres tendons est lésé, tant sa puissance est grande et contre-balance celle de tous les autres. Comment n’en aurait-il pas été ainsi, quand ce tendon s’insère au premier, au plus important organe de la marche, au calcanéum. (voy. chap. viii), et que seul il l’unit au tibia ? Quant à la position et quant à l’action qui lui est confiée, ce tendon a tout à fait son analogue dans celui qui est implanté en avant du petit doigt de la main, du côté interne (cubital antér.) ; mais quant à la préexcellence de son usage, elle lui vient du calcanéum qui n’a pas d’analogue dans la main, ainsi que nous l’avons dit (chap. vi), et qui seul supporte tout le corps. La nature sachant cela, lui a en conséquence donné un triple principe de mouvement. Je pense donc que vous admirerez surtout son habileté, si prêtant attention à ce que nous révèlent les dissections, vous observez les faits suivants : le muscle qui étend les orteils (long extenseur commun), qui dessert beaucoup de parties, est unique ; d’un autre côté chacun des autres muscles étendus de la jambe au pied se termine par plusieurs tendons, ou du moins par un, s’il est petit, comme cela a lieu aussi pour les muscles [intrinsèques] du pied, tandis que seul le tendon du calcanéum dérive de trois grands muscles[34], afin que l’un d’entre eux ou même deux venant à être lésés, les deux autres, ou le seul restant remplissent la fonction. C’est sur plusieurs autres points du corps que la nature a montré une aussi grande prévoyance en multipliant les principes de mouvement, là où le mouvement importe beaucoup à l’animal. Ici donc où des deux grands muscles placés à la partie postérieure de la jambe, elle détache un tendon sur le calcanéum, elle a évidemment prévu l’utilité éminente de cet os, et l’a garanti autant que possible contre toute lésion.

Tous les anatomistes venus avant moi pensent que les trois muscles qui constituent le mollet s’arrêtent sur le calcanéum ; mais il n’en est pas ainsi. Une portion notable d’un de ces tendons (plant. grêle) dépassant le calcanéum s’épanouit sous toute la partie inférieure du pied, et peut-être vaudrait-il mieux, au lieu de le rattacher au troisième muscle (jumeau ext.), en faire un quatrième complétement séparé. Mais, comme je l’ai déjà dit (II, vii), je donne dans le Manuel des dissections (I, iv) les raisons de tout ce qu’ignoraient les précédents anatomistes. Ils n’ont pas même su que des trois muscles qui s’insèrent en réalité sur le calcanéum, l’un (soléaire) dérivant du péroné et restant charnu, a une insertion plus élevée, et que ceux qui naissent des têtes du fémur (jumeaux) pour se terminer par un fort tendon, s’attachent au-dessous du précédent, au sommet du calcanéum. Ce n’est pas seulement dans le Manuel des dissections qu’on trouvera l’anatomie exacte des muscles ; j’écrirai aussi sur ce sujet un traité particulier (Dissection des muscles)[35].

Pour qui veut étudier dans ces traités d’où naissent ces muscles et où ils s’insèrent, il sera aisé de comprendre la justesse frappante de ce que j’avançais dans le livre précédent (II, iv et vii), à savoir que la nature a disposé obliquement sur les membres les muscles qui doivent présider aux mouvements obliques ; et en ligne droite les muscles chargés de la flexion ou de l’extension exacte. Il n’est donc pas difficile maintenant de trouver la cause de la position de tous les muscles de la jambe, de la grandeur de chacun d’eux et de leur nombre. En effet, comme trois de ces muscles meuvent le calcanéum et constituent la partie du pied privée de poils, et qu’après eux trois autres fléchissent les doigts (faisceau péronier ; faisc. tibial du long fléch. commun ; tibial postérieur) et exécutent dans le pied le mouvement analogue à celui qu’opère dans la main le tendon inséré en avant du pouce (faisceau métacarpien du long abducteur), c’est avec raison que tous les six se trouvent placés en arrière de la jambe, chacun suivant la direction de la partie qu’il doit mettre en mouvement.

Au lieu de six muscles on peut n’en compter que cinq comme les anatomistes mes prédécesseurs, qui des deux derniers (voy. p. 257, l. 35) ne font qu’un, parce qu’ils sont unis dans leur plus grande longueur. Pour le même motif, ils n’ont vu dans la partie antérieure de la jambe que trois muscles, bien qu’on en puisse compter six ou sept avec plus de raison[36]. Le muscle qui étend les quatre doigts (long extens. commun) est unique pour eux, comme il l’est en réalité. De chaque côté se trouve un muscle qui se termine en donnant naissance à trois tendons (tibial antér., long abduct., et long extenseur du gros orteil. ― Péroniers). Si l’on examine ces muscles mêmes et leurs usages, on en comptera six ou sept, comme cela est démontré dans le Manuel des dissections (II, vii et viii). Mais poursuivons notre raisonnement en adoptant le nombre trois. Il y a deux de ces muscles qui, ainsi que nous l’avons dit plus haut, recourbent le pied, arrivant l’un à la région qui précède le gros orteil (1er groupe), l’autre à celle qui précède le petit orteil (2e groupe), le troisième et dernier placé entre les autres étend les orteils (long extens. commun)[37]. Ce dernier est plus petit que les autres puisqu’il devait mouvoir de plus petits organes, et il descend directement, le long de la partie moyenne de la jambe, vers les doigts qu’il est destiné à mouvoir. La meilleure position des muscles est celle où ils sont situés dans la direction des parties qu’ils doivent mouvoir.

Ne demandez donc plus pourquoi le muscle qui s’étend le long du péroné et qui exécute le mouvement externe du pied (2e groupe) se porte de bas en haut ainsi que le muscle attaché au tibia et qui opère le mouvement interne (1er groupe). Ces muscles devaient être placés dans le sens des mouvements qu’ils exécutent. — Ne demandez pas pourquoi le muscle externe est petit, ni pourquoi le muscle qui s’étend à la partie interne de la jambe est beaucoup plus grand. La nature, juste en tout, a mesuré leur grandeur à l’utilité de la fonction que chacun d’eux devait remplir. Ne demandez pas non plus pourquoi un tendon du muscle du péroné (2e groupe. — Péronier antér.) s’insère aux parties externes du petit doigt, et un autre tendon de celui du tibia (1er groupe. — Long extens. du gros orteil), plus grand que l’autre du double, se fixe au gros orteil. Une imagination trop vive vous porterait peut-être à croire que ceci est particulier aux pieds et tout à fait contraire à ce qui existe dans les mains. Mais si l’on réfléchit avec attention sur ce sujet, on trouvera que là aussi le pied a la plus grande analogie avec la main. À propos des mains nous disions (II, iii) que le petit doigt et le pouce ont un mouvement de plus que les autres doigts. Il fallait donc aussi que cette distinction se rencontrât dans les pieds. S’ils n’avaient pas été avantagés des mouvements dont nous parlons ici, ces doigts n’ayant rien de plus que les autres ne jouiraient que de quatre mouvements, comme leurs voisins, en sorte qu’ils ne s’écarteraient pas fortement des autres, facultés réservées à eux seuls, et que le pouce, au lieu d’être pourvu de deux mouvements obliques qui tirent leur principe d’en haut, n’aurait que le mouvement d’extension qui est commun aux autres. Ainsi en cela encore l’analogie entre les doigts du pied et ceux de la main est conservée tout entière. Il n’est pas nécessaire de dire que l’analogie s’étend aux ongles, et que les pieds en sont doués en leur qualité d’organes de préhension.

Mais tandis qu’elle a disposé équitablement toutes les choses dont nous venons de parler, celles qui devaient être analogues dans le pied et dans la main, et celles qui devaient être différentes, la nature aurait-elle, négligeant la structure de la peau, revêtu la plante du pied d’une peau à peine sensible, lâche et molle (voy. II, vi et xi, xv) ? Fussiez-vous de ces gens qui, dans leur ignorance des œuvres de la nature, la taxent d’inhabileté, pour peu que vous fassiez attention à cette partie du pied en la disséquant, je pense que vous rougirez de honte, que vous confesserez votre erreur, que vous reviendrez à un esprit meilleur, enfin que vous vous laisserez gagner à l’opinion d’Hippocrate qui partout célèbre la justice de la nature et sa prévoyance à l’égard des animaux (voy. I, xxii). Est-il superflu, selon vous, que la peau de la plante des pieds, comme celle de la paume des mains, soit unie aux parties sous-jacentes, ou bien ignorez-vous absolument qu’elle est si intimement attachée aux tendons sous-jacents qu’elle ne peut s’écorcher comme le reste de la peau de tout l’animal ? Mais si vous le savez, trouveriez-vous mieux que la plante du pied fût recouverte d’une peau lâche et glissant aisément ? Si vous dites qu’il en eût été mieux ainsi, je dois croire qu’à une chaussure serrée de toutes parts et collée exactement à votre pied vous préférez une chaussure lâche et cédant de tous côtés, de telle sorte qu’étendant à tout votre habileté vous n’hésitiez pas même à élever la voix contre les choses reconnues évidentes par tout le monde ; ou bien si vous accordez que la chaussure qu’on adapte au pied doit le presser de toutes parts, pour bien remplir son usage, nierez-vous que la chaussure naturelle doive bien plus encore le serrer et le presser fermement, en s’unissant exactement aux parties sur lesquelles elle repose ? Ce serait un second Corœbus[38] celui qui, non content de ne pas admirer les œuvres si belles de la nature, oserait encore les dénigrer.

Pour vous qui lisez ces écrits, le moment en est venu, examinez si vous voulez prendre place à côté de Platon, d’Hippocrate et de tous ceux qui admirent les œuvres de la nature, ou si vous vous rangez avec ceux qui la blâment de n’avoir pas fait des pieds la voie par où s’échappent les excréments. Combien devait-il être énervé et corrompu par les voluptés celui qui osa me dire qu’il était bien pénible de se lever de son lit pour aller à la selle, et qu’il eût mieux valu que l’homme fût construit de façon qu’en tendant seulement le pied il se déchargeât par cette voie de ses excréments. Quels doivent être, pensez-vous, les dérèglements infâmes qu’un tel homme se permet dans son intérieur, son insolence contre tous les conduits excréteurs du corps, la dépravation, la corruption des plus belles facultés de son esprit, puisqu’il appauvrit et obscurcit cette puissance divine qui seule permet à l’homme de contempler la vérité, et qu’il accroît, fortifie et rend insatiable ce désir de volupté contre nature, puissance abrutissante et détestable qui exerce sur lui sa tyrannie farouche ?

