Grand dictionnaire universel du XIXe siècle/Algérie (supplément 2)

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Administration du grand dictionnaire universel (17, part. 1p. 146-156).

** ALGÉRIE, grande contrée de l’Afrique septentrionale, la plus importante des possessions françaises. Elle est bornée au N. par la Méditerranée, à l’O. par l’empire du Maroc, à l’E. par la Tunisie et au S. par le Sahara. La limite N., qui s’étend de l’O. au N.-E., est comprise entre la rivière Skis ou l’oued Hadjeroud k l’O. et le cap Roux à l’K. Vers l’O., la frontière qui la sépare du Maroc a été déterminée par le traité conclu le 18 mars 1845. Cette limite commence à l’embouchure de l’oued Hadjeroud, à l’O. du cap Milonia. Elle se continue du N. au S.-E., suivant une ligne sinueuse qu’on arrête au 30e degré de lat. N., c’est-à-dire là où commence le Désert. Les articles 4 et 6 du traité portent : « Art. 4. Dans le Sahara, il n’y a pas de limites territoriales à établir entre les deux pays, puisque la terre ne se laboure pas et qu’elle sert seulement de passage aux Arabes des deux contrées, qui viennent y camper pour y trouver les pâturages et les eaux qui leur sont nécessaires. » — ■ Art. 6. Quant au pays qui est au S. des ksour des deux gouvernements, comme il n’y a pas d’eau, qu’il est inhabitable et que c’est le Désert proprement dit, la délimitation en serait superflue. ■ À l’E., l’Algérie est séparée de la Tunisie par une ligne qui commence au cap Roux, descend presque en ligne droite, en suivant la crête des montagnes, jusqu’au 35e degré de lat, N., incline ensuite fortement à l’O. et finit, comme la iimite N., au 30° degré. Au S., l’Algérie n’a d’autre limite que celle qu’il convient à la France de se donner, d’où l’impossibilité de préciser la superficie exacte de notre colonie. Cette limite est momentanément fixée au 30» degré de lat. N., embrassant de l’O. À l’E. les oasis des Ouied-Sidi-Cheik, les ksour de Metlili, d’Ouargla, de l’oued R’ir et du Souel. Enfin, la partie du Sahara algérien vers le S. comprend l’oasis des Chainbâa. Dans ces limites, l’Algérie occupe une superficie de G67.065 kilom. carrés et so trouve comprise entre 30° et 37« 6’ 20" de lat. N., 6<> 16’ de long. E. et 40 36" de long. O.

Orographie. L’Algérie est traversée dans le sens de sa largeur par une portion de l’A lias, chaîne unique qui part de l’océan Atlantique et s’étend jusqu’au golfe de Gabès, en Tunisie. Elle ne possède aucune montagne très élevée, et la distinction du grand et du petit Atlas n’est pas admise par M. Studler, qui, d’accord avec M. Ville, ne considère l’Algérie que comme une chaîne unique de montagnes interrompue par des vallées et des plaines.

L’Algérie est partagée, parallèlement à la côte, en deux zones naturelles : le Tell au N., le Sahara au S. Entre ces deux régions se développe le dos du pays qui porte le nom de Hauts-Plateaux. Cependant ces Hauts-Plateaux n’existent pas dans toute la largeur de l’Algérie. Nettement indiqués k l’O. et au centre, ils disparaissent dans l’E. Dans la province de Constantine, on passe directement du Tell dans le Sahara. L’Atlas algérien est divisé en plusieurs branches. Les unes, se projetant inégalement vers le N., forment, sous le nom de Sahel, qui veut dire • rivage ■, une ligne de collines qui court à peu près parallèlement h la mer, dont elles sont plus ou moins rapprochées. Elles comprennent entre elles et la chaîne principale un certain nombre de petits bassins. Quelquefois l’Atlas détache des chaînons, qui arrivent jusqu’au littoral. Alors les collines et les plaines sont interrompues en ces endroits, qui n’en portent pas moins le nom de Sahel. Les autres chalnons, se projetant à l’intérieur et parallèlement au rivage, forment au S.-E. le djebel Amour, point culminant, le djebel Touila-Maknaf 1.900 mètres), entreGéryville, Zenina et Laghouat ; et au S.-O. le djebel Aurès, entre Batna et Biskra, à l’O. de Krenchela et à l’E. de Khanga. Ces dernières chaînes bordent le S’hara ; elles comprennent également, entre elles et la chaîne principale, un certain nombre de plaines. Pour se faire une idée bien nette de la configuration du sol, il suffit de supposer que ce vaste système est coupé, suivant un méridien, par un plan vertical : la figure ainsi obtenue représente un immense escalier dont les marches, irrégulièrement escarpées, indiquent assez exactement la superposition des étages successifs à gravir lorsque, partant do la nier, on s’élève dans l’intérieur des terres. Entre les montagnes du Tell qui longent la Méditerranée, et la chaîne saharienne qui borde le Sahara, s’étend une terrasse allongée, dont l’altitude varie de 500 à 1.000 mètres, et à laquelle on donne ordinairement le nom de Hauts-Plateaux. Ces deux chaînes de montagnes, séparées l’une de l’autre par près de 200 kiloin., à la frontière marocaine, se terminent, l’une au Ras el-Mekki, l’autre au cap Bon, c’est-à-dire aux deux points extrêmes du golfe de Tunis. Les principales montagnes (djebel) sont, en allant de l’O. À l’K., dans la province d’Oran : les monts de Tlemcen, dont le point culminant est le djebel Kouabet

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(1.621 mètres) ; les monts de Daya, entre le Sig et l’Habra (1.342 mètres) ; les monts de Saîda, entre l’Habra et la Mina ; le djebel Tessala, à 20 kilom. au N.-O. de Sidi-bel-Abbès (1.059 mètres). Le djebel Amour

comprend toute la partie O. du mussif saharien et se divise en trois massifs principaux : le djebel K<san et le djebel Roundjaïa, au S. des Chotts, et le djebel Amour proprement dit, au S.-E. Dans la province d’Alger se trouvent les monts de l’Ouarsenis, dont les points culminants sont : le pic de l’Ouarsenis, au S.-E. d’Orléans ville (1.985 mètres) ; le pic Ennadate, à l’O. de Téniet (1.732 mètres) ; le pic Echohnou, à l’E. de Téniet (1.810 mètres) ; le pie Douî, à l’O. de Miliana (2.053 mètres) ; le picTalazit, an S. de Blida (1.608 mètres) ; les monts du Dahra, entre le Chélif et le littoral, dont le point culminant est le djebel Zaccar (1.535 mètres) ; les monts duTiteri, dontle point culminant est le djebel Dira (1.8IO mètres) ; les montagnes de la Grande-Kabylie, dont le point culminant est Lella-Kédidja (2.308 mètres). Le Djurdjura, qui dessine de l’O. À l’E. une ligne concave vers le N., et dont le développement est de 90 kilom., a pour points culminants : le Temmigro, au S.-O, de Dellys (1.088 mètres) ; le Kella, au S.-E. du Fort-National (2.318 mètres) ; le Tirourda, à l’E. du Kella (1.817 mètres) ; le Chellata, au N.-E. du Tirourda (1.780 mètres). Enfin, la partie centrale du massif saharien comprend le djebel Senelba et le djebel Sabari, au S. des Zahrez, Dans la province de Constantine se trouve le massif de la Petite-Kabylie, entre l’oued Sahel à l’O. et l’oued Kébir, à l’E. Il est formé par des montagnes très confuses et se divise en deux chaînes principales, parallèles entre elles : la chaîne des Babor, dont le point culminant, est 1<- djebel Adrar (1.994 mètres), et la chaîne des Bibans, qui limite les Hauts-Plateaux ; viennent ensuite les monts du Hodna, qui forment la ceinture septentrionale du bassin du Hodna ; les monts de la Kroumirie, près de la côte et de la frontière tunisienne, les monts de la Medjerda. Puis, dans le massif saharien :1e djebel Boukaîl, nu S. du Hodna, et le djebel Aurès, dont le nœud central s’élève & plus de 2.300 mètres et qui, du côté du S., tombe presque perpendiculairement sur le Sahara. Abruptes et remplies de Assures profondes, les deux branches de l’Atlas et les chaînons transversaux ou latéraux qui les unissent, comme, par exemple, les monts Aurès et te Djurdjura dans les provinces de Constantine et d’Alger, n’offrent souvent pas d’autres passages que des défilés étroits, où il stifdt d une poignée d’hommes pour arrêter la marche d’une armée ; tel est le fameux Biban ou « la Porte de Fer 1, entre les deux provinces. Couvert de forêts sur ses flancs, l’A tlas parait renfermer des richesses considérables en métaux.

Le Tell (mot arabe qui signifie butte, monticule, et par extension, colline, petite montagne), s’étend de la Méditerranée au Plateau central, qu’il englobe en partie. Il est compris entre le littoral et une ligne sinueuse qui part de la frontière du Maroc, au S.-O. de Sebdou, passe un peu au S. de Sebdou, de Daya, de Saîda, de Frenda, de Tiaret, de Teniet-el-Haàd, de Boghar, d’Aumale, de M’sila, de Barika, de Batna, de Krenchela et de Tébessa, et se termine à Aïn-Boudriès, sur la frontière de Tunisie, au S.-E. de Tébessa. Sa largeur est variable : à l’E. et au Centre, elle est de 110 à 120 kilom. ; à l’E., de 260 kilom. ; sa superficie comprend 15.000.000 d’hectares. Le Tell se partage en plusieurs sous-régions, présentant chacune des caractères bien distincts : la région littorale, à climat chaud et humide, où se trouvent les villes maritimes du pays ; la région des plaines à climat chaud et sec, dont on peut trouver le type tout près d’Alger, à Blida ; la région montagneuse, à climat tempéré, excepté lorsque souffle le siroco. Le Tell est la région fertile de l’Algérie : c’est le grenier des trots provinces. Sans fumure, et presque sans culture, le sol non irrigué rend de 10 à 12 hectolitres à l’hectare ; irrigué, il en produit de 20 à 30. Non seulement il fournit à la consommation de ses habitants, mais il peut livrer chaque année une partie considérable de ses récoltes aux populations sahariennes, aux commerçants européens et aux caravanes du désert. C’est dans le Tell que se sont installés presque tous les colons ; les indigènes qui s’y trouvent, Berbères dans tes montagnes, Arabes et Berbères mêlés dans les plaines, sont agriculteurs et sédentaires, et ce sont eux qui exécutent la plus grande partie de la maind’œuvre dans la culture et même dans l’industrie européenne. Malheureusement le régime des eaux est défectueux, les pluies sont abondantes, mais torrentielles et rares ; les rivières débordent en hiver et sont à sec en été. On lutte contre la sécheresse en établissant des barrages-réservoirs. Citons, entre autres, le barrage de l’Habra, près de Perrégaux, dans la province d’Oran. Ce barrage, construit au-dessous de la réunion de l’oued El-Hammam, de l’oued Tézou et de l’oued Fergoug, qui prend alors le nomd’Habra, a une longueur de 478 mètres, y compris les 128 mètres du déversoir ; sa hauteur est de 40 mètres, la partie bétonnée est de 7 mètres, enfin son épaisseur est de 38m.96 à la base. L’eau, arrêtée derrière le barrage, forme un immense lac, dont les bords semblent attendre

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des constructions, lac qui, se divisant en trois branches, remonte la vallée de l’oued el-Hainmam pendant 7 kilom. ; celle de Tourzout pendant 3 ou 4 kilom., celle de l’oued Fergoum pendant 7 kilom. Les eaux apportées par les trois oueds sont troubles, mais elles se reposent dans le lac et elles en ressortent limpides, La contenance de ce bassin est de 14.000.000 de mètres cubes. Cette eau s’écoule vers le bief inférieur par de puissantes vannes qu’un seul homme peut ouvrir au moyen d’un ingénieux mécanisme. Les dépenses du barrage de l’Habra ont été de plus de 4.000.000 de francs.

Les Hauts-Plateaux sont de véritables steppes, le domaine de l’Arabe pasteur. Ils commencent à une distance moyenne de 140 kilom. du littoral. Celte région, dont la largeur moyenne est de 130 à 140 kilom., s’incline du N. au S. en se creusant un peu ; elle présente à l’œil d’immenses plaines légèrement ondulées, arides, balayées par les ouragans de sable. Quelques-unes de ces plaines, néanmoins, sont cultivables ; mais on y rencontre peu ou point d’eau, excepté dans les chotts et les selikhas, sortes de lacs intermittents où s’amassent les eaux pendant la saison pluvieuse. La végétatinn, abondante pendant cette saison, permet l’élevage des grands troupeaux ; sur les plateaux, surtout dans l’O., elle croit sur des étendues considérables. L’alfa, cette précieuse plante, y est aujourd’hui ex ploitée en grand. Au S., ces plaines immenses se relève.nt insensiblement pour se raccorder au djebel Amour et au djebel Aurès. À l’époque de la domination romaine, il existait, paratt-il, sur les Hauts-Plateaux, d’immenses forêts où vivait l’éléphant. À partir de l’invasion arabe, la destruction systématique des forêts pour en faire des pâturages a ruiné ce pays et desséché les rivières qui l’arrosaient. Les Hauts-Plateaux occupent une superficie de près de 10.000.000 d’hectares, l’étendue de dix-sept à dix-huit départements ; un reboisement pourrait rendre à la région son ancienne fertilité.

Le Sahara algérien commence au S. de la ligne des Chotts. Il offre trois niveaux principaux : les hamadas, vastes plateaux élevés de 10 mètres au-dessus du niveau moyen, brûlés, arides, absolument sans eau et dont le sol est composé de cailloux et d’un sable si fin qu’il pénètre dans des montres à double boîtier ; les dunes on areg, où l’eau se trouve à une certaine profondeur et où, de loin en loin, dans cette mer de sable, s’élèvent des Ilots de verdure, connus sous le nom d’oasis, habités par une population clairsemée, qui vit en cultivant quelques légumes et quelques céréales, juste suffisants pnur sa subsistance ; enfin, au niveau tout à fait inférieur, les chotts ou sebkfias, où ces petits lacs sont très nombreux, ce qui permet aux habitants d’y séjourner pendant l’hiver, mais qui deviennent, pendant l’été, des plaines sans fin formées d’un limon argileux, mêlé de sel. Ajoutons que, dans tout le Sahara algérien, les rosées sont si fortes, qu’elles fournissent, le matin, avant le lever du soleil, assez d’eau pour désaltérer les troupeaux qui broutent l’herbe mouillée.

Hydrographie. Il n’y a. en Algérie, excepté le Rummel et le Chélif, aucun cours d’eau navigable, ni même flottable. En hiver, les eaux des pluies descendent, comme des torrents, le long des pentes, détruisant tout sur leur passage, entraînant des terres, des pierres, des débris de toutes sortes ; elles se creusent un large ravin, se frayent une route au travers des rochers, des buissons, des massifs de lauriers-roses : c’est là une rivière, l’oued des Arabes. Lorsque arrivent les chaleurs de l’été, ces oued sans bords se dessèchent ou sont devenus de minces filets d’eau, et les exhalaisons qui s’échappent des détritus végétaux et animaux qu’ils ont apportés dans leur course, causent ces fièvres intermittentes, endémiques dans notre colonie. Parfois les eaux se réunissent dans des bas-fonds salins et marécageux d’une nature particulière ; elles forment alors ces petits lacs, ou plutôt ces flaques d’eau sauuiâtre, nombreuses en Algérie, appelées chotts dans l’Ouest et sebkfias dans l’Est.

L’Algérie présente deux versants principaux : l’un comprend toutes les eaux qui se jettent dans la Méditerranée ; l’autre, celles qui se dirigent vers le désert. Presque toutes ont des noms multiples ; nous donnerons au courant principal le nom sous lequel il est le plus connu. Les principales rivières sont, dans la province d’Oran : l’oued Adjirout, qui se jette dans la mer à 27 kilom. S.-O. du cap Milonia, et sépare le Maroc de l’Algérie ; la Tafna (145 kilom.), qui prend sa source dans les montagnes dominant Sebdou, se dirige vers l’O. par une ligne courbe, remonte vers le N.-O. pendant 28 kilom., suit la direction du N. jusqu’à hauteur de Lalla-Maghrnia, puis tourne au N.-E et va se jeter dans la mer, en face de l’Ile de Raohgoum. La Tafna reçoit, à gauche, l’oued Mouilab, qui vient du Maroc et, à droite, l’oued Isser, qui descend du djebel Mimoun, au S.-E. de Tlemcen, coule vers le N. pendant 100 kilom., puis tourne k l’O. jusqu’à son confluent. La Macla est formée par le Sig et l’Habra. Le Sig (215 kilom.) prend sa source dans les Hauts-Plateaux, au S.-O. de Daya-, il est formé, dans sa partie supérieure, de l’oued Sekaousir, puis de l’oued Mekerra, qui baigne la plaine de ce nom autour de Sidi-bel-Abbès, s’incline ensuite à l’E., se dirige vers le N, traverse la plaine à laquelle il a donné son nom et se jette dans le marais de la Miicta. L’Habra (235 kilom.) descend également clés Hauts-Plateaux au N. de Daya ; il porte alors le nom d’oued Tenazera et coule (lu S. au N.-E. jusqu’au point où il rencontre l’oued Houanet. Il prend alors le nom d’oued El-Hamman, se dirige vers le N. en traversant le territoire des Cheragas et prend enfin le nom d’Habra, sous lequel il se jette dans le marais de laMacta. Leur réunion à leur sortie des marais forme la Macta, qui se jette dans la mer entre Arzeu etMostaganem. Le Ckélif{605 kilom.) a sa source, ses irincipaux affluents et son embouchure dans a province d’Oran ; mais, pour la plus grande partie de son parcours, il appartient à la province d’Alger. Ses principaux affluents, dans son cours inférieur et sur le territoire oranais sont : 1" la Mina (200 kilom.), qui

firend sa source au S. de Tiuret, passe à Reisane et au ktar de Sidi-bel-Hacel et se joint au Chélif 13 kilom. plus bas, après avoir reçu l’IIillil, à 5 kilom. S. de Bel-Hacel ; l’oued Djidionïa, qui descend du djebel Seffalou, au N. de Tiaret, et se perd dans le Chélif, à S kilom. k l’O. de l’oued Riou ; 3<> l’oued Riou, qui prend sa source au N.-E. de Tiaret, coula d abord de l’E. à l’O., se dirige ensuite vers le N. et se jette dans le Chelif a, 25 kilom. au S. d’Ammi-Moussa, dans la province d’Alger. Le Chélif, le fleuve Asar des Romains et la principale rivière de l’Algérie, prend naissance aux environs de Tiaret (départ. d’Oran) d’un groupe de sources appelé S^baïn-Aïoun (les Soixante-Dix sources) ; sous le nom de Nhar-Ouassel, il fait, jusqu’aux marais de Kseria, dans la direction de l’O. au N.-E., un parcours de 140 kilom. À partir des marais, il remonte vers le N. jusqu’au-dessus de Boghar, incline ensuite vers le N.-O. jusqu’au-dessous et à l’E. de Milîatia, tourne à 10. puis, courant en sens contraire de sa première direction, traverse d’un bout à l’autre, en passant à Orléansville, la plaine à laquelle il donne son nom, et va se jeter dans la mer au N.-E. et à 12 kilom, de Mostaganem (départ. d’Oran).Ses principaux affluents dans le département d’Alger et sur la rive gauche sont : l’oued Isley, l’oued Fodda, L’oued Rouîna, l’oued Dourdour, l’oued Ouaran. Les autres cours d’eau du département d’Alger sont : l’oued Dhamous, qui descend d’un des contreforts de l’Atlas, au S. de Bent-Akil, coule du S. au N.-E. et se jette dans la mer entre Tenès et Cherche ! !, à 33 kilom. à l’E. de la première ; le Mazagran, formé de la Coiffa et de l’oued Djer, passe au pied de Koléa, coupe le massif, traverse une riche vallée, et revient se jeter dans la mer au N.-E. de Koléa et k 8 kilom. de Sidi-Ferruch. L’Harrach prend sa source dans

les montagnes à l’E. de Blida ; elle est formée par la réunion de l’oued Akia et de l’oued Mokta, coule du S. au N., divise en deux la partie centrale de la plaine de la Mitidja, passe à Rovigo, au Gué-de-Constantine, à la Maison-Carrée, avec une largeur qui atteint 80 mètres, et se jette dans la baie d’Alger, k 9 kilom. de cette ville. L’Isser (200 kilom.) prend sa source entre Médéa et Aumale, dans les flancs du plateau des Beiti-Sliman ; elle coule dans la direction du N.-E., passe auprès de Palestro et de Bordj-Menaïel, traverse la riche plaine des Issers, puis se jette dans la mer à ÎO. du cap Djinet. Le Sebaou (lio kilom.) prend sa source au pied du col d’Akfadou, chez les Beni-Hidjer, reçoit, au moyen de nombreux affluents, toutes les eaux du versant N. du Djurjura, coule de l’E. À l’O. ; se dirige vers le N. après avoir laissé sur sa droite Je bordj-Sebaou, passe non loin de Rebeval et se jette dans la mer, à 6 kilom. À l’O. de Dellys.

Dans la province de Constantine, on trouve : l’oued Sahcl (200 kilom.), qui prend sa source dans le djebel Dira, au S. d’Aumale, descend vers le N.-E. sous le nom d’oued Riourarou, prend ensuite celui d’oued Zfiîan, puis enfin celui d’oued Sahel, coule à l’E. du Djurdjura et se jette dans la mer à 2 kilom. de Bougie. Il reçoit sur sa gauche : l’oued Edd<>us et l’oued Okrts, et sur sa droite i’oued Chebba, l’oued Bou-Sellam et l’oued Mhadjar. L’oued El-Kébir {245 kilom.) est formé de l’oued Ruinmel, grossi du Bou-Merzoug ; il descend des montagnes à l’E. de Sétif, et, sous le nom de Ruinmel, coule de l’O. À l’E. jusqu’à Constantine, qu’il entoure sur les deux tiers de son périmètre, après avoir reçu le Bou-Merzoug au S. de la ville ; il descend ensuite vers le N. pendant 27 kilom. et prend le nom d’oued El-Kébir, qu’il conserve jusqu’à son embouchure ; il coule presque en ligne droite de l’E. À l’O., sur un parcours de 20 kilom., descend vers le N.-O. jusqu’au point où il rencontre l’oued Endja, qui vient de l’O., puis il se dirige droit vers le N. et se jette dans la mer à 32 kilom. k l’E. de Djidjelli. La Seybouse (232 kilom.), qui porte le nom d’oued Cherf dans son cours supérieur, descend des plateaux des Ouled Khanfeur, coule du S. au N. jusqu’à Medjez-Hamar, où elle reçoit sur sa gauche l’oued Zenati, grossi de l’oued Mridj, contourne du S.-O. À l’E.

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le territoire de Guelma, où elle prend le nom de Seybouse, puis descend vers le N. et se jette dans la rade de Bône.

Cinq rivières principales descendent des montagnes des ksour entre Figuig et Géryvilie et vont se perdre dans les sables ou areg. Ce sont : l’oued Sousfana (rivière de Figuig), tributaire de l’oued Guir ; l’oued Mamous (rivière d’Aïn-Sefni) j l’oued Gharbi (rivière d’EI-Abiod) ; l’oued Seggueur (rivière de Brézina) ; l’oued Zergoum (rivière de Tadjerouna). Une grande partie des eaux entre Géryville et Tébessa se réunissent dans l’oued Djedi, qui prend sa source dans le djebel Amour et suit la direction générale, celle du N. au S. jusqu’à Tajemont ; mais à partir de ce point il se dirige de l’O. À l’E. et traverse presque en ligne droite le département d’Alger, en passant à Aïn-Mahdi, à Laghouat et dans les plaines ; il se dirige ensuite vers le N.-E. jusqu’à la hauteur de Zaatcha, dans les Zibans, reçoit un peu plus loin l’oued Bi*kra, puis, après un cours de près de 500 kilom., va se perdre au S.-E. de Biskra, dans la plaine U’El-Faïd. Cette rivière est très souvent à sec. Enfin le bassin d’Ouargla reçoit l’oued Mzab, qui a son origine dans le Mzab, et l’oued Mia, qui descend du Touat. Le bassin de l’oued Righ reçoit l’oued Igbarghar, qui descend des montagnes des Touaregs.

L’Algérie compte des chotts assez nombreux dans quelques régions, mais très peu de lacs proprement dits : ainsi, dans la province d’Alger, le seul qui existait autrefois, le lac Halloula, à 5 kilom. de la mer et à 10 kilom. N.-O. d’El-Affroum, est desséché. Dans la province d’Oran, on ne trouve guère que le lac d’Arzeu à 14 kilom. au S- d’Arzeu et à 45 mètres d’altitude. Il a la forme d’un long boyau à peu près rectangulaire, 12 kilom. de long sur 2.500 mètres de large. Dans la province de Constantine, on voit : le lac Fetzara à 20 kilom. S.-O. de Bône ; le lac El-Melah (lac Salé), à l’O. de La Calle et à 1 kilom. de la côte ; le lac Oubeïra, (c’est-àdire lac Central), au S.-E. du précédent et à 7 kilom. de la côte ; le lac El-Hout (lac des Poissons), au N.-E. du précédent et à 4 kilom. de la côte ; le lac Djemel, de la Guellif et le lac de Tharf à 72 kilom. S.-E. de Constantine et séparés entre eux par une très faible distance. Ce sont des lacs salés. Parmi les chotts nous citerons, en allant de l’O. à l’E. : le chott El-Ghaibi très encaissé, éloifné de 185 kilom. de la mer et séparé en eux parties par une sorte d’isthme que traverse la frontière du Maroc. C’est une profonde dépression de 72 kilom. de longueur sur 3 kilom. de largeur en moyenne, qui renferme en hiver, en divers points de sa surface, des nappes d’eau saumâtre, se desséchant en été et abandonnant une croûte très mince ( ?e sel marin. On y descend par des rampes abruptes. Le fond en est formé par des sables, qui, poussés par les vents, ont produit de petites dunes couvertes d’une végétation très propre à l’ulimeutation des chameaux. Le choit El-Chergui, grande dépression de 120 kilom. de longueur sur 10 kilom, de largeur moyenne, au N.-E. du chott El-Gharbi, dont il est séparé par une distance de 40 kilom. Les puits qui sont creusés sur ses bords donnent de l’eau abondante, mais d’un goût sulfureux très prononcé. Les gués de ce chott, toujours dangereux, deviennent impraticables en temps de pluie : le fond est de sable quartzeux. Dans le Sahara, Je chott le plus considérable se trouve dans la province de Constantine : c’est celui de Melghigh ; il est situé dans le Sahara oriental, entre les montagnes de l’Aurès au N. et l’oasis de Tougourt au S. Il s’allonge de l’O. À l’E, sur une longueur de 60 kilom. avec une largeur d’à peu prés 25 kilom. et forme un immense marécage d’une superficie de 10 kilom. carrés ; c’est la base de la mer Intérieure du commandant Roudaire (v. RoUDAiRB.au tome XVI du Grand Dictionnaire). Les principales sebkhas sont : dans la province d’Oran, la sebkha d’Oran, grand lac salé de lokilotn.de largeur sur 40 kilom. de longueur, situé au S. d’Oran, entre Bou-Renac et Valmy, au N., et la plaine de M’ieta au S., dans la province d’Alger ; la sebkha Zahrez-R’Arbi, qui s’étend de l’O. À l’E, sur une longueurde 40 kilom. et une largeur de 10 kilom., située au S. et à 105 kilom. de Boghar ; la sebkha de Zahrez-Chergui, au N.-E. delà précédente, dont elle est séparée par un terrain sablonneux d’une étendue de 33 kilom., s’allonge de l’O. À l’E. pendant 30 kilom. et sa largeur est de 15 kilom. L’épaisseur moyenne de la couche de sel qui se forme dans ces deux lacs est de Od>,30 environ. La sebkha du Hodno, dans la province, de Constantine, & 30 kilom. au S. de M’sila et à 30 kilom. N.-E. de Bou-Saada, s’étend de l’O. À l’E. sur une longueur de 56 kilom, et une largeur moyenne de 35 kilom.

