Germain de Montauzan - Les Aqueducs antiques/Chapitre 2 - §2

La bibliothèque libre.

§II. — Tracé de l’aqueduc du Mont-d’Or.

Le groupe compact de montagnes qui domine la rive droite de la Saône sur une quinzaine de kilomètres immédiatement en amont de Lyon et qui doit peut-être son nom de Mont-d’Or, soit aux rochers jaunâtres çà et là mis à nu sur ses flancs par des carrières depuis longtemps exploitées, soit à ses vertes prairies que le soleil fait miroiter de reflets scintillants[1], échelonne ses larges gradins autour de trois sommets : au nord, le mont Verdun, dont le front est tourné vers Trévoux et la plaine d’Anse ; en arrière, le mont Toux, qui forme le centre du massif et dans les contours duquel se creusent les sinuosités des principales vallées ; au sud, le mont Cindre, qui regarde la ville de Lyon[2]. Sur l’aqueduc qui amenait à Lyon l’eau de ces montagnes, Delorme[3] se contente de la mention que voici :

« Le Mont-d’Or fixa d’abord le premier dessein des Romains. Deux branches d’aqueducs embrassèrent tout ce groupe de montagnes et recueillirent les eaux, l’une depuis Poleymieu jusqu’à Saint-Didier, en passant sur les collines qui regardent la Saône, dans les paroisses de Curis, Albigny, Couzon, Saint-Romain, Collonges et Saint-Cyr ; et l’autre depuis Limonest jusqu’à Saint-Didier. Ces branches réunies formèrent une tige d’aqueducs qui passait à Ecully ; au Massut et à Saint-Irénée, où elle se terminait je ne sais en quel endroit ; mais il en subsiste encore un reste sous le carrefour du chemin de Francheville et de Tassin[4]. »

Fig. 1 — Section de l’aqueduc d’après Flacheron.
Flacheron[5] est plus explicite. Sans préciser exactement le parcours, il s’attache surtout à décrire la forme et les dimensions de la section du canal, ayant pu mesurer celui - ci en un point où il était coupé par un chemin qu’on venait d’ouvrir pour desservir une carrière, au-dessus du village de Couzon. Cette section est représentée ci-contre (fig. 1). M. Gabut[6] donne sur le parcours beaucoup plus de détails. Il signale les différents points où il a vu l’aqueduc à découvert, plus ou moins endommagé. donne la cote d’altitude de ces points, soit d’après des nivellements partiels antérieurs, soit d’après une carte avec courbes de niveau, et désigne les propriétés où ils se trouvent. J’ai suivi le même trajet depuis l’origine de l’aqueduc, et, outre ces points, j’en ai reconnu quelques autres. J’ai pu également déterminer plusieurs cotes d’altitude, par un nivellement rapporté à la plaque de la mairie de Saint-Didier-au-Mont-d’Or.

De Poleymieu à Curis. — L’origine de la conduite se trouve entre le mont Verdun et le mont Toux, à la fontaine dite précisément fontaine de Toux.

Fig. 2 — Réservoir de Toux.
Cette fontaine, située à la cote 350, et à 500 mètres de distance en amont de la partie basse du village de Poleymieu[7], jaillit d’un petit réservoir qui, malgré l’opinion de Flacheron, est, au moins en partie (car il a été restauré à une époque déjà ancienne), de construction romaine. La figure 2 en représente sommairement l’aspect et en donne les dimensions principales. Ce réservoir n’entoure pas la source, qui est captée à quelques mètres plus haut, dans un espace muré que surmonte une route, et qui communique avec le réservoir par un chenal étroit, difficilement accessible. Mais cette source elle-même n’est pas unique. D’après certains indices, on reconnaît, que des rigoles ou des drains de captage doivent la relier à une autre source située plus haut, à la cote 400 la source des Gambins. L’eau de la fontaine alimente un lavoir et en sort pour former le ruisseau du Toux. Elle s’échappe avec rapidité en une gerbe qui est bien, comme dit Flacheron, de la grosseur de la cuisse d’un homme et indique un débit de 10 à 20 litres par seconde[8].