Si je m’arrêtais plus longtemps à parler de telles brutes, j’encourrais peut-être les justes reproches des hommes sensés ; ils m’accuseraient de profaner le discours sacré que je consacre comme un hymne sincère au Créateur des hommes. Je pense que la piété véritable consiste non à immoler des hécatombes sans nombre, non à brûler mille encens, mille parfums[39] ; mais à connaître d’abord et ensuite à apprendre à mes semblables combien grande est la sagesse, la puissance et la bonté du Créateur[40]. S’il a donné, autant que possible, à chaque être sa parure appropriée, si rien n’échappe à ses bienfaits, je déclare que c’est la marque d’une bonté achevée : qu’il soit donc par nous célébré comme bon ! S’il a su trouver en tout les dispositions les plus parfaites, c’est le comble de la sagesse ! S’il a fait tout comme il l’a voulu, c’est la preuve d’une puissance invincible.

Si donc vous admirez le bel ordre qui règne dans le soleil, dans la lune et dans le cortège des astres ; si vous contemplez avec étonnement leur grandeur, leur beauté, leur mouvement éternel, leur retour périodique, n’allez pas, en comparant les choses de ce monde, les trouver mesquines ou mal ordonnées. Ici même vous rencontrerez une sagesse, une puissance, une prévoyance égales. Examinez bien la matière, principe de chaque chose, et ne vous imaginez pas que du sang menstruel ou du sperme puisse donner naissance à un être immortel, impassible, agité d’un mouvement perpétuel, aussi brillant, aussi beau que le soleil ; mais comme vous jugez l’habileté d’un Phidias, pesez aussi l’art du Créateur de toutes ces choses. Peut-être ce qui vous frappe de surprise dans le Jupiter olympien, c’est l’ornement extérieur, l’ivoire brillant, la masse d’or, la grandeur de toute la statue ? Si vous voyiez la même statue en argile, peut-être passeriez-vous avec un regard de dédain ? Mais pour l’artiste, pour l’homme qui connaît le mérite des œuvres d’art, il louera également Phidias, sa statue fut-elle de bois vil, de pierre commune, de cire ou de boue[41]. Ce qui frappe l’ignorant, c’est la beauté de la matière ; l’artiste admire la beauté de l’œuvre.

Eh bien, instruisez-vous dans les merveilles de la nature, afin que nous vous traitions, non plus d’ignorant, mais d’homme instruit dans les choses de la nature. Faites abstraction de la différence des matières, considérez l’art nu ; quand vous examinez la structure de l’œil, songez que c’est l’organe de la vision ; quand vous examinez le pied, que c’est l’organe de la marche. Si vous voulez avoir des yeux faits de la substance du soleil, et des pieds d’or pur, non de chair et d’os, vous oubliez quelle matière les constitue. Considérez si cette substance est une lumière céleste ou un terrestre limon, car vous me permettrez de donner ce nom au sang de la mère qui pénètre dans l’utérus. Si vous avez donné de l’argile à Phidias, vous ne lui réclamerez pas une statue d’ivoire. De même avec du sang vous n’obtiendrez jamais un soleil, une lune ou ce corps brillant et beau dont ils sont faits (éther). Ce sont des corps divins et célestes, nous ne sommes, nous, que des statues de limon. L’art du Créateur est égal de part et d’autre.

Le pied est une partie de l’animal, petite et abjecte : qui le nie ? Le soleil est grand ; c’est le plus beau des corps de l’univers : nous ne l’ignorons pas. Mais considérez quelle était la place nécessaire du soleil dans l’univers, celle du pied dans l’animal. Dans l’univers, le soleil devait tenir le milieu entre les planètes ; dans l’animal, le pied devait occuper la partie inférieure. Quelle en est la raison évidente ? Attribuez en esprit une autre place et voyez ce qui en résulterait. Si vous abaissez le soleil à l’endroit où est la lune, vous brûlerez tout sur la terre ; si vous l’élevez à la région de l’éther où se trouvent Pyroeis (Mars) et Phaéthon (Jupiter), le froid rendra inhabitables tous les pays du monde. Si le soleil est aussi grand et tel que nous le voyons, il le doit à sa nature intime ; mais cette place qu’il occupe dans le monde, c’est l’œuvre de l’Ordonnateur. Pour un corps de telle nature et si vaste, vous ne trouverez pas une place meilleure dans tout l’univers. Pour le pied non plus vous ne pouvez trouver dans le corps une place préférable à celle qu’il occupe. La position du pied et du soleil dénote une égale habileté. Ce n’est pas sans dessein que je compare l’astre le plus brillant à la partie du corps la plus abjecte. Qu’y a-t-il de plus vil que le calcanéum ? Rien. Cependant nulle part ailleurs il ne serait mieux placé. Qu’y a-t-il de plus noble que le soleil ? Rien. Dans tout l’univers il ne saurait être placé plus convenablement. L’univers est ce qu’il y a de plus grand et de plus beau. Qui le nie ? L’animal est comme un petit univers, au dire des anciens, instruits des merveilles de la nature. Vous trouverez donc la science du Créateur égale dans ces deux œuvres.

Montrez-moi donc, direz-vous, le soleil dans le corps de l’animal ? Quel est ce langage ? Exigerez-vous qu’un peu de sang et de boue si corruptibles constitue l’essence du soleil ? Vous êtes fou, malheureux ! Voici l’impiété véritable ! elle ne consiste pas à s’abstenir d’offrandes et de sacrifices. Je ne vous montrerai pas le soleil dans le corps de l’animal ; mais je vous montrerai l’œil, l’organe le plus brillant, le plus semblable au soleil qu’on puisse trouver dans une partie de l’animal. Je dirai sa position, sa grandeur, sa forme, tout ce qui le concerne, et je montrerai que toutes choses dans l’œil sont si bien établies qu’elles n’auraient pu l’être mieux d’une autre façon. Ce sujet viendra plus tard (liv. X).


Chapitre xi. — Le pied et le cerveau sont aussi bien construits l’un que l’autre, eu égard à la fonction qu’ils ont à remplir. — Que la peau du pied est, comme celle de la main, mais à un moindre degré, douée de sensibilité.


Le pied, car c’est de cette partie que je me propose de traiter dans ce livre, n’a pas une construction inférieure à celle de l’œil ou du cerveau. Toutes ses parties sont parfaitement disposées pour la fonction qu’il est appelé à remplir. Si le mieux et le meilleur peuvent être réclamés, c’est dans les choses qui n’atteignent pas la perfection, mais non pas dans celles qui sont complétement irréprochables. Le cerveau est la source de la sensation et des nerfs. Cela prouve-t-il que la construction du cerveau soit supérieure à celle du pied, si chacun d’eux s’acquitte au mieux de la fonction pour laquelle il a été créé dès le principe ? Le cerveau sans le pied serait incomplet, comme le pied sans le cerveau. L’un a besoin, je pense, d’un véhicule, l’autre de sensation. Le cerveau a pour véhicule les pieds et tout le reste du corps : il leur procure à tous la sensation. Remarquez encore une fois ce que j’ai dit au commencement (voy. aussi XI, xv). — La peau du pied devait être douée de sensibilité, parce qu’elle était destinée à fouler souvent des corps durs et aigus qui, en le heurtant ou le blessant, l’auraient détérioré de mille façons, si à l’instant la sensation n’eût averti l’animal de fuir le danger. C’est pourquoi du tendon [d’Achille], qui s’implante sur le calcanéum, tendon engendré, avons-nous dit, par trois muscles (voy. p. 257), se détache et se prolonge vers la partie inférieure du pied, le feuillet superficiel qui vient s’insérer à la surface interne de la peau (épanouissement du plantaire grêle).

Dans la profondeur même du pied, immédiatement après la peau, à l’endroit où se trouvent les deux petits muscles, se distribuent des ramifications (n. plantaires) de nerfs qui partent de la moelle épinière. Elles sont beaucoup plus ténues que celles de la main, laquelle a, bien plus que le pied, besoin d’une sensation exquise, puisque elle est organe, non-seulement de préhension, mais de tact. Quant au pied (cette partie ne devant pas être l’organe commun du toucher pour tout le corps, mais seulement l’instrument de la marche), il n’est doué que de la sensibilité nécessaire pour éviter d’être blessé trop facilement. Si je vous apprenais la route suivie par les nerfs depuis leur naissance jusqu’au pied ; si je vous exposais les précautions qu’a prises, pour leur sécurité, la nature inquiète de la longueur du trajet, redoutant quelque lésion à cause de leur mollesse qui ne leur permettait pas de suffire à ce long circuit, je vous forcerais, j’en suis certain, à admirer l’art de la nature ; mais cette digression allongerait outre mesure l’exposition de ce qui regarde le pied ; d’ailleurs je traiterai plus tard des nerfs en particulier (XVI, viii).


Chapitre xii. — De la disposition de la peau à la plante des pieds ; elle offre un degré moyen de mollesse et de dureté.


La peau du pied adhère exactement à toutes les parties sur lesquelles elle repose, afin qu’elle ne se replie aisément sur elle-même dans aucun sens ; les prolongements du tendon du calcanéum la tapissent dans toute son étendue, pour qu’elle ne se replie pas facilement sur elle-même et pour qu’elle soit pourvue d’une sensibilité suffisante. Elle est douée d’une mollesse et d’une dureté moyennes, exemptes de tout excès, attendu qu’elle ne devait être ni trop sensible ni trop insensible. Une substance extrêmement dure doit être à peu près insensible[42], comme les sabots fendus et non fendus, l’enveloppe des crabes, des langoustes, des baleines, des éléphants. Une substance extrêmement molle doit être d’autant plus exposée aux lésions, qu’elle a une sensibilité plus développée. La nature donc, pour prévenir une insensibilité extrême ou une facilité trop grande à être lésée, a garanti la peau de la plante des deux excès, et l’a créée dans un juste degré de mollesse et de dureté. Ainsi nous avons reconnu dans le pied toutes les conditions appropriées à un être raisonnable.


Chapitre xi. — Du tibia et du péroné. — De la triple utilité du péroné. — Réfutation de ceux qui prétendent que la jambe n’a aucun besoin absolu du péroné, et que le tibia seul disposé autrement qu’il ne l’est actuellement pouvait suffire. — Entre les conditions qui assurent la solidité et la facilité des mouvements, la nature, dans un organe de mouvement, a dû donner la préférence aux secondes, tout en tenant compte des premières. La grosseur démesurée du tibia assurait la solidité, mais nuisait aux mouvements ; en conséquence, cet os a été fait assez gros pour supporter le fémur, mais pas assez pour gêner la marche, et le péroné lui a été adjoint pour élargir et assurer la base de sustentation.


