Grand dictionnaire universel du XIXe siècle/AUMALE (COMBAT D’)

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Administration du grand dictionnaire universel (1, part. 4p. 944).

AUMALE (Combat d’). Henri IV assiégeait Rouen, lorsqu’il apprit que les forces espagnoles des Pays-Bas, sous la conduite du duc de Parme, et l’armée de la ligue, commandée par Mayenne, s’avançaient pour le combattre. Il crut pouvoir à la fois continuer le siège et arrêter l’armée de secours, et, prenant seulement avec lui six à sept mille hommes de cavalerie, il poussa jusqu à Aumale pour reconnaître l’ennemi. Il se trouva alors en face de vingt-quatre mille hommes, obéissant à la savante impulsion du duc de Parme, et marchant dans un ordre admirable. En tête, dans un petit chariot, le redoutable Farnèse, goutteux, les pieds dans des pantoufles, allait, venait, et réglait jusqu’aux moindres détails. Jugeant alors impossible de rien entreprendre avec une si faible troupe contre une armée à laquelle servait d’âme un tel général, Henri ordonna la retraite, renvoya le gros de ses troupes à Neufchâtel, et ne garda qu’un millier d’hommes d’élite afin de tenter quelque coup de main hardi contre la cavalerie de la ligue. Ceux qui l’accompagnaient, Rosny en tête, essayèrent inutilement de le faire renoncer à cette témérité. Tandis qu’il escarmouchait devant le front de l’armée ennemie, la cavalerie espagnole l’avait débordé sur les deux flancs. Le duc de Parme s’était d’abord arrêté, considérant comme un piège une audace si contraire à ses habitudes de prudence ; mais dès qu’il fut bien assuré de la faiblesse de la troupe qu’il avait devant lui, il donna l’ordre de charger. Henri IV courut alors des dangers terribles. Les ennemis avaient reconnu son panache blanc, le glorieux panache d’Ivry, et tous voulaient arriver à cette noble proie. Ses compagnons le pressèrent de mettre sa personne en sûreté ; mais son orgueil chevaleresque se révolta contre cette proposition ; il voulut protéger ses soldats au lieu d’être sauvé par eux, et rester à la tête du dernier escadron, sur lequel tomba tout l’effort des ennemis. Les fantassins ligueurs et espagnols accablaient sa petite troupe d’une grêle de balles, et un coup de feu perça même l’arçon de sa selle et le blessa légèrement aux reins. On combattait de si près, que le roi put voir distinctement le soldat qui lui avait fait cette blessure. Néanmoins, il resta à cheval, et fit bonne contenance ; mais il eût été infailliblement pris ou tué sans le dévouement de sa noblesse : plus de la moitié de son escadron se fit tuer en le défendant. Il lui eût même été impossible de s’échapper, si le duc de Parme avait lancé quelques régiments de cavalerie à sa poursuite : mais celui-ci ne voulut jamais croire que le Béarnais s’était engagé si avant sans être puissamment soutenu. Grâce à cette circonspection, Henri put repasser la rivière de Bresle, qu’il avait traversée dans son mouvement agressif, et se mettre en sûreté dans les bois, de l’autre côté d’Aumale (5 février 1592).

Tous savaient, dans l’armée ennemie, que Henri IV avait reçu une blessure, mais on ignorait quelle pouvait en être la gravité. Il vit bientôt arriver un officier, de la part du duc de Parme, sous le prétexte de l’échange des prisonniers. Le roi ne se méprit point sur le véritable motif de cette visite de curiosité. « Annoncez au duc, votre maître, répondit-il à cet envoyé, que vous m’avez vu sain et gaillard, et bien disposé à le recevoir quand il voudra venir. »

Les dangers qu’Henri IV avait courus dans cette journée impressionnèrent vivement ses amis. Le vieux maréchal de Biron lui représenta qu’il était malséant à un roi de France de s’exposer comme un capitaine de chevau-légers, et le sévère Duplessis-Mornay lui écrivit ; « Sire, vous avez assez fait l’Alexandre, il est temps que vous soyez Auguste. » Heureusement, le duc de Parme, trop méthodique, ne sut point profiter de cet avantage.

L’esprit aventureux et la bravoure chevaleresque d’Henri IV étaient pour ainsi dire avides de périls ; aussi ce prince se plaisait-il plus tard à rappeler le combat d’Aumale. Il reconnut même le soldat dont la balle lui avait effleuré les reins, et qui était devenu un royaliste dévoué. Toutes les fois qu’il le rencontrait, il ne manquait jamais de dire à ceux qui l’accompagnaient : « Voilà l’homme qui me blessa à la journée d’Aumale. » Il s’aperçut un jour que ces paroles, qui semblaient renfermer un reproche, affectaient vivement le vieux soldat, et qu’une larme coulait sur ses épaisses moustaches : « Ventre-saint-gris ! mon ami, lui dit le roi en riant, console-toi ; nous voilà encore là tous les deux ; je ne voulais pas t’affliger. Eh bien, je n’en parlerai plus. »