De cet endroit même part un sentier à flanc de coteau, sensiblement de niveau pendant quelques centaines de mètres et qui marque la direction de l’aqueduc, depuis longtemps démoli aux abords du réservoir. Plus loin, certaines entailles dans le rocher, de distance en distance, aident à reconnaître la place de son passage. Mais le premier point où il ait laissé des vestiges distincts est à un kilomètre de l’origine, à peu près, au voisinage d’un chemin qui descend du hameau de La Roche, et atteint à l’endroit appelé La Blache la route de Poleymieu à Curis. Ces vestiges se réduisent à un massif de maçonnerie faisant, saillie au-dessus du sol, à une hauteur de 1m, 50 environ, mais dépouillé de son parement, à moitié enseveli sous une couche de terre végétale et une haie touffue dont les racines l’ont désagrégé. Ce massif supportait la cuvette de l’aqueduc, qui a été détruite. Sa longueur est d’une vingtaine de mètres ; il formait trait d’union entre deux travées souterraines, ou du moins en tranchée recouverte. Comme dans la plupart des aqueducs, aussi bien modernes qu’anciens, les constructions hors de terre sont en effet l’exception, et la canalisation est en sous-sol dans la plus grande partie de sa longueur.

Un peu au delà de La Blache, au bord et à droite de la route en descendant vers Curis, d’importantes carrières ont été ouvertes il y a peu de temps.
Fig. 3 — Profil de la section aux carrières de la Blache.
Leur exploitation a tranché le canal dont on voit, a 20 ou 25 mètres au-dessus du terre-plein de la carrière et à 1m, 50 au-dessous de son sommet, dans la muraille abrupte du rocher entaillé, se dessiner nettement la section et s’enfoncer le specus. En bas, parmi les quartiers de roches abattues, gisent de tous côtés des blocs de béton rougeâtre, de grands lambeaux de parois à la surface lisse avec ses reliefs et ses creux qui dessinent le profil géométrique de la section. Celle-ci (fig. 3) est à peu près conforme au dessin de Flacheron (v. fig. 1, p. 50), sauf qu’au lieu de trois dalles posées en encorbellement, il n’y en a qu’une seule reposant sur les deux piédroits à rebords évasés, et que ceux-ci ont 80 centimètres de hauteur, au lieu de 50 environ. Une couche de ciment de 25 millimètres, formée de chaux et de fragments de tuileaux de la grosseur d’un pois, recouverte elle-même d’une deuxième couche d’un à deux millimètres faite avec du tuileau pulvérisé et soigneusement polie à la surface, constitue le revêtement des parois latérales et du radier. Ce dernier est, en outre, renforcé en dessous par une couche de béton épaisse de 25 centimètres. Aux angles des piédroits et du radier, règne un bourrelet en ciment comme le reste du revêtement, destiné à garantir ces angles. Comme ici le canal est creusé dans la roche compacte, il n’y a pas d’enveloppe de maçonnerie. Dans le dessin de Flacheron, au contraire, autour de la coque intérieure, est une maçonnerie de petits matériaux assemblés au mortier de chaux et de sable et qui présente à la base et latéralement une épaisseur uniforme de 50 centimètres, le tout portant sur une espèce de pavage en pierres sèches de 20 centimètres de hauteur. J’ai d’ailleurs retrouvé ce mode de construction indiqué par Flacheron, dans d’autres endroits où la section est encore visible et où le terrain est de nature plus meuble.

