Gavarni (Mirecourt)

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Gustave Havard (Les Contemporains, n°62p. 1-92).

LES CONTEMPORAINS


GAVARNI


par
EUGÈNE DE MIRECOURT

PARIS
GUSTAVE HAVARD, ÉDITEUR
15, RUE GUÉNÉGAUD, 15

1856


L’auteur et l’éditeur se réservent le droit de traduction
et de reproduction à l’étranger.

GAVARNI


Trop souvent nous sommes en face de portraits odieux, laids ou sinistres, qui nous forcent à couvrir la palette de couleurs sombres.

Foin des natures perverses, des âmes envenimées, des politiques menteurs, des écrivains pirates ! Arrière les hypocrites, les méchants et les lâches !

Nous n’avons aujourd’hui rien de pareil à peindre.

Il nous faut des tons joyeux, des nuances éclatantes, du rire surtout et de la gaieté franche, si notre plume veut suivre à la piste le crayon du maître, ce crayon si fin, si léger, si railleur, si plein d’esprit de bon aloi, de critique amusante et de verve intarissable.

On demandait à Gustave Doré :

— Quel est, selon vous, le plus grand peintre de nos jours ?

– C’est Gavarni, répondit dans hésiter Gustave, qui ne manque pas d’idées saines, bien qu’il soit le héros de l’indépendance folle, l’apôtre de la fantaisie pyramidale et le coryphée du burlesque dans les arts.

Personne au monde ne s’avisera de nier que la reproduction fidèle d’une époque et de ses types les plus saillants constitue la valeur positive d’un artiste. Un jour nos derniers neveux seront forcés d’ouvrir l’album de Gavarni, s’ils veulent trouver l’histoire de nos habitudes, de nos costumes, de nos plaisirs, de notre caractère et de nos mœurs.

Le nom de famille du célèbre dessinateur est Guillaume-Sulpice Chevalier[1].

Son père, simple villageois, après avoir, au commencement de ce siècle, amassé dans l’agriculture une modeste aisance, vint se marier à Paris et y résider.

Guillaume-Sulpice est né parisien.

M. Chevalier ne voulut pas mettre son fils au collége. Il lui donna des maîtres à domicile, cherchant surtout à le pousser vers l’étude des sciences exactes et le destinant à l’École polytechnique.

Le jeune élève fit des progrès rapides ; il devint bon mathématicien.

Studieux et solitaire, il ne se livrait qu’à de rares intervalles aux distractions de son âge. La géométrie, cette science des lignes, des mesures et des surfaces, lui inspira le goût du dessin.

Bientôt ce goût fut une passion dominante ; les marges de son cahier d’algèbre en donnèrent la preuve.

Petit à petit, la figurine, le paysage ou l’aquarelle, usurpant la place destinée au texte scientifique et gênant la marche des formules, finirent par se jeter étourdiment au milieu de la solution des problèmes.

Sulpice ne renonça pas toutefois à ses premières études. Il mena de front les mathématiques et le dessin.

Nous le retrouvons, à l’âge de dix-sept ans, au hameau de Gavarni, dans les Hautes-Pyrénées, où il accompagne le directeur du cadastre[2].

Ces messieurs arpentent les vallées et les montagnes.

Après avoir posé les jalons, tendu la chaîne d’arpenteur et aligné force chiffres, Sulpice crayonne les sites pittoresques d’alentour, puis revient, au coucher du soleil, montrer ses croquis dans le salon de quelque manoir du voisinage.

De jolies châtelaines les admirent.

On comble le dessinateur d’éloges, et ces dames veulent être croquées à leur tour.

Ce fut dans un de ces salons hospitaliers que se décida la vocation du jeune homme.

Regardant un journal de modes, publié par M. de Lamessangère, il se prit à rire du rococo scandaleux des costumes de carnaval, qui éternisaient le polichinelle et le pierrot.

— Essayez alors de dessiner d’autres costumes, lui dit une des châtelaines.

Sulpice prend son crayon, trace deux personnages, les habille de pied en cap, et chacun de se récrier sur la grâce et sur l’originalité de ses esquisses.

Il venait d’inventer le débardeur et le titi.

— Monsieur Chevalier, dit la châtelaine, permettez-moi d’envoyer ces dessins à mon journal.

— Très-volontiers, répond le jeune homme. C’est un joli début sur le chemin de la gloire !

Plaisantant et riant, il signe ses dessins Gavarni, du nom du hameau où le directeur du cadastre et lui ont fixé le centre de leurs opérations.

Certes, il ne se doutait guère que ce nom lui resterait par la force même de la publicité.

Fort peu de personnes ont jusqu’ici connu l’autre, et le Moniteur, sur sa liste officielle, n’a point écrit Chevalier, mais bien Gavarni, le jour où notre artiste reçut la croix de la Légion d’honneur.

Il ne fut décoré qu’en 1852.

Sept ou huit années auparavant, conduit par hasard dans le cabinet de M. Cavé, il reçut charmant accueil de l’autocrate des beaux-arts.

— Que pouvons-nous faire pour vous être agréable ? lui dit celui-ci. Voulez-vous la croix ?

— Très-volontiers, répond Gavarni ; cela va bien sur un habit noir.

— Alors, rédigez votre demande, là, sur mon bureau.

— Hein ? s’écrie le dessinateur.

— C’est une condition sine quâ non. Pour obtenir la croix, il faut la demander.

— En ce cas, je ne l’aurai jamais ! dit Gavarni, car je ne remplirai pas la condition.

Ceci, en passant, à la louange de ces messieurs qui ont obtenu la croix sous Louis-Philippe, — et revenons aux débuts de Gavarni.

Les dessins expédiés par la châtelaine à M. de Lamessangère obtiennent un succès prodigieux.

Quelques mois après, le jeune artiste est de retour dans la capitale[3], renonçant au cadastre et ne pouvant suffire aux demandes adressées à son crayon.

Gavarni n’a jamais eu à lutter contre les obstacles qui entravent l’artiste au début de sa carrière.

Salué tout d’abord par la vogue, il ne connut ni le tâtonnement ni le doute, et ses allures artistiques se développèrent sans gêne comme sans efforts dans le domaine de la fantaisie gracieuse.

Il dessina pendant cinq ans presque toutes les gravures de mode, presque tous les costumes de théâtre ; il était l’enfant gâté des actrices et la joie des directeurs, qui le comblaient de félicitations et de coupons de loges.

Notre héros est un de ces hommes privilégiés, dont la jeunesse n’a eu que de riantes perspectives.

S’il a trouvé plus tard, le long de la route, quelques épines, c’est pour avoir trop constamment marché sur des roses.

On est émerveillé d’apprendre que cet homme, dont l’œuvre est si colossale, ne travaille absolument qu’à ses heures de caprice, et, — chose bizarre, — s’il ne travaillait pas en se jouant, pour ainsi dire, et s’il prenait au sérieux son crayon, peut-être ne serait-il plus Gavarni.

M. de Girardin fonde la Mode. Il demande au jeune homme des croquis.

— Je ne vous payerai que médiocrement, lui dit-il ; mais, si vous lancez un jour quelque affaire, je vous promets un coup d’épaule.

— Malheureusement, répond Gavarni, je ne suis pas assez riche pour songer à la moindre spéculation.

