Grand dictionnaire universel du XIXe siècle/AMÉRIQUE — Histoire 1° Découverte

La bibliothèque libre.
Administration du grand dictionnaire universel (1, part. 1p. 263-264).

Découverte. D’où venaient les peuples que les Européens rencontrèrent en Amérique lors des grandes découvertes du XVe et du XVIe siècle ? Sont-ils véritablement autochthones, ou des rameaux qui se sont séparés, à une époque inconnue de races de l’ancien continent ? Ce problème, qui a singulièrement embarrassé les historiens catholiques de la conquête, n’en est pas un pour les partisans de la pluralité des espèces humaines. Diverses hypothèses ont été émises par ceux qui admettent l’unité. Les monuments trouvés au Mexique, au Nicaragua, au Pérou, prouvent, aussi bien que les ruines de Balbeck, de Palmyre et de Persépolis, un état de civilisation avancé et datant de fort loin. C’est principalement dans les livres de M. Squiers sur l’Amérique centrale, que l’étude des antiquités américaines démontre que depuis des siècles le nouvel hémisphère était habité par des populations contemporaines probablement des Assyriens, des Grecs, des Égyptiens et des Romains de l’ancien monde. Notons en passant l’analogie frappante qui rapproche les statues découvertes au Nicaragua de celles qui ornaient les palais ou les temples de l’Égypte et de l’Assyrie. — Dans l’hypothèse qui tire de l’ancien monde les premiers habitants de l’Amérique, il faut admettre, qu’en raison de l’extrême imperfection de l’art nautique à l’époque nécessairement reculée où se produisit cette immigration, le passage dut s’effectuer par l’un des trois points où le nouvel hémisphère se rapproche le plus de l’ancien, c’est-à-dire par le Brésil, par le Groenland ou par l’Amérique russe. Celle-ci est séparée de l’Asie par le détroit de Behring, qui est à peine large de quelques lieues, et dont les glaces forment, pendant l’hiver, un pont naturel entre les deux continents. Trois à quatre jours de mer, par un bon vent, pouvaient amener au Groenland les barques des intrépides Islandais ou celles de leurs compatriotes, les Scandinaves. Le Groenland oriental, dans les terres de Scoresby, s’approche tellement de la péninsule scandinave et du nord de l’Écosse, que, de cette dernière au cap Barclay, il n’y a que 269 lieues marines, la moitié à peu près de la largeur de l’Atlantique, entre la cote africaine de Guinée et la côte américaine du Brésil. Cette dernière traversée étant la plus longue, il est peu probable que les peuples africains, si mauvais marins du reste, se soient risqués à chercher par delà leur Océan un nouveau continent. Certains auteurs ont parlé d’une prétendue découverte de l’Amérique par des Troyens, échappés au fer des Grecs; d’autres ont insinué que les marins carthaginois auraient pu aborder au Brésil. Mais, outre que l’histoire, qui nous a conservé la tradition du périple d’Hannon autour de l’Afrique, se tait complètement sur ces voyages bien autrement importants, il faut constater qu’avant l’implantation des nègres en Amérique, par les Européens, le type africain ne se retrouvait chez aucune peuplade du nouveau monde. Sans doute, les anciens eurent une vague perception de l’existence de l’Amérique. Homère plaçait l’Élysée dans la mer occidentale, au delà des ténèbres cimmériennes. La tradition des Hespérides et celle des îles Fortunées, succéda à celle de l’Élysée. Les Romains virent les îles Fortunées dans les Canaries, mais ne détruisirent point la croyance populaire de l’existence d’une terre plus reculée à l’occident. Sénèque est l’interprète exact de cette croyance, dans ces vers de sa tragédie de Médée :

 Venient annis
Secula seris, quibus Oceanus
Vincula rerum laxet, et ingens
Patent tellus, Typhisque novos
Detegat orbes, nec sit terris
Ultima Thule.

Vers la même époque, Vitruve, en faisant de la terre un globe immense tournant sur un axe appuyé à ses extrémités sur deux points fixes, Vitruve corroborait l’idée poétique de Sénèque, car il n’aurait jamais pensé à faire tourner un globe n’ayant que de la terre d’un côté et un élément liquide de l’autre. Néanmoins, nous dirons avec Chateaubriand : « Presque tous les monuments géographiques de l’antiquité indiquent un continent austral : je ne puis être de l’avis des savants, qui ne voient dans ce continent qu’un contre-poids systématique imaginé pour balancer les terres boréales ; ce continent était sans doute fort propre à remplir sur les cartes des espaces vides ; mais il est aussi très-possible qu’il y fût dessiné comme le souvenir d’une tradition confuse : son gisement au sud de la rose des vents, plutôt qu’à l’ouest, ne serait qu’une erreur insignifiante parmi les énormes transpositions des géographes de l’antiquité. »