Côtes. La côte de l’Algérie, orientée k peu près de l’E à l’O., entre 4° 32’ de long. O. et 60 20’ de long. E.(et entre 37« 8’ et 35" 4’ da lat. N., a un développement total de près de 1.100 kilom. Du port de Nemours à celui de La Calle, la distance pour les navires est de 1.085 kilom. La ville d’Alger est située il peu

Srès au milieu de cette ligne, à 550 kilom. de èmours et 545 kilom. de La Calle, Avant l’occupation française, tout bâtiment qui échouait sur cette côte devenait la proie desindigènes ; aujourd’hui, les navigateurs n’ont

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plus rien k craindre de la rapacité des Arabes, mais ils ont toujours à redouter les écueils qui hérissent la côte, quoiquelle soit éclairée par 46 phares. Elle est généralement élevée et montagneuse, surtout du côté de l’E., où les hautes chaînes de la Kabylie ont des ramifications et des contreforts qui forment les principaux caps. Les parties Saillantes sont le plus souvent des falaises à pic qu’on peut approcher de très près, parce que la mer y est profonde et que les écueils et les rochers qui les bordent s’étendent rarement k plus de quelques encablures au large. Les parties rentrantes sont formées par

! des plages de sable fin si les baies sont

creuses, par des plages de galets si la côte est à peu près en ligne droite. Les criques

| sont nombreuses ; mais, en dehors des rades de Mers-el-Kébir, d’Arzeu et de Bougie, elles n’offrent guère aux navigateurs que des rades foraines, c’est-à-dire des rades mal fermées, où tes navires ne sont point en sûreté contre les grands vents du large. Les seules sinuosités remarquables sont : îo le golfe d’Oran qui comprend les baies d’Oran et d’Arzeu ; 8<> la baie d’Alger ; 3<> le golfe de Bougie, qui comprend les baies de Bougie et de Djidjelli ; 40 le golfe de Philippeviile, qui comprend les baies de Collo et de Stora ; 5° le golfe de Bône. Ces cinq grands enfoncements du rivage correspondent aux principales vallées du littoral ; ils sont généralement bordés au S. par de belles plages de sable, et présentent tous la forme régulière d’un croissant dont ia concavité regarde leN. Pendant l’été, on peut mouiller partout dans ces enfoncements, mais on n’y est point absolument à l’abri des mauvais temps et de la houle du N. Presque toutes les embouchures de rivières dans les baies sont entièrement barrées, pendant la belle saison, par des bancs de sable de 20 à 50 mètres de largeur, et l’on ne trouve, même dans les plus profondes, que quelques décimètres d’eau a l’entrée. En hiver seulement ces barres se creusent assez pour permettre le passage facile aux embarcations. Après avoir franchi ce bourrelet de sable, on rencontre presque toujours un petit lac, derrière la plage, avec 3 k 4 mètres de profondeur ; l’eau y est saumâtre et le courant nul ; ces bassins sont souvent très poissonneux. Ce n’est guère qu’en vue des hautes montagnes de la Kabylie que la côte possède, en tout temps, quelques cascades et des aiguades fraîches et abondantes. À l’exception des environs des villes, la zone du littoral est peu peuplée ; il faut bien souvent traverser une bande de 1 ou 2 kilom. de broussailles et de dunes de sable avant de rencontrer les premières cultures et les tribus indigènes. La partie de la côte la mieux cultivée est dans la Kabylie, dont tous les versants des montagnes voisines de la mer sont entièrement défrichés et couverts de cultures indigènes. La colonisation européenne a obtenu de moins bons résultats. On aperçoit bien de loin en loin, sur la côte, quelques grandes fermes européennes et des maisons Blanches, de belle apparence, quand on les voit du large ; mais trop souvent, si elles ne sont pas dans le voisinage d’une ville, elles sont désertes, en ruines et l’on constate facilement qu’elles ont été abandonnées par leurs propriétaires peu de temps après leur création. Beaucoup de colons ont en effet essuyé de s’établir dans d’excellents terrains, situés au bord de la mer, où tout semblait leur assurer la prospérité ; mais l’isolement complet et principalement le défaut de routes et de moyens de communication, soit avec la mer, soit avec l’intérieur du pays, paralysaient leurs efforts et ruinaient leur entreprise, de sorte que, après y avoir consacré tout leur capital disponible, ils étaient obligés d’abandonner leur concession. La construction des routes le long du littoral et l’amélioration de toutes les petiques criques de la côte, où des caboteurs pourraient trouver un abri et créer des débouchés économiques et faciles sur la mer, auraient une extrême importance pour le peuplement et la prospérité de la colonie.

Les capî les plus remarquables sur la côte de l’Algérie sont : de l’O. À l’E, le cap Gros ou Oussa, le cap Falcon, le cap Ivi, le cap Tenès, te cap Matifou, le cap Cavallo, le cap Bougaroni, le cap Fer, le cap Gros et le cap Roux.

Il y a peu d’Iles ; citons seulement, entre la frontière du Maroc et Oran, l’Ile Rachgoun et les Habibas ; entre La Calle et la frontière de Tunisie, l’Ile de la Galite, Quand on approche de la frontière occidentale de l’Algérie, en venant soit du détroit de Gibraltar, soit de la côte voisine de l’Espagne, on rencontre, après avoir doublé le cap Très Forças (promontorium Rusadir), le petit groupe des trois lies Zafarines. Ces lies, composées d’un sol granitique absolument stérile, privées d’eau douce et situées devant une côte habitée par une population très hostile aux Européens, étaient restées désertes jusqu’en 1847. La France, qui avait très malheureusement négligé de les occuper après la conquête de l’Algérie, comprit seulement alors qu’elles pouvaient avoir une frande utilité, comme base de la surveillance es populations marocaines si remuantes de notre frontière. Leur occupation fut décidée et une petite expédition partit de Nemours. L’Espagne, prévenue aussitôt de nos intentions, fit venir de Malaga un navire de guerre,

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qui arriva aux Zafarines avant nous et en prit possession au nom de la couronne d’Espagne. Quand l’expédition française arriva, elle fut fort étonnée de voir flotter le pavillon espagnol sur ces Iles : elle dut rentrer à Oran. Pour justifier cette prise de possession d’Ilots si peu utiles pour eux, les Espagnols y fondèrent un petit pénitencier, annexe de ceux qu’ils possédaient déjà sur la côte d’Afrique ; mais cet établissemeut est resté dans 1 état le plus misérable ; on est obligé de tout envoyer d’Espagne, même l’eau douce, et le moindre retard dans l’arrivée du bateau pourvoyeur cause une grande détresse dans la population, car les indigènes de la côte voisine du Maroc reçoivent à coups de fusil les embarcations qui tentent de venir prendre de l’eau ou des provisions à l’embouchure de la rivière Malouya.

Climat. La température moyenne de l’Algérie est la même qu’en Provence ; cependant on y distingue deux saisons : l’une chaude, l’autre tempérée, qui elle-même se partage en humide et sèche. L’été commence au mois de juillet et finit avec septembre ; la saison tempérée et humide débute en octobre et dure jusqu’à la fin de février ; la saison tempérée sèche s’ouvre au mois de mars et dure jusqu’à la fin de juin. On pourrait donc, si l’on veut, compter trois saisons : l’été, l’hiver et le printemps. En été, les nuits sont relativement très fraîches, accompagnées d’abondantes rosées, et les plaines se couvrent de brouillards que dissipent les premiers rayons du soleil. En hiver, Phuiniditê est toujours grande. Dans la province d’Alger et dans celle de Constantine, les pluies ne durent guère qu’une soixantaine de jours, mais il en tombe une quantité presque double de celle qui s’observe k Paris pendant toute l’unnée. Il pleut moins dans la province d’Oran. Les vents qui régnent le plus ordinairement sont ceux de l’E. et de l’O. ; ils suivent h peu près la direction générale de la côte. Les vents d’E. dominent pendant les mois de mai, juin, juillet, août et septembre, c’est-à-dire pendant la belle saison. À cette époque, on remarque dans l’atmosphère une légère brume blanchâtre, qui devient plus dense à mesure que le vent se rafraîchit. Ordinairement, le ciel est clair au zenich et vaporeux à l’horizon. S’il survient de gros nuages, poussés par des vents d’E., on les voit aussitôt se fixer sur les hautes montagnes. C’est ainsi que le mont Edough de Bône, le cap Fer, Gouraya, Ras El-Araousch, le cap Tenès, le cap Ferrât et le mont Noô ont presque toujours leurs sommets perdus dans les nuées. Au contraire, lorsque ces montagnes apparaissent, bien tranchées, c’est une preuve que les vents d’O. régnent ou qu’ils ne tarderont pas à souffler. Pendant 1 été, les pluies et les orages sont presque toujours amenés par un vent d’O. Dans cette saison, des éclairs dans une partie de l’horizon annoncent un vent du côté opposé ; c’est le contraire en hiver, le vent vient du côté où il éclaire. Dans 1 intérieur, l’air est plus échauffé ; parfois le vent du S., qui règne dans les régions supérieures, s’abaisse et rase le sol : c’est le simoun des Arabes, le siroco des Espagnols. Il souffle du S.-E. et élève la température jusqu’à 45°. Alors le soleil est obscurci par des tourbillons de poussière ; le ciel prend une teinte rougeâtre et de brûlantes effluves se succèdent qui enlèvent à i’atmosphère toute son humidité. Le siroco exerce une grande influence sur le temps dans tout le bassin de la Méditerranée, jusqu’aux côtes de France et d’Italie ; il se termine presque toujours par de la pluie, puis par des vents de N.-O. qui rétablissent l’équillibre. Il souffle principalement du mois d’août au mois d’octobre et quelquefois aussi au printemps ; il dure chaque fois deux ou trois jours. Durant les premières années de l’occupation française, les troupes furent décimées par la fièvre, qui, dans certaines localités, notamment à Boufarik et à Bône, fit de grands ravages. On crut et on dit alors que le climat de l’Algérie était le plus meurtrier du globe, et le nombre des émigrants diminua. On a compris depuis que ces maladies provenaient de causes essentiellement locales et transitoires. D’abord on sait qu’une terre depuis longtemps en friche laisse exhaler des miasmes putrides lorsqu’on la travaille ; or, depuis des siècles, les Arabes n’avaient qu’en de rares endroits et bien peu profondément labouré ; de plus, ils avaient laissé s’accumuler sur le sol des détritus de toutes sortes. Aussi du sein de la terre, iucessammant fouillée par la pioche de nos soldats ou par la charrue des colons, sortirent alors des émanations délétères, qui causèrent des maladies dont la gravité d’ailleurs et surtout le nombre ont toujours été considérablement exagérés. Peu à peu cependant le sol a été assaini ; et aujourd’hui, grâce à de nombreuses plantations et aux travaux qui ont été exécutés pour assurer l’écoulement régulier des eaux, le climat de l’Algérie est, sauf au voisinage de quelques rivières, presque partout d’une parfaite salubrité.

Végétaux. L’étendue des forêts de l’Algérie est, en en ffies ronds, de î millions d’hectares, ainsi répartis : province d’Alger, 459.157 hectares ; province d’Oran, 580.414 hectares ; province de Constantine, 1.005.135 hectares ; total : 2.044.70G hectares. Ces forêts sont principalement composées de chênes-lièges, de chênes zéens, de chênes ballottes, de chênes verts, de pins d’Alep, de pins maritimes, de cèdres, de thuyas, d’ormes, de frênes, de Ientisques, d’oliviers sauvages, de caroubiers, d’eucalyptus, etc. La superficie du domaine forestier est, on le voit, relativement considérable ; mais les produits qu’on en retire sont encore bien au-dessous de ce qu’ils pourraient être. Sous la domination des Turcs, même longtemps après notre conquête, et principalement dans les régions qui ne nous étaient pas soumises, les Arabes avaient coutume d’incendier leurs forêts, tant pour empêcher les attaques inopinées des tribus voisines, que pour obtenir, par le jet de nouvelles pousses, une nourriture abondante pour leurs troupeaux. C’était aussi leur manière habituelle de défricher. Le sol, reposé par plusieurs années d’abandon, engraissé par les cendres des arbres brûlés, donnait ainsi, après un labourage peu profond et avec un faible travail, une récolte abondante. Les forêts ont donc disparu peu à peu des sommets et des pentes des montagnes. Or, on sait de quelle importance sont les forêts au point de vue de l’hygiène, de la richesse agricole, du climat d’une contrée (v. forSt au tome VIU du Grand Dictionnaire) ; c’est pourquoi l’on s’occupe sérieusement aujourd’hui du reboisement des

forêts algériennes et de la conservation et de l’entretien de celles qui existent.

La qualité supérieure des blés d’Algérie est maintenant incontestée. On n’y cultive que les blés durs et les blés demi-tendres. Le blé dur était la seule variété connue des indigènes, qui le cultivent encore à peu près exclusivement. L’épi est barbu, presque toujours carré, souvent bleuâtre, la tige plus ou moins pleine, le grain assez gros, un peu allongé, paie ou rougeâtre et cassant sous la dent. A poids égal, la farine de blé dur fournit notablement plus de pain que celle du blé tendre, et ce pain est beaucoup plus nourrissant. On en fait la semoule avec laquelle les Arabes préparent le kouss-kouss, leur mets favori. Le blé demi-tendre a été importé par les colons ; l’épi est généralement long, cylindrique, jaunâtre ; la tige toujours creuse. Le grain, d une couleur dorée, s’écrase facilement sous la dent et présente une farine plus blanche que celle du blé dur. Il y u deux espèces d’orge ; l’une indigène, l’autre apportée par les colons. L’avoine est d’importation européenne ; il y a celle d’hiver et celle de printemps. Le mais {blé de Turquie), utilisé comme aliment par les Arabes, y réussit parfaitement, ainsi que toutes les autres céréales, toutes les plantes fourragères et tous les légumes de France. Parmi les autres végétaux qui ne viennent pas ou viennent mai en France et qui sont cultivés avec succès en Algérie, nous citerons : parmi les plantes commerciales, le tabac, Te coton ; parmi les plantes textiles, l’agave, l’alfa, i’aloès, le ûiss, le latanier, le palmier nain ; parmi les plantes oléagineuses, l’olivier ;

Êarmi les plantes tinctoriales, la garance, le enné, l’indigotier, le nopal, le sumac. La culture de la vigne s’étend aussi considérablement. Les arbres fruitiers sont très nombreux ; ce sont, outre tous ceux qui poussent en France, l’arbousier, arbrisseau très élégant, l’azerolier, le bananier, le caroubier, le cédratier, une des variétés du citronnier, le dattier, le goyavier, le grenadier, le jujubier, l’oranger et le pistachier.

— Animaux. Toutes les espèces d’animaux domestiques, à l’exception du dromadaire, ont leurs congénères en Europe : l’âne, le bœuf, le cheval, la chèvre, le mouton, le porc, quoique d’une taille moins élevée, vivent et prospèrent en Algérie ; toutes les races canines y sont représentées ; il en est une toutefois, celle des lévriers slougfiis, spéciale au Sahara. Parmi les animaux sauvages, nous citerons : ialcélaphe bubale, qui vit dans les parties montagneuses de l’Algérie méridionale ; il tient du genre bœuf, et on le rencontre en troupes dans le Souf et dans le pays des Touaregs ; Vantiiope addax, qu’on rencontre dans le Sahara algérien ; le cerf, dans les cercles de Bône, de la Calle et de Tébessa, près de la frontière tunisienne ; le chacal, la bête fauve la plus commune du pays ; le daim, dans la province de Constantin© ; la gazelle, dont on distingue deux esÎièces, vivant en troupeaux nombreux dans e S. de l’Algérie ; la hyène, le lion, le mouflon k manchettes (le larouy des Arabes) ; deux espèces de panthères ; le renard, moitié plus peut que celui d’Europe ; le vulpes fenec, qu’on pourrait appeler le renard des sables ; le sanglier, enfin les singes, qu’on rencontre dans les environs de Bougie, de Collo et de Stora (prov. de Constantine) et dans les gorges de la Chifla (prov. d’Alger). Ajoutons que les lynx, les chats-tigres, les servals, les carocals, les loutres, les belettes, les hérissons, les porcs-épics, les gerboises, les lapins et les lièvres sont très communs. On trouve en Algérie, soit en tout tentps, « oit de passage, la plupart des oiseaux de l’Europe méridionale, tels que les alouettes, les perdrix rouges, les cailles, les vanneaux, les tourterelles, les poules de Carthage, etc., et de nombreuses espèces de gibier d’eau : la bécassine, le canard, la. cigogne, le cormoran, le cygne, l’échasse à manteau noir,

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le Marnant rose, la grèbe, le héron, l’outarde blanche, le pélican, la poule sultane, etc. ; et parmi les oiseaux de proie : les aigles, les vautours, les éperviers, les milans du Cap, les faucons. Enfin, dans le Sahara, on rencontre les autruches. Les reptiles sont communs ; très peu sont dangereux. Les caméléons sont absolument inoffensifs ; les scorpions, comme ceux que l’on rencontre souvent en Provence, sont nombreux, mais leur piqûre n’entraîne jamais d’accidents graves. Il en est de même de la scolopendre et de l’araignée. La vipère, plus dangereuse, y est plus rare. Les tortues de terre sont très communes. Citons parmi les insectes : l’abeille, la cochenille, le kermès, In bombyx, le bombyx-Cinthia et enfin, le fléau de l’Algérie, les sauterelles, qui, réunies en bandes innombrables, s’abattent parfois sur les plaines du Tell et dévastent les moissons. Les Sahariens s’en nourrissent. Parmi les poissons qu’on rencontre le long du littoral, il faut mentionner : les homards, les langoustes, les crevettes, les crabes, les mulets, les dorades, les écrevisses de mer. Il existe dans la rade de Sidi-Ferruch un banc d’huîtres qu’on exploite pour la consommation d’Alger. On les pêche k l’aide de madragues à Arzeu, à Sidi-Ferruch, aux caps Matifou et Falcon ; enfin les sardines sont très abondantes. Les rivières de l’Algérie sont peuplées d’anguilles plus ou moins grandes, d’une espèce de barbeau qui atteint d’assez fortes dimensions et d’une infinité de poissons blancs. Ces poissons ont presque toujours un goût très prononcé de vase et sont peu recherchés. Le lac Fetzara contient, outre l’anguille et le barbeau, des aloses, des mulets, quelquefois la dorade et le bar ou loup de mer, si apprécié jadis par les gourmands romains. On rencontre quelques coraux sur différents points de la côte ; les bancs des environs de la Calle sont considérés comme les plus riches. Presque tous les marais de l’Algérie contiennent des sangsues. Ceux des environs d’Aumale, de Constantine, de Saint-Denis-du-Sig, de Sidi-Bel-Abbès, de Tiaret, etc., en sont particulièrement peuplés.

Histoire.. Malgré les recherches des archéologues, il est à peu près impossible de dire précisément quels sont les premiers peuples qui ont habité la partie de l'Afrique septentrionale appelée aujourd'hui Algérie. On a trouvé çà et là, dans notre colonie, des sépultures, des tombelles renfermant des débris d'ossements que l'on a supposés appartenir aux races primitives, des instruments grossiers de l'époque de la pierre taillée ; mais les Algériens actuels descendent-ils de ces hommes ? En un mot, sont-ils autochtones ? Des crânes, allongés d'avant en arrière et s'élargissant sur la nuque, rencontrés dans ces sépultures, semblent présenter tes mêmes caractères que ceux des nomades sahariens de nos jours ; d'autres crânes, d'une forme plus régulière, ressemblent à ceux des habitants de nos oasis. Qu'en faut-il conclure ? Il est avéré que, bien avant la période historique, les populations do l'Afrique septentrionale avaient dû subir de nombreux croisements. Salluste, bien placé pour avoir les renseignements les plus positifs, et que son génie même poussait à des investigations ethnographiques, n'a pu recueillir et ne nous a transmis que de vagues traditions. Selon lui, l'armée d'Hercule se trouvant sans chef à la mort du héros, les Perses, les Mèdes et les Arméniens qui en composaient une partie s'établirent au N. de l'Afrique, où ils avaient été conduits, tandis que leurs compagnons restaient en Espagne. Ils se mêlèrent aux peuples qui déjà habitaient ces rivages, et qui s'appelaient Gétules et Libyens ; de ces croisements sortirent deux peuples principaux : les Numides et les Maures. Plus tard, des colonies phéniciennes vinrent se fonder sur ces mêmes rivages, et, sans doute après des luttes dont l'histoire n'a pas gardé le souvenir, se rendirent maîtresses du littoral, où elles fondèrent Carthage, Utique, Thapsus, Hadrumète, Hippone, Leptis, Russicada, etc. (900 ans environ avant l'ère chrétienne), repoussent vers l'O. et vers le S. les premiers possesseurs. L'Afrique septentrionale était donc ainsi constituée : à l’E., les colonies phéniciennes et Carthage, occupant à peu près la Tunisie actuelle ; au centre, les Numides (Algérie) ; à l'O. les Maures, dont le pays, appelé Mauritanie, a formé plus tard le Maroc. Nous n'avons pas à revenir ici sur l'histoire de la Numidie au moment de la conquête romaine ; rappelons seulement que Salluste, l'historien de la lutte des Romains contre Jugurtha, trace des Numides d'alors un portrait qui s'applique à tel point à nos Arabes de l'Algérie, tribus nomades ou tribus sédentaires, qu'on le croirait écrit sur eux. Mêmes habitudes de combat, même mélange de générosité et de ruse, même ténacité indomptable : admirables cavaliers alors comme aujourd'hui, toujours en fuite, toujours vaincus et jamais absolument soumis ; même tactique, mêmes ruses de guerre, mêmes retraites, de sorte que nos généraux de 1830 à 1850 n'ont eu qu'à lire l'historien latin pour combattre la stratégie des Arabes, et pour apprendre, par le récit de ce que firent alors les préteurs romains, ce qu'il fallait faire pour vaincre.

L'histoire de l'Algérie ne doit être reprise par nous que du jour où la Numidie fut tout à fait réduite en province romaine, lorsque Ptolémée, son dernier roi, fut étranglé par ordre de Caligula (40 ans après J.-C.). Elle s'étendait alors depuis les Syrtes (Gabès) jusqu'aux colonnes d'Hercule (Tanger). Malgré les exactions des proconsuls, malgré les révoltes nombreuses des montagnards, entre autres celle de Tacfarinas, et malgré les discordes civiles des Romains, l'Afrique du N. traversa une période de prospérité qui dura cinq siècles et dont nous trouvons encore des traces. La Numidie était, comme l'Afrique propre (Tunisie), la Sicile et l'Égypte, l’un des greniers de Rome. Le blé, l'huile, la laine étaient, comme aujourd'hui, les principales productions de ce vaste territoire, dont les habitants étaient riches. Des villes grandes et magnifiques se fondèrent de toutes parts, des bords de la Méditerranée aux contins du désert, mais principalement sur la côte et dans les plaines de la province de Constantine. Tous les gouverneurs, tous les administrateurs municipaux voulaient, comme dans toutes les cités des provinces, laisser trace de leur passage au pouvoir par de splendides et utiles monuments. “ Partout, dit M. Wahl, des aqueducs, des thermes, des temples, des théâtres, des arcs de triomphe ; les travaux utiles et les constructions luxueuses sont ce qui indique l'aisance et les loisirs heureux... La carte de l'ancienne Afrique nous montre le pays couvert de routes qui la sillonnent dans tous les sens ; Sétif, Cirta, Lambessa, Hippone, étaient autant de riches carrefours où se croisaient les communications. Dix routes passaient à Sétif, six à Cirta et à Hippone, cinq à Lambessa, sept à Théonte. ” Ces routes étaient des voies grandioses, pavées de larges dalles, passant les fleuves sur des ponts, et l'on en admire encore les restes en maints endroits de l'Algérie, notamment à Constantine, ainsi que les ruines d'un canal, d'un cirque, d'un arc de triomphe, etc.