— Bah ! riche ou pauvre, qu’importe ? Les affaires, c’est l’argent des autres !

Déjà très-observateur, le malin artiste prit en note cette jolie réponse et la plaça, huit ou dix ans plus tard, au bas de l’une de ses études de mœurs.

Émile ne lui a jamais pardonné cet excès de mémoire[4].

Gavarni, tout en restant le fournisseur attitré de la Mode, compose des sujets gracieux pour une foule de publications littéraires.

Il lui vient à l’idée de créer le Journal des gens du monde[5].

Mais il ne recourt pas à l’argent des autres et veut soutenir cette affaire avec ses propres ressources. Des frais immenses le ruinent ; les créanciers se fâchent, et le tribunal de commerce lui jette aux jambes des entraves dont il n’est pas encore pleinement dégagé.

— Pourquoi n’essayeriez-vous pas de la caricature ? lui dit l’imprimeur Caboche. Le Charivari vient de la remettre en vogue, travaillez au Charivari.

— Je n’ai pas le sens caricatural, répond notre héros.

— Eh ! faites ce qu’il vous plaira ! J’accepte tout d’avance.

Le lendemain, Gavarni apporte au journal le premier numéro de la Boîte aux lettres.

Son genre est trouvé.

Modeste de nature, il n’écrit pas d’abord la légende au bas de ses dessins. Philippon se charge de ce soin ; mais, comme ce dernier s’acquitte fort mal de la besogne, Gavarni lui retire sa confiance et marie l’esprit du texte à l’inspiration du crayon.

C’est l’époque du grand succès des Robert-Macaire.

— Une idée ! s’écrie un jour Caboche. Il y a évidemment application possible du même type aux femmes. Qu’en pensez-vous ?

— Je pense, répond l’artiste, que le beau sexe n’aura pas lieu d’être flatté de la peinture.

— Tant pis. Faites madame Robert-Macaire.

— Un instant, nettoyons l’idée ! Qu’est-ce que Robert-Macaire ? c’est la fourberie. Eh bien, je vous ferai la Fourberie des femmes en matière de sentiment.

Tout aussitôt une collection de ravissantes esquisses, pleines de finesse et d’observation, suivit ce nettoyage de l’idée de M. Caboche.

Le plus souvent Gavarni dessine au hasard, sans se rendre compte de la fantaisie qu’il jette sur le velin. Son croquis fait, il le regarde et se demande :

— Voyons, bons-hommes, que dites-vous là ?

Toujours les bons-hommes disent quelque chose. Gavarni prend la plume pour écrire leur dialogue, et sa lettre est constamment délicieuse.

En 1837, Dutacq arrive à la direction du Charivari.

Le journal ne comptait alors que huit cents abonnés. Dans les premiers mois de son administration, le nouveau directeur porte ce chiffre à trois mille.

Jaloux d’un tel succès, Philippon, l’ex-propriétaire, imagine de créer une concurrence.

Il fonde la Caricature provisoire.

À l’instant même, Dutacq oppose à cette feuille rivale une brusque résurrection du Figaro. Le concurrent s’avoue battu, et la Caricature provisoire tombe entre les mains de l’habile administrateur, qui rassemble ainsi trois journaux artistiques sous sa tutelle.

En aucun temps les dessins n’eurent une vogue plus brillante.

Gavarni et Daumier rivalisaient de verve. Alphonse Karr, Léon Gozlan, Louis Desnoyers, Eugène Guinot, fournissaient le texte, et l’auteur de la Peau de chagrin lui-même écrivit pour l’une de ces heureuses feuilles les Petites misères de la vie conjugale.

À cette époque, on trouvait éternellement Gavarni mêlé à la foule.

Il observait les physionomies, étudiait les mœurs, ne perdait pas un trait de caractère et saisissait au vol tous ses types.

Très-philosophe, et doué d’un jugement sûr, d’un tact parfait d’appréciation, il ne se passionne pas ; il voit les choses à nu, fait tomber le masque et déshabille l’hypocrisie.

Rien n’égale son aversion pour les bourgeois, pour les actrices, pour les lorettes surtout, que, dans son langage un peu trop accentué, il appelle des rosses infâmes.

Si nous donnions la liste complète de ses œuvres, série par série, ce volume ne suffirait pas à la tâche.

Le fécond artiste a tracé la silhouette entière de son siècle.

On a de lui plus de soixante mille dessins et plus de quatre ou cinq cents collections diverses. Cette œuvre énorme contient à peine dans une vaste chambre de sa maison.

Mettez une pierre lithographique à la place de chaque dessin, vous aurez de quoi bâtir un pont sur la Seine, à l’endroit où le fleuve a le plus de largeur.

Donc impossible d’examiner tout. Nous allons feuilleter à l’aventure.

Voici le Carnaval, une des collections les plus désopilantes[6].

Au pied de cette affiche monstre dont l’Opéra couvre les murs de Paris pour annoncer l’ouverture des bals masqués, deux messieurs s’arrêtent.

L’un dit à l’autre :

« — Viens y !…

« Viens, nous verrons danser les jeunes dromadaires
« Le soir, lorsque les bayadères,
« Près du puits du désert s’arrêtent fatiguées. »

Cette inversion dans les rimes du poëte est d’un esprit insolent.

Mais les portes de l’Opéra sont ouvertes. La foule des masques s’y précipite. Regardons passer devant nous, sur l’album, cet ouragan d’épisodes insensés que soulève la Folie d’un coup de sa marotte.

Une héroïne du bal rencontre dans les couloirs un bourgeois respectable, conduisant sous le bras un domino sérieux :

« — Ohé ! les amis, ohé ! crie-t-elle, il y a des épiciers qui amènent ici des femmes honnêtes… J’vas le dire au municipal ! »

Feuilletons encore.

Ceci représente un collégien audacieux qui trouve à son goût une superbe écaillère. Nous ignorons en quels termes il lui exprime son admiration ; mais la réponse de la dame est pittoresque :

« — Va dire à ta mère qu’a te mouche ! »

Plus loin, un titi robuste empoigne le bras d’un de ses amis, occupé à poursuivre une conquête aussi imprudente que téméraire :

« — Arrête, malheureux ! lui crie-t-il, c’est ma tante ! »

Nous ne pouvons reproduire ni le dramatique du geste, ni la figure du conquérant qu’on désabuse.

Et les intrigues, et les quiproquo, et les rencontres, et les désillusions, et les mille incidents burlesques de ces folles soirées.

Gavarni est un peintre de mœurs auquel rien n’échappe[7].

« — Ah ! je vous avais prévenu, monsieur, je suis laide et vieille ! » murmure, en se démasquant, une aimable sexagénaire, attablée vis-à-vis d’un jeune homme qui l’a priée à souper en tête à tête.

Jugez de la grimace du vainqueur !

Il n’est plus temps de se dédire ; le garçon apporte les huîtres.

Où sommes-nous ? Quel est ce réduit obscur, et quelle âme barbare ose y renfermer ces gentilles personnes en costume de débardeurs ?

« — Être fichues au violon comme des riens du tout ! deux femmes comme il faut… Vingt dieux ! »

D’autres scènes se passent chez le commissaire.

Un couple délinquant se voit sommé par le magistrat de répondre à une accusation de poses chorégraphiques suspectes.

Au fond les gendarmes gardent la porte.

