Germain de Montauzan - Les Aqueducs antiques/Chapitre 6 - §4

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§ IV. — Reconstructions, revenus et frais.

I. — TRAVAUX DE RECONSTRUCTION.

Opportunité des travaux de restauration. — Nous avons vu, dans les paragraphes précédents, qu’à Rome le personnel des familles d’esclaves (familia publica et familia Caesaris) était chargé des réparations ; que dans certains cas les propriétaires eux-mêmes étaient tenus de les exécuter. Mais-pour ces derniers, il ne s’agissait guère que des opérations de nettoyage[1]. Quant à la familia, elle s’occupait de la tutela, c’est-à-dire de l’entretien ordinaire, soit de la remise en état d’une arche endommagée, de la fermeture d’une ou plusieurs brèches occasionnées par quelque inondation, du relèvement d’une voûte affaissée en un point, etc. Afin de pouvoir parer rapidement à ces diverses avaries, une partie de la familia résidait hors de la ville[2]. Dans la ville il devait se produire souvent, ici une rupture de conduite, là une obstruction, plus loin une infiltration. Aussi le personnel y était-il toujours sur pied[3].

Mais il arrivait assez souvent que la famille ne pût plus suffire à la besogne. Le curateur des eaux se trouvait alors dans un certain embarras. Fallait-il se contenter de réparations provisoires, exécutées tant bien que mal par ce personnel surchargé de besogne, ou faire appel à des entrepreneurs spéciaux ? On devait se mettre en garde contre les manœuvres intéressées des chercheurs d’affaires[4]. D’autre part, il était nécessaire de s’y prendre assez à temps pour n’être pas obligé ensuite à des travaux trop considérables, devant être exécutés d’urgence. C’était là que le curateur des eaux donnait la mesure de sa capacité.

Il n’y avait pas à hésiter quand les concrétions commençaient à former des croûtes épaisses[5], quand les conduits, un peu partout, se désagrégeaient et occasionnaient des fuites[6], enfin quand des piliers d’arcades s’écroulaient[7], laissant le canal béant. Il fallait alors arrêter le cours de l’aqueduc par les vannes de décharge en amont et faire aussi vite que possible la réparation qui s’imposait. Si l’effondrement s’était produit aux abords de la ville, là où les arcs supportaient plusieurs aqueducs, on s’arrangeait pour disposer à la hauteur du canal interrompu des chenaux de plomb qui suppléaient à la partie démolie pendant qu’on relevait l’ouvrage[8]. Mais en général on n’attendait pas que semblable accident se produisît. Les points faibles étaient signalés par les aquarii dont c’était la fonction, et le curateur avisait. Les travaux étaient exécutés de préférence au printemps et à l’automne, toutes choses étant disposées d’avance pour que dans tous les cas l’eau ne fût arrêtée que pendant le moins de jours possible[9].

Or, ces précautions ayant été pendant certaines périodes insuffisamment prises, les détériorations furent si nombreuses et si graves, que l’on dut reprendre et refaire à neuf plusieurs de ces grands et beaux aqueducs de Rome sur d’importantes fractions de leurs parcours.

Restaurations principales faites aux aqueducs de Rome. — Les premières grandes restaurations effectuées sous l’empire furent l’œuvre d’Agrippa, ainsi qu’en témoigne Frontin[10]. Elles eurent lieu entre les années 745 et 750 pour les aqueducs Julia, Marcia, Tepula et Anio[11]. En 750, Auguste fit graver au-dessus des arcades de la Marcia, via Tiburtina, la mention suivante :

IMP • CAESAR • DIVIIVLI • F • AVGVSTVS
PONTIFEX • MAXIMVS • COS • XII
TRIBVNIC • POTESTAT • XIX • IMP • XIIII
RIVOS • AQVARVM • OMNIVM • REFECIT[12]

Le monument d’Ancyre, Res gestae divi Augusti, porte aussi, colonne iv, 1. 10, 11 :

RIVOS • AQVARVM • COMPLVRIBVS • LOCIS
VETVSTATE • LABENTES • REFECI

En l’an 46, c’est Claude qui fait refaire entièrement les arcades de l’eau Virgo, que la négligence de son prédécesseur Caligula avait laissé s’effondrer, vers les jardins de Salluste. Au-dessus d’une ancienne voie de la septième région, sur une arche monumentale, se voit en double l’inscription par laquelle Claude voulut rappeler son œuvre :

TI • CLAVDIVS • DRVSI • F • CAESAR • AVGVSTVS • GERMANICVS
PONTIFEX • MAXIM • TRIB • POTEST • V • IMP • XĪ • P • P • COS • DES1G • ĪĪĪĪ
ARCV́S • DVCTV́S • AQVAE • VIRGINIS • DISTVRBATOS • PER • G • CAESAREM
A FVNDAMENTIS • NOVOS • FECIT • AC • RESTITVIT[13]

En 79, Titus fit restaurer le canal de la Marcia, endommagé par la vétusté ; il ajouta même, sur l’inscription que l’on voit toujours via Tiburtina (porte San Lorenzo, près de la station du tramway de Tivoli), que cette eau n’arrivait plus à Rome. Il est probable qu’une inondation avait emporté quelque ouvrage, et qu’on en profita pour refaire en entier ce que le temps avait délabré.

