Gay-Lussac (Arago)/04

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Œuvres complètes de François Arago, secrétaire perpétuel de l’académie des sciencesGide3 (p. 17-29).
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LIAISON DE GAY-LUSSAC AVEC M. DE HUMBOLDT. — TRAVAIL SUR L’EUDIOMÉTRIE. — VOYAGE EN ITALIE ET EN ALLEMAGNE.


Pour peu qu’on soit au courant de l’histoire littéraire de la première moitié de ce siècle, on a entendu parler de la vive et profonde amitié que M. de Humboldt voua à Gay-Lussac, et de l’influence qu’elle exerça sur la carrière scientifique de l’habile chimiste ; mais on ne sait pas aussi bien comment elle naquit et se développa. Ceci mérite peut-être d’être raconté.

Avant de partir pour le mémorable voyage qui nous a fait connaître l’Amérique sous tant de rapports divers, M. de Humboldt s’y était préparé par des études assidues. L’une de ses recherches eut pour objet les moyens eudiométriques dont on faisait usage pour déterminer les principes constituants de l’air ; ce travail, exécuté à la hâte et par des procédés imparfaits, était quelque peu inexact ; Gay-Lussac s’en aperçut et releva l’erreur avec une vivacité que j’oserais blâmer si la jeunesse de l’auteur ne l’eût pas rendu excusable.

Je n’ai pas besoin de dire que Berthollet reçut M. de Humboldt à son retour avec la franche cordialité et la politesse de bon ton qui caractérisaient l’illustre chimiste, et dont le souvenir est gravé en traits ineffaçables dans l’esprit et dans le cœur de tous ceux qui eurent le bonheur de le connaître.

Un jour, M. de Humboldt aperçut parmi les personnes réunies dans le salon de la maison de campagne d’Arcueil, un jeune homme à la taille élevée et au maintien modeste, mais ferme. « C’est Gay-Lussac, lui dit-on, le physicien qui récemment n’a pas craint de s’élever dans l’atmosphère à la plus grande hauteur où les hommes soient parvenus, pour résoudre d’importantes questions scientifiques. — C’est, ajouta Humboldt dans un aparté, l’auteur de la critique acerbe de mon travail eudiométrique. » Mais bientôt, surmontant le sentiment d’éloignement que cette réflexion pouvait inspirer à un caractère ardent, il s’approche de Gay-Lussac, et après quelques paroles flatteuses sur son ascension, il lui tend la main et lui offre affectueusement son amitié : c’était, sous toute réserve, le soyons amis, Cinna ! de la tragédie, mais sans les réflexions blessantes qui, selon ce que rapporte Voltaire, firent dire au maréchal de La Feuillade, lorsqu’il venait de les entendre pour la première fois « Ah ! Auguste, comme tu me gâtes le soyons amis, Cinna ! » Tel fut le point de départ d’un attachement qui ne s’est jamais démenti et qui porta bientôt d’heureux fruits. Nous voyons, en effet, immédiatement après, les deux nouveaux amis exécuter en commun un travail eudiométrique important.

Ce travail, lu à l’Académie des sciences le 1er pluviôse an xiii, avait pour objet principal l’appréciation de l’exactitude à laquelle on peut arriver dans l’analyse de l’air avec l’eudiomètre de Volta ; mais les auteurs touchèrent en même temps à une foule de questions de chimie et de physique du globe sur lesquelles ils répandirent de vives lumières ou des conjectures très-ingénieuses. C’est dans ce Mémoire que se trouve la remarque qui depuis reçut, dans les mains de Gay-Lussac, des développements si importants, que l’oxygène et l’hydrogène, considérés en volumes, s’unissent pour former de l’eau, dans la proportion définie de 100 d’oxygène et de 200 d’hydrogène.

Nos annales scientifiques offrent un grand nombre de Mémoires publiés sous le nom de deux auteurs réunis. Ce genre d’association, beaucoup moins fréquent chez les étrangers, n’a pas été sans inconvénient. Si l’on excepte le cas fort rare, dont cependant je pourrais citer des exemples, où la part de chaque collaborateur a été nettement tracée, dans la rédaction commune, le public s’obstine à ne pas faire une part égale aux deux associés. Il casse souvent, au gré de ses caprices, les formules : Nous avons pensé, nous avons imaginé, en se fondant sur le prétexte assez plausible qu’une pensée n’a pas dû se présenter au même instant, à la même seconde, à l’esprit des deux associés. Il refuse à l’un d’eux toute initiative intellectuelle et réduit son rôle à l’exécution matérielle des expériences.