Cette tradition confuse dont parle Chateaubriand, d’où venait-elle ? De voyages directs entre l’Amérique et l’Afrique par la pointe du Brésil ? Évidemment non. Elle venait des Phéniciens, des Carthaginois, déjà en relation pour leur commerce d’étain et d’ambre jaune, avec les marins de la Baltique, de la Scandinavie, de l’ultima Thule enfin, cette terre mentionnée par Sénèque et si près du nouveau monde. C’est de ces pays que vint sans doute à Carthage, où il demeura plusieurs années, deux ou trois siècles avant l’ère vulgaire, cet étranger mystérieux dont parle Plutarque, cité lui-même par Humboldt dans son « Examen critique de la géographie du nouveau monde. » C’est dans ces pays Scandinaves que Colomb trouva les légendes, les traditions qui le confirmèrent dans l’exactitude de ses admirables pressentiments géographiques. Et si, plus tard, il crut retrouver l’Ophir de Salomon dans les mines d’Hispaniola, c’est parce qu’il pensait avoir atteint, en naviguant à l’ouest, les contrées asiatiques explorées par les navires juifs, cinglant toujours à l’est.

Des trois points les plus rapprochés de l’ancien monde, et par lesquels seulement l’Amérique pouvait recevoir ses premiers habitants, il faut donc rejeter le Brésil. Restent le détroit de Behring et la traversée de la Scandinavie au Groenland. C’est à propos de ces deux points seulement que les savants se disputent encore, sans avoir pu s’accorder. Les uns prétendent que le détroit de Behring fut l’unique chemin choisi par les descendants de Noé, pour venir en Amérique, d’où il s’ensuivrait que les indigènes appartenaient tous à la race mongolique, excepté les rares habitants qui avoisinent le cercle polaire. L’autre théorie consiste à faire découvrir et peupler l’Amérique par les Scandinaves. Des deux côtés, on a soutenu son opinion, avec talent, par les traditions historiques, trop souvent obscures, par l’anthropologie, la linguistique et l’étude des antiquités.

« Les nations de l’Amérique, dit A. de Humboldt, forment une seule race, caractérisée par la conformation du crâne, par la couleur de la peau, et par les cheveux plats et lisses. La race américaine a des rapports très-sensibles avec celle des peuples mongols, qui renferme les descendants des Hiong-Nou, connus jadis sous le nom de Huns, les Kalkas, les Kalmoucks et les Burattes. Des observations récentes ont prouvé même que non-seulement les habitants d’Unalaska, mais aussi plusieurs peuplades de l’Amérique méridionale, indiquent, par des caractères ostéologiques de la tête, un passage de la race américaine à la race mongole. Lorsqu’on aura mieux étudié les hommes bruns de l’Afrique, et cet essaim de peuples qui habitent l’intérieur et le nord-est de l’Asie, que des voyageurs systématiques désignent vaguement sous le nom de Tartas et de Tchoudes, les races caucasienne, mongole, malaise et nègre paraîtront moins isolées, et l’on reconnaîtra dans cette famille du genre humain un seul type organique, modifié par des circonstances qui nous resteront peut-être à jamais inconnues. » La science s’est chargée de vérifier, excepté pour les indigènes du Canada et des États-Unis, ces paroles que l’Aristote moderne écrivait il y a quarante ans, et chaque jour apporte un nouveau témoignage en faveur du système de l’unité du genre humain. — Sur environ cent mots américains, choisis dans différentes provinces et reconnus comme presque identiques avec des mots chinois et des mots tartares, une cinquantaine sont des noms de peuples, peuplades ou villes ; dix ou douze sont des titres donnés à la divinité ou aux puissances de la terre ; quelques-uns sont des noms propres ; des noms communs y figurent aussi. La terminaison en an est très-fréquente au Mexique ; or, cette terminaison est tartare ou turque. M. Neumann, de Munich, a aussi identifié le Mexique avec ce pays de Fou-Schan, dont parlent, comme situé à deux mille lieues au levant de la Chine, les voyageurs boudhistes, auxquels M. Gustave d’Eichthal attribue également l’introduction en Amérique de cette civilisation dont on a trouvé au Mexique de si remarquables monuments. Wardenn, dans ses Recherches sur les populations primitives de l’Amérique, prouve, par quarante-trois exemples tirés des éléments de la grammaire chinoise, que la construction grammaticale de cette langue est absolument la même que celle des Othomis, l’un des anciens peuples de la vallée de Mexico. De plus, on a tiré un argument en faveur de l’origine asiatique des Mexicains, de ce fait, qu’une grande partie des noms par lesquels les Aztèques désignaient les vingt jours de leurs mois, correspondent pour le son à ceux des signes du zodiaque, tels qu’on les trouve chez les peuples de l’Asie orientale. Brevewood, savant antiquaire anglais, a prétendu aussi que l’Amérique a été originairement peuplée par les Tatars ; l’illustre de Guignes assure que les Chinois commerçaient, vers 458, avec ce continent ; et selon John Ranking, auteur anglais, une expédition mongole, dirigée contre le Japon au XIIIe siècle, aurait été jetée par une tempête sur les côtes d’Amérique et se serait étendue au Pérou, au Mexique et dans d’autres lieux. Si l’Amérique fut plus d’une fois visitée par les peuples de l’ancien continent, du côté de l’ouest, elle le fut aussi du côté de l’est. À la fin du Xe siècle, selon la chronique islandaise de Snorro Sturlœson, adoptée par les historiens du Nord, un seigneur norvégien, nommé Raude, exilé d’Islande, se rendit au Groenland, déjà découvert avant lui par un marin nommé Gunbivern. Dans son second voyage, en 1496, Colomb lui-même fut fort étonné de trouver, sur la côte de la Guadeloupe, les débris d’un navire qu’il jugea avoir été construit en Europe.