IMP • TITVS • CAESAR • DIVI • F • VESPASIANVS • AVG • PONTIF • MAX •
TRIBVNICIAE • POTESTAT • IX • IMP • XV • CENS • COS • VII • DESIGN • IIX • P • P •
RIVOM • AQVAE • MARCIAE • VETVSTATE • DILAPSVM • REFECIT
ET • AQVAM • QVAE • IN • VSV • ESSE • DESIERAT • REDVXIT[14]

Ce même aqueduc Marcia fut de nouveau repris par Caracalla sur plusieurs sections de son parcours ; des travaux furent faits aux sources. Un nouveau contingent capté permit d’alimenter, sous le nom d’eau Antoniniana, les thermes construits par cet empereur. L’inscription mentionnant ces travaux est ainsi conçue :

Imp. Caesar. M. Aurelius . Antoninus. Pius. Felix. Aug Parth. Maxim
Brit. Maximus. Pontifex. Maximus
Aquam. Marciam. variis. kasibus. impeditum. purgato. fonte. excisis. et. perforatis
Montibus. restituta. forma. adquisito. etiam. fonte. novo. Antoniniano
In. sacrum. urbem. suam. perducendam. curavit[15]

De nouvelles reprises à cet aqueduc eurent encore lieu sous Dioclétien, en l’an 305, et sous Arcadius et Honorius.

L’inscription de Caracalla ci-dessus semble bien indiquer des changements de parcours que les travaux de restauration firent subir à l’aqueduc, puisqu’il y est question de montagnes perforées, sans doute pour raccourcir le trajet. Des opérations semblables avaient eu lieu déjà sous Domitien pour l’aqueduc Claudia, sous la direction de l’entrepreneur Paquedius Festus[16], qui avait creusé un tunnel sous le mont Affliano. Les raccourcissements étaient aussi obtenus par des traversées de vallées qui évitaient les contours[17] : aux tunnels succédaient des arcades. D’après M. Lanciani[18], l’Anio Aretus, au temps de Frontin, ne traversait pas la vallée de San Giovanni sur le beau pont à double rangée de dix-neuf arcades qui fait suite à un passage souterrain sous la colline Faustinienne : ce pont aurait été construit au temps d’Hadrien, en même temps que l’eau du canal était amenée par une dérivation à la célèbre villa de cet empereur[19].

Procédés et aspects variés des restaurations suivant les époques aux aqueducs de Rome. — Un certain nombre de ces importants travaux, spécialement pour les aqueducs Claudia et Anio novus, furent plutôt des consolidations par renforcements ou soutènements que de véritables reprises d’œuvre. C’est ainsi que les arcades de la Claudia, près du croisement des routes de Gastelmadana et de Ceciliano[20], ont été construites d’abord en pierres de taille : on a plus tard renforcé leur masse par des revêtements de briques. Des garnissages analogues, faits après coup, se rencontrent en beaucoup d’endroits : les uns datent des Flaviens, d’autres du temps des Sévères ; d’autres enfin, beaucoup plus grossiers, des derniers siècles de l’empire. Certaines arcades ont été soutenues par des arcs-doubleaux en briques de plus de deux mètres d’épaisseur à la clef. Belgrand est d’avis[21] que ces renforcements n’étaient nullement nécessaires. Les remarquables travaux d’adduction d’eau qu’il a exécutés pour la ville de Paris lui ont donné l’occasion de remarquer que les aqueducs supportés par des arcades éprouvent, par l’effet des variations de température, de légères avaries qui se manifestent par des fissures et des fuites d’eau : ce sont, en général, en hiver, des fissures transversales qui s’ouvrent tous les 12 ou 15 mètres et en été, des fissures longitudinales çà et là dans les parois latérales. Les arcs-doubleaux étayaient probablement des arches fissurées transversalement. Les Romains, ajoute Belgrand, croyaient sans doute que ces fentes, dues en réalité à des variations de température, provenaient d’une insuffisance d’épaisseur des voûtes, ce qui est une erreur ; elles ne pouvaient compromettre la solidité d’un aqueduc aussi fortement appareillé que la Claudia. Il aurait donc suffi de les obturer au ciment, chaque fois qu’elles se rouvraient ou qu’il s’en ouvrait de nouvelles ; ne venant pas
Fig. 130.
d’une faiblesse de construction, elles n’auraient jamais dégénéré en larges crevasses.

Il faut croire cependant que la stabilité des voûtes de l’aqueduc Claudia parut aux Romains bien compromise, puisque non seulement ils établirent à l’intrados une première contre-voûte, mais qu’ils durent souvent en ajouter une seconde. Ces voûtes accessoires s’appuyaient sur deux contre-piliers. À partir des Sévères, au iiie siècle, et surtout au ive, se mit à combler entièrement les vides par des massifs de murailles, blocages formés de toute espèce de matériaux : tuiles, moellons informes, tronçons de colonnes, dalles, plaques de marbre multicolore, etc. ; le tout enveloppé de gros blocs de travertin ou de tuf, avec revêtement extérieur de briques, renforcé du sommet à la base par des recoupes successives (fig. 130), surtout du côté vers lequel l’ouvrage avait subi une inclinaison[22].