Ces inconvénients des publications en commun, presque inhérents à la nature humaine, disparaissent lorsque, par exception, l’un des associés se résout à ne pas laisser le public se livrer à des conjectures préconçues, souvent malicieuses, et se décide à répudier sans hésiter une part qui appartient à autrui. Il a été dans la destinée de Gay-Lussac de rencontrer un pareil collaborateur. Voici, en effet, ce que je lis dans une Note de M. de Humboldt « Insistons sur la remarque contenue dans ce Mémoire que 100 parties en volume d’oxygène exigent 200 parties de gaz hydrogène pour se saturer. Berzélius a déjà rappelé que ce phénomène est le germe de ce que plus tard on a découvert sur les proportions définies, mais le fait de la saturation complète est dû à la sagacité seule de Gay-Lussac. J’ai coopéré à cette partie des expériences, mais lui seul a entrevu l’importance du résultat pour la théorie. »

Une déclaration si franche, si loyale, n’étonnera personne de la part de l’illustre et vénérable académicien.

Nous reviendrons plus loin sur cette partie si remarquable des travaux de Gay-Lussac.

Gay-Lussac, répétiteur du cours de Fourcroy, obtint, par l’amitié et l’entremise de Berthollet, un congé d’un an afin de pouvoir accompagner M. de Humboldt dans un voyage d’Italie et d’Allemagne. Les deux amis s’étaient munis, avant de quitter Paris, d’instruments météorologiques et surtout d’appareils propres à déterminer l’inclinaison de l’aiguille magnétique et l’intensité de la force variable qui dirige les aiguilles aimantées sous différentes latitudes. Ils partirent de Paris le 12 mars 1805 ; ils mirent leurs instruments en expérience à Lyon, à Chambéry, à Saint-Jean de Maurienne, à Saint-Michel, à Lanslebourg et au Mont-Cenis, etc. Je reviendrai ailleurs sur les résultats magnétiques du voyage, à l’occasion d’un Mémoire de notre confrère inséré dans la collection de la Société d’Arcueil.

Gay-Lussac s’était nourri dans sa jeunesse des théories météorologiques de Deluc, et plusieurs d’entre elles l’avaient presque séduit, mais dans son passage des Alpes ses idées furent entièrement modifiées ; il sentit, par exemple, le besoin de recourir à l’action de courants ascendants atmosphériques pour expliquer un grand nombre de phénomènes curieux.

Rien n’éclaircit et n’étend plus les idées, quand il s’agit de phénomènes naturels, que les voyages à travers les montagnes, surtout quand on a le bonheur de jouir de la compagnie d’un observateur aussi éclairé, aussi ingénieux et aussi expérimenté que l’est M. de Humboldt.

Gay-Lussac et son illustre compagnon de voyage, après avoir visité Gênes, se rendirent à Rome ; ils y arrivèrent le 5 juillet 1805 et descendirent au palais Tommati alla Trinità di Monte, où demeurait Guillaume de Humboldt, chargé d’affaires de Prusse.

En compagnie de celui qui les a si éloquemment décrites, les grandes scènes de la nature offertes par les régions alpines ne pouvaient manquer d’avoir excité dans l’âme de Gay-Lussac un véritable enthousiasme. La vue des monuments immortels de l’architecture, de la peinture et de la sculpture dont Rome abonde, jointe aux entretiens savants des Rauch, des Thorwaldsen, etc., habitués du palais Tommati, développèrent chez le jeune voyageur le goût éclairé des beaux-arts, qui jusque-là était resté chez lui sans écho. Enfin il eut l’avantage d’admirer la fascination du talent, car madame de Staël tenait alors tous les salons de la ville éternelle sous le charme de ses conversations éloquentes et spirituelles.

Le séjour de Gay-Lussac à Rome ne fut pas sans fruit pour les connaissances chimiques. Grâce à la complaisance avec laquelle Morrichini mit un laboratoire de chimie à la disposition du jeune voyageur, il put annoncer, le 7 juillet, que l’acide fluorique existait à côté de l’acide phosphorique dans les arêtes des poissons. Le 9 juillet, il avait terminé l’analyse de la pierre d’alun de la Tolfa.