De Curis à Saint-Romain-au-Mont-d’Or. — Après la traversée de ces carrières, l’aqueduc, suivant les contours de la montagne et s’élevant de plus en plus par rapport à la route qui descend vers la .Saône, passe au-dessus du village de Curis, dans les vignes au sommet du parc du château. Je l’ai reconnu un peu plus loin dans la tranchée d’un chemin qui conduit de Curis à Saint-Cyr-au-Mont-d’Or ; la section, entourée de maçonnerie cette fois, est fort endommagée, c’est-à-dire écrasée et remplie de terre : on ne voit que le radier et quelques lambeaux d’un des piédroits. Le tracé, ensuite, contourne le large bastion rocheux qui, dominant Albigny, fait saillie dans la vallée de la Saône et dans lequel ont fait brèche les immenses carrières dites de Couzon, côtoyées par la ligne du chemin de fer de Paris à Lyon. Dans le rentrant qui suit, l’aqueduc fait un assez long détour et revient au-dessus de Couzon. C’est là qu’est ce chemin dit à Ronchon, où Flacheron a vu la section si nettement. Aujourd’hui, c’est à peine si dans les éboulis du talus on peut distinguer quelques traces des revêtements à grains rouges de ciment romain. Par ce chemin, qui monte à pic dans le creux d’un vallon escarpé, on arrive, une cinquantaine de pas au delà du point de Flacheron, tout près d’un réservoir dont, cet auteur ne parle pas, analogue à celui de la fontaine de Toux, construit sur les restes d’un ouvrage de la même origine antique, et auquel aboutissent aussi de petites galeries de captage, fonctionnant à présent tant bien que mal, mais grâce auxquelles ce réservoir peut encore fournir de l’eau aux terres et aux fontaines de Couzon. Des galeries, détruites aujourd’hui, reliaient certainement ces captages et ce réservoir à l’aqueduc qui s’allonge à quelques mètres au-dessous et pour lequel ils avaient été disposés.

En continuant à suivre le niveau, on rencontre peu après le lit d’un torrent desséché. Etant descendu dans le ravin, j’y ai reconnu, dans un amas de pierres de toutes dimensions, un bloc de béton romain, d’authenticité assurée, large de 20 centimètres, long de 40, épais de 15, à côté de plusieurs autres fragments plus petits de même nature : débris évidents de l’aqueduc, qui devait être supporté, au-dessus de ce vallonnement, par une petite arche depuis longtemps effondrée.

Après un contour le long d’un saillant, l’aqueduc passe dans la vallée dont l’issue est à Saint-Romain-au-Mont-d’Or. Cette vallée de Saint-Romain porte aussi le nom de vallée d’Arche, dénomination caractéristique due sans conteste aux constructions apparentes qui subsistaient jadis de l’œuvre romaine. La chose est d’autant plus certaine qu’une autre vallée voisine, dont il va être question tout à l’heure, porte aussi le même nom ; nous trouverons de même sur le parcours de l’aqueduc du Gier le ruisseau des Arcs et le ruisseau d’Arche. Vers le fond de cette première vallée d’Arche, sur Saint-Romain, l’aqueduc du Mont-d’Or est coupé par la route qui va de Saint-Romain à Limonest par le col du mont Verdun. Une petite carrière a été ouverte dans le talus de ce chemin, à la cote 312 ; elle a, comme celle de La Blache, entamé la conduite, dont plusieurs blocs énormes sont encore là, épars, laissant voir la forme de la section, qui ne diffère du profil décrit plus haut que par la substitution de pans coupés aux bourrelets d’angles ; dans la terre, on aperçoit la gaine de maçonnerie qui n’existait pas à La Blache ; le renseignement de Flacheron se trouve donc confirmé.

Un peu plus loin, en se rapprochant encore du fond de la vallée, dans le jardin d’un restaurant champêtre, on voit, sur une longueur de quelques mètres, le canal ouvert, encastré dans le talus d’une allée ; la couverture et un des piédroits ayant été arrachés, on croirait voir un banc à dossier, solidement construit, en ciment ; le massif de maçonnerie qui le supporte complète l’illusion.

Réservoirs de Saint-Romain. — On est ici tout proche d’un des points les plus intéressants du parcours. L’aqueduc passe d’un côté à l’autre de la vallée ; il ne reste pas de vestige de la petite arche sur laquelle il devait franchir le thalweg, pas plus que de la canalisation souterraine dans le voisinage. Mais, immédiatement après l’arche, si l’ouvrage avait été conservé, on verrait la jonction de la conduite et d’un chenal qui, par l’intermédiaire de deux réservoirs tout proches, lui amenait les eaux des pentes environnantes. Ces deux réservoirs, à la suite et en contre-bas l’un de l’autre, à peine distants d’une trentaine de mètres, le plus bas étant à quelque trente mètres aussi de l’endroit où devait passer le canal, existent encore et appartiennent à un grand propriétaire de Saint-Romain[9] qui les utilise pour l’irrigation de ses domaines, cédant même à la commune une partie des eaux qu’ils recueillent. Je me borne ici à les indiquer, ayant à y revenir plus loin, au chapitre où il sera spécialement traité des prises d’eau.