Il est facile de distinguer, dans la plaine de Roma-Vecchia, près de la Porta-Furba, d’après l’aspect de ces restaurations, les époques où elles furent opérées. Celles des Flaviens se reconnaissent à la perfection de l’appareillage et à l’élégance de la conception architectonique ; au contraire, les soutènements énormes qui contre-boutent les arcades sont les indices d’un temps où l’on ne se soucie plus de l’élégance. Encore maîtres du monde, les Romains semblent ne plus vouloir faire étalage que de leur force colossale, en entassant des cubes gigantesques de matériaux informes.

Restaurations aux aqueducs de Lyon. — Les restaurations paraissent avoir été beaucoup moins nombreuses et importantes aux aqueducs de Lyon, même toute proportion gardée. Aux trois premiers, qui sont constamment en sous-sol, ou à peu près, il est à la vérité difficile de distinguer les parties primitives des parties refaites. À l’aqueduc du Gier, au contraire, on peut estimer qu’à tous les ponts où l’appareil réticulé se mélange au petit appareil à joints horizontaux, ce dernier provient d’une restauration ; cette différence est très visible, en particulier au pont de Langonan, près de Saint-Chamond[23]. Il est plus difficile de dire si ceux qui, en petit nombre, ne laissent pas voir de réticulé, sont des ouvrages reconstruits ; mais la chose est possible. Quant aux contreforts et soutènements, en l’état où sont les ruines, on n’en voit plus aucun, à part les obturations d’ouvertures longitudinales aux ponts de Beaunant et du Garon. À ce dernier, Delorme[24] avait vu contre deux des piles « deux espèces de buttes en glacis, aussi hautes que le pont, en pierres plates semblables à celles du pont sur le Langonan. Si elles avaient joint les deux piles, dit-il, ce seraient de vrais piliers butants ; mais leur distance de plus d’un pied nous laisse dans l’incertitude sur leur utilité, à moins qu’elles ne se soient éloignées des piles par l’affaissement de leurs fondations. Il ne reste qu’une de ces piles, l’autre a été démolie cette année (1759) ». Il ne reste rien non plus de la seconde aujourd’hui. Flacheron dit[25] en avoir vu les fondations ; il a vu aussi d’autres fondations semblables au nombre de quatre au pont de Beaunant. C’étaient là des contreforts élevés après coup et sans liaison, donc assez maladroitement, et probablement à une basse époque. L’absence de grands entassements de matériaux de soutien ne prouve rien d’ailleurs sur le plus ou moins de durée de nos aqueducs, qui, étant moins élevés et moins massifs que l’aqueduc Claudia, n’en avaient pas besoin ; de plus, ils étaient construits sur un terrain exceptionnellement ferme, raison suffisante à elle seule pour justifier d’un nombre relativement faible de restaurations.

II. — FRAIS DE CONSTRUCTION.

Ces ouvrages immenses, comparables, nous l’avons assez constaté, aux plus parfaits des aqueducs modernes, exigeaient naturellement des frais considérables auxquels, à tout prendre, le coût des nôtres ne serait pas de beaucoup supérieur. En effet, quoique le prix de la main-d’œuvre et celui des matériaux fussent bien moins élevés à l’époque romaine qu’à présent, les Romains employaient pour leurs constructions une masse plus forte de matière ; et surtout en raison de la moins grande puissance, de la moins grande souplesse des machines, et de la moindre facilité de transports, il fallait une durée de construction plus longue, ou un nombre d’ouvriers plus grand, ce qui contrebalançait l’avantage du faible salaire individuel. De plus, et tout spécialement pour les aqueducs de Lyon, si l’on compare ce que représente en fait de prix l’emploi moderne de la fonte pour les grosses conduites et les siphons comparativement à l’emploi du plomb, on reconnaîtra que, que] que fut le bon marché de ce métal dans l’antiquité, les frais d’établissement des conduites forcées étaient certainement très supérieurs à ceux qui nous incombent, pour les travaux analogues.

Aqueducs de Rome. — Nous avons, par Frontin et par Pline, des renseignements sur ce que coûtèrent plusieurs grands aqueducs de Rome.

Frontin rappelle[26], d’après Fenestella, la somme qui fut allouée par le Sénat au préteur Marcius Rex pour la construction de l’aqueduc qui prit son nom et pour la réfection des anciens aqueducs Appia et Anio vetus. Malheureusement les manuscrits ne sont pas d’accord sur le chiffre. Le manuscrit du mont Cassin porte « sestertium mine octingente » (sic), celui d’Urbain « sestertium nunc octingente ». À la lettre, ces deux leçons ne signifient rien. La première édition de Joconde donne « sestertium mille et octogenties » (sic), la deuxième « sestertium iiij et octingenties » (80.400.000). Enfin, l’édition de Poleni, suivie par Rondelet, a « sestertium iiij et octogies » (8.400.000), ce qui à première vue est bien trop faible. Dederich, en corrigeant le barbarisme octogenties de la première édition de Joconde, adopte millies octingenties (180.000.000), ce qui à l’inverse est beaucoup trop fort.