La population africaine se distingua, dans la littérature et dans la politique, par sa subtilité d'esprit, sa puissance d'imagination, son obstination de caractère : l'empereur Septime Sévère, l'empereur Gordien, Apulée, Tertullien, saint Cyprien, Arnobe, saint Augustin étaient originaires d'Afrique. Le christianisme s'y répandit assez rapidement (en l'an 120) ; il eut ses martyrs et, avant l'invasion des Vandales, on y compta plus de 690 évêchés. Cependant la religion officielle des Romains et les nombreuses sectes orientales y conservèrent toujours à côté du christianisme de nombreux adhérents. Les chrétiens eux-mêmes étaient très divisés. La lutte entre les orthodoxes et les hérétiques y fut aussi souvent sanglante qu'en Orient. Les catastrophes continuelles qui marquent alors l'histoire du monde romain ont toutes leur contre-coup en Afrique. En 297, Julianus se fait proclamer empereur à Carthage, et en même temps les tribus qui habitent la partie centrale et montagneuse de l'Algérie actuelle se révoltent. Il faut la présence de l'héritier du trône impérial, Maximilien Galère, pour vaincre cette double insurrection. C'est alors que l'Afrique du Nord est scindée en deux parts : l'une sous le nom de Bysacène, l'autre sous le nom d'’’Afrique proconsulaire,’’ proprement dite. La Numidie, assimilée à la Bysacène, fut gouvernée, comme elle, par un consulaire. La Mauritanie césarienne fut partagée en deux provinces: l'une retint le nom de Césarienne et eut pour capitale Césarée (Cherchell) ; l'autre emprunta à son chef-lieu, Sitifis (Sétif), le nom de Sitifienne. La partie comprise entre les deux Syrtes conserva le nom de Tripolitaine ; sa capitale était . AEa (Tripoli). Quant à la Mauritanie tingitane, nommée ainsi de Tingis (Tanger), sa capitale, elle fut annexée à l'Espagne. Malgré cette nouvelle organisation, les révoltes sont continuelles chez ces peuples indomptables et, surtout dans la Mauritanie, elles déploient un acharnement profond. En 374, un chef maure, Firmus, est sur le point de détruire la puissance romaine en Afrique : il prend et brûle Césarée, bat le comte Romanus en plusieurs rencontres ; déjà la Numidie et la Mauritanie se rangent sous ses ordres : il faut que l'empereur Valentinien envoie le célèbre général Théodose pour vaincre le rebelle, et cependant celui qui venait de soumettre la Grande-Bretagne, le plus habile tacticien de l'époque, ne vient à bout de Firmus qu'après bien des échecs et au prix d'une campagne énergique et sans trêve, analogue à celles de nos généraux. Rappelons qu'il paya de sa tête la gloire qu'il avait conquise, et que son fils, l'empereur Théodose, confia plus tard au frère de Firmus le commandement de l'Afrique, tant les empereurs romains sentaient la puissance de ces chefs barbares. Ce frère de Firmus, Gildon, soumit alors l'Afrique à la plus épouvantable tyrannie, et il fallut encore une guerre pour que l'empereur pût lui arracher le pouvoir. Mais, trente ans après à peine, les Vandales, qui déjà occupaient l'Espagne, furent appelés par le comte Boniface, gouverneur de l'Afrique au nom de l'impératrice d'Orient, Pulchérie. Ils accoururent, ayant à leur tête lé fameux Genséric (428), et alors des forêts du Grand Atlas, du fond des déserts, sort une foule d'indigènes qui se réunit aux envahisseurs pour assouvir leur vengeance sur ceux qu'ils nommaient les usurpateurs de la terre natale. Le récit des malheurs de ce pays, tracé par les historiens contemporains, est tellement sombre qu'on l'a accusé d'exagération. Aux haines de peuple à peuple, de civilisé à barbare, se joignent les haines de catholiques à ariens, et toute l'Afrique est un vaste champ de carnage. Les Vandales prennent Hippone et la réduisent en cendres (436), s'emparent de Carthage (489), dont ils font leur capitale et d'où ils partent pour brûler Rome (455), piller l'Italie, écumer l'archipel jusque sur les côtes de l'Asie Mineure, battre l'empereur d'Orient Léon au cap Bon. Mais quand Genséric mourut (477), ses successeurs ne surent ni se faire aimer des indigènes, ni s'en faire craindre ; ils reculèrent d'année en année devant les Maures, les Numides et les Gétules ; la Mauritanie leur échappa d'abord, à l'exception de Cherchell ; en Numidie, ils se laissèrent refouler au N. du petit Atlas, l'Afrique proprement dite et la fertile Bysacène furent sans cesse ravagées par les tribus nomades. De plus, il se déchiraient entre eux. Ce fut alors que Justinien crut le moment venu de reprendre l'Afrique ; il y envoya l'illustre Bélisaire, qui eut bientôt vaincu le roi Gelimier, repris Carthage et mis fin à la domination des Vandales en Afrique (538).

Les Grecs du Bas-Empire ne purent réparer les ruines qu'avaient faites les Vandales. D'abord, dès la première nouvelle du succès de Bélisaire, “ une nuée d'agents de toute espèce envahit la province, moins pour assurer la conquête que pour l'exploiter. On s'y rendait pour s'y enrichir, n'importe par quels moyens. Justinien lui-même allait au-devant de toutes les mesures qu'on s'empressait de lui suggérer pour tirer de ses nouveaux sujets les plus fortes contributions possibles : les subtilités du fisc impérial remplacèrent les extorsions des Vandales... Un des successeurs de Justinien, Anastase, alla jusqu'à imaginer d'imposer le droit de respirer l'air. ” Puis, tout le temps de leur domination (538 à 630) fut employé à combattre les tribus indigènes, qui, non seulement ne reconnaissaient pas leur suprématie, mais avaient des rois à elles, des chefs intrépides comme Stoza, Antalas, lesquels ne craignaient pas d'attaquer l’armée impériale en bataille rangée et la battaient souvent. Aussi la désolation du pays devint telle, que beaucoup de colons émigrèrent. Procope dit que, sous le règne de Justinien, l'Afrique perdit cinq millions d'habitants ; un voyageur pouvait marcher des journées entières sans rencontrer personne. Ceux qui restèrent, accablés de tributs, appelèrent les Arabes, qui, déjà maîtres de l'Égypte, avaient enlevé Tripoli aux Grecs, en 648. Ils accoururent, et cette invasion vint subitement arracher l'Afrique du Nord à la civilisation occidentale décrépite, y apporter le Coran, des mœurs nouvelles et une civilisation jeune, qui eut plusieurs siècles d'une brillante activité. Ces nouveaux venus n'étaient guère plus de 40.000 hommes d'abord, mais ils étaient emportés par l'élan irrésistible que leur donnait leur foi religieuse. L'Afrique n'était défendue que par les débris des troupes byzantines, commandées par le patrice Grégoire, qui venait de se déclarer indépendant. Ces troupes furent vaincues à la bataille de Yacoubé (664), par le cheik Abd-Allah, et la conquête de l'Afrique se poursuivit rapidement. Un autre chef arabe, Sidi-Akbah, fonda (678) la ville sainte de Kairouan, au S. de Tunis, à 12 milles de la côte ; les Arabes redoutaient les flottes grecques : ils ne redoutaient pas le désert, leur domaine. Il s'avança ensuite dans l'ouest, jusqu'à l'océan Atlantique. La véritable résistance ne vint pas des Byzantins, mais des indigènes, de ces montagnards que nous appelons aujourd'hui Berbères ou Kabyles. Dès le VIIe siècle, nous les voyons combattant les Arabes, comme ils avaient combattu les Romains, comme ils nous combattent au XIXe siècle, souvent vaincus, jamais lassés et toujours prêts à recommencer la lutte. Sidi-Akbah succomba sous les attaques des Maures. Mais, sous le calife Abd-el-Melek (692-698), Hassem établit la domination arabe tout le long du littoral africain par la conquête de Carthage, qui fut livrée aux flammes. Une dernière révolte des indigènes, conduits par leur reine Kahina, fut comprimée (709). Deux ans après, les Arabes d'Afrique franchissent sous la conduite de Tarik, le détroit qui les sépare de l'Espagne, lui donnent le nom de Gibraltar (djebel Tarik, Montagne de Tarik) ; ils vont conquérir la péninsule (711-719). C'est là que, pendant des siècles, fut placé le siège de leur empire d'Occident. Tolède, Cordoue, Grenade furent capitales en même temps que Tunis, Fez ou Tlemcen. Les villes romaines furent détruites ; mais des villes nouvelles surgirent de tous côtés, remplies de monuments d'un goût merveilleux. De bonne heure le Maghreb (c'est-à-dire le pays du couchant) se sépara du khalifat de Cordoue, et la dynastie des Aglabites régnait à Kairouan pendant que les Edrisites dominaient à Fez. L'empire des Almoravides, fondé par un Berbère, Youssef-ben-Tachefir, prit pour capitale la ville de Maroc. Les Almoravides ne durèrent qu'un siècle (de 1070 à 1150) ; les Almohades leur succédèrent et ne durèrent pas davantage (1150-1273). En effet, la période de la décadence était arrivée pour les monarchies arabes. La foi, qui poussait au VIIe siècle tant de fervents croyants de l’Islam à la conquête du monde, était amoindrie par l’esprit de secte et par les luttes intestines. En Espagne, le Coran reculait déjà devant les rois chrétiens. En Afrique, les indigènes de toute race, et surtout les Berbères, reprenaient l’autorité et la force que leur donnait la supériorité du nombre. Or, les Berbères étaient de mauvais croyants, et la foi, le respect de l’autorité religieuse du sultan ou khalife est la seule force du monde arabe. Aussi, dès la mort d’Abd-el-Moumen, l’empire des Almohades, s’émietta en trois royaumes : celui de Fez, celui de Tlemcen et celui de Tunis, où le sultan des Hafsides revendiqua le titre de Commandeur des croyants. Tunis fut pendant quelque temps la capitale religieuse du nord de l’Afrique. Mais, à la même époque, Tlemcen, résidence des Beni-Zian, ne lui cédait à aucun autre point de vue. C’était, disent les chroniqueurs arabes, une cité de 100.000 habitants, dont les caravansérails, les palais, les jardins, les mosquées, les écoles, étaient renommés ; un commerce très étendu entretenait ses richesses. Un grand nombre de monuments, voisins de la ville française actuelle, sont encore les témoins de cette splendeur disparue. L’empire des Almohades était démembré, avons-nous dit, en trois royaumes, depuis la mort de son fondateur. Chacun de ces royaumes tomba bientôt dans l’anarchie ; ils étaient cependant obligés de se défendre contre les Espagnols, qui repoussaient peu à peu les Maures d’Espagne et commençaient à menacer l’Afrique. L’arrivée même des musulmans fugitifs de l’Andalousie amena des luttes sanglantes et stériles entre ces tribus, ruinées par la guerre, dénuées de tout, et leurs coreligionnaires d’Afrique, possesseurs du sol depuis de longues générations. C’est alors que va se former ce terrible gouvernement appelé l’Odjéac d’Alger qui, en quelques années, envahira toutes les principautés qui l’avoisinent : Mostaganem, Médea, Tenez, Tlemcen, Constantine reconnaîtront sa suzeraineté ; Tunis lui sera un instant soumis, et Alger finira par imposer son nom à tout le territoire qui s’étend depuis Tabarka jusqu’à Milonia. Poursuivant en Afrique les Maures qu’ils avaient chassés de leur sol, les Espagnols, voulant surtout mettre un terme aux attaques continuelles des pirates d’Oran, passent la mer et s’emparent successivement de Melilla (1497), de Mers-el-Kébir (1505), d’Oran (1509) et de Bougie (1510), et bâtissent un fort, dit « Penon d’Argel », en face d’Alger. Un prince arabe renommé, Selim-Eutemy, est appelé au secours des cités africaines ; il accourt avec sa puissante tribu ; mais aux hasards de la guerre il préfère les conditions humiliantes d’une paix qui sauvegarde ses intérêts. C’est alors que les habitants de Bougie vinrent solliciter l’assistance des deux frères Barberousse, pirates dont la renommée était éclatante et qui, quoique nés chrétiens, dit-on, professaient une haine implacable pour le nom chrétien (v. BARBEROUSSE au tome II du Grand Dictionnaire). L’aîné, Aroudj, s’empare aussitôt de Cherchell, puis se rend à Alger, où Selim-Eutemy l’accueille comme un défenseur ; mais bientôt il usurpe le pouvoir après avoir tué celui-ci. Il organise alors un gouvernement militaire, remplaçant par des Turcs ou des renégats tous ses officiers, tous les membres de sa milice. Après une victoire importante sur les Espagnols (1516), il prend Tenès, Médéa, Miliana, Tlemcen ; mais il est tué dans un combat livré par les Espagnols pour reprendre cette ville. Son frère, Khaïr-Eddyn, lui succède. Vainement Charles-Quint veut détruire cette terrible puissance qui s’élève, la flotte de Hugues de Moncade est détruite devant Alger (1518), et les postes espagnols qui subsistaient sur la côte africaine, bloqués par les Algériens, ne conservèrent bientôt plus aucune puissance. Nous ne parlerons pas ici de l’alliance de Khaïr-Eddyn avec François Ier, ni de son intervention dans les affaires d’Europe ; nous dirons seulement qu’il fit successivement le siège de toutes les villes de la côte. S’appuyant uniquement sur la force, il négligea les traditions dynastiques ou religieuses. Inconnu, d’une origine douteuse, il entendit vivre à la pointe de l’épée, fit de tous les ports des forteresses et des magasins de ravitaillement, créa une flotte de corsaires, enleva les navires et captura les marins chrétiens, à quelque nation qu’ils appartinssent ; il établit à Alger, sa capitale, ce gouvernement de bandits, de renégats d’écumeurs de mer, qui subsista jusqu’au XIXe. siècle. Les Turcs venaient alors de ranimer l’islamisme en Orient ; en s’emparant de Constantinople, ils effacèrent le dernier vestige du vieil empire grec ; ils s’avançaient invincibles dans les plaines du Danube et faisaient trembler l’Europe. Khaïr-Eddyn, sans reconnaître aucun maitre, donna à Selim 1er, sultan de Constantinople, l’assurance, d’un hommage nominal. Il reçut alors à Constantinople, des mains du sultan Soliman, les insignes de capitan-pacha, c’est-à-dire grand amiral de la marine turque. Il protégea le port d’Alger par de nouveaux forts et par une jetée, qui existe encore aujourd’hui, entre la côte et les îlots voisins, formée des débris de la forteresse espagnole (le Pen.). Il détrôna le roi de Tunis, Muley-Hassan, et il fallut que Charles-Quint lui-même passât en Afrique pour lui arracher cette conquête. D’ailleurs, un peu plus tard (1541), l’empereur paya cher, par sa défaite devant Alger, le succès qu’il avait obtenu à Tunis.

Khaïr-Eddyn mourut à Constantinople en 1527 ; mais le royaume qu’il avait fondé, avec son frère, en dehors de toute organisation régulière, devait durer trois siècles. L’amour de la rapine, la haine des chrétiens, furent des liens suffisants pour maintenir une sorte de pouvoir et, d’autorité au milieu de ces dix générations de corsaires. Les révolutions de palais furent sans nombre ; les révoltes des provinces furent souvent difficiles à réprimer, car toute la force des Algériens consistait dans leur marine. Néanmoins, ils continuèrent à troubler le commerce de la Méditerranée et à ruiner les populations de l’intérieur ; celles-ci ne supportèrent jamais un joug plus avide et une administration d’une plus grande incurie. Voici un proverbe arabe qui avait cours, avant 1830, dans la province d’Alger : « Quand Baba Tourki (sobriquet des fonctionnaires du dey) se présente à l’entrée de la plaine et tousse trois fois en caressant sa barbe, toute la Métidja devient un désert. »

Il importe de dire quelle fut, jusqu’en 1830, l’organisation du gouvernement turc en Algérie. La plupart des appellations sont encore usitées aujourd’hui pour désigner des charges analogues, ou plus souvent comme titre honorifique. Le dey était le chef de la milice ; il était élu par les troupes dans une assemblée générale, ou divan, à laquelle les simples soldats étaient admis. Il portait le titre d’agha et obéissait nominalement à un pacha ou bachaga, nommé par le sultan de Constantinople, et le représentant. En réalité, ce pacha avait peu d’autorité ; souvent le dey lui-même avait le titre de pacha, et il n’était pas rare de le voir chassé par les soldats. Au-dessous du dey étaient : 1° l’oukil-el-hardj, ministre de la marine ; 2° le kasnadji, ministre des finances ; 3° l’agha, commandant les troupes, qui avait dans son département les affaires des outhans (district de la plaine) et sous les ordres duquel étaient les caïds ; 4° le kodja-el-khiel, inspecteur des haras, chargé de la régie des Haouchs, biens ruraux appartenant au domaine ; 5° le mecktoubdji, chef des secrétaires, directeur de la correspondance publique, de la comptabilité, des règlements militaires et de celui des milices ; 6° le beit-el-malhdji, curateur aux successions vacantes, dont les fonctions sont à peu près celles de notre directeur de l’enregistrement et des domaines. À Alger, le chef municipal ou gouverneur de la ville était le cheik-el-medinah, ou cheik-el-belad, chargé de la justice et de la police ; sous ses ordres étaient des naibs (lieutenants) et des amins, chef de corporations. Il y avait, en outre, un second gouverneur, choisi parmi les premières familles et descendant d’un marabout, investi du titre de naid-el-aschraf, chef des notables, qui devait se concerter avec le gouverneur et ses lieutenants pour toutes les mesures à prendre. Les environs de la capitale, le fahs, était divisé en outhans, lesquels étaient formés de plusieurs tribus ; les tribus se divisaient en douars, ou réunion de plusieurs tentes. Toutes les affaires des outhans étaient du ressort de l’agha. Les chefs étaient les caïds, chargés de l’administration et des affaires politiques, comme nos préfets ; les cadis rendaient la justice, au-dessous des caïds se trouvaient les cheiks, nommés par un ou plusieurs douars. Entre les caïds et les cheiks venait généralement un autre fonctionnaire, le cheik des cheiks, ou cheik-el-schion, nommé par l’agha, sur la présentation des autres cheiks et sous l’approbation du pacha. Le gouvernement des trois provinces ou beylicks : Constantine, Titery (capitale Médéa) et Oran, à partir seulement de 1792, où les Espagnols la cédèrent aux Turcs, était confié à trois beys, gouverneurs nommés par le dey, révocables à volonté et dont les nominations de fonctionnaires devaient être soumises à l’approbation du dey.

Mais, en réalité, tout ce gouvernement dépendait du bon plaisir des milices, qui assassinaient le dey, quelquefois pour le seul plaisir de montrer leur puissance. D’ailleurs les tribus restaient à peu près indépendantes, à la condition de payer des impôts. Quant aux populations des montagnes, notamment les Kabyles, elles échappèrent le plus souvent à l’oppression des agents du dey. Certaines tribus prenaient le bey pour appui dans leurs différends avec les tribus voisines ; elles finissaient par se mettre à la solde des Turcs et se faisaient exempter des impôts. En sommé, la véritable ressource du gouvernement consistait dans les captures faites chaque année dans la Méditerranée et jusqu’au delà du détroit de Gibraltar. Les nombreuses histoires d’enlèvement par les pirates remplissent toute la littérature du XVIe et du XVIIe siècle, et, en réalité, le nombre des hommes célèbres qui ont été captifs à Alger ou à Tunis est très considérable. Citons, entre autres, Cervantès, Vincent de Paul, Regnard. Les esclaves étaient vendus dans l’intérieur du pays ou bien employés pour les travaux publies ou comme rameurs sur les galères du dey. Les vaisseaux capturés et leurs cargaisons formaient le plus gros des revenus ordinaires de l’État.

« Les expéditions étaient de véritables entreprises commerciales, auxquelles s’intéressaient les riches particuliers, souvent le dey lui-même. Tout était réglé avec la plus grande précision. Au retour, un secrétaire des prises, assisté de chaouchs, de changeurs, de mesureurs, de crieurs, faisait débarquer et vendre les marchandises et les esclaves. Ensuite, il procédait à la répartition : un droit fixe était prélevé par l’État ; le reste, les frais déduits, était partagé par moitié, entre l’armateur et l’équipage. Personne à bord ne touchait sa solde ; on naviguait à la part. » — « Il reste aujourd’hui peu de chose de l’Alger des deys ; cependant les ruelles étroites de la haute ville peuvent encore en donner une idée. C’étaient les mêmes maisons basses, muettes, penchées les unes vers les autres, laissant à peine filtrer un rayon de lumière. Dans cet espace étroit grouillait toute une multitude : 100.000 habitants au temps de Haëdo (1600), 200.000 d’après un résident français au XVIIe siècle. Turcs, Coulouglis, Arabes, Maures, Juifs, Kabyles, Biskris, renégats et captifs venus des quatre coins de l’Europe, assemblage confus des races les plus diverses et des types les plus opposés, l’arabe, le provençal, l’italien, l’espagnol, le français, toutes les langues et tous les idiomes se heurtaient dans cette Babel. Quand un navire entrait dans la darse, arborant fièrement le pavillon vert semé d’étoiles, tout se ruait vers la marine ; c’était le moment d’acheter, de vendre, de spéculer. Parfois, si l’on avait capturé quelque barque espagnole chargée de vins, les pauvres diables d’esclaves se grisaient à bon marché ; ils avaient aussi leur part de liesse. À de certains jours, toute la ville devenait morne ; les rues étaient désertes, les maisons closes, la milice venait d’égorger le dey. Les Coulouglis se révoltaient ; une escadre européenne passait, lançant à toute volée ses boulets et ses bombes. Mais l’orage passé, on reprenait avec insouciance la vie accoutumée. Telle fut Alger pendant trois siècles, métropole de la piraterie, rendez-vous de tous les forbans, patrie cosmopolite des aventuriers sans scrupule, terreur des nations civilisées, qu’elle bravait avec l’audace d’une longue impunité. Cette impunité est l’étonnement de l’histoire. »

Malgré leur défaite de 1541, sons les murs d’Alger, les Espagnols menacèrent quelquefois encore la domination de Barberousse et de ses successeurs. Le conseil du dey songea un moment à s’appuyer sur la France. Les Algériens demandèrent des secours à Charles IX, et le duc d’Anjou, plus tard Henri III, parut quelque temps disposé à commander l’expédition. Cela se passait en 1572. Dès 1520, les Français de Marseille étaient entrés en relations d’affaires avec les Algériens en acquérant le droit de pêcher le corail sur leurs côtes. C’est alors que se fonda, sur l’emplacement de la ville actuelle de la Calle, l’établissement du Bastion de France, sorte de comptoir fortifié, qui fut le pivot de la politique française jusqu’en 1830. Pris, repris, démoli par les Turcs, restauré à la suite de nouveaux traités, le Bastion acquit une importance bien supérieure à sa valeur commerciale. Dès 1581, un consulat français fut établi à Alger. Henri IV et Richelieu eurent de nombreux démêlés avec l’odjak (gouverneur d’Alger). Les corsaires étaient fort mécontents de voir la plupart des navires arborer le pavillon français et se prévaloir des traités conclus entre Alger et la France pour échapper à leurs réquisitions. Maintes fois ils capturèrent les bâtiments français. Le capitaine Samson Napollon conclut, en 1628, un traité par lequel le roi de France s’engageait à payer une sorte de tribut au chef des pirates. Ce pacte fut rarement exécuté. Nous avons dit (v. ALGER, au tome 1er du Grand Dictionnaire) comment Louis XIV se décida à punir les insultes et les rapines des Algériens. Un traité, signé à Versailles en 1690, par les ambassadeurs du dey Mezzomorte, fut la suite de ces mesures de rigueur. Cependant, le XVIIIe siècle est encore rempli des mêmes histoires d’enlèvements, de pillages et de cruautés. Lorsque Bonaparte envahit l’Égypte, le sultan excita encore la haine des Algériens contre les chrétiens ; les traités de 1800 et de 1801 restèrent lettre morte. En 1807, le dey profita des défaites de la flotte française pour vendre aux Anglais nos concessions sur les côtes d’Afrique. Arago est fait prisonnier et ne rentre en France que deux ans plus tard. Napoléon souffrait toutes ces insultes avec impatience ; un officier de marine, le capitaine Boutin, fut chargé d’une reconnaissance à opérer dans les environs d’Alger, afin de préparer une expédition : les plans dressés par cet officier ne furent pas inutiles en 1830. L’empereur tomba sans pouvoir réaliser ses projets dans la Méditerranée. En 1817, le dey consentit à nous restituer les concessions qu’il nous avait enlevées dix ans auparavant. Ces concessions n’étaient autre chose que l’ancien Bastion de France et certains points de la côte orientale, propres à la pêche du corail. Le loyer de cette restitution fut élevé d’année en année par le dey ; enfin, en 1826, il accorda à toutes les nations la jouissance de nos privilèges. D’autres différends surgirent à la même époque. Nous avons raconté l’insulte faite au consul de France Deval par le dey Hussein-pacha en 1827, les refus que ce dernier opposa à nos demandes de satisfaction, enfin la résolution que prit le gouvernement de Charles X de s’emparer d’Alger par la force ; il nous suffira d’ajouter ici quelques détails complémentaires.

