Gay-Lussac (Arago)/05

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Œuvres complètes de François Arago, secrétaire perpétuel de l’académie des sciencesGide3 (p. 29-33).
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RECHERCHES DE GAY-LUSSAC SUR LES DILATATIONS.


Peu de temps avant que Gay-Lussac, devenu membre de l’Institut, commençât à appliquer son talent expérimental à l’étude des changements de la force élastique des gaz avec la température, à la formation et à la diffusion des vapeurs, le même champ de recherche était exploité en Angleterre par un homme également supérieur, Dalton, que l’Académie a compté parmi ses huit associés étrangers. Dalton, quoique son génie ne fut méconnu d’aucun de ses compatriotes, occupait, dans la petite ville de Dumphries, la position très-humble et très-peu lucrative de professeur particulier de mathématiques, et ne pouvait disposer dans ses expériences que d’instruments imparfaits. Il n’y aurait donc eu aucune inconvenance à soumettre ses résultats à des vérifications soigneuses. Mais Gay-Lussac ne connaissait pas les travaux de l’illustre physicien anglais, car il n’en fait aucune mention dans l’historique très-développé et très-instructif des expériences faites par des physiciens qui l’avaient précédé. Dalton avait trouvé que l’air se dilate de 0.392 dans l’intervalle compris entre 0 et 100° du thermomètre centigrade. Déjà antérieurement, comme je m’en suis assuré sur un document imprimé, Volta avait donné pour cette dilatation 0.38. Enfin, en 1807, Gay-Lussac trouva 0.375. Ce nombre a été généralement adopté jusqu’à ces derniers temps, et employé par tous les physiciens de l’Europe.

D’après les dernières déterminations de Rudberg, de MM. Magnus et Regnault, la valeur de la dilatation de l’air donnée par Gay-Lussac serait en erreur d’environ 1/36e ; notre confrère n’a jamais réclamé contre le nombre 0.3665 substitué par notre confrère, M. Regnault, au nombre 0.375 qu’il avait donné. Mais quelle pouvait être la cause réelle de cette différence ? Gay-Lussac ne s’est point expliqué publiquement sur ce désaccord. Ne prévoyant pas la catastrophe prématurée qui nous l’a enlevé, j’ai commis la faute de ne pas l’interroger directement à ce sujet. Il n’est pas cependant sans intérêt de rechercher comment un physicien aussi soigneux a pu se laisser induire en erreur.

Un professeur allemand, célèbre par l’importance de ses découvertes en acoustique, M. Chladni, vint à Paris il y a quelques années.

Sous l’impression des difficultés qu’il avait rencontrées dans tous ses travaux, il disait avec un ton pénétré et des gestes de dépit que personne n’aura oubliés, car par leur exagération ils touchaient presque au ridicule « Quand vous voulez soulever le plus petit coin du voile dont la nature s’enveloppe, elle répond invariablement non ! non ! non ! » Chladni aurait pu ajouter qu’au moment où elle paraît céder, elle entoure l’observateur d’embûches dans lesquelles les plus habiles tombent sans s’en douter. Quelles ont pu être dans les expériences de Volta, de Dalton, de Gay-Lussac, les causes d’erreurs dont ces physiciens illustres ne se seraient pas aperçus ? J’ai entendu dire que la goutte de mercure destinée à intercepter la communication du vase dans lequel l’air se dilatait et de l’atmosphère extérieure, laissant un peu de vide et ayant donné passage à une portion de l’air dilaté, ne s’était pas déplacée autant qu’elle l’aurait fait sans cela ; mais cette cause eût évidemment donné un coefficient trop faible, et c’est en sens contraire que pécherait, d’après les observations récentes, le nombre auquel Gay-Lussac s’arrêta. Il est bien plus probable que les parois intérieures du vase dans lequel le célèbre académicien opéra, ne furent pas suffisamment desséchées, que l’eau hygrométrique attachée au verre, aux basses températures, s’évapora lorsque l’appareil fut soumis à des températures élevées, qu’elle augmenta ainsi, sans qu’on eût aucun moyen de le reconnaître, le volume du fluide élastique sur lequel on croyait opérer. J’indique cette cause avec d’autant plus de confiance, qu’il est aujourd’hui constaté que les verres, selon leur composition et même selon leur degré de cuisson, sont diversement hygrométriques en sorte que le degré de chaleur qui amènerait à une dessiccation complète un de ces verres, serait insuffisant quand on opérerait dans un autre appareil. Gay-Lussac avait parfaitement compris l’effet que devait produire l’eau hygrométrique, et il attribuait à cette cause les erreurs de ses devanciers. Ainsi ce sera en suivant avec un peu plus de précaution la route tracée par notre ami, qu’on aura découvert ce 36e d’erreur qu’on lui attribue ; cette erreur ne pourra donc faire aucun tort réel à la juste, à la légitime réputation d’exactitude que ce savant physicien avait déjà conquise et que des travaux ultérieurs ont si amplement justifiée.

Lorsque Gay-Lussac s’occupait de la détermination numérique de la dilatation qu’éprouvent les fluides élastiques par la chaleur, nos plus habiles physiciens pensaient que le coefficient n’est pas le même pour divers gaz. Témoin cette phrase de Monge que j’emprunte à son Mémoire sur la composition de l’eau :

« Les fluides élastiques ne sont pas tous également dilatables par la chaleur ». Gay-Lussac trouva, dans les limites où ses expériences restèrent renfermées, que c’était là une erreur. Depuis lors on est revenu à la première opinion. À vrai dire elle est presque une conséquence du fait constaté par Davy et surtout par notre confrère M. Faraday, que les substances gazeuses sont liquéfiées sous des pressions accessibles et différentes pour chacune d’elles.