« — Vous ignoriez, dit le commissaire, que cette danse fût défendue par l’autorité ! Cela n’est pas probable. Vos noms et prénoms ?

« — Benjamin Léger, employé aux Menus-Plaisirs.

« — Félicité Beaupertuis, rentière. »

Ouvrons un autre album. Voici les Petits malheurs du bonheur, les Maris vengés et les Fourberies de ces dames en matière de sentiment.

« Pour justifier sa présence chez la moitié d’un dentiste, ce pauvre Adolphe se fait arracher une dent par le mari. »

Ce n’est pas tout, hélas ! il lui arrive un désagrément plus grave : « Au petit jour, il a été pris pour un voleur, et il a reçu toute une charge de plombs dans les reins. »

Mais cela ne corrige point M. Adolphe.

Guéri de son coup de feu, et voulant, un autre jour, se soustraire à l’arrivée subite du maître du logis, notre Lovelace, éperdu, se fourre sous une ottomane, où bientôt il se livre à cet aparté plein d’amertume :

« — Être victime d’un mari qui abuse de votre position, se met à son aise, prend son temps, et vous écrase sous le poids de ses droits ! »

La scène est amusante, et la vindicte conjugale est satisfaite.

Passons aux fourberies de ce sexe qu’on nomme enchanteur.

« — On a pipé ici ? » grommèle monsieur, rentrant de la Bourse et flairant un parfum inusité.

« — Hein ? répond madame avec un air candide… Ah ! c’est moi qui ai voulu voir pour ma dent du fond… Ma foi, c’est bien des bêtises, ça ne fait rien ! »

Aux environs de Paris, un couple conjugal se promène sentimentalement.

« — Tu avais raison, dit l’époux, c’est plus joli par ici que par là-bas. (Apercevant un jeune fashionable qui s’avance, le nez et la badine en l’air.) Tiens ! monsieur Gustave !… Ah ! bien, on peut dire qu’en voilà une rencontre ! »

Pauvre homme !

Écoutons ce triste Coquardeau, confiant ses inquiétudes au médecin de la famille.

« — Eh ! docteur, vous vous trompez ! ça ne ferait que six mois, que diable !

« — Mon cher Coquardeau, la nature a des mystères qu’il n’est pas toujours donné à notre science d’approfondir. »

Il nous semble entendre se récrier ici les stupides Aristarques dont la plume haineuse cherche à nous trouver en défaut.

Ces honnêtes gens nous accusent de montrer de la sympathie pour Béranger, le chantre de la gaudriole ; il s’indignent des louanges accordées à Déjazet, prétendent que nous avons absous, avant le repentir, une piquante soubrette de la Comédie-Française, et déclarent que nous offensons la saine littérature et la saine morale en n’administrant pas assez de coups de verges à Paul de Kock.

— Voyez ! diront-ils, nous vous y prenons encore, et vous compulsez avec délice les albums grivois de Gavarni !

Le diable, se faisant ermite, ne pourrait afficher plus de rigorisme, ni se donner de plus hypocrites allures.

Tout beau, messieurs, tout beau !

Les personnages qui ont reçu nos éloges, qui les reçoivent ou qui les recevront, possèdent vos qualités absentes : sincérité de cœur, loyauté d’âme, franchise, esprit, verve, bonhomie, gaieté.

Ceux-là ne sont point les corrupteurs systématiques, les ambitieux, les fourbes, les apôtres de la ruine sociale. Ils tiennent en main la marotte peut-être, mais ils ne font usage ni de la hache ni du marteau.

Voilà pourquoi, messieurs, nous sommes indulgents pour eux.

Déjà nous l’avons dit, tout en nous déclarant chrétien, nous restons artistes.

Nous ne briserons ni les statues de Phidias ni les pinceaux d’Apelles ; nous ne vouons aux flammes ni les pages de Rabelais, ni les chansons de Béranger, ni le roman de Sœur Anne.

Avec Jésus dans le temple, nous trouvons qu’il est inutile de lapider les pécheresses, à moins qu’à l’instar de certain bas bleu de votre connaissance elles n’érigent leurs égarements en système, et qu’elles n’aient l’impudeur d’imposer le vice comme une loi.

Revenons à nos albums.

Gavarni est plus moraliste qu’on ne se l’imagine. Ses croquis renferment toujours un enseignement ou une critique.

La Vie de jeune homme, — Les Mères de famille, — les Impressions de ménage, — les Actrices, — Plaisirs champêtres, — Revers de médaille, — les Artistes, — Nuances du sentiment, — les Petits bonheurs, — l’Argent, — les Martyrs, — le Chemin de Toulon, — Monsieur Loyal, — Affiches illustrées, — les Gentilshommes bourgeois, — toutes ces collections fourmillent de judicieuses études de mœurs, et sont loin d’être l’abécédaire du dévergondage et de la débauche.

Nous avons dit qu’il est impossible d’en dresser une liste complète ; néanmoins voici les principales, outres celles que nous avons déjà citées et celles que nous citerons encore : Faits et gestes du propriétaire, — Politique des femmes, — le Jeu de dominos, — Alcibiade Criquet, — les Gens de lettres, — les Rêves, — les Phrases, — les Interjections, — la Correctionnelle, véritable Gazette des Tribunaux en action, renfermant cent dessins qui serviront plus tard à l’histoire de l’époque, — Un couplet de vaudeville ou la Semaine des amours, — les Bosses (phrénologie), — les Petits jeux de société, — l’Éloquence de la chair, — Physionomie des chanteurs et des musiciens, — les Huissiers, — Souvenirs du bal Chicard, etc., etc.

Dans cette dernière série, parmi nombre de types burlesques, on reconnaît, à ne pouvoir s’y méprendre, le fameux Donvé du Palais-Royal, chansonnier et bijoutier à ses heures perdues.

Gavarni lui a donné le nom de Floumann.

Dans cette liste incomplète des œuvres dues au crayon de l’habile dessinateur, il ne faut pas oublier les Scènes de la vie intime, qui ne se vendent point aux étalages ; — les Portraits contemporains et les Nuits de Paris, véritables merveilles lithographiques, éditées par MM. Bulla frères et Jouy, rue Tiquetonne.

Sous le dessin de Gavarni, comme sous la lettre, il y a toujours la leçon donnée au milieu de l’éclat de rire.

« — Ils ne m’ôterait seulement pas mon chapeau ! » s’écrie un piteux chapelier, rencontrant sur le boulevard certain dandy qui n’a pas encore payé son couvre-chef orgueilleusement immobile.

Deux messieurs, dans un salon bourgeois, se promènent bras dessus bras dessous. L’un murmure à l’oreille de l’autre :

« — Quand tu voudras être fichu à la porte de cette maison-ci, tu n’as qu’à dire à la mère que la fille est charmante. »

Une dame soupçonneuse accompagne sa bonne au marché.

« — Vous voyez, Françoise, ce panier de fraises qu’on vous a fait trois francs. J’en offre vingt sous, et la marchande m’appelle.

« — Oui, madame, elle vous appelle… morue ! »

Si nous ouvrons l’album des Impressions de ménage, nous y apercevons deux jeunes mariées en train de se confier leurs désenchantements.

« — Édouard, ma chère, qui m’avait tant juré qu’il ne fumerait jamais…

« — Il fume ?