C’est le 13 juin 1830, au lever du soleil, que nos soldats aperçurent la rade et la ville d’Alger. Le dey Hussein, bien résolu à résister énergiquement, était cependant réduit à ses propres forces, dès le début de la campagne ; il ne pouvait compter sur aucun allié sérieux. Des secours demandés au Maroc et aux beys de Tunis et de Tripoli avaient été refusés ; ces souverains avaient répondu par des offres de prières. Le sultan Mahmoud, poussé par les Anglais, avait cru résoudre la question algérienne en envoyant un pacha chargé d’étrangler le dey et de donner satisfaction immédiate à la France. Cet envoyé (Tahir-pacha) avait été arrêté par les bâtiment français. Hussein organisa les troupes de l’odjak, et s’assura du concours des beys d’Oran, de Constantine et de Titery, qui lui amenèrent quelques troupes. Hussein s’attendait à un bombardement comme ceux de Duquesne et de Tourville ; mais le plan de l’expédition était tout autre. Mettant à profit les renseignements fournis par le capitaine Boutin, l’état-major français avait décidé de tourner Alger du côté de la terre et de débarquer sur la presqu’île de Sidi-Ferruch, voisine d’Alger, dont le mouillage était excellent. C’est à cette idée que nous devons la conquête de l’Algérie. Toutes les expéditions précédentes avaient échoué à cause de la difficulté de tenir la mer pendant longtemps en dehors de la rade d’Alger. Le débarquement à Sidi-Ferruch eut lieu le 14 juin, sans autre résistance qu’un petit nombre de coups de fusil, tirés par une centaine d’Arabes. La presqu’île fut aussitôt convertie par le général du génie Valazé en un camp retranché. Les troupes algériennes étaient déjà signalées par les avant-postes. Concentrées à l’est d’Alger, à la Maison-Carrée, elles furent établies en face du camp français de Sidi-Ferruch, par l’aga Ibrahim, gendre du dey ; 40.000 ou 50.000 hommes, presque uniquement composés de cavalerie, formaient cette armée qui attaqua nos troupes dès le 19 juin. Les Algériens montrèrent au début de la bataille beaucoup d’ardeur, mais peu d’habileté à concerter leurs mouvements. Bourmont laissa passer le premier choc, puis ordonna à ses troupes de marcher en trois colonnes, droit au plateau de Staouëli, situé en avant de Sidi-Ferruch. Les redoutes arabes furent emportées, et dès lors la fuite de l’ennemi commença. Les cavaliers de l’aga Ibrahim se retirèrent jusqu’aux murs d’Alger, à cinq lieues de distance. Cette victoire prit le nom de Staoueli ; elle permit d’achever le débarquement et d’attendre la grosse artillerie, qui, seule permettait d’engager définitivement les opérations et de commencer, en cas de succès, le siège de la ville. Cependant les Algériens imputaient à la crainte les retards de la marche des Français. Le 24 juin, le général Bourmont reprit l’offensive et s’empara des hauteurs du mont Bouzaréa. Tous les combats étaient meurtriers : le général perdit un fils blessé à Sidi-Kalef ; 1.700 honnies étaient hors de combat après quelques jours d’action. Lorsque l’armée fut arrivée sur le versant sud du Bouzaréa, elle découvrit la ville d’Alger, la rade et la flotte française qui préparait, de tous côtés, une attaque par mer. L’enceinte, non bastionnée, était incomplètement fournie d’artillerie : quelques forts détachés couvraient la ville. Le plus redoutable était le fort l’Empereur, bâti sur l’emplacement du quartier général de Charles-Quint, lors de son attaque infructueuse en 1541. Bourmont établit son quartier général à 2 kilomètres de ce fort, fit commencer les tranchées et placer les batteries. Ces préparatifs de siège., dans un terrain rocheux, coupé de routes, de haies de cactus et d’aloès, furent difficiles. L’amiral Duperré faisait en même temps une première reconnaissance des forts de la rade et en détruisait une partie. Le 4 juillet, le feu fut ouvert sur le fort de l’Empereur. Cette défense, construite entièrement en maçonnerie et défendue par des artilleurs bien inférieurs aux nôtres, fut, le jour même, obligée de cesser le feu. Les janissaires qui la gardaient se précipitèrent vers la ville. « À dix heures du matin, dit M. Camille Rousset, le feu du château avait complètement cessé ; déjà le général de La Hitte donnait l’ordre de battre en brèche, et les chefs de pièces s’occupaient de modifier leur pointage. Tout à coup, une flamme jaillit, une puissante détonation secoua la terre, puis on ne vit plus rien. Au milieu d’une fumée noire et suffocante, dans les batteries, dans les tranchées, dans les campements, une grêle de pierres brisées, de poutres rompues, d’éclats de fer et de bronze mêlés de flocons de laine roussie, tombait et s’abîmait avec fracas ; plusieurs hommes, çà et là, furent grièvement blessés. Après quelques minutes d’ébranlement parmi les troupes surprises, le calme revint, et sous le nuage qui continuait de s’élever et de s’étendre, on commença à apercevoir le château de l’Empereur, ruiné par l’explosion de son magasin à poudre. » Deux soldats, Lombard et Dumont, allèrent arborer le drapeau blanc au sommet du fort. Les canons de la ville tiraient toujours ; quelques pièces furent et les réduisirent au silence. Les Arabes s'enfuyaient déjà dans toutes les directions. Hussein envoya des parlementaires, et la milice des janissaires fit de même. Le dey proposait de donner satisfaction à la France et de payer les frais de la guerre ; la milice offrait d'assassiner le dey. Bourmont repoussa ces ouvertures. D'autres parlementaires se présentèrent peu après, et le général en chef rédigea un projet de capitulation que l'interprète Brascewitz alla lire au dey lui-même, dans la Kasbah. Voici l'acte qui fut accepté et signé le lendemain 5 juillet : « 1° Le fort de la Kasbah, tous les autres forts qui dépendent d'Alger et les portes de la ville seront remis aux troupes françaises, ce matin, à dix heures. 2° Le général de l'armée française s'engage envers S. A. le dey d'Alger à lui laisser la libre possession de toutes ses richesses personnelles. 3° Le dey sera libre de se retirer avec sa famille et ses richesses dans le lieu qu'il fixera, et, tant qu'il restera à Alger, il sera, lui et sa famille, sous la protection du général en chef de l'armée française ; une garde garantira la sûreté de sa personne et celle de sa famille. 4° Le général en chef assure à tous les membres de la milice les mêmes avantages et la même protection. 5° L'exercice de la religion mahométane restera libre. La liberté de toutes les classes d'habitants, leur religion, leurs propriétés, leur commerce et leur industrie ne recevront aucune atteinte ; leurs femmes seront respectées : le général en chef en prend l'engagement sur l'honneur. 6° L'échange de cette convention sera fait avant dix heures du matin. » L'entrée des troupes françaises dans Alger eut lieu le lendemain. Elle fut attristée par la vue des cadavres des prisonniers français. Les habitants ne semblaient pas effrayés outre mesure de la prise de possession des troupes françaises. « Jamais ville conquise ne fut occupée avec plus d'ordre. » Les prisonniers du bagne, c'est-à-dire les captifs faits par les pirates, au nombre de 122, furent mis en liberté ; il y avait là un Toulonnais, nommé Béraud, enfermé depuis 1802. Les miliciens turcs, au nombre de 5.000, partirent le lendemain de l'embarquement de Hussein. Le dey se rendit à Naples ; les janissaires furent conduits en Asie Mineure. On trouva dans le Trésor environ 48.000.000 de francs en or et en argent. Un grand nombre d'objets précieux et de marchandises, laines, cuivre, peaux, etc., entassés dans les magasins, avaient une valeur de plusieurs millions. Le produit des trésors fut à peu près équivalent aux dépenses de l'expédition. La campagne n'avait duré que vingt jours.

Il a fallu quarante ans de guerre, si l'on s'arrête à l'insurrection de 1871, pour faire entrer cette grande colonie d'Afrique dans le patrimoine national. Pendant cette longue période, des prodiges d'habileté et de bravoure couvrirent de gloire nos généraux et nos soldats. Mais, en ne parlant ici qu'au point de vue militaire, le système dirigeant fut continuellement modifié, selon les hasards de la politique et. les caprices des hommes au pouvoir. Jamais une idée d'ensemble ne présida plusieurs années de suite aux opérations. Aussi l'Algérie a-t-elle coûté à la France plus de sang et d'argent que la prise de sa capitale et les brillants faits d'armes du début de la conquête n'auraient pu le faire prévoir. La révolution de 1830 ayant éclaté quelques jours après, le général Bourmont, tout dévoué aux Bourbons, fut remplacé par le général Clauzel. Le nouveau commandant se lança hardiment dans la province d'Alger. Clauzel passa le redoutable col de Mouzaïa, occupa Blida et Médéa: Le gouvernement était encore indécis sur la conduite à tenir envers les indigènes. Il rappela et désavoua Clauzel et lui substitua le général Berthezène (janvier 1831). Celui-ci, ancien lieutenant de Bourmont, fit occuper Oran, Mostaganem, Bône et Bougie. La domination française s'étendait de toutes parts. Les premiers projets d'organisation commençaient à se faire jour. Le général Trézel créa les zouaves et les bureaux arabes ; les premiers furent d'un grand secours pour la conquête ; quant aux bureaux, dirigés par des officiers connaissant l'arabe et les mœurs du pays, ils furent l'intermédiaire entre les gouverneurs et les chefs de tribus ; ils rendirent, mais pendant un temps seulement, des services incontestés. Le premier chef de bureau arabe fut Lamoricière : « On ne pouvait faire un meilleur choix, dit Pélissier de Reynaud. Cet officier connaissait assez bien l'arabe pour traiter directement avec les indigènes. Il était de plus homme de résolution, plein de ressources dans l'esprit, et animé de la généreuse intention de se distinguer par quelque chose de grand et d'utile. En se rendant plusieurs fois seul au milieu des Arabes, il prouva le premier qu'on pouvait traiter avec eux autrement que la baïonnette au bout du fusil. » L'Algérie devint peu à peu une grande école militaire, où nos troupes apprirent un nouveau genre de guerre, fait de marches et de contremarches, de surprises et d'escarmouches. Les officiers et les soldats acquirent des qualités nouvelles. Cet avantage était, il est vrai, chèrement payé, et les inconvénients du climat se firent vivement sentir à des troupes inexpérimentées. C'est seulement en 1834 que le gouvernement de Louis-Philippe se prononça pour la colonisation de l'Algérie. Une commission avait été envoyée au delà de la Méditerranée, et elle avait conclu en ces termes : « L'honneur et les intérêts de la France lui commandent de conserver ses possessions sur la côte septentrionale d'Afrique. » Un gouverneur général fut nommé le 22 juillet 1834 : ce fut le comte Drouet d'ErIon, vieux général de l'Empire. En ce moment même se levait contre l'armée d'invasion le plus terrible adversaire que nous ayons rencontré en Afrique, l'émir Abd-el-Kader, qui, pendant près de quatorze ans, allait conduire contre nous une lutte acharnée.

Nous avons retracé tous les épisodes de cette conquête (v. au Grand Dictionnaire les mots ALGÉRIE, CONSTANTINE, TAFNA, KABYLIE, MAZAGRAN, ABD-EL-KADER, BOU-BAGHLA, etc.) ; il nous reste à parler des dernières insurrections.

La tentative d'insurrection qui eut lieu, près de l'oasis d'El-Amri, à 48 kilom. au sud de Biskra, en avril 1876, avait été réprimée en quelques jours. Le marabout Ahmed-ben-Aiech, aux prédications fanatiques duquel on attribue ce soulèvement, et les cheiks des quatre fractions de la tribu des Bou-Azid révoltées étaient prisonniers, les Arabes dispersés et campés en différents endroits, sous la surveillance de nos colonnes. D'ailleurs cette petite révolte avait pour cause le mécontentement de ces Arabes, à propos de la destitution d'un cheik qui avait réclamé en leur nom à Constantine au sujet d'exactions commises, disaient-ils, par leur caïd. C'était donc une émeute plutôt qu'une insurrection. Il en fut de même pour les troubles qui éclatèrent dans l'Aurès en 1879 : c'étaient encore des hommes soulevés par un cheik contre l'autorité d'un caïd accusé d'exactions, et qu'ils prétendaient soutenu ou favorisé par l'administration française.

Dans la nuit du 8 au 9 juin 1879, la tribu des Ouled-Daoud et une fraction de celle des Beni-bou-Sliman , dans la province de Constantine, au nombre de 1.200 hommes environ, attaquèrent le bordj (maison de commandement) de Rbâa, gardé par un détachement de deux compagnies de tirailleurs algériens, deux compagnies de chasseurs à pied et un escadron de spahis. Leur effort se porta d'abord sur la grand'garde des tirailleurs, placée sur un des mamelons avancés qui précèdent le plateau du sud. Cette grand'garde, tout en faisant une vigoureuse résistance, fut rejetée par l'impétuosité de l'attaque sur un second mamelon où étaient campées les deux compagnies. Un tirailleur indigène, blessé et resté dans le ravin, fut saisi par les Arabes, qui le mutilèrent affreusement, comme ils l'avaient fait quelques jours auparavant d'un soldat du train, mort dans des tortures épouvantables : on lui avait arraché les mains et les pieds, et les femmes avaient dansé autour de son corps mutilé, mais vivant encore. Pour mettre un terme à ces atrocités, on ordonna que tout insurgé pris les armes à la main serait immédiatement fusillé. La seconde partie de l'attaque ne réussit pas mieux que la première. Après vingt ou vingt-cinq minutes de fusillade et une charge à la baïonnette d'une compagnie de tirailleurs, les assaillants durent se retirer précipitamment. Le jour commençait à poindre ; ils furent poursuivis, jusqu'aux premiers escarpements de l'Aurès, par deux pelotons de spahis, soutenus par des chasseurs d'Afrique. Nous avions perdu cinq hommes, mais les Ouled-Daoud laissèrent une soixantaine de morts sur le terrain, sans parler de ceux qu'ils emportèrent. Pendant le combat, une foule d'Arabes, de la tribu des Achèches, était apparue au sommet des collines qui dominent la plaine, au N., de l'autre côté de l'oued Taga, suivant les péripéties de la lutte et se disposant, très probablement, à. se jeter sur les troupes au moindre indice d'insuccès. En ce cas, l'insurrection se fût rapidement propagée chez les Oudjanas, les Achèches et les autres tribus voisines.

La répression d'ailleurs fut prompte. Le 13, une colonne partie de Batna., sous le commandement du général Logerot, et avec laquelle marchait le général Forgemol, commandant la division de Constantine, arriva à Rbâa. : elle campa le 15 à Touba, à l'entrée de l'Aurès, et le 6 [16 ?] à Medina, à 15 kilom. de El-Hammam, le principal village des Ouled-Daoud. Les insurgés s'enfuirent devant nos soldats. Ils gagnèrent les montagnes de l'Amar-Khaddou, emmenant leurs tentes, leurs familles et leurs troupeaux, et eurent, le 19 et le 20, deux rencontres avec nos goums. Malgré des pertes sérieuses, ils purent forcer le passage et continuer leur route vers l'E. Trop faibles pour forcer de même celui de Négrine, il se jetèrent dans le Sahara. Là, les attendait la plus affreuse des morts, la mort par la soif. Lorsque les goums de Tébessa les atteignirent, plus de 300 d'entre eux gisaient sans vie sur le sable ; tous les survivants furent faits prisonniers. Aussitôt, les révoltés se soumirent et demandèrent l'aman. Quant au cheik, chef de la rébellion, il s'était enfui du côté de la frontière tunisienne. Un arrêté du gouverneur général, en date du 25 juillet, frappa les tribus, ou fractions de tribus compromises, d'une contribution de guerre de 355.172 francs.

Deux ans plus tard, une nouvelle révolte éclata ; mais, cette fois, ce n'étaient pas seulement quelques intérêts lésés qui réclamaient une vengeance, c'était « la manifestation du sentiment religieux, surexcité de longue main contre notre domination. »

Le 6 avril 1881, le bach-agha de Frendah avisa le gouvernement de l'Algérie d'un complot ourdi contre la France, à l'instigation d'un marabout, nommé Bou-Améma, et dans lequel étaient entrés les Harar du cercle de Tiaret, les tribus du cercle de Géryville et les Rezaïna de Saïda. Bou-Améma, né à Figuig, vers 1840, appartient à la grande famille religieuse des Ouled-Sidi-Cheik et s'appelle de son vrai nom Mohammed-bel-Arbi. Il quitta Figuig, vers 1575, pour venir s'établir avec sa famille à Maghar-el-Tahtani, et il y fonda une zaouia. Les sentiments qu'il manifestait contre nous et ses excitations secrètes le firent soumettre à une sévère surveillance de notre part. En 1878,. l'ordre fut même donné de se saisir, à la première occasion favorable, de la personne de ce marabout, dont l'influence grandissait de jour en jour et dont les adeptes, fanatisés par ses prédications devenaient très nombreux, et qui se montrait presque ouvertement très hostile à notre domination, surtout parmi les tribus nomades. En 1881, il est certain que les indigènes du Sud-Oranais étaient depuis longtemps gagnés à la cause de Bou-Améma et n'attendaient qu'une occasion pour lever l'étendard de la révolte.

Cette occasion, ils crurent l'avoir trouvée dans l'expédition de Tunisie qui commençait. La rapidité avec laquelle fut menée notre campagne empêcha les tribus des départements de Constantine et d'Alger de se mettre en état de rébellion ; mais dans le département d'Oran, éloigné du théâtre des opérations, les agents ou moqqadems du marabout avaient excité le fanatisme des Arabes ; une étincelle devait mettre Ie feu aux poudres. Le 20 avril, un officier du bureau arabe de Géryville, le sous-lieutenant Weinbrenner, se rendit dans le douar Djerrama des Ouled-Ziad-el-Cheraga pour arrêter deux ou trois émissaires de Bou-Améma, qu'on savait y être. Feignant une grande soumission, les gens du douar offrirent des dattes à l'officier et aux cavaliers de l'escorte, qui les acceptèrent ; mais à peine ceux-ci étaient-ils descendus de cheval qu'ils furent impitoyablement massacrés. Cet assassinat précipita l'explosion de l'insurrection, qui devait se produire seulement après que les nomades auraient achevé leurs approvisionnements annuels de céréales. En présence des nouvelles alarmantes qui affluaient de toutes parts sur les dispositions d'esprit des indigènes, il était urgent de chercher à arrêter l’extension de la révolte, de rassurer la population européenne, de calmer l'émotion des tribus réputées fidèles et de maintenir celles qui passaient pour suspectes ou hésitantes. Dans ce but, le Tell fut immédiatement couvert, aussi en avant que possible, par les goums des cercles et de la lisière du Tell, tandis que des troupes étaient réunies, dans la mesure des ressources alors disponibles, en avant de Saïda, de Daya et de Sebdott. Des résistances se firent aussitôt sentir : sur certains points, on eut à constater une mauvaise volonté non équivoque à obtempérer aux réquisitions de goums et de bêtes de somme ; sur d'autres, des refus formels d'obéissance entravèrent nos premiers efforts. Néanmoins, on put lancer l'agha de Saïda sur la route de Géryville avec un goum de 800 chevaux. Le 27 avril, il se heurta, à Khadra, aux contingents de sept tribus des Trafis, qui s'étaient presque tous joints à Bou-Améma ; lâchement abandonné par ses goums, il dut, après un premier succès, se replier sous les murs de Séfissifa. Cette rencontre, qui coûta 20 cavaliers environ aux Trafis, eut pour résultat de rendre la situation plus nette. Les insurgés, ne comptant pas entraîner de nouvelles défections, se retirèrent vers l'O. pour mettre leurs familles et leurs biens en sûreté et recevoir les renforts des populations marocaines voisines de la frontière, toujours prêtes à seconder celles de nos tribus qui se mettent en état de révolte contre nous. Nous profitâmes de ce répit pour réparer le télégraphe de Géryville à Frendah, qui avait été coupé le 22 avril.

À ce moment, les forces de Bou-Améma se composaient exactement des Trafis, des fractions des Amour, des Chemfa, des Ouled-Sidi-Ahmed-ben-Medjedoub, des Djembâa, qui s'étaient replacés sous l'autorité du Maroc, d'un certain nombre d'habitants de nos ksour et de cavaliers des Beni-Guill, Ouled-Djerir et Ouled-Sidi-Cheik-el-Gharaba. Une colonne, formée en avant de Saïda, sous les ordres du colonel Innocenti, porta un ravitaillement à Géryville, puis marcha sur les insurgés ; elle les rencontra à 4 kilom. E. de Chellala, le 19 mai, vers huit heures du matin. Les contingents de Bou-Améma étaient beaucoup plus nombreux qu'on ne le croyait d'après les renseignements antérieurs ; le colonel les évalua à 5.000 hommes, parmi lesquels se trouvaient des Djembâa et des partisans des Ouled-Sidi-Cheik. Notre colonne marchait, ayant le bataillon de la légion étrangère à l'avant-garde et nos goums sur les flancs ; le convoi était derrière flanqué par l'infanterie. Les fantassins ennemis avancèrent avec une hardiesse remarquable ; les nôtres commencèrent le feu contre eux à 1.000 mètres : ils continuèrent à marcher jusqu'à 100 mètres sur nos lignes, mais, perdant beaucoup de monde, ils firent demi-tour en courant et se sauvèrent en désordre ; pendant ce temps, nos goums, repoussés par les cavaliers ennemis, s'enfuirent, affolés, et vinrent jeter le désordre au milieu de notre convoi, poursuivis par leurs adversaires. La colonne Innocenti dut remonter vers le Tell pour renouveler ses approvisionnements. Les contingents insurgés en profitèrent pour revenir dans l'E., où ils attirèrent à eux les Laghouat-el-Ksel et quelques fractions des Oued-Sidi-el-Nasseur, des Makena et des Ouled-Sidi-Tiffour. Nos troupes, ravitaillées et renforcées, reprirent la campagne, pendant qu'une colonne, partant de Laghouat, venait occuper le djebel Amour et que d'autres troupes protégeaient et surveillaient les Harar de Tiaret. En même temps, les communications entre Sebdou et Géryville étaient assurées par une colonne légère, placée à Séfissifa ; les Haméian étaient gardés par une autre campée à El-Aricha ; enfin, des mesures étaient prises pour fermer le Tell aux nomades dissidents et chercher à les affamer. Le 31 mai, Bou-Améma vint se placer dans la vallée de l'oued Sidi-el-Nasseur ; le 2 juin, les communications télégraphiques furent de nouveau coupées entre Géryville et Frendah, et l'inspecteur des télégraphes, M. Bringard, fut surpris et massacré à Ain-Defalid avec toute son escorte. C'est alors que la colonne de la division d'Oran, chargée des opérations actives sous le commandement du général Détrie, s'avança par Khadra et Kheneg-Azir contre Bou-Améma, qui se porta hardiment vers le N., sans doute avec l'espoir d'entraîner les Harar-el-Cheraga. N'y pouvant réussir, il se jeta brusquement vers l’O., reçut ou força, le 10 juin, la soumission de diverses tribus, se livra à des actes odieux de brigandage et massacra les ouvriers espagnols des chantiers d'alfa de Saïda, dont la garnison était trop faible pour le poursuivre. Échappant à l'action combinée de nos colonnes, qui devaient lui barrer les passages du chott, il passa le 14 à Sfid, où il eut une rencontre sanglante, mais sans résultat, avec nos goums ; le 15, il remonta à Chaïr et regagna le S.-O. par Fékarine, en passant à travers nos colonnes postées au Kheider. La rapidité vertigineuse des marches et des contremarches de Bou-Améma déroutait toutes les prévisions de nos officiers, et un caricaturiste donna à ce moment un tableau exact de la situation, en représentant un général français, les yeux tournés avec anxiété vers le désert sans bornes, et disant à son aide de camp : « Télégraphiez au ministre que l'ennemi est là, devant nous, et que nous nous préparons à le poursuivre. » Cependant, nos colonnes obtinrent quelques succès partiels, notamment à Mekam-Sidi-Cheik (10 juin), à Madena (14 juin) et à Aïn-Kecheb (16 juin).

Le massacre des ouvriers de Saïda et la nouvelle de la fuite de l'insaisissable marabout produisirent dans le monde politique et dans la presse une grande émotion. Dans une interpellation, discutée le 30 juin, M. Jacques, député d'Algérie, accusa le gouverneur général de n'avoir pris aucune mesure préventive, et M. Gastu affirma que l'origine du soulèvement actuel remontait à 1878, ce qui était vrai. M. Jules Ferry répondit que les responsabilités en jeu étaient purement militaires, théorie tout au moins bizarre, car (M. Brisson le fit remarquer) tous les membres d'un cabinet sont solidairement responsables. La Chambre invita le gouvernement à agir avec fermeté et « à déterminer les responsabilités encourues » ; après quoi M. Ferry crut devoir mettre en disponibilité les généraux Osmont et Cérez pour les remplacer par les généraux Delebecque et Saussier.

Au mois de juillet, Bou-Améma tenta une nouvelle incursion, à laquelle prirent part, outre ses contingents ordinaires, 400 Chambâa montés sur des méharis. Signalé le 5 à Méchéria-de-l'Antar, le 7 à Fekarine, il essuya le 9 un échec en passant devant le Khreider, gardé par trois compagnies de tirailleurs. Le 13, vers midi, le colonel Brunetière, alors à Médrissa, fut averti qu'un goum fort de 700 cavaliers, 400 fantassins et 1.500 chameaux marchait vers le S. Il envoya immédiatement le commandant d'Héricourt avec deux escadrons de chasseurs, trois compagnies d'infanterie et une section d'artillerie. Ils rencontrèrent l'ennemi vers une heure après-midi ; le combat s'engagea aussitôt et se termina vers sept heures du soir par la défaite des Arabes, qui, abandonnant leurs morts sur le terrain, se dirigèrent, le marabout en tête, vers Sorion et Souagheur. Le colonel Brunetière se mit à sa poursuite et l'obligea à rétrograder vers le S., sans avoir pu faire aucune razzia. Il y eut plusieurs combats engagés sans perte pour nous ; les insurgés jalonnèrent la route des cadavres de leurs chevaux, mais les nôtres virent Bou-Amema et son convoi à 3 kilom. devant eux sans pouvoir le gagner de vitesse. L'infanterie exécuta un grand nombre de feux à commandement à grande distance qui eurent de très bons résultats. L'artillerie tira aussi sur l'ennemi, qui eut environ 10 hommes tués. Un seul de nos spahis fut blessé grièvement. Peu de temps après, l'occupation permanente de Mécheria-de-l'Antar eut pour effet d'interdire aux insurgés, refoulés dans l'O., leurs pâturages habituels de la saison d'été.

Depuis le milieu de juillet jusqu'aux premiers jours d’octobre, les opérations militaires se réduisirent à une défensive commandée par la saison. Depuis le milieu de juillet jusqu'aux premiers jours d'octobre, les opérations militaires se réduisirent à une défensive commandée par la saison. Toutefois, une petite colonne, sous les ordres du colonel de Négrier' commandant de Géryville, parcourut les kaour de la région, exerça des représailles et détruisit la kouba d'El-Abiod-Sidi-Cheik, pour inspirer une terreur salutaire aux fanatiques arabes. Dès que l'abaissement de la température le permit, 7 bataillons d'infanterie, 5 escadrons, 3 batteries et 600 goumiers furent concentrés au Kheider, à Mécheria et à Géryville. Réparties en trois petites colonnes, ces troupes furent dirigées vers le S.O. pour y ramener le calme et y installer un poste. En novembre, elles fouillèrent le pâté montagneux des Amour et réduisirent ces tribus, qui, de tout temps, avaient rançonné nos kaour ; puis des colonnes d'observation furent disposées çà et là, pour garder notre frontière de l'O. de tout retour offensif. L'insurrection du Sud-Oranais était vaincue, mais nos soldats eurent encore à réprimer quelques agressions de Bou-Améma, qui s'était réfugié sur le territoire marocain. C'est seulement en 1884 que la pacification fut assurée par la soumission des Ouled-Sidi-Cheik. V. BOU-AMÉMA, CONFRÉRIES MUSULMANES.