De Saint-Romain à Saint-Didier. — Indiquons en fait d’autres traces : au-dessus de Saint-Romain, dans un fourré en contrebas d’une carrière, une cavité, d’accès difficile, au milieu des ronces, au fond de laquelle on peut, en passant le bras par un trou, toucher les deux parois du canal, et sonder sa profondeur ; puis, un peu avant d’arriver à Collonges-le-Haut, après la sortie de la vallée de Saint-Romain, sur le chemin du Poizat[10], des morceaux de ciment et de béton, pris au radier et aux piédroits de l’aqueduc que ce chemin a dû couper, et utilisés pour la construction d’une murette de bordure. À cet endroit, l’aqueduc se trouvait à peu près à la cote 300. À Nervieux, au-dessous de la nouvelle église de Saint-Cyr-au-Mont-d’Or, il passe vers la maison Mayet, puis dans la terre Bernard-Michaud, et près du portail de la propriété Debombourg, à la cote 290; il coupe, au lieu dit les

Fig. 4. — Section de l’aqueduc à Saint-Cyr (d’après M. Gabut).

Auges, la propriété Liandras (section C, parcelle no 934 du cadastre de Saint-Cyr); aux Cures, il existe dans la vigne de M. Rollet (section C, no 974), où il mesure exactement les dimensions indiquées par M. Gabut (fig. 4). Il passe alors sur l’autre versant de la colline de Saint-Cyr, en contournant par conséquent le mont Cindre qui la surmonte, et il se retrouve dans la vallée du ruisseau le Pomet, au-dessous du cimetière, dans la vigne Buathier (section C, no 1076), puis au hameau de Chatanay, où son radier sert de support au mur de la vigne Guillen, le long du chemin no 26, cote 289, sur la rive droite du Pomet. On le voit encore, de l’autre côté de la vallée, dans le bas du hameau Le Montellier, à mi-coteau, où il traverse la propriété Beaujolin (section C, no 1147). Puis c’est un nouveau contour en saillant pour passer de la vallée du Pomet dans la deuxième vallée d’Arche, sur la commune de Saint-Didier; il traversait cette vallée au-dessous de Saint-Fortunat.

La destination de l’aqueduc du Mont-d’Or. — Cette région a donné lieu à beaucoup d’incertitudes et d’hésitations, à cause des niveaux où l’on a découvert des tronçons de la conduite. C’est que l’on parlait d’une idée préconçue, énoncée d’abord sommairement par Delorme à la suite de ses premières recherches, puis péremptoirement affirmée par Flacheron : à savoir que l’aqueduc du Mont-d’Or aboutissait au réservoir du Massut (ou des Massues)[11], c’est-à-dire à une construction qui n’est autre que la tête aval d’un siphon. Ce réservoir, qui est situé au bord du versant ouest de la colline de Saint-Irénée, séparé des hauteurs d’Ecully par le vallon de Grange-Blanche[12], est à la cote d’altitude 283. Dans l’hypothèse susdite, qui reliait ce réservoir à l’aqueduc du Mont-d’Or, il était évident que celui-ci ne pouvait se trouver en aucun point de son parcours à un niveau inférieur à 287, ou même 290 et plus, en raison de la distance et de la perle de charge au siphon. De là grande surprise à la découverte des cotes signalées tout à l’heure, et d’autres encore plus basses, 285, 282, etc., à mesure que l’on avançait. Une théorie prit naissance, d’après laquelle l’aqueduc du Mont-d’Or, au lieu d’amener l’eau à la ville même de Lyon, l’aurait d’abord çà et là distribuée sur son parcours à partir de Saint-Cyr-au-Mont-d’Or, et l’aurait, en dernier lieu, fait aboutir à un groupe de vastes et somptueuses villas que, pour les besoins de la cause, on a imaginées, sans aucun document à l’appui, à partir du hameau de la Sauvegarde, à Ecully, Tassin et la Demi-Lune. M. Gabut s’est fait le propagateur et le champion obstiné de cette opinion. Je ne la crois pas soutenable. Et d’abord, pour revenir sur des choses déjà dites[13], comment expliquer que les eaux du Mont-d’Or aient été négligées des colons romains au premier siècle de la cité, du moment qu’elles étaient les plus rapprochées, en même temps que les plus faciles à capter et à conduire ? Voulait-on, en vertu d’une prévision divinatoire, les réserver au luxe des villas de l’avenir, ou trouvait-on vraiment plus pratique, pour gagner quelques mètres de hauteur, d’aller quérir à grands frais et au prix de bien plus longs efforts, des eaux beaucoup plus lointaines ? Mais surtout, je le répète, qu’est-ce que cette agglomération de villas, dont aucun auteur ne fait mention, dont la campagne ne conserve aucune trace, et dont les habitants auraient créé pour leur usage à peu près exclusif un ouvrage hydraulique de plusieurs lieues de parcours, ce dont nous n’avons pas d’exemple, même pour les plus riches des villas autour de Rome, qui achetaient l’eau des aqueducs communs ?

