Grand dictionnaire universel du XIXe siècle/ALBE (Ferdinand Alvarez de Tolède, duc D’), général de Charles-Quint et de Philippe II

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Administration du grand dictionnaire universel (1, part. 1p. 174).

ALBE (Ferdinand Alvarez de Tolède, duc d’), général de Charles-Quint et de Philippe II, né en 1508, d’une illustre famille castillane, mort en 1582. Dès sa jeunesse, il porta les armes, accompagna Charles-Quint à la bataille de Pavie, au siége de Tunis, à l’expédition d’Alger, défendit la Navarre et la Catalogne contre les Français, remporta sur l’électeur de Saxe la fameuse bataille de Muhlberg (1547), où les protestants furent entièrement défaits, et combattit en Italie (1555) les Français et le pape Paul IV. À l’avénement de Philippe II, il jouissait d’une réputation militaire qu’on lui avait longtemps contestée, mais qui du moins était pure des excès dont il la souilla plus tard. Les troubles des Pays-Bas lui offrirent l’occasion de développer son caractère et de montrer à nu cette figure sinistre qui est restée dans l’histoire comme le déshonneur de sa nation et de la cause qu’il croyait servir. Les conseils qu’il donna au roi de supprimer par la force les tentatives d’indépendance religieuse de ces malheureuses provinces lui valurent d’en être nommé gouverneur, avec des pouvoirs illimités pour la répression. À son arrivée (1556), il révoqua toutes les promesses d’amnistie faites par Marguerite de Parme, rendit toute sa force à l’inquisition, et mit, pour ainsi dire, les provinces flamandes hors la loi par des édits dont les conséquences rigoureusement développées permettaient presque de ne plus trouver un seul innocent. Il institua un tribunal qu’il appela Conseil des troubles, mais que l’histoire a flétri du nom de Conseil de sang, et qui décima les Pays-Bas par le bûcher, le gibet et les tortures. Suivant son propre témoignage, dix-huit mille victimes, dont les plus illustres furent les comtes d’Egmont et de Horn, tombèrent dans cette hécatombe d’une nation. En même temps, il enrichissait ses soldats et ses sicaires par d’immenses confiscations. Les Flamands terrifiés s’enfuyaient par milliers, portant à l’Angleterre leurs richesses et leur industrie, pendant qu’une poignée de patriotes se rangeaient sous les drapeaux du prince d’Orange et commençaient l’héroïque résistance d’où devait sortir l’affranchissement des Pays-Bas. Le duc d’Albe montra dans cette guerre les talents d’un capitaine de premier ordre, et y exerça toute la cruauté qu’on lui connaissait. Toutefois, quelle que fût leur férocité, ses soldats répandirent moins de sang que ses bourreaux. Lui-même se lassa de cette lutte désespérée, et après la destruction de sa flotte par les Zélandais, il demanda son rappel et rentra en Espagne (1573). Disgracié pendant quelque temps, pour avoir favorisé le mariage secret de son fils avec une dame de la cour, il reparut à la tête de l’armée lors de la guerre contre le Portugal, qu’il soumit rapidement à Philippe II, mais qu’il inonda de sang et qu’il épuisa par ses exactions (1581). Malgré les plaintes qui s’élevaient de toutes parts contre lui, le roi n’osa le faire poursuivre, et il mourut paisiblement à Lisbonne l’année suivante, en pleurant, suivant une tradition douteuse, au souvenir des horreurs dont il s’était souillé. Le caractère le plus saillant de son talent militaire était la lenteur et la circonspection. Son nom est encore en exécration dans les Pays-Bas ; la voix de l’histoire a ratifié ce jugement d’un peuple, et le héros espagnol est resté comme un type, comme le représentant du fanatisme sanguinaire et de l’aveugle tyrannie de Philippe II.