Le 15 juillet 1805, MM. de Humboldt et Gay-Lussac quittèrent Rome et prirent la route de Naples, en compagnie de M. Léopold de Buch, qui jeune encore s’était déjà fait connaître par des recherches géologiques pleines de mérite. Le Vésuve, assez tranquille à cette époque se livra brusquement à ses magnifiques et terribles évolutions (comme s’il eût voulu célébrer la bienvenue des trois observateurs illustres) éruptions de poussière, torrents de lave, phénomènes électriques, rien n’y manque.

Enfin Gay-Lussac eut le bonheur (l’expression n’est pas de moi, je l’emprunte à l’un des compagnons de voyage du savant chimiste), il eut le bonheur d’être témoin d’un des plus effrayants tremblements de terre que Naples eût jamais ressentis.

Gay-Lussac saisit avec empressement cette occasion de se mesurer avec le problème qui, depuis Empédocle, a défié la sagacité des observateurs.

Nous rendrons compte bientôt des résultats que notre ami recueillit dans les six ascensions du Vésuve qu’il fit presque coup sur coup.

Le temps que Gay-Lussac ne consacrait pas à l’étude du volcan enflammé, était employé à examiner les collections d’histoire naturelle et particulièrement d’éruptions volcaniques anciennes qui existent à Naples en très-grand nombre ; nos voyageurs eurent beaucoup à se louer des provenances et de la politesse exquise du duc de la Torre et du colonel Poli ; il n’en fut pas de même du docteur Thompson lorsqu’ils se présentèrent, accompagnés d’un savant napolitain, pour étudier son musée, il leur adressa ces paroles outrageantes : « Partagez-vous, Messieurs, je peux avoir les yeux sur deux, mais non pas sur quatre. » On est tenté de se demander dans quelle société de lazzaroni M. Thompson avait puisé cette bassesse de sentiments et ce cynisme de langage ; mais tout s’explique simplement lorsqu’on sait que Thompson était le médecin, l’ami, l’homme de confiance du général Acton, le promoteur des assassinats politiques qui souillèrent Naples à la fin du siècle dernier.

Dans ses voyages aux environs de Naples, par terre et par mer, M. Gay-Lussac rectifia des idées erronées, généralement adoptées alors. Il trouva, par exemple, que l’air contenu dans l’eau de mer renferme, au lieu de 21 parties d’oxygène, comme l’air ordinaire, au delà de 30 parties d’oxygène pour 100. Il visita avec M. de Buch le Monte-Nuovo et l’Epomeo. En voyant le Monte-Nuovo, Gay-Lussac se rangea entièrement à l’opinion que M. de Buch commençait déjà à répandre dans le monde savant, et suivant laquelle des montagnes peuvent sortir subitement de terre par voie de soulèvement. L’Epomeo se présenta à eux avec le caractère d’un volcan avorté sans feu ni fumée, ni cratère d’aucune sorte.

Après avoir terminé leurs travaux à Naples, nos voyageurs reprirent la route de Rome, où ils séjournèrent peu de temps.

Le 17 septembre 1805, MM. de Humboldt, de Buch et Gay-Lussae quittèrent Rome, pour se rendre à Florence ; ils prirent le chemin des montagnes, afin de visiter les bains célèbres de Nocera, auprès desquels les papes Clément XII et Benoît XIII firent construire de vrais palais, convenablement appropriés à tous les besoins des malades qui de juin à septembre répandent l’aisance dans ces contrées. Là, il se présenta un problème important. Morrichini avait trouvé, par l’analyse chimique, que l’air retiré de ces eaux devait renfermer 40 pour 100 d’oxygène, c’est-à-dire environ le double de la proportion du même gaz contenu dans l’air atmosphérique, ce qui paraissait incroyable. Gay-Lussac reconnut, en effet, que l’air retiré de l’eau des bains contenait 30 pour 100 d’oxygène, comme ordinairement toutes les eaux de source. L’effet salutaire des eaux devait donc être recherché ailleurs, car elles se trouvaient remarquablement pures, aucun réactif ne les troublait. Est-ce cette pureté qui les rend si efficaces ?