Tout ce qui, dans la jambe, regarde la situation, la direction, la grandeur, la petitesse, et, en général, le nombre des artères, des veines et des nerfs ne doit pas être exposé maintenant (voy. liv. XVI). Quant au nombre, à la situation des muscles, à leurs différences de grandeur ou de petitesse, nous avons dit un peu plus haut (chap. x), tout ce qui se rapporte à ce sujet. Il nous reste à exposer la nature des deux os, et c’est le moment convenable de le faire. Le plus grand est appelé comme le membre tout entier, κνήμη (tibia), et l’autre péroné (πέρονη). Ce dernier est très-mince, bien moins fort que le tibia et placé en dehors. Il a, pour l’animal, une utilité double, utilité principale et indispensable, et, par surcroît, pour ainsi dire, une troisième utilité. Voici quelle est sa première utilité : il constitue presque toute la partie externe de l’articulation de l’astragale, où se passent, avons-nous dit, les mouvements d’extension et de flexion du pied sur la jambe, de même que le tibia en forme la partie interne. Seconde utilité : le péroné est justement placé là où tous les vaisseaux et les muscles renfermés dans la jambe pourraient être le plus facilement blessés par un choc extérieur. La troisième utilité est en vue de la tête (condyle) externe du fémur que supporte le tibia, et à laquelle le péroné, en servant de point d’appui, procure une sécurité et une fermeté considérables.

Prétendre que la jambe n’a aucun besoin de péroné, et que le tibia s’articulant seul, au genou, avec le fémur, pourrait également s’articuler seul avec l’astragale, c’est vouloir à son insu que le tibia ait une dimension telle, qu’il ne le cède en rien au fémur. Chez un animal de pierre ou de bois, cela est possible, et outre qu’il ne se blessera pas, il portera, je pense, d’une manière plus sûre, les membres supérieurs, comme cela aurait lieu pour le pied s’il avait été créé beaucoup plus grand qu’il ne l’est réellement. Mais, pour un animal réel, qui doit mouvoir les parties inférieures des membres à l’aide des supérieures, une pareille disposition est complètement impraticable. Il faut plus de puissance et de grandeur dans les parties motrices que dans les parties mises en mouvement. C’est donc avec raison que la nature en appliquant le péroné à la partie externe du tibia, l’a donné pour rempart aux muscles et aux vaisseaux, et a placé dans l’intérieur plusieurs muscles destinés à mouvoir le pied. Si elle n’eût placé en cet endroit qu’un seul grand os, et qu’elle l’eût entouré à la partie externe des vaisseaux et des muscles sans défense, elle eût, de cette façon, rendu le membre entier épais et lourd. On aurait aussi tort de dire qu’il eût mieux valu créer à la partie supérieure et inférieure des épiphyses par lesquelles il se serait articulé aux os voisins, tandis que la diaphyse de l’os serait restée mince dans toute l’étendue de la jambe. Le péril eût été grand pour ces apophyses[43], particulièrement pour celles de l’astragale, qui eussent dépassé de beaucoup l’axe de l’os. N’est-il donc pas juste d’admirer ici encore la prévoyance du Créateur qui, pour deux résultats avantageux, quoique opposés, a construit, dans une harmonie et un rapport exact, les parties du membre entier. La partie supérieure devant être supportée par l’inférieure, cette dernière devait être naturellement plus forte et plus grande, comme cela se voit dans les colonnes, les murs, les maisons, les tours et toutes les choses inanimées. D’un autre côté, comme la partie supérieure devait mouvoir et que la partie inférieure devait être mue, il était raisonnable que la première fût plus grande et plus forte, comme cela existe pour l’humérus, le cubitus et la main. Ainsi, pour porter aisément le fémur, le tibia devait préférablement être plus fort ; mais pour être mû facilement il devait l’être moins ; l’alternative étant obligatoire, puisque les deux conditions ne pouvaient être unies, il était raisonnable, en optant pour la plus utile, de tenir quelque compte de l’autre. Dans un organe créé pour la marche, une conformation appropriée au mouvement est de beaucoup plus utile que celle qu’eût exigée la sûreté de la sustentation. C’est pour ce motif que la nature a fait le tibia plus petit que le fémur, mais il ne lui est pas tellement inférieur qu’il ne puisse le supporter avec aisance. Ici rappelez-vous le principe énoncé dès le commencement (I, ix) ; il faut, disions-nous, rapporter l’utilité de chacune des parties à la fonction de l’organe tout entier, et, de plus, si en imaginant un arrangement autre des parties, nous ne trouvons rien de préférable, ni disposition, ni forme, ni grandeur, ni structure, ni quoi que ce soit des éléments nécessaires d’un corps, nous devons déclarer parfaite et accomplie de tout point la construction actuelle.


Chapitre xiv. — Suite du même sujet. — Preuves tirées de diverses affections de la jambe, et qui servent à démontrer que la jambe est par rapport à la cuisse dans les meilleures proportions. — Différences entre le péroné et le radius. — Que le membre inférieur n’a ni trop, ni trop peu d’articulations.


Il n’est personne qui, en prêtant attention à ce que je viens de dire, ne reconnaisse que cette méthode a été suivie par nous exactement dans tout ce qui précède et qu’elle sera également observée dans la suite. Pour se convaincre que la grandeur du tibia est dans une juste convenance avec le fémur et le pied, qu’elle est parfaitement disposée pour la rapidité du mouvement, qu’elle ne nuit en rien à la sécurité de la station, il suffit de regarder une jambe soit enflée par des varices, ou par une tuméfaction squirrheuse, soit au contraire amaigrie par quelque affection d’un autre genre. La jambe est-elle enflée, son poids, trop grand, gêne et empêche la rapidité de la marche ; si elle est trop grêle, on est renversé et l’on tombe aisément, surtout si l’on veut accélérer le mouvement. Pour marcher avec aisance il faut, comme nous l’avons dit (chap. v), que le corps tout entier s’appuie fermement sur une jambe, tandis que l’autre le porte rapidement en avant. Or ces deux conditions se rencontrent naturellement dans la grandeur du tibia, car il est d’un volume tel qu’il peut supporter les parties superposées (fémur) et être facilement mis en mouvement par elles. On voit déjà clairement par là que le tibia ne devait pas être plus grand qu’il n’est et que, cette grandeur étant donnée, le péroné fournit un appui considérable par son insertion avec l’astragale, par le rempart qu’il offre contre les lésions extérieures, et de plus par le soutien qu’il prête à la tête du tibia.

Il résulte évidemment de ce que nous avons dit qu’il y a une grande différence entre la construction du péroné et celle du radius, et que la nature a été sage en rendant complétement immobiles les os juxtaposés dans un endroit où la multiplicité des articulations n’aurait produit aucun avantage pour un organe de locomotion. En effet si la promptitude et la variété des mouvements sont plus utiles aux organes de préhension, la sécurité de la station l’est davantage aux organes de locomotion. Ainsi tandis que le radius s’articule par diarthrose à ses deux extrémités, c’est par synarthrose que le péroné s’attache au tibia aux deux points extrêmes. De même que si la jambe, dans toute sa longueur, n’était composée que d’une seule pièce et n’était coupée d’aucune articulation, elle aurait bien plus de fermeté pour porter l’animal tout entier ; de même dans l’état actuel, exempte de beaucoup d’articulations, elle a une fermeté voisine de la perfection. Si elle était complétement dépourvue d’articulations, on ne pourrait la tendre ni la fléchir, et ainsi serait détruit l’usage pour lequel elle a été créée ; si elle était au contraire brisée en un grand nombre d’articulations, elle serait si sujette à chanceler et à s’affaisser qu’on ne pourrait se tenir solidement sur une jambe sans plier sur soi-même et tomber à l’instant. Il faut encore ici admirer la nature, qui, en présence de deux conditions contraires, se combattant et se détruisant l’une l’autre, toutes deux étant cependant nécessaires à la jambe, les a unies dans une mesure telle qu’elle n’a compromis ni l’aisance du mouvement, ni la sûreté de la station.


Chapitre xv. — De l’articulation du genou. — De la rotule. — Utilité de cet os démontrée par l’exemple d’un jeune athlète qui éprouva une luxation de la rotule sur le devant du fémur. — Réflexions générales sur la structure des articulations. — Comparaison du genou et du coude. — Que l’appareil ligamenteux du genou est en harmonie parfaite avec les mouvements à exécuter par cette partie.


Toutes ces dispositions prises par la nature sont admirables ; l’articulation du genou l’est plus encore. Les épiphyses de l’os appelé μηρός (fémur) comme la cuisse tout entière, trouvent dans le tibia des cavités où elles s’adaptent merveilleusement, de manière qu’il ne résulte ni relâchement dans l’emboîtement, ni gêne dans les mouvements à cause de l’étroitesse du lieu. Les ligaments qui l’environnent de toutes parts protègent et maintiennent l’articulation avec tant de sûreté que ni les flexions ni les tensions nombreuses de la jambe ne font glisser le fémur sur le tibia. La partie appelée (μύλη) (meule) par les uns, et ἐπιγονατίς (couvercle du genou) par les autres, est un os cartilagineux qui occupe toute la partie antérieure de l’articulation, elle empêche le fémur même de se porter en glissant vers les parties antérieures, surtout dans les positions que l’on appelle γνύξ et ὀκλάξ (se mettre à genoux, et plier les genoux[44]). Elle nous garantit puissamment contre les chutes surtout sur les terrains en pente où tout notre corps s’incline en avant. Nous en voyons un exemple frappant dans un de ces jeunes gens qui s’exercent dans l’arène : pendant qu’il luttait, sa rotule brisant ses ligaments se détacha du genou, remonta vers le fémur, et il y avait pour lui un égal péril à plier le genou et à marcher sur les terrains en pente : aussi avait-il besoin d’un bâton pour traverser de pareils lieux.