Si l’on ajoute à tout ce que nous venons de rapporter le voyage, très-douteux il est vrai, des frères Zeni, à la fin du XIVe siècle, dans les pays de Drageo et d’Estotiland, où l’on a cru reconnaître la Nouvelle-Écosse et le Canada, voyage entrepris sur le rapport de quelques marins qu’une tempête avait jetés dans les mêmes pays, quelques années auparavant, on aura tout ce que l’histoire rapporte des explorations de l’Amérique faites avant la fin du XVe siècle. Nous ne parlerons pas des prétendues découvertes de Madoc-Ap-Owen, Alonso Sanchez, Cousin et autres, mis en avant par les Anglais, les Portugais, les Français, etc. ; ces hypothèses sont fondées sur des documents ou des traditions trop incertaines pour mériter confiance.

Quand on examine le caractère des antiquités américaines, l’état de civilisation des peuples indigènes, au moment de leur conquête par les Européens ; quand on réfléchit à la nature du pays et aux lois qui ont présidé à toutes les invasions, il paraît probable que l’Amérique reçut sa population à la fois par le détroit de Behring et par le Groenland, c’est-à-dire qu’elle fut colonisée par les races mongolique et scandinave. Les grands royaumes du Mexique et du Pérou, les palais et les temples de Mexico et de Cusco, au temps de Cortez et de Pizarre, les idoles de formes indiennes, les sépultures de Mitla au Mexique, avec leurs ornements grecs, les monuments de Palenque et leur structure égyptienne, tout cela rappelle évidemment l’Asie, la Chine, et l’indoustan. Les explorateurs partis de la côte orientale de l’ancien monde, et débarqués sur les rivages américains du Pacifique, au nord de la Californie, tournèrent aussitôt leurs regards et leurs pas vers le sud, vers les pays de la lumière, de la chaleur et des fruits, invincible aimant qui attire toutes les hordes envahissantes, dans le nouveau comme dans l’ancien monde. Les sommets neigeux de la chaîne septentrionales des Andes, les monts Rocheux ôtèrent aux émigrants asiatiques toute envie de les traverser, pour se jeter à l’ouest dans la vallée du Mississipi. Ils restèrent sur la côte du Pacifique, descendant toujours au sud, s’établissant au Mexique, et gagnant le Pérou par l’isthme de Panama. Dans l’Amérique méridionale, les pics inaccessibles de la Cordillière des Andes empêchèrent encore les nouveaux venus de gagner les pampas de la vallée de l’Orénoque, et d’y porter la civilisation avancée que Pizarre et Almagro rencontrèrent au Pérou. Ainsi resserrés entre le Pacifique et la grande chaîne des monts américains, les Asiatiques multiplièrent dans cet étroit espace, où l’agglomération de la population les amena forcément à la civilisation et au despotisme oriental de la Chine et de l’Inde.

Trop indolents pour être navigateurs, ces peuples laissèrent même les îles du golfe du Mexique à la merci de la race scandinave. Celle-ci, débarquée au nord-est de l’Amérique, s’étendit bientôt sur la plus vaste moitié du nouveau monde, sur tout l’espace compris entre l’Atlantique et la Cordillère nord et sud des Andes, espace immense qui, permettant aux émigrants européens de s’éparpiller à mesure qu’ils arrivaient, empêcha toute agglomération de population, particularité qui explique l’état nomade ou sauvage dans lequel on trouva toutes les tribus à l’est des Andes. Là où il y eut, parmi elles, quelques tentatives de civilisation, on retrouve de rares monuments qui portent tous le cachet des races celtiques et Scandinaves. Cela est attesté aussi bien par les momies du Kentucky, copie des momies celtiques, par les anciennes fortifications et circonvallations en terre et en pierre de la vallée de l’Ohio, que par l’organisation politique des tribus sauvages, leurs croyances religieuses et leurs instincts guerriers. Des récifs de la Floride, quelques-uns de ces nouveaux arrivés passèrent d’île en île, jusqu’à la côte est de l’Amérique méridionale, où ils menèrent dans les pampas et les llanos la même vie que leurs frères des forêts et des savanes du nord, conservant avec jalousie les traditions de liberté personnelle apportées des clans scandinaves, ne voulant pas de roi et obéissant à peine à un chef. Les Caraïbes des Antilles ne purent même oublier tout à fait, malgré les chaleurs dissolvantes d’un climat torride, les traditions nautiques de leurs belliqueux ancêtres, les pirates scandinaves.