Dans les siècles mythologiques, les héros que les poètes grecs ont célébrés, parcouraient les contrées désertes pour y combattre les brigands et les bêtes féroces qu’elles abritaient ; nos voyageurs, comme on voit, semblaient à leur tour s’être donné la mission de détruire, chemin faisant, les erreurs et les préjugés, qui souvent ont fait plus de victimes que les monstres antiques exterminés par les Hercule, les Thésée, les Pirithoüs, etc.

Les trois savants arrivèrent à Florence le 22 septembre. Fabbroni, directeur des musées, les reçut avec la plus grande distinction. Il leur fit les honneurs des riches collections à la tête desquelles le gouvernement toscan l’avait placé, de manière à montrer combien était digne de la confiance dont il jouissait. Gay-Lussac se plaisait fort dans sa compagnie ; il admirait surtout le profond savoir et l’habileté que déployait Fabbroni quand il faisait ressortir le mérite des œuvres de Michel-Ange et des illustres peintres et sculpteurs, successeurs de ce grand homme. Il fut beaucoup moins charmé des paroles du savant directeur, lorsque lui ayant demandé la valeur de l’inclinaison de l’aiguille aimantée, Fabbroni répondit que les beaux instruments qui ornaient le cabinet de physique du grand-duc, n’avaient pas été mis en usage de peur d’en ternir le métal. Il ne goûta pas non plus les réunions où l’on voyait madame Fabbroni, célèbre par l’élégance et la beauté de ses poésies, placée au centre d’un cercle composé de ce que Florence renfermait de plus distingué, dirigeant successivement sur chaque point des traits d’esprit auxquels la personne interpellée était obligée de répondre immédiatement et de son mieux.

Ces habitudes théâtrales ont heureusement disparu chez nos voisins, pour faire place à des entretiens où chacun prend librement la part qui convient à sa position et même à sa timidité.

Dans le trajet de Florence à Bologne, où nos trois voyageurs arrivèrent le 28 septembre, ils s’arrêtèrent à Pietra-Mala pour y étudier les flammes perpétuelles déjà examinées antérieurement par Volta.

À Bologne, Gay-Lussac rendit visite au comte Zambeccari, qui avait perdu six doigts en se laissant glisser le long d’une corde, pour échapper à la catastrophe qui le menaçait, la montgolfière avec laquelle il s’était élevé dans les airs s’étant enflammée ; ses souffrances ne l’empêchèrent pas d’entretenir Gay-Lussac d’un projet qu’il avait formé, et qui devait plus tard lui coûter la vie, celui de s’élever de nouveau, mais cette fois avec un ballon rempli de gaz hydrogène qu’il échauffait plus ou moins avec un cercle de lampes à double courant d’air. On voit que l’infortuné voyageur aérien imaginait dans ses nouveaux projets de substituer des chances d’explosion aux chances d’incendie de sa première tentative.

Nos voyageurs s’arrêtèrent peu de temps à Bologne, dont l’université était alors singulièrement déchue de son antique réputation. Le professeur de chimie de cette université, M. Pellegrini Savigny, avait laissé dans l’esprit de Gay-Lussac un souvenir peu favorable ; notre confrère lui reprochait d’avoir dégradé la science, en insérant dans son Traité de chimie des moyens de son invention pour préparer de bons sorbets et de l’excellent bouillon pour tous les jours de l’année.

Notre ami ne se laissa-t-il pas aller à quelque exagération en rangeant les chapitres du traité de M. Pellegrini que je viens de citer, parmi ceux qu’un savant qui se respecte doit abandonner aux charlatans de profession ? J’oserai croire, malgré ma profonde déférence pour les opinions de Gay-Lussac, que celui qui parviendrait à réduire à des règles uniformes et précises la préparation de nos aliments, surtout de ceux qui sont destinés aux classes pauvres, résoudrait une importante question d’hygiène. Je me persuade qu’un jour la postérité manifestera quelque étonnement, en voyant qu’en plein xixe siècle, le régime alimentaire du plus grand nombre était abandonné à des empiriques des deux sexes, sans intelligence et sans instruction.

Byron rapporte dans ses Mémoires, que pendant le séjour de sir Humphry Davy à Ravenne, une dame du grand monde témoigna le désir que l’illustre chimiste lui procurât une pommade propre à noircir ses sourcils et à les faire pousser.