Si donc j’énumérais toutes les cavités et les éminences du genou, si je montrais qu’aucune éminence ne manque d’une cavité qui lui corresponde exactement, qu’aucune cavité ne manque d’une éminence qui s’y adapte, qu’éminences et cavités sont dans un rapport parfait l’une avec l’autre, qu’au dehors elles sont maintenues par certains rebords des os mêmes et par des ligaments, les uns aplatis, les autres arrondis, j’allongerais mon discours au delà des bornes que je me suis proposées sans le rendre plus concluant. Il suffit en effet de ce que j’ai dit précédemment (II, xi et xvii) d’une manière générale sur la structure de toutes les articulations. Si on lit ce traité comme un conte de vieille femme[45], il ne me servirait à rien d’entrer dans de plus longs détails ; mais si l’on veut examiner et vérifier exactement chacune des particularités par ce que l’on voit dans les dissections, on reconnaîtra avec admiration, je pense, que la nature a, non-seulement pour l’articulation du genou, mais encore pour chacune des autres, créé dans un rapport exact, eu égard à la forme et à la grandeur, les éminences et les cavités destinées à les recevoir. On ne professerait pas une moindre admiration pour tous leurs moyens de protection extérieure dont la force a été calculée sur la puissance de la fonction ; nous le démontrions tout à l’heure (chap. x) à propos des articulations du pied comparées à celles de la main, et nous le prouvons encore en marquant la différence de construction entre l’articulation du genou et celle du coude[46]. Ces deux parties offriront, en effet, une analogie manifeste, si on considère les autres circonstances que j’ai énumérées plus haut (correspondance des cavités et des proéminences articulaires), et de plus la force des ligaments et l’existence de la rotule ; mais la nature n’a pas seulement créé des ligaments profonds (ligam. croisés) qui, sans être tout à fait arrondis, sont cependant très-forts, elle a aussi construit un ligament qui relie les parties externes des os (ligam. latér. externe), et un autre les parties internes (voy. p. 272, l. 3-4) ; enfin elle en a placé[47] sur les parties antérieures [ligament antérieur) ; en sorte que de toutes parts une ceinture étroite maintient l’articulation serrée.

L’articulation du genou présente, en effet, quatre régions, antérieure, postérieure, droite et gauche ; la première, outre qu’elle est plus exposée, fatigue plus que les autres ; puis vient la région externe plus en danger que la région interne d’être foulée et blessée par les chocs qu’éprouve le membre ; la région postérieure redoute plus la fatigue que les lésions. En conséquence la première région a pour protection la rotule, la seconde le fort ligament rond (ligam. postérieur) et l’extrémité du muscle large ( demi-membraneux ? [particulier]), la troisième l’autre ligament (lig. latér. externe), la quatrième ni os, ni ligament remarquable autre que ces ligaments larges et minces (épanouissement fibreux des muscles, particul. du triceps, et ligam. lat. int. confondus) qui unissent l’articulation tout entière. Si la nature n’eût pas montré une prévoyance et une habileté extrêmes, qui l’eût empêchée en plaçant la rotule en arrière et en laissant la partie antérieure sans protection, de supprimer la flexion du genou et de rendre le membre susceptible de luxation ? Qui eût empêché le changement de place des ligaments ronds ? Toutefois, comme nous l’avons dit, si l’on examine toutes les précautions prises non-seulement pour le genou, mais pour chacune des articulations, on verra que tout indique le comble de l’habileté et de la prévoyance. Ne nous arrêtons pas plus à ces considérations.


Chapitre xvi. — Division en trois groupes et énumération des muscles de la cuisse chargés des mouvements de l’articulation du genou. Que la plus grande puissance d’action réside dans les extenseurs de la jambe, ce qui est précisément le contraire pour le bras. — Conséquences qui en résultent pour l’antagonisme des muscles de la cuisse qui meuvent la jambe. — Nouvelles déclamations contre ceux qui méconnaissent ou attaquent la nature. — Galien établit, en supposant diverses dispositions différentes de celles qui existent, qu’on ne saurait en trouver de meilleures que celles qui ont été prises par la nature. — Comparaison des insertions musculaires chez le singe et chez l’homme.


Il nous reste à dire maintenant pourquoi les muscles de la cuisse sont en tout au nombre de neuf. Leur fonction même indique la cause de leur existence. — Trois d’entre eux, les plus grands muscles de cette partie, placés à la partie antérieure du fémur, se rendent droit au genou (triceps) ; l’un d’eux (crural et vaste interne) s’insère sur la rotule par des fibres charnues, les deux autres (vaste externe et droit antérieur) engendrent un très-grand tendon. Celui-ci s’élargissant s’insère sur toute la rotule, il la serre exactement et la rattache aux parties inférieures ; puis dépassant l’articulation il se fixe aux parties antérieures du tibia, s’il est tendu, il le relève et étend toute l’articulation du genou. Deux autres muscles de chaque côté de ceux que nous avons nommés, s’insèrent sur les côtés du tibia, l’un à la partie externe, l’autre à la partie interne, tous deux président aux mouvements obliques. L’un de ces muscles ramène la jambe de dehors en dedans, l’autre la porte en dehors. Le premier (droit interne) naît à la symphyse des os du pubis ; le second (biceps)[48] à la partie la plus externe de l’ischion. Il n’y avait pas de situation meilleure pour imprimer à la jambe des mouvements obliques. — Au milieu de ceux-ci naissent trois autres muscles disposés par ordre et chargés des petits mouvements du genou. Celui (demi-tendineux) qui est contigu[49] au muscle interne (droit interne), fléchit le genou et ramène la jambe en dedans ; celui (demi-membraneux) qui touche le muscle externe (biceps)[50], ramène la jambe en dehors en même temps qu’il la fléchit comme s’il la déroulait. — Le dernier, qui occupe la région moyenne (faisceau isolé du grand adducteur)[51], s’insère sur la tête (condyle) interne du fémur, fléchit toute la cuisse, entraîne en même temps la jambe, et se rattache aux parties voisines de l’articulation jusqu’à l’un des deux plus grands muscles de la jambe (jumeau interne) avec lequel il tire la jambe tout entière. — Le neuvième et dernier des muscles moteurs de l’articulation du genou, étroit et long, naissant de l’os iliaque (couturier) élève la jambe et contribue particulièrement à la placer dans cette position qui consiste à croiser les jambes[52] en portant le pied vers la racine de l’autre membre. — Outre tous ces muscles, il y a encore le petit muscle, situé au jarret (poplité), et qui est fléchisseur du genou[53]. Ici encore la nature a disposé avec une prévoyance si admirable le nombre, la grandeur, la place et l’insertion des muscles, qu’avec une pareille conformation, rien ne manque plus au mouvement du genou, et que si une seule de ces dispositions venait à être changée, un des mouvements serait gêné ou complétement détruit.

Les trois grands muscles qui sont à la fois extenseurs de la jambe, constricteurs et releveurs de la rotule (triceps), fourniront, je pense, pour qui se souviendra de mes paroles, un exemple assez frappant d’une prévoyance infinie ; c’est, en effet, dans ces muscles que devait résider presque toute la puissance des mouvements du genou (voy. XV, viii). Toute la jambe doit déployer sa force et se tendre exactement lorsque, dans la marche, l’une des jambes élevée se porte en avant, tandis que tout le poids du corps repose sur l’autre qui reste appuyée et fixée sur le sol. Pour cela nous avons besoin que les muscles extenseurs du genou, au nombre de trois, comme nous l’avons dit, agissent et se tendent exactement ; car la flexion de l’articulation du genou est produite par les muscles postérieurs, et l’extension par les muscles antérieurs. Si donc quand notre jambe doit être le plus tendue possible, nous confions à ces trois muscles seuls le soin de maintenir le genou exactement droit, de tirer, de ramener en arrière et de comprimer la rotule afin que par elle la position verticale des muscles soit conservée, il est évident qu’en eux réside la puissance d’action des jambes[54]. Leur faculté d’imprimer des mouvements obliques est en effet une faculté surajoutée ; car, à la fonction nécessaire des membres la nature ajoute toujours quelque chose en surplus. La première fonction des jambes, celle pour laquelle elles ont été créées, c’est la marche : or, pour l’effectuer, nous avons surtout besoin de muscles extenseurs du genou qui mettent en action son articulation. Si donc, comme nous l’avons dit, c’est avec raison que pour le pied deux muscles (jumeaux) s’insèrent à la partie postérieure du calcanéum, au moyen d’un très-grand tendon, il n’était pas moins important pour le genou que les muscles s’insérassent à l’extrémité supérieure et antérieure du tibia. Le pied a trouvé dans ces trois muscles la solidité de station, et la jambe tout entière acquiert par les siens la rigidité de tension.

Aux trois muscles [extenseurs-triceps], la nature en a opposé en arrière trois autres (demi-tendineux, demi-membraneux, faisceau isolé du grand adducteur) qui ne sont pas aussi forts et qui ne se réunissent pas [comme le triceps] pour former un tendon unique. Il fallait absolument, comme cela a été démontré dans notre traité Sur les mouvements des muscles (I, iv. — Voy. aussi Utilité des parties, I, xix), que chaque muscle eût son antagoniste, opérant un mouvement contraire, sans que le mouvement de flexion du genou égalât en puissance le mouvement de tension. La nature voulant donc créer des muscles antagonistes ou opérant un mouvement contraire, en a fait trois qui cependant ne sont pas aussi forts que les autres (le triceps), et qui ne se terminent pas par d’aussi forts tendons. Elle a accordé aux deux muscles (droit interne ? demi-membraneux), situés de chaque côté de celui du milieu (faisceau isolé du grand adducteur) un mouvement oblique d’une certaine étendue. Mais pour que l’articulation puisse se porter circulairement de tous côtés la nature a placé à droite et à gauche deux muscles, l’un (biceps) à côté des muscles antérieurs, l’autre (droit interne) à côté des muscles postérieurs.

Si des articulations plus importantes sont mues par des muscles grands ou nombreux ou par des tendons puissants, tandis que des articulations plus petites ont des muscles et des tendons, ou moins nombreux, ou plus petits, ou moins forts, je ne vois pas là de motif pour ne pas admirer l’habileté de la nature, à moins que quelqu’un n’aille prétendre qu’il était plus équitable d’attribuer aux grandes articulations, à celles qui sont le plus importantes, des muscles peu nombreux, petits et faibles, et au contraire des muscles puissants, grands et nombreux aux petites articulations. Peut-être aussi un tel homme demandera-t-il que les muscles obliques président aux mouvements directs, et réciproquement les muscles droits aux mouvements obliques.