« — Il chique !  ! »

Voulez-vous la conclusion de ce court dialogue ? Écoutez la portière en commérage avec une voisine.

« — Les hommes ! madame Hue… Quand ça veut une femme, c’est des sansonnets ; on en prend un, c’est un crapaud. »

Paris le matin et Paris le soir, — les Étudiants, — les Lorettes, — les Enfants terribles, — les Coulisses et Clichy ont porté la réputation de l’artiste à son comble.

Un lion de premier choix, ganté beurre frais et portant des bottes vernies irréprochables, entre, le matin, dans un affreux galetas. Il s’incline avec toute la politesse d’un homme bien élevé devant une mégère au costume indescriptible.

« — Madame de Saint-Aiglemont, madame, s’il vous plaît ?

« — C’est ici, monsieur. (Criant.) M’ame Chiffet !… on te demande. »

Paris le soir a des épisodes plus risqués.

Nous n’appuierons pas sur l’inconvenance de la demoiselle qui emprunte à Amanda son tire-bottes, ni sur l’ébahissement du naïf valet de chambre qui trouve une rosette au lacet, quand il est sûr d’avoir fait un nœud le matin.

Le bourgeois revenant du théâtre est plus naïf encore.

Sa femme et l’ami de la maison, chacun dans un fauteuil et à distance respectable l’un de l’autre, semblent parfaitement endormis à son retour.

« — Comme ils se sont amusés… avec leur sot roman !… Au lieu de venir avec moi à la Comédie-Française… Ils auraient vu Georges Dandin, les nigauds ! »

Nous sommes au quartier d’outre-Seine, et voici les Étudiants.

Comme il est impossible que cet examen des albums de Gavarni vous fatigue, achevez avec nous de les parcourir. Vous êtes en présence de ses meilleurs types.

Examinez ce jeune disciple de Cujas. Il ose tendre la jambe à sa compagne, en accompagnant le geste de ce pompeux discours :

« — Ô femme ! chef-d’œuvre de la création ! reine de l’humanité ! mère du genre humain… tire mes bottes ! »

Ces trois lignes renferment toute une satire à l’adresse de madame George Sand. Mais une autre scène nous réclame.

Le bâtiment que vous voyez en face est la Clinique. Une grisette poursuit un de ces messieurs jusqu’à la porte du sanctuaire de l’anatomie humaine.

« — Voilà six mois que vous me promettez un mantelet, dit-elle, ce n’est pas gentil !… Tu n’as pas le sou ! tu n’as pas le sou !… Vous aviez bien besoin d’acheter encore un cadavre ?… Égoïste, va ! »

Nous concevons que Gavarni fasse dire à l’étudiant prêt à s’en aller en vacances :

« — Adieu, je te laisse ma pipe et ma femme… Aie bien soin de ma pipe ! »

L’heure est venue de préparer ses malles. On devise avec un camarade en fermant le sac de nuit.

« — Cette année ?… j’ai culotté cinq pipes… sans compter les fioles que j’ai décoiffées, les carreaux que j’ai cassés et les municipaux que j’ai cognés !… Et tu verras que mon auguste père va dire encore que je n’ai rien fait ! »

Pendant les vacances, l’étudiant joue au petit saint, pour ne point compromettre son budget futur.

On le voit se promener gravement avec une vieille cousine dévote, dont il doit un jour palper l’héritage.

« — Et le dimanche, que fais-tu, mon garçon ?

« — Ma cousine, le dimanche, nous allons dans un jardin qu’on appelle la Grande-Chaumière, où nous entendons de la musique religieuse.

« — Après vêpres ?

« — Oui, ma cousine, après vêpres. »

La collection des Lorettes est interminable ; arrêtons-nous seulement à quelques esquisses rapides.

« Au 1er janvier prochain, écrit le monsieur, je payerai à l’ordre de mademoiselle Beaupertuis la somme de deux cent soixante-quinze francs, valeur reçue… » (En quoi ? en affection, en tendre intérêt, en dévouement ?)

« — Pas de bêtises, voyons ! dit la demoiselle, penchée sur le fauteuil : en marchandises. »

Une autre de ces dames, à demi ensevelie sous les coussins d’un divan, débite à un fils de famille cette harangue significative :

« — Et la bicoque de ton grand-père, puisqu’on t’en donne quarante mille francs, qu’est-ce que t’en fais ?… Je ne sais pas comment tu n’es pas honteux, un homme comme il faut, d’avoir une maison rue Bar-du-Bec. »

Il est tout simple, puisque monsieur paye, qu’il exige un peu de fidélité.

La lorette n’en reconnaît pas l’urgence.

« — Voyez-vous, mademoiselle, il se tient sur votre compte des propos qui commencent à m’ennuyer fort… et je suis décidé à vous prier de me chercher un successeur.

« — Mais vous en avez déjà deux, mon cher ! »

Passons aux Enfants terribles. C’est évidemment la série la plus spirituelle et la plus heureuse. Dialogues ou monologues, questions ou réponses, tout est vérité, tout est nature.

On dîne. Un petit bonhomme se lève, montre d’une main le poulet qu’on découpe, et, de l’autre, un convive placé en face de ses parents :

« — Mère, est-ce que c’est le crevé de ce matin que t’as dit que ce serait toujours assez bon pour lui ? »

Jugez de l’effet de ces paroles.

Pour ce qui précède comme pour ce qui va suivre, notre seul regret, vous devez le comprendre, est de ne pas vous mettre le dessin sous les yeux. Gavarni perd la moitié de votre admiration.

Nouvelles histoires.

La porte s’ouvre. Un personnage à l’air simple se présente, et l’enfant terrible l’aborde en disant :

« — Qui est-ce donc qui l’a inventée, la poudre, monsieur ?… que papa dit que ce n’est pas vous. »

Un séducteur en espérance demande à une très-jeune fille :

« — Petit amour, comment s’appelle madame votre maman ?

« — Maman n’est pas une dame, monsieur ; c’est une demoiselle. »

Et cette question faite à un noble vieillard affligé de strabisme : « — Est-ce vrai, monsieur le marquis, que vous êtes obligé de regarder en Bourgogne si la Champagne brûle ?… Comme ça doit vous ennuyer ! »

Nous n’en finirions pas, si nous voulions tout citer et tout peindre.

Les Coulisses nous offrent une quantité de détails aussi amusants. Prêtez l’oreille au dialogue de ces deux magnifiques personnes, l’une costumée en Diane et l’autre en Amour.

Diane. « — Tu ne sais pas, m’ame Alexandre, ma levrette a fait ses petits.

L’amour. « — C’te pauv’Zémire !

Diane. « — Oui, mais c’est tout caniches.

L’amour. « — Une levrette faire des caniches ! Ah bien, merci ! en v’là encore une de gueuse ! »

Plus loin, nous voyons un superbe Maure, quittant la scène et rapportant une odalisque entre ses bras.

« — Quoi ! jeune vierge du désert, lui dit-il, je te soustrais à d’infâmes ravisseurs, je protége tes jours, je te sauve l’honneur… et tu m’appelles cornichon ! »

Nous allons être indiscret ; mais pourquoi celer quelque chose quand on écrit l’histoire ?

Clichy et son épopée tragi-comique ont été crayonnés par Gavarni sur les lieux mêmes.