Ensuite, il y a des preuves positives pour démontrer que l’aqueduc est bien venu dans la ville sur la colline. Un siphon lui faisait effectivement franchir le vallon de Grange-Blanche; mais ce siphon n’était pas soutenu par le pont dont on voit encore les restes au-dessous de la gare actuelle d’Ecully-la-Demi-Lune, et qui appartenait, comme nous le verrons, à l’aqueduc de la Brévenne. C’est en aval, à une centaine de mètres après le confluent du ruisseau des Planches avec le ruisseau de Chalins, que se trouvait le pont-siphon de l’aqueduc du Mont-d’Or. On y voyait, encore, il y a une quarantaine d’années, selon des témoignages dignes de foi, les restes de quelques piles. Les recherches de Delorme, postérieures au mémoire que nous possédons, lui avaient fait découvrir l’existence de ce pont-siphon, car il est indiqué à cette place même sur la carte d’Artaud, qui ne fait que reproduire, comme on sait, un original de Delorme. Aujourd’hui, les vestiges ont disparu, et, pas plus que M. Gabut, je n’ai pu les découvrir. Ce n’est point une raison pour récuser un témoignage tel que celui d’un auteur gravant sur un plan une récusation de son opinion première, témoignage confirmé par une tradition connue avant la découverte de la carte[14]. Les tuyaux de ce siphon remontaient donc sur le plateau de Champvert, en face ; le réservoir de fuite, non retrouvé, devait y exister au niveau voulu. La conduite libre reprenait alors, contournait probablement au nord la colline de Fourvière, et aboutissait, soit à un château d’eau de distribution, soit à des citernes réservoirs. Cette question sera examinée plus loin.

De Saint-Didier à la Sauvegarde. — Reprenons donc l’aqueduc où nous l’avons laissé, c’est-à-dire dans le second vallon d’Arche, au-dessous de Saint-Didier. Les vestiges découverts deviennent, à partir de là, beaucoup plus rares. Je n’en ai retrouvé vers Saint- Didier qu’un seul, au Voisinage du hameau Le Collin, sur la rive droite de la vallée, et j’en ai déterminé la cote d’altitude, qui est 283, en concordance parfaite avec celle qu’indiquait approximativement M. Gabut pour le même point sans doute, soit de 282 à 285.

Ce second vallon d’Arche est, comme le premier, riche en sources, que l’on aurait captées de la même façon que plus haut. MM. Faisan et Locard[15] en indiquent une, à la cote 300, où ils ont trouvé, paraît-il, les traces d’une prise d’eau d’origine romaine. M. Gabut en indique une autre, dite source des Vignes, plus élevée, à la cote 350, où l’on peut reconnaître également les marques d’un travail romain. Enfin il y aurait d’anciens captages, plus haut encore, au-dessus de 400 mètres d’altitude. Sans l’avoir vérifié, je crois cela volontiers, puisque j’ai pu constater des dispositifs de ce genre sur le Versant au-dessus de Saint-Romain.

