Grand dictionnaire universel du XIXe siècle/BARTAS (Guillaume DE SALLUSTE, sieur DU), poète et gentilhomme protestant

La bibliothèque libre.
Administration du grand dictionnaire universel (2, part. 1p. 273-274).

BARTAS (Guillaume de Salluste, sieur du), poète et gentilhomme protestant, né à Montfort, près d’Auch, vers 1544, mort en 1590. Il sortait à peine de l’enfance que la passion de la poésie s’emparait de lui. Son début fut la Muse chrétienne, une réaction très-accentuée contre l’école païenne qui dominait alors, réaction double, car elle concernait non-seulement le fond, mais aussi la forme. « Du Bartas, dit M. Sainte-Beuve, renfle l’accent et proteste contre les mignardises. C’est à la Bible qu’il se prend, c’est aux sujets sacrés qu’il demande une moralité élevée et salutaire… Par malheur, les vers ne répondent pas tout à fait à l’intention… On y sent je ne sais quoi d’incorrect et d’arriéré en rudesse, si on les compare aux jolis couplets de la même date qui se modulaient à la cour des Valois. Du Bartas gagnera beaucoup avec les années, mais, en obtenant le mérite, il n’obtiendra jamais la grâce… » M. Philarète Chasles a peu de goût pour lui ; pourtant, il reconnaît que « sa roideur et son emphase le garantissent de la trivialité et le rapprochent quelquefois de la concision et de la vigueur… Il dit toujours quelque chose, bien ou mal, ajoute-t-il, et méprise les mots parasites. » Du Bartas, qui, dans un sonnet, en 1574, se faisait gloire de n’être ni de robe ni d’épée, et de vivre d’une vie oisive dans son manoir, fut obligé de prendre part aux guerres de religion. Il en gémit dans la préface de la Semaine ou Création du monde, qui eut un succès d’enthousiasme. Les psaumes de Marot n’étaient qu’une maigre pitance pour les protestants. Ils se jetèrent avec avidité sur cette poésie ample, éloquente, saturée de sentiment biblique, où l’œuvre divine est parfois dignement célébrée. Gœthe a pris feu à ce poème et a dit de Du Bartas : « Il y étale successivement les merveilles de la nature : il décrit tous les êtres et tous les objets de l’univers, à mesure qu’ils sortent des mains de leur céleste auteur. Nous sommes frappés (il parle de lui et de ses compatriotes) de la grandeur et de la variété des images que ses vers font passer sous nos yeux ; nous rendons justice à la force et à la vivacité de ses peintures, à l’étendue de ses connaissances en physique, en histoire naturelle… Notre opinion est que les Français sont injustes de méconnaître son mérite, et qu’à l’exemple de cet électeur de Mayence, qui fit graver autour de ses armes sept dessins représentant les œuvres de Dieu pendant les sept jours de la création, les poètes français devraient aussi rendre des hommages à leur ancien et illustre prédécesseur, attacher à leur cou son portrait et graver le chiffre de son nom dans leurs armes. » Mais Gœthe ne s’illusionne pas ; il ajoute tristement, après avoir cité une pièce dont nous allons donner une strophe : « Je suis convaincu que les lecteurs français persisteront dans leur dédain pour ces poésies si chères à leurs ancêtres, tant le goût est local et instantané ; tant il est vrai que ce qu’on admire en deçà du Rhin, souvent on le méprise au delà, et que les chefs-d’œuvre d’un siècle sont la rapsodie d’un autre ! » Le fragment dont il s’agit est celui dans lequel Dieu jette un regard sur son œuvre accomplie ; le poète décrit tout ce qui passe devant lui, entre autres choses :

Ici la pastourelle, à travers une plaine,
À l’ombre, d’un pas lent, son gras troupeau ramène ;
Cheminant, elle file, et, à voir sa façon,
On diroit qu’elle entonne une douce chanson.

Gœthe a raison de trouver ces vers remarquables ; mais il surfait singulièrement la valeur de Du Bartas. Il n’a, du reste, mis en relief que ce qui en valait la peine. Il s’est bien gardé de citer des vers comme ceux-ci, ou il est dit de l’Éternel :

Il œillade tantôt les champs passementés
Du cours entortillé des fleuves argentés…
Or’son nez a longs traits odore une grand’plaine.
Où commence à fleurir l’encens, la marjolaine…
Son oreille or’ se paît de la mignarde noise
Que le peuple volant par les forêts dégoise…
Et bref l’oreille, l’œil, le nez du Tout-Puissant,
En son œuvre n’oit rien, rien ne voit, rien ne sent,
Qui ne prêche son los…..