En vertu d’instances non périmées et relatives au Journal des gens du monde, certains bourgeois inflexibles s’obstinèrent à payer pension au dessinateur, comme, depuis, le grand Émile daigna faire pour nous[8].

On venait tous les soirs chercher les dessins du Charivari.

Altaroche était alors administrateur du journal. De temps à autre, il se permettait sur les croquis de l’artiste des observations aussi profondes que judicieuses.

Nous en donnerons un exemple.

Les pensionnaires de la prison pour dettes reprochaient à Gavarni de les représenter gobelottant du matin au soir, chantant, riant, faisant l’amour.

— En vérité, lui disaient-ils, cela n’excite pas l’intérêt en notre faveur. Composez quelques scènes plus sérieuses. Il y a ici d’honnêtes gens qui souffrent et qui sont victimes.

Sensible à ce reproche, Gavarni dessine un pauvre artisan, que sa jeune femme visite dans l’étroite cellule des prisonniers. Elle lui donne son enfant, qu’il embrasse ; puis elle dépose sur une table un livre, quelques effets et des provisions.

« — Tiens, mon ami, dit-elle, voilà ta pipe, ta casquette et ton Montaigne. »

Gavarni donne cette vignette au commissionnaire du journal, qui bientôt rapporte l’épreuve et dit :

— M. Altaroche trouve cela fort bien, mais il demande pourquoi vous appelez le petit garçon Montaigne ?

On voit que dans ce siècle d’instruction et d’intelligence, il suffit quelquefois d’en avoir une dose très-minime pour devenir rédacteur d’un journal en vogue[9] ; sans compter que cela vous aide à être élu capitaine de la garde nationale, député sous la République, à passer directeur de l’Odéon, puis des Folies-Nouvelles, et à remplir son boursicaut pour acheter de belles et bonnes terres dans ce doux pays du Cantal.

De 1834 à 1845 Gavarni eut une véritable existence d’artiste, échevelée, bruyante, pleine d’émotions et de folles joies.

Il fréquentait beaucoup le salon de madame Mélanie Waldor, muse égrillarde, qui trouvera place quelque jour dans notre galerie.

Le lecteur sait à quelles escapades profanes se livraient Gavarni, Texier, Gonzalès[10] et saint Veuillot, au sortir du cercle de cette dame.

On leur avait mis là le diable au corps.

Notre héros donnait lui-même, tous les huit jours, des soirées étourdissantes, où l’on rencontrait madame Coquardeau ( ce type a vécu !), Balzac, Henry Monnier, Old-Nick (Fourgues), Julien Lemer, Ourliac[11], Laurent Jan, Jules Sandeau, Chevallier[12], etc., etc.

Il y avait les soirées décentes, et celles… qui l’étaient moins.

Au bas de la formule d’invitation, si l’on voyait ces mots : Pas de dromadaires ! on savait à quoi s’en tenir. Chacun se présentait dans une tenue fort honnête, et avec la ferme résolution de montrer des mœurs irréprochables. On jouait aux jeux innocents, on faisait des charades.

La mère de Gavarni assistait aux soirées décentes. Elle demeurait, avec son fils, rue Fontaine-Saint-Georges, n° 1.

Notre héros était alors ce qu’il est aujourd’hui, c’est-à-dire un être passablement capricieux et fantasque, mais excellent cœur, ami sincère, plein de dévouement et d’obligeance.

Il fut un jour épouvanté par une nouvelle terrible.

Les gazettes annonçaient que le notaire Peytel venait d’assassiner sa femme et son domestique. Peytel avait été l’ami d’enfance de Gavarni.

— Oh ! c’est impossible, il n’est pas coupable ! se dit l’artiste.

Aussitôt il prend la poste et court à grandes guides au secours du malheureux que la justice accuse. Il fait partager sa conviction à Balzac, et Balzac l’accompagne dans ce voyage.

Six jours après, arrive à Paris la lettre suivante :

« À M. Dutacq, gérant du Siècle.

« Toutes les prévisions de ceux qui croient à la non-culpabilité de Peytel sont réalisées ; ainsi, mon voyage et celui de Gavarni contribueront sans doute à sauver la vie et à rendre l’honneur au pauvre condamné qui, sans nous, aurait péri par honneur[13]. Nous sommes forcés d’aller à Belley chercher quelques renseignements, et dans quelques heures nous partons pour Paris. Je suis en mesure de démontrer les erreurs commises par la justice et d’empêcher un de ces malheurs irréparables qui sont une flétrissure pour des époques éclairées, et, dans peu de temps, la presse pourra compter dans ses états de service une victoire de plus, en offrant au pays une vie exempte de blâme arrachée à l’échafaud. La famille Peytel vous devra beaucoup pour le concours que vous allez nous prêter, et nous aurons tous fait une bonne action.

« De Balzac. »

« P. S. Mon cher Dutacq, ce pauvre garçon n’est pas coupable, et il y a mal jugé. Nous triompherons. Gavarni, après notre entrevue avec Peytel, était fou de joie, et notre tâche ne sera pas aussi difficile que je le croyais. »

Hélas ! Balzac et Gavarni ne conservèrent pas longtemps leur illusion !

La cour d’assises maintint l’arrêt de mort, et Louis-Philippe refusa de signer la grâce, en dépit de toutes les preuves d’innocence qu’on lui fit passer sous les yeux.

Malheureusement les détails de cette affligeante erreur judiciaire ne s’écrivent pas. Gavarni seul peut les raconter.

Notre héros était en fort bons termes avec le duc d’Orléans ; il ne manquait pas une soirée du prince.

Puisque nous venons de citer une lettre de Balzac, en voici une de Gavarni, qu’on ne lira pas sans intérêt :

« Chère madame,

« On est, depuis hier, fort triste à Paris. La poste vous portera nos journaux avant ce billet. — Pauvre duc d’Orléans ! jeune, beau, heureux, et si peu haï pour un prince ! Et quelle mort !

« Voyez-vous ce que la fatalité a ces jours-ci de brutal, et comment la Providence nous prend les hommes cette année ! Au chemin de fer, Dumont d’Urville. — Faites donc deux fois le tour du monde ! — Et les autres !

« Vous savez le mot du vieux maréchal Soult : « Il paraît qu’on fait l’appel là-haut ! » Je pense que le pauvre prince a dû sourire à ce mot-là et le redire, — et il devait répondre à cet appel avant l’ancien !

« Je me souciais aussi peu de cette famille que de l’autre, que de la république, que de tout ce qui est de la politique ; mais j’aimais personnellement ce pauvre jeune homme. — Il avait été gracieux et excellent pour moi. — Je n’aime pas le roi, il m’a refusé la grâce de Peytel avec une sécheresse courtoise toute royale ; mais qui n’aurait pas pitié pourtant de ce père à ce chevet et derrière cette litière ? — Et la reine, une bonne mère, à ce qu’on dit !

« Enfin, c’est fini, — tout finit. — On y pensera deux jours ; — on parle déjà des conséquences politiques de l’événement. Il était vraiment temps que la politique eût quelque raison d’être ennuyeuse. — Et, à propos de cela, parlons un peu de cette science, comme on l’appelle, et de l’admirable nature de ses principes : voici trente-trois millions de personnes pour lesquelles l’avenir a été mis en danger, hier, par la mort d’un homme ! Cons-ti-tu-ti-on-nel-le-ment parlant. — C’est ingénieux !