Découverte et colonisée déjà par quelques hardis explorateurs de l’ancien monde, l’Amérique était aussi inconnue du vieux continent que si elle n’eût pas existé. Les sagas scandinaves contenaient la seule donnée, le seul indice qui pût encourager Colomb à croire à ses calculs et aux révélations de son génie. Et encore, les légendes septentrionales, s’il les connut réellement, étaient trop vagues pour qu’il lui eût été possible d’y attacher une grande importance. Les sagas disaient qu’un Norvégien, du nom de Leif, parti en 1002 de l’Islande pour le Groenland, avait été poussé dans la direction du sud, vers une plage qu’il appela Vinland, à cause des vignes sauvages qu’il y trouva. D’autres aventuriers scandinaves y abordèrent plus tard et y fondèrent des établissements qui disparurent presque aussitôt. Quoique beaucoup d’auteurs prétendent que cette Vinland n’est autre chose que le Rhode-Island, ou quelque autre point de la Nouvelle-Angleterre, sa véritable position n’est rien moins que connue. M. Bigelow, écrivain américain qui est natif de Boston, a dû penser souvent à cette singulière coïncidence de la tradition des sagas avec la production de la vigne sauvage sur les collines de Taunton et du Rhode-Island, le seul point, en effet, sur la côte nord-est de l’Amérique, où la vigne croit naturellement.

Les manuscrits de Marco Polo, les légendes du moyen âge sur le fameux pays du Cathay, n’ont pas du être beaucoup plus utiles à Colomb que les légendes islandaises. Après Michelet, qui s’écrie : « L’Amérique, plusieurs fois trouvée en vain, est cette fois manifestée et assurée au monde par l’obstination d’un grand cœur », nous pouvons donc ajouter avec Chateaubriand : « Ne disputons pas à un grand homme l’œuvre de son génie. Qui pourrait dire ce que sentit Christophe Colomb, lorsque, avant franchi l’Atlantique ; lorsque, au milieu d’un équipage révolté ; lorsque, prêt à retourner en Europe sans avoir atteint le but de son voyage, il aperçut une petite lumière sur une terre inconnue que la nuit lui cachait ! Le vol des oiseaux l’avait guidé vers l’Amérique ; la lueur du foyer d’un sauvage lui découvrit un nouvel univers. Colomb dut éprouver quelque chose de ce sentiment que l’Écriture donne au Créateur, quand, après avoir tiré la terre du néant, il vit que son ouvrage était bon : Vidit Deus quod esset bonum. Colomb créait un monde. On sait le reste : l’immortel Génois ne donna point son nom à l’Amérique ; il fut le premier Européen qui traversa, chargé de chaînes, cet océan dont il avait le premier mesuré les flots. Lorsque la gloire est de cette nature qui sert aux hommes, elle est presque toujours punie. »

Ce fut le 11 octobre 1492, jour à jamais mémorable dans l’histoire du monde, que Colomb découvrit l’île Guanahani, aujourd’hui San-Salvador, dans l’archipel des Lucayes ; puis quelques jours après, Cuba et Haïti. Pendant son second voyage, en 1493, plusieurs des Antilles, la Dominique, Marie-Galante, la Guadeloupe, Montserrat, Antigua, Porto-Rico et la Jamaïque, s’offrirent à lui, sur sa route, sans qu’il soupçonhât encore l’existence du continent. Il n’eut connaissance de ce dernier qu’en 1498, à sa troisième expédition, pendant laquelle il gouverna directement à l’ouest, parvint à l’embouchure de l’Orénoque, découvrit l’île de la Trinité, ainsi que la Côte-Ferme, et longea cette dernière jusqu’à la pointe d’Araya, d’où il se dirigea sur Haïti. Enfin, dans un quatrième et dernier voyage, en 1502 et pendant les années suivantes, il ajouta à ses nombreuses découvertes celles de la Martinique, du havre de Porto-Bello, de la côte de Costa-Rica, de celle de Honduras, et termina ainsi glorieusement sa carrière maritime.