Certes la grandeur des muscles de la cuisse, leur nombre et leur position ont été fixés par la nature avec une prévoyance extrême ; tous s’insèrent à l’extrémité du tibia au-dessous de l’articulation, et la nature a fait là aussi preuve d’une grande habileté. Ceux qui mettent en mouvement des marionnettes de bois au moyen de fils (voy. I, xvii) attachent ces fils au-dessous de l’articulation à l’extrémité supérieure du membre qui doit être agité. La nature devançant l’art a opéré de même à l’égard de chaque articulation. Mais si après avoir réuni tant d’autres artifices divers pour mouvoir la jambe, la nature eût négligé le mode d’insertion si important des tendons, les autres artifices devenaient inutiles. Il est donc évident que si, avant de dépasser l’articulation, les tendons s’inséraient à son extrémité, ils ne remueraient pas la jambe ; si même après avoir dépassé l’articulation, ils s’inséraient non pas au point actuel, mais soit à l’origine même de la jambe, soit le plus bas possible, la jambe resterait immobile, cela est encore certain. Supposons, en effet, que les tendons viennent s’insérer à l’extrémité du tibia, ils manqueraient à la fois d’assurance et de force, puisqu’ils doivent mouvoir tout le membre par un petit nombre d’attaches fixées à l’extrémité de ce membre. Supposons encore que cette insertion ait lieu plus bas, vers le milieu du tibia, comme cela se voit chez les singes, il n’est plus possible d’étendre parfaitement le membre, car cette insertion produit une position moyenne (demi-flexion) ; les jambes seraient en effet comme liées et suspendues aux parties postérieures du fémur, ainsi que cela se remarque chez les singes[55]. En effet, les muscles qui viennent des parties postérieures (particulièrement le biceps), s’insérant chez ces animaux presque au milieu du tibia ou un peu au-dessus, contrebalançant l’action des muscles antérieurs, extenseurs du membre, et tirant la jambe en arrière ne permettent pas aux genoux une exacte tension.

Ici vous pouvez vérifier un principe énoncé dès le début de ce traité (I, ii, iii), c’est que chez tous les animaux la nature a modelé les diverses parties du corps sur leurs mœurs et sur leurs facultés : c’est ainsi qu’elle a enveloppé dans un corps ridicule l’âme du singe, qui imite d’une manière ridicule et défectueuse les mœurs de l’homme, ainsi que nous avons dit (I, xxii). La disposition des os de sa jambe ne lui permettant pas de se tenir debout commodément, il a, par conséquent, en arrière des muscles très-singuliers, d’une structure gênante ; il semble boiteux, quand il est de plein-pied[56], et il ne peut garder exactement, ni sûrement la position verticale. Voyez un homme qui, contrefaisant par dérision un boiteux, se tient debout, marche et court en boitant, c’est précisément ainsi que le singe se sert de ses jambes.

J’ai presque tout dit sur la structure des jambes ; quant aux muscles qui meuvent l’articulation de l’ischion, j’en parlerai alors que je traiterai de l’anatomie de cette région (XV, viii).



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  1. Ce passage a été altéré dans les deux mss. que j’ai à ma disposition : Τοῦ γὰρ ἀναγκαίου πρὸς τὴν ζωὴν σώματος ἐκ τῶν κατὰ τὸν θώρακά τε [καὶ κυνῶν καὶ ἵππων καὶ τῶν παραπλησίων] καὶ ποιλίαν συμπληρουμένου μορίων καὶ δεομένων (en corr. δεομένου) κώλων εἰς βάσιν (βάδισιν 2148) ἐπὶ μὲν ἐλάφων τε καὶ κυνῶν καὶ ἵππων καὶ τῶν παραπλησίων, κ. τ. λ., codd, 985 et 2148. — Le texte vulgaire retranche avec juste raison les mots que j’ai mis entre deux crochets ; ils semblent, en effet, une répétition maladroite d’une partie du membre de phrase suivant. — Comme Galien ne nomme pas la tête, il faut bien admettre qu’il veut parler seulement de la vie végétative ; c’est en effet dans la poitrine et dans l’abdomen que sont renfermés les organes essentiels à cette vie ; mais encore faut-il sous-entendre que ces organes sont sous la dépendance du système nerveux cérébro-rachidien, dans l’immense majorité des animaux.
  2. Suivant Pindare, Ixion fut puni par Jupiter pour avoir osé prétendre aux faveurs de Junon. En arrivant à la couche de la reine des dieux, il n’embrassa qu’une nuée monstrueuse dont il eut un fils, nommé Centaure, lequel s’unit aux cavales de Magnésie. De ce couple naquit la race des Hippocentaures, qu’on appelle plus ordinairement Centaures. — Voy. les scholies sur ce passage dans l’éd. de Boeckh, t. II, p. 319-20, et ses explicat., t. II pars 2a, p. 246 ; voy. aussi la note de Heyne, t. I, p. 219. — Cf. sur la fable des Centaures, Hoffmann, l. l., p. 36, et surtout Jacobi, Dictionnaire mythologique (en all.) voce Kentauren.
  3. On me permettra de rappeler ici les vers où Lucrèce a combattu la fable des Centaures (chant V, v. 878, éd. de Lachmann, Berl. 1850 ; v. 876, éd. d’Havercamp et de Wakefield. — Cf. aussi le texte de Jac. Bernays, 1852) :

    Sed neque centauri fuerunt, nec tempore in ullo
    Esse queunt duplici natura et corpore bino
    Ex alienigenis membris compacta ; potestas
    Hinc illinc partis ut si par esse potissit.

    . . . . . . . . . . . . . . .

    Principio circum tribus actis impiger annis

    Floret equus, puer haud quaquam ; nam sæpe etiam nunc
    Ubera mammarum in somnis lactantia quærit.

    . . . . . . . . . . . . . . .

    …Neque florescunt pariter nec rob ora sumunt

    Corporibus, neque proiciunt ætate senecta,
    Nec simili Venere ardescunt, nec moribus unis
    Conveniunt, neque sunt eadem iucunda per artus.
    Quippe videre licet pinguescere sæpe cicuta
    Barbigeras pecudes, homini quæ est acre venenum.

  4. Aristote (Hist. anim., VIII, xxviii, § 8, p. 170, éd. Bussem.) rapporte qu’en Cyrénaïque, on voit des animaux de genre différent (μὴ ὁμοφύλων), par exemple le chien et le loup, le renard et le chien, le tigre et le chien, cohabiter et donner naissance à des produits. — Voy. dans l’Hist. nat. de l’homme, par Prichard (trad. du docteur Roulin, Paris, 1845, in-8o, t. I, pp. 15-24 ), les considérations sur l’hybridité.
  5. Hoffmann (l. l., pp. 36-38) dans sa longue note sur ce passage a donné toute une théorie des licences poétiques.
  6. Aristote (De gener. anim., IV, iii, p. 401, l. 28, éd. Bussem.) a donné une autre raison de l’impossibilité de pareils monstres : — « Il est impossible, dit-il, qu’un semblable monstre, c’est-à-dire un animal dans un autre animal, puisse prendre naissance ; la durée de la gestation qui diffère beaucoup chez la femme, chez la brebis, chez la vache et chez la chienne, le démontre. Il n’est pas possible que chaque animal ne naisse pas à son temps. » — Au commencement du chapitre suivant, Aristote combat Démocrite qui attribuait la formation des monstres au mélange de deux semences étrangères l’une à l’autre, et dans le chap. x du même livre IV, il a longuement disserté sur la durée de la gestation pour les divers genres d’animaux. — Cf. aussi le passage de Lucrèce cité plus haut et les-notes dans l’éd. Ad usum Delphini et dans celle de P. A. Lemaire. — Hier. Magius, dans ses Variæ lectlones, seu miscell. (Venet., 1564, I, xx, pp. 57 et suiv.), combat l’existence des centaures et des autres monstres imaginaires auxquels le vulgaire, et même certains savants, croyaient encore de son temps.
  7. Hoffmann (l. l., p. 38), remarque, à propos de ce passage, que les anciens écrivaient ou lisaient sur leurs genoux, et il cite à l’appui le 3e vers de la Ratrachomyomachie :

    Ἣν νέον ἐν δέλτοισι ἐμοῖς ἐπὶ γούνασι θῆκα.

    C’est-à-dire, Muses... protégez les vers que j’ai tracés naguère sur des tablettes placées sur mes genoux. — Dans le chap. ix du même livre III, Galien fait encore allusion à l’habitude d’écrire sur les genoux. — Cf. sur cette question les remarques de Lambecius (Comment. de Bibl. Cæs., II, vii, pp. 570-571, éd. de 1669), et voy. Montfaucon, Palæogr. gr., p. 203. — On sait aussi que dans l’antiquité il y avait de petits lits de travail (lucubratoriæ lectulæ), devant lesquels étaient ordinairement placés des pupitres ou des tables. Voy. Hoffmann, l. l. ; Casaubon, Ad Sueton. ; Augustus, § 78, dans l’éd. in-4o de Burmann, pp. 406-407, et les notes de Burmann lui-même ; Pitiscus, Ad Sueton., loc. laud. p. 328 ; Casaub., Ad Persium, sat. I, vers 17 et 52-3, p. 50 et 73, éd. Dübner. — Cf. aussi Properce, III, iv, v. 14, ibique Burmann et Hertzberg (III, vi, 14) ; Ovide, Trist., I, xi, 38, ibique Burm. ; enfin Géraud, Essai sur les livres dans l’antiquité, Paris, 1840, in-8o, pp. 44-47.