- Ethnographie. On trouve en Algérie cinq éléments ethniques : 1° les Berbères proprement dits ; 2° les Berbères arabisés ; 3° les Arabes ; 4° les Algériens ; 5° les Juifs. Les Berbères purs sont au nombre de 9.000, les Berbères arabisés au nombre de 1 million 400.000, les Arabes au nombre de 500.000, les Juifs au nombre de 35.000. Quant aux Européens, y compris les Français, on en compte environ 500.000. Les nègres et les coulouglia (métis de Turcs et de femmes indigènes) sont très peu répandus. Le Berbère pur a le visage ovale ou presque rectangulaire, le nez droit, les pommettes peu saillantes, le système pileux peu développé, tandis que le Berbère arabisé a le nez légèrement busqué de l'Arabe, ses joues proéminentes et ses attaches fines. « Le type blond, dit M. Houdas (Ethnographie de l'Algérie), a une structure plus vigoureuse que le type brun. Sa taille est généralement élevée et les membres sont fortement développés ; le front, plat et bas, se dresse verticalement au-dessus d'un nez court et un peu fort. La saillie des joues s'écarte du milieu de la face et donne au visage un aspect aplati. La forme du masque est presque celle d'un carré aux angles arrondis. Ce type est assez rare en Algérie ; il est plus fréquent parmi les Marocains du Rif et de l’Atlas. » Les os du crâne, chez le Berbère, ,sont très durs et très épais. L'Arabe est moins fortement constitué. Ses caractères physiques sont les suivants : nez busqué, front bombé, visage ovale, pommettes saillantes, lèvres minces, bouche moyenne, dents très blanches, yeux foncés. On trouvera aux mots ARABE, BERBÈRE, KABYLE, des détails circonstanciés sur ces divers éléments ethniques que nous devons nous borner à mentionner ici.

- Population. D'après le recensement de 1886 , la population de l'Algérie s'élève à 3.817.465 habitants, répartis sur un territoire de 318.334 kilom. carrés, soit 11,8 hab. par kilom. carré.

Voici les résultats des recensements antérieurs :

En 1872 2.416.000 âmes.
1877 2.867.620
1881 3.310.412

L'augmentation de la population, depuis 1881, est donc de plus de 500.000 âmes, et, depuis 1872, en quinze années, de plus de 1.400.000, c'est-à-dire de 60 pour 100. La population algérienne s'accroîtrait régulièrement d'un demi-million en cinq ans ; mais ces résultats tiennent surtout à l’agrandissement du territoire civil et à une plus grande exactitude dans les statistiques. Les anciens recensements, et surtout celui de 1872, ont eu lieu dans des conditions tout à fait défectueuses. À cette époque, le territoire civil était encore assez réduit ; il était difficile de faire un recensement exact, d'autant plus qu'au lendemain de l'insurrection les déclarations des indigènes devaient rester au-dessous de la vérité. Ces circonstances expliquent aussi la prétendue diminution de 400.000 habitants que l'on avait trouvée dans la population arabe de 1866 à 1872, tandis que les recensements faits depuis ont montré une augmentation constante de cette population. « Bien loin que l'élément indigène, dit M. P. Leroy-Beaulieu, s'efface peu à peu devant l'élément européen, l'élément arabe et kabyle en Algérie pullule sous notre domination. » D'après le recensement de 1886, le nombre des indigènes musulmans, en Algérie, est de 3.284.762, non compris les Marocains, les Tunisiens et autres musulmans non indigènes ; en 1881, leur nombre était de 2.850.866, soit une augmentation de plus de 430.000 ou de 15 pour 100. En 1876, les indigènes musulmans étaient au nombre de 2.476.941, dont 962.146 dans les villes et 1.514.795 dans les tribus. L'augmentation réelle de la population arabe sur notre territoire n'a pas été moindre de 430.000 habitants ; il faut attribuer la plus grande partie de cet accroissement à l'extension du territoire civil. Ainsi, le territoire civil a augmenté, en 1878, de 2,305,44 kilos. carrés, comprenant 44,810 habitants, et, en 1882, le territoire des grands commandements s'est accru, dans le Sud-Oranais, jusqu'au delà des kaour et a naturellement augmenté le contingent fourni par les tribus qui y résident. Il est néanmoins certain que la population arabe s'accroît rapidement sous notre domination, et principalement dans les campagnes. Si l'on joint à ces 3.234.762 Arabes indigènes, les israélites et environ 20.000 Marocains et 5.000 Tunisiens, on arrive au chiffre rond de 3.300.000 Arabes sur 3.317.465 de population totale, soit 67 pour 100 environ.

Les Israélites sont au nombre de 42.595, contre 35.665 en I881, soit un accroissement de 19 pour 100. L'élément européen proprement dit comprend, au total, 461.764 individus, dont 255.552 Français (y compris 35.925 militaires), contre 233.937 en 1881, soit une augmentation, en chiffres ronds, de 21.615 ou .de 9 pour 100. Le recensement de 1886 donne 206.212 étrangers ; celui de 1831 en avait donné 189.945, soit une augmentation de 16.268 ou 8,5 pour 100. En 1851, les étrangers se composaient de 114.320 Espagnols, 33.693 Italiens, 15.402 Anglais et Maltais, 4.201 Allemands et 22.328 autres étrangers. Continuant à examiner les recensements antérieurs, nous voyons qu'en 1857 il n'y avait en Al­gérie que 180.472 Européens, et en 1861, 205.000. En moins de trente ans, la population européenne a donc plus que doublé. On peut prévoir qu'à la fin du siècle la population européenne de l'Algérie atteindra au moins 600.000 individus et 1 million lors du centenaire de la conquête, en n'admettant qu'une augmentation de 8.000 à 10.000 habitants, contre 4 millions d'Arabes à la fin du siècle et 6 millions au milieu du siècle prochain. Le nombre des Français (219.627 sans l'armée) dépasse toujours un peu celui de toutes les populations étrangères européennes réunies (206.212) ; mais, tandis qu'en 1866 la population française formait les 56 % de la population européenne totale, elle n'en constitue plus aujourd'hui que les 51 %.

Voici le mouvement de la population européenne et israélite indigène de 1879 à 1883 :

Excéd. des Mariages. Naissances, Décès, naissances. 1879... 2.690 12.323 10.356 1.967 1880... 2.9S8 13.123 12.184 939

1881... 3.075 13.761 12.344 1.417 18S2... 3.444 14.018 11.740 E.2 :8 1883... 3.561 12.648 10.762 1.886

Les mariages mixtes ou croisés, très fréquents chez les Français (57 pour 100 du total des mariages mixtes), et les naturalisations tendent également à augmenter la population française et à y introduire des éléments étrangers. En 1881, le nombre des immigrants débarqués en Algérie a été de 120.397 personnes ; par contre, 102.961 personnes quittèrent la colonie. Excédent des arrivées sur les départs : 17.436.

- Division territoriale. L'Algérie est divisée en trois départements : Alger, Oran et Constantine. En 1886, le département d'Alger comprenait 5 arrondissements : Alger, Médéa, Miliana, Orléansville et Tizi-Ou-zou ; 89 communes de plein exercice et 23 communes mixtes (territoire civil) ; 3 communes mixtes et 6 communes indigènes (territoire de commandement). Le département d'Oran comprenait 5 arrondissements Oran, Mascara, Mostaganem, Sidi-bel-Abbès et Tlemcen ; 74 communes de plein exercice et 20 communes mixtes (territoire civil ) ; 3 communes mixtes et 2 communes indigènes (territoire de commandement). Le département de Constantine comprenait 7 arrondissements : Constantine, Batna, Bône, Bougie , Guelma, Philippeville et Sétif ; 69 communes de plein exercice et 35 communes mixtes (territoire civil) ; 5 communes indigènes (territoire de commandement).

- Administration centrale. Nous avons fait, au tome XVI du Grand Dictionnaire, l'historique des divers systèmes qui ont été successivement adoptés pour l'administration générale de l'Algérie. Depuis le décret du gouvernement de la Défense nationale, en date du 24 octobre 1870, l'Algérie s'était trouvée soustraite au régime d'exception que l'Empire lui avait imposé ; la première pensée du gouvernement républicain avait été de donner aux institutions civiles de la colonie l'essor qu'on leur avait refusé jusque-là. Le développement de la colonisation et l'extension du territoire civil, deux mesures inséparables, avaient figuré en tête des programmes tracés aux commissaires extraordinaires de la République et aux gouverneurs généraux qui les ont remplacés. Le premier de ces gouverneurs, le vice-amiral de Gueydon (29 mars 1871 au 19 juin 1873), eut une grande part dans cette œuvre de réorganisation. Au moment où il prit possession de ses fonctions, le territoire civil était à peu près limité à ce que l'on avait appelé les îlots de colonisation, et le territoire militaire commençait encore aux portes d'Alger. L'amiral porta la surface du territoire confié à l'administration civile de 1.200.000 à 3 millions d'hectares. Le général Chanzy, qui lui succéda, débuta par une mesure qui sembla d'abord être le signal d'une politique contraire. Le décret du 11 septembre 1873 l'autorisa, sur sa demande, non seulement à suspendre l'exécution des mesures arrêtées par son prédécesseur, mais encore à revenir sur celles de ces mesures qui avaient été mises à exécution. Cet acte était plutôt la marque d'un changement de système qu'un retour aux errements du passé : partisan de la théorie des agrandissements progressifs, le général Chanzy porta en effet, en fin de compte, le territoire civil à 5 millions d'hectares. Mais, là encore le gouvernement général et le commandement, ou, pour mieux parler, l'élément civil et l'élément militaire n'étaient point distingués : le second était tout, le premier n'était que supporté. Dans le territoire civil, les maires, les sous-préfets et les préfets, fonctionnaires civils, relevaient directement d'un chef militaire, et, dans le territoire militaire proprement dit, la direction des affaires appartenait à une section de l'état-major général,

Nommé gouverneur général civil de l'Algé­rie le 15 mars 1879, M. Albert Grévy, obéissant d'ailleurs aux vœux des colons, à la pression de l'opinion publique, toutes choses manifestées mille fois et hautement, notamment dans l'enquête dirigée en 1867 par M. le comte Le Hon, dont nous avons parlé, avait résolu d'entrer résolument dans la voie des réformes radicales. Dès les premiers jours, il prononçait, dans un discours à Bône, ces paroles significatives : « Le rattachement que je prépare étonnera peut-être les plus impatients. » Effectivement, le territoire civil fut porté tout à coup à 10.300.000 hectares, c'est-à-dire plus que doublé, et près d'un million d'indigènes passaient, en quelques semaines, d'un régime à l'autre. Cette transformation considérable s'accomplit sans aucune difficulté, et, en dépit des pronostics fâcheux émis sur le sort de cette grande opération, le calme le plus complet ne cessa de régner parmi les tribus rattachées au territoire civil. « Quoi d'ailleurs de moisis étonnant ? disait M. Muller, conseiller du gouvernement, dans un rapport au conseil supérieur de l'Algérie. Soustraits à la domination ruineuse des grands chefs arabes, soumis à un régime plus doux, dotés de la perception individuelle de l'impôt, voyant se fonder près d'eux des centres européens, dans lesquels ils écoulent des produits autrefois sans valeur, les indigènes des tribus rattachées n'ont rien à regretter dans le changement qui s'opère et ne peuvent qu'être satisfaits de leur situation nouvelle. »

Parmi les modifications désirables que projetait M. Grévy, une, entre autres, avait une importance capitale : celle qui consistait à fixer une bonne fois l'organisation administrative et législative de notre possession africaine. Dès le 24 novembre 1880, un arrêté du ministre de l'Intérieur institua une commission spéciale, chargée « d'étudier les modifications à apporter au fonctionnement du gouvernement général de l'Algérie ». Des délibérations de cette commission sortirent les décrets, dits de rattachement, qui furent promulgués au « Journal officiel » du 6 septembre 1881, et dont voici l'analyse sommaire :

Le gouverneur général, quoique subordonné, sous l'Empire, au ministre de la Guerre, et, sous la République, au ministre de l'Intérieur, exerçait jusqu'à présent des pouvoirs ministériels. La plupart des services civils étaient dans sa main, comme chacun d'eux est, en France, dans la main du ministre au département duquel il ressortit. Il avait la nomination des fonctionnaires et agents de ces services. Il existait un budget du gouvernement général de l'Algérie, et le gouverneur était premier ordonnateur des crédits ouverts par ce budget. Le premier des nouveaux décrets détruisait cette organisation. Chacun des services civils de l'Algérie fut directement rattaché désormais au département ministériel auquel il ressortit en France ; par suite, le budget du gouvernement général fut supprimé, et les divers crédits de ce budget furent répartis, comme les services, entre les ministères de la métropole. Ainsi, le gouverneur général, qui n'avait auparavant d'ordres à recevoir que du ministre de l'Intérieur, devint le subordonné de chacun des ministres.

Si l'on s'en était tenu à ce premier décret, il ne restait plus qu'à supprimer le gouvernement général. À quoi bon un gouverneur n'ayant plus que des attributions préfectorales ? Les ministres n'ont pas plus besoin, en Algérie qu'en France, d'un intermédiaire entre eux et les préfets. On maintint cependant le gouvernement général, par un procédé peu logique. Le premier décret attribuait aux ministres la direction de tous les services civils, dirigés jusqu'à présent par le gouverneur ; mais les décrets suivants conférèrent a celui-ci, par délégation de chacun de ces ministres, les pouvoirs qu'il exerçait précédemment. De sorte qu'après lui avoir ôté ces pouvoirs, on les lui restituait ; seulement, au lieu de les exercer à titre de gouverneur, il les exerçait à titre de délégué des ministres. En somme, le nouveau régime avait le caractère d'un compromis entre deux systèmes, dont chacun aurait valu mieux que lui. Il semble certain, en effet, qu'il n'y a en Algérie, quant à l'organisation administrative, que trois régimes possibles, dont chacun a ses avantages et ses inconvénients : 1° le régime antérieur aux décrets de rattachement, c'est-à-dire un gouverneur général ayant des pouvoirs ministériels et cependant subordonné à un ministre responsable ; 2° un ministère de l'Algérie ; 3° l'assimilation administrative à la France, c'est-à-dire des préfets et des chefs de service, correspondant directement avec les ministres. Quant au régime inauguré par les décrets de 1881, il fut peu goûté de la colonie. Le principe en fut condamné formellement par deux conseils généraux sur trois et par le conseil supérieur de l'Algérie. En outre, dans les élections de 1881, les colons se prononcèrent contre lui. M. Dufaure, rapporteur du budget de l'Algérie en 1846, avait alors énergiquement critiqué ce système, déjà préconisé par plusieurs. « Il y a, disait-il, une population arabe-kabyle à gouverner, une population française et européenne à introduire en Afrique ; il faut gouverner ces deux populations et les faire vivre ensemble, sinon sous les mêmes lois, du moins sous la même autorité. Eh bien, quand on envisage par la pensée tous les détails, toutes les difficultés d'une question de cette nature, on est convaincu de ces choses : d'un côté, qu'un seul homme doit avoir la direction unique, exclusive de cette affaire ; d'un autre côté, qu'il doit être responsable devant les Chambres, et qu'à tout moment les Chambres, l'opinion publique doivent être appelées à lui donner force et secours. » Cependant, comme nous devons présenter ici les opinions diverses, il convient de dire que beaucoup d'esprits sérieux virent dans la nouvelle organisation un réel progrès.

Le journal « la France coloniale » exprimait en ces termes la satisfaction d'un grand nombre d'Algériens : « Dorénavant, nulle mesure administrative ne pourra être appliquée en Algérie, à moins que les dispositions n'en aient été délibérées en conseil des ministres et si elle n'a été revêtue de signatures entraînant la responsabilité des signataires devant le Parlement. Cette responsabilité, qui a été inscrite dans la Constitution, en garantie de nos droits, les Algériens pouvaient-ils la mettre en jeu sous le régime du gouvernement spécial qu'ils subissaient ? Non. L'histoire tout entière de leurs souffrances et de leur oppression, de leurs luttes et de leurs déceptions, prouve surabondamment qu'ils n'avaient nul recours contre les fantaisies administratives des divers potentats qui ont eu mission de les gouverner. Par suite des rattachements, ils rentrent dans le droit commun. Et le droit commun, c'est pour eux la garantie des droits et des intérêts sous la protection de la loi, avec la sanction de la responsabilité parlementaire du pouvoir exécutif. »

Lorsque M. Albert Grévy. eut donné sa démission de gouverneur général de l'Algérie, le système des rattachements fut maintenu sous son successeur, M. Tirman, nommé le 26 novembre 1881 ; mais le territoire de commandement passa un moment sous les ordres du général commandant en chef le 19e corps. Un décret du 6 avril 1882 réunit toute l'administration, celle des indigènes comme celle des Européens, entre les mains du gouverneur civil, à charge pour lui de communiquer au général la correspondance relative aux territoires militaires. Néanmoins, dans toute l'étendue des territoires militaires, l'administration locale continua d'appartenir à des militaires.

Voici quels ont été, depuis la conquête, les gouverneurs de l'Algérie :

Comme commandants en chef :

Maréchal de Bourmont, 25 juillet 1830.

Maréchal Clausel, 8 septembre 1830.

Lieutenant général Berthezène , 26 février 1831.

Lieutenant général Savary, duc de Rovigo, 16 octobre 1831.

Général Avizard, 4 mars 1833.

Lieutenant général Voirol, 20 avril I883.

Comme gouverneurs généraux :

Lieutenant général comte Drouet d'Erlon, 27 juillet 1834.

Maréchal Clausel, 8 juillet 1835.

Lieutenant général Damrémont, 12 février 1837.

Maréchal comte Valée, 12 octobre 1837.

Lieutenant général Bugeaud, 28 décembre 1840.

Lieutenant général de Lamoricière, 24 août 1845.

Lieutenant général Bedeau, 20 juillet 1847.

Général duc d'Aumale , 11 septembre 1847.

Général de divisions Cavaignac, 25 février 1848.

Général de division Changarnier, 20 avril 1848.

Général de division Marey-Monge, 20 juin 1848.

Général de division Charron, 9 septembre 1848.

Général de division d'Hautpoul, 22 octobre 1850.

Général de division Randon, 11 décembre 1851.

En 1859, M. le général de division Guesvillers prit le titre de commandant supérieur des forces de terre et de mer en Algérie. En 1860, le général de Martimprey lui succéda dans les mêmes fonctions et commandements.

Maréchal Pélissier, gouverneur général, 24 novembre 1860.

Maréchal de Mac-Mahon, gouverneur général, 1er septembre 1864.

Henri Didier, 24 octobre 1870.

Vice-amiral de Gueydon, 29 mars 1871.

Le 19 juin 1873, le général Chanzy, alors commandant le 7e corps d’armée et membre de l’Assemblée nationale, fut chargé, à titre de mission temporaire, des fonctions de gouverneur général civil de l’Algérie, en remplacement du vice-amiral de Gueydon. Il fut investi également du commandement des forces de terre et de mer.

Albert Grévy, 15 mars 1879.

Tirman, 26 novembre 1881.

Organisation municipale. Il y a en Algérie trois sortes de communes : les communes de plein exercice, les communes indigènes et les communes mixtes. Les communes de plein exercice sont administrées suivant les règles en vigueur pour les communes de la métropole ; elles n’existent qu’en territoire civil. La commune indigène, aux termes de l’arrêté du 20 mai 1868, a pour maire le commandant de la subdivision, et pour conseil municipal une assemblée composée des commandants de cercle (subdivision de la commune), du sous-intendant militaire, du commandant du génie, du chef du bureau arabe de la subdivision et de notables indigènes en nombre égal à celui des cercles, sans que ce nombre puisse être inférieur à quatre. Au sein de cette commune, toujours très vaste, les douars forment des sections distinctes administrées par une djemmaa ; celle-ci est présidée par le caïd, ou le cheik, assisté de notables nommés, révoqués et suspendus par le commandant de la province. Il n’y a de communes indigènes qu’en territoire militaire.

Les communes mixtes sont des circonscriptions où domine l’élément arabe et où la population européenne commence à fonder quelques établissements, sous la protection spéciale de l’administration ou du commandement. « La commune mixte, dit L. Henrique, possède des ressources propres, mais les éléments de la population européenne ne sont pas encore assez nombreux, les ressources dont elle dispose ne sont pas suffisantes pour qu’elle puisse être érigée en commune de plein exercice. Elle est administrée par des commissions municipales composées, suivant l’importance de la population, de sept, neuf ou onze membres, choisis parmi les habitants français (Européens ou indigènes naturalisés) et remplissant les conditions exigées par l’arrêté du 24 novembre 1871 pour faire partie des conseils municipaux en Algérie. Le commandant du cercle préside cette commission. Enfin, la commune mixte a un domaine qui se compose de biens meubles et immeubles réputés communaux, pour les communes de plein exercice. La principale ressource de la commune consiste dans les centimes additionnels à l’impôt arabe. » Ainsi, dans cette organisation communale rudimentaire, le rôle principal appartient à l’autorité militaire presque sans partage. Il y a des communes mixtes dans les deux territoires, et sont également mixtes les postes militaires établis sur des points avancés où la population civile européenne a été admise à se livrer au commerce et à diverses industries de peu d’importance.

La loi du 5 avril 1884 sur l’organisation municipale fut déclarée applicable aux communes de plein exercice, sous réserve des dispositions actuellement en vigueur concernant la constitution de la propriété communale, les formes et conditions des acquisitions, échanges, aliénations et partages. Antérieurement à la publication de ladite loi, les étrangers domiciliés dans les communes de plein exercice étaient éligibles aux conseils municipaux, concurremment avec les Français (ou naturalisés) et les indigènes : désormais, les assemblées communales de l’Algérie ne comprirent plus que des représentants au titre français et au titre musulman. La situation de ces derniers a été réglée par le décret du 7 avril 1884, ainsi conçu :

Article 1er. Les conseils municipaux des communes de plein exercice de l’Algérie, dont la population européenne sert seule à déterminer la composition, comprennent, outre les conseillers élus par les citoyens français (ou naturalisés), des conseillers élus par les indigènes musulmans, dès que cette population atteint dans la commune le chiffre de 500 individus. Ces derniers conseillers viennent en augmentation du chiffre du conseil municipal, tel qu’il est déterminé par l’art. 10 de la loi du 5 avril 1884, et leur nombre est fixé comme il suit : 2 conseillers, de 100 à 1.000 habitants musulmans. Au-dessus de ce chiffre, il y aura un conseiller musulman de plus par chaque excédent de 1.000 habitants musulmans, sans que le nombre de ces conseillers puisse jamais dépasser le quart de l’effectif total du conseil, ni dépasser le nombre de 6.

Art. 2. Les indigènes musulmans, pour être admis à l’électorat municipal, doivent être âgés de vingt-cinq ans, avoir une résidence de deux années consécutives dans la commune et se trouver, en outre, dans une des conditions suivantes : être propriétaire foncier ou fermier d’une propriété rurale ; être employé de l’État, du département ou de la commune ; être membre de la Légion d’honneur, décoré de la médaille Militaire, d’une médaille d’honneur ou d’une médaille commémorative donnée ou autorisée par le gouvernement français, ou titulaire d’une pension de retraite. Ils ne seront inscrits sur la liste des électeurs musulmans qu’après en avoir fait la demande et avoir déclaré le lieu et la date de leur naissance.

Art. 3. Sont éligibles au titre musulman : 1° les citoyens français ou naturalisés qui remplissent les conditions prescrites par l’art. 31 de la loi municipale susvisée ; 2° les indigènes musulmans, âgés de vingt-cinq ans et domiciliés dans la commune depuis trois ans au moins, inscrits sur la liste des électeurs musulmans de la commune.

Art. 4. Les conseillers élus par les indigènes musulmans siègent au conseil municipal au même titre que les conseillers élus par les citoyens français. Toutefois, en exécution de l’art. 11 de la loi du 2 août 1875, ils ne prennent part à la désignation des délégués pour les élections sénatoriales qu’à la condition d’être citoyens français ; la même condition leur est nécessaire pour participer à la nomination du maire et des adjoints.

Art. 5. Dans les communes de plein exercice, où la population musulmane est assez nombreuse pour qu’il y ait lieu d’exercer à son égard une surveillance spéciale, cette population est administrée, sous l’autorité immédiate du maire, par des adjoints indigènes. Ces adjoints peuvent être pris en dehors du conseil et de la commune. Dans ces deux cas, ils ne siègent pas au conseil municipal. Le préfet détermine, par des arrêtés, les communes où doivent être établis des adjoints indigènes, ainsi que le nombre, la résidence et le traitement de ces agents. Les traitements des adjoints indigènes constituent une dépense obligatoire pour les communes. Les titulaires de ces emplois sont nommés, le maire préalablement consulté, par le préfet, qui peut les suspendre, dans la même forme, pour un temps qui n’excédera pas trois mois. Ils ne peuvent être révoqués que par un arrêté du gouverneur général.

Art. 6. L’autorité des adjoints indigènes ne s’exerce que sur leurs coreligionnaires. Indépendamment des attributions qui peuvent leur être déléguées par le maire, ces agents sont particulièrement chargés de fournir à l’autorité municipale tous les renseignements qui intéressent le maintien de la tranquillité et la police du pays ; d’assister les agents du Trésor et de la commune pour les opérations de recensement en matière de taxes et d’impôts ; de prêter, à toute réquisition, leur concours aux agents du recouvrement des deniers publics ; de veiller spécialement à ce que les déclarations de naissance et de décès, de mariage et de divorce soient faites exactement par leurs coreligionnaires à l’officier de l’état civil. Ils ne sont chargés de la tenue des registres de l’état civil musulman qu’en vertu d’une délégation spéciale du maire ; toutefois, lorsque les distances ne permettront pas de faire les déclarations au siège de la commune ou d’une section française de ladite commune, elles seront reçues par l’adjoint de la section indigène. Des instructions spéciales du gouverneur général détermineront, s’il y a lieu, les devoirs que les adjoints indigènes seront tenus de remplir, indépendamment de ceux ci-dessus spécifiés. En cas d’absence ou d’empêchement, l’adjoint indigène est remplacé, sur la proposition du maire, par un conseiller municipal indigène ou, à défaut, par un notable habitant indigène désigné par le préfet.

