Grand dictionnaire universel du XIXe siècle/A travers l’empire britannique (hübner) (supplément 2)

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Administration du grand dictionnaire universel (17, part. 1p. 393).

A travers l’empire britannique, par le baron de Hübner (1886, 2 vol. in-8º)). Ce nouvel ouvrage du baron de Hübner, déjà auteur d’une Promenade autour du monde, est en réalité un second Voyage autour du monde, l’empire britannique étant disséminé à peu près sur toutes les parties du globe. L’éminent diplomate visite successivement la colonie du Cap, les républiques de Transvaal et d’Orange, le Bazoutoland et le Zoulouland, gagne de là l’Australie, la Nouvelle-Zélande, puis, en passant par Java et Ceylan, l’Inde, qu’il parcourt entièrement, de Madras à Bombay et Delhi jusqu’au Kaboul, en revenant par Bénarès et Calcutta. De l’Inde, il touche une seconde fois l’Australie, et, en traversant le Pacifique pour se rendre à San-Francisco, s’arrête quelque peu aux lies Norfolk, Fidji, Samoa ; de Portland, où il va par mer, après San-Francisco, il se rend au Canada et de là à New-York, où il se rembarque pour l’Europe. Son voyage avait duré quatorze mois, du 29 juin 1883 au 29 août 1884, et il avait parcouru exactement 99.942 kilom.

L’intérêt de ce journal de voyage est double, M. de Hübner examinant les pays qu’il visite à la fois en touriste qui recueille des impressions pittoresques, et en homme d’État qui scrute la force ou la faiblesse des institutions. En somme, pour aller tout de suite à sa conclusion, il voit l’empire britannique encore très solidement assis, et pour de longues années, dans ses innombrables annexes, malgré le réveil des nationalités qui se fait ça et là sentir, comme au Cap et au Canada, et il estime que l’Inde est pacifiée définitivement. L’avenir seul peut condamner ou justifier ces vues optimistes, mais l’opinion d’un observateur exact et désintéressé tel que le baron de Hübner a du poids. Quant à l’Australie, il n’est pas loin de croire à sa séparation prochaine de la métropole, l’opinion publique, assez peu éclairée, du reste, en politique générale, subissant l’influence continue et efficace d’une presse et d’orateurs de carrefour plus que radicaux, qui reçoivent leur mot d’ordre des Trades Unions d’Angleterre et d’Amérique. A propos d’une question quelconque où les Australiens croiront voir, de la part du gouvernement central, un mépris de leurs droits ou un déni de justice, le lien qui les unit à la mère patrie peut se tendre jusqu’à se briser. Ce n’est que grâce à la puissance de son armée navale que l’Angleterre maintient sa domination sur tant de peuples divers, et, d’un autre côté, cette puissance navale n’existe que grâce à ces colonies qui l’alimentent et lui permettent de se déployer. Tel est le cercle vicieux, au moins en apparence, où s’agita la grandeur de l’Angleterre.

La partie pittoresque de l’ouvrage ne le cède en rien à la partie politique ; elle plaît d’autant plus que l’auteur ne vise nullement à la richesse descriptive du styliste et se contente de marquer ce qu’il a vu, d’un trait sobre et précis. Appartenant au monde officiel, c’est généralement le monde officiel qu’il voit et qu’il recherche ; d’abord, il y trouve la meilleure source d’informations pour les sujets d’enquête qui le préoccupent, puis il se meut avec lui dans son élément ordinaire. C’est avec la plus grande satisfaction, par exemple, qu’il voit partout l’Anglais toujours le même, dînant ou lunchant aux mêmes heures, sous toutes les latitudes, en frac noir, en cravate blanche et la fleur à la boutonnière. Qu’il aille au Cap ou dans l’Inde, il y est reçu avec le même cérémonial. Mais heureusement il ne s’arrête pas à ce décor superficiel et, sans jamais toutefois pénétrer bien à fond dans les couches populaires, il en voit cependant assez pour que le tableau ne garde pas une ennuyeuse monotonie ; car s’il est agréable au voyageur, après des mois ou des semaines de privations, de se retrouver au bout du monde dans un milieu européen, le lecteur serait loin d’éprouver le même plaisir. D’ailleurs, il est des pays, comme aux îles Fidji, Samoa, Norfolk, M’bao, etc., où le monde officiel lui-même, souverains, chambellans et dames de la cour, manque absolument de la tenue de rigueur. Cette partie de l’exploration, qui occupe un bon tiers du second volume, est aussi amusante qu’instructive. La rencontre de M. Hübner avec le roi de Samoa est piquante. « Nous entendîmes derrière nous, dit-il, les pas précipités d’un homme essoufflé qui avait apparemment hâte de nous dépasser. On l’arrêta et nous fîmes route ensemble. Cet individu portait une chemise qui ne sortait pas des mains de la blanchisseuse et un pantalon de toile qui s’en allait en loques. Ses traits manquaient de distinction et l’expression de sa physionomie était à l’avenant. Nous perdîmes notre peine à vouloir lui arracher un seul mot ; à tout ce qu’on lui disait il répondait par de gros rires. Ce ne fut qu’aux approches de la maison des réunions publiques, vers laquelle il dirigeait ses pas, que j’appris son nom : c’était tout simplement le roi. J’éprouvai alors quelque scrupule en songeant au sans-gêne avec lequel j’avais apostrophé Sa Majesté. »