Après le vallon d’Arche, l’aqueduc s’engage dans la plaine de Crécy, entre Saint-Didier et Saint-Rambert. Là, dans l’angle formé par le chemin communal no 2 venant de Champagne et le chemin, d’intérêt commun no 23, à l’est de ce dernier, à 160 mètres environ au nord du chemin no 2, on a découvert le specus en minant le terrain. Le canal passait ensuite au hameau de la Chevrotière, et arrivait au bord d’une vallée étroite, mais assez profondément encaissée, où coule le ruisseau de Limonest. Dans le fond de cette vallée, contre le mur de clôture de la propriété Cazenove, que longe le chemin de Roche-Cardon, subsiste encore le massif de fondation d’une pile d’un pont-aqueduc sur lequel la conduite franchissait la vallée, et que M. Gabut désigne sous le nom de pont de Cotte-Chally. Sur la rive droite en face, dans la propriété de M. Vincent (section E, parcelles 23 et 24 du plan cadastral de Saint-Didier), on peut encore reconnaître, au ras du sol, quelques autres traces de piles.

On s’est demandé si ce pont supportait un siphon, ou si l’eau y passait à libre canalisation, en maintenant son niveau. Cette dernière opinion est celle qu’adopte M. Gabut, qui se fonde sur les raisons suivantes : « Dans la plaine de Crécy, le radier du canal est à la cote 282 environ ; à Chevrotière, il était sans doute un peu plus bas, et, de l’autre côté du ravin, dans la plaine, entre Bidon et Champagne, le radier est à la cote 280 ; le siphon aurait, donc fonctionné sous une charge bien peu considérable. De plus, dans la propriété de M. Vincent, les vestiges de piles sont visibles jusqu’à la cote 260, 265, environ, soit jusqu’à 20 ou 25 mètres au-dessus du ruisseau qui coule dans le ravin. Le ruisseau peut être compté comme étant à l’altitude 240-242. Le radier du canal, au Bidon, est à 280 ; le pont aurait donc eu environ 40 mètres de hauteur, du lit du ruisseau jusqu’au radier du canal sur le pont-aqueduc. La longueur du pont, entre la cote 282 vers la Chevrotière, et la cote 280 vers Bidon, aurait été de 500 mètres environ, soit à la couverte sur le pont-aqueduc. L’édifice aurait donc eu au moins deux et même trois rangs d’arches superposées. Ce qui nous porte à croire à un pont-aqueduc prolongeant la ligne d’écoulement de l’eau plutôt qu’à un pont à siphons, c’est que dans la propriété Vincent on voit les vestiges de piles, étages sur le flanc du ravin, depuis le ruisseau, cote 242, jusqu’à la cote 265 environ. À ce dernier point existait véritablement une pile, et non un rampant ou un massif ; il y avait donc au-dessus de la pile une voûte, et sur cette voûte un canal[16]. »

Ces raisons ne paraissent pas décisives. Une dénivellation de deux mètres seulement, pour un siphon de faible longueur et de profondeur réduite, est parfaitement admissible, d’autant plus que dans l’hypothèse d’un siphon, le pont qui soutenait celui-ci devait être assez haut : d’abord parce qu’il fallait éviter un coude brusque, et ensuite parce que les vestiges de piles peuvent en témoigner. Toutefois, ces vestiges ne sont pas assez nets pour permettre de les regarder tous comme des restes de piles plutôt que comme des traces de substructions ayant soutenu les tuyaux de distance en distance, ou des ruines de massifs entre des arcs rampants. Enfin, à défaut de preuves certaines, on n’ose guère se porter garant de la réalité d’un ouvrage immense de 500 mètres de longueur, avec 40 mètres de haut et trois rangs d’arcades superposées, dépassant le Pont-du-Gard[17] en hardiesse et en grandeur, quand de cet ouvrage il reste si peu de chose, et quand il s’agit d’un aqueduc dont le système de construction ailleurs apparaît plutôt modeste.

Quoi qu’il en soit de l’hypothèse à adopter au sujet de ce pont, et qu’il ait été pont-aqueduc simple ou pont-siphon, convenons seulement que l’aqueduc du Mont-d’Or, à considérer ce reste et tous les autres, a dû se construire de façon beaucoup plus hâtive que celui de la Brévenne, ou celui du Gier surtout : de là, beaucoup moins de solidité, dans les ouvrages d’art, et disparition plus complète des ruines. Le pont de Beaunant dresse encore majestueusement ses piliers couronnés d’arcades, tandis que le pont-siphon du premier aqueduc, sur le ruisseau des Planches, est totalement anéanti, et qu’on peut à peine distinguer parmi les ronces quelques racines élimées de la rangée de Cotte-Chally.