On ne laisse pas d’être embarrassé en face de ces leçons diverses. De plus, la somme allouée par le Sénat correspond-elle exactement à ce qui a été dépensé ? Cette somme a pu ne pas être atteinte ; plus vraisemblablement encore elle n’a pas suffi. Enfin, il s’agissait de plusieurs travaux : pour quelle part entrait chacun d’eux dans la somme ? C’est ce qu’il est impossible de savoir.

Mais nous avons aussi le texte de Pline, qui concerne la Claudia et l’Anio novus[27].

« Erogatum in id opus (aquarum Claudiae atque Anionis novi ductus), sestertium quinquagies quinquies et quingenties (centena milia). »

Cette somme de 55.500.000 sesterces correspond pour la Claudia à 68.680 mètres de longueur de canal, et pour l’Anio novus à 86.876 mètres. Sans nous engager dans une discussion sur la valeur réelle du sesterce, acceptons la valeur donnée par la table des monnaies romaines de Mommsen-Rlaças, qui est de 0 fr. 253. On trouve ainsi que 55.500.000 sesterces équivalent à 14.041.500 francs.

La Claudia et l’Anio novus cheminent ensemble sur une longueur de 10 kil. 508 mètres. Il faut donc retrancher de la somme des kilomètres de parcours ce chiffre qui, sans cela, figurerait, en double. Cette déduction réduit la somme des deux parcours à 145.048 mètres. En divisant le coût total par cette somme, on arrive à une moyenne de 96 fr. 80 par mètre, soit par kilomètre 96.800 francs.

Aqueducs modernes. — Si nous comparons à présent ce prix de revient à celui de deux aqueducs modernes, le canal de la Dhuis et le canal de la Vanne qui alimentent Paris, nous constaterons :

Que la dérivation de la Dhuis, qui amène 30.000 mètres cubes par 24 heures, avec 169 kilomètres de parcours, a coûté 11.600.000 francs, soit par kilomètre 68.600 francs.

Que celle de la Vanne, créée pour conduire 80 à 100.000 mètres cubes, avec un développement de 174 kilomètres est revenue à 26.500.000 francs, soit par kilomètre à 152.000 francs.

Et que par suite, le prix du kilomètre courant des deux derniers aqueducs de Frontin est très voisin de la moyenne entre les prix de revient de cette unité de longueur aux deux aqueducs modernes.

Il est vrai que plus un aqueduc débite, plus ses dimensions augmentent, et naturellement plus son prix de revient est élevé[28]. Les dimensions et le débit des deux aqueducs antiques considérés étant assez rapprochés du débit et des dimensions de l’aqueduc de la Vanne, c’est avec le prix de ce dernier qu’il faut comparer le leur, qui en représente environ les 2/3.

Aqueducs de Lyon. — Le débit de l’aqueduc du Gier (24.000 m³) est un peu supérieur à celui de l’aqueduc de la Dhuis (20.000 m³). On peut estimer que ce dernier, pour un débit de 4 à 5.000 mètres cubes de plus, aurait coûté aux environs de 75.000 francs par kilomètre. En prenant le même rapport que plus haut, 2/3, on trouverait pour le prix de l’aqueduc du Gier 50.000 francs par kilomètre, et pour ses 75 kilomètres 3.750.000 francs, ou sensiblement 4 millions.

Mais il faut considérer que cet aqueduc comportait quatre grands siphons ; eu égard à la difficulté de ces ouvrages, à la somme représentée par l’énorme quantité de plomb qu’ils exigeaient, on ne sera pas au delà de la vérité en augmentant, à cause d’eux, le prix total de 1/3, et nous aboutirons ainsi au chiffre de 6 millions.

Enfin, si nous calculons le prix de revient des trois autres aqueducs d’après celui-ci et proportionnellement à leur longueur respective, en tenant compte du nombre et de l’importance des travaux d’art de chacun, ainsi que du degré de perfection dans la construction ici et là, nous pourrons, par une évaluation sommaire et sans aucun caractère de rigueur, estimer à une dizaine de millions leur coût total[29].

Nous atteindrions ainsi pour le prix de revient total des quatre aqueducs du Mont-d’Or, de Craponne, de La Brévenne et du Gier un chiffre dépassant un peu 15 millions[30]. Ce serait, à peu de chose près, le prix des deux aqueducs de Rome réunis, Claudia et Anio novus.

III. — DURÉE DU TRAVAIL.

Comme pour les prix de revient, nous sommes obligés, pour cette question, de nous tenir sur la réserve et de n’énoncer que des probabilités, par analogie avec les dates qu’ici encore nous fournit Frontin.

L’aqueduc Appia exigea près de cinq ans, à ce qu’il semble, pour être construit en entier, puisque le censeur Appius Claudius, au lieu d’abdiquer, suivant l’usage, au bout de dix-huit mois, prolongea tant qu’il put la durée de sa charge[31] afin d’avoir l’honneur de l’achèvement.

