Grand dictionnaire universel du XIXe siècle/BASINE ou BAZINE, femme de Childéric Ier et mère de Clovis

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Administration du grand dictionnaire universel (2, part. 1p. 311-312).

BASINE ou BAZINE, femme de Childéric Ier et mère de Clovis, vivait vers le milieu du Ve siècle. Elle était femme de Basin, roi de Thuringe, lorsque Childéric, chassé par ses sujets, vint à la cour de ce dernier chercher un refuge. Le châtiment que lui avait mérité sa luxure n’avait point corrigé ce prince. Il ne craignit pas de séduire l’épouse de celui qui lui donnait une généreuse hospitalité, et Basine conçut une véritable passion pour son séducteur.

Pendant les huit années que Childéric passa en exil, Basine chercha à distraire de la perte de son trône celui qu’elle aimait. Mais Childéric pensait sans cesse à ce trône perdu. Il avait laissé en France un confident, nommé Videmare. Grâce aux menées de cet homme dévoué, les leudes se lassèrent d’être gouvernés par Ægidius et rappelèrent leur ancien roi. Childéric quitta sa maîtresse, malgré les larmes de celle-ci, malgré ses prières, et vint reprendre possession de sa couronne. Quelques jours après, cependant, lorsque, dans l’enivrement que donne un pouvoir reconquis, il s’était de nouveau plongé dans ses plaisirs d’autrefois, quelle ne fut pas sa surprise de voir apparaître devant lui son ancienne amante, la reine de Thuringe, Basine ! Lui ayant demandé, rapporte Grégoire de Tours (lib. II, cap. XII), la raison qui l’amenait d’un pays si éloigné, elle lui répondit : « Quia utilitatem tuam noverim et quant sii strenuus, ideoque veni ut cohabitem tecum ; nam noveris, si transmarinis regionibus aliquem cognovissem utiliorem quam tu, issem ut cohabitem cum eo. »

Disons, entre parenthèses, que ce passage de l’évêque historien semble confirmer la définition que De Bonald donne de la littérature, quand il dit qu’elle est l’expression des mœurs d’une époque. Aujourd’hui, on n’écrit plus d’une façon aussi barbare, aussi franche. Nous traduirons donc ainsi la réponse de Basine : « J’ai su apprécier votre mérite et votre vigueur ; c’est pour cela que je suis venue ; car vous n’ignorez pas que, si j’avais connu au delà des mers un homme mieux fait pour plaire à une femme, c’est avec lui que je serais allée habiter. » Chez les Germains, l’amour n’avait pas encore été divinisé comme chez les Grecs et les Romains ; le christianisme ne l’avait pas encore purifié, et, si la femme jouissait chez eux de nombreux avantages, de nombreuses prérogatives, ce n’était point parce qu’elle était réellement aimée, mais seulement parce qu’elle était utile. Ainsi s’explique la conduite de l’épouse de Basin, recherchant l’homme qui unissait la force au courage, les deux qualités qui tenaient lieu de toutes les vertus chez nos pères. Childéric épousa sa maîtresse adultère.

Le soir même de ses noces, conte en sa bonne foi Frédégaire (Chron., iib. XII), non moins crédule, disons le mot, non moins ignorant que le bon évêque de Tours, dont il fut le continuateur, Basine dit au roi : « Que cette nuit ne soit pas consacrée à l’amour… Lève-toi, va à la fenêtre, et tu viendras dire à ta servante ce que tu auras vu dans la cour du logis. » Childéric se leva, alla à la fenêtre et vit passer des bêtes semblables à des lions, à des licornes et à des léopards. Il revint vers Basine et lui raconta ce qu’il avait vu. Elle lui dit : « Va derechef, et ce que tu verras, tu le raconteras à ta servante. » Childéric sortit de nouveau et vit passer des bêtes qui ressemblaient à des ours et à des loups. Il le raconta à Basine, qui le fit sortir une troisième fois. Alors il vit des chiens et d’autres animaux d’un ordre inférieur, qui se déchiraient les uns les autres. Il revint alors, et elle lui dit : « Ce que tu as vu de tes yeux arrivera : il nous naîtra un fils qui sera un lion, à cause de son courage. Les fils de notre fils ressembleront aux léopards et aux licornes ; mais ils auront des enfants semblables aux ours et aux loups par leur voracité, et quand ceux que tu as vus pour la dernière fois viendront, les peuples se feront la guerre sans aucune crainte des rois. »

Au temps de Charlemagne, le peuple répétait encore cette merveilleuse légende, et c’est ainsi, assure-t-on, que Frédégaire l’a recueillie. Mais Grégoire de Tours, avons-nous dit, était crédule, lui aussi ; il était ami du merveilleux ; il a raconté tout au long l’histoire de Basine, et il ne dit rien cependant de cette singulière nuit de noces. Pourquoi ? Tout simplement parce que ce récit fut inventé dans un temps postérieur à Basine, alors que les faits qu’il annonce étaient déjà accomplis, et nous allons dire comment.

Sous Clovis et ses fils, les Francs eurent encore l’esprit de conquête ; mais, sous leurs petits-fils, la discorde régna avec Brunehaut et Frédégonde. L’autorité royale, qui n’avait jamais été bien établie, alla s’affaiblissant de jour en jour, et bientôt les descendants de cette reine (que l’histoire a flétris du nom de fainéants) virent passer toute la puissance entre les mains des leudes et des maires du palais, ne conservant pour eux qu’un vain titre.

Mais la nation, un jour, se fatigua de ces fantômes de rois et renversa le trône des Mérovingiens. C’est alors sans doute, et au moment où le dernier rejeton de cette race finissait sa vie dans un cloître, qu’un partisan du pouvoir nouveau inventa le récit que nous avons traduit de Frédégaire. Ce récit dut être accepté par les Francs, à l’esprit crédule et naïf, à l’imagination impressionnable et prompte à accueillir le merveilleux, comme une sorte de prophétie annonçant la fin fatale de la race de Mérovée.