« Vraiment l’absolutisme a enfanté bien des énormités, — presque autant que le républicanisme ; — mais le constitutionnel a dépassé les bornes de tout ce qui est imaginable dans le niais.

« En attendant que tout soit à feu et à sang, voilà ce pauvre homme mort, et je le regrette bien.

« Adieu, chère madame ; écrivez-moi, parlez-moi de vous et de notre Zaza.

« Voici un petit mot pour elle.

« Gavarni. »

On peut renouveler le mot d’Alfred de Musset sur Eugène Delacroix, et dire de notre héros : « Ce dessinateur a un joli bec de plume à son crayon. »

Curmer, pour sa Pléiade, demanda tout à la fois à Gavarni des esquisses et des nouvelles. L’auteur du Carnaval et des Enfants terribles écrivit une légende fantastique, appelée madame Acker[14].

À cette époque, il était fort bel homme.

Nous ne savons plus quel atelier de parfumerie s’avisa de choisir son portrait comme enseigne, après l’avoir calqué sur une étude prise aux Beaux-arts de Curmer. Bientôt le célèbre artiste eut l’agrément de se voir, à chaque étalage de parfumeur, collé aux pommades, aux savons et aux cosmétiques.

Tout en faisant les dessins du Charivari, de la Caricature et du Figaro[15], Gavarni se chargea d’illustrer les Contes d’Hoffmann, la Philosophie de la vie conjugale de Balzac et les Physiologies d’Aubert et de Philippon.

C’était une véritable locomotive artistique chauffée à toute vapeur.

Il livrait au commerce une infinité d’aquarelles, fournissait par an douze costumes nouveaux à la maison Martinet, composait dans les Français peints par eux-mêmes les types les plus réjouissants, et trouvait encore moyen de se mettre à la disposition d’Hetzel pour ce fameux Diable à Paris, dont chaque esquisse fut couverte d’or.

Excessivement généreux de sa nature, Hetzel ne comptait pas avec les artistes.

Gavarni le sait mieux que personne.

La plupart des dessins du Diable à Paris appartiennent à notre héros. Tout compte fait, il y a de lui, dans ce livre, cinq grandes séries[16] et deux cent cinquante gravures.

On affirme qu’il eut l’impardonnable audace d’enrichir la collection du portrait de quelques bas bleus dont il avait fait la rencontre dans le salon de madame Waldor. Au bas de ces portraits, on lit plusieurs légendes en vers assez piquantes.

Nous en citerons deux.

L’heure du repas approche. Une muse, trop pauvre pour avoir une cuisinière, dépose la plume et s’entoure les flancs d’un prosaïque tablier de ménage.

Laissant inachevé l’hymne qu’Amour inspire,
Il faut vers d’humbles soins ramener ses esprits.
Mettons aux petits pois l’oiseau cher à Cypris.
Voici l’heure où le gril va remplacer la lyre.

Vis-à-vis d’un monsieur qui absorbe gloutonnement une gibelotte, et dont la chevelure, longue et flottante, annonce un peintre, une seconde muse (elle a, Dieu nous pardonne, son encrier près de son assiette !) épanche son cœur en rêves amoureux et poétiques :

Une odeur de cuisine aux myrtes est mêlée,
Et suit jusqu’en ses vers la muse échevelée.
Combien, dans ces ébats tendres et pudibonds,
Le civet a de pleurs et l’amour a d’oignons !
De regrets bien amers illusion suivie !
Où cacher ta couronne, auguste poésie,
Quand la Réalité marchandera demain
Le portrait du galant et la peau du lapin ?

Au commencement de 1846, le dessinateur se maria.

Deux beaux garçons, issus de cet hymen, portent le nom d’artiste de leur père.

Afin de les mettre à même de signer un jour ce nom légalement, Gavarni le fit inscrire à l’état civil comme prénom.

L’employé de la mairie trouvait à cela de graves difficultés.

— Monsieur, dit-il, on ne peut donner aux enfants que des noms pris dans l’histoire ancienne ou dans l’histoire moderne.

— Justement, dit Gavarni, je vous donne un nom emprunté à l’histoire contemporaine.

Piqué par la mouche du caprice, notre héros fait un matin ses malles et se dirige sur Calais.

Il se jette en paquebot, traverse la Manche, débarque à Douvres, et, trois années durant, on ne le revoit plus.

Pendant cet intervalle, il se livre à des courses sans nombre et à une étude approfondie des mœurs britanniques. Le sac sur le dos, le bâton de touriste à la main, il arpente de long en large les trois royaumes[17] et se confie à un navire danois pour aller dans la mer du Nord visiter les Hébrides et la grotte de Fingal.

Pendant toute la durée de ce voyage, il envoya nombre de dessins en France, et quelques articles curieux, insérés dans les journaux avec cette rubrique : Points de vue sur l’Angleterre.

Un de ces factums, à la date du 30 septembre 1850, raconte l’enterrement de l’ex-roi Louis-Philippe, auquel Gavarni a eu l’honneur d’assister.

De retour en France à la fin de décembre, et riche d’observations nouvelles, il publie les Anglais chez eux, — les Bohèmes, — les Invalides du sentiment, — les Lorettes vieillies, — les Parents terribles, — Histoire de politiquer, — les Petits mordent, — la Foire aux amours, — les Propos de Thomas Vireloque, — les Partageuses, etc., etc.

C’est un déluge de croquis où l’artiste, devenu plus grave, plus philosophe, multiplie les enseignements et les études sérieuses.

La remarque s’applique surtout aux Propos de Thomas Vireloque et aux Lorettes vieillies.

Thomas Vireloque est une sorte de Diogène moderne, sans tonneau, mais plus déguenillé que l’ancien, et pour le moins aussi fort en cynisme.

« — Belle créature !… et pas de corset ! » dit-il, admirant dans les prés une vache superbe.

Ailleurs il s’écrie :

« — L’homme est le roi de la création !… Qui a dit cela ? L’homme. »

Penché sur une muraille en ruine, il aperçoit des marmots qui tiennent un rat par la queue et lui font subir des tortures.

« — Misère-et-corde ! dit le vieux cynique, faut pas chagriner ces petits mondes-là, des animaux comme nous autres… Ça se dévore entre soi ! »

Écoutez sa leçon d’histoire à une troupe de collégiens en promenade ; elle est aussi profonde que laconique :

« — L’histoire ancienne, mes agneaux, c’est mangeux et mangés. Blagueux et blagués, c’est la nouvelle. »

Debout contre un poteau du télégraphe électrique, Thomas Vireloque se livre au monologue suivant :

« — Y avait la parole, y a eu l’imprimerie… Misère-et-corde ! ne manquait plus que ce fil de fer du diable à la menterie humaine pour vous arriver de longueur aussi roide qu’un tonnerre ! »

Dans les Lorettes vieillies, le grand artiste donne la conclusion morale de ses premiers dessins.

Nous trouvons là des pages effrayantes et bien capables d’inspirer d’amères réflexions aux folles créatures lancées par le désordre sur la route semée de fleurs qui leur cache l’abîme.