On employa un peu moins de temps à la construction de l’Anio velus, puisque le Sénat traita la question de son achèvement deux ans après le commencement des travaux[32]. Nous pouvons admettre une durée totale de trois ans.

L’eau Marcia exigea au moins six ans, puisque cinq ans après le début des travaux on disputait encore pour savoir si cette eau devait être conduite au Capitole[33].

L’activité d’Agrippa édifia en un an l’aqueduc Julia[34], et en moins d’un an l’aqueduc Virgo[35].

Commencé par Caligula en l’an 38, l’aqueduc Claudia ne fut achevé qu’en l’an 52[36], c’est-à-dire quatorze ans après, par Claude. Mais on estime qu’il y eut une interruption de deux ans, ce qui ramènerait à douze ans la durée des travaux. Frontin ne dit rien de la durée pour l’Anio novus.

Le plus court et le plus simple des aqueducs de Lyon, celui du Mont-d’Or, comprenant un travail d’art très important, le siphon d’Ecully, et de plus une quantité de captages de sources, a bien dû, malgré toute l’activité apportée à sa construction, demander un minimum de deux ans. Celui du Gier, le plus long et le plus compliqué, n’a guère pu être achevé en moins de sept ou huit ans. Les deux autres ont donc nécessité des durées de travaux intermédiaires entre ces deux limites. En l’absence d’autres données, ces conjectures sont au moins vraisemblables.

IV. — SOURCE DES FONDS NÉCESSAIRES.

Pour supporter de pareils frais, pour faire face à tous les engagements pris à l’égard des entrepreneurs ou des architectes chargés du travail, et mener ainsi à terme, sans interruption, des œuvres si considérables, quelles étaient les ressources des villes ? À voir le grand nombre de cités, même de second ou de troisième ordre, pourvues d’eau par d’importants aqueducs, on se demande justement si toutes ont pu tirer de leurs uniques revenus les sommes considérables que ces travaux exigeaient. Rome, où affluaient les impôts levés sur les provinces, sur les pays conquis du monde entier, trouvait aisément dans le trésor public de quoi pourvoir à ces frais. D’autres villes, grâce à l’industrie et au travail de leurs habitants, malgré la forte part des revenus ainsi créés qu’accaparait la centralisation des impôts, pouvaient encore y suffire. Mais comment tant d’autres, peu commerçantes, peu actives, peu fréquentées pouvaient-elles se procurer le bien-être que donne une eau abondante, coûteusement captée et canalisée ?

L’épigraphie nous éclaire à ce sujet. Non pas que les inscriptions relatives à ces dépenses soient, très nombreuses. Mais en dépit de leur rareté, elles sont, assez significatives pour résoudre la question.


Libéralités impériales. — C’est sous l’empire que les aqueducs se multiplièrent dans les provinces, et c’est à la libéralité impériale qu’ils furent dus très souvent. Citons-en quelques exemples.

À Brescia, une belle inscription monumentale, très simple, atteste la création d’un aqueduc par Auguste et Tibère :

DIVVS · AVGVSTVS
TI · CAESAR · DIVI
AVGVSTl · F · DIVI · N
AVGVSTVS
AQVAS · IN · COLONIAM
PERDVXERVNT[37]

L’aqueduc de Scillace, par une formule encore plus concise, est attribué à la générosité d’Antonin le Pieux :

Imp.. Antoninus. Aug. Pius.. coloniae.. aquam dat[38].

C’est aux colonies que ce bienfait paraît être allé de préférence, et parfois à des colonies fort lointaines, comme en témoigne cette inscription de la colonie de Sarmizegetusa, en Dacie :

Imp · Caes · Divi · Traiani
Parthici · f · divi · Nervae · nep
Traian · Hadrian · Aug · Pont
Maximo · trib · potest · XVI · cos III · P.P
Aqua · inducta · colon · dacic · Sarmiz
Per · Cn · Papirium · Aelianum · legat · eius
pr.pr[39].

D’autres fois, le fisc ne fournissait pas la totalité de la somme nécessaire ; il venait simplement en aide aux finances municipales, soit par une subvention promise et fournie d’avance, comme l’État le fait assez souvent chez nous, soit en donnant de quoi terminer des travaux interrompus faute de fonds. C’est le cas de la colonie de Jader, en Dalmatie :

IMP · NERVA · TRAIANus......
PONT · MAX · TRib · pot .......
AQVAEDVCTVM · COLON...... s. p. perfecit
IN · QVOD · ANTE · IMPENderant · iussu
SACRATISSIMI · PRINCIpis........[40]

Mais, si cette sollicitude du maître s’étendait jusqu’à des villes presque inconnues, n’oublions pas que Rome, malgré toutes les ressources du trésor public, fut l’objet des mêmes mesures depuis l’avènement de l’empire, et que le trésor personnel de l’empereur (le fisc), ou la libéralité de tel de ses ministres, comme Agrippa, intervinrent pour une part très importante, sinon pour la totalité, dans la construction des aqueducs Julia, Alsietina, Virgo, Claudia, Anio novus, Trajana et Alexandrina.