Art. 7. Des arrêtés du gouverneur général, délibérés en conseil de gouvernement, pourvoient à la création et à l’organisation des communes mixtes et des communes indigènes. Dans les centres européens compris dans le périmètre des communes mixtes, les adjoints et les membres français des commissions municipales, dont le nombre continuera d’être fixé par les arrêtés de création, sont élus par les citoyens français inscrits sur les listes électorales.

Finances. Le budget algérien, dont les crédits constitutifs sont répartis entre les divers ministères, depuis les décrets de rattachement du 6 septembre 1881, comprend ; 1° un budget ordinaire ; 2° un budget sur ressources spéciales. Les recettes ordinaires sont formées des produits perçus par les services de l’enregistrement, des douanes, des contributions indirectes, des postes et télégraphes. Les recettes extraordinaires proviennent du produit éventuel des contributions de guerre dont on frappe les tribus insurgées, et de la part faite à l’Algérie pour exécution de travaux publics, dans le produit de l’émission des rentes 3 pour 100 amortissables. Les ressources spéciales comprennent le produit des centimes additionnels extraordinaires affectés à la constitution de la propriété indigène, le dixième du principal des impôts arabes attribué aux chefs collecteurs, les produits affectés au service de l’assistance hospitalière.

Les impôts arabes, qui sont compris dans les contributions directes, constituent une ressource essentielle du budget ordinaire, mais leur rendement, calculé, pour la plus grande partie, sur les résultats de la récolte et sur la richesse des troupeaux, subit souvent des écarts considérables. Ces impôts comprennent le hockor, l'achour, le zekkat et la lezma. Ils sont ainsi définis dans la Statistique générale de l’Algérie : « Le hockor n’est perçu que dans la province de Constantine, tel qu’il était établi sous le gouvernement turc ; il frappe exclusivement sur les terres arch et vient en sus de l’achour. L’achour est prélevé sur les céréales. il est en quelque sorte proportionnel à l’étendue des terres cultivées et a pour base « la charrue ». Cette base n’est point uniforme : la charrue varie en raison de la difficulté du terrain. Sa superficie moyenne est de 10 hectares. Sous la domination turque, l’achour se payait en nature ; l’administration française l’a converti, pour les départements d’Alger et d’Oran, en un impôt en argent, supputé chaque année d’après l’importance des moissons et le prix des denrées, et pour le département de Constantine en une taxe fixe de 25 francs qui, combinée avec le hockor, porte à 45 francs par charrue l’impôt perçu sur la terre et les cultures. Le zekkat est appliqué aux troupeaux recensés ; le gouverneur général en arrête chaque année les tarifs, et il est actuellement fixé de la manière suivante pour chaque tête de bétail, sans distinction de territoire civil ou militaire : chameaux, 4 francs ; bœufs, 3 francs ; moutons, 0 fr. 20 ; chèvres, 0 fr. 25. La lezma est, suivant le pays où elle est perçue, un impôt de capitation ou un impôt sur les palmiers : impôt de capitation dans la grande Kabylie ; impôt sur les palmiers en rapports ”. L’impôt de capitation est établi sur les bases suivantes : dans chaque tribu, les hommes capables de porter les armes, c’est-à-dire en âge de concourir aux charges de la commune, sont divisés en quatre catégories : la première comprend les gens riches ou jouissant d’une aisance relative ; la deuxième, ceux qui jouissent d’une aisance moindre ; la troisième, les hommes n’ayant que des ressources médiocres ; la quatrième, ceux qui ne possèdent rien. Cette dernière catégorie est déclarée exempte de toute redevance ; les trois autres sont taxées, savoir la première, à un impôt fixe annuel de 15 francs par individu ; la deuxième, à 10 francs, et la troisième, à 5 francs. L’impôt sur les palmiers n’est perçu que dans les départements d’Alger et de Constantine ; chaque pied d’arbre en rapport doit une taxe qui varie de territoire à territoire ; les taxes en vigueur sont de 0 fr. 15 au minimum et de 0 fr. 50 au maximum par pied.

Depuis 1878, le budget départemental est formé de deux chapitres distincts : 1° le budget ordinaire, alimenté par le prélèvement fait sur l’impôt arabe (cinq dixièmes), les produits éventuels, les subventions de l’État, les contingents communaux et les subventions des particuliers pour constructions de chemins vicinaux et de chemins de fer d’intérêt local ; 2° le budget extraordinaire, alimenté par les emprunts, et par les ventes d’immeubles et d’objets mobiliers.

La ressource la plus considérable du budget commercial, l'octroi de mer, est perçue par l’administration des douanes, moyennant un prélèvement de 5 pour 100, dans les villes du littoral sur les denrées arrivant par mer, aux frontières de terre sur tous les produits tunisiens et marocains passibles d’un droit à l’entrée par mer.

La loi du 23 décembre 1884 a établi, à partir du 1er janvier 1885, une contribution foncière sur les propriétés bâties situées en Algérie. Cette contribution, qui constitue un impôt de quotité, est basée sur le revenu net imposable’selon qu’il est défini, en ce qui concerne les propriétés bâties, par la loi du 3 frimaire an VII. Le revenu du sol sur lequel sont assises les propriétés bâties est compris dans le revenu net imposable.

L’indigène. est loin d’être frappé durement par le fisc : la quotité de l’impôt qu’il paye à l’État, aux départements et aux communes ne dépasse pas 9 fr. 50 par tête, alors que l’Européen paye près de 50 francs.

Les recettes de l’Algérie, qui étaient en 1840 de 1.833.037 fr., se sont élevées en 1850 à 13.478.898 fr. ; en 1860, à 19.717.317 fr. Tombées en 1870 à 14.541.742 fr., elles ont suivi depuis lors une marche constamment ascendante. Elles se sont élevées à 29.266.401 en 1880, à 40.777.668 fr. dans le budget de 1885, qui se décomposait en 1° budget ordinaire (37.683.723 fr.), comprenant l’impôt direct (8.115.074 fr.) ; les produits domaniaux (3.022.734 fr.) ; les impôts et revenus indirects (24.503.000 fr.) ; divers revenus provenant de taxes sur les valeurs mobilières, amendes, produits universitaires, taxes sur les brevets d’invention, etc. (2.012.015 fr.) ; 2° budget sur ressources spéciales, qui est de 3.093.945 fr. et se compose des produits de l’assistance hospitalière (1.563.670 fr.) ; des taxes perçues pour la constitution de la propriété indigène (680.275 fr.) ; du dixième de l’impôt arabe (850.000 fr.), attribué aux chefs chargés du recouvrement de cet impôt. Le budget des dépenses s’élevait en tout, pour 1885, à 113.894.527 fr. se répartissant en

Dépenses civiles … 56.649.534 francs.

_____ de l’armée… 56.680.865 fr.

______ de la marine.. 558.128 fr.

Les institutions de crédit qui fonctionnent en Algérie sont au nombre de quatre : 1° Banque de l’Algérie ; 2° Compagnie algérienne ; 3° Crédit lyonnais ; 4° Crédit foncier de France et Crédit foncier et agricole d’Algérie. Le capital de la Banque de l’Algérie est fixé à 20 millions ; elle a son siège à Alger et compte des succursales à Oran, Constantine, Bône, Philippeville et Tlemcen. La Compagnie algérienne, société anonyme au capital de 15 millions et dont le siège est à Paris, a pour objet : 1° de mettre en valeur les terres qu’elle possède en Algérie et d’y favoriser le développement de la colonisation ; 2° de faire, soit en son nom, soit en participation avec des tiers, mais en vue d’entreprises intéressant l’Algérie ou les possessions françaises en Afrique, toutes opérations agricoles, industrielles, commerciales et de banque ; souscrire ou émettre, avec ou sans garantie, tous emprunts algériens faits par l’État, les départements, les villes, les établissements publics ou les sociétés algériennes ; 3° de faire en Algérie les avances sur hypothèques ; 4° de faire des avances sur nantissement, connaissement et dépôt de titres. Les opérations sont exclusivement algériennes. Le Crédit lyonnais est représenté à Alger et à Oran par deux agences qui font toutes sortes d’opérations de banque. Par suite de la création du Crédit foncier et agricole d’Algérie, le Crédit foncier de France, sans avoir renoncé à faire des prêts en Algérie aux particuliers et aux communes, traite ces opérations en participation avec la nouvelle société. C’est le conseil d’administration du Crédit foncier de France qui statue sur l’estimation des gages offerts.

Instruction publique. Les jeunes Algériens pouvaient subir les épreuves du baccalauréat devant des professeurs de faculté du continent, qui se transportaient chaque année à leur intention dans la colonie ; mais, jusqu’en 1879, ils n’avaient aucun moyen de faire leurs études de médecine, de droit, etc., et ils étaient contraints d’aller prendre sur le continent la série de leurs grades. Comme, à cause de cela, beaucoup se déterminaient à se fixer en France, la colonie se trouvait sans cesse exposée à perdre des forces qu’elle avait préparées à son usage. La loi du 20 décembre 1879 a remédié en partie à cet inconvénient en créant à Alger, à côté de l’école préparatoire de médecine et de pharmacie déjà existante, des écoles préparatoires à l’enseignement du droit, des sciences et des lettres. Ces écoles ne doivent pas être confondues avec les facultés, car (sauf l’école de droit) elles ne forment ni licenciés ni docteurs : elles conduisent seulement jusqu’au moment où l’élève peut prendre ces derniers grades. À l’école de droit se rattachent les médresses, écoles musulmanes d’enseignement supérieur qui ont pour but de former des candidats aux fonctions du culte, de la justice et de l’instruction publique musulmans, ainsi qu’aux emplois qui, en vertu du décret du 21 avril 1866, peuvent être occupés par des musulmans non naturalisés.

L’école de dessin d’Alger a été érigée en école nationale des beaux-arts par décret du 8 novembre 1881.

Il y a en Algérie trois lycées (Alger, Oran, Constantine), un petit lycée à Ben-Aknoun (près Alger), neuf collèges communaux, deux établissements libres, une école secondaire de jeunes filles.

Le décret du 13 février 1883 a assimilé l’Algérie à la métropole au point de vue des principes de la gratuité, de l’obligation et de la laïcité de l’enseignement primaire ; il n’a pas étendu aux populations indigènes le principe de l’obligation, mais il laisse au gouvernement le soin de déterminer par des arrêtés, à mesure qu’il le jugera convenable, les communes dans lesquelles ces populations pourront y être assujetties. Ce décret avait imposé à l’Algérie, au point de vue financier, des obligations analogues à celles qui étaient alors imposées aux communes de France. Il leur prescrivait d’affecter : 1° aux traitements du personnel, un sixième du produit de l’octroi de mer (correspondant aux 4 centimes exigés des communes de la métropole) ; 2° aux autres dépenses obligatoires dites « de matériel », un second sixième de l’octroi de mer, qui pouvait être considéré comme tenant lieu en Algérie du cinquième de certains revenus ordinaires communaux exigés en France. Mais lorsque, dans la métropole, les communes ont obtenu l’exonération de tout ou partie de ce cinquième au moyen d’un crédit, accordé à cet effet par les lois de finances, une mesure analogue a été prise à l’égard de l’Algérie : le décret du 16 février 1883 a ajourné jusqu’au vote de la loi organique sur les traitements la revendication par l’État du second sixième de l’octroi de mer.

Depuis, le ministre de l’instruction publique a reconnu qu’il y aurait de graves inconvénients à rapporter ce dernier décret, c’est-à-dire à exiger des communes algériennes le tiers au lieu du sixième du produit de l’octroi de mer, aussi longtemps qu’en France le prélèvement sur le cinquième des revenus ordinaires communaux ne sera pas exercé, du moins en totalité. En conséquence, le ministre a, par décret du 27 octobre 1886, réalisé une réforme plus facile et moins onéreuse pour les communes. La réforme consiste à laisser en Algérie à la charge des communes, comme en France, les dépenses de matériel, dans une proportion fixe au delà de laquelle l’État pourrait leur venir en aide. Cette proportion, étant portée en France au cinquième des revenus ordinaires, sera fixée pour l'Algérie au produit de 4 centimes additionnels au principal de la contribution foncière sur les propriétés bâties, et dans les limites du maximum fixé pour ces centimes, conformément à la loi du 24 décembre 1883. Les 4 centimes ainsi établis ne constitueront pas un impôt nouveau, puisqu'ils ne pourront venir en excédent du maximum légal ; néanmoins, ils représenteront une ressource nouvelle qui, bien que très inférieure au sixième de l'octroi de mer, suffira pour assurer le service financier des écoles.

Au 31 décembre 1884, on comptait en Algérie 905 écoles primaires publiques et 151 libres ; en 1886, le nombre des élèves suivant l'enseignement supérieur était de 904 ; l'enseignement secondaire comprenait 3.531 élèves, et l'enseignement primaire, écoles maternelles et enfantines comprises, 80.840 élèves.

- Propriété, état civil, justice des musulmans. Parmi les mesures adoptées pour amener, au point de vue social, l'assimilation progressive de l'élément indigène à l'élément colonial, les trois plus importantes sont la loi du 26 juillet 1873, ayant pour but de constituer la propriété individuelle, la loi du 23 mars 1882 sur l'état civil et le décret du 10 septembre 1886 sur la justice musulmane.

La loi de 1873, dont nous avons parlé au tome XVI du Grand Dictionnaire, déclare que, dans les territoires où la propriété aura été constatée au profit d'une tribu ou d'une fraction de tribu, la propriété individuelle sera constituée par l'attribution d'un ou plusieurs lots de terre aux ayants droit. Depuis cette époque, la propriété s'est constituée progressivement par la délivrance de titres, comme on peut le voir par le tableau suivant, indiquant les superficies constituées :


Douars Hectares
1° Depuis le commencement de l'application de la loi jusqu'au 30 septembre 1882
                             65 383.179
2° Du 1er octobre 1882 au 30 septembre 1883
                             17 114.891
3° Du 1er octobre 1883 au 30 septembre 1884
                             19 144.234
4° Du 1er octobre 1884 au 30 septembre 1885
                             21 161.266
5° Du 1er octobre 1885 au 30 avril 1886
                             13 104.993
Total 135 908.565

Pour que cette réforme pût porter tous ses fruits, surtout au point de vue des transactions immobilières, une autre réforme non moins importante s'imposait. La population musulmane n'a pas d'état civil, pas de noms patronymiques : de là une confusion qui nécessite des recherches de toute sorte et soulève des difficultés de tout genre. « Un acte civil régulier, dit M. Étienne, est indispensable pour constituer la famille sur des bases solides, pour fixer l'ordre des successions et les droits légitimes des personnes, pour développer le crédit et faciliter la circulation de la propriété par l'identité assurée de l'individu. Il est tout aussi indispensable pour l’œuvre de la colonisation. En l'état, il est peu d'Européens qui ne reculent devant l'éventualité de revendications tenant à l'absence de documents authentiques sur l'état civil des personnes, comme sur l'étendue des droits de chacun. » La loi du 23 mars 1882 sur l'état civil des indigènes musulmans de l'Algérie a pour objet de remédier à l'état de choses que nous venons de signaler. Nous nous bornerons à en indiquer les dispositions principales. Dans chaque commune et section de commune, il sera fait par les officiers de l'état civil ou par un commissaire désigné un recensement de la population indigène musulmane. Le résultat de ce recensement sera consigné sur un registre matrice, tenu en double, qui mentionnera les nom, prénoms, profession, domicile et, autant que possible, l'âge et le lieu de naissance de tous ceux qui y sont inscrits. Chaque indigène n'ayant ni ascendant mâle dans la ligne paternelle, ni oncle paternel, ni frère aîné, sera tenu de choisir un nom patronymique, lors de l'établissement du registre matrice. Si l'indigène a un ascendant mâle dans la ligne paternelle ou un oncle paternel ou un frère aîné, le choix du nom patronymique appartient successivement au premier, au deuxième, au troisième. En cas de refus ou d'abstention de la part du membre de la famille auquel appartient le droit de choisir le nom patronymique ou de persistance dans l'adoption du nom précédemment choisi par un ou plusieurs individus, la collation du nom patronymique sera faite par le commissaire à la constitution de l'état civil. Le nom patronymique est ajouté simplement sur le registre matrice au nom actuel des indigènes. Lorsque le travail de l'officier de l'état civil a été homologué, une carte d'identité ayant un numéro de référence à ce registre et indiquant le nom et les prénoms qui y sont portés, sera délivrée sans frais à chaque indigène. À partir de l'arrêté d'homologation, l'usage du nom patronymique devient obligatoire pour les indigènes compris dans l'opération, et, dès ce moment, il est interdit aux officiers publics et ministériels, sous peine d'amende, de désigner ces indigènes, dans les actes qu'ils sont appelés à dresser, par d'autres dénominations que celles portées dans leur carte d'identité. À partir du jour où le nom patronymique devient obligatoire, les déclarations de naissance, de décès, de mariage et de divorce deviennent également obligatoires pour les indigènes musulmans, qui doivent présenter leur carte d'identité en faisant ces déclarations. Les actes de naissance ou de décès sont établis dans les formes prescrites par la loi française. Quant aux actes de mariage et de divorce, ils sont établis sur une simple déclaration faite en arabe au maire de la commune ou à l'administration par le mari et par la femme, ou par le mari et par le représentant de la femme, aux termes de la loi musulmane, en présence de deux témoins.

Faute de crédits, la loi de 1882 n'a pu commencer à être appliquée que vers la fin de 1885.

Depuis 1874, les juridictions musulmanes (mahakmas et djemmas ) ont été supprimées en Kabylie et remplacées par les justices de paix et tribunaux français, jugeant conformément au droit français. Dans les autres parties du territoire algérien, la justice musulmane était réglée par le décret de 1866. Les indigènes pouvaient contracter sous l'empire de la loi française et leur déclaration entraînait la compétence des tribunaux français ; mais ceux-ci devaient statuer conformément au droit musulman et le cadi était chargé de faire exécuter la sentence.

Un décret du 10 septembre 1886 a apporté d'importantes modifications à cet état de choses. Aux termes de ce décret, les musulmans non admis à l'exercice des droits de citoyen français continuent à être régis par leurs coutumes, en ce qui concerne leur statut personnel, leurs successions et ceux de leurs immeubles dont la propriété n'est pas établie par un titre français. Les contestations relatives au statut personnel et aux successions sont portées devant les mahakmas ou tribunaux de cadis. Pour tout le reste, les indigènes sont régis par la loi française, et c'est à nos juges de paix qu'est confié le soin de juger leurs différends. Ajoutons que, même en matière de statut personnel et de successions, les .parties ont la faculté de se présenter, après accord, devant le juge français.

- Justice européenne. L'Algérie possède une cour d'appel siégeant à Alger (fondée en 1834) et quatre cours d'assises à Alger, Oran, Constantine et Bône (depuis 1870). Par suite de l'étendue du territoire dans notre colonie, l'administration de la justice y est très difficile et les cours d'assises siègent presque en permanence. On y compte de plus seize tribunaux de première instance, quatre tribunaux de commerce et cent cinq juges de paix (dont six militaires). Les juges de paix sont presque tous à compétence étendue ; ils jugent en dernier ressort les contestations dont la valeur atteint jusqu'à 500 francs, peuvent condamner jusqu'à six mois de prison et remplacent souvent le parquet pour la constatation des crimes. Tous les prévenus, sans distinction de nationalité, toutes les affaires civiles entre indigènes et Européens ou israélites sont jugées par les tribunaux français ; en territoire militaire, les prévenus sont traduits devant les conseils de guerre ou les commissions disciplinaires. Depuis 1881, enfin, des pouvoirs disciplinaires spéciaux permettent de réprimer chez les indigènes certains actes que la loi française ne qualifie pas de délits. Durant l'année 1884, 504 accusés ont été traduits devant le jury, dont 361 (70 pour 100) avaient à répondre de crimes contre les personnes et 143 de crimes contre la propriété. En 1883, les tribunaux algériens n'ont jugé que 467 personnes, dont 348 prévenues d'attentats contre les personnes et 119 de crimes contre la propriété. Le nombre des accusations a donc augmenté ; le nombre des meurtres s'est élevé à 110 en 1884, au lieu de 80. Au contraire, celui des assassinats est descendu de 125 en 1883 à 105 en 1884. 13 pour 100 seulement des accusés étaient âgés de moins de 20 ans, contre 17 pour 100 en France ; les 9 dixièmes des accusés étaient des indigènes. 179 ont été acquittés ; 42 condamnés à la peine de mort ; 513 aux travaux forcés à perpétuité ; 175 aux travaux forcés à temps. Le nombre des affaires qui sont du ressort de la juridiction correctionnelle tend sensiblement à diminuer (10.208 en 1881 ; 9.337 en 1883 et 8.653 en 1884), surtout en matière de vol : 3.937 en 1881 et 2.787 en 1884. Les prévenus étaient, en 1881, au nombre de 13.885 et en 1884 de 11.545 seulement. 11 pour 100 d'entre eux étaient âgés de moins de 21 ans ; 8 pour 100 ont été acquittés.

- Industrie et commerce. La prospérité matérielle de l'Algérie s'accroît chaque jour, malgré les fautes que l'on a pu reprocher aux divers gouvernements. Depuis dix ans surtout, et malgré les insurrections, l'industrie et le commerce se sont développés prodigieusement. D'après les statistiques de 1884, le commerce général de l'Algérie avec les puissances étrangères et les entrepôts de France a porté sur une valeur de 129.040.745 fr., avec la métropole, 250.740.044 fr., et il faut remarquer que, pendant l'année 1884, le commerce a supporté partout une crise. En 1883, en effet, la commerce de l'Algérie avec l'étranger et les entrepôts de France avait atteint 154.133.022 fr. ; avec la métropole, 252.060.385 fr. Depuis 1884, il s'est relevé jusqu'aux chiffres de 1883 et les a même dépassés. Les navires expédiés de l'Algérie à l'étranger et vice versa ont effectué 3.335 voyages en 1881 et 4.790 en 1883 ; le tonnage total de ces navires a été de 1.048.229 tonneaux (1884) et 1.237.374 tonneaux (1883) ; en réunissant à ce mouvement celui des transports entre la métropole et l'Algérie, on constate les résultats suivants : en 1884, il y a eu 5.978 voyages (2.971.588 tonneaux) ; en 1883, 7.799 voyages (3.377.054 tonneaux). Jusqu'à présent, les colons se sont montrés plutôt agriculteurs qu'industriels : l'agriculture ne demandant guère que du travail, tandis que l'industrie exige de grands capitaux et un matériel coûteux ; c'est pourquoi une grande partie du commerce algérien porte sur les productions naturelles. L'exportation des produits agricoles en 1884 (année inférieure de un dixième aux années précédentes) a été : 14.779 tonnes de grains et farines de froment, épeautre et méteil ; 4.213 tonnes de grains et farines de seigle, maïs, orge, avoine, etc. ; 2.284 tonnes de fruits de table ; 1.778 tonnes de pommes de terre et légume secs. La culture du coton représentait, en 1879, 14.203 kilogr., et celle du tabac plus de 5.000 kilogr.

La culture des vignes s'est prodigieusement développée. Dans la statistique agricole de l'Algérie, elle ne figurait, en 1878, que pour 1.500 hectares. Elle atteignait, en 1886, le chiffre de 70.000 hectares. Malgré l'apparition du phylloxera sur plusieurs points, la plantation de la vigne se poursuit avec une extrême vigueur.

La province de Constantine fournit des vins de coteaux similaires aux vins du Mâconnais et du Beaujolais, dont le prix moyen est de 25 à 40 fr. l'hectolitre.

Dans la province d'Alger, les vignes du Sahel donnent des vins fins, délicats, se rapprochant de ceux des côtes du Rhône et dont les prix se sont élevés jusqu'à 32 à 34 francs. La plaine de la Métidja produit de bons vins corsés, types Beauvoisin ou Saint-Gilles, qui se vendent de 26 à 28 francs. Dans les environs de Boufarik, on obtient de forts rendements à l'hectare, mais les vins sont petits ; on peut les comparer à ceux de la Camargue. Les vignobles de Médéa et de Miliana doivent être classés au-dessus de ceux de Sahel. C'est là que se récoltent les meilleurs vins de la province. Outre les vins rouges, on y obtient encore des vins blancs, dont quelques-uns méritent d'être assimilés aux seconds crus de l'Ermitage. Dans la province d'Oran, les principaux centres viticoles sont : Oran, Tlemcen, Bel-Abbés, Mascara et Mostaganem. Ces vins ont été payés, suivant qualité, de 20 à 34 francs l'hectolitre. La récolte totale de 1884 fut, en Algérie, de 800.000 hectolitres ; l'exportation de 230.000 hectolitres, sur lesquels la province d'Alger a fourni 90.000 hectolitres et la province d'Oran 120.000. Deux ans plus tard, en 1886, on récoltait dans toute l'Algérie : 1.567.284 hectolitres de vins, dont 624.347 pour la province d'Alger, 385.556 pour celle de Constantine, et 559.381 pour celle d'Oran ; ce qui constituait pour 1885 une augmentation de 550.981 hectolitres. Les dattes, qui sont pour les populations du Sahara ce que sont les céréales pour les habitants de l'Europe, donnent lieu aussi à un mouvement commercial relativement considérable entre les différentes peuplades de l'Afrique. Celles qui sont expédiées en Europe sont celles de qualité inférieure et dont les Arabes se servent seulement pour la nourriture de leurs bêtes de somme ; les autres se consomment, soit fraîches, soit pétries ensemble, et forment ce qu'ils nomment du pain de dattes. La sève du dattier fournit de plus une boisson très recherchée des Arabes, le lagnis. La vente des figues fraîches ou sèches forme encore une source essentielle de revenus.