  8. Ἐν σκιμποδίῳ. Voy. le Trésor grec sur ce mot. Hoffmann (l. l., p. 38) a traduit comme s’il s’agissait des lits sur lesquels on se couchait pour manger ; mais σκιμπ. est proprement un lit de repos sur lequel on pouvait appuyer sa tête et dont on se servait quand on était fatigué ou souffrant. — Voy. aussi sur σκιμπους, Smith, Dict. of Greek and Rom. antiq. au mot lectus, et Becker Charikles, IIe partie, p. 121 ; ce mot paraît surtout désigner un lit pour les classes pauvres, un grabat.
  9. Voy.liv. VIII, chap. i, et cf. Aristote (Hist. anim., II, i, sect. 1, § 2, p. 17 ; Part. anim., II, xvi, l. 33-40, p. 248, et IV, x, p. 288 à 289, éd. Bussem.), que Galien suit et paraphrase.
  10. Aristote (Part. anim., IV, xii, p. 298, l. 26), dit : « Les oiseaux ont deux jambes comme les hommes, mais elles sont brisées d’avant en arrière comme chez les quadrupèdes, et non d’arrière en avant, comme chez l’homme (cf. Hist. anim., II, i, sect. 1, §§ 4 et suiv., p. 18, éd. Bussem.) ; leurs ailes se fléchissent d’arrière en avant, comme les jambes de devant chez les quadrupèdes [de sorte que les ouvertures des angles formés par les articulations des quatre membres se regardent] (cf. De incessu anim., cap. xii et xv). Les oiseaux sont nécessairement bipèdes, car il est de leur essence d’être des animaux pourvus de sang, de plus ils sont ailés ; or, les animaux pourvus de sang n’ont pas plus de quatre points d’appui mobiles (cf. Incess. anim., vi et vii ; p. 307-8). Les oiseaux ont donc quatre extrémités pendantes ainsi que les autres animaux terrestres qui marchent. Mais chez ces derniers, les quatre extrémités sont constituées par des bras et des jambes [ou des jambes seulement], tandis que les oiseaux ont spécialement des ailes au lieu de jambes de devant. » — Dans Galien, au lieu ὀρθῶς δὲ μόνος ζώων du texte vulgaire, j’ai lu ὀρθίος κ. τ. λ. avec le ms. 985.
  11. Dans le livre XV, chap. viii, Galien a montré aussi de quelle utilité étaient les muscles fessiers pour la position assise. — Aristote a remarqué également (Hist. anim., II, i, sect. 2, § 7, p. 20, éd. Bussem, et surtout Part. anim., IV, x, p. 293-4) que les animaux n’ont pas de fesses. — Cf. p. 227, note 1.
  12. Aristote répète cette proposition en plus de vingt endroits ; et l’on voit clairement que pour les membres postérieurs, par exemple, il compare l’articulation tibio-fémorale de l’homme avec l’articulation là plus apparente chez les animaux, c’est-à-dire avec celle qui représente l’articulation tibio-tarsienne de l’homme. — Voici, du reste, les réflexions de Schneider (in Arist. Hist. anim., II, i, § 4, t. III, p. 62), sur cette erreur qui tient à ce qu’Aristote considérait plutôt l’attitude des membres que la véritable analogie de leur diverses parties : « Doctrinam Aristotelis de motu et flexione artuum et articulorum humanorum contrario motui quadrupedum erroneam esse apparet. Erroris autem causa in eo sita est, quod os humeri et coxæ in quadrupedibus, inprimis longipedibus, breve, adstrictum et corporis tegumento communi comprehensum est, neque ita, ut in homine, quadrumanibus animalibus, urso et elephanto, liberum exstat moveturque. Itaque diversa ossa animalium cum humanis compararunt, falsisque nominibus appellarunt. »
  13. Aristote (Inc. anim., xii et xvi ; cf. p. 223, note 1) détermine le sens de la flexion, non par l’ouverture, mais par le sommet de l’angle. On voit par ce passage que c’est le contraire pour Galien.
  14. « Au lieu des jambes et des pieds de devant, l’homme a des bras et des mains, car, de tous les animaux, il est le seul qui, à cause de sa nature et de son essence divine, se tienne droit ; or l’office d’un être très-divin, c’est de comprendre et de penser, et cet office n’est pas facilement rempli si un corps volumineux pèse d’en haut ; car le poids rend l’intelligence lente et appesantit le centre commun des sensations ; aussi la corpulence et le poids étant augmentés chez les animaux, leurs corps sont nécessairement penchés vers la terre ; c’est pourquoi aux quadrupèdes la nature a donné des jambes et des pieds de devant au lieu de bras et de mains… Tous les animaux, à l’exception de l’homme, sont nains ; un nain est un être chez qui la partie supérieure du corps est volumineuse, tandis que la partie qui supporte le tronc et qui préside à la marche est petite. La partie supérieure est ce qu’on appelle tronc et qui s’étend depuis la tête jusqu’à la région par où s’échappent les excréments. Dans l’espèce humaine, le volume de cette partie est proportionné à celui de la partie inférieure ; chez les hommes faits, la première est beaucoup plus petite que la seconde. Chez les enfants, au contraire, la partie supérieure est volumineuse et l’inférieure est petite ; aussi les enfants rampent et ne peuvent marcher ; en naissant ils ne peuvent pas même ramper, mais ils sont immobiles ; car tous les enfants sont nains. A mesure qu’on avance en âge, les parties inférieures se développent chez l’homme ; chez les quadrupèdes, c’est le contraire : les parties inférieures sont d’abord très-volumineuses ; lorsqu’ils grandissent, les parties supérieures augmentent de volume. » Aristote (Part. anim., IV, x, p. 289, éd. Bussem.) — Aristote a dit ailleurs (Hist. anim., II, i, sect. § 6, p. 22, éd. Bussem.) que chez les animaux les parties supérieures sont les plus fortes et que c’est le contraire chez l’homme. — Ces passages et ceux de Galien qui regardent le même sujet, soulèvent plusieurs questions de statique que nous reprendrons en traitant de la physiologie générale de Galien.
  15. Cette proposition est très-vraie ; aucun animal ne se tient régulièrement assis ou debout. — Voy. la Dissert. sur l’anat. de Galien.
  16. Il semble que ce passage est dirigé contre ces vers d’Ovide (Metam., I, 84-86, imités par Silius Italicus, Punic., XV, v. 84-7) :

    Pronaque eum spectent animalia cætera terram,
    Os homini sublime dedit, cœlumque tueri
    Jussit, et erectos ad sidera tollere vultus ;

    ou contre ce passage de Cicéron (De legib., I, ix) : « Figuram corporis habilem et aptam ingenio humano dedit ; nam cum cæteras animantes objecisset ad pastum, solum hominem erexit, ad cœlique quasi cognationis domiciliique pristini conspectum excitavit. » Voy. aussi De natura Deor., II, lvi). — Comme on demandait à Anaxagore pourquoi il avait été créé : « Pour regarder le soleil, la lune et le ciel, » répondit-il (Diog. Laert., II, iii, 6 ; et voy. sur ce passage, Ménage, p. 77). — Les Pères de l’Église et les autres écrivains ecclésiastiques qui se sont occupés de la structure de l’homme, partagent tous l’opinion que Galien blâme avec plus de subtilité que de raison. — Hoffmann déclare ignorer complétement de quel auteur Galien a tiré le vers qu’il cite ; je n’ai pas été plus heureux que lui dans mes recherches.

  17. Galien ne fait que rapporter le sens du passage de Platon. À propos d’une discussion sur la prééminence de l’astronomie qui, suivant l’un des interlocuteurs, oblige l’âme à passer des choses de la terre aux contemplations de celles du ciel, Socrate répond : « Pour moi, je ne puis considérer d’autre science qui fasse regarder l’âme en haut, que celle qui a pour objet ce qui est (τὸ ὄν, ens), bien qu’on ne le voie pas ; mais si quelqu’un, soit en regardant en haut la bouche béante, soit en baissant la tête et fermant à demi les yeux, s’occupe à étudier les choses sensibles, jamais je ne dirai qu’il apprend, parce que rien de sensible n’est l’objet de la science ; je ne dirai pas non plus que son âme regarde ni en haut, ni en bas, lors même que, couché à la renverse sur la terre ou sur la mer, il croirait apprendre. » Glaucon donne son plein assentiment à cette réponse.
  18. Aristote, De incessu anim., cap. xii, p. 313, éd. Bussem. dit aussi qu’il n’y aurait point de mouvement s’il n’y avait pas de flexion dans les jambes, et que le poids du corps repose sur les pieds.
  19. C’est avec raison que M. Hæser (Geschichte der Volkskrankheiten, t. I, p. 75), rapporte ce passage à la peste antonine, dont Galien fait souvent mention dans ses ouvrages. — On sait que la perte des extrémités par la gangrène fut souvent, dans la peste d’Athènes, une crise salutaire.
  20. Voy. sur ce passage Hoffmann, l. l., p. 42.
  21. Les Grecs appelaient cet accident χίμετλον ou χείμετλον quand il n’était pas très-prononcé (engelure, brûlure simple). On lit dans Suidas : Χίμετλα τὰ ἀποκαύματα λεγόμενα, ἅπερ γίνεται χειμῶνος ἐν τοῖς ποσίν — Voy. les notes des éditeurs, et Pollux, II, 198. — Sur le mot καίειν (brûler) appliqué à l’action de la neige, cf. le Trésor grec, voce.
  22. Après avoir indiqué le livre II auquel Galien fait allusion, mais où il parle surtout de l’aptitude que les doigts ont, en raison de leur structure, à s’adapter à la forme de tous les corps, et non de la cavité des mains, Hoffmann ajoute p. 42 : « Cum de cavitate manuum nihil legatur (proposition exagérée ; voy. p. 188), confirmatur id quod Galeno objicit Argenterius, in præf. Operum suorum (Hanov. 1610 ; col. 5 a.) et fatetur ipse libro De libris propriis, cap. i, non solitum illum fuisse relegere sua. Quidquid sit, addendum id esse ex hoc loco, monui ego, moneoque denuo. Hac de re pulchra est observatio Varoli (Anat., I, xi). — Quoniam, inquit, nullum corpus grave duobus tantum fundamentis erectum detinetur, nisi fuerit infixum : ideo cruribus hominis pedes adficiuntur in media planta concavi, ita ut quilibet horum duobus extremis inhæreat, hominesque duobus quidem cruribus innixi, quatuor tamen fundamentis stent et incedant. Hæc Ille ; e quibus intelligitur, cur illi quibus a mala conformatione pedes ima parte plani sunt (plancos aut plantos Latini, λειόποδας ; Græci vocant), tam infeliciter stent ambulentque... Cavitatis ergo si hic est usus, apprehensio ; quis usus est gibbositatis ? Explicat istam Gal. cap. vii jam dicto, itemque cap. ix extr. firmitas seu securitas. » — Voy. Hippocrate (De Articulis, § 55, t. IV, p. 238, et le Commentaire de Galien (III, 92-4, t. XVIII, p. 613, sqq.).
  23. Voy. sur la comparaison du tarse et du métatarse avec le carpe et le métacarpe et de la jambe dans son ensemble avec le bras, la Dissertation sur l’anatomie de Galien. — Galien réduit le tarse aux quatre os qui s’articulent avec les os métatarsiens. — Hoffmann (l. l., p. 43) remarque que pour rendre la similitude plus complète entre le carpe et le tarse, il convient de réunir sous le nom commun de tarse tous les os compris entre le tibia et les os métatarsiens. Voy. note suiv.
  24. On ne s’explique pas pourquoi Galien a séparé le calcanéum, l’astragale et le scaphoïde, des os du tarse proprement dit ; et, quoi qu’il en dise, avec cette manière de voir que les modernes ne partagent pas, l’analogie entre le tarse et le carpe est très-difficile à établir ; je reviens sur cette question dans la Dissertation précitée. — Voy. note précédente.
  25. Voy. p. 235, notes 1 et 2.
  26. Ici Galien abandonne, mais pour y revenir bientôt, ses idées ordinaires sur le singe ; il ne le regarde plus seulement comme une caricature de l’homme, mais il semble reconnaître que c’est un animal destiné primitivement à vivre au milieu des forêts et à grimper.
  27. Voici le passage d’Hippocrate (Des fractures, § 20, t. III, p. 484, éd. Littré) : « Il faut en outre observer que cet os est bombé plus en dehors qu’en dedans, plus en avant qu’en arrière, c’est donc de ces côtés qu’il se déforme, quand le traitement est irrégulier ; c’est là aussi qu’il est le moins recouvert par les chairs, de sorte qu’il n’est pas possible d’en dissimuler la déviation. » Ce qu’Hippocrate appelle γαῦσος (bombé), Galien l’appelle κυρτός, et dans son Commentaire sur le passage précité (Comm., II, texte, 69, t. XVIII², p. 517), il nous apprend que de son temps le mot γαῦσος n’était plus en usage, et il disserte sur l’accent qu’il doit recevoir. — Voy. aussi dans mes Notices et Extraits des mss. d’Angleterre, scholie sur Hipp., no xvi, p. 212.
  28. Hippocrate, dans le traité Des articulations, t. IV, § 53, p. 232-234, dit que la luxation de la cuisse, du genou ou du pied en dedans (ce qui porte le pied en dehors), rend cagneux, βλαισός , vaigus, et alors la station est chancelante ; la difformité contraire (bancal, varus, κυλλός), n’entraîne pas la faiblesse dans la station. Galien, dans son Commentaire sur ce passage (Comm., III ; t. 87, t. XVIII1, p. 604-606), nous dit qu’on appelait ῥοικοί et ῥαιβοί ceux qui présentaient naturellement, mais à un degré peu prononcé, la conformation des individus qui étaient κυλλοί par suite d’une luxation du genou en dehors. Il nous a conservé à ce propos un fragment du poëte Archiloque, ou les ῥοικόμηροι sont célébrés (voy. les Notices précitées, schol. no xv, p. 211), et il ajoute : Quant aux βλαισότεροι, nous savons tous qu’ils se tiennent difficilement, qu’ils ne peuvent pas courir, qu’ils sont facilement renversés et qu’ils tombent souvent pour la moindre cause.
  29. Broc (Traité d’anat., t. II, p. 153 suiv.) s’est livré, sur la structure du membre abdominal, à une série de raisonnements, dont quelques-uns sont ingénieux et se rapportent de loin ou de près à ceux de Galien lui-même. J’extrais les passages les plus importants : — « Le membre abdominal supporte le poids du corps ; il se meut dans tous les sens, mais ses mouvements sont moins étendus que ceux du membre supérieur, en exceptant néanmoins la rotation qui l’emporte sur celle de ce membre. Voilà les données fondamentales ; examinons-en les conséquences. Puisque le membre inférieur supporte le poids du corps, il doit nécessairement s’articuler, en haut, de la manière la plus solide, ce qui rend indispensables deux dispositions : d’abord, la grande profondeur de la cavité articulaire, et, ensuite, l’extrême solidité du système osseux sur lequel cette cavité sera creusée ; détruisez l’une de ces dispositions, et vous excluez de toute nécessité la première donnée… Il est donc évident qu’il n’y aura pas pour le membre inférieur une épaule mobile, comme il y en a une pour le supérieur, et que cette épaule, au lieu d’être indépendante du tronc, devra se confondre intimement avec lui : la solidité entraînera l’intimité d’union qu’exclut la mobilité. Quel sera le minimum de la longueur du membre inférieur ? Je ne crois pas qu’on puisse la déterminer comme pour le supérieur, car, ce membre fût-il dix fois moins long qu’il ne l’est, le pas pourrait être formé, la fonction serait à la rigueur remplie… Pourvu de certaines dimensions, sera-t-il formé d’une seule pièce ? Il est évident que non ; car, lorsque, pour la formation du pas, il aurait été placé en arrière, il deviendrait impossible de le porter en avant, à moins de lui faire décrire sur les côtés un très-grand arc de cercle, ce qui rendrait la progression très-difficile, et surtout extrêmement lente, puisqu’on n’avancerait jamais par le plus court chemin ; on marcherait à la manière dont se meut le compas de l’arpenteur, et il est certain que la course deviendrait impossible ; il est encore évident qu’on ne pourrait ni sauter, ni se placer debout, après avoir pris une situation horizontale, etc. Il est donc certain que le membre doit être au moins composé de deux parties mobiles l’une sur l’autre. Étant ainsi formé, il en résulte des avantages qui sont trop bien connus pour qu’il soit nécessaire de les indiquer ; ils sont, au reste, dans une opposition parfaite avec les inconvénients produits par l’unité de composition. La première pièce sera-t-elle suivie d’une troisième ? Elle est destinée à appuyer sur le sol, et à s’y soutenir en équilibre ; or, cette fonction n’exige, à la rigueur, qu’un support disposé comme ceux que l’art a inventés, c’est-à-dire arrondi ou ovalaire, et plus ou moins creux en dessous, afin que ses bords puissent s’appliquer plus exactement contre le plan de sustentation, souvent pourvu d’inégalités ; mais on conçoit qu’un semblable support peut faire une seule pièce avec la seconde partie du membre, sans rendre absolument impossible l’exercice de la fonction. Donc, différent du membre supérieur, l’inférieur pourra n’être composé que de deux parties ; mais nous savons qu’il en a trois : admettons donc ce fait, comme ne pouvant point être soumis au raisonnement... Le fémur sera-t -il droit ou courbé ? vertical ou oblique ? et, en haut, rectiligne ou réfléchi ? Tel qu’il est disposé, il remplit très-bien ses fonctions ; mais on conçoit qu’il pourrait encore les remplir s’il était droit et vertical ; il en résulterait des conditions moins favorables dans l’appui, dans l’équilibre, dans la transmission de l’ébranlement ; mais ces inconvénients sont relatifs à un défaut de perfection conciliable avec les limites d’un esprit ordinaire. L’admission du mouvement que l’avant-bras communique à la main a rendu facile la détermination des diverses manières d’être de la première de ces parties ; mais, ici, en sachant que le pied ne reçoit aucune espèce de mobilité de la jambe, qui par une de ses parties contribue au contraire à le fixer, on n’apprend absolument rien sur la manière dont doit être composée cette seconde division du membre. Inventer un péroné pour rendre le pied moins mobile ! Voilà ce dont serait incapable l’esprit le plus pénétrant, le plus inventif ; et, en effet, pour remplir les fonctions de cet os, pourquoi le tibia n’aurait-il pas en dehors une malléole, comme il en a une en dedans ? L’articulation serait elle moins solide, le bord externe du pied moins assujetti ? Il est vrai qu’un os un peu mobile n’est pas exposé à se rompre, comme le serait un prolongement osseux partout continu ; il n’offre point, dans l’appui, la dureté, la résistance brusque que ce prolongement ne manquerait de produire ; mais voilà un degré de perfection qu’on ne pourrait imaginer qu’après avoir observé les inconvénients déterminés par la disposition supposée. Et la rotule ! qui pourrait être capable d’en prévoir la nécessité ? qui irait s’aviser de placer un os libre devant une articulation parfaitement analogue à celle du coude, dans laquelle un os semblable n’existe pas ? Il n’y a donc à la jambe qu’un os qui soit accessible au raisonnement.Ses fonctions doivent autoriser à penser qu’il sera très-volumineux, surtout à sa partie supérieure, et d’autant plus qu’il est censé être seul ; enfin, pour des raisons jusqu’à un certain point semblables à celles qui ont été exposées au sujet de l’avant-bras, il ne devra se mouvoir qu’en avant et en arrière, et, par conséquent, l’os de la cuisse sera pourvu, en bas, comme l’humérus, d’une cavité articulaire plus ou moins analogue à une poulie. Mais voici le raisonnement en défaut, car, quoique le fémur offre en effet une poulie, celle-ci ne s’articule point avec le tibia ; elle est uniquement destinée à recevoir la rotule… Ossifiez le tissu qui unit la rotule au tibia et au fémur, et l’extrémité supérieure du tibia, en tout semblable à l’extrémité correspondante du cubitus, offrira une cavité articulaire bornée, du côté de l’extension, par une grosse éminence, et propre à recevoir une poulie. Réciproquement, ramollissez la partie inférieure de l’olécrâne, et ce qui restera de cette éminence sera une véritable rotule ; le cubitus ne différera point du tibia… Le membre inférieur, au contraire, qui supporte le poids du corps, éprouve des secousses, des ébranlements, qui vont quelquefois jusqu’à produire la rupture des os si solides qui le constituent, et, alors, le genou en particulier devient le siège des plus grands efforts. Si donc un prolongement osseux fût passé au-devant de cette partie pour en borner l’extension, fortement pressé à ses extrémités par le tibia et le fémur, os si volumineux, mus par de si fortes masses charnues, il aurait été extrêmement exposé à se rompre, et il se serait en effet rompu très-souvent. Or, pour prévenir cette lésion, la nature a remplacé une partie de ce prolongement osseux par un tissu mou ; mais, comme alors l’articulation n’aurait pas offert, en avant, un assez haut degré de fixité, elle a en même temps placé à sa partie postérieure de forts ligaments qui sont essentiellement destinés à borner l’extension de la jambe ; de sorte qu’on peut dire que ces ligaments, qui ont toute la force, toute la résistance des os sans en avoir la fragilité, sont, à l’égard de la fonction, le véritable olécrâne du genou. Qui serait capable de deviner tout cela ? Enfin le pied est, comme nous l’avons déjà dit, une partie dont les dispositions essentielles sont extrêmement simples ; mais elles s’unissent à d’autres si nombreuses, si compliquées, qu’il devient absolument impossible de les déterminer… Par quelle suite de raisonnements, de considérations, serait-on conduit à imaginer cette double articulation à surfaces superposées ? cette latéralisation successive des os placés au-devant du centre des mouvements ? cette voûte qui, à la fois souple et solide, offre dans la manière dont elle est construite, disposée, assujettie, un chef-d’œuvre de perfection ? ces cinq prolongements flexibles, séparés les uns des autres, fixés au bord antérieur de la voûte, pour que, soustraits au poids du corps, ils pussent jouir de tous les avantages d’une main qui serait destinée à saisir le sol ? » — Cf aussi Galien, chapp. viii (tarse) ; xiii et xiv (tibia et péroné) ; xv (articulation du genou, rotule).
  30. Galien fait ici allusion à ce passage du discours de Diodote contre Cléon dans l’affaire de Mytilène : « Celui qui conteste avec acharnement que la parole soit la maîtresse des affaires, ou bien est intéressé, ou bien est mû par un intérêt personnel, etc. » Thucyd., III, xlii. — Hoffmann (l. l., p. 47) range sous trois chefs les motifs de l’intérêt particulier : l’amour de la secte, l’amour de sa propre opinion, la crainte de perdre une gloire acquise ; il cite à ce propos plusieurs passages d’auteurs anciens et en particulier de Galien.
  31. Pour la main : extenseurs commun et propres, fléchisseurs profond et superficiel, lombricaux ; — pour le pied : long extenseur commun, pédieux, long et court fléchisseur commun (Galien ne mentionne pas l’accessoire du long fléchisseur ou chair carrée), lombricaux. — Galien assimile le pédieux aux extenseurs propres, mais il n’a pas noté ces différences capitales que le pédieux ne forme qu’un seul faisceau musculaire, et qu’il se distribue au pouce et aux trois orteils suivants, tandis que les extenseurs propres constituent, chez les singes, trois faisceaux, et se distribuent à tous les doigts. — Cf. la Dissert. sur l’anat. de Galien.
  32. Voy. la Dissert. précitée sur l’entre-croisement des deux faisceaux du long fléch.
  33. Voy. dans la Dissertation sur l’anatomie de Galien, le résumé des muscles de la jambe, et la discussion sur ce passage.
  34. Voy. dans la Dissertation sur l’anatomie de Galien, la section consacrée à la myologie de la jambe.
  35. Voy. pour ce passage, dans ma Dissertation préliminaire la discussion sur la chronologie des livres anatomiques de Galien.
  36. Voy. pour ce passage la section qui regarde les muscles de la jambe, dans la Dissertation sur l’anatomie de Galien.
  37. Pour se rendre compte de cette phrase, il faut, si je ne me trompe, admettre que Galien ne considère dans le premier groupe de muscles que le tendon tarso-métatarsien du tibial antérieur, et dans le second que le tendon du court péronier latéral ; peut-être aussi réunit-il dans une action commune le tendon du court abducteur du gros orteil à celui du tibial antérieur, et le tendon du péronier antérieur àcelui du court péronierlatéral. — Voy. du reste la Dissertation précitée.
  38. Corœbus, mis en scène par le poëte Euphorion pour sa stupidité, est devenu un type de bêtise, ainsi qu’on le voit par Virgile (Æn., II, v. 341 ; cf. Servius, in hunc loc.), et par Lucien (Amor., § 53, t. II, p. 455 ; éd. Hemerst ; Phiopseud., § 3, t. III, p. 32. Cf. sur ce dernier passage les notes et le scholiaste). — Le scholiaste d’Aristophane (Ran., v. 990) fait aussi mention de ce Corœbus. — On disait dans l’antiquité bête comme Corœbus. — Voy. Érasme (Adag. chil. II, cent. IX, prov. 64…) sur ce proverbe, et dans la Collection des paroemiographes (éd. de Leutsch), Mich. Apostolius, X, § 9, et XI, § 93 ; t. II, p. 483 et 539.
  39. Μυρία μύρα καὶ κασίας. — Voy. sur la casse, considérée comme un type de parfums, Hoffmann, l. l., p. 48, et, pour sa détermination botanique, Meyer, Éclaircissements botaniques sur la Géogr. de Strabon, Koenigsb., 1852 (en allem.), p. 130 et suiv. Dans ce chapitre Meyer traite aussi des parfums en général.
  40. Plusieurs philosophes anciens ont exprimé l’opinion qu’il fallait préférer la vie morale et les belles actions ou les nobles pensées aux hécatombes et autres sacrifices. — Voy. Hoffmann, l. l., p. 48.
  41. Débutades de Sicyone était un artiste en grand renom pour ses statues d’argile. Pline, Hist. nat., XXXV, xliii. — Voy. aussi sur la perfection de structure des moindres animaux la fin du chap. i du livre XVII de l’Utilité des parties.
  42. Hoffmann, l. l., p. 50, renvoie pour l’explication de cette proposition à Aristote (De anim. II. xii, 4) mais dans ce passage il ne s’agit que des plantes : « Elles ne sentent pas, dit l’auteur, bien qu’elles aient une portion d’âme et qu’elles soient affectées par les choses du toucher ; la cause en est qu’elles n’ont ni qualité moyenne, ni principe capable de recevoir les formes des choses sensibles. » Il n’y a donc pas, comme le veut Hoffmann, une complète similitude entre les deux propositions. Galien ne fait qu’appliquer à un cas particulier la doctrine d’Aristote, suivant laquelle il n’y a point de sensation sans altération (ἀλλοίωσις), sans affection (πάθος).
  43. Voy. sur les apophyses et les épiphyses, la Dissertation sur les termes anatomiques.
  44. Voy. le Trésor grec sur ces deux mots.
  45. Platon se sert volontiers de cette expression. Voy. Gorg., p. 527 a ; — Polit., I, p. 350 e (γραὸς μῦθος) — Theaet., p. 176 b (γραῶν ὕθλος).
  46. Quand Hoffmann (l. l., p. 52) demande où Galien a marqué la différence de structure entre le coude et le genou, il paraît ne s’être pas bien rendu compte de la phrase suivante qui contient précisément, quoique d’une manière un peu confuse, l’énoncé de cette différence. Voici, ce me semble, comment il faut entendre cette phrase : analogies : force des ligaments, emboîtement exact des proéminences dans les cavités ; au genou, la rotule ; au coude, l’olécrâne ; différences : existence au genou des ligaments croisés et du fort ligament antérieur qui manquent au coude.
  47. Ἐπιθέσεις vulg. et ms. 2148 ; mais il est évident par le contexte qu’il faut lire ἐπιθείσης avec le traducteur latin et avec Daleschamps. — La fin de la phrase m’a fait penser qu’il s’agissait du ligament antérieur (car le régime d’ἐπιθείσης est sous-entendu), mais on pourrait admettre aussi qu’il s’agit de la rotule, et que Galien a voulu marquer une troisième différence entre le genou et le coude, en disant que la nature avait placé la rotule en avant, tandis que l’olécrâne est en arrière. — Il a oublié, Hoffmann le lui reproche avec raison, de noter que la rotule est une épiphyse libre, tandis que l’olécrâne est une apophyse soudée. — Cf. aussi ma Dissertation sur l’anatomie de Galien.
  48. Ce muscle est réduit à un seul faisceau chez les singes. Voy. la Dissertation sur l’anatomie de Galien.
  49. Par son insertion tibiale ; en effet, par leur insertion inférieure ces deux muscles sont très-écartés, de telle sorte qu’ils forment un triangle allongé dont le sommet est au tibia et dont la base est à l’ischion ; les deux côtés sont constitués en dedans par le droit interne, et en dehors par le demi-tendineux.
  50. Par son insertion ischiale ; l’accolement de ces deux muscles se prolonge jusque vers le milieu de la jambe ; là, le demi-membraneux se sépare et se porte en dedans pour former le côté interne du creux du jarret. — Du reste, pour peu qu’on lise avec quelque attention toute cette partie du chapitre xvi, on verra que Galien reconnaît deux groupes dans les muscles postérieurs de la jambe : 1o ceux qui occupent la région moyenne, et qui sont surtout antagonistes du triceps (demi-tendineux, demi-membraneux, faisceau isolé du grand adducteur) ; 2o ceux qui sont chargés des mouvements de circumduction (droit interne et biceps).
  51. Voy. pour ce muscle qui, selon Galien, appartient à la fois aux articulations coxo et tibio-fémorales, et qui par conséquent ne fait pas partie de ceux qui sont chargés de mouvoir directement la jambe sur la cuisse, la Dissertation sur l’anatomie de Galien. Ce muscle occupe en effet le milieu du bord inférieur de l’ischion ; de chaque côté s’insèrent les muscles biceps, demi-tendineux et demi-membraneux d’une part, et de l’autre le droit interne et une partie des adduct.
  52. Le texte vulg. et le ms. 2148 porte : μαλάττοντες ; mais conformément au passage parallèle du Manuel des dissections (II, iv), il faut μεταλάττοντες. — Voy. aussi Dietz, in libr. De dissect. muscul., p. 87.
  53. On verra dans la Dissertation précitée que Galien s’attribue la découverte de ce muscle.
  54. Galien, à propos des muscles du membre thoracique (voy. p. ex. I, xvii, p. 145), a remarqué que la force des fléchisseurs l’emporte sur celle des extenseurs ; c’est le contraire pour les muscles du membre abdominal, où les extenseurs ont une prédominance marquée, plus encore peut-être chez l’homme que chez les singes. Voy. aussi Vrolik (Anat. du chimpansé, p. 38), et le paragraphe suivant.
  55. Ici Galien compare indirectement le singe à l’homme, et cette comparaison partielle, il pouvait la faire sans avoir disséqué de cadavre humain. Du reste je discute ce passage ainsi que d’autres de la même nature dans ma Dissertation sur l’anatomie de Galien. — Cuvier, Anat. comp., t. I, p. 521-2 et Vrolik, Anat. du chimpansé, p. 22 et 35, ont fait sur l’insertion des muscles de la jambe les mêmes réflexions que Galien.
  56. Αὐτῷ γελοιοτάτους ὄπισθεν μῦς ἐναντιουμένους τῇ κατασκευῇ κέκτηται καὶ ἐν τῇ παιδιακῇ τὸ μυουροῦν, vulg. et 2168. — Ce texte est fort embarrassant, et les interprètes ne me paraissent pas avoir été heureux dans leurs conjectures et dans leurs traductions. Le traducteur latin a : In puerorum ludicro velut claudo subsaltans, et Daleschamps : Quand les enfants par plaisir le contraignent de marcher droit, il va comme s’il était boiteux en saultelant. — Hoffmann (l. l., p. 53, et dans l’Append. var. lectionum) pense que Galien a comparé la marche du singe à une espèce de jeu dont il ne connaît pas la nature. Mais d’abord παιδιακῇ n’est pas grec, ensuite il n’y a point de verbe μυουρέω ou μυουρόω (ou μειουρέω-ρόω) ; en second lieu, il faudrait changer καὶ en ώς, encore la phrase resterait embarrassée. Il y a, je crois, une correction plus simple, c’est de lire πεδιακῇ et μύουρον, en rapportant κέκτηται à μῦς γελ. et à μύουρον (il a l’air tronqué, écourté, quand il est sur la plaine).