Gargantua et Pantagruel (Texte transcrit et annoté par Clouzot)\TL5

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POURQUOI LES NOUVEAUX MARIÉS ÉTAIENT EXEMPTS D’ALLER EN GUERRE.

« Mais, demanda Panurge, en quelle loi était-ce constitué et établi que ceux qui vigne nouvelle planteraient, ceux qui logis neuf bâtiraient, et les nouveaux mariés, seraient exempts d’aller en guerre pour la première année ?

— En la loi, répondit Pantagruel, de Moïse.

— Pourquoi, demanda Panurge, les nouveaux mariés ? Des planteurs de vigne je suis trop vieux pour me soucier, j’acquiesce on[1] souci des vendangeurs, et les beaux bâtisseurs nouveaux de pierres mortes ne sont écrits en mon livre de vie. Je ne bâtis que pierres vives, ce sont hommes.

— Selon mon jugement, répondit Pantagruel, c’était afin que, pour la première année, ils jouissent de leurs amours à plaisir, vaquassent à production de lignage, et fissent provision d’héritiers. Ainsi, pour le moins, si l’année seconde étaient en guerre occis, leur nom et armes restât en leurs enfants. Aussi que leurs femmes on connût certainement être ou bréhaignes ou fécondes (car l’essai d’un an leur semblait suffisant, attendu la maturité de l’âge en laquelle ils faisaient noces), pour mieux, après le décès des maris premiers, les colloquer en secondes noces : les fécondes, à ceux qui voudraient multiplier en enfants, les bréhaignes, à ceux qui n’en appèteraient et les prendraient pour leurs vertus, savoir, bonnes grâces, seulement en consolation domestique et entretènement[2] de ménage.

— Les prêcheurs de Varennes, dit Panurge, détestent les secondes noces, comme folles et déshonnêtes.

— Elles sont, répondit Pantagruel, leurs fortes fièvres quartaines !

— Voire, dit Panurge, et à frère Engainant aussi, qui en plein sermon prêchant, à Parillé, et détestant les noces secondes, jurait et se donnait au plus vite diable d’enfer en cas que mieux n’aimât dépuceler cent filles que biscoter une veuve. Je trouve votre raison bonne et bien fondée. Mais que diriez-vous si cette exemption leur était octroyée pour raison que tout le décours[3] d’icelle prime année, ils auraient tant taloché[4] leurs amours de nouveau possédés (comme c’est l’équité et le devoir), et tant égoutté leurs vases spermatiques, qu’ils en restaient tous effilés, tous évirés[5], tous énervés et flétris ? Si que, advenant le jour de bataille, plutôt se mettraient au plongeon, comme canes, avec le bagage qu’avec les combattants et vaillants champions on lieu onquel par Enyo[6] est mû le hourd[7] et sont les coups départis, et sous l’étendard de Mars ne frapperaient coup qui vaille, car les grands coups auraient rué[8] sous les courtines de Vénus s’amie.

« Qu’ainsi soit, nous voyons encore maintenant, entre autres reliques et monuments d’antiquité, qu’en toutes bonnes maisons, après ne sais quants[9] jours, l’on envoie ces nouveaux mariés voir leur oncle, pour les absenter de leurs femmes, et cependant soi reposer, et de rechef s’avitailler[10] pour mieux au retour combattre, quoique souvent ils n’aient ni oncle ni tante. En pareille forme que le roi Pétault, après la journée des Cornabons, ne nous cassa[11] proprement parlant, je dis moi et Courcaillet, mais nous envoya rafraîchir en nos maisons. Il est encore cherchant la sienne.

« La marraine de mon grand-père me disait, quand j’étais petit, que

Patenôtres et oraisons
Sont pour ceux-là qui les retiennent.
Un fifre allant en fenaisons
Est plus fort que deux qui en viennent.

« Ce qui m’induit en cette opinion est que les planteurs de vigne à peine mangeaient raisins ou buvaient vin de leur labeur durant la première année, et les bâtisseurs, pour l’an premier, n’habitaient en leurs logis de nouveau faits, sur peine d’y mourir suffoqués par défaut d’expiration, comme doctement a noté Galen. lib. II, de la Difficulté de respirer. Je ne l’ai demandé sans cause bien causée, ni sans raison bien résonnante. Ne vous déplaise. »


  1. Au.
  2. Entretien.
  3. Cours.
  4. Cogné à grands coups.
  5. Dévirilisés.
  6. Bellone.
  7. Choc.
  8. Frappé.
  9. Combien de.
  10. Ravitailler (équivoque libre).
  11. Licencia.