Dons de magistrats ou de simples citoyens. — Assez souvent, d’anciens magistrats des villes, riches citoyens, en reconnaissance des honneurs qui leur avaient été décernés, contribuaient à l’édification des aqueducs ou à leur réfection. Pour quelques-uns même, la dépense fut supportée en entier par ces riches bienfaiteurs. Ainsi, à Vesunae (Périgueux) :

L. Marullus . L. Marulli Arabi
Filius . Quir . Aeternus . IIvir
Aquas eorumque ductum
d. s. d[41]

À Mellaria (Fuente Oveiuna), en Espagne :

AQVAM · AVG
C · ANNIVS · C · F · QVIR
ANNIANVS · IIVIR . . .
. . . . . . . . . . . . . . . . . . . .
ex IIS · NVMmORVM · TE
STAMENTO · perduci · IVSS1T[42]

À Porto-Torrès (colonia Turrituna) :

T . Flavius . Iustinus . IIvir . Q . Aed . super . HS XXXV
quae . ab . hon . quinquennal . praesentia . pollicit
reip . intulit . lacum . a . fundamentis . pecunia . sua . fecit
sumptu . suo . aquam . induxit[43]

Ailleurs, le patron de la cité, un de ces personnages influents de l’empire que les villes choisissaient pour défendre leurs intérêts, prenait la dépense à son compte. Ce fut le cas de l’île d’Arba, sur les côtes de Dalmatie :

NYMPHIS · AVG · SACRVM
G · RAECIVS · LEO · AQVAM · QVAM · NVL
LVS · ANTIQVORVM · IN · CIVITATE
FVISSE · MEMINERIT · INVEN
TAM · IMPENDIO · EX · VOLV
NT · GRÆCI · RVFI · C · V · PATRON
......DICAVIT
severo eT POMPEIANO II · COS · VI · IDVS
NOV[44](8 Novembre 173)

et de la ville de Pola, en Istrie :

L . Menacius L . F . vel
Priscus
equo . pub . praef . fabrum . aed
IIvir . IIvir . quinq . trib . mil
flamen Augustor . patron . colon
aquam Aug . in . superiorem
partem . coloniae . et . in . inferiorem
impensa . sua . perduxit . et . in . tutelam
ejus . dedit HS CCCC[45]

Il existe aussi des exemples de simples citoyens, non revêtus de dignités municipales, mais qui, désireux de laisser à leur patrie un grand souvenir de libéralité, ont fait les frais d’adduction d’eau. Par exemple, à Ilugo, dans la Tarragonaise (Santesteban del Puerto) :

Annia L . f . Victorina . ob
memoriam . M . Fulvi . Mo
derati . mariti . et . M . Fulvi
Victorini . f . aquam . sua . om
ni . impensa . perduxsit . fac
tis . pontibus . et . fistulis . et
lacus . cum . suis . orna
mentis . dato . epulo
dedicavit[46]

À Igabrum (Cabra) :

Aquam
Augustam
M . Cornelius . A . I . Novatus
Baebius . Balbus
praefectus . fabr
Trib . mil . leg . VI
Victricis . piae . feli
cis . flamen . provinc .
Baeticae perducendam
d . s . p . curavit[47]

Trésor public des villes. — Enfin existe naturellement le cas où la ville supportait elle-même tous les frais. Ainsi, à Préneste :

A . Vibuleius L . F .
L . Statius . Sol . f .
duo . vir
balneas . reficiund
aquam . per . publicum
ducendam . d . d . s
coeravere[48]
et à Urbin :
C • VESIDIENO CN • F
BASSO • AED
ῙῙῙῙ VIR • IVR • DIC
ῙῙῙῙ VIR • QVINQ
PVBLICE
D • D
QVOD • AQVAM • NOVAM
CONQVIRENDAM • ET • IN • MVNICIP • PERDVCEND
ET • NYMPHAEVM • FACIEND
PEC • PVB • C[49]

Nous n’avons aucune inscription, aucun document officiel qui attribue explicitement au trésor de l’empereur les frais des aqueducs de Lyon. On peut donc être sur ce point de l’avis qu’on veut. J’ai suffisamment indiqué jusqu’ici ce qui me paraît rationnel en ce qui concerne l’administration impériale à Lugdunum pour n’avoir pas à insister. Attribuant aux empereurs et à leurs représentants directs la création des divers aqueducs, je ne puis croire que les finances municipales en aient supporté tous les frais : le fisc y a contribué pour la plus grande part, sinon pour la totalité. Il avait au surplus assez de moyens pour récupérer les avances faites de ce côté-là.

V. — REVENUS DES AQUEDUCS.

Il est certain qu’à Rome, pendant les premiers siècles de l’empire, à part quelques exceptions provenant d’un privilège spécial octroyé par l’empereur, les concessions d’eau furent payantes, et comme il est naturel, proportionnellement au nombre de quinaires concédés. Ce revenu allait au fisc, puisque c’était de l’empereur et des agents placés sous son autorité directe que dépendait la distribution. Au trésor public (aerarium) allait seulement le revenu provenant du droit aux eaux tombantes que recueillaient un certain nombre d’établissements définis vaguement par Frontin : « loca et aedificia quae sunt circa ductus et castella aut niunera aut lacus »[50], probablement des bains et divers ateliers industriels, tels que ceux des foulons[51]. Ce revenu est évalué par Frontin à 250.000 sesterces (environ 63.000 francs), avec lesquels le trésor payait lu familia publica, composée de 240 individus.