Quand on est parvenu au hameau de Bidon, de l’autre côté de la vallée, on peut savoir où se dirige l’aqueduc, en prenant des informations auprès des propriétaires de l’endroit qui ont eu l’occasion de le voir à découvert. Dans la vigne de M. Vincent, il a été trouvé à 60 ou 80 centimètres seulement au-dessous de la surface du sol ; sa profondeur, sous les dalles qui le recouvrent, serait de 0m, 60, et la cote de niveau du radier d’après cela, 280, à quelques centimètres près. De l’autre côté de la route nationale no 6, de Lyon à Villefranche, on le signale entre le village de Champagne et la limite ouest de la commune de Saint-Didier, dans la propriété Serviant (section E, lieu dit Gorges, no 462 du cadastre). Il passe ensuite un peu au-dessous et à l’ouest du fort de la Duchère, et s’engage dans la commune d’Ecully, où il a été découvert dans la propriété Caron, au lieu dit Tartre (section E, parcelles nos 412 à 415 du cadastre). C’est un peu en amont du hameau de la Sauvegarde, et le radier y serait à peu près à la cote d’altitude 270.

Flacheron n’a pas connu le véritable parcours de l’aqueduc à partir de Saint-Cyr. Il est vrai que même avant ce dernier village il n’avait apparemment déterminé le parcours que par conjecture ; et il commet une erreur manifeste en le faisant arriver au voisinage de Limonest. Delorme parlait lui aussi de Limonest, mais il croyait à l’existence d’une seconde branche, partie des hauteurs de ce village, sur le flanc du mont Verdun, et venant se joindre à la principale vers le point où nous en sommes. Avait-il entendu parler de cette branche d’aqueduc par les habitants du pays ? Flacheron a-t-il recueilli la même tradition de l’existence d’un aqueduc sur ces hauteurs ? Je ne sais. Mais personne à présent ne peut le montrer, ni rapporter aucun témoignage à son sujet. Delorme lui-même ne l’avait assurément pas vu, car sur la carte d’Artaud ne figure pas la branche de Limonest. Il a dû s’apercevoir qu’il s’agissait d’un on-dit sans fondement, et renoncer à son assertion. À la vérité, l’existence de cette branche n’a rien du tout d’impossible et il se peut qu’elle se découvre un jour. Cette existence ne changerait d’ailleurs rien à l’économie générale de l’aqueduc du Mont-d’Or, et l’on peut sans grand souci en attendre la preuve. Il y a d’autres découvertes à souhaiter, qui, pour la connaissance complète des aqueducs de Lyon, font bien autrement défaut.

Arrivée à Lyon. — A partir de la Sauvegarde, on ne trouve plus trace de canal maçonné. On parle d’un tuyau en poterie d’assez gros diamètre qu’on aurait trouvé en plusieurs endroits à la suite de l’aqueduc. Pour les uns, ce tuyau en poterie aurait été l’origine de la distribution dans le groupe de villas supposé au voisinage[18] ; pour d’autres, ce serait le tube du siphon qui passait sur le pont au bas de la vallée. Je crois en avoir dit assez sur la première de ces opinions. Quant à la seconde, la possibilité d’une pareille conduite en poterie, soumise à une charge de plus de cinquante mètres, sera discutée en son lieu, et repoussée. En tout cas, personne aujourd’hui n’a vu le point précis où cette conduite s’embranchait sur l’aqueduc, ni par conséquent ne peut affirmer l’embranchement. Enfin, même en admettant l’authenticité de celui-ci, rien ne prouverait que ce tuyau ne fût pas d’une époque bien postérieure, et que l’on n’eût pas utilisé pour l’alimentation de quelque bassin moderne les eaux qui continuaient à couler irrégulièrement par l’aqueduc ; car ces vieilles canalisations drainent toujours plus ou moins les eaux d’alentour.

Il est certain que le point de départ du siphon se trouvait au voisinage de la Sauvegarde, puisque c’est à partir de cette localité que la forte déclivité du sol commence. Il a été question plus haut du pont-siphon disparu au bas de cette déclivité, et du point d’aboutissement présumé de ce siphon sur le plateau de Champ-vert. Le reste appartient, à la circulation dans la ville, dont il sera parlé dans un chapitre spécial.