Une de ces déesses vieillies, abominable de décrépitude et de laideur, dit, en regardant ses mains :

« — De la beauté du diable, voilà tout ce qui me reste… des griffes ! »

Une autre, en tête-à-tête avec une bouteille de trois-six, dernière consolation de ces dames, rêve tristement à son passé honteux.

« — J’ai pour moi qu’on peut dire que l’être choisi par mon cœur m’a fichu plus de coups que de satisfaction ! »

« — Les poëtes de mon temps m’ont couronné de roses, dit une troisième… et, ce matin, je n’ai pas ma goutte ! et pas de tabac pour mon pauvre nez !

Qu’est devenue leur opulence ? Où se sont engloutis les trésors que leur prodiguait la débauche ? Ils sont retournés au vice.

« — Ma petite maison, maman l’a mangée ; mon frère Zidor a joué mes chevaux, mes châles, mes bagues… et feu mon père a bu le reste. »

En voici une qui, de sa calèche, est tombée dans le ruisseau.

Le passant lui fait l’aumône, et la reconnaissance de la malheureuse lui dicte ces paroles, bien capables de donner le frisson :

« — Charitable monsieur, que Dieu préserve vos fils de mes filles ! »

Dans Histoire de politiquer, dans les Maris me font toujours rire, dans la Foire aux amours et dans les Partageuses, Gavarni retrouve la verve comique de ses anciennes collections.

Au poste de l’Hôtel de Ville, deux gardes nationaux épiciers règlent entre eux les affaires de l’Europe.

« — Giboyeux, dit l’un, vous ne vous méfiez pas assez de l’Angleterre.

« — Et la Prusse, dit l’autre, qu’en ferons-nous ? »

Un de ces maris trop calmes, dont la confiance, l’amour-propre et la sottise couvrent les yeux d’un triple bandeau, se promène en compagnie de son beau-père.

« — Ah çà ! mon gendre, vous ne craignez pas d’envoyer votre femme comme ça faire trois cents lieues en diligence ? »

Le mari répond :

« — Je connais le conducteur. »

Gavarni, dans la Foire aux amours, nous donne une reprise du Carnaval. Regardez cet affreux Pierrot causant avec un débardeur.

« — Moi, dit le Pierrot, je n’ai pas de chance : je n’ai fait qu’une fois une femme au bal masqué… et c’était la mienne ! »

Voici les Partageuses.

Une de ces galantes personnes, penchée avec grâce, considère son fournisseur en titre, — un museau fort laid, du reste, — et murmure :

« — Plus je te vois, et plus je l’aime ! »

Tournez le feuillet, notre donzelle est en conversation avec une de ses amies, qui lui donne ce machiavélique conseil :

« — À ta place, moi, je lui reprocherais tous mes torts, et ce serait fini ! »

Deux lions se promènent. Une femme passe.

« — Tu connais cette charmante personne ?

« — Parbleu ! c’est la femme de deux de mes amis ! »

Nous assistons maintenant à une scène de rupture. Le monsieur fait des reproches bien naturels en semblable circonstance, et la dame répond :

« — Vous ne m’avez jamais de la vie donné qu’un petit chien et un bouquet de dix sous. Eh bien, vous avez eu pour un chien dix sous d’amour ! »

Il est de fait que nous en passons, et des meilleures.

La série des Partageuses se complète, comme citations, par le propos de la bonne qui brosse les chaussures de madame et celles de monsieur :

« — Faut dire que ces bottines-là auront fréquenté pas mal de paires de bottes ! »

Gavarni donna presque tous ces dessins au journal Paris[18], feuille imprudente qui se fit suspendre, par excès de confiance dans la prose de M. Alphonse Karr.

Depuis la disparition de ce journal, notre héros, jeune encore, semble décidé à mener la vie de paresse.

Retiré à Auteuil dans une petite maison charmante, située au Point-du-jour, il s’occupe à bouleverser des quinconces, renverse des pans de mur, et passe avec les maçons des journées entières.

Duvelleroy eut toutes les peines imaginables à obtenir le dessin d’un éventail commandé par la reine Victoria.

Gavarni méprise l’argent.

Plus d’une fois on lui a dressé un pont d’or, sur lequel il n’a pas voulu passer, retenu qu’il était dans le domaine de ses originalités et de ses caprices[19].

Il vient de louer une partie de sa maison à un instituteur, afin que l’éducation de ses enfants puisse être faite sous ses yeux.

On assure qu’il a congédié sa cuisinière, et qu’il se rend au réfectoire, quand sonne la cloche, pour dîner en compagnie des élèves.

L’illustre dessinateur est sage et mange très-proprement.

Sa villa d’Auteuil a des jardins immenses. Il a trouvé convenable d’acheter la plupart des petites propriétés du voisinage. Le jour où il fit l’acquisition de ces terrains, il dut se rendre, pour signer l’acte, chez le notaire Leroux, rue de Grenelle.

— Gavarni !… Ah ! très-bien, je connais ce nom-là, dit l’officier public… Oui, oui !… C’est vous qui faites un tas de petites bêtises ?

Aimable appréciation de l’art, au point de vue bourgeois !

Cela dut flatter l’acquéreur.

L’opinion de M. Leroux contribua peut-être à augmenter, chez Gavarni, cette indifférence étrange qu’en tout temps on lui a connue pour ses œuvres.

On dirait que les grands artistes sont possédés d’un diable fantasque et mutin, qui se loge dans un coin de leur cervelle, tout exprès pour y susciter des rêves extravagants et les détourner, si faire se peut, de leur avenir.

Heureusement le bon sens public est là pour les fixer sur la ligne droite.

Ils regimbent, ils se démènent, toujours pressés par le diable ennemi. Si la peinture est dans la spécialité de leur talent, ils veulent aller du côté des lettres ; si la nature les fait écrivains, ils veulent être peintres, virtuoses, sculpteurs ; ils s’indignent de voir qu’on les admire précisément sous la face où ils se trouvent le moins dignes de louanges ; ils accusent de stupidité le public, qui leur amène la fortune à droite, quand, à les en croire, leur véritable mérite est à gauche.

Gavarni, dans tous les temps, a eu cette originalité singulière[20].

À l’époque de la fondation de l’Artiste, Ricourt lui écrivit : « Cher maître, je compte sur vous ; donnez-moi quelque chose, » et Gavarni se hâta de lui expédier sous enveloppe une pièce de vers.

En revanche, on sait que Victor Hugo, sur une invitation analogue, fit parvenir à Ricourt, au lieu de stances, un fort beau dessin.

Aujourd’hui ce n’est plus son talent de rimeur que notre héros préfère.

Il se croit un algébriste de premier ordre et s’occupe jour et nuit d’approfondir les sciences mathématiques[21]. Le résultat de ses études, assure-t-il, est la découverte, non de la pierre philosophale, mais d’un procédé sûr pour arriver à diriger les ballons.

Son beau talent de dessinateur, misère et fumée !

Nous l’avions dit au début de ce livre, il y croit à peine ; mais sa découverte aéronautique, peste ! N’essayez pas d’en mettre en doute la certitude. Fussiez-vous son ami le plus cher, il vous prendrait en grippe immédiatement[22].

Gavarni est superbe quand il démontre par a plus b cette fameuse théorie.

La craie en main, il couvre d’équations un tableau noir de deux mètres carrés. On se croit en présence d’un examinateur de l’École polytechnique.