Mais ce profit était peu de chose par rapport à ce que rendaient les concessions privées. Donc, le lise, malgré la charge qu’il assumait de l’entretien des aqueducs, châteaux et bassins, et de la fourniture du plomb, sans compter le salaire des 440 hommes de la familia Caesaris, percevait encore très probablement un beau bénéfice. Et le plomb ne lui coûtait guère, puisque tout le métal extrait des mines lui appartenait par droit régalien[52].

Ce n’est qu’à partir de la fin du ive siècle, sous Théodose et Valentinien, que l’autorité impériale se décida à ne plus tirer bénéfice de la vente des eaux. Voici en quels termes s’expriment ces deux princes dans une lettre adressée à Eutichianus, préfet du prétoire :

... « Ut nemo eorum, qui jus aquae possident, quacunque descriptione sustineat. Num exsecrabile videtur clomos hujus almae urbis aquam habere venalem[53]. »

Le fisc à vrai dire n’y perdit rien, car il combla le vide par des impôts nouveaux levés sur le commerce ou sur certaines classes d’ouvriers[54]. Et à la décharge des empereurs des deux premiers siècles, il est bon de rappeler combien de fois ils construisirent aux frais du fisc, totalement ou partiellement, de magnifiques et coûteux aqueducs. Il était assez naturel d’amortir par la vente des eaux le capital engagé.

Sur tout ce qui concerne les revenus des aqueducs de Lyon, leur perception et leur répartition, il faudrait, pour être fixés, être mieux renseignés que nous ne sommes sur le domaine respectif et les rapports des deux administrations, urbaine et impériale. Suivant la façon de voir adoptée dans tout ce qui précède, on peut considérer les choses par analogie avec ce qui se passait à Rome : une partie des revenus allant au trésor de la ville, lui permettant de payer le personnel d’esclaves mis à la disposition du fonctionnaire chargé des eaux, et en même temps de se rémunérer de sa part éventuelle dans les frais ; le reste allant au fisc qui en faisait le même usage qu’à Rome[55]


  1. Excepté quand le dommage survenu était le fait du propriétaire, sans intention criminelle. (Loi de Quinctius Crispinus, citée et traduite ci-dessus, p. 396.)
  2. « Ex his aliquas esse opportet extra urbem ad ea quae non sunt magnae molitionis, maturum tamen auxilium videntur exigere. » (De Aquis, 117.)
  3. Omnes in Urbe… opera quaeque urgebunt (Ibid.).
  4. « Non semper opus aut facere aut ampliare quaerentibus eredendum est. » (De Aquis, 119)
  5. Limo conerescente, qui interdum in crustam durescit, iterque aquae coarctatur. (De Aquis, 122)
  6. Ibid.
  7. Ibid.
  8. Frontin (De Aquis, 124). « Remedia tamen sunt his difficultatibus : opus inchoatum excitatur ad libram deficientis ; alveus vero plumbatis canalibus per spatium interrupti ductus rursus conlinuatur. » Le mot canalibus indique bien qu’il ne s’agit pas de tuyaux mais de chenaux découverts assez larges, en plomb ou en bois garni de plomb.
  9. Ibid., 122. « ... Maxima cum festinatione, ut scilicet auto praeparatis omnibus, quam paucissimis diebus rivi cessent. »
  10. Ibid., 9.
  11. Ibid., 124 : en vertu d’un sénatus-consulte, cité par l’auteur. Le sénatus-consulte nomine les aqueducs dans cet ordre. On peut s’étonner de ce que moins de 30 ans aient suffi pour détériorer gravement l’aqueduc Julia. Il faut probablement expliquer cela par les dommages des canaux Tepula, Marcia et de leurs arcades, auxquelles la Julia avait apporté une forte surcharge : d’où dislocation de l’ensemble.
  12. C.I.L., vi, 1244.
  13. C.I.L., 1245.
  14. Ibid., vi, 1252. V. ci-dessus, p. 24.
  15. Ibid., 1246.
  16. V. ci-dessus, p. 291.
  17. On pourrait invoquer cet argument pour prouver que le siphon de Chagnon à l’aqueduc du Gier (v. p . 210-211) est postérieur au contour dans la vallée. Mais il est probable que l’on n’adoptait un parcours différent que lorsque, le parcours primitif étant endommagé, le raccourcissement offrait un avantage économique sur la réparation. Il ne saurait en être de même pour la construction d’un siphon. Au surplus, nous avons énuméré toutes les autres raisons qui militent en faveur de la succession inverse.
  18. Ouvr. cité, p. 47.
  19. L’appareil réticulé du pont est pareil à celui qu’on voit presque partout à la villa d’Hadrien, M. Lanciani le constate. Les caractères distinctifs en sont donc assez nets pour que j’aie pu les reconnaître aussi aux ouvrages de l’aqueduc du Gier.
  20. V. Lanciani, ouvr. cité p. 137.
  21. Ouvr. cité, p. 52.
  22. Les renforcements sont plus épais en général du côté Est de l’aqueduc, soit du côté gauche en regardant vers Rome. Cela prouverait que l’aqueduc penchait plutôt de ce côté, et en effet les amas de ruines rencontrés de distance en distance montrent que la chute s’est faite dans ce sens presque toujours. Cela tient-il à l’influence du vent, à la nature du terrain ?… Je ne puis le déterminer.
  23. V. ci-dessus, p. 100.
  24. Ouvr. cit., p. 50.
  25. Ouvr. cité, p. 53.
  26. De Aquis, 7
  27. Hist. nat., xxxvi, 24.
  28. Il faut compter que l’augmentation de prix est à peu près en raison des racines carrées des débits, toutes choses égales d’ailleurs.
  29. Ces chiffres d’estimation seraient :