  1. C’est du moins apparemment pour un de ces motifs que le nom s’est transformé et que de mont Tour qu’il s’appelait autrefois le massif est devenu mont d’Or. Au XIVe siècle, les villages que nous aurons à mentionner dans cette région, Saint-Cyr-au-Mont-d’Or, Saint-Didier-au-Mont-d’Or, se nommaient Saint-Cyr-en-Mont-Tour, Saint-Didier-en-Mont-Tour, etc. Mont-Toux est sans doute aussi une corruption de Mont-Tour. Aussi l’orthographe Mont-Toux vaut-elle mieux que Mont-Thou, comme on l’écrit quelquefois.
  2. V. Pl. I, à la fin du volume, la reproduction de la carte dressée par Artaud d’après les indications perdues de Delorme, et Pl,. II, le tracé complet des quatre aqueducs, d’après les recherches de la présente étude.
  3. Sur Delorme, v. ci-dessus, Introd., p. iii.
  4. Ouvr. cité, p 4.
  5. V. ci-dessus, Introduction, p. x.
  6. Revue du Lyonnais, octobre 1889.
  7. Ce village comprend, en effet, deux groupes de maisons : l’un dans la vallée, Poleymieu-le-Bas, l’autre sur le versant, Poleymieu-le-Haut.
  8. La statistique des ponts et chaussées (voir ci-dessus, p. 48) indique 11 litres ; ce chiffre me semble un peu faible pour un débit moyen.
  9. M. le comte de Murart.
  10. « M. Jeune, cultivateur, avait trouvé l’aqueduc dans sa vigne, un peu plus loin que la vieille église de Collonges, lieu dit Poizat. Il nous a certifié, et d’autres l’ont fait également, que les dalles couvrant l’aqueduc, dalles simples, pierres plates non taillées, étaient posées à bain de mortier sur les piédroits et recouvertes d’une chape (de mortier), le tout si bien maçonné que la démolition de cette couverte était un travail de Romain. Souvent une dalle carrée en formait la couverte. » (Gabut, loc. cit.).
  11. V. ci-dessus, p. 50, la citation de Delorme.
  12. C’est le vallon où coule le ruisseau des Planches (Cf. ci-dessus, p. 41.
  13. V . ci-dessus, p. 21.
  14. M. Steyert, avec qui j’ai eu l’honneur de m’entretenir souvent de ces questions dans les derniers temps de sa vie, se montrait particulièrement affirmatif sur ce point : sans avoir vu lui-même ces débris de piles, il se souvenait fort bien d’en avoir entendu parler, bien avant d’avoir découvert le calque de la carte d’Artaud. On sait que sa mémoire était aussi fidèle que son savoir était consciencieux.
  15. Monographie géologique du Mont-d’Or.
  16. Revue du Lyonnais, loc. cit.
  17. La longueur du Pont-du-Gard est de 273 mètres, et sa hauteur maxima de 48m, 37.
  18. « L’aqueduc se terminait-il à la cité de la Sauvegarde ? Comme canal maçonné, c’est possible ; mais comme service hydraulique, non ! « Un tuyau en poterie du diamètre intérieur de 0m,132 et de 0m,157 de diamètre extérieur se détachait de l’aqueduc, à la Sauvegarde, puis se dirigeait à travers le plateau des Roches jusque vers les parcelles no 217 à 219, et de 223 à 225 de la section D du plan cadastral d’Ecully, propriétés Descours et Lacène. « M. Bruny a trouvé un fragment de ce tuyau dans sa propriété, sise à la petite voisinée de la Sauvegarde, qui, sur la carte du département, de Bonnaire, paraît englobée, au sud de la route 13, dans un petit cercle indiquant la cote 260. « Lors du creusement, en 1870, des tranchées pour la défense de Lyon, on a trouvé ce tuyau à plusieurs mètres au-dessous de la superficie du sol, dans la propriété de M. de Veyssière, lieu dit les Gantières, section D, parcelles no 103, 108 du cadastre d’Ecully. » (Gabut, loc. cit.)