Les Œuvres de François Rabelais (Éditions Marty-Laveaux)/Gargantua/11

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Texte établi par Charles Marty-LaveauxAlphonse Lemerre (Tome Ip. 44-46).

De l’adolescence de Gargantua.

Chapitre XI.



Gargantua, depuis les troys jusques à cinq ans, feut nourry et institué en toute discipline convenente, par le commandement de son pere et celluy temps passa comme les petits enfans du pays : c’est assavoir à boyre, manger et dormir ; à manger, dormir et boyre ; à dormir, boyre et manger.

Tousjours se vaultroit par les fanges, se mascaroyt le nez, se chauffourroit le visaige, aculoyte ses souliers, baisloit souvent au mousches, et couroit voulentiers après les parpaillons, desquelz son pere tenoit l’empire. Il pissoit sus ses souliers, il chyoit en sa chemise, il se mouschoyt à ses manches, il mourvoit dedans sa souppe, et patroilloit par tout lieux, et beuvoit en sa pantoufle, et se frottoit ordinairement le ventre d’un panier. Ses dens aguysoit d’un sabot, ses mains lavoit de potaige, se pignoit d’un goubelet, se asseoyt entre deux selles le cul à terre, se couvroyt d’un sac mouillé, beuvoyt en mangeant sa souppe, mangeoyt sa fouace sans pain, mordoyt en riant, rioyt en mordent, souvent crachoyt on bassin, pettoyt de gresse, pissoyt contre le soleil, se cachoyt en l’eau pour la pluye, battoyt à froid, songeoyt creux, faisoyt le sucré, escorchoyt le renard, disoit la patenostre du cinge, retournoyt à ses moutons, tournoyt les truies au foin, battoyt le chien devant le lion, mettoyt la charrette devant les beufz, se grattoyt où ne luy demangeoyt poinct, tiroit les vert du nez, trop embrassoyt et peu estraignoyt, mangeoy son pain blanc le premier, ferroyt les cigalles, se chatouilloyt pour se faire rire, ruoyt très bien en cuisine, faisoyt gerbe de feurre au dieux, faisoyt chanter Magnificat à matines et le trouvoyt bien à propous, mangeoyt choux et chioyt pourrée, congnoissoyt mousches en laict, faisoyt perdre les pieds au mousches, ratissoyt le papier, chaffourroyt le parchemin, guaignoyt au pied, tiroyt au chevrotin, comptoyt sans son houste, battoyt les buissons sans prandre les ozillons, croioyt que nues feussent pailles d’arain et que vessies feussent lanternes, tiroyt d’un sac deux moustures, faisoyt de l’asne pour avoir du bren, de son poing faisoyt un maillet, prenoit les grues du premier sault, vouloyt que maille à maille on feist les haubergeons, de cheval donné tousjours reguardoyt en la gueulle, saultoyt du coq à l’asne, mettoyt entre deux verdes une meure, faisoit de la terre le foussé, gardoyt la lune des loups, si les nues tomboient esperoyt prandre les alouettes, faisoyt de necessité vertus, foisoyt de tel pain souppe, se soucioyt aussi peu des raitz comme des tonduz, tous les matins escorchoyt le renard. Les petitz chiens de son pere mangeoient en son escuelle ; luy de mesmes mangeoit avecques eux. Il leurs mordoit les aureilles, ilz luy graphinoient le nez ; il leurs souffloit au cul, ilz luy leschoient les badigoinces.

Et sabez quey, hillotz ? Que mau de pipe vous byre ! Ce petit paillard tousjours tastonoit ses gouvernantes, cen dessus dessoubz, cen devant derriere, — harry bourriquets ! — et desjà commençoyt exercer sa braguette, laquelle un chascun jour ses gouvernantes ornoyent de beaulx boucquets, de beaulx rubans, de belles fleurs, de beaulx flocquars, et passoient leur temps à la faire revenir entre leurs mains comme un magdaleon d’entraict, puis s’esclaffoient de rire quand elle levoit les aureilles, comme si le jeu leurs euste pleu.

L’une la nommait ma petite dille, l’aultre ma pine, l’aultre ma branche de coural, l’aultre mon bondon, mon bouchon, mon vibrequin, mon possouer, ma teriere, ma pendilloche, mon rude esbat roidde et bas, mon dressouoir, ma petite andoille vermeille, ma petite couille bredouille.

«  Elle est à moy, disoit l’une.

— C’est la mienne, disoit l’aultre.

— Moy (disoit l’aultre), n’y auray je rien ? Par ma foy, je la couperay doncques.

— Ha couper ! (disoit l’aultre) ; vous luy feriez mal, Madame ; coupez vous la chose aux enfans ? Il seroyt Monsieur sans queue. »

Et, pour s’esbattre comme les petits enfans du pays, luy feirent un beau virollet des aesles d’un moulin à vent de Myrebalays.