    Pour l’aqueduc du Mont-d’Or . . . . . . . . . .   1.500.000 fr.
               ——       de Craponne . . . . . . . . . . .  3.000.000 fr.
               ——       de La Brévenne . . . . . . . . .   5.000.000 fr.
                                                                               9.500.000 fr.

  30. M Lanciani estime à 50 millions le coût total des neuf aqueducs romains existant à l’époque de Frontin. D’après les débits, les aqueducs de Lyon auraient donc coûté proportionnellement bien plus, mais cela à cause des siphons.
  31. De Aquis, 5.
  32. Ibid., 6.
  33. Ibid., 7.
  34. Ibid., 8.
  35. Ibid., 9.
  36. Ibid., 13.
  37. C. I. L., 4307.
  38. I. N., 78
  39. C. I. L., 1446.
  40. C. I. L., iii, 2909.
  41. Orelli, 4019.
  42. C. I. L., iii, 2343.
  43. Henzen, 7080.
  44. C. I. L., iii, 3116.
  45. Henzen, 6632.
  46. C. I. L., ii, 3240.
  47. Notizie, mai 1880.
  48. C. I. L., i, 1141.
  49. De Aquis, 118. Donatien avait même accaparé ce revenu spécial ; l’équité de Nerva le rendit au trésor public.
  50. De Aquis, 118, etc. Voir la note 1 de la page précédente, où par contre il faut lire : Orelli, 3.317
  51. C’étaient autrefois les seules eaux concédées, et le trésor qui avait eu le bénéfice du droit payé, le conserva sous l’empire. « Et hace ipsa non in alium usum, quam in balnearum, unt fullonicorum dabatur. » (De Aquis, 94. V . ci-dessus, p. 383.)
  52. Le fisc pouvait d’ailleurs se rémunérer de la fourniture de plomb par les revenus mêmes des concessions. (V. ci-dessus p. 376.) Mais il est difficile d’admettre que les finances particulières d’une ville, fût-ce de Lyon, aient pu acheter au trésor impérial le poids énorme de ce métal qu’exigeait l’installation de siphons comme ceux que nous avons décrits. Raison de plus pour regarder ces travaux comme des entreprises de l’Etat.
  53. Constitutions impériales citées par Rondelet, p. 144.
  54. « Ad reparationem aquaeductus hujus almae urbis omnia vectigalia quae collegi possunt ex universis scalis hujus inclytae urbis, et ex operariis qui zizaceni dicuntur, ad refectionem ejusdem aquaeductus procedere. » (Ibid.)
  55. L’opinion énoncée dans ces dernières pages au sujet du droit payé au fisc par les concessionnaires n’est pas universellement admise. Il apparaît à plusieurs que l’expression de Frontin, beneficium Caesaris, les formules officielles, ex indulgentia, ex liberalitate principis, ne peuvent signifier que la gratuité du privilège, et que le rescrit de Théodose et Valentinien, cité plus haut (p. 417), qui traite dʼexécrable le principe de la vénalité des eaux, exclut lʼapplication de celui-ci sous les empereurs précédents. Mais, au contraire, on n’aurait pas eu besoin, semble-t-il, de condamner un système n’ayant jamais été en vigueur ; et, d’autre part, l’avantage, même taxé, de recevoir l’eau à domicile était à coup sûr, au moins comparativement à l’état de choses antérieur, une libéralité et un bienfait. Je me suis donc rangé à l’avis de M. Lanciani (ouvr. cité, p. 390) : « Par certo che anche coloro i quali impetravano acqua da Cesare dovessero pagare una tassa proporzionata al volume impetrato. » Un texte de Vitruve (VIII, 207) est d’ailleurs là pour en justifier : « Qui privati ducent in domos vectigalibus tuentur per publicanos aquarum ductus. » Dureau de la Malle (Économie politique des Romains, t. II, p. 475, et Distribution et législation des Eaux, p. 13 et suiv.), n’avait pas de doutes à cet égard. Il évaluait à 1.244.000 francs le bénéfice annuel ainsi perçu. (Cf. Code Théod. XI, tit. xvii), la série des constitutions impériales mentionnées ci-dessus, et Digeste XIX, i, 41 ; XXX, i, 39.