Grand dictionnaire universel du XIXe siècle/Alexandre, la seconde des tragédies de Racine

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Administration du grand dictionnaire universel (1, part. 1p. 192).

Alexandre, la seconde des tragédies de Racine dans l’ordre chronologique, représentée pour la première fois en 1667. Le sujet de cette pièce est emprunté entièrement au VIIIe livre de Quinte-Curce ; on n’en connaît guère où l’histoire soit plus exactement suivie. C’est, dit La Harpe, la première tragédie française écrite avec élégance ; mais elle manque d’action et surtout de cet intérêt qui soutient seul les pièces de théâtre, quand on n’y supplée point par des beautés d'un autre genre. L’esprit d’imitation y est trop marqué, et Alexandre est aussi froidement amoureux d’une reine des Indes que César de celle d’Égypte. Boileau a cru mettre une louange déguisée dans la bouche de son campagnard du Repas ridicule, quand il lui fait dire :

Je ne sais pas pourquoi l’on vante l’Alexandre ;
Ce n’est qu’un glorieux qui ne dit rien de tendre.

Il en dit beaucoup trop pour un conquérant. Il y a des héros qu’il ne faut jamais faire soupirer sur la scène, et Alexandre est de ce nombre. Mais Racine sacrifiait encore à la mode consacrée par Corneille, qui faisait débiter à Sertorius des galanteries dignes des marquis du temps. On dit néanmoins que Racine ayant soumis sa pièce au jugement de l’auteur de Cinna, ce grand homme n’y reconnut point le caractère d’Alexandre, et qu’il conseilla au jeune auteur de renoncer à la tragédie. Le rôle de Porus est plus énergiquement tracé ; il appartient à l’école des héros de Corneille ; mais les beaux vers mêmes qu’il débite sentent trop l’imitation et approchent de la bravade. Saint-Evremont, après avoir exprimé les brillantes espérances que lui faisait concevoir le jeune auteur, n’en porte pas moins sur lui, à cette occasion, un jugement juste et sévère. « Il a, dit-il, des pensées fortes et hardies, des expressions qui égalent la force de ses pensées ; mais vous me permettrez de vous dire, après cela, qu’il n’a pas connu Alexandre ni Porus. Peut-être que pour faire Porus plus grand, sans donner dans le fabuleux, il a pris le parti d’abaisser son Alexandre. Si tel a été son dessein, il ne pouvait pas mieux réussir ; car il en fait un prince si médiocre, que cent autres le pourraient emporter sur lui comme Porus… À parler sérieusement, je ne connais ici d’Alexandre que le nom seul ; son génie, son humeur, ses qualités, ne me paraissent en aucun endroit. Je cherche dans un héros impétueux des mouvements extraordinaires qui me passionnent, et je trouve un prince si peu animé, qu’il me laisse tout le sang-froid où je puis être. Je m’imaginais en Porus une grandeur d’âme qui nous fût plus étrangère ; le héros des Indes devait avoir un caractère différent de celui des nôtres. »

La tragédie d’Alexandre marquait néanmoins un progrès dans le talent de Racine ; son troisième essai, Andromaque, devait être un de ses plus admirables chefs-d’œuvre.