Voilà qui justifie presque Du Perron, qui a porté un jugement très-sévère sur Du Bartas, qu’il traite de fort méchant poète. Des contemporains, admirateurs naïfs, ont compliqué sa biographie d’une légende. Un essaim d’abeilles serait venu s’établir dans un trou de la muraille du château de Du Bartas et ne l’aurait jamais quitté, y produisant du miel tous les ans. Ces abeilles sont d’une invention malheureuse. C’est plutôt le logis de Vauquelin de la Fresnaie ou de Passerat qu’elles eussent choisi. Colletet fils a joint la note suivante à la vie de Du Bartas par Guillaume Colletet : « Jean Beaudouin, dont le nom a été si connu dans l’empire des lettres, et duquel nous avons de si fidèles traductions, m’a dit autrefois que Ronsard, qui était fort adroit à jouer à la paume, et qui ne passait guère de semaine sans gagner partie aux plus grands de la cour, étant un jour au jeu de l’Aigle dans notre faubourg Saint-Marcel, quelqu’un apporta la Semaine de Du Bartas, et qu’oyant dire que c’était un livre nouveau, il fut curieux, bien qu’engagé dans un jeu d’importance, de le voir et de l’ouvrir, et qu’aussitôt qu’il eut lu les vingt ou trente premiers vers, ravi de ce début si noble et si pompeux, il laissa tomber sa raquette, et, oubliant sa partie, il s’écria : « Oh ! que n’ai-je fait ce poème ! Il est temps que Ronsard descende du Parnasse et cède sa place à Du Bartas, que le ciel a fait naître un si grand poëte. » Guillaume Colletet, mon père, m’a souvent assuré de la même chose ; cependant, je m’étonne qu’il ait omis cette particularité… » Ce qu’il y a de vrai, c’est que cette anecdote courut et que Ronsard protesta, en ces termes superbes, contre les paroles qu’on lui avait prêtées :

Ils ont menti, Dorat, ceux qui te veulent dire,
Que Ronsard, dont la muse a contenté les rois,
Soit moins que Du Bartas, et qu’il ait, par sa voix.
Rendu ce témoignage ennemi de sa lyre…
J’aurois menti moi-même en le faisant paroitre.

Des contempteurs prétendirent que Du Bartas avait dépouillé un auteur grec du moyen âge, Georges Pisidès, qui a décrit en vers hendécasyllabiques l’œuvre des six jours. Il voulut prouver qu’il pouvait aller plus loin et s’occupa de la Seconde Semaine, qui devait renfermer l’Éden et la suite ; mais il n’en publia que deux jours. Après sa mort, on imprima successivement quelques parties, qu’on trouva dans ses papiers. Le tout n’est qu’un chaos, dont on ne pouvait extraire deux vers présentables. Cette Seconde Semaine fut en butte à des critiques assez aigres. Du Bartas répondit par son Brief Advertissement, imprimé en décembre 1584, où il le prit de très-haut, s’autorisant de la Cité de Dieu de saint Augustin, qui lui aurait inspiré ces journées mystiques. Il gourmanda ensuite ceux qui s’étaient moqués de ces vers détachés de la description du cheval, et imitatifs du galop :

Le champ plat bat, abat, détrappe, grappe, attrape
"Le vent qui va devant.

« Mais, ô bon Dieu ! s’écrie-t-il, ne voient-ils pas que je les ai faits ainsi de propos délibéré, et que ce sont des hypotyposes ? » Gabriel Naudé raconte, à ce propos, que Du Bartas se claquemurait quelquefois chez lui et, se mettant à quatre pattes, soufflait, gambadait et caracolait, comme pour entrer dans la peau de son sujet.

Il ne fit pas seulement œuvre de poëte, Henri IV lui confia plusieurs missions diplomatiques, en Angleterre, en Écosse et en Danemark. Il fut très-bien accueilli à la cour de Jacques VI, qui témoigna de la haute estime qu’il avait de son talent, en traduisant en anglais un morceau de la Seconde Semaine, ce qui engagea Du Bartas à traduire, de son côté, en français le cantique de Jacques sur la bataille de Lépante. Il eut une fin de soldat. « Comme il commandait, dit De Thou, une cornette de cavalerie, sous les ordres du maréchal de Matignon, gouverneur de la province, les chaleurs, les fatigues de la guerre et quelques blessures mal fermées l’emportèrent au mois de juillet (1590), à la fleur de son âge, à quarante-six ans. » Il eut l’honneur d’être traduit en plusieurs langues, voire même en danois, et de donner au Tasse l’idée de son poème des Sept Journées.