Je me serais associé sans réserve au dédain méprisant avec lequel notre jeune ami eût certainement reçu une telle proposition. Mais il y a bien loin, ce me semble, de la pommade de la grande dame à des formules conçues dans le dessein d’améliorer les aliments du plus grand nombre, et même ceux qui sont destinés à satisfaire la sensualité des riches.

MM. de Humboldt, de Buch et Gay-Lussac arrivèrent à Milan le 1er octobre. Volta était alors dans cette ville, mais ils eurent beaucoup de peine à le découvrir.

L’administration civile et militaire de Milan, qui n’aurait certainement pas hésité un instant si on lui eut demandé l’adresse d’un simple sous-lieutenant de pandours ou de croates, d’un fournisseur ou d’un personnage titré quelconque, n’avait pris aucun souci de Volta, de cet homme, la gloire de la Lombardie, dont le nom sera prononcé avec respect et admiration, lorsque le souffle du temps aura fait disparaître jusqu’au plus léger souvenir des générations ses contemporaines.

Détournons les regards de ces anomalies sociales dont il nous serait facile de citer mille exemples, et reprenons notre récit.

Nos trois jeunes voyageurs apprirent à Milan que le monde scientifique était en rumeur à l’occasion d’une prétendue découverte de M. Configliachi. Suivant le chimiste italien, l’eau eût été un composé d’acide muriatique et de soude, éléments que la pile séparait sans difficulté ; Volta, consulté par nos trois voyageurs sur le mérite de l’observation, répondit : J’ai vu l’expérience, mais je n’y crois pas ; c’est en ces termes que l’immortel physicien exprimait la réserve qui doit accueillir les faits extraordinaires semblables au prétendu phénomène sur lequel son élève Configliachi espérait arriver à une grande renommée. La remarque s’applique surtout aux faits aperçus avec ces instruments d’une extrême délicatesse que l’observateur influence par sa présence, par sa respiration et par les émanations de son corps. Le dicton voltaïque, je l’ai vu, mais je n’y crois pas, aurait pu être appliqué dans des occasions récentes ; il eût épargné à la science quelques pas rétrogrades et à certains auteurs un inqualifiable ridicule.

Les 14 et 15 octobre, nos trois voyageurs traversèrent le Saint-Gothard ; il ne fut pas donné à Gay-Lussac de jouir d’un spectacle dont il s’était promis beaucoup de plaisir et d’instruction. Un brouillard épais lui déroba pendant toute la journée la vue des objets les plus voisins. Gay-Lussac se dédommagea de ce contre-temps à Lucerne par une étude minutieuse du beau relief de la Suisse du général Pfiffer.

À Gœttingue, le 4 novembre, le grand naturaliste Blumenbach, alors plein de vie et d’activité, fit avec empressement les honneurs de l’université à notre jeune compatriote.

Le 16 du même mois, Gay-Lussac arriva à Berlin, où il séjourna tout l’hiver dans la maison de M. de Humboldt, affectueusement accueilli et apprécié par tout ce que la ville renfermait d’hommes distingués ; il vivait particulièrement dans la société de Klaproth, le chimiste, et d’Erman, le physicien.

Gay-Lussac quitta Berlin au printemps de 1806. Il se détermina à partir précipitamment, lorsqu’il apprit que la mort de Brisson laissait une place vacante à l’Institut, et qu’il pourrait être appelé à remplacer le vieux physicien.

En examinant aujourd’hui les travaux des contemporains de Gay-Lussac qui, en 1806, auraient été en mesure de lui disputer la place vacante à l’Académie des sciences, on pourrait être étonné que sa présence eût paru indispensable à la réussite de sa candidature ; mais c’est qu’on oublierait qu’à la fin du xviiie siècle et au commencement du xixe, on n’était un vrai physicien qu’à la condition de posséder une riche collection d’instruments bien polis, bien vernis, et rangés en ordre dans des armoires vitrées. Ce ne fut pas sans peine que Gay-Lussac, qui ne possédait, lui, que quelques instruments de recherche, parvint à surmonter de tels préjugés. Conservons ces souvenirs pour la consolation de ceux qui ont éprouvé ou qui éprouveraient à l’avenir des mécomptes dans les élections académiques.