La plume d'autruche est l'objet d'un trafic important. En 1879, l'Algérie exporta 3.003.703 kilogr. d'huile d'olive, d'une valeur de 1 million de fr. environ ; la même année elle a envoyé en France plus de 2 millions de kilogr. d'oranges. L'Algérie offre d'immenses ressources sous le rapport de la production des animaux de boucherie, principalement des moutons. Le nombre des moutons existant dans la colonie est environ de 7 à 8 millions en moyenne. Le maximum, 9.500.000 moutons, a été atteint en 1875, et le minimum, 4.064.000 moutons, a été constaté en 1868. Les bêtes bovines présentent un chiffre moyen de 900.000 têtes environ : le maximum, 1.310.000 têtes, s'est produit en 1857 et le minimum, 623.000 têtes, en 1869. Les bêtes bovines sont élevées dans le Tell ; la race ovine est concentrée sur les Hauts-Plateaux. Ces animaux, soumis par la force des choses à la transhumance, sont d'une extrême rusticité ; ils peuvent supporter les plus dures épreuves, des privations et des marches très longues. Les animaux indigènes n'ont, en effet, d'autre nourriture que celle qu'ils trouvent dans leurs pâturages, où l'herbe est très abondante au printemps et suffisante en été ; mais en automne, si les pluies sont tardives ou faibles, les animaux sont réduits à vivre des débris de plantes desséchées. Cette alimentation insuffisante ou de mauvaise nature fait naître, principalement dans le S., une maladie que les Arabes appellent bedrouma (disette). Les animaux meurent de maigreur extrême et quelquefois d'une inflammation de l'appareil digestif, occasionnée par la nourriture exclusive de plantes aromatiques desséchées sur pied. À l'époque de l'allaitement, pour épargner les mères, les indigènes sont obligés d'égorger les agneaux. Les pertes s'élèvent ainsi à 30 et 40 pour 100. D'un autre côté, quand les pâturages du printemps deviennent abondants, les troupeaux qui ont résisté au bedrouma risquent de passer à la pléthore, et sont alors exposés à contracter la menrara (sang de rate). Ce sont ces mortalités périodiques qui maintiennent depuis trop longtemps stationnaire la population ovine de l'Algérie. Ces catastrophes, survenues onze fois depuis l'occupation française, auraient entraîné la perte de plus de 30 millions de têtes de bétail. Le chiffre des exportations n'a atteint qu'une fois le maximum de 741.725 moutons et 51.569 bœufs : c'était en 1879. Depuis dix ans, la moyenne est de 500.000 bêtes. Il semble, dit M. Mares, que les exportations de bœufs et de moutons devraient être en rapport avec le stock disponible. Il n'en est rien, les Arabes sont surtout guidés, dans la vente de leurs animaux, par leur besoin immédiat d'argent et non par l'esprit de commerce. Ainsi, de 1867 à 1868, époque de famine, l'exportation augmenta de 60.000 têtes. La grande révolte de 1871, qui obligea les indigènes à payer de fortes contributions de guerre, amena en 1872 un chiffre de 675.000 têtes exportées contre 314.524 en 1871. On estime à 45 millions de moutons et 23 millions de brebis le nombre que l'Algérie pourrait nourrir, tandis que l'exportation s'élèverait à 3 millions de têtes.

Les sangsues d'Algérie rivalisent avec les meilleures espèces connues ; des expériences ont prouvé qu'elles possèdent une valeur au moins égale à celle des sangsues des Landes ou de Hongrie. Il ne paraît pas que le commerce des sangsues se soit fait avant l'occupation française ; ce ne fut qu'en 1838 que la spéculation comprit le parti qu'elle pourrait tirer des marais qui existent en Algérie ; ce furent les Israélites qui les premiers organisèrent la pêche de ces annélides. En 1843, l'éveil était donné et il n'était pas rare de voir des Arabes apporter à Alger jusqu'à 10 kilogr. de sangsues. Depuis, cette pêche a pris une grande extension.

Parmi les richesses agricoles, l'alfa est aujourd'hui un des articles d'exportation les plus importants de l'Algérie ; M. l'ingénieur Lartigue a imaginé un système spécial de voies ferrées pour son exploitation (v. CHEMIN DE FER MONORAIL). On le trouve dans les trois provinces, mais celle d'Oran est la mieux partagée. L'alfa croît à une altitude de 100 à 130 mètres. Cependant ce n'est que dans le S. et sur les Hauts-Plateaux qu'on le trouve par grand peuplement et c'est dans ces conditions seulement que sa récolte peut être rémunératrice. L'alfa trouve en Angleterre surtout un écoulement facile ; mais ce qui est livré au commerce est loin d'être suffisant, même pour la fabrication du papier ; car l'alfa se prête à toutes les transformations possibles. On s'en sert pour confectionner non seulement du papier, mais encore des cordages pour la marine, des articles de sparterie ; les Espagnols l'emploient pour faire de l'étoffe ; enfin, avec sa pâte comprimée, on fabrique des tonneaux à bière, des blindages de roues de wagons et de locomotives, des panneaux pouvant être employés avec succès dans la menuiserie et la corroierie. L'alfa pousse sans culture et met trois ans pour arriver à maturité ; ce n'est que la troisième année qu'il peut être exploité. Pour l'arracher de la souche, car il ne faut pas le couper, on se sert généralement du bâtonnement, c'est-à-dire d'un petit morceau de bois rond, long de 0 m. 25 à 0 m. 30. On enroule l'extrémité des pousses de troisième année, et d'un coup sec on les arrache. S'il se trouve des pousses de deux ans, elles cassent et continuent de pousser. Cette cueillette se fait deux fois par an, au printemps et à l'automne, et occupe un nombre considérable de travailleurs. L'exportation de l'alfa a été de 530.000 tonnes dans la période de 1867 à 1878, représentant une valeur de 56 millions de francs. Dans la période de 1879-1881, l'exportation a été de plus de 224.000 tonnes qui se répartissent ainsi :

Pour l'Angleterre. . . 170.000 tonnes.
          la France . 8.005 ‑
          l'Espagne . . 33.000 ‑
          le Portugal . 3.600 ‑
          la Belgique . 2.600 ‑
        autres pays . . 1.000 -
total . . . . 224.200 tonnes


Les produits les plus importants des forêts sont les chênes-lièges, dont le bois est employé pour construction, charpente, charronnage, ébénisterie, et dont les écorces servent pour le tan et les matières colorantes. L'industrie du liège a pris et prend chaque jour une extension de plus en plus grande. Son exportation atteignait en 1879 le chiffre de 6.036 tonnes, représentant une valeur de 7.244.000 fr. L'exportation de l’écorce du chêne-liège était de 12.660 tonnes, d'une valeur de 2.532.000 fr. Le thuya, ou plutôt la variété appelée callitris quadrivalve, est le plus beau de tous les arbres algériens. Ses dispositions présentent beaucoup de variétés ; son grain fin et serré le rend susceptible du plus parfait poli, ses tons chauds, brillants et doux, passent par une foule de nuances, de la couleur de feu à la teinte rosée de l'acajou. Il réunit tout ce que l'ébénisterie recherche en richesse de veines et de nuances dans les différents bois ; aussi les fabricants de meubles en font grand cas et il fournit beaucoup pour l'industrie algérienne.

En 1884, la pêche maritime a été pratiquée par 4.064 marins, montant 1.060 bateaux jaugeant 3.517 tonneaux. La valeur des produits s'est élevée à la somme de 3.757.390 fr. La pêche du corail, sur les côtes d'Algérie, perd malheureusement chaque jour de son importance, ce qu'il faut attribuer d'abord à l'épuisement des bancs, puis à la concurrence faite à l'Algérie par l'exploitation d'un banc découvert sur la côte de Sicile.

Partout où l'on trouve la matière première, les colons ont établi des usines qui fonctionnent et prospèrent : il existe des minoteries, des tanneries, des briqueteries, des ateliers de charronnage, des fabriques de bouchons et autres produits du liège, des manufactures de cigares, ou d'autres spéciales à l'égrenage du coton, etc. L'industrie indigène porte particulièrement sur les objets suivants : tapis, poterie, tissus et vêtements, broderie, tannerie, cordonnerie, sellerie, teinturerie, vannerie, sparterie, armes, taillanderie, forges, bijouterie et orfèvrerie. Ces deux dernières industries sont presque exclusivement exercées par les Juifs. Les tapis se fabriquent au métier arabe, par les soins des femmes, qui confectionnent de même les haïcks, les burnous, les chéchias, etc. Les industries de la tannerie, de la cordonnerie et de la sellerie sont pratiquées dans plusieurs villes de l'Algérie, principalement à Tlemcen. Les armes sont surtout fabriquées en Kabylie. La broderie orientale ou de luxe est l’œuvre des jeunes élèves musulmanes des ouvroirs d'Alger et de Constantine. Les industries indigènes cependant ne figurent que comme appoint pour la production générale, car on ne fabrique, dans les tribus, que les objets de première nécessité et de qualité inférieure. Les burnous et les haïcks de prix qu'on vend quelquefois comme étant de provenance algérienne sont tirés, pour la plupart, des fabriques lyonnaises, de même que les bracelets et autres bijoux de corail et d'ambre viennent d'Italie ; ce sont aussi des ouvriers européens qui préparent les fourrures que fournissent les cygnes et les grèbes. Pour terminer et afin de bien démontrer de quelles ressources dispose notre colonie, et ce que l'on pourra en attendre lorsque les voies de communication existeront assez nombreuses, nous croyons utile de donner, d'après l’« Annuaire de l’Économie politique » de 1886, les renseignements suivants, relatifs à l'industrie algérienne métallurgique :

Il existait au 1er janvier 1884 14 mines de minerais de fer ayant une superficie de 15.612 hectares ; 1 de combustibles minéraux sur 945 hectares ; 25 de minerais métallifères divers sur 40.295 hectares. Ces mines ont produit en 1883 :

Nature Poids Valeur
des produits extraits. en tonnes. en francs.

Minerai des mines. . . 255.466 . . 2.354.177
Minerai des minières. 271.514 2.541,847
Plomb et argent . . . 629 95.828
Cuivre 13.850 471.052
Zinc et étain 1.652 52.791
Antimoine. 121 28.350
Pyrite de fer 7.299 93.536
 
580.536 5.642.581

Ajoutons que le produit des mines de sel gemme, lacs et sources salés, a été en 1883 :

Brut 17.173 313.670
Lavé 790 45.227
                 17.963 358.903

La construction du chemin de fer trans­saharien, le l'étude, donnerait un grand essor au commerce de l'Algérie, et la création d'une mer intérieure serait pour notre colonie une source féconde de richesses. Ce sont th des projets qu'évidemment accomplira l'avenir.

Travaux publies. Les travaux d'utilité publique ont reçu, dans ces dernières années, une grande extension et ont puissamment contribué à la prospérité de l’Algérie. En 1870, il existait des routes stratégiques, mais les villages créés ne communiquaient pas entre eux et l'on ne comptait que deux chemins de fer, celui d'Alger à Oran et celui de Philippeville à Constantine. En 1884, le réseau des routes nationales, qui sont au nombre de 18, présentait un développement de 3.000 kilom. ; le réseau des routes départementales, des chemins de grande communication et d'intérêt commun était de 13,097 kilom. Le réseau des chemins de fer algériens atteignait au 31 décembre 1885 une longueur de 2,960 bilons., dont 1.837 en pleino exploitation. Il y a quelques années, les villes principales étaient seules reliées par le télégraphe ; maintenant le réseau télégraphique a pénétré dans un très grand nombre de localités, dans des villages de création ancienne ou récente, et les relations postales sont assurées dans de bonnes conditions. On a construit les ports d'Oran, de Philippeville, de Bône, de Perlés, qui peuvent à peine suffire aux exigences commerciales. Trois câbles sous-marins desservent l'Algérie : deux se dirigent sur Alger et un sur Bône. En 1880, les quatre grands ports, Alger, Oran, Philippeville et Bône, n'étaient reliés à Marseille que par un courrier bebdomadaire, sauf Alger qui en avait deux. Actuellement un service quotidien relie l'Algérie à la métropole. La moyenne du trajet de Marseille à Alger est descendue de quarante-huit heures à trente-quatre heures et enfin à vingt-sept heures seulement, de sorte que, par suite d'une heureuse combinaison dans les départs soit de Marseille, soit d'Alger, Paris n'est plus qu'à quarante-huit heures d'Alger. Notons, en ce qui concerne les travaux publics, que des barrages, destinés à retenir les eaux indispensables pour l’arrosement des terres, sont en voie d'exécution dans les trois départements de l'Algérie ; ruais l'insuffisance des ressources budgétaires ne permet pas d'accélérer des travaux d'une si grande utilité pour la prospérité de ce pays.

Service météorologique. Le point de départ de l'institution de ce service a été l'organisation de commissions météorologiques départementales de l'Algérie, en exécution du décret du 13 février 5873. Placé d'abord dans les attributions du général commandant supérieur du génie en Algérie, le service météorologique a été rattaché à l'école su­périeure des sciences d'Alger, par arrêté du 23 novembre 1883. En décembre 1884, le réseau météorologique comprenait 60 stations, dont 26 fournissant un bulletin météorologique mensuel et un télégramme quotidien, destiné à l'établissement de la carte du temps et du bulletin météorologique. En outre, 93 stations pluviométriques fournissaient, à la même date, un tableau de pluie avec un résumé climatologique mensuel.

Colonisation. Les premiers colons de l'Algérie furent pour la plupart des insurgés de 1830 et de 1831, qui y furent transportés. Établis dans la Métidja, beaucoup succombèrent aux fièvres paludéennes, les autres furent massacrés par les cavaliers d'Abd-el-Kader en 1839. Les essais de colonisation militaire tentés par le général Valée et par le maréchal Bugeaud n'ayant eu aucun succès, on dut recourir au régime des concessions gratuites sous condition ; mais les mille tracasseries de l'administration, jointes aux obligations multiples imposées aux concessionnaires, lassèrent les plus patients des immigrés. En 1848, suivant un plan imaginé par Enfantin, le gouvernement de février transporta en Algérie les insurgés des journées de juin, à chacun desquels il fournit, avec de l'argent, 150 hectares de terrain : 20.000 hommes s'établirent ainsi en Algérie, mais ils n'avaient, en général, aucune des qualités nécessaires au colon, et l'essai du gouvernement ne put aboutir. D'ailleurs, comme nous l'avons fait remarquer déjà (v. ALGÉRIE au tome XVI du Grand Dictionnaire), de nombreuses causes éloignaient les émigrants, et il a fallu les dispositions prises depuis 1870 pour permettre d'espérer de bons résultats. La constitution de la propriété, réglée enfin par la loi du 26 juillet 1873, est une de ces mesures fécondes sur lesquelles nous devons insister brièvement.

Il est extrêmement difficile de préciser au juste de quoi se composait, au moment de la conquête, le domaine territorial du gouvernement de l'Odjak d'Alger. Un nombre vraiment prodigieux de mémoires, brochures, articles de journaux et de revues ont été cependant publiés depuis 1830, tant en Algérie que dans la métropole, en vue d'élucider cette intéressante et délicate question. Le même sujet a défrayé d'interminables débats parlementaires dans les Chambres et les commissions spéciales sous tous les régimes qui se sont succédé dans l'espace de ce demi-siècle. La question n'en est pas devenue plus claire. Les deux opinions extrêmes, qui comptent encore dans la presse et l'administration algériennes des champions convaincus, ont été pourtant formulées avec la plus grande netteté, dès la première décade qui suivit la prise d'Alger, par un homme politique, M. Baude, et par un savant, M. Dureau de la Malle. Pour M. Baude, député, puis conseiller d’État, chargé en 1835 d'une mission en Algérie, la propriété individuelle n'existait pas en pays musulman. Le sol appartenait à l’État, et le gouvernement fran­çais, substitué par le fait de la conquête à tous les droits du beylik, pouvait en disposer à sa guise. « Il n'existe en Algérie, disait-il dans un ouvrage publié en 1840, que des biens nationaux disponibles. » M. Dureau de la Malle, membre de l'Institut, dont l'érudition faisait alors foi pour tout ce qui concernait l'histoire de l'Afrique, affirmait la thèse contraire dans un mémoire adressé en 1833 au maréchal Souk, et la formulait dans cette simple phrase : « Tout le sol a un maître en Afrique. »

Après trente ans de discussions, pendant lesquels on avait flotté de système en système, passant, suivant l'influence du moment, des théories du refoulement à l'interdiction de toute transaction immobilière et du cantonnement des Arabes à l'exclusion des colons' la question fut tranchée dans le sens le plus large, le plus favorable aux revendications des détenteurs indigènes du sol par le sénatus-consulte de 1863, dont l'article 1er était ainsi conçu :

« Les tribus de l'Algérie sont déclarées propriétaires des territoires dont elles ont la jouissance permanente et traditionnelle à quelque titre que ce soit. »

Concentrer la colonisation européenne autour des villes et livrer le reste du territoire aux Arabes, telle était la pensée qui avait prévalu dans l'esprit de nos gouvernants ; les imprudents ne devaient pas tarder à s'apercevoir que cette brutale séparation allait provoquer des désastres sanglants. En 1867, la famine éclate, et alors que se passe-t-il ? Partout où l'élément européen existe, là où il a pu se rapprocher des indigènes, le fléau ne fait que peu de ravages ; là au contraire où il n'y a pas de colonisation européenne, où l'Arabe est livré à lui-même, les victimes sont innombrables ; plus de 500.000 indigènes ont disparu dans cette fatale année de 1867. Tel était le résultat auquel devait nous conduire l'ingénieux procédé que l'Empire voulait établir dans la colonie et qui devait être aussi funeste aux Européens qu'aux Arabes. Comme l'a fait remarquer M. Étienne, député d'Oran, cette mesure désastreuse, provoquée par ceux qui redoutaient la colonisation européenne afin de maintenir leur domination sur les populations arabes, est le coup le plus terrible qui ait jamais été porté à l'essor et au développement de l'Algérie. De ce jour datent nos difficultés pour faire de la colonie une terre véritablement française, pour contrebalancer, par des forces nationales, cet élément difficilement assimilable : l'élément indigène. Ce néfaste sénatus-consulte de 1863, qui interdisait de vendre les terres arabes (terres collectives) et qui, par conséquent, maintenait dans l'isolement les populations indigènes alors qu'il aurait fallu les mélanger avec les Français et les Européens, a fait que pendant dix ans la colonisation a été arrêtée.

Lorsqu'il avait été question de procéder à la délimitation des territoires des tribus, en exécution de ce sénatus-consulte, des revendications nombreuses s'étaient produites au sujet de parcelles réputées domaniales, et, comme Napoléon III avait proclamé que l'Algérie était un royaume arabe, les officiers chargés des opérations se montrèrent si faciles à l'endroit des réclamations indigènes que, vers la fin de l'Empire, il ne restait presque rien de la réserve domaniale. Pourtant, il n'avait été créé depuis 1863 qu'un nombre insignifiant de centres européens. L'insurrection kabylo-arabe de 1871 ayant été très sévèrement réprimée, le domaine de l’État put être reconstitué : 43 millions en espèces tombèrent dans nos caisses et 446.406 hectares de terres furent séquestrés. En 1873, une loi remédia en partie au sénatus-consulte de 1863, en traçant d'une manière précise les conditions auxquelles pourrait se constituer la propriété individuelle.

Au 31 décembre 1884, la superficie des terres livrées à la colonisation était de 501.793 hectares, dont 358.445 affectés aux concessions individuelles, le reste appartenant avec une affectation propre aux communes, aux départements et au domaine public. La valeur de ces terres est de 44.776.073 fr., et une somme de 21.146.029 fr. a été dépensée pour travaux d'installation des colons. De 1871 à la fin de 1885, on a créé 203 centres de colonisation, agrandi 73 anciens et constitué 158 lots de fermes ; sur ces 203 centres, 10.741 familles françaises ont été installées. Comme chaque famille comprend en moyenne quatre personnes, on peut évaluer à 40.000 le nombre des Français qui se sont établis dans ces centres, sans comprendre les commerçants indispensables à l'existence de tout groupement.

Archéologie. Le champ des explorations archéologiques est en Algérie d'une fécondité merveilleuse ; quelle que soit la pro­spérité actuelle de cette France africaine, les villes y sont très clairsemées si nous les com­parons à celles qui existaient dans l'anti­quité, et, par une bonne fortune à peu près sans exemple, les ruines de ces villes an-igues n'ont à peu près souffert d'autres in­jures que celles du. temps, grâce au genre de vie des indigènes ne connaissant que la tente ou le gourbi, et par suite, n'ayant nul besoin d'utiliser ces matériaux antiques pour la constructions de leurs demeures. Un écri­vain allemand, le docteur Wagner, qui avait accompagné l'armée française dans son ex­pédition contre Constantine, nous a rapporté la stupéfaction de nos troupes à l'aspect des ruines de l'ancienne Kalama (aujourd'hui Guelma), s'élevantgrandiose:3 au milieu de la solitude et admirablement dorées par le so­leil de quatorze siècles : « Ces ruines jetées en plein désert ranimèrent l'esprit de l'ar­mée, qu'elles avertissaient solennellement qu'avant la France il y avait eu un peuple qui avait conquis et civilisé cette terre, et qu'il avait point un coin d'Afrique, si sté­rile qu'il parût être, qui n'eût quelque monument imprévu du haut duquel Rome con­templait la France. »

Ce ne sont pas seulement les souvenirs de la domination romaine qui ont subsisté en Algérie ; nous allons passer rapidement en revue les différentes périodes du passé de notre grande possession africaine et noter au passage les divers monuments que l'on rencontre encore sur le sol algérien.

La première période est la période préhistorique: dolmens, cromlechs, menhirs, allées couvertes, tumulus, tous les types connus en Europe sous le nom de monuments celtiques ou mégalithiques se retrouvent dans les trois provinces algériennes, principalement dans la province de Constantine. « On ne s'imagi­nerait jamais, écrivait M. Alexandre Ber­trand, en passant des planches du « Recueil de la Société archéologique de Constantine » aux planches de Sjoborg, par exemple, que l'on a sous les yeux des monuments, ici, d'un pays du nord de l'Europe, là, d'une contrée africaine. Les planches se ressemblent à ce point que l'on pourrait, sans. causer d'étonnement à l'observateur, substituer les unes aux autres. » Aussi quand, aux premiers jours de la conquête française, on trouva, près d'Alger, à 2 kilom. au S.-O. de Guyot-ville, au ravin des Beni-Messous, une trentaine de dolmens, on émit aussitôt l'hypothèse que ces dolmens marquaient la sépul­ture de soldats d'une légion celte. Quand on fouilla ces monuments, dans l'un on découvrit les corps de guerriers enterrés avec leurs armes, usage consacré parmi les guerriers gaulois ; dans presque tous on observa que le mode d'ensevelissement des cadavres était le même, le corps replié de manière à ramener les genoux vers le menton et les bras croisés sur la poitrine. Tons ces monuments étaient restés intacts, grâce à la superstition des indigènes respectant toujours ce que la main des païens avait élevé. Les principaux de ces monuments mégali­thiques se rencontrent: près de Guyotville, comme nous l'avons déjà dit (on y a recueilli des hachettes, des couteaux et des dards de flèches en silex) ; près de Constantine, au Bou-Merzoug, ou dans un rayon de plus de trois lieues, tant sur la partie montagneuse que dans la plaine de cette région, sont accumulés les monuments préhistoriques, les plus divers ; à Roknia., h 16 kilom. N.-O. de Guelma où, sur la dernière croupe du djebel Debbar, on rencontre d'innombrables monuments mégalithiques, tantôt en plein air, sous forme de dolmens, tantôt creusés dans le roc et formant ce que les indigènes appel­lent du nom imagé de bagout (boutiques), chambres carrées de 1m., 50 à 2 mètres de côté ; signalons encore les ateliers de silex taillés extrêmement riches, découverts en 1871, en plein Sahara, près de l'oasis d'Ouargla et qu'on peut voir aujourd'hui au musée de Saint-Germain. Pour être si nombreux, les monuments funéraires déjà découverts et explorés ne peuvent avoir été élevés que par un peuple nombreux et puissant, peuple inconnu jusqu'ici et assurément d'une anti­quité reculée.

Période phénicienne et période numidique. Les peuples de l'Afrique septentrionale re­connurent la puissance des Phéniciens et des Carthaginois, peut-être soumis par la force, plus probablement séduits par les pro­fits qu'ils retiraient du commerce avec ces infatigables marchands et navigateurs. La ville actuelle de Cherchell fut la colonie phé­nicienne de Jol ; Dellys fut d'abord une colo­nie des Carthaginois ; et plus tard, pénétrant dans l'intérieur des terres, ceux-ci fondè­rent, entre autres colonies importantes, celle de Kirta, aujourd'hui Constantine. Pendant quatre cents ans environ Carthage fut toute-puissante et son influence se fit naturelle­ment sentir sur les populations numides : aussi retrouve-t-on sur les stèles numicliques que possèdent en si grand nombre nos mu­sées algériens le croissant, symbole cartha­ginois de la déesse Astarté ; ces stèles ne contiennent généralement que des inscrip­tions votives ou funéraires, et si l'on en trouve beaucoup dans la province de Con­strintine,voisine de Carthage, elles deviennent fort rares quand on s'avance vers l'O., et l'or n'en cite guère que deux ou trois spécimens découverts en Kabylie. C'est à la période numidique, au temps des rois indigènes de Numidie et de Mauritanie, que l'on rapporte ces immenses tombeaux d'une époque long- temps douteuse, tels que le tombeau de -.la Chrétienne, dans la province d'Alger. Ce tombeau, nommé en arabe Khour-er-Roumia, est un édifice rond, haut de 3D mètres ; le sou­bassement est carré et mesure 63 métres sur chaque face. Des fouilles y ont été faites en 1855 par M. Derbrugger, et en 1866 par M. Mac-Carthy ; on a exploré un long couloir, des caveaux, des galeries ayant un développement total de 470 mètres et l'on suppose que dans le caveau le plus grand se trouvaient les restes de Juba II et de Cléopâtre Séléné. « Monumentum commune regiae gentis », écrivaient les auteurs anciens, en signalant l'existence de cet édifice sur la côte, entre Alger et Cherchell. Un autre tombeau, à peu près semblable, se trouve près de la route qui mène de Constantine à Biskra, près d'Aïn-Yacout (84 knout. de Constantine) ; il est connu sous le nom de Médr'asen. « Sa forme générale, dit le général Foy, est celle d'un cylindre très court, servant de base à une série de vingt-quatre cylindres qui décroissent successivement et donnent ainsi sur le cylindre de base une suite de vingt-quatre gradins circulaires. La plate-forme supérieure a 11m,40 de diamètre ; le gradin inférieur en a 58 : évidé inférieurement en arc de cercle, il forme une corniche que supportent soixante colonnes engagées de 21m,30 de haut. » Les dernières fouilles, en 1873, dirigées par le colonel Brunon, ont fait découvrir une galerie et une chambre sépulcrale où des traces d’incendie soi t encore vieilli «s ; <m n’y a trouvé que des débris "le poteries et des morceaux de enivre. Le docteur Leclerc voit dans le Me. dr’aseii un tombeau élevé par Micipsa à Massinissa, son père ; Léon Renier dit de son côté : « J’ai xisité le Médr’asen, monument funéraire des rois de Numidie. • On trouve enfin dans la province d’Oran, à 15 kilom, de Tiaret, près des sources de la Mina, trois édifices en forme de prismes quadrangulaires, hauts de 34m,50 ; les Djeadar, tel es", le nom que leur donnent les indigènes.