Il cherche, depuis six ans, les deux millions nécessaires pour construire sa machine.

Dieu veuille qu’il les trouve !

Certes, la gloire d’Euclide et de Pascal ne nuira pas à sa gloire. Mais, jusqu’à nouvel ordre, bornons-nous à admirer le dessinateur, et non le mathématicien.

Le portrait de Gavarni peut se tracer en deux mots : c’est tout l’esprit français au bout d’un crayon.



FIN.


  1. Garvani est le neveu du peintre Thiémet, qui a fait des tableaux estimés sous la première République et sous le Directoire.
  2. Des personnes bien informées assurent qu’il était entré d’abord en apprentissage chez un mécanicien, et qu’il avait, à l’âge de quinze ans, fait de lui-même et sans secours un sextant de marine, avec les lunettes et les alidades.
  3. Il ne revint pas, dit-on, sans avoir franchi les Pyrénées et visité l’Espagne. Nous n’avons pu recueillir aucun détail sur ce voyage. Seulement, il paraît que le jeune homme, regagnant Paris et passant par Bordeaux, eut dans cette ville un duel, à propos d’une bouffée de cigarette lancée trop près du visage d’un monsieur qui n’aimait pas l’odeur du tabac.
  4. Lorsque notre héros dessina l’anecdote, Girardin le fit attaquer dans son journal et l’accusa, non-seulement de composer des croquis obscènes, mais aussi d’être républicain. Gavarni, dans une réponse très-spirituelle, trop longue pour être ici reproduite, battit la Presse à plate couture. Sa lettre commençait ainsi : « L’auteur des Débardeurs, Lorettes, etc., etc., prie M. Dujarrier d’avoir l’extrême obligeance de lui permettre un mot de réponse à l’entre-filet de la Presse de dimanche, ou, en cas de refus du susnommé, requiert, de par le roi, la loi et la justice, ledit sieur d’insérer, à bref délai, dans icelle feuille la réplique susdite, dont la teneur suit. » Gavarni prouve ensuite au grand Émile qu’il n’est pas obscène, et encore moins républicain.
  5. Cet ouvrage, entièrement illustré par Gavarni, ne se trouve plus aujourd’hui que dans les bibliothèques d’élite. M. Dutacq, que la mort vient d’enlever d’une façon si brusque, par ce temps de coups de foudre apoplectique, nous en avait montré un exemplaire. C’est un fort beau livre et dont les dessins ont une grande valeur.
  6. Une première série, publiée sous Caboche, est loin d’avoir le chic étourdissant qui distingue la seconde et toutes celles qui se sont succédé, pendant dix ans, sur le même sujet.
  7. Lorsqu’il allait au bal de l’Opéra (il n’en manquait pas un seul), il disait : « Je vais à la bibliothèque. »
  8. Gavarni fut arrêté d’une façon piquante. Les huissiers de Paris sont pleins de finesse. Notre artiste était au bal de l’Opéra. Un dandy fort distingué l’aborde, cause avec lui, fait des mots, se montre charmant et l’invite à souper après le bal. On mange gaiement, on boit du meilleur, et, de flacons en flacons, on gagne le jour. Le dandy regarde sa montre. « Prenons-nous un peu l’air ? fait-il sur un ton d’indifférence. — Oui, vraiment, dit l’artiste, j’en ai besoin. » Ils sortent. Deux gardes du commerce sont à l’entrée du restaurant. Le dandy, qui a payé l’addition, salue son convive et se nomme. C’était M. Fumet, huissier, place de la Bourse. Les gardes du commerce prièrent poliment Gavarni de les suivre.
  9. « — Eh ! qui fera le Carillon pendant votre absence ? » disait un jour l’imprimeur du Charivari à Albert Clerc. Celui-ci se disposait à faire un voyage. « Bon ! répondit-il, en moins d’une heure j’apprendrai la chose à Altaroche ; le premier venu peut s’en acquitter aussi bien que moi. C’est un truc. »
  10. Voir la biographie de ce dernier, pages 72 et suivantes.
  11. Ourliac était alors un garçon plein de verve et de pétulance. Ni lui ni sa femme n’avaient point encore été convertis par M. Veuillot.
  12. Ce personnage, aujourd’hui très-riche, était le factotum de Gavarni. Ses cheveux, d’un rouge ardent, l’avaient fait surnommer Flambeau-rouge. Depuis, Jules Sandeau l’a dépeint dans son roman du Docteur Herbeau, sous le nom de Flamborough.
  13. L’explication du drame et celle de l’innocence de Peytel se trouvent dans ces trois mots de Balzac.
  14. Le Salmigondis, collection en dix volumes in-8o, dans le genre du livre des Cent et un, renferme deux autres petits romans de Gavarni. Un éditeur, en ce moment, s’occupe de les réunir et d’en publier une seconde édition.
  15. Trois dessins par jour, à quarante francs le dessin. Gavarni dessine avec une rapidité merveilleuse, travaillant toujours debout et en fumant la cigarette. Il a un pouce couleur de bistre et complètement rôti.
  16. Oraisons funèbres, — Boudoirs et mansardes, — les Cabarets, — les Gens de Paris et les Gens de la banlieue. On retrouve là toute sa verve et tout son esprit. L’une des pochades les plus curieuses est celle de l’ouvrier trop ému, qui descend de la barrière avec son épouse. « — Que veux-tu, Zénobie ? Chacun sa misère ! Le lièvre a le taf ; le chien, la puce ; le loup, la faim… L’homme a la soif. » Zénobie répond : « — Et la femme a l’ivrogne ! »
  17. Il s’est représenté lui-même, voyageant dans les montagnes de l’Écosse avec un peintre de ses amis. Au bas de la vignette (voir la collection des Masques et visages) se trouve ce dialogue :

    « — Paul ?

    « — Hein ?

    « — Les milles d’Écosse, ça n’est pas gai !

    « — Ni l’Émile de Rousseau non plus. »

  18. La grande maison lithographique de M. Lemercier, rue de Seine, se chargeait du tirage des planches. On était obligé souvent de courir chez Gavarni, à cinq heures du soir, pour obtenir le croquis du lendemain. Il le crayonnait séance tenante, et en vingt minutes, devant M. Lemercier confondu. Celui-ci, rapportant un soir la planche, s’aperçoit que le dessinateur ne lui a pas donné la lettre. Le dessin représentait un lion braquant son binocle sur une promeneuse en toilette splendide. M. Lemercier retourne chez Gavarni de toute la vitesse de son cabriolet. « — Que faut-il écrire au bas ? lui demande-t-il. — Mon Dieu, ce que vous voudrez, répond l’artiste, la première chose venue : « Ma blanchisseuse ! »
  19. Il dessine un jour, gratuitement, un portrait fort remarquable de M. Torlot, caissier de la maison Lemercier. Un ami de celui-ci fait offrir mille francs à l’artiste pour avoir le sien. Gavarni refuse net.
  20. Lorsqu’on lui parle de ses délicieux albums, il s’écrie : « — Allons donc ! en dessin je n’ai fait qu’une chose un peu passable : c’est un éventail pour l’impératrice. »
  21. Il doit publier incessamment des cahiers de recherches sur la géométrie transcendante et sur le calcul intégral.
  22. Nous puisons ces curieux détails dans l’Illustration de 1850.