Les Œuvres de François Rabelais (Éditions Marty-Laveaux)/Gargantua/6

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Texte établi par Charles Marty-LaveauxAlphonse Lemerre (Tome Ip. 25-28).

Comment Gargantua nasquit en façon bien estrange.

Chapitre VI.



Evlx tenens ces menuz propos de beuuerie, Gargamelle commença se porter mal du bas. Dont Grandgousier se leua dessus l’herbe, & la reconfortoit honestement, pensant que ce feut mal d’enfant, & luy disant qu’elle s’estoit là herbée soubz la saulsaye, & qu’en brief elle feroit piedz neufz, par ce luy conuenoit prendre couraige nouueau au nouuel aduenement de son poupon, & encores que la douleur luy feust quelque peu en fascherie, toutesfoys que ycelle seroit briefue, & la ioye qui toust succederoit, luy tolliroit tout cest ennuy : en sorte que seulement ne luy en resteroit la soubuenance. Couraige de brebis (disoyt il) depeschez vous de cestuy cy, & bien toust en faisons vn aultre. Ha (dist elle) tant vous parlez à vostre aize, vous aultres hommes. Bien de par dieu ie me parforceray, puis qu’il vous plaist. Mais pleust à dieu que vous l’eussiez coupé. Quoy ? dist Grandgousier. Ha (dist elle) que vous estes bon homme, vous l’entendez bien. Mon membre (dist il) ? Sang de les cabres, si bon vous semble, faictes apporter vn cousteau. Ha (dist elle) ia dieu ne plaise. Dieu me le pardoint, ie ne le dis de bon cueur : & pour ma parolle n’en faictes ne plus ne moins. Mais ie auray prou d’affaires auiourd’huy, si dieu ne me ayde, & tout par vostre membre, que vous feussiez bien ayse.

Couraige, couraige (dist il) ne vous souciez au reste, & laissez faire au quatre bœufz de deuant. Ie m’en voys boyre encores quelque veguade. Si ce pendent vous suruenoit quelque mal, ie me tiendray pres : huschant en paulme ie me rendray à vous.

Peu de temps apres elle commença à souspirer, lamenter & crier. Soubdain vindrent à tas saiges femmes de tous coustez. Et la tastant par le bas, trouuerent quelques pellauderies assez de mauluais goust, et pensoient que ce feust l’enfant, mais c’estoit le fondement qui luy escappoit, à la mollification du droict intestine, lequel vous appellez le boyau cullier, par trop auoir mangé des tripes, comme auons declairé cy dessus.

Dont vne horde vieille de la compaignie, laquelle auoit reputation d’estre grande medicine, & là estoit venue de Brizepaille, d’aupres Sainct Genou, deuant soixante ans, luy feist un restrinctif si horrible que tous ses larrys tant feurent oppilez & reserrez, que à grande poine, auecque les dentz, vous les eussiez eslargiz, qui est chose bien horrible à penser. Mesmement que le diable à la messe de sainct Martin, escripuant le quaquet de deux gualoises, à belles dentz alongea son parchemin.

Par cest inconuenient feurent au dessus relaschez les cotyledons de la matrice, par lesquelz sursaulta l’enfant, & entra en la vene creuse, & grauant par le diaphragme iusques au dessus des espaules (ou ladicte vene se part en deux) print son chemin à gauche, & sortit par l’aureille senestre.

Soubdain qu’il fut né, ne cria comme les aultres enfans, mies, mies. Mais à haulte voix s’escrioit, à boire, à boire, à boire, comme inuitant tout le monde à boire. Si bien qu’il fut ouy de tout le pays de Beusse & de Bibaroys.

Ie me doubte que ne croyez asseurement ceste estrange natiuité. Si ne le croyez, ie ne m’en soucie, mais vn homme de bien, vn homme de bon sens, croit tousiours ce qu’on luy dict, & qu’il trouue par escript.

Est ce contre nostre loy, nostre foy, contre raison, contre la saincte escripture ? De ma part, ie ne trouue rien escript es bibles sainctes qui soit contre cela. Mais si le vouloir de Dieu tel eust esté, diriez vous qu’il ne l’eust peu faire ? Ha pour grace, ne emburelucocquez iamais vos espritz de ces vaines pensees, car ie vous diz, que à Dieu rien n’est impossible. Et s’il vouloit les femmes auroient doresnauant ainsi leurs enfans par l’aureille.

Bacchus ne fut il engendré par la cuisse de Iupiter ?

Rocquetaillade nasquit il pas du talon de sa mère ?

Crocquemouche de la pantofle de sa nourrice ?

Minerue nasquit elle pas du cerueau par l’aureille de Iupiter ?

Adonis par l’escorce d’vn arbre de mirrhe ?

Castor & Pollux de la cocque d’vn œuf pont & esclous par Leda ?

Mais vous seriez bien d’aduantaige esbahys & estonnez si ie vous expousoys presentement tout le chapitre de Pline, auquel parle des enfantemens estrange, & contre nature. Et toutesfoys ie ne suis poinct menteur tant asseuré comme il a esté. Lisez le septiesme de sa naturelle histoire, capi. iij, & ne m’en tabustez plus l’entendement.