Période romaine. Ici les ruines abondent ; nous nous bornerons à les signaler dans chacune des trois provinces. La ville d’Alger est bâtie sur l’emplacement de l’antique Icosiura, dont parle Pline ; on en retrouva les ruines, aujourd’hui disparues, lors des fouilles entreprises pour les fondations de l’Alger français.

Province d’Alger. À Sidi-Ferruch, ruines de l’église de Saint-Janvier, mosaïque, baptistère, abside ; près du cap Matifou, ruines fort étendues de l’antique Rusgunia, débris d’édifices, tronçons de colonnes épars, mosaïques, inscriptions, médailles ; près de Mou-ZÊÏiiville, des fouilles faites par hasard ont fait découvrir un bas-relief, une statue de Bacchus adolescent, une inscription tumufaire ; a 12 kilom. de Bou-Medfa, à Hammam-Rir’a, l’antique ville d’Aquae Catidœ, colonnes, tombeaux, vastes monolithes, inscriptions tumulaires, lampes, etc., réunis tout récemment dans un petit musée par M. Arlès-Dufour ; à Affreville, jadis Zuccabar ou Colonia Auguste, nombreuses sculptures, jarras, inscriptions, médailles. Orléansville fut jadis Castellum Tingitii : on y a mis à jour une mosaïque de 23 mètres sur 15, formant le sol de la basilique de Saint-Reparatus.des inscriptions sur Driques, des tablettes de r-iarbre, etc. A Tenès, l’ancienne Cartenna Colonia, remparts encore debout, mosaïques, fûts de colonnes, citernes, silos, tombeaux, inscriptions et médailles ; aux environs, on peut observer des ruines assez considérables dans trente-huit localités, principalement à Yer’roum. À Miliana, la Malliana des Romains, bas-reliefs, fragments de statues, chapiteaux, tombeaux. Au port de Tipasa, ruines d’une église, d’un théâtre, d’un quai, de citernes voûtées, d’un prétoire, d’un gymnase et de tombeaux. Cherchell, c’est la ■ splendidissiraa Colonia Ceesariensis», dont l’enceinte comprenait une superficie de 369 hectares ; on y a découvert les murailles et des corniches du < palais des rois •, un théâtre, des citernes qui servent encore et dont une seule contient 2 millions de litres d’eau, un cirque, des thermes et de nombreuses statues, une Vénus, un Neptune, un hermaphrodite, un faune, des bustes, des têtes aujourd’hui au musée d’Alger ; près du port, ruines de constructions gigantesques, bassins, mosaïques ; dans le port même on a retrouvé une statue phénicienne et une barque romaine longue de il mètres, large de 4m,50, chargée de poteries. Médéa se nommait, à l’époque romaine, Médise ou ad Médias : elle se trouvait à égale distance de Tirinadi (aujourd’hui Berouaguïa) et de Sufasar (aujourd’hui Amoura) ; on y a trouvé des ruines d’un aqueduc, des substructions romaines et d’antiques médailles. À Saneg, l’ancien Usinaza, pierres taillées, colonnes, rainures de portes, meules, poteries, couvercle de sarcophage. Aumale fut, sous Auguste, une ville municipale du nom d’Auzia ; on y voit encore des fûts de colonnes, des tombeaux, des briques, des bijoux, une statue en bronze doré et des médailles en bronze de Gordien, sans compter plus de 100 inscriptions tumulaires. Enfin, Dellys était, sous Claude, une puissante cité du nom de Rusuccurus ; il en reste une partie des remparts, des citernes, des mosaïques, un beau sarcophage, des médailles et des amphores.

Province d’Oran. Les principales ruines qu’on y rencontre sont à Aïn-Temouchent, l’ancien Tiintci des Romains ; on voit encore l’enceinte assez irrégulière de la ville antique ; des fouilles récentes ont mis.au jour des bronzes, un Trajan en argent, des inscriptions tumulaires et votives, des bas-reliefs. Tiemcen, sous les Romains, n’étuit qu’un camp et se nommait Poniaria. Au vieil Arzeu sont les ruines de la colonie romaine de Portus Magnus. À Mostaganem, on ne trouve plus trace du port romain de Murustaga, englouti par la Méditerranée.

Prouince de Constaniine. Le chef-lieu de la province fut, au temps des Romains, la ville la plus riche et !a plus forte de toute la Numidie : Cirta Sittianorum et Cirta Julia ; on a réuni les antiquités romaines dans un musée incessamment accru par les fouilles : le musée de Constantine renferme 2.140 médailles, des amphores, des statuettes et figulines en terre cuite, en pierre, marbre et bronze, des autels en marbre, des bas-reliefs, etc. ; dans un second musée, au square Valée, on voit des amphores, des tuiles, des débris d’architecture et de sculpture, et de nombreux monuments épigraphiques. Près de la ville, en 1855, a été découvert le tombeau de l’orfèvre Prœcilius • mort a 100 ans après avoir mené une existence joyeuse avec ses amis, agréable et sainte avec sa femme ». A 28 kilom. de Constantine, près de Khreneg, est le monument des Lollius, admirablement conservé. ; il a la forme d’un cylindre et cou ALGE

ronne le sommet d’un massif ; par une coïncidence bizarre, ses proportions rappellent notre système métrique • ta larpeur des gradins est ju :-te de 1 mètre, leur hauteur de om,8 ; la hauteur totale du monument est de 5m,5o, le diamètre est de 10 mètres. Ce monument fut élevé, dit l’inscription, par Quintus Lollius Urbicus, personnage important du temps d’Hadrien. Dans la région du Chettaba, une série de ruines indique l’emplacement de bourgs jadis importants, ayant des conseils municipaux, des temples, des forteresses et des arcs de triomphe, et conduit a une grotte taillée par la nature en ogive, et où se lisent encore 23 inscriptions latines. Philippeville, c’est i’ancienne ville romaine de Rusicade ; le plus curieux monument antique qui y soit conservé, c’est le théâtre, aujourd’hui converti en musée : on y a recueilli des statues, un cadran en marbre blanc, des médailles, armes, bijoux, poteries, etc. ; malheureusement la plupart des matériaux antiques ont servi h la construction des remparts. À Bougie sont les ruines de l’ancien municipe romain de Choba ; l’antique enceinte, flanquée de demi-tourelles, encadre une ville qui pouvait avoir une superficie de 16 hectares ; on y voit des colonnes, des chapiteaux encore debout et les ruines d’un

édifice qui sert aujourd’hui d’étable. Sitifis Colonia ou Colonia Nerviana, Augusta Martialis, c’est Sétif : dans le musée, on a réuni 150 monuments, inscriptions pour la plupart. Des ruines remarquables attestent 1 antique splendeur de Cuiculum, aujourd’hui Djemila ; basilique chrétienne, temple quadrilatère à six colonnes, théâtre, forum avec temple de la Victoire, bas-reliefs et surtout magnifique arc de triomphe, presque intact, élevé à l’empereur Caracalla, & son père Septime Sévère, à sa mère Julia Domna. ATiklat, ruines considérables de l’ancien Tubusuctus, enceinte, pans de murs, arcades, cippes, colonnes milliaîres, souterrains et citernes immenses. Dans tout le cercle de Sétif, on ne voit que ruines romaines, restes de villages, châteaux forts, villes fortes ou villes ouvertes d’une étendue parfois supérieure à 50 hectares, à Bir-Haddada, par exemple, et à Aïn-Sultan où les ruines s’étendent sur 150 hectares. Zraïa, c’est l’ancienne Colonia Zaraï : restes d’église et de basilique chrétienne à trois nefs ; une inscription y donne les droits de douane payés en l’an 202, sous Septime Sévère : les droits sont les mêmes pour un cheval et pour un esclave, un denier et demi. Les ruines de Zana, jadis Diana Veteranorum, couvrent 4 kilom. carrés : deux arcs de triomphe, porte monumentale d’un temple de Diane, forteresse, thermes, aqueducs, basilique chrétienne à trois nefs dont l’autel est encore debout, 50 inscriptions de l’an 160 a l’an 287. A Aïn-Kebira (27 kilom. de Sétif), ruines de Satan, assises et colonnes d’un ancien temple, marches d’un escalier monumental, statuettes, pavages de voies, boulets en terre cuite. Tobna, l’ancienne Tubuna des Romains, a un castrum qui date de Justinien. Les ruines de Lambessa sont célèbres ; c’était jadis le quartier général de la légion romaine, une ville de 60.000 habitants : 1 antique Praetorium, aujourd’hui musée d’antiquités, quatre portes ou arcs de triomphe (quarante étaient encore debout ausiècle der. nier), un aqueduc, un temple d’Esculape, un cirque, 1.4001nscriptions, le tombeau de Quintus Flavius Maximus, tous ces monuments, bien que ruinés, disent encore l’importance de la ville antique. Des fouilles récentes ont exhumé une partie des thermes et le grenier d’abondance ecfoui sous 15 mètres de décombres. On trouve des ruines romaines jusqu’à 26 kilom.au N. de Biskra, à El-Outaïa, ruines d’amphithéâtre réédifié sousAntonia et Commode, restes d’aqueduc ; ainsi qu’au S. de Biskra, aux oasis de Melili et d’Ourlal. Les deux dernières cités algériennes dont nous signalerons les ruines sont Tèbessa, l’ancien Theveste, et Hippone, l’Ubba des Carthaginois et l’Hippo-Regius des Romains. A Tébessa, un admirable arc de triomphe, dédié à Septime-Sévère, à sa femme Julia Domna, à Caracalla son fils, un temple de Minerve, aujourd’hui église catholique, cirque, aqueduc, camps, nécropoles, puits, tours, magnifique mosaïque découverte en octobre 1886, etc. A Hippone, les Vandales n’ont a peu près rien laissé subsister de cette ville magnifique, jadis la première cité d’Afrique ; sur le bord de la Seibouse, on peut voir encore les restes du port, fragments de maçonnerie, éperons déchaussés.

Période arabe. Le plus ancien monument de l’islamisme est toujours debout : c’est le tombeau élevé à Sidi-Okba, dans l’oasis qui porte son nom, à 20 kilom. au S. de Biskra ; on y lit l’inscription suivante datant du premier siècle de l’hégire : « Ceci est le tombeau d’Okba, fils de Nafé ; que Dieu le reçoive dans sa miséricorde ». Mais c’est à Tiemcen qu’il faut admirer l’art arabe dans les mosquées encore debout, et principalement dans la grande mosquée, bjama-Kebil ; à Bougie, on voit encore les restes d’anciennes fortifications et d’une grande porte ogivale, ouvrant sur le port, que fréquentaient au moyen âge les vaisseaux de

Marseille, Gènes, Pise et Barcelone.

Période turgue. Nous n’avons à signaler que quelques épigraphes commémoratives sur des forteresses, des fontaines, des arsenaux, et quelques maisons particulières

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ou quelques palais à Alger, Constantine et Oran ; mais c’était l’œuvre d’esclaves chrétiens ou d’ouvriers kabyles et la plupart des matériaux, colonnes, fontaines, bassins, faïences et ardoises, provenaient d’Italie ou d’autres États européens.

Voici la liste des quelques vil !e3 importantes où est installé un musée archéologique : Alger, dans la rue de l’Intendance, Oran, Tiemcen, Constantine, Sétif, Lambessa.

Pour l’archéologie de l’Algérie on consultera avec fruit les ouvrages suivants : Lamarre, Archéologie de l’Algérie (Paris, 1850) ; Léon Renier, Inscriptions romaines de l’Algérie (Paris, 1857) ; Mac-Carthy, l’Algérie analysée, recueil de géographie, d’archéologie et de numismatique algériennes (Alger) ; Féraud, Algérie, histoire et archénlogie (Alger, 1878) ; Boissière, l’Algérie romaine "(Parts, 1883) ; Piesse, Itinéraire de l’Algérie et de ta Tunisie (Paris, 1885). Les revues archéologiques qui paraissent en Algérie sont au nombre de quatre : d’abord les « Mémoires de la Société archéologique de Constantine», qui paraissent en un volume annuel depuis 1851 (en 1881 a paru une table des vingt premiers volumes) ; puis trois revues fondées en 1882 : à Oran, le « Bulletin trimestriel des antiquités africaines », publié sous la direction de MM. Julien Poinssot et Louis Dumaeght (en 1836 ce Bulletin a changé de titre : il se nomme aujourd’hui «L’Afrique française») ; à Alger le « Bulletin de correspondance africaine » et à Bône, le

  • Bulletin de l’Académie d’Hippone ».

— Bibliogr. Carette, Pellissier, Rémusat, etc., Exploration scientifique de l’Algérie (histoire, géographie, médecine, physique, géologie, botanique, zoologie, histoire naturelle, archéologie, beaux-arts ; Paris, 1844-1854, 29 vol. in-S° et in-4o) ; colonel de Neveu, Les Khouan, ordre religieux chez tes musulmans de l’Algérie (Paris, 1846, in-8o) ; maréchal Bugeaud, Histoire de l’Algérie (Paris, 1850 3 vol. in-8o) ; H.-E.-Vietor Martin, Histoire statistique de la colonisation algérienne (Paris, 1851, in-8o) ; Ibn Khaldoun, Histoire des Berbères, trad. de Slane (Paris, 1852-1856, 2 vol. in-8o) ; Jules Duval, L’Algérie, tableau historique descriptif et statistique de la colonie (Paris, 1854-1859) ; Léon Renier, Inscriptions romaines de l’Algérie (Paris, 1855-1880, in-4o) ; Auguste Cherbonneau, Constantine et ses antiquités (Paris, 1857, in-8o) ; général de Colomb, Exploration des ksour du Sahara de la province d’Oran (Paris, 1858) ; général Daumas, Mœurs et coutumes de l’Algérie, Tell, Kabylie et Sahara (Paris, 1853, in-12) ; E. Caney, tiécits de Kabylie, campagne de 1857 (Paris, 1858, in-12) ; Brosselard, Les Khouan (Alger, 1859, in-8o) ; Louis de Baudicour, Histoire de la colonisation de l’Algérie (Paris, 1860, 3 vol. in-8û) ; Ach. Fillias, Histoire de la conquête et de la colonisation de l’Algérie, 1830-1860 (Paris, 1860, in-8<>) ; Bellemare, Abd-el-Kader, sa vie politique et militaire (Paris, 1863, in-18) ; Vivien de Saint-Martin, Le nord de l’Afrique dans l’antiquité grecque et romaine (Paris, 1862, in-8o) ; Lady Herbert, L’Algérie contemporaineillustrée (Paris, 1862, in-8o) ; Henri Aucapitaine, Études sur le passé et l’avenir des Kabyles (Paris, 1864, in-12) ; Prince Bibesco, Les Kabyles du Djurdjura («Revue des Deux-Mondes», 1865-1866) ; Daumas, La vie arabe et ta société musulmane (Paris, 1869, in-8<>) ; O.Vacherol, L’AIgérie sous l’empire (« Revue des Deux-Mondes », léseptembre 1869) ; D. Kaltbrunner, Recherches sur l’origine des Kabyles (Genève, 1871, in-8o) ; Berbrugger, La Régence d’Alger sous le consulat et l’empire (■ Revue africaine», 1871) ; capitaine Villot, Mœurs, coutumes, institutions des indigènes de l’Algérie (Constantine, 1871, in-8») ; Hanoteau et Le.’ tourneux, La Kabylie et les coutumes Kabyles (Paris, 1872-1876, 3 vol.in-8°) ; H.Duveyrier, Histoire des explorations au sud et au sudouest de Géryville (■ Bulletin de la Société de géographie», septembre 1872) ; E. Beauvois, En colonne dans la grande Kabylie : Souvenir de l’insurrection de 1871 (Paris, 1871, in-18) ; Ach. Killias, Géographie physique et politique de l’Algérie, description, divisions naturelles et culturales (Paris, 1873) ; Radau, Situation des Alsaciens-Lorrains en A/^énX’Revuedes Deux-Mondes», 15 avril 1873) ; E. Renan, La société berbère en Algérie{’ Revuedes Deux-Mondes», 1er septembre 1873) ; L.-L. Lande, Les AlsaciensLorrains en Algérie (« Revue des Deux-Mondes», ter septembre 1875) ; Napoléon Ney, Les dernières explorations en Algérie (« Revue des Deux-Mondes», 1er avril 1875) ; Ch. Roussel, Condition et naturalisation des étrangers en Algérie («Revue des Deux-Mondes», 1« juin 1875) ; H.Verne, L’Algérie («Correspondant», 1873-1876) ; P. Soleiliet, L’Afrique occidentale, Algérie, AJzab, Tidikelt (Paris, 1877, in-S) ; O. Niel, Géographie de l’Algérie (Paris, 1878,2 vol. in-8o) ; J. Dugas, La Kabylie et le peuple kabyle (Paris et Lyon, 1878, in-12) ; Largeau, Le pays de Mirha-Ouargla (Paris, 1879, in-18) ; Camille Rousset, La conquête d’Alger (Paris, &l$, in-18) ; Accardo, Répertoire alphabétique des tribus et douars de l’Algérie (Alger, 1879) ; Paul Bourde, A travers l’Algérie (Paris, 1879, in-18) ; Ooudreau, Le pays de Wurgla (« Revue géographique internationale», 1880) ; E. Mercier, Le cinquantenaire d’une colonie,

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l’Algérie en 1880 (Paris, 1880, in-8o) ; A. Picard, La caravane parlementaire en Algérie («Revue de géograuhie», décembre 1879) ; A. du Mazet, les Ouled-Sidi-Cheik (« Revue de géographie», juin 1881) ; Choisy. Le Sahara, souvenir d’une mission à Golèah (Paris, 1881, in-18) ; E. Fromentin, Une année dans le Sahel (Paris, 1858, in-18) ; H. Kournel, Les Berbers, étude sur la conquête de l’Afrique sur les Arabes (Paris, 1875, t vol. in-4») ; de Rivoyre, Les marchés libres de l’Algérie (« Société des études coloniales », 1881) ; Ardouin du Mazet, Études algériennes (Paris, 1882, in-8") ; H. d’Ideville, Correspondance du maréchal Bugeaud (Paris, 1882, 3 vol. in-8o) ; Wahl, L’Algérie (Paris, 18S2, in-8o) ; Aug. Cherbonneau, Légende temtoriale de l’Algérie (« Revue de géographie », 1882,1883,1884) ; Ch. Farine, Kabyles etKroumirs (Paris, 1881, in-8») ; J.-J. Clamageran, L’Algérie, impression» de voyage (Paris, 1883, in-S») ; A. Lacour, La marine de la Régence d’Alger avant la conquête («Revue maritime et coloniale », mars 1883) ; P. Gaffarel, l’Algérie, histoire, conquête, colonisation, Paris, 1883, in-8o) ; Waille-Marial, La France d’Afrique (Paris, 1884, gr. in-18) ; Édouard Perret, Récits algériens, histoire de la conquête et de ta colonisation (1886, 2 vol. in-SO),

Algérie (mœurs, coutdmbs et institutions dbs indigènes db l’), par le capitaine Villot (1875, 1 vol.). Le sujet du livre, c’est la vie arabe tout entière ; éducation, mariage, condition des femmes et des vieillards, religion, superstitions, commerce, etc. Tout est étudié dans les moindres détails. M. Villot n’est ni jurisconsulte, ni philosophe, ni homme de lettres, mais il est observateur et occupe en outre le poste de chef de bureau arabe : on devine par là même les défauts et les qualités de son volume. Les diverses parties de l’ouvrage se relient mal entre elles, l’auteur, assez inexpérimenté, se contredit parfois, et il ne sait pas dégager les conséquences scientifiques ou sociales de ce qu’il rapporte ; mais le chef de bureau arabe a beaucoup vu, il connaît plus d’une anecdote intéressante, le capitaine a le trait Det et frappant. A le lire, on s’instruit sans fatigue, car il raconte agréablement, dans Uû style plein de naturel et de laisser aller.

Algérie (1/), Histoire, conquête et colonisation, par P. Gaffarel (1882). Cet ouvrage, résumé de beaucoup d’autres, avec addition de quelques vues personnelles, est une étude détaillée et assez judicieuse sur notre grande colonie. La moitié du volume est consa

! crée à l’histoire. Après avoir, dans l’intro
! duction, rappelé à grands traits le passé du

pays depuis l’antiquité jusqu’à. 1830, revue que complète un exposé des relations de la France avec les États Barbaresques, l’auteur

1 aborde les causes de la guerre d’Alger et entre dans le récit de nos premiers faits d’armes.

M. Gaffarel divise en trois périodes l’histoire de la conquête. La première comprend la lutte contre les Turcs, depuis le bombardement d’Alger et la chute du dey Hussein jusqu’à la prise de Constantine : les faits d’armes y sont brillants et décisifs, mais cette partie de la conquête était relativement facile. Dans la seconde période commence, avec la résistance arabe, l’ère des difficultés

’ graves. Abd-el-Kader entre en scène : c’est une suite de combats acharnés contre un ennemi qui, toujours vaincu, reparaît toujours avec de nouvelles forces, luttetjuise prolonge jusqu’à la capture du vaillant chef. La troi , sième période est celle de la résistance nationale ; la France n’a plus affaire aux Turcs ni aux Arabes, mais a l’élément indigène, les Kabyles, les Sahariens, sans cesse vaincus aussi, mais jamais définitivement soumis : à cette période appartiennent l’expédition de Zaatcha, le siège de Lnghouat, l’occupation. d’Ouargla et d El-Goleah ; l’insurrection de 1871 sy rattache également. Les récits de M. Gaffarel sont d’une grande clarté ; ils

’ abondent eu détails intéressants, non seulement sur les faits de guerre, mais sur les mœurs des indigènes, sur le caractère d’atrocité que ne tardèrent pas à donner à la lutte la fanatisme de ceux-ci et l’exaspération de nos soldats. Dans la seconde partie du volume, l’auteur étudie successivement l’Algérie au point de vue géographique, économique et politique. Il passe en revue la configuration du sol, le climat, les productions naturelles, l’agriculture, l’industrie, le commerce, l’organisation administrative, les cultes, la justice, l’instruction publique, les impôts, les finances. Un chapitre important est consacré à la colonisation ; enfin I ouvrage se termina par une description générale de l’Algérie et de ses principales villes, du Tell, de la Kabylie et du Sahara algérien.

Algérie (l’), Impressions de voyage, par J.-J. Clamageran (1883, 1 Vol. in-18). L’auteur, après un premier voyage en Algérie, avait publié en 1876 une étude dans laquelle il critiquait les procédés de colon sation employés jusque-là, et indiquait les réformes à accomplir. C’est cette brochure qu’il a rééditée en 1SS3, en lui donnant un développement plus considérable. Nous y trouvons un tableau comparatif de l’état de l’Algérie à huit années de distance, et nous y voyons réalisées en partie les prédictions du sénateur ancien ministre. Son étude de notre belle colonie, au double point da vue politique et. économique, est rendue plus attrayante par des récits anecdotiqties et des descriptions pittoresques de la France africaine.

Algérie (l/) et les Questions algériennes, par Ernest Mercier (1883, l vol.). L’auteur ava.it déjà fait paraître L’Algérie en 1880, qu’il définissait lui-même • Un ouvrage d’actualité, présentant les résultats obtenus et l’exposé impartial de la situation •. Ce premier livre, tableau Adèle et complet à. la vérité, avait le grave défaut de ne conclure sur aucune des questions posées par l’auteur. C’est cette lacune que M. Mercier a comblée dans son nouveau volume, en ne conservant du premier que l’historique de l’Algérie au moment de la conquête française. Il passe en revue les événements qui se sont accomplis depuis le mois de mars 1879, soumet à l’examen critique les différents systèmes de colonisation essayés jusqu’à ce jour, étudie l’administration de la justice, de l’instruction publique, etc. Ce livre emprunte une partie de sa valeur à la position même de son auteur, établi depuis très longtemps en Algérie comme interprète juré pour la langue arabe. Plusieurs pages sont consacrées aîaTunisie, que, à son avis, la France ne doit pas tarder à annexer ; il conclut sur ces mots : ■ Nous estimons que ce moment est proche et ne saurait être retardé sans danger. »

Algérie romaine (l’), par M. Gustave Boissiëre (Paris, 1883,2 vol. in-16). M. Boissière, recteur de l’Académie d’Alger, avait déjà traité ce sujet dans sa thèse de doctorat, qui fut couronnée par l’Académie française. En le reprenant, il lui a donné un développement considérable. Il compare tout d’abord l’Algérie de Salluste avec l’Algérie contemporaine, décrit la physionomie du pays, le caractère des indigènes, suit toutes les phases de la conquête depuis Zama juaqu à la réunion des deux Mauritanien en province romaine, explique minutieusement les principes de colonisation adoptés par les RomainSj les rouages de l’administration et les réformes introduites sous l’empire jusqu’à l’invasion des Barbares. De plus, il signale aux savants les épigraphes intéressantes et les monuments curieux dont on connaît encore mal le secret. M. Boissière est, en même temps qu’un érudit, un patriote militant, et il double l’intérêt de son livre par d’ingénieux rapprochements entra l’Algérie du passé et celle d’aujourd’hui. Il pense avec raison que la France, dont la tâche en ce pays est si importante, peut puiser d’utiles leçons dans les principes qui dirigèrent la politique de Rome à l’égard de ses provinces. « Si Rome, dit-il, respectait l’autonomie de ses provinces et l’indépendance des hauts fonctionnaires qu’elle y envoyait, si elle pratiqua toujours à leur égard ces maximes larges et libérales et garda ces allures décentralisatrices, chaque gouverneur à son tour, dans les limites parfois si étendues de la contrée qu’il administrait, dans les vastes frontières de son commandement, observait les mêmes règles de conduite, la même méthode politique, et faisait en quelque sorte bénéficier sa province et ses subordonnés de ce même libéralisme systématique, de cette même autonomie administrative, de ce même respect, en un mot, des traditions et des franchises locales». Ce respect des mœurs et des institutions, les Anglais le pratiquent de nos jours sur tous les points du globle, et c’est peut-être à ce respect qu’ils doivent de pouvoir conserver sans trop de